L'œil du totem - Mort au grand largue - John-Erich Nielsen - E-Book

L'œil du totem - Mort au grand largue E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Retrouvez dans cet ouvrage deux enquêtes de l'inspecteur Sweeney !

L'œil du totem
Après la découverte du corps d'une jeune Australienne, sauvagement égorgée en plein centre d'Edimbourg, l'enquête de l'inspecteur Sweeney va prendre une tournure inattendue.
En effet, la victime n'est autre que la fille du magnat de la presse internationale, Robert Culloch. Et les investigations de Sweeney lui désignent clairement la piste australienne...
Alors préparez-vous, et partez pour une aventure palpitante au cœur du bush !

Mort au grand largue
Un coup de feu ! L'océan Pacifique se fige dans le port d'Auckland...
Qui en voulait à Martha McClane ?
A la barre du Spirits of Scotland, la jeune navigatrice était sur le point de remporter la prestigieuse Coupe de l'America. Et de battre à domicile l'équipage du Néo-Zélandais Tom Read.
Une fois de plus, les vents changeants de la baie d'Hauraki se montrent imprévisibles...
Jalousie sportive, enjeu financier, ou déception amoureuse ?

Les polars de John-Erich Nielsen conjuguent suspense et humour, pour le plus grand plaisir des lecteurs !

EXTRAIT DE L'ŒIL DU TOTEM

– La fille égorgée, c’est vous ?
La question fit sursauter Sweeney. Concentré sur son ordinateur, et ce maudit rapport qu’il lui fallait encore taper, l’inspecteur n’avait pas remarqué l’arrivée du visiteur. Et même s’il avait déjà reconnu la voix dans son dos, le jeune homme ne put s’empêcher de se retourner, comme par réflexe.
Mais oui, c’est bien lui ! identifia Sweeney la silhouette dans l’embrasure de la porte. Le commissaire Wilkinson ! Que vient-il faire au bureau un dimanche ? Et à trois heures du matin par-dessus le marché ?
Puisque son supérieur, le regard noir mais toujours muet, lui laissait le temps de la réflexion, l’inspecteur songea : Est-ce que sa femme l’a mis à la porte ? Ou est-ce que le patron a tellement arrosé sa soirée qu’il préfère venir cuver au bureau, avant de partir affronter la colère de madame ? Tu parles d’un alibi ! s’amusa-t-il encore.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Le nœud de l'intrigue est un grand classique du genre. Servi par une narration naturelle, le récit est entraînant. Voilà un petit suspense bien agréable. - Claude Le Nocher, Rayon Polar

Ce roman s'inscrit dans la bonne tradition de la comédie policière, nous invitant à la fois à sourire et à nous interroger sur les faits criminels. C'est agréablement distrayant, très plaisant à lire, donc le but est atteint. - Claude Le Nocher, Rayon Polar

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Meurtre à St Andrew Square

– La fille égorgée, c’est vous ?

La question fit sursauter Sweeney. Concentré sur son ordinateur, et ce maudit rapport qu’il lui fallait encore taper, l’inspecteur n’avait pas remarqué l’arrivée du visiteur. Et même s’il avait déjà reconnu la voix dans son dos, le jeune homme ne put s’empêcher de se retourner, comme par réflexe.

Mais oui, c’est bien lui ! identifia Sweeney la silhouette dans l’embrasure de la porte. Le commissaire Wilkinson ! Que vient-il faire au bureau un dimanche ? Et à trois heures du matin par-dessus le marché ?

Puisque son supérieur, le regard noir mais toujours muet, lui laissait le temps de la réflexion, l’inspecteur songea : Est-ce que sa femme l’a mis à la porte ? Ou est-ce que le patron a tellement arrosé sa soirée qu’il préfère venir cuver au bureau, avant de partir affronter la colère de madame ? Tu parles d’un alibi ! s’amusa-t-il encore.

Toutefois, l’à-peu-près vestimentaire du commissaire révélait plus sûrement la maladresse dont il avait fait preuve pour s’habiller en pleine nuit, que la dégaine fatiguée d’un ivrogne : un pardessus déboutonné, le col ouvert d’une chemise défraîchie, et un pantalon sans ceinture, Wilkinson s’était visiblement emparé des vêtements qui lui tombaient sous la main. Tout cela était inhabituel de la part de son supérieur. Ne subsistaient plus de l’autoritaire commissaire que la dilatation menaçante de son cou de taureau, son embonpoint précoce, générateur d’abondantes sudations, et un crâne rond aux cheveux clairsemés qui s’empourprait au rythme de ses fréquentes colères. D’ailleurs, la teinte violacée de son front ne présageait rien de bon.

Pourtant, réfléchit encore Sweeney, le commissaire ressemble tellement à ce vieil acteur américain…– le comique-là, comment s’appelle-t-il déjà ?Ah oui : Mickey Rooney ! se souvint-il – qu’il ne m’a jamais vraiment fait peur ! et le visage de l’inspecteur se couvrit d’un large sourire.

Wilkinson, visiblement excédé autant par l’apparente bonne humeur de son jeune subordonné que par les motifs qui l’avaient jeté hors de son lit, finit par exploser :

– Bon sang, Sweeney ! La fille égorgée, alors ! C’est vous qui y êtes allé, oui ou non ?

Mesurant enfin l’impatience de son supérieur, le jeune homme risqua :

– Je… Je vous en parle ?

– À votre avis ? ironisa Wilkinson, ses larges paluches en appui sur les hanches.

– D’accord, une seconde commissaire, osa réclamer Sweeney, avant de traverser la pièce pour rejoindre son propre bureau. Wilkinson, au comble de l’exaspération, aboya :

– Et McTirney ? Où est-il passé celui-là ?

– Mon coéquipier ? fit mine de comprendre l’inspecteur. Ian est parti nous chercher un café. C’est lui qui me dictait le rapport, et nous étions loin d’avoir fini, expliqua tranquillement Sweeney.

Pendant que son horripilant subordonné finissait de regagner sa place, Wilkinson prit le temps de l’observer. Dire que ce blanc-bec était encore la meilleure recrue de son service, et que ce… Ce… Mince, songea Wilkinson. Non, décidément, il ne ressemble à rien le jeunot !

En effet, le problème avec Sweeney, c’est que l’on ne pouvait rien en dire. À cause de cette… À cause de sa… En fait, Sweeney n’était qu’une barbe. Une barbe rousse, courte, mal peignée, mal taillée, mal fichue vraiment, qui éclipsait tout le restant de son apparence. Parce que Wilkinson avait beau chercher… À part cet insupportable collier de barbe rousse… De taille moyenne, Sweeney ne se distinguait par aucun signe particulier. Il ne portait pas de lunettes. Les traits de son visage étaient définitivement anéantis par cette auréole pileuse qui lui enflammait joues et menton. Et ses yeux, noirs et minuscules, y apparaissaient comme immobiles, inexpressifs, tout juste ouverts-un-point-c’est-tout. Quant à ses vêtements… bah ! Un éternel tee-shirt de couleur sombre, qui n’avait jamais croisé la route d’un fer à repasser. Un pantalon de toile grise, qui ignorait les plis les plus élémentaires, et des chaussures brunes et tristes, semblables à celles d’un pasteur anglican. Un désastre ! La silhouette de Sweeney semblait n’avoir pour seule finalité que de lui servir à déplacer son agaçante barbe rousse d’un point à un autre.

Étonnant pour un jeune homme de vingt-cinq ans, se dit encore Wilkinson. Une vraie dégaine d’étudiant attardé ! Mais bon, il faudra s’y faire : la nouvelle génération sans doute… se persuada finalement le commissaire.

– Dictaphone, vous permettez ? lui demanda soudain l’inspecteur, et il extirpa un curieux boîtier noir de son tiroir.

– Mmm… maugréa Wilkinson, avant de s’affaler dans un fauteuil. Vous ne pouvez pas vous passer de votre… de votre machin-là ? protesta-t-il. Ça me donne l’impression que c’est moi qu’on auditionne !

– Vous savez bien commissaire, se justifia le barbu. Je préfère enregistrer : c’est à mon avis la seule façon de conserver des éléments réellement objectifs. Et puis je…

– C’est bon, c’est bon ! abrégea Wilkinson. Asseyez-vous, ordonna-t-il à Sweeney… Maintenant, je veux que vous me fassiez un compte rendu oral précis, et surtout rapide, des éléments que vous avez réussi à dégager dès ce soir. C’est d’accord ?

– Vous voulez parler de la jeune fille que l’on a retrouvée égorgée au beau milieu de St Andrew Square ? crut bon de préciser l’inspecteur.

Le regard courroucé de son supérieur, ainsi que le tapotement agacé de ses doigts sur l’accoudoir, suffirent pour lui répondre. L’enquêteur s’empressa alors de déposer son dictaphone sur le rebord du bureau. Mais juste avant de déclencher la bande, Sweeney songea encore : Prends ton temps, Archie… J’ai rarement vu le patron aussi énervé. Il paraît même inquiet… Et puis que vient-il faire ici un dimanche, en pleine nuit ? C’est étrange… Non, quelque chose ne tourne pas rond !

*

“Clic”

La bande du dictaphone se mit à s’enrouler sur elle-même.

– Alors ? grogna Wilkinson.

– Voilà… débuta Sweeney. Nous étions de permanence ce soir, avec McTirney. La patrouille de nuit nous a appelés un peu après vingt-trois heures trente. Le corps d’une jeune femme venait d’être retrouvé par des passants dans St Andrew Square.

– Mmm… La scène de crime ? le relança aussitôt le commissaire.

– Euh… Nous sommes arrivés vers vingt-trois heures quarante-cinq. La victime se présentait face contre terre, partiellement dénudée. Sa robe avait été relevée et ses sous-vêtements retirés. Elle était allongée sous un banc, à trente mètres à peine du Melville Monument. Vous savez commissaire, cette grande colonne cannelée qui…

– Oui merci, le Melville Monument ! s’impatienta Wilkinson. Je connais ! Ensuite ?

– Eh bien… C’est un couple, qui rentrait du pub, qui a découvert le corps. Le monsieur a aperçu un sac à main sur le bord de l’allée. C’est en se baissant pour le ramasser qu’il a remarqué les jambes de la victime.

– Est-ce que vous les avez interrogés ? voulut savoir le commissaire.

– Bien sûr ! sourit le barbu. Ils ont parfaitement réagi en découvrant le corps : le monsieur a commencé par braquer la petite lampe de ses clés de contact sur le visage de la jeune femme. Il a tout de suite compris qu’il n’y avait plus rien à faire. Puis il a appelé les secours. En attendant la patrouille, il a laissé toutes les affaires en place et il s’est assuré que personne ne s’approchait du cadavre. Mais bon, à cette heure-là, il ne passe plus grand monde dans St Andrew Square… Bref, conclut Sweeney : comme le sac à main n’avait finalement pas été touché, on peut penser que l’on a affaire à une scène de crime relativement « propre ».

– C’est déjà ça… soupira le commissaire. Ensuite ?

– Ensuite, les premières constatations avec McTirney : une jeune femme brune, environ vingt ans. Plutôt grande. Un manteau long sur les épaules, mais relevé comme sa robe. Viol, ou tentative de viol, proposa l’inspecteur.

– En plus ! se désola son supérieur.

– Les causes de la mort étaient assez évidentes : le meurtrier lui avait tranché la gorge, assez profondément. Il avait dû la maintenir par-derrière, c’était un droitier, et…

– Un instant ! sursauta Wilkinson. Comment pouvez-vous savoir ça ?

– Docteur McGraw ! lui sourit le jeune inspecteur.

– Quoi ? s’étonna le commissaire. Le coroner était avec vous ?

– Oui, lui confirma Sweeney. Il est arrivé moins d’un quart d’heure après nous. Souriant, rasé de près, très bien habillé, et…

– Il sortait de chez sa maîtresse, parut se moquer Wilkinson.

– Comment ?

– Désolé Sweeney, mauvaise blague… Non, il était sûrement à l’opéra quand vous l’avez appelé. Il adore ça.

– À l’opéra, on éteint son portable… insinua l’enquêteur. Nous n’aurions jamais réussi à le joindre si…

– Bon, ça va ! s’agaça le commissaire, qui regrettait déjà sa boutade. Alors ? Que vous a appris McGraw ?

– Pendant que nous interrogions le couple de témoins, ainsi que les collègues de la patrouille, le docteur s’est mis au boulot. C’est lui qui nous a confirmé la tentative de viol. Et apparemment, même si l’autopsie ne retrouvait rien au niveau de l’utérus – le meurtrier n’a peut-être pas eu le temps d’aller jusqu’au bout de ses intentions – il y aurait des traces de salive sur la nuque, ainsi que sur les cheveux de la victime. Ça sent bon l’ADN ! se réjouit Sweeney.

– Et votre histoire de meurtrier droitier ? le relança le commissaire.

– Selon McGraw, cela ne fait aucun doute. L’assassin a maintenu la fille par-derrière – elle devait être à genoux, ces derniers étaient couverts de sang – et puis… hésita Sweeney, encore ému. Et puis, il lui a découpé la gorge, enfonçant sa lame à la gauche du cou et remontant jusqu’à l’oreille droite. Un massacre… commenta l’inspecteur, les yeux dans le vide.

– L’arme du crime ? lui demanda son supérieur, afin de le ramener à des considérations plus professionnelles.

– Un couteau de cuisine, ou un couteau de chasse, selon McGraw. Mais on n’a rien retrouvé pour l’instant. Les collègues cherchent encore. St Andrew Square est assez grand. Mais avec un peu de chance… suggéra Sweeney.

– Mmm… douta un Wilkinson plus pessimiste. Et l’horaire ?

– Ah oui, pardon ! se reprocha le barbu. Le docteur situe l’heure de la mort entre vingt-trois heures et vingt-trois heures trente. Avec la mesure de l’humeur vitreuse, la marge d’erreur sera faible… Quant à ses effets personnels, je pense que rien ne lui a été volé. Dans son sac, j’ai tout retrouvé : argent, carte bleue, portable, et même ses papiers d’identité. Une identification simple ! jubila l’inspecteur. Elle s’appelle Marga…

– Margaret Culloch ! Une Australienne ! compléta soudain Wilkinson, maussade. Merci, ça fait plus d’une heure que je le sais.

– Com… Comment ? bredouilla Sweeney. Vous le… Vous le saviez ? C’est McGraw qui vous a…

– Oh non ! pesta encore le commissaire. Ce n’est pas le docteur ! Si vous saviez… conclut-il, énigmatique. Mais bon, enchaîna Wilkinson, je vous expliquerai plus tard. Poursuivez.

– Ah bon ? Je…

– Poursuivez ! rugit le commissaire.

– D’accord patron, obtempéra Sweeney. En lisant ses papiers, j’ai donc découvert que la fille s’appelait Margaret Culloch, qu’elle avait tout juste vingt ans, et qu’elle était citoyenne australienne. Puis McTirney s’est rendu compte que son portable était toujours en marche.

– Alors ? s’impatienta Wilkinson, curieux.

– Alors on a fait comme d’habitude. On a identifié les numéros les plus fréquemment utilisés, et on les a rappelés.

– Alors ? continua de bouillonner le commissaire.

– Alors bingo ! rayonna Sweeney. On est tout de suite tombé sur ses meilleurs amis et, déjà, je peux vous annoncer que je sais tout des dernières heures de la victime !

Mais en observant la mine renfrognée de son supérieur, puis le tapotement toujours plus nerveux de ses doigts, Sweeney comprit qu’il ne fallait pas s’attendre au moindre compliment de sa part. Alors l’inspecteur se dépêcha de livrer le reste de ses informations :

– Nos appels nous ont appris que Margaret Culloch était étudiante, en troisième année de journalisme. Elle effectuait à Édimbourg un stage de six mois au Scotsman. Avec quatre de ses amis, deux garçons et deux filles, elle avait assisté dans l’après-midi au match de rugby Écosse – Australie. Puis, pour fêter la victoire de son pays – bientôt vingt ans qu’on ne les a plus battus les Wallabies ! se désola Sweeney. Je me demande quand la Fédération va se décider à…

– M’en fiche ! le coupa sèchement Wilkinson. La suite !

– Euh oui, voilà… reprit l’enquêteur. Après le match, les cinq jeunes gens se sont donc retrouvés dans un pub, à proximité du stade de Murrayfield, à l’ouest de la ville. Ils y seraient restés tardivement. Peu avant la fermeture, deux d’entre eux seraient partis en voiture. Les deux autres auraient raccompagné la victime jusqu’à la gare. Là, le garçon et la fille qui étaient encore avec Margaret, l’auraient vue prendre la navette vers le centre. Eux seraient partis pour la banlieue nord. Après ça, on n’a, pour l’instant, plus aucun témoignage concernant l’Australienne.

– Quelle heure était-il ? voulut savoir Wilkinson.

– Hein ? bêla Sweeney.

– À la gare ! s’enflamma encore un peu plus le commissaire. À quelle heure ses amis ont-ils quitté Margaret Culloch ?

– Aux alentours de vingt-deux heures quarante-cinq, précisa Sweeney. C’est-à-dire que la victime a tout juste eu le temps de faire le parcours de la navette jusqu’à Waverley, la gare centrale. De là, elle a dû partir à pied vers son domicile – elle habite un studio dans Dublin Street, à dix minutes à peine. On a prévu de s’y rendre tout à l’heure avec McTirney, j’ai retrouvé les clés dans son sac – et sur son trajet, il lui faut obligatoirement longer la place de St Andrew Square.

Puis Sweeney s’interrompit, pour émettre ses premières hypothèses :

– Arrivée là, a-t-elle voulu faire un dernier détour par le centre de la place ? A-t-elle été entraînée par son meurtrier, ou bien l’a-t-elle suivi de son plein gré ? Peut-être était-ce même l’une de ses connaissances ? suggéra-t-il encore.

– Doucement, doucement ! l’invita au calme un Wilkinson qui, paradoxalement, était lui-même au bord de l’explosion. Avant d’échafauder toutes ces suppositions stériles, il faudra déjà que vous retourniez sur place demain matin. Avec le jour, en ratissant la zone, vous tomberez peut-être sur de nouveaux indices. D’ailleurs, avant de commencer à réfléchir, ironisa le commissaire, si vous me retrouviez l’arme du crime ? Ce serait déjà bien !

Nullement désarçonné par les railleries de son supérieur, Sweeney lui annonça :

– Pas de problème, patron. J’ai demandé aux collègues de boucler le périmètre : plus personne ne mettra les pieds dans St Andrew Square d’ici demain matin.

Puis, encore un peu plus fier de son action, le jeune inspecteur ajouta :

– Concernant les quatre témoins qui ont passé la journée avec la victime, nous les avons déjà convoqués. Avec Ian, nous avons prévu de les interroger dès demain après-midi.

– Mmm… gronda le volcan Wilkinson. Puis, plus menaçant, il demanda :

– Bien sûr Sweeney, vous ne vous doutez toujours pas des raisons de ma présence ?

Tout d’abord interdit, puis soudain inquiet, le jeune inspecteur hésita :

– Euh… fit-il entendre.

Mais il était déjà trop tard. La colère de son supérieur, trop longtemps contenue, explosa violemment :

– P…, Sweeney ! éructa Wilkinson. Que croyez-vous que je fous là, à trois heures du matin ? Vous pensez peut-être que j’ai traversé tout Édimbourg pour venir vous souhaiter une bonne nuit ?

Sidéré, Sweeney encaissa sans broncher.

– Et puis éteignez-moi votre bidule ! exigea le commissaire, désignant d’un regard dédaigneux le dictaphone qui enregistrait encore.

Obéissant, le barbu bondit de son siège et fit aussitôt disparaître l’appareil au fond de sa poche.

Satisfait, mais soudain plus mystérieux, Wilkinson demanda :

– Sweeney, devinez qui m’a appelé il y a une heure.

– Je… Je ne sais pas, commissaire.

– Le cabinet du ministre ! souffla-t-il. Et vous savez pourquoi ?

Interloqué, et ne comprenant absolument pas ce que venait faire le ministre dans cette affaire, Sweeney se contenta d’un bien pauvre :

– Ben… non.

Comme l’inspecteur s’y attendait, sa piètre réponse décupla la rage de Wilkinson :

– Son nom ! hurla le commissaire. Son nom ! Comment s’appelle votre victime ?

– Mais… Mais je vous l’ai dit, patron : Margaret Culloch. Je ne vois pas ce que…

– Vous ne voyez pas ? ! s’étrangla Wilkinson. Culloch ! Culloch ! martela-t-il. Ça ne vous dit rien ?

Un silence pesant envahit la pièce.

Définitivement anéanti, le commissaire décida d’aider son subordonné :

– Mais cette Margaret, que vous avez découverte tout à l’heure dans St Andrew Square, c’est la fille de Robert Culloch ! Est-ce que vous avez compris cette fois ?

– La fille de… De Robert qui ? demanda Sweeney, confessant son ignorance.

Wilkinson n’avait dorénavant plus qu’une idée en tête : essayer de trouver une seule bonne raison pour ne pas sauter à la gorge de cet horripilant barbu !

*

– Vous ne savez vraiment pas qui est Robert Culloch ? insista une dernière fois le commissaire. Vous ne lisez jamais les journaux ?

– Heu… hésita Sweeney. Avant d’avouer :

– Non. Pour me distraire, j’écoute de la musique téléchargée. Ou bien je fais des jeux vidéo. En ce moment, poursuivit-il, je me suis lancé dans Avatar IV. C’est génial ! J’en suis déjà au niveau sept, et si je parviens à…

La mine navrée de Wilkinson le força à s’interrompre. Les yeux de son supérieur trahissaient un curieux mélange de fureur et de stupeur inouïe. Sweeney en était sûr : dès qu’il aurait recouvré ses esprits, et pris sa décision, le commissaire allait lui annoncer sa mise à pied définitive. Ou bien sa mutation au fin fond des Highlands. Ou pire encore, quitter la pièce sans un mot et, désabusé, démissionner le jour même de la police !

À cet instant précis, Sweeney le sentait bien, aucun de ces scénarios n’avait encore la préférence de Wilkinson…

– Sweeney ! Ton café ! brailla soudain McTirney, alors qu’il franchissait la porte.

Ian, tu tombes à pic ! soupira l’inspecteur. Jamais je n’ai été aussi heureux de te voir !

Les yeux rivés sur deux mugs de café frais, l’inspecteur McTirney traversa la pièce tout en faisant mine de ne pas apercevoir son supérieur.

Mais je suis sûr que tu as suivi toute notre conversation, Ian. Tu as juste attendu le bon moment pour surgir, se réjouit Sweeney. Merci Ian, tu es un véritable ami !

– Oh ! Bonsoir commiss… sursauta McTirney. Euh, bonjour plutôt ! Qu’est-ce qui vous amène ? Quelque chose d’important ?

Wilkinson ne répondit pas et observa rapidement le nouvel arrivant : la quarantaine élancée, le geste précis, un impeccable complet sombre qui le grandissait encore, ainsi qu’un visage aux joues grêlées mais sauvé par un regard bleu métallique qui devait plaire aux femmes, le brun Ian McTirney était l’exact opposé de son coéquipier dégingandé. Et c’était précisément cette différence qui avait incité Wilkinson à associer les deux policiers. Depuis deux ans, le commissaire n’avait d’ailleurs eu qu’à se féliciter de son choix. McTirney avait apporté à son jeune collègue métier et rigueur. Quant au « poil à gratter » Sweeney, il avait relancé l’enthousiasme d’un ancien, usé prématurément par vingt années passées à élucider des crimes d’ivrognes.

Évidemment, comme Sweeney, Wilkinson avait déjà deviné le stratagème de McTirney. Après tout, songea-t-il, j’aime autant ça. Tous les deux se serrent les coudes, et c’est essentiel dans une équipe… Bien joué, McTirney ! apprécia-t-il enfin.

Apparemment calmé par l’irruption du coéquipier de Sweeney, le commissaire reprit :

– Bonsoir, McTirney. Et vous ? lui demanda-t-il, tandis que le nouveau venu remettait à Sweeney un mug fumant.

– Quoi moi ? l’interrogea naïvement l’inspecteur.

– Oui, Culloch… Vous, Culloch, ça doit vous dire quelque chose, non ?

– Heu… La presse, n’est-ce pas ? C’est ça ?

– La presse ! finit par exulter Wilkinson. Le magnat de la presse !

– Est-ce que vous pouvez m’expliquer ? s’agaça Sweeney à son tour.

– La jeune femme assassinée, commença le commissaire, n’est autre que la fille de Robert Culloch. Ce type est le patron de presse le plus puissant d’Australie, son pays d’origine. Il y possède les plus grandes chaînes de télévision, la presse quotidienne, sans compter les magazines.

– Pas mal, fit entendre la barbe rousse, admirative.

– Et ce n’est pas tout, poursuivit Wilkinson. Chez nous, son groupe a déjà fait main basse sur les principales chaînes câblées, sur deux grands quotidiens nationaux, et… s’interrompit le commissaire.

– Et aussi sur ça ! conclut-il soudain, désignant du menton un tabloïd abandonné sur la table, et sur la une duquel se côtoyaient, sous un titre racoleur, pin-ups en bikini et footballeurs en sueur.

– Non ? Pas celui-là ? s’émut Sweeney. Mais c’est le plus connu de tout le pays !

– C’est aussi le numéro un des ventes, compléta Wilkinson… Vous comprenez maintenant ? Robert Culloch est l’une des plus grosses fortunes mondiales. Même si on lui offrait les joyaux de la couronne, il n’y attacherait pas plus d’importance qu’à un sac de billes !

– Mazette ! siffla McTirney, entre deux gorgées de café.

– Bref, avec tout son argent et son empire médiatique, Robert Culloch est un homme tout-puissant ! martela Wilkinson.

– Tout-puissant, tout-puissant, relativisa le barbu. Ce n’est pas ça qui a empêché que l’on tue sa fille.

– Rigolez ! le rabroua son supérieur. Dès qu’il a appris son décès, Culloch a directement appelé le Premier ministre. En pleine nuit ! Puis le Premier ministre a appelé notre propre ministre. Qui a appelé son directeur de cabinet. Qui, lui, m’a réveillé il y a une heure à peine pour me passer un savon. Et un gratiné !

– Pff… soupira Sweeney, mi-compatissant mi-désabusé.

– Mais allez-vous comprendre à la fin ? lui reprocha Wilkinson. Le Premier ministre est un ami personnel de Robert Culloch. Et c’est dans son intérêt : si demain matin, Culloch décide de déchaîner une tempête médiatique à son encontre, le Premier ministre peut dire adieu à ses espoirs de réélection. Quant à notre ministre, il retournera planter des choux dans le Devon, et son directeur de cabinet, lui, ira vendre des encyclopédies dans les quartiers ouvriers de Liverpool. Enfin, quant à moi… suggéra le commissaire.

Mais, constatant le sourire déjà amusé de ses deux inspecteurs, il corrigea aussitôt :

– Quant à nous, se reprit-il, nous sommes tous les trois bons pour aller faire la chasse aux voleurs de moutons dans les Highlands !

Cette terrible menace coupa court à la bonne humeur de ses subordonnés.

– Le directeur de cabinet a été clair, ajouta Wilkinson : Robert Culloch nous avait fait l’honneur de nous confier sa fille. En effet, Margaret se destinait au journalisme, et pour son dernier stage, son père avait choisi de l’envoyer au Scotsman d’Édimbourg, l’un des rares journaux qui ne lui appartiennent pas encore. Si nous voulons nous montrer dignes de cette confiance, nous devons élucider l’affaire au plus vite.

– Ça veut dire combien de temps ? s’inquiéta McTirney.

En guise de réponse, le commissaire Wilkinson se contenta de lever trois de ses doigts potelés.

– Quoi ? s’indigna l’expérimenté McTirney. Trois semaines ? Mais c’est de la folie ! Jamais nous ne…

– Vous n’y êtes pas ! le coupa froidement son supérieur. Le ministre ne nous donne pas trois semaines, mais trois… jours !

– Great Scott ! jura Sweeney.

– P… ! surenchérit son coéquipier.

– Remballez-moi vos états d’âme, ordonna Wilkinson, ainsi que vos jurons de charretier. Il n’y a pas de temps à perdre. Il faut vous mettre d’urgence au boulot, et… D’ailleurs, vous avez bien convoqué les amis de la victime pour cet après-midi ? se souvint le commissaire.

– Oui patron, à compter de quatorze heures, lui confirma McTirney.

– OK, enregistra Wilkinson. C’est vous qui les interrogerez, enjoignit-il à l’inspecteur.

– Ben, et moi ? se vexa le barbu.

– Robert Culloch se trouve actuellement à Londres, mais il prend l’avion dès ce matin pour Édimbourg. Il veut pouvoir rencontrer les inspecteurs chargés de l’enquête. C’est vous qui vous rendrez à son hôtel cet après-midi, Sweeney.

– Bah ! Et pourquoi moi ? récrimina encore le jeune homme.

– Les VIP, Sweeney, depuis deux ans, c’est devenu votre spécialité, non ? ironisa Wilkinson.1

– Bon… finit par se résigner l’enquêteur. Mais pour aussitôt rebondir :

– Allez Ian, enchaîna-t-il, laisse tomber le café. Si nous voulons tenir le coup, j’ai mieux que ça.

– Pardon ? s’étonna le commissaire.

– Ben oui, patron. Mieux vaut prendre les choses du bon côté. Finalement, une mission comme celle-là, ça s’arrose !

– Quoi ? s’inquiéta Wilkinson.

Pour toute explication, Sweeney sortit de ses tiroirs trois verres minuscules, puis… une bouteille. Tandis qu’il emplissait déjà les récipients, il expliqua :

– Commissaire, je vous offre du whisky de l’île d’Islay. Vingt ans d’âge, le meilleur du monde. Je le réserve pour les grandes occasions ! et il tendit à chacun sa dose du précieux liquide.

Bizarrement, Wilkinson ne trouva cette fois rien à redire.

Les trois Écossais levèrent simultanément leur verre, ils se regardèrent droit dans les yeux puis, d’un coup, on entendit retentir un magistral :

– Slainte2 !

1 Lire les épisodes précédents.

2 Expression gaélique traditionnellement employée en Écosse pour porter un toast.

Hôtel Balmoral – Princes Street

Princes Street ne lui avait jamais paru si longue.

Obligé de stationner sa vieille Ford Escort du côté de West End, Sweeney devait encore parcourir sept à huit cents mètres avant de rejoindre l’hôtel Balmoral, situé tout en haut de la rue au 1, Princes Street.

Habituellement, si les promenades dominicales lui étaient plutôt agréables, il en allait tout autrement en ce dimanche après-midi. Marqué par le manque de sommeil – une demi-heure à peine, avachi sur son bureau – vidé, la barbe en bataille et les idées brumeuses, Sweeney peinait à trouver le moindre charme au temps printanier dont jouissait Édimbourg. Pourtant, en cette mi-juin, la température était d’une clémence étonnante. Une brise marine, légère, laissait glisser sur un ciel d’azur quelques rares nuages blancs. Le jeune inspecteur, le nez en l’air, devait être le seul à les trouver trop bas.

Aussi bas que mon moral, finit-il même par songer.

Trop fatigué, Sweeney n’accorda aucune attention aux joyaux de verdure des jardins de Princes Street, délicieusement alanguis sur sa droite. Devenue trop quotidienne, la vision majestueuse du château qui surplombait la ville, ne parvint pas non plus à le réconforter. Ce n’est qu’en arrivant à hauteur de la gare de Waverley que le jeune homme retrouva un peu d’entrain : Ouf ! Plus que cent mètres, j’y suis presque ! soupira-t-il.

Après quelques pas, Sweeney atteignit enfin le Balmoral, l’un des hauts lieux du luxe écossais.

Planté devant l’imposante façade, indifférent aux flots de touristes qui déambulaient autour de lui, le jeune homme prit le temps de réfléchir : Bien… Culloch doit être arrivé. Selon les informations de Wilkinson, il aurait même utilisé son jet privé pour venir nous rencontrer plus tôt… Je me demande à quoi peut bien ressembler l’un des hommes les plus riches et les plus puissants de la planète… Peut-être à rien ! sourit l’enquêteur. Puis, comme s’il voulait gagner encore un peu de temps, son attention se fixa sur l’hôtel : C’est quand même impressionnanttoutes ces fenêtres, se dit-il. Ça doit en faire des chambres ! Et puis la tour carrée… Elle est presque aussi massive que la Tour de Londres ! continua de s’amuser le jeune inspecteur. Non, se ravisa-t-il enfin. Ça n’a rien à voir. C’est bien plus joli, et puis au moins, ça c’est écossais !

Alors que, enfin détendu, Sweeney s’apprêtait à pénétrer dans l’hôtel, son œil fut encore attiré par la gigantesque horloge qui trônait en dessous du clocher de la tour : Oups ! hésita-t-il soudain. Quelle heure est-il ? J’ai rendez-vous à quinze heures, il ne s’agirait pas que je sois… Great Scott ! jura-t-il en apercevant la grande aiguille qui, déjà, s’éloignait du douze romain sur le cadran. Ce n’est pas possible ! Je suis en retard ! et l’inspecteur se mit à courir.

Machinalement, il jeta un coup d’œil à sa montre, comme pour vérifier l’ampleur de son erreur, et… stoppa net.

Quel idiot je fais ! se reprocha-t-il. Quatorze heures cinquante-neuf seulement… Bien sûr ! et Sweeney se souvint alors de l’histoire que, enfant, sa tante Midge lui avait racontée lorsque pour la première fois, elle l’avait emmené visiter la capitale.

– Tu vois cette grande horloge ? lui avait-elle demandé en sortant de la gare de Waverley.

– Oui, pourquoi ? lui avait naïvement répondu le gamin.

– Eh bien, on dit qu’elle avance toujours de trois minutes afin que les clients de l’hôtel ne soient jamais en retard pour prendre leur train.

Trois minutes… se répéta l’inspecteur. Trois minutes, c’est à peu près ce qu’aura duré le calvaire de Margaret Culloch. Comment raconter ça à son père ? réfléchit-il encore. Allez, trop tard pour se poser ce genre de question, se raisonna-t-il. Cette fois, il est l’heure ! et Sweeney se précipita dans le hall de l’hôtel.

En voyant surgir cette improbable barbe rousse dans le cadre feutré du Balmoral, le réceptionniste n’en crut pas ses yeux : Mais qu’est-ce que c’est que ça ? s’indigna-t-il.

En effet, ce jeune homme hirsute, au pantalon froissé, au tee-shirt à la propreté douteuse et au bras surmonté d’un incroyable club de golf1 ne pouvait être qu’un touriste égaré. Bref : un intrus à chasser au plus vite !

Sweeney, lui, ne prêta aucune attention au clinquant du prestigieux hall. Il ne remarqua même pas le feu de bois, incongru en cette saison, qui flambait dans la cheminée face à la réception. Toutefois, il comprit aussitôt que le « Hem… Monsieur, s’il vous plaît ! », un peu gêné, de l’homme en uniforme embusqué derrière le comptoir, lui était destiné. Sans hésiter, l’inspecteur fonça droit vers l’employé du Balmoral. Avant que ce dernier n’ait eu le temps de faire remarquer à l’importun qu’il s’était certainement trompé d’adresse, et que le buffet de la gare se trouvait un peu plus bas dans la rue, Sweeney lui déclara :

– Bonjour ! J’ai rendez-vous avec monsieur Robert Culloch !

Tout d’abord interdit, le réceptionniste eut besoin de se répéter, comme pour s’en persuader, la surprenante demande :

– Vous… Vous avez rendez-vous avec… Avec monsieur Culloch ?

L’homme en uniforme devait croire à un stratagème de paparazzi. Son regard se fit méfiant.

– Et… Et qui dois-je annoncer ? essaya-t-il de piéger le visiteur.

Encombré par son club de golf, le barbu farfouilla maladroitement dans sa poche revolver, avant de réussir enfin à en extirper sa carte :

– ‘Specteur Sweeney, criminelle, se présenta l’inconnu. Monsieur Culloch m’attend. Il s’agit de sa fille.

Le réceptionniste sursauta. Même s’il était parfaitement au courant du drame survenu la nuit précédente à deux pas de l’hôtel, il lui semblait hautement improbable que ce… enfin cette… Mais… Mais c’est qu’il ne ressemble à rien, ce type ! émit-il enfin pour tout jugement.

Une dernière fois, l’homme compara la photo d’identité avec l’étrange visage suspendu au-dessus de son comptoir, puis il finit par abdiquer :

– C’est… C’est bon. Il vous attend, confirma le réceptionniste.

– Quelle chambre ? sourit le policier en rangeant ses papiers.

– Mais la Scone and Crombie Suite ! annonça fièrement l’homme en uniforme. Bien sûr !

– Hem, bien sûr… La… La Scone and quoi ? hésita encore l’inspecteur.

– C’est bon, suivez-moi ! s’impatienta le réceptionniste. Edgar ! héla-t-il un groom. Prenez ma place ! J’en ai pour une minute.

Et l’autre qui s’appelle Edgar !Great Scott ! sourit Sweeney, et il emboîta le pas à son guide.

Moins d’une minute plus tard, les deux hommes parvinrent devant une luxueuse porte d’acajou. Le réceptionniste frappa une fois. Puis deux.

Constatant l’absence de réponse, il ouvrit alors le battant avec précaution, avant de passer la tête :

– Monsieur ?… lança-t-il. C’est le monsieur de la police !… Celui que vous attendiez !…

– OK, faites-le entrer ! retentit enfin une voix rauque.

L’employé s’effaça puis il invita le visiteur à pénétrer dans la suite.

Après avoir remercié son guide, Sweeney entra prudemment.

– Asseyez-vous ! lui commanda la voix depuis une salle de bains adjacente.

– Merci ! se contenta de répondre l’inspecteur, impressionné par le ton autoritaire de son hôte. Mais finalement, plutôt que d’obtempérer trop vite, l’enquêteur prit le temps d’aller faire le tour de « la suite la plus luxueuse d’Écosse », comme venait de la lui vanter le réceptionniste du Balmoral. Profitons-en ! se dit-il. Ce n’est pas tous les jours, avec mon traitement d’officier de police, que je pourrai venir me balader par ici.

Sweeney admira la débauche de fourrures et de tissus bleus qui habillaient la pièce. Ces derniers recouvraient de somptueux meubles anciens, dont le jeune homme aurait eu bien du mal à préciser le style. Il trouva tout aussi éblouissant le raffinement des moquettes, des tentures, ou encore celui des tapisseries. Toutefois, l’inspecteur finit par se sentir attiré par la vaste fenêtre de l’appartement. En soulevant le léger rideau blanc, le visiteur découvrit alors un paysage de carte postale : dans le prolongement de la gare de Waverley et de la tour de l’horloge, se dressait l’imposante stature du château d’Édimbourg. À ses pieds, la vieille ville, ainsi que les larges jardins de Princes Street, rehaussaient encore ce parfait mariage d’ocre et de vert. Plus à droite, les constructions géométriques de la ville nouvelle altéraient un peu cette agréable vue d’ensemble, et… et juste là… aux abords de la ville moderne, oui juste là, cette tache grise… St Andrew Square ! l’identifia Sweeney. Dire que c’est là, il y a quelques heures à peine, que la fille de Culloch a…

– Alors ? retentit la voix dans son dos. Je vous avais dit de vous asseoir !

Surpris, le jeune homme fit aussitôt volte-face. Instantanément, son regard croisa celui de Robert Culloch : un regard dur, magnétique.

Si je m’attendais… songea Sweeney.

– Prenez ce fauteuil, lui commanda Culloch, et il désigna deux accoudoirs au tissu fleuri.

La barbe rousse commença par déposer son club de golf, avant de s’exécuter.

Pendant que son hôte approchait une chaise à son tour, l’inspecteur se hâta de l’observer.

Robert Culloch portait un étonnant costume à carreaux, à la coupe étrangement ample. Marrant, on dirait un chanteur des années soixante-dix. Un Jackson Five ! se détendit Sweeney.

La soixantaine sportive, mais de taille moyenne, Robert Culloch arborait une coupe de cheveux assortie à son costume : en effet, une surprenante paire de rouflaquettes anachroniques encadrait son visage émacié et autoritaire. Et puis la dureté de ses yeux… ne put s’empêcher de frissonner l’inspecteur. Ça ne va pas être simple !

Enfin, lorsque l’homme d’affaires, le buste penché vers l’avant, lui asséna avec un puissant accent australien :

– Bon ! Jeune homme, alors ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ?, Sweeney ne put que confirmer son premier jugement : C’est bien ce que je pensais. Ça ne va pas être simple…

*

– Alors, qu’est-ce que vous avez trouvé ? répéta avec insistance Robert Culloch.

Pour parvenir à prendre le contrôle de l’entretien, Sweeney voulut temporiser :

– Monsieur, c’est moi qui me suis rendu cette nuit à St Andrew Square. J’ai donc été amené à faire les premières constatations relatives à la scène de crime. Voulez-vous que je vous en parle ? proposa l’inspecteur.

Mais l’abrupt Australien repoussa aussitôt son offre :

– Merci, mais votre commissaire m’a déjà donné tous ces éléments sordides au téléphone. Et puis, il y a une heure à peine, j’étais encore à la morgue, auprès de ma fille…

Robert Culloch se tut un instant, puis il détourna le regard. Enfin, il quitta brusquement son fauteuil pour conclure :

– Alors vous voyez, mais de ce côté-là, merci : j’ai déjà eu mon compte !

Nerveux, l’homme d’affaires se dirigea vers la fenêtre. Incapable de tenir en place, il changea d’idée et alla ouvrir sa valise sur le lit. Il en extirpa un paquet de chewing-gums, se colla deux tablettes vertes dans la bouche, puis il revint immédiatement à la charge :

– Bon inspecteur, Margaret a été tuée il y a déjà plus de douze heures. Le temps presse : où en êtes-vous de votre enquête ? Qu’avez-vous découvert ? Quelles sont les pistes que vous comptez privilégier ?

Devant ce déluge de questions, et afin d’échapper au regard magnétique de l’Australien, Sweeney fit une dernière tentative pour prendre la direction des événements :

– Monsieur, il s’agit d’une enquête criminelle. Ça ne se passe pas tout à fait comme ça. Et d’ailleurs… s’interrompit soudain l’inspecteur. Permettez ? demanda-t-il, et il sortit un dictaphone de sa poche.

– Vous plaisantez ? s’insurgea aussitôt Culloch. Est-ce que vous comptez vraiment enregistrer notre conversation ?

– Euh… hésita Sweeney. Oui, je procède toujours de cette façon. C’est pour moi…

– Vous croyez peut-être que je donne une interview ? fulmina le sexagénaire. Rangez-moi ça !

– Mais monsieur… tenta la barbe rousse.

– Rangez-moi ça, je vous dis ! tonna Culloch. Est-ce que vous savez seulement qui je suis ? demanda-t-il, méprisant. Vous croyez vraiment pouvoir m’enregistrer ?… Rangez-moi ça ou je vous fais retirer l’affaire ! finit-il même par le menacer.

Comprenant que l’Australien ne bluffait pas, Sweeney, la mort dans l’âme, obtempéra.

Ça commence bien, maugréa le barbu.

– Et puis vous m’avez l’air bien jeune, le toisa encore Robert Culloch. Si votre commissaire ne m’avait pas assuré que vous étiez son meilleur élément… sembla-t-il douter. Oui, vous êtes bien jeune, répéta-t-il, avant de partir faire les cent pas à travers la vaste suite.

Sweeney profita de ce répit inespéré pour prendre enfin l’initiative :

– Monsieur Culloch, connaissiez-vous des ennemis à votre fille ?

Entre deux claquements de chewing-gum, l’Australien finit par répondre :

– Non… Mais ça ne veut rien dire. Depuis son départ pour l’Écosse, je ne voyais ma fille que très rarement. Elle terminait un dernier stage de six mois, et on ne s’était plus vus depuis les fêtes du Nouvel An, à Sydney. De plus, je suis très occupé, vous savez. Alors… insinua-t-il.

– Vous avait-elle parlé de difficultés particulières ces derniers temps ? insista l’inspecteur. Au téléphone ou dans ses lettres ?

– Non… Non, confirma Culloch. Récemment, j’avais appelé Jack White, le patron du Scotsman, et il m’avait dit être très satisfait de ma fille. En outre, Margaret semblait se plaire beaucoup en Écosse. Elle avait même prévu d’y passer ses vacances d’été avant de rentrer en Australie. Elle disait s’y être fait de bons amis.

– À ce propos, enchaîna Sweeney, mon coéquipier est en train d’interroger les quatre jeunes gens qui ont passé la journée d’hier en sa compagnie. Est-ce que vous les connaissez ?

– Non, peut-être de nom… Mais honnêtement, confessa l’homme d’affaires, même si elle m’en avait parlé, ce n’est pas le genre de détail qui aurait retenu mon attention.

Un détail, ben voyons ! réagit l’enquêteur. En réalité, tu n’en avais rien à faire de qui fréquentait ta fille, Robert. Trop de rendez-vous importants, trop de décisions à prendre… Et maintenant qu’il est trop tard pour mieux la connaître, tu dois t’en mordre les doigts !

– Est-ce qu’elle avait un petit ami ? poursuivit méthodiquement Sweeney.

– Pas à ma connaissance, affirma l’Australien. Puis il fit encore quelques pas, alla réfléchir devant la fenêtre, avant de revenir vers le policier :

– De toute façon, même si ça avait été le cas, ce n’était forcément rien d’important. Margaret avait des ambitions : elle ne se serait jamais laissée détourner de ses objectifs pour une relation avec un garçon.

La digne fille de son père ! ne put s’empêcher de penser Sweeney. Avant de corriger : Du moins, selon ta propre vision des choses, Robert…

– Pourquoi me demandez-vous ça ? réagit soudain Culloch. Est-ce que vous avez une piste ?

– Non, absolument pas, rétorqua l’inspecteur. Dans l’immédiat, mon coéquipier va tenter d’en apprendre plus auprès des amis de votre fille. Il va recueillir leurs dépositions – leur témoignage est capital – et puis, par routine, il leur demandera leurs alibis pour…

– Ah, vous voyez ! s’enflamma le regard du sexagénaire. Vous pensez que c’est l’un d’eux qui aurait pu faire ça ? Parce que si jamais l’un de ces petits morveux… gronda Culloch, et Sweeney vit ses deux poings qui se crispaient rageusement.

– Doucement, monsieur ! Doucement ! le calma l’inspecteur. Nous commençons tout juste à…

– De qui s’agit-il ? insista l’Australien.

– Ses amis ? devina la barbe rousse. Des étudiants, je crois. Et une jeune avocate aussi. Deux garçons et deux filles, précisa encore Sweeney.

Au même instant, le portable de Culloch sonna au fond d’une poche de son étrange costume. Le sexagénaire s’éloigna, colla l’appareil contre ses rouflaquettes, et Sweeney l’entendit commencer une discussion d’affaires :

– Oui Kenneth, c’est moi… Non… Je rentre à Londres demain… Non, ça peut attendre mardi, jusqu’au prochain conseil d’administration… Mmm, si tu veux…

Quelle maîtrise ! ne put s’empêcher d’admirer le jeune inspecteur. En une fraction de seconde, il peut passer de la pire des colères à un entretien banal. Tout le monde n’en est pas capable… médita la barbe rousse.

Mais, constatant que l’appel s’achevait déjà, et soucieux de maintenir son avantage, Sweeney tenta aussitôt d’emmener l’Australien dans une nouvelle direction :

– Hem, monsieur… commença l’inspecteur. Votre épouse, la mère de Margaret, est-ce qu’il serait possible de…

– Non. Ma femme est à Sydney, et ce n’est pas la mère de Margaret, répliqua sèchement Culloch. Ma première femme est décédée il y a dix ans.

– Ah ? Mais est-ce que je pourrais tout de même contacter votre épouse ? Je souhaiterais lui…

– Laissez ma femme tranquille ! tonna-t-il. Je vous dirai tout ce que vous avez besoin de savoir, et point final. Ma vie privée ne regarde personne ! conclut l’homme d’affaires.

Tiens ? songea Sweeney. Dommage que cette règle que tu t’appliques ne concerne pas aussi les people que tu utilises sans vergogne à la une de ta « presse-poubelle » ! ironisa-t-il. L’arroseur arrosé…

Mais puisque Culloch bloquait sur ce point, l’inspecteur préféra changer de sujet :

– Monsieur, vous êtes un homme important… très important même, le flatta Sweeney. Est-il possible qu’en assassinant votre fille, on ait cherché à vous toucher ? À faire pression sur vous ? Vous y avez songé ?

– Stupide ! répondit immédiatement l’Australien.

– Et… Et pourquoi ça ? s’étonna la barbe rousse.

Robert Culloch plaça les mains dans ses poches et, tout en mastiquant son chewing-gum, il vint planter son regard dans celui de Sweeney. Il s’expliqua :

– Je ne vous apprends rien, jeune homme. Le monde des affaires est un monde sans pitié. À mon niveau, la seule règle qui vaille, c’est tuer ou être tué.

– Vous voyez ! persista l’inspecteur.

– Ne vous méprenez pas. Je vous parle d’affaires… Comment vous faire comprendre ?

Robert Culloch réfléchit un instant, puis il reprit :

– Dans mon monde, jeune homme, il n’y a pas de mafieux. Ni aucune pression de ce genre. J’évolue à un tout autre niveau, ça ne sert à rien.

– Pardon ? Comment ça ?

– Savez-vous ce que je représente ? sourit Culloch, condescendant.

– Heu… Vous êtes quelqu’un de très riche, essaya Sweeney.

– Mmm, on peut dire ça… Non, je crois que vous ne réalisez pas, mon jeune ami.

Agacé par le ton suffisant du sexagénaire, le barbu voulut réagir :

– Il n’empêche que…

– Écoutez-moi ! le coupa Culloch. Derrière mon nom, il n’y a pas qu’une fortune. Il y a surtout un pouvoir. Oui, ajouta l’Australien, derrière mon nom, il y a avant tout un empire ! Je suis à moi seul plus puissant, et plus riche, que bien des États de ce monde.

Et voilà, se lamenta Sweeney. On nage en plein délire mégalo !

Mais l’homme d’affaires poursuivit :

– Ce que je veux vous faire comprendre, c’est que je ne suis moi-même qu’un pion sur l’échiquier. Le Groupe Robert Culloch, l’Empire financier Robert Culloch, le Système Robert Culloch, tout ça peut très bien fonctionner sans moi. Est-ce que vous comprenez enfin ? Il ne sert à rien de faire pression sur moi. Car si je venais à disparaître, les enjeux sont tels que mon Conseil d’Administration nommerait immédiatement un nouveau pion à ma place, et la partie continuerait. Est-ce que vous voyez cette fois ? Je suis à la fois tout, et je ne suis rien.

– Mmm… fit mine d’acquiescer l’inspecteur. Pourtant, s’obstina-t-il, vous avez la réputation d’être un homme aux méthodes « réactives » : délocalisations, licenciements, raids boursiers… Ces méthodes auraient pu vous créer bien des ennemis, tenta Sweeney une dernière fois.

– Mais je ne suis pas brutal, si c’est ce que vous insinuez jeune homme. C’est le capitalisme qui est brutal, pas moi.

Culloch voulut préciser :

– Je viens d’Australie, vous savez. Je viens du bush… Vous connaissez le bush ? Non ?… Eh bien, dans mon pays, si vous voulez survivre, vous n’avez pas le choix : vous devez être le plus fort ! Voilà ce que m’a appris mon enfance dans le bush, jeune homme, et aujourd’hui, c’est ce qui fait ma force dans le monde des affaires. C’est aussi simple que cela, et il n’y a aucune brutalité là-dedans.

– Le commissaire Wilkinson m’a pourtant dit que vous aviez baptisé votre fille Margaret en hommage à Mrs Thatcher. C’est vrai ?

– Et alors ? Qu’est-ce qui vous gêne ? répliqua Culloch. La baronne est l’une de mes meilleures amies !

Oups ! sursauta Sweeney. Terrain miné, Archie. Machine arrière, et vite !

– Heu… Avez-vous d’autres enfants ? reprit l’inspecteur le cours de ses questions.

– Non, répondit l’Australien. Margaret était ma fille unique.

Un silence pesant envahit la pièce.

– Elle était donc votre seule héritière, voulut tout de même savoir Sweeney.

– Mmoui, confirma Culloch. Avant d’indiquer :

– Bien sûr, il me reste ma femme. Mais il est vrai que, maintenant, avec la mort de Margaret…

Soudain, l’austère sexagénaire se tut, puis il baissa la tête. Des larmes étaient sur le point de couler de ses yeux.

Décidément, réfléchit l’inspecteur, ce Robert Culloch est un spécialiste des changements d’humeur express. Pour l’instant, il est attendri, mais dans moins de dix secondes, il est tout aussi capable de piquer une colère décoiffante. Tu parles d’un client ! se plaignit l’enquêteur.

Effectivement, Sweeney avait vu juste. Un nouvel appel retentit sur le portable de Culloch. Immédiatement, l’Australien retrouva son âpre visage de décideur, son regard glacial et son ton rêche :

– Oui… Oui, Stan… commença-t-il. Attends, donne-moi une seconde.

Robert Culloch appuya son téléphone contre le revers de sa veste, avant de s’adresser à son jeune visiteur :

– Bien, inspecteur. Comme vous le voyez, je suis occupé. Alors venons-en au fait : si d’ici la fin de la semaine, vous n’avez toujours pas arrêté le salaud qui a tué ma fille, je vous promets qu’on entendra parler de vous ! Je vous promets que, comme ma fille, vous aurez votre photo à la une. Parce que dans huit jours, si vous n’avez rien, vous aussi vous serez mort ! Vous entendez ? Je vous ferai la peau ! Et vous pourrez dire adieu à votre carrière de flic, pigé ?

Ses yeux brillèrent d’une sourde menace. Puis, d’un geste sec, il désigna la porte à l’inspecteur.

En refermant dans son dos les lourds battants de la Scone and Crombie Suite, Sweeney pesta : Great Scott ! Congédié comme un valet ! Enfoiré de Wallaby !

Puis, au fur et à mesure qu’il redescendait vers le hall du Balmoral, l’inspecteur parvint à retrouver son calme : Pas de doute, cet homme-là est capable de toutes les brutalités. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce que l’un de ses ennemis ait voulu tuer sa fille. Pour l’atteindre, ou pour se venger… Mais si c’est le cas, alors pourquoi maquiller cet assassinat en un crime à caractère sexuel ?Pour le toucher plus encore ? se répondit Sweeney à lui-même. Pourquoi pas ?

Absorbé par ces cogitations, le jeune homme n’avait pas encore remarqué qu’il était déjà sorti de l’hôtel. Subitement, quelques gouttes de pluie le tirèrent de ses laborieuses réflexions.

Mince ! râla Sweeney. Je le savais bien que les nuages étaient trop bas. Et ma voiture qui se trouve à West End. Allez, au pas de charge ! se décida-t-il à courir.

Club de golf sur l’épaule, le barbu se lança dans un sprint effréné sur Princes Street.

*

– B’soir, Ian ! salua Sweeney son coéquipier.

L’enquêteur alla déposer son sand wedge contre une armoire, avant de se laisser tomber dans son fauteuil.

– Tu as fini ? demanda encore le jeune inspecteur.

– Mmm… lui confirma sobrement McTirney. Tu as mangé ? répliqua-t-il à son tour.

Sweeney consulta sa montre :

– Dix-sept heures trente ? Non, rien depuis ce matin.

– Moi non plus… Bière et sandwich-kebab, je les ai pris chez Suleiman. Ça te dit ?

Le barbu lorgna vers le sac de papier gras, mais au fumet prometteur, qui trônait sur le bureau de son équipier.

– OK, accepta Sweeney.

– Est-ce que l’on fait un point en mangeant ? proposa encore McTirney, tout en distribuant déjà canettes, serviettes et tranches de pain.

– Si tu veux… soupira son équipier. Mais le rapport, est-ce que tu veux vraiment qu’on le tape dès ce soir ?

– Avec les doigts gras de kebab ? lui sourit McTirney, complice. Tu rigoles vieux, on verra ça demain matin. Et puis c’est dimanche, non ?

– Tu as raison, le félicita Sweeney, et le jeune inspecteur, soulagé, sirota une première gorgée de bière brune.

– Alors ? enchaîna McTirney. Ton Robert Culloch ? Tu as survécu ?… Pas trop dur la perte de sa fille ?

– Je te raconterai, éluda Sweeney la question.

En effet, l’inspecteur avait le sentiment de ne pas avoir encore suffisamment digéré son entretien avec le rugueux Australien. Ses impressions étaient encore trop contradictoires, voire ambiguës. Il avait besoin de plus de temps.

– Et toi ? préféra-t-il renvoyer la balle à son coéquipier. Est-ce que tu as pu voir les amis de la victime ?

– Oui. Les quatre se sont présentés, lui confirma McTirney. J’ai terminé il y a trente minutes à peine… Je te raconte ?

– Attends ! le pria Sweeney. L’enquêteur extirpa son dictaphone de sa poche de pantalon, puis il déclencha la bande sur le rebord du bureau.

“Clic” résonna le curieux appareil.

– C’est bon maintenant, vas-y ! l’invita son jeune collègue.

Habitué aux marottes de son équipier, McTirney se contenta de sourire. Puis il entama son récit :

– Bien… Je les ai interrogés individuellement. J’ai débuté par le couple qui avait accompagné Margaret à la gare, et…

– Pardon Ian, l’interrompit Sweeney. Est-ce que tu peux me rappeler rapidement qui a fait quoi, hier soir, en sortant du pub ?

– Si tu veux… Un garçon et une fille ont accompagné la victime jusqu’au départ de la navette. Puis ils ont eux-mêmes pris un autre train pour la banlieue nord. Quant au second couple, ils avaient quitté ces trois-là dès la sortie du pub et ils étaient déjà repartis en voiture.

– OK, enregistra Sweeney. Est-ce que tu peux aussi me rappeler leurs noms ?

– Alors, débuta McTirney : la première fille – c’est par elle que j’ai commencé – s’appelle Anne Barrow. Elle aussi est étudiante en journalisme, la même école que Margaret Culloch, mais elle effectue son stage au Sun. Vingt ans, blonde, plutôt mignonne…