L'ombre d'un Ange - Cyrille Gill - E-Book

L'ombre d'un Ange E-Book

Cyrille Gill

0,0

Beschreibung

Que se passe-t-il quand un esprit pur et bienveillant plonge dans la noirceur de la haine, poussé par les mêmes êtres qu'il s'est évertué à aider ? La peine se transforme en rancoeur, la colère se change en cruauté, et l'âme sombre dans la perversion jusqu'à devenir démon. Une malédiction ronge cette petite ville rurale et obscurcit l'avenir de ses habitants. Le temps s'écoule et le mal prend racine. La curiosité d'un gendarme nous permettra de découvrir des dossiers restés irrésolus. Il devra ouvrir son esprit à un univers qu'il ne soupçonnait même pas.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 266

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Avertissement

Ce livre est une œuvre de fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des lieux réels ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Pour autant, bon nombre de personnes et un lieu en particulier sont à l’origine de mon imagination !

Certaines histoires peuvent choquer les lecteurs les plus sensibles.

Mettez-vous dans l’ambiance !

L’ombre d’un Ange : La Bande Originale, est disponible en écoute sur la majorité des plateformes de streaming et à l’achat au format CD dans notre boutique en ligne :

www.psyko-arts.com

Bande Originale orchestrale, composée par Yann CHINETTE et enregistrée à NEKOPOLIS, Toulouse.

Table des Matières

Bienvenue

Naissance d’un ange (prologue)

Impasse des tilleuls

Un vieux dossier

Secret de famille

Souviens-toi

L’entretien

Dé/Possédée

Vengeance

Dernière chance

Supernova

Innocence

L’anomalie

Naissance d’un démon

Le messager égaré

Double vie

Le sang du christ

L’évasion

(

r)Aide à domicile

La légende de l’ermite

La première fois

Folie passagère

Le miroir

Le temps des présentations

Un dernier cauchemar

Épilogue – Héritages

Remerciements

Crédits

Bienvenue

« Bonjour et bienvenue dans notre belle commune de Saint-Martin-de-Celle ! J’espère que vous avez fait bon voyage.

Je suis l’archiviste et comme mon titre l’indique, je suis le gardien de la mémoire de la ville. Ce n’est pas ma seule fonction. Je pratique un peu l’archéologie et en de très rares occasions, j’accueille les touristes. Tout comme vous aujourd’hui !

Alors oui, je sais, les nids de poule sur la route principale ne font pas bonne impression quand on arrive pour la première fois, et certaines façades mériteraient d’être rafraîchies. Vous remarquerez très vite que le charme de notre commune ne se trouve pas dans son apparence parfois austère. Vous n’aurez d’ailleurs peut-être pas l’occasion de repartir… Enfin, je veux dire que certains se sont installés définitivement.

Je sais aussi que plusieurs d’entre vous ont eu affaire à des habitants, comment dire ? Indélicats ? Mes concitoyens sont un peu sur les nerfs depuis… Bref, ne leur en voulez pas, ils vont très rapidement s’habituer à votre présence.

Rassurez-vous ! Une fois ces désagréments surmontés, vous pourrez vous reposer dans l’hôtel du centre. Il ne possède certes pas d’étoiles dans un quelconque guide de référence, et l’accueil y est plutôt tiède, néanmoins des chambres confortables vous y attendent. Du moins, à ce qu’il paraît ; je n’ai jamais essayé.

Bien ! Nous allons passer un bon moment ensemble. Installez-vous confortablement et laissez-vous guider. Je vais vous raconter l’histoire de notre charmante ville. »

CRÉPUSCULE

CRÉPUSCULE (nom masculin) Fig. Déclin, période de décadence qui annonce, fait pressentir une disparition.

Naissance d’un ange (prologue)

À genoux sur un banc en bois miniature et le nez collé contre la fenêtre de la cuisine, Daniel observait les nuages et la pluie sans vraiment y prêter attention. Perdu dans ses pensées, de la buée se déposait sur les carreaux à chacune de ses expirations. Tout en douceur, Rose posa sa main sur l’épaule de son fils et s’assit à ses côtés.

— Tu sembles soucieux. Que se passe-t-il ?

Il hésita à répondre, puis se tourna et s’engouffra dans la chaleur des bras maternels.

— Maman, pourquoi les gens me regardent comme si j’étais une bête ?

Le cœur de Rose se serra. Son enfant, fils unique, souffrait et elle en connaissait parfaitement la raison.

— Ne dis pas ça ! Tu n’es pas une bête. Nous en avons déjà discuté. Tu as un don, mais sinon, tu es juste un garçon de dix ans, semblable aux autres.

— Je n’en veux pas de ce don ! À l’école, les autres ont peur de moi depuis qu’ils m’ont vu réparer le petit oiseau. Peux-tu me l’enlever ?

— Ce n’est pas possible d’enlever une bénédiction de Dieu. Tu peux soigner avec tes mains. Bon nombre de personnes ne verront pas tes capacités d’un bon œil, car ce sont des ignorants qui ont peur de ce qu’ils ne comprennent pas.

— Alors, Papa est un ignorant ?

Elle esquissa un sourire et aurait bien voulu répondre positivement. Au fond, elle aurait préféré que son mari soit plus ouvert d’esprit pour le bien-être de leur unique enfant. Peut-être un peu aussi pour elle-même.

— Non, ton père est un homme de science, précisa-t-elle. Pour lui, ces choses n’existent pas, ce ne sont que des histoires ou des supercheries. Et même si nous lui donnions des preuves solides, il refuserait ce qu’il n’arrive pas à expliquer, crois-moi.

Daniel releva la tête et plongea son regard dans les yeux verts de sa mère.

— Et toi, pourquoi tu y crois ?

Elle se mordit la lèvre inférieure, hésitante.

Après tout, il est suffisamment âgé pour connaître une partie de ses origines.

— J’imagine que je peux t’en parler maintenant. Ce don que tu as, c’est une caractéristique de la famille. Mon papa, ton grand-père, bénéficiait de la même capacité que toi.

— Lui aussi pouvait réparer les oiseaux ?

Elle ne put s’empêcher de rire devant l’innocence et la pureté des réponses de son garçon.

— Oui, il réparait les oiseaux et bien plus encore ! Bientôt, je t’en dirai plus sur lui, mais en attendant, mon chéri s’il te plaît, promets-moi d’utiliser ce don pour accomplir de bonnes actions autour de toi. La bienveillance est un pouvoir encore plus fort. Garde toujours cette notion à l’esprit.

Daniel plissa les yeux et se concentra. Son esprit avait besoin de se répéter cette longue phrase pour s’assurer de bien tout assimiler. Puis il répondit avec assurance.

— D’accord, maman. Je peux te poser une autre question ?

— Encore ? Quel curieux !

— Tu ne peux pas guérir toi ?

Rose ouvrit la bouche, se ravisa, inspira et répondit :

— Cette aptitude a sauté ma génération.

Elle regretta immédiatement son mensonge. Rose ne souhaitait pas que son enfant emprunte la même voie qu’elle, celle du déni, ou d’avoir privilégié son couple et la réussite de son mari à ses convictions et son propre bien être. Elle en supportait déjà les conséquences.

— Je peux tout de même continuer à te soigner ?

— Oui, mon chéri, tu peux tant que tu me promets de t’arrêter avant d’être trop fatigué.

— Je ne soignerai que toi, jusqu’à ce que cette boule noire disparaisse de ton corps.

— Tu es un ange, mon fils. Promets-moi de ne pas laisser les gens souffrir si tu peux les aider.

— Promis !

Des larmes perlèrent et s’échappèrent de ses yeux. Elle tourna la tête et les essuya furtivement. Trop tard pour que Daniel ne remarque pas cet instant de faiblesse de la part de celle qui l’avait toujours protégé.

— Tu pleures maman ?

— Ce sont des larmes d’amour.

Que Dieu te protège mon fils.

Impasse des tilleuls

Étudier la journée et gagner sa vie le soir, c’était la routine de Christine depuis plusieurs jours. Une vie trépidante qui ne laissait que peu de temps aux loisirs. De nature optimiste, c’était avec le sourire que la jeune femme démarchait les habitants, un à un, pour financer le prochain semestre.

Elle s’engagea dans la dernière ligne droite de son périple quotidien, l’impasse des Tilleuls. Drôle de nom pour un cul-de-sac sans végétation, songea-t-elle. Seuls deux lampadaires sur la dizaine d’ampoules perchées éclairaient les façades grisâtres des maisons en enfilade. Peu d’entre elles semblaient encore habitées.

— De nous quatre, j’ai hérité de la rue la plus flippante ! jugea-t-elle à haute voix.

Ses trois amies s’étaient effectivement empressées dans les rues adjacentes bien plus lumineuses et ne lui laissèrent que ce bout de voie inhospitalier. Les dernières lueurs du jour n’osaient même pas s’y aventurer ! La chance finit par lui sourire quand le lourd battant du numéro six s’ouvrit enfin — après deux bruyants tours de clé — lui dévoilant le visage d’une vieille dame souriante.

— Oui ? Que voulez-vous ? demanda-t-elle.

— Bonsoir, Madame ! Je distribue des calendriers !

— Ah ! Bonsoir jeune dame. Et c’est pour qui ces beaux calendriers ?

— Eh bien, nous sommes une association d’étudiants. Cette vente nous aide en partie à financer nos études.

— Je vois, je vois. C’est bien, c’est bien !

Christine laissa s’échapper un léger rictus et s’amusa de cette manie qu’ont les personnes âgées de toujours répéter les choses deux fois. Elle devait avoir au moins quatre-vingts ans avec des cheveux semblables à de la neige et des rides qui auraient pu accueillir une guerre de tranchées !

— Entrez, entrez, ne restez pas sur le trottoir, c’est dangereux dehors à cette heure, vous savez !

— Merci, madame, je ne veux pas déranger.

— Vous savez, de nos jours, avec tout ce que l’on voit à la télévision…

— C’est vrai que ce n’est pas toujours rassurant.

— Allez, entrez, entrez !

Christine afficha un sourire gêné et resta figée quelques secondes avant de céder devant ce sourire persistant. La grand-mère s’était écartée pour laisser entrer son invitée et tenait la position tel un garde royal. Après tout, passer un moment avec elle, aussi court soit-il, ne pourrait qu’améliorer son karma ! Ce serait sa bonne action de la journée et elle la finirait en beauté si elle lui vendait son dernier calendrier.

— Oui, voilà, c’est bien, c’est bien, se réjouit son hôte tout en refermant derrière elle. Vous savez, autrefois, je collectionnais les calendriers, tout le monde en apportait au début de l’hiver. Les pompiers, le facteur, les éboueurs et d’autres.

En se retournant vers son invitée, elle ajouta sur le ton de la confidence :

— Mes préférés étaient ceux avec des animaux, semblables au vôtre ! Malheureusement plus personne ne vient ici depuis des années. Alors vous comprenez mon plaisir de vous voir !

La jeune femme suivit la propriétaire sans répondre. Elle observa les murs du long couloir qui supportaient effectivement une impressionnante collection de calendriers et retenaient l’épaisse tapisserie verte défraîchie. Une ouverture sur la gauche laissait deviner la salle à manger. Le couloir dessinait ensuite un virage à quatre-vingt-dix degrés sur la gauche. L’angle desservait l’escalier et un salon de taille modeste dans lequel elles entrèrent.

— Installez-vous ici.

La mamie indiqua un fauteuil marron aux fleurs usées et aux accoudoirs en bois vernis écaillés.

Le mobilier typique des vieux.

— Je préfère rester debout, je ne peux pas m’attarder.

— Vous prendrez bien une tasse de thé ou un café, tout de même ? Oh non, je sais ! Un chocolat chaud !

— Merci, mais, je dois rejoindre mes amies qui…

Christine s’interrompit et réalisa que la grand-mère s’était éclipsée. Bon eh bien, une boisson chaude ne peut pas me faire de mal après tout…

Elle se résigna à poser son gros manteau et le reste de ses affaires et continua à contempler la décoration. Pas d’almanach ici, uniquement des photos de famille. Un portrait attira son attention, car elle crut s’y reconnaître un instant : une jeune adulte, visiblement de son âge, les cheveux châtains et ondulés. Elle posait debout, dans un minuscule jardin qui ressemblait beaucoup à celui que l’on pouvait voir depuis la fenêtre. La photo avait certainement été prise des années auparavant, lorsque quelqu’un entretenait encore cet espace de végétation.

Christine regardait distraitement vers l’extérieur, lorsqu’elle se rendit compte soudain que la lumière du jour avait totalement disparu.

— Je vais y aller, madame ! lança-t-elle en se retournant.

Elle se retrouva face à face avec la mamie qui lui présentait une tasse de chocolat chaud en arborant toujours le même sourire.

— Oh ! je ne vous ai pas entendue revenir, s’étonna-t-elle.

Ses yeux verts la fixaient avec persistance et la mirent mal à l’aise.

— Tenez, votre chocolat, tenez.

Et tout en lui donnant la boisson, la vieille femme ajouta :

— Je suis certaine d’avoir oublié quelque chose. Oui, voilà ! Un petit gâteau… Je reviens !

— Attendez, je…

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Christine soupira et leva les yeux au plafond. L’octogénaire avait encore une fois quitté la pièce sans l’écouter.

— Dans quoi je me suis encore lancée ! se rassura-t-elle à voix haute. Je vais boire son chocolat vite fait et je file. Les filles ont certainement déjà terminé.

La tasse brûlait ses doigts et elle dut se résoudre à patienter en soufflant sur le liquide. Son regard se tourna de nouveau vers le portrait quand des bruits de pas se firent entendre à l’étage.

Christine souffla encore plus vite sur sa boisson pour en finir, puis tenta une discussion à distance.

— Vous savez, c’est mon dernier calendrier, si vous me l’achetez, j’aurai terminé la vente grâce à vous !

Elle n’obtint pour seule réponse que le bruit étouffé de pas rapides dans les étages. Certainement un de ses petits-enfants, ou peut-être même arrière-petits-enfants, spécula-t-elle. Elle se posta au pied de l’escalier et demanda d’une voix forte :

— Madame, vous êtes là-haut ?

Les pas cessèrent immédiatement. Elle patienta un moment sur place, puis se décida à quitter les lieux pour de bon.

— Bon, j’y vais maintenant. Madame ? Le chocolat était délicieux. Vous semblez occupée et je dois vraiment partir. Je repasserai une autre fois pour le calendrier. D’accord ?

Elle s’apprêtait à reprendre ses affaires dans le salon quand les bruits de pas reprirent encore plus intensément à l’étage, plus lourds et plus proches, juste au-dessus de sa tête. Étrangement, elle ne se souvenait pas avoir vu la mamie monter. Pourtant, les premières marches se voyaient depuis le salon. Peu lui importait, elle voulait s’en aller.

Christine s’engagea dans le couloir en direction de la sortie, jeta un regard furtif vers la cuisine, puis l’escalier, mais ne vit personne. L’impressionnante porte d’entrée en bois massif, ornée de gravures florales, ne bougea pas d’un millimètre lorsque Christine tourna la poignée. Aucune clé ne se trouvait dans la serrure, aucun loquet ne bloquait l’ouverture. À l’évidence, seule son hôte possédait le sésame.

Loin de se laisser intimider, elle repartit d’un pas décidé vers le salon, bifurqua sur la gauche et passa derrière l’escalier afin de retrouver la grand-mère dans la cuisine. Elle resta figée de stupeur, car non seulement rien n’indiquait sa présence, mais la pièce se révéla totalement vide. Aucun meuble ni appareil ménager. Quelques araignées occupaient les recoins poussiéreux.

— Comment a-t-elle pu préparer un chocolat ici ?

Christine se souvint alors avoir entraperçu une salle à manger à son arrivée. Tout le nécessaire doit certainement se trouver dans cette pièce par commodité. Après tout, pour une seule personne, cette demeure est gigantesque…

De retour dans le couloir, elle s’assura que personne n’était revenu dans le salon, vérifia encore la cage d’escalier, puis arriva sur le seuil de la salle à manger.

— J’hallucine ! s’exclama-t-elle.

De nombreux meubles envahissaient la pièce plongée dans le silence : une longue table entourée d’une dizaine de chaises, un immense vaisselier occupant tout un pan de mur, un fauteuil identique à celui du salon et enfin, une horloge à balancier qui ne semblait plus fonctionner depuis longtemps. La scène aurait pu sembler normale si tout le mobilier n’avait pas été revêtu de draps, recouverts d’une épaisse couche de poussière. Excepté la cheminée, les linges blancs protégeaient cette brocante figée plusieurs années dans le passé.

Christine prit quelques secondes de réflexion pour analyser la situation. À l’évidence, trouver la clé se révélait indispensable, et cette clé devait se trouver entre les mains de sa propriétaire. Si cette dernière ne se trouvait pas au rez-de-chaussée, il ne lui restait plus qu’à monter à l’étage.

Elle fit donc volte-face et se retrouva en quelques pas seulement face à l’escalier. Celui-ci paraissait confectionné de plusieurs modèles différents tant les marches avaient des tailles et des teintes de toutes sortes. La rampe semblait tenir en équilibre et devait espérer que personne ne s’appuie sur elle.

Pour la première fois depuis son arrivée, Christine eut un frisson ; une horrible impression. Était-ce de la peur ? Avait-elle une raison de se méfier de cette dame ? Tout de même, à son âge la pauvre femme ne pourrait pas franchement lui nuire ! Au pire, une mauvaise blague si cette dernière avait perdu la tête. Quelle étrange situation !

Seule la toute première marche craqua sous son pied et Christine se trouva rapidement sur le palier du premier étage. L’escalier poursuivait son parcours jusqu’au second niveau de la demeure. Elle inspecta en ouvrant avec prudence les portes à sa disposition : toilettes, salle de bain, une chambre vide à sa gauche et une seconde à sa droite. Elle s’engagea lentement dans la première, certaine de rencontrer le ou la propriétaire des pas entendus quelques instants plus tôt.

— Madame ? Vous êtes là ? L’entrée est verrouillée et je dois m’en aller maintenant.

Toujours pas de signe de vie, à sa grande déception. Contrairement aux autres pièces visitées depuis son arrivée, celle-ci semblait habitée. Deux hautes fenêtres éclairaient faiblement une décoration vieillotte et du mobilier visiblement bien entretenu. Une épaisse couette fleurie recouvrait le lit double. De l’autre côté, une armoire et une commode entouraient une cheminée habillée de marbre et surplombée d’un large miroir au cadre doré.

Rassurée par cette vision de normalité, Christine se tourna vers les quelques clichés accrochés au-dessus de la coiffeuse. Elle reconnut la femme des photos du salon, exposée depuis sa plus tendre enfance jusqu’à l’adolescence, jamais au-delà.

Elle semble nostalgique de sa propre jeunesse. Peut-être refuse-telle de vieillir et ce serait sa façon de sauvegarder sa mémoire ?

— Tu ne dois pas rester là ! lui ordonna une voix fluette.

Cette injonction inattendue sortit Christine de ses pensées. Elle se retourna d’un bond et vit un garçonnet debout dans le cadre de la porte, les poings serrés. Il paraissait maigre dans son pull bleu marine. Ses yeux profonds étaient aussi noirs que ses cheveux courts. Il renchérit immédiatement :

— Eh, tu m’écoutes ? Ne reste pas plantée là ! Elle arrive ! insista-t-il avec nervosité.

— Bonjour toi ! Écoute-moi, je ne veux pas me cacher, je veux juste partir d’ici et ta mamie garde la clé sur elle, expliqua Christine tout en s’avançant vers lui.

— Ce n’est pas ma mamie, rétorqua le gamin. Et si elle te trouve, tu es morte !

— Bien sûr ! C’est quoi cette baraque de fous ?

Le craquement caractéristique de la première marche se fit entendre. Le garçon grimaça.

— Mince, cache-toi ! répéta-t-il avant de bondir en direction de l’étage supérieur.

Elle reconnut les pas qu’elle avait entendus un peu plus tôt au-dessus de sa tête. C’était donc lui. Quand elle sortit de la chambre, bien décidée à retrouver sa liberté, elle vit la grand-mère en train de monter, à quelques mètres d’elle. Elle ne ressemblait plus du tout à une gentille dame bienveillante !

Christine étouffa un cri d’horreur et recula de quelques pas devant la brève, mais épouvantable vision. Elle aperçut le garçon accroupi plus haut derrière la rambarde. Il plaça son index devant sa bouche puis lui indiqua la chambre. L’étudiante n’eut pas le temps de réfléchir à la meilleure cachette et se glissa sans bruit sous le lit. Ses pieds reposaient sur le mur, à hauteur de la tête de lit. L’épaisse couette s’arrêtait à quelques centimètres du sol et lui laissait une vue panoramique sur le plancher.

Elle écouta la lente progression se rapprocher, avant d’apercevoir les vieilles pantoufles, qui laissaient présager de la condition réelle de leur propriétaire. Avec une respiration digne d’un gros fumeur en fin de vie, la maîtresse des lieux passa lentement devant le placard, tourna vers la coiffeuse puis s’arrêta au pied du lit.

— Je sais que tu te caches, mon enfant, marmonna la mamie d’une voix rocailleuse.

Christine était tétanisée. Elle qui n’avait jamais vraiment eu peur dans sa vie, plaça ses deux mains sur sa bouche pour étouffer les sons éventuels, qui n’arrivaient de toute façon pas à sortir. Le lit craqua. La vieille dame, ou tout du moins ce qu’il en restait, venait de poser ses mains sur la couette. Elle amorça ensuite sa descente, et posa un premier genou au sol. La longue blouse bleue fleurie ne masqua pas l’odeur de chair en décomposition. Une puanteur qui confirmait, d’une certaine façon, ce que lui avait dit le petit garçon.

Merde, je vais mourir !

Christine réfléchit à l’option qui pourrait la sauver : profiter de la lenteur de la « chose » pour jaillir de sa cachette lorsqu’elle se baisserait. Toutefois, comment résoudre le problème de l’entrée ? Pas de clé, pas de liberté…

Ce sera toujours mieux que de mourir ici !

Elle trouverait une autre idée une fois redescendue.

Elle commença à se décaler sur le côté proche de la porte lorsqu’une main désossée se posa à proximité.

— Qui est-ce qui va sortir de sa cachette ?

Christine se préparait à bondir, quand un lourd claquement la fit sursauter. Un seul clignement de paupières suffit pour que la mamie disparaisse de son champ de vision. Elle l’avait perdue de vue. La respiration rapide et les pleurs d’une autre personne.

Une autre fille !

— Te voilà toi ! se réjouit la mamie.

Le monstre se trouvait désormais devant le placard. Le claquement venait de l’un des battants, ouvert brutalement. S’ensuivit un hurlement de terreur, rapidement étouffé par un craquement net. La victime tomba au sol. Son corps lui tournait le dos alors que ses yeux, injectés de sang, fixaient Christine. L’étudiante ne put retenir ses larmes. Elle reconnut des cheveux longs châtains clairs, similaires aux siens et à ceux de la fille des portraits.

Un « pssst » discret l’interpellait à intervalle régulier. Christine ouvrit les yeux. La peur ou la vue du sang ? Non, c’était la vision de cette fille morte, allongée face à elle, et de ses larmes encore chaudes sur ses joues qui la firent plonger dans le noir. Ce n’était pas le moment de rêvasser et le garçon arriva justement pour l’extraire de sa torpeur.

— Sors de là ! Elle est redescendue.

Difficile de savoir s’il disait vrai. Elle jeta un regard tout autour du lit. Pas de trace des pantoufles, ni même du cadavre. Elle s’extirpa de sa cachette du côté des fenêtres, afin de garder une certaine distance.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Pas le temps de te raconter, pas ici. Suis-moi, on monte avant qu’elle ne revienne.

— Non, je veux sortir de cette maison.

— Si tu descends, tu es morte. Tu as vu la fille avant toi ? Tu as eu de la chance !

Christine observa le sol. Une large flaque de sang témoignait de la sauvagerie qui s’y était déroulée quelques instants plus tôt. Le corps avait été traîné ailleurs de toute évidence.

— Allez, viens avec moi ! Je ne vais pas te sauter dessus ! ajouta-t-il, la sentant craintive.

Elle s’avança et finit par se résoudre à le suivre. Avait-elle vraiment le choix ? Lui faire confiance ou risquer de mourir de la même façon que cette fille ? Les idées défilaient à toute vitesse dans son esprit. Rien ne lui assurait qu’en cet instant ce gamin ne travaillait pas pour le monstre. Peut-être étaient-ils semblables ? Elle prit une profonde inspiration et parcourut les dernières marches. Impossible de détailler la décoration cette fois. Elle garda les yeux rivés sur la longue ligne, tel un tapis rouge. Arrivés sur le palier du second niveau, ils entrèrent dans la chambre de gauche, alors que le sang indiquait la direction prise par le cadavre, vers l’autre pièce.

Le garçon remarqua que Christine fixait la porte d’en face et préféra fermer la leur.

— Elle les stocke là-bas.

— Quoi ? Elle les… stocke ?

Sans qu’il ait eu besoin d’en dire davantage, elle s’imagina des cadavres empilés les uns sur les autres en tas.

— Qu’est-ce que c’est ? Un fantôme ? Un zombie ?

— Je n’en sais rien.

— Mais toi, qui es-tu ? Que fais-tu là ? Merde, je deviens folle ! s’exclama-t-elle.

Elle finit par s’asseoir contre un mur de la pièce, la tête blottie dans ses bras. Il s’installa à côté d’elle, soupira et pensa que quelques explications simples et claires suffiraient à la calmer.

— Je m’appelle David. Je ne sais pas… je ne sais pas pourquoi cette vieille tue toutes les filles qui franchissent son seuil. J’ai vu passer des vendeurs de calendriers ou de surgelés, des gens pour des sondages… Celle que tu as croisée, sa dernière victime, venait pour une tombola du club de rugby.

— Tu dis des filles seulement ?

— Elle n’ouvre pas à tout le monde. Seulement à celles qui lui ressemblent. Et toi, tu es son portrait craché. Peut-être qu’avec toi ce sera différent ? Elle la cherche depuis toujours.

— De qui parles-tu ? J’ai vu plusieurs photos un peu partout, c’est elle ?

— Marie, sa petite-fille. Elle est morte depuis longtemps.

— Et toi, pourquoi es-tu là ?

David se leva, passa rapidement, observa à l’extérieur et referma. Christine remarqua que la clé manquait ici aussi.

— Bon, on a un peu de temps avant qu’elle remonte. J’imagine que je peux te raconter.

— J’habite au numéro sept, pile en face, expliqua-t-il en montrant la fenêtre du doigt. Tout le monde connaît cette adresse dans l’impasse. Personne n’en parle. Une maison hantée, il y a de quoi passer pour fou, non ?

David fixa Christine comme s’il espérait une réponse, mais elle resta silencieuse et immobile. Il revint s’asseoir, cette fois face à elle et reprit :

— Nous devions vendre des tickets de tombola pour l’église. Ma sœur aînée n’est pas croyante, un comble ! Elle aime les goûters, alors… Il nous restait quelques tickets et elle a décidé de les vendre aux voisins. Déjà à cette époque, la mamie passait pour une folle, pourtant elle nous a accueillis avec son sourire avenant et un chocolat chaud. Toujours son chocolat chaud…

— Oui c’est aussi… murmura Christine qui se sentit coupable d’avoir accepté l’invitation.

Elle adressa un regard au garçon pour qu’il continue son récit.

— Ensuite, ça s’est passé comme pour toi. Comme pour toutes les autres. Comme pour cette fille tout à l’heure. Ma sœur est morte. Et moi, je suis resté enfermé ici.

— Je suis désolée pour toi. Ça ne m’explique pas comment elle est devenue ce monstre ! Et pourquoi tu m’aides ?

— En fait, tu as peut-être une chance.

Le garçon fit le tour de la pièce en pleine réflexion. Puis il revint vers Christine, frappé par l’idée du siècle.

— Tu es celle qui ressemble le plus à Marie. Si elle se retrouve face à sa petite-fille, elle la laissera partir avec un peu de chance ?

— Marie, ma chérie, où es-tu ?

La voix résonna dans la cage d’escalier, depuis le rez-de-chaussée.

— Oh non, la voilà ! paniqua-t-elle.

— Prépare-toi ! Elle ne monte pas au second, sauf pour…

— Sauf pour quoi ?

Le garçon n’eut pas le temps de répondre qu’un appel se fit entendre au-dehors.

— Christine !

— Lucie ?

Christine courut jusqu’à la fenêtre qui donnait sur la rue.

— Une amie ? demanda David.

— C’est Lucie. Les jumelles ne doivent pas être loin non plus.

Elle attrapa David par les épaules et le fixa, des larmes dans ses yeux.

— Elles me cherchent ! s’écria-t-elle, une lueur d’espoir dans le regard.

— Christine, tu es là ? lançait à répétition la fille dans la rue.

— Oui ! Oui ! Je suis là ! s’égosilla l’étudiante en frappant la vitre.

— Tu es folle ! Ne crie pas ! Tu vas l’attirer ici !

— Elle peut m’aider, insista-t-elle en tentant d’ouvrir la fenêtre, elle aussi verrouillée, sans poignée.

— Arrête ! Si elle vient, elle se fera tuer elle aussi ! C’est ce que tu veux ?

Christine s’arrêta net en entendant l’argument imparable. Bien entendu, elle ne voulait pas que son amie se retrouve dans la même situation qu’elle.

— Tu veux rejoindre tes amies ? Alors, mets ça.

David se dirigea vers le seul meuble de la pièce, ouvrit la penderie et en sortit une longue robe blanche aux motifs rouges brodés.

— Tu dois jouer le jeu, ajouta-t-il en lui tendant la tenue.

— De quoi ? Je ne comprends pas.

— Tu vas devoir te faire passer pour Marie.

— Tu te fous de moi ?

— Non ! Je ne plaisante pas, c’est la seule solution !

— Hors de question que je prenne le thé avec un mort-vivant !

— C’est pas vrai ! s’exaspéra-t-il. Toutes les filles qui sont venues ici sont… ah et puis merde ! Viens, je vais te montrer.

— Où vas-tu ?

— Suis-moi, tu vas comprendre.

— Et la mamie ?

— Ne t’inquiète pas, elle est occupée. Dépêche !

David sortit de la pièce et traversa le dégagement. La main sur la poignée de la seconde chambre, il jeta un regard noir à Christine et lui lança :

— À toi de voir ce que tu veux. Tu me fais confiance ou tu termines ici.

Il ouvrit la porte sur ces derniers mots.

Les volets étaient fermés. La luminosité en provenance de l’autre pièce suffit à éclairer un tas de corps empilés. Christine eut un haut-le-cœur lorsque l’odeur de la chair en décomposition gagna ses narines. Aucun son ne sortit de sa bouche, incapable de parler, ni même de crier. La fille du premier étage la fixait de ses yeux sans vie au sommet de cet empilement macabre.

— Si tu veux retrouver ta liberté, je te conseille de suivre mon conseil. Joue le jeu.

Elle se retourna et hocha la tête en signe d’approbation avant de se réfugier à toute vitesse dans l’autre chambre. Il la rejoignit.

— Tu viens avec moi, n’est-ce pas ? s’enquit-telle.

— Non, impossible qu’elle me libère. Et je n’abandonnerai pas ma sœur.

— Mais elle est morte !

— Et toi, tu dois sortir d’ici, insista-t-il pendant qu’elle enfilait la robe par-dessus ses vêtements.

Elle ne trouva aucun miroir pour contrôler son allure, mais le sourire du garçon lui suffit pour comprendre que la robe lui allait bien.

— Tu es parfaite, Marie.

— Non, ça craint…

— Contente-toi de lui sourire, de boire et de manger. Puis tu lui dis que tu dois rentrer. Elle devrait te laisser partir sans problème. La scène s’est déjà jouée.

Christine ne répondit que par un soupir.

— Attention en sortant : ne te fais pas écraser sur la route, sinon nos efforts n’auront servi à rien, plaisanta-t-il en tentant de dédramatiser la situation.

Sur le seuil de la porte, Christine se retourna et le regarda avec affection.

— Inspire un grand coup et vas-y, lui intima David, essayant tant bien que mal de la motiver.

— Je ne peux pas, c’est trop pour moi, je…

— Alors tu ne me laisses pas le choix !

Le garçon lui coupa la parole et la poussa dehors.

— Quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce que tu fais ?

— Mamie, la fille est ici !

— Tu es fou ! Je vais mourir, je vais mourir !

— Non, tu fais ce que je t’ai dit ! Descends vite avant qu’elle ne vienne te chercher.

Ils reconnurent tous deux le craquement de la première marche. Christine jeta un dernier regard apeuré à David.

— Si tu y arrives, nous serons libres nous aussi, lui affirma-t-il en souriant.

La porte se referma d’elle-même et ponctua cette dernière phrase. Christine entama sa descente vers l’enfer et se retrouva rapidement face à face avec la grand-mère. Horrifiée à la vue du visage à moitié décomposé, elle retint le cri coincé dans sa gorge. Une partie de sa lèvre inférieure avait disparu et laissait visibles quelques dents pourries. Seul un œil gardait une expression à peu près humaine, l’autre avait complètement jauni. Christine se répétait en boucle les conseils du jeune garçon : surtout ne pas paniquer, jouer le jeu. Elle ouvrit le dialogue.

— Me voilà !

Elle ne reçut qu’un grognement en réponse. Un moindre mal à la vue de son interlocutrice qui aurait pu se jeter sur elle et lui briser la nuque. Elle insista.

— J’ai mis la robe que tu m’as offerte.

Le seul œil valide la scruta rapidement de haut en bas, puis de bas en haut. Le cadavre vivant se retourna pour redescendre.