L'ombre d'une rose - Délicia Pioggia - E-Book

L'ombre d'une rose E-Book

Délicia Pioggia

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Beschreibung

Florélina n'est pas heureuse. Elle passe son temps à jongler entre ses petits boulots et à s'occuper de sa mère. Alors qu'elle pensait avoir touché le fond, elle apprend que sa sœur, Hélène, est gravement malade. Ni une ni deux, elle quitte le pays pour la rejoindre à New York. Là-bas, elle se voit offrir l'opportunité d'être la bonne du célèbre PDG Jonathan Moranty. Le séduisant Jonathan Moranty. Arrogant, sarcastique, audacieux. Celui dont toutes les filles rêvent matin et soir... Sauf Florélina ?

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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Pour mes parents que j’aime, mon frère et mon fiancé.

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 1

Parfois on attend que les choses changent sans se rendre compte que les choses ont déjà changé. On implore un miracle, véhiculant l'idée que si notre vie changeait, notre esprit en serait pleinement satisfait. Mais il arrive des moments dans la vie où les changements ne sont pas ceux que l'on attend. Ils arrivent, ne crient pas gare et tambourinent à votre fenêtre cherchant en vain à vous annoncer que ça y est, rien ne sera jamais plus comme avant. Tout est différent. Et quand vous croyez que rien ne peut être pire que l'instant présent, l'instant présent se hâte de vous dire que le pire est à venir.

- Une lettre de votre gendre, Madame Inamoro.

George était le facteur du village. Ici, tout le monde le connaissait et bien qu’il fut un bon ami de la famille, à la vue de la provenance de la lettre, un sentiment à la fois de joie et de quiétude vint m’envahir. Ma mère ne se fit pas prier pour ouvrir l'enveloppe. Et enfin, ça y est ! Le verdict était tombé. Son regard bleu-gris vint rencontrer le mien. Il était vide d'émotions. Je compris rapidement que ce n’était pas de bon augure et pourtant, lorsqu’elle me tendit la lettre, je me précipitai à la lire.

« Patricia, je m'inquiète pour votre fille. Cela fait quelques semaines que la nouvelle est tombée. Elle ne voulait pas vous en parler, mais je vous dois la vérité... Hélène a une tumeur cancéreuse. Les médecins sont peu confiants sur son rétablissement. Les traitements -toujours plus douloureux- ne font que l’assommer plutôt que de la guérir. Je pense qu’elle a besoin de vous, et de Florélina aussi. Les yeux d’Hélène ne font que pétiller quand elle parle de vous. Sachez que je prends soin d’elle et qu’elle est entre de bonnes mains. Je ne la laisserai jamais seule et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour la sortir de ce fléau.

En attendant de vos nouvelles, je vous envoie mes amitiés.

Frédéric. »

Des larmes coulèrent le long de ma joue. Le changement pouvait se montrer cruel. La vie, en fin de compte, ne cessait de nous défier. Que l'on pleure ou gémisse, que l'on crie ou supplie, le Dieu là-haut ne faisait rien. Et moi, fervente catholique de par ma mère, je commençais à en avoir marre de croire en une bonté divine et salvatrice qui finalement ne faisait que me décevoir.

- Que Dieu la protège, soupira ma mère en réprimant quelques sanglots.

Un dégoût profond me fit grimacer. Que Dieu la protège ? Dieu ? Je ne comprenais pas comment elle pouvait encore y croire. Pas après tout ce qu'il nous avait fait subir. Pas après cette terrible nouvelle. Si Dieu avait un cœur, n'aurait-il pas pu épargner les affamés et malheureux ? N'aurait-il pas pu punir les truands et les soi-disant condamnés ? J'avais une rage folle envers ma mère. Elle semblait se cramponner à sa religion comme si c'était tout ce qui lui restait. Mais me voyait-elle ? Savait-elle que j'étais là à ses côtés et qu'elle n'était pas seule ? Son mutisme me désemparait. Mais comment en vouloir à la femme qui m'avait porté neuf mois ? Comment pouvais-je la regarder se dégrader de jour en jour en me disant que demain serait peut-être le dernier ? Il fallait regarder les choses en face. Rien n'allait changer. Dieu n'allait pas nous épargner parce que nous le supplions. Nous étions les seuls maîtres de notre destin. Et ça, dans le fond, je l'avais toujours su.

- Je vais aller la voir, dis-je en perçant le silence.

Ma mère leva les yeux vers moi. Son regard pétillait de larmes. Elle n'avait plus de force pour lutter et je n’avais plus la force de soutenir son regard de femme apeurée.

- Avec quel argent ? me demanda-t-elle avec une voix cassée.

Je pris l'énorme tirelire sur le muret de la cheminée et la cassai à terre avec une force et une détermination dont je ne soupçonnais même pas l’existence.

- Tu as économisé pendant si longtemps cet argent ! Tu voulais tant le garder pour te lancer dans tes études.

Je mis une main sur son épaule. C’était vrai que nous n’avions pas d’argent, que nos rentrées salariales ne couvriraient pas mes études universitaires et que j’étais la seule à pouvoir me payer tout ça, sauf qu’Hélène était malade. Et je ne me voyais pas l’abandonner. Quitte à abandonner mes rêves de grandeur, quitte à oublier la fac de médecine, quitte à passer encore quelques années dans les cuisines du café du coin. Ma sœur est bien plus importante. Je veux la voir. Je veux l'entendre. Je veux être à ses côtés. Je ne veux pas la laisser toute seule. Je sais qu'elle a Frédéric et qu'elle l'aime, mais je suis son unique sœur et je ne peux envisager de la laisser en plan. J'aimais Hélène. Elle était tout pour moi. Elle avait été un pilier et un modèle que j'avais toujours voulu imiter étant enfant. Aujourd'hui, j'avais grandi. Je n'étais plus la petite fille qui se cachait derrière sa grande sœur pour se défendre de ses conneries. Je voulais lui venir en aide comme elle l'avait tant fait avec moi. J'avais 20 ans. J'avais fini mes secondaires brillamment. À l'époque, je n'avais que ça à faire : être la meilleure. Si je ne l'étais pas, je m'enfermais dans un mutisme hors-norme. À vrai dire, si je voulais être si douée, c'était avant tout pour récolter le peu de compassion qu'il restait à mon père. Mais jamais il ne m'avait félicité. Jamais il ne m'avait prise dans ses bras pour me dire ô combien il était fier de moi. Des claques, ah ça oui il savait en donner à la pelle ! De l’amour ? Il ne connaissait pas. Me terrifier était la seule chose qu'il savait faire. Maman, Hélène et moi étions battues. Maman avait commis l’erreur d’aimer la mauvaise personne. Au début, elle pensait bêtement qu’il allait changer, mais au fil des années, la triste réalité s’était transformée en véritable cauchemar. De ce que je savais, mon père avait rencontré ma mère à une foire du village. Papa aurait invité maman et ils auraient eu littéralement le coup de foudre. Ce coup foudre qui fait tant polémique ! Malheureusement, mon « père » a toujours eu une prédisposition à la violence. Déjà jeune, il se bagarrait sans cesse. Avoir Hélène l’avait alors soi-disant changé. J’avais encore du mal avec cette version des faits. Il avait été si salaud… Pourtant, je ne pouvais, à l’époque, pas nier son attachement à mon égard. Nous avions passé de beaux jours dans la peau du père et de sa fille. Puis, retour à la réalité. Coups après coups, j’encaissais jusqu’à ne plus pouvoir me relever. À l’école, les questions fusaient et les mensonges devenaient alors presque ma spécialité. En ce temps-là, je croyais ma vie vouée à vivre un enfer. Mais un jour, alors que mon père revenait bourré de son travail, il a tabassé ma mère si fort qu'elle est restée plusieurs jours dans le coma. Les forces de l’ordre n’eurent alors pas le choix d’intervenir. C’était à croire qu’il fallait frôler la mort pour susciter un vif intérêt. Injonction d’éloignement. Suivi psychologique. Amendes. Dans l'ensemble, cela résume assez bien la peine de mon père pour n’avoir pas rempli son rôle de mari. Il n'a jamais plus pu nous approcher, ni ma sœur, ni ma mère, ni même moi. C'était un soulagement, suivi d'une tristesse infinie.

Après tout ce qu'on avait vécu, je ne me voyais pas laisser ma sœur dans ce sale état. Je l'aimais, mais il n'y avait pas que ça. Je la soutenais, en souvenir de tout ce qu'on avait déjà pu endurer.

- J'irai, un point c'est tout, dis-je fermement.

Ma mère se tut. Je savais qu'elle avait peur. Peur pour ma sœur. Peur pour moi. Je n’avais jamais voyagé et elle croyait sans doute que j’étais encore trop jeune pour réussir à me débrouiller. Et si elle voulait venir, son portefeuille, lui, ne le pouvait pas.

- Je vais chercher un petit boulot là-bas. Je gagnerai de l'argent et je ferai en sorte que tu me rejoignes assez rapidement, lui assurai-je gentiment.

- Quel travail penses-tu trouver ? Ta sœur habite aux États-Unis, Flo. Si elle y est, c'est uniquement parce que son fiancé en a les moyens. Comment peux-tu envisager d'y aller sans même savoir où tu vas t'orienter ?

Elle s’interrompit un instant, certainement trop essoufflée par tout ça et recommença de plus belle :

- Qui plus est, tu as pensé à la barrière des langues ?

Je souris. Cette question ne m'aurait pas étonnée.

- J'ai eu une mention excellente et tu penses encore que j'aurai des difficultés ?

Elle me regarda, déboussolée.

- Arrête de t’inquiéter. Je n’ai plus dix ans, dis-je pour la rassurer.

Elle m'adressa un faible regard, trahissant sa tristesse. Je ne savais pas comment m'y prendre avec elle. Elle était toujours si renfermée sur elle-même... À force, j'avais appris à prendre son silence comme réponse. Par le passé, elle avait dû tellement la fermer. Elle avait tant dû fermer les yeux sur les frasques de mon père. Je comprenais son mutisme, comme elle comprenait le mien. Aujourd'hui, plus qu'un autre jour, je savais que je devais être là pour elle. Je savais que je devais lui tenir compagnie. Je le savais et pourtant, une petite voix en moi ne cessait de me dire qu'il était temps de m'en aller. Il était temps pour moi de prendre des décisions. L'instant fatidique était venu. Ma mère le savait. J'allais quitter le petit cocon familial. Après deux ans de dur labeur, à travailler à droite et à gauche pour empocher le peu d'argent que l'on me donnait, j'allais enfin partir. Prendre mon envol. Malheureusement, pas pour les raisons que j'aurais souhaité.

- Je vais réserver un billet d'avion sur internet. Je partirai dans le courant de la semaine prochaine, affirmai-je à ma mère tandis qu'elle relisait une énième fois la lettre.

Je le lui arrachai.

- Arrête de lire ça ! Tu te fais du mal pour rien. Je vais aller la voir et je te promets qu'elle se rétablira.

- Se rétablir, répéta-t-elle à voix basse comme si c'était une moquerie à son intention.

Je fis mine que j'étais confiante et lui dis :

- Assurément !

La vérité, c'était que je n'en savais rien. Qu'elle se rétablisse était la seule chose que je voulais, mais entre ce que je voulais et ce qui allait réellement se passer, il y avait un monde. Pour l'instant, je ne voulais qu'une chose : la rassurer, et par la même occasion, me rassurer aussi. Je savais que je me mentais à moi-même en disant que tout allait bien, mais je ne pouvais me résoudre à penser au pire. Si Hélène venait à mourir... Si elle venait à nous laisser tomber... jamais je ne lui pardonnerais.

La semaine suivante, tout était programmé. J'avais recherché un hôtel bon marché à New York et j'avais consulté quelques offres d'emplois là-bas. Certes, j’avais peiné à trouver un travail, mais ma détermination l’avait emporté. En voyant l'annonce en haut de la liste, j'avais tout de suite compris qu'enfin la chance me souriait (ou tout du moins, pour une courte durée). Et à présent, j'étais enfin dans l'avion, attendant patiemment mon arrivée sur le sol américain. C'était la première fois que j'allais à l'étranger. Je ne pouvais pas me dire « surexcitée » étant donné les circonstances, mais l'idée de voir un pays nouveau me comblait secrètement. New York avait toujours été la destination de mes rêves. Peut-être parce que c’était à l’opposé de tout ce que je connaissais. Me dépayser, vivre ailleurs, repartir à zéro… Je suppose qu’au fond, c’était ça qui m’avait toujours tant enthousiasmé. Pourtant, je n’aurais jamais cru m’y rendre un jour, à The Big Apple. C'était le moment de concrétiser mon rêve et mon cauchemar en même temps.

- Désirez-vous une tasse de thé, Madame ?

Je me retournai. L'hôtesse de l'air me servit son sourire le plus chaleureux. Je déclinai l'offre et me regardai dans mon miroir de poche. Madame ? Madame ? Avais-je l'air si vieille pour qu'elle m'aborde en ces termes ? Pourtant, j’avais fait l’effort de me maquiller. J'avais même mis une jupe ! (Une fois n'est pas coutume) Non, décidément ça devait être ma tête. Je faisais peut-être trop mémère, trop guindée. En même temps, je suppose qu’en fait, je tirais une tête d’enterrement.

- Souhaitez-vous un magazine, Mademoiselle ?

Cette fois-ci, il s'agissait d'un homme. Dieu merci ! Mademoiselle, enfin ! Je souris. Je ne faisais peut-être pas si "mémère" que ça finalement. Peut-être étais-je juste un trop rien banale ?

- Oui, acquiesçai-je timidement.

Je pris le magazine et payai. En couverture, un beau jeune homme était représenté. Il était en costume-cravate, l'air un peu rebelle et le sourire enjôleur. Je m'attardai sur ses dents blanches et ses yeux d'un bleu-vert hallucinant. En voyant mon voisin de siège me scruter, je compris que mon admiration dépassait les bornes. J'ouvris instinctivement le magazine, un peu comme pour dire non, je ne regarde pas que les hommes en couverture. Je suis très intéressé par l'actualité, moi aussi. Et à nouveau, je tombai sur le beau ténébreux. Il était à craquer (et croquer aussi d'ailleurs) ! Mais après ce n'était que les commentaires d'une pauvre fille de vingt ans qui n'avait jamais pris l'avion, n’avait jamais couché et n’avait jamais eu de relations durables ; mon avis n'était pas si important. Non, l'important c'était de savoir qui il était. Apparemment, il s'appelait Jonathan Moranty et il avait 27 ans. Un bel âge, l'âge d'être sage et d'assumer son image, chose qu'il avait visiblement facile à faire. Après tout, avec un physique aussi avantageux, quoi de plus facile que de se montrer. À ce degré de perfection, il ne s'agissait même plus de se montrer, mais plutôt d'être inconsciemment remarqué.

- Il est beau, n'est-ce pas ?

Je levai les yeux et rougis. Une fille de type asiatique me parlait. Elle était incroyablement mignonne. À elle, pas sûre que l'on doute entre le « Mademoiselle » et « Madame ». Elle avait une frimousse à faire pâlir n'importe quel homme. Moi-même je me demandai comment une fille pareille pouvait s'adresser à moi.

- Tu parles français ? me demanda-t-elle, hésitante.

- Oh, oui. Pardon, j'étais dans la lune, balbutiai-je timidement.

Elle s'assit sur l'appuie-bras de mon siège et me montra du doigt le fameux Jonathan Moranty. Je fronçai les sourcils et levai mon regard vers elle.

- Toi aussi tu fais partie de ses fans ?

Sur le coup, je ne compris pas. Si je faisais partie de ses fans ?

- C'est un acteur ? Un chanteur ? m'étonnai-je en cherchant des yeux sa profession dans le magazine.

- Tu rigoles ou quoi ? C'est le PDG de G.G Moranty. Il a même lancé son propre magazine. Tout New York ne parle que de lui.

Je tombai des nues. Alors, c'était pour ça qu'il était si élégamment habillé... Il n'était pas une « star », mais plutôt un homme d'affaires en vogue. Ça existe ça ? En voyant son air sérieux sur l'une des photos, je constatai que cette image lui allait à la perfection (comme son nom).

- C'est la première fois que tu prends l'avion ? me demanda-t-elle gentiment.

J'acquiesçai.

- Je m'en doutais, s'écria-t-elle vivement. Tu as les mains qui tremblent légèrement. Tu as peur peut-être ?

Si j'avais peur ? Oui, mais était-ce vraiment à cause de l'avion et de l’altitude à laquelle je me trouvais ? Certainement pas. J'avais bien plus peur pour ma sœur que pour quoi que ce soit d'autre. Elle est curieuse, quand même. Je ne la connaissais même pas et déjà, elle m'analysait. Je n'aimais pas trop cette attitude, moi qui aimais tant être tapi dans l'ombre. Je n'avais pas pour habitude que l'on s'intéresse à moi. Mais on voyait dans son regard qu'elle n'avait pas une once de méchanceté. Elle était juste bavarde et moi, à l'opposé, complètement renfermé.

- Oui, certainement, mentis-je avec un faible sourire.

Elle me tendit sa main.

- Moi, c'est Kioko Adachi et toi ?

Je la lui pris et répondis poliment :

- Florélina Inamoro.

Elle me sourit à nouveau. En fait, plus je la regardai et plus sa personnalité pétillante se révélait à mes yeux. Finalement, son comportement ressemblait plus à celui d'une petite fille. Elle était mignonne et touchante. Dans son regard, je pouvais percevoir l'innocence. Autrefois, j'avais ce même regard. Aujourd'hui, mes yeux étaient cernés et trop larmoyants pour qu’on veuille s’y attarder. Ils étaient comme vides de sens. Kioko me redonnait le sourire. Elle me faisait penser à moi, à celle que j’étais avant. À la petite fille folle de son père que j’étais. Pourvu qu’elle ne perde jamais ce regard.

- Tu vas dans quel quartier ?

Je réfléchis. Dans quel quartier devais-je encore me rendre ? Ah oui !

- Manhattan et toi ?

Elle parut déçue.

- Je vais dans le Bronx.

Elle se leva soudain.

- J'allais presque oublier pourquoi je me suis levée !

D'un air drôle, elle désigna un coin de l'avion avant de chuchoter « silencieusement » :

- Toilettes !

Je ris. Cette fille, je ne la connaissais pas, mais qu'est-ce qu'elle était marrante ! Je tournai à nouveau les pages du magazine. Certains articles étaient à mourir d'ennui. Je cherchai en vain quelque chose d'intéressant et au final, la page → (qui parlait de l'actualité politique) eut raison de moi. Je somnolai.

Quand l'avion atterrit enfin, ce fut mon passager qui me réveilla. Je sursautai. Il était temps pour moi de sortir de cet engin. Je remerciai l'homme à mes côtés et partis à grandes enjambées. Quand je sortis, je pus respirer l'air doux du territoire américain. Je suivis les passagers et montai dans une navette pour rejoindre l'entrée de l'aéroport non loin de là. En entrant à l'intérieur, je fus époustouflée par la grandeur de l'immeuble. Que ce soit le sol ou le plafond, tout était d’un blanc étincelant. J'avais l'impression de ne pas avoir ma place dans ce décor. Tout était si beau, si différent. En fait, je faisais tache. Je consultai ma montre. J'avais le temps de prendre un café, ce que je fis (à vrai dire, je pris plutôt un chocolat chaud). Puis, je pris mes bagages. C'était le moment de prendre un taxi. Je sortis de l'aéroport avec une petite appréhension. Quand je fus dehors, je fus scotché par le nombre de taxis défilant dans les rues. J'en interpellai un et quand il s'arrêta à ma hauteur, un homme d’une quarantaine d'années -un téléphone à la main- me le prit. J'étais outrée ! Quelle impolitesse ! Un jeune homme à mes côtés rit. Je le regardai de la tête aux pieds. Qu'avait-il à se foutre de moi ? Je ne pus m’empêcher de bouder.

- On voit que vous n'avez pas l'habitude, ricana-t-il.

Il avait l'air amusé par la situation, et je n’étais pas d’humeur à rire avec lui. Il parlait peut-être anglais, mais je comprenais parfaitement ce qu’il disait !

- Je ne suis pas d'ici, qu’est-ce que j’y peux ! marmonnai-je entre mes dents.

De toute façon, il ne parlait pas ma langue.

- Je ne suis pas d'ici non plus, rétorqua-t-il alors.

J'en fus stupéfaite.

- Vous parlez français ?

Il me sourit gentiment. Ses yeux étaient aussi bleus que son beau gilet d'été. Il ne semblait pas vraiment mesquin en fait, plutôt plaisantin. Je suppose qu’une pauvre ignorante comme moi, ce n’était pas tous les jours qu’on en rencontrait.

- Cela semble si peu croyable ?

- C'est juste que c'est la première fois que je voyage. Je suis un peu stressée.

- Ça se voit, me dit-il sans méchanceté.

Un taxi s'arrêta enfin à ma hauteur, me demandant si j'avais besoin d'un chauffeur. J'acquiesçai. Je me dirigeai vers le coffre et l’inconnu au gilet bleu vint m’agripper par le bras. Je me retournai.

- Vous allez où ? me demanda-t-il.

- Manhattan, répondis-je tout en mettant ma valise dans le coffre.

Qu’avait-il donc à me poser ce genre de questions ? Je fronçai les sourcils sans même m’en rendre compte.

- Moi aussi. Nous pourrions partager le taxi, non ?

Je dis alors « oui » par gentillesse et il monta avec son élégante et coûteuse mallette. Être à ses côtés me rendit un court instant mal à l’aise. Puis, décidant de briser le silence, je lui lançai :

- Vous voyagez léger, dis donc.

- Toujours quand il s'agit des affaires.

Cela ne m’étonna pas vraiment. Il avait une prestance telle qu’il pouvait être qui bon il souhaitait être. Les hommes de New York se plaisent à compter les chiffres de leur chéquier, me fis-je alors comme réflexion en voyant sa montre hors de prix.

- J’espère ne pas paraître indiscrète, mais quel est votre métier ?

Gilet-bleu me regarda avec un sourire de courtoisie.

- Je suis médecin. Je fais actuellement ma spécialisation en chirurgie.

Spécialisation en chirurgie ? Médecin ? J'étais agréablement étonnée. Cet homme faisait la profession que j'avais toujours rêvé d’entreprendre. Tout à coup, je ne le voyais plus de la même manière. Il était évident maintenant que nous n'étions pas du même monde. Je voyageais grâce à l'argent contenu dans ma tirelire -paix à son âme- et lui faisait des voyages pour assister à des séminaires. Non, décidément, on ne venait pas de la même planète.

- Vous faites une belle profession, lui dis-je en toute sincérité.

Il acquiesça et nous fûmes le reste du trajet en silence. Au total, environ trois quarts d'heure de route. C'était long, mais j'attendais patiemment.

- Nous sommes arrivés, m’informa le chauffeur.

Je regardai vite fait le nom de la rue et préparai l’argent de la commission. Je sortis enfin du taxi, respirant l’air chaud du mois de juin. Avant de m’en aller, j’adressai un dernier sourire à l’inconnu. Il m’avait finalement paru bien sympathique.

- Au revoir.

- Passez un bon séjour, me dit-il en retour.

Je hochai la tête et fis signe à gilet-bleu. Il se pencha vers la fenêtre pour me faire signe en retour et me demanda spontanément :

- Quel est votre prénom ?

Je me penchai vers la fenêtre et lui dis :

- Florélina Inamoro et vous ?

- Ryan Arker.

Et la fenêtre se rabaissa, laissant notre court échange en suspens. Le taxi s’éloigna et de loin, je scrutai l’horizon. Je fus troublée par cette dernière question. « Quel est votre prénom ? » À quoi bon s'échanger nos noms ? De toute évidence, c'était la première et dernière fois qu'on se verrait. Je haussai les épaules. Pas la peine de méditer plus longtemps sur la question. À présent, il fallait que je déballe mes affaires. Puis, je voulais absolument me reposer. Le voyage avait été long. Le lendemain, j'aurais beaucoup de choses à faire. Je n'allais pas dormir sur mes lauriers.

Chapitre 2

Ma sœur ne me mentait pas dans ses lettres. New York est une ville resplendissante. Je pourrais admirer le soleil levant un bon milliard de fois sans jamais m'en lasser. Mais bon voilà, je n'avais pas que ça à faire. Aujourd'hui, je n'avais qu'une seule hâte : retrouver ma sœur à l'hôpital (et c'est ce que je fis).

- Hélène Inamoro ? C'est la chambre 245, m'informa la secrétaire médicale.

Je pris l'ascenseur et montai au deuxième étage. L'angoisse me nouait la gorge. Qu'allais-je bien pouvoir lui dire ? « Surprise » ? Pas sûr qu'elle ait envie de plaisanter. Je redoutais tant sa réaction. Elle qui voulait tellement que son cancer soit un secret... Mais peu importait, même si elle s'avérait furieuse de ma visite, prétextant que tout va bien, je serai quand même là pour la soutenir. Je savais qu'elle avait besoin de moi comme j'avais tant besoin d'elle. Elle ne pourrait pas toujours se cacher derrière son lit d'hôpital. Aujourd'hui, elle devait prendre conscience que je n'étais pas sa sœur que dans les bons moments, mais également dans les mauvais. J'étais sûre qu'au fond, elle le savait.

- Florélina ?

Quand j'entrai dans la chambre, elle se redressa vivement, gênée que je puisse la voir dans un sale état. Pourtant, malgré son crâne rasé, ses yeux rouges et son teint pâle, je la trouvais toujours aussi jolie. Son bonnet lui seyait à merveille. Je m'approchai d'elle et le lui caressai.

- Tu vois, je t'avais bien dit que ça t'allait les bonnets.

Elle rit en expulsant quelques larmes de ses si beaux yeux. En fait, bien plus qu’hilare, Hélène était surtout émue de me revoir et triste des circonstances de nos retrouvailles.

- Tu n'aurais jamais dû venir, me dit-elle faiblement.

- Je n’aurais pas pu faire autrement, lui dis-je en la prenant dans mes bras. Après tout, tu es ma sœur.

Elle sanglota un moment.

- Qui aurait cru qu'on se reverrait dans de telles circonstances ?

Elle le dit avec tant de peine, je ne pus m'empêcher de verser quelques larmes à mon tour. Je l'aimais tant. C'était un supplice de la voir ainsi. Sa beauté inchangée ne remplaçait en rien son sourire qui me manquait tant.

- Maman n'a pas pu venir. Tu sais bien que nos moyens manquent cruellement.

Hélène hocha la tête, compréhensive.

- Mais je vais travailler dur pour la faire venir à nos côtés, afin qu'elle puisse te serrer dans ses bras.

Ma sœur eut un regard lointain, comme perdu. Je la scrutai et elle dit soudain :

- C'est étrange, tu sais. Je n'ai jamais vu les choses aussi clairement que maintenant.

- Comment ça ?

- Eh bien, je me rends compte de beaucoup de choses. De petits détails qu’auparavant je ne remarquais même pas.

Elle se tut un bref instant puis, poursuivit :

- Je suppose que lorsqu’on est à la fin de sa vie, on voit les choses autrement. On prend plus le temps de savourer chaque instant et de prêter attention à chaque détail. Et puis, on se remémore le passé et ses innombrables souvenirs… Du moins, c’est mon cas.

Je lui pris la main. Qu'allait-elle s'imaginer là ? Croyait-elle sincèrement que j'allais la laisser s'en aller comme ça ?

- Arrête tes conneries ! criai-je. Comment peux-tu dire ce genre de choses ? Tu n’as pas envie de te battre ? Tu veux me faire croire à moi qu’il n’y a plus rien à faire ?

Elle se mordit la lèvre inférieure, préférant opter pour le silence. Je ne pus m'empêcher d'avoir de la peine pour elle. Je suis sûre qu'au fond, elle me voyait soucieuse et que c'est ça qui la déboussolait. Je me levai d'un bond et sourit. Il fallait que je change de conversations. Je n’étais pas venue pour la gronder ni même la mettre mal à l’aise.

- Tu veux un truc à manger ?

Elle fronça les sourcils, feignant qu'elle avait déjà mangé. Bizarrement, j'avais du mal à la croire. Cependant, je me mettais à sa place. Elle avait déjà assez de choses à supporter pour que je l'oblige en plus à me dire la vérité. Il ne tenait qu'à elle de me dire ce qu'elle ressentait, ce qu'elle aimait ou détestait. J'étais là pour lui rendre le sourire, pas l'inverse.

- Eh bien moi, je vais me chercher une barre chocolatée aux distributeurs, déclarai-je avec gourmandise.

- Il y en a près du service pédiatrique, m'indiqua-telle.

Je hochai la tête et m'en allais. Comment était-ce possible ? Comment pouvait-elle être malade ? Il y a tant de gens sur cette foutue terre ! Pourquoi elle ? Pourquoi ma sœur Hélène ? J’empruntai le couloir de droite et marchai avec nonchalance. Une larme coula le long de ma joue. Je l'essuyai maladroitement. Je détestais montrer mes émotions en public. Ce n'était pas mon genre. J'avais trop réprimé mes sentiments par le passé pour les montrer aujourd’hui. Je levai les yeux vers la gauche. Une grande pancarte indiquant « Service pédiatrique » me faisait face. Je suivis les flèches sur le sol et me retrouvai assez rapidement devant les distributeurs. Je déglutis. Plus de barres chocolatées. Encore un truc qui me passait sous le nez ! J'ai faim. Je levai les yeux au ciel, sermonnant le Bon Dieu de n'en faire qu'à sa tête. Dans mon champ de vision, il y avait un logo. Je remarquai qu'il s'agissait de l'association d'un M et d'un G. Je m'interrogeai alors sur la signification de ces initiales. En reculant pour m'en aller, je me heurtai à un médecin. Je m'excusai promptement et ramassai les papiers à terre. Je les lui tendis et tout à coup...

- Ryan Arker ?

- Florélina, c'est bien ça ? m'interrogea-t-il du regard.

Ryan Arker ! Mais que faisait-il là ? Je le scrutai de la tête aux pieds. Qu'est-ce que je pouvais être bête ! « Je suis médecin. J'ai entamé depuis peu ma spécialisation en chirurgie ». Alors comme ça il était ici ? Ça aurait dû me paraître évident, et pourtant.

- C'est ça, répondis-je un peu gênée.

- Vous êtes malade ?

Il me regarda, cherchant à déceler des signes de faiblesse. STOP ! Ce n'était pas la peine qu'il essaye de me diagnostiquer. Je n'avais rien. Rien du tout.

- Non, ma sœur est hospitalisée, lui dis-je en évitant de croiser son regard.

Il me fit un « Ah » plein de sous-entendus. Forcément, il n'était pas con. Un regard fuyant ne trompe pas. Ma sœur était gravement malade, il s'en doutait. Et qui sait, peut-être l'avait-elle déjà rencontré... ?

- Comment s’appelle-t-elle ?

Hélène Inamoro, et elle avait la joie de vivre avant d'être diagnostiquée cancéreuse.

- Hélène... (Je repris mon souffle) Hélène Inamoro.

Il regarda dans ses fiches, puis fut silencieux un moment. Bien évidemment, je m’y étais préparé à ce genre de réactions ; le genre qui laissait entendre que je n’étais pas sortie de l’auberge.

- Je vois c'est qui. J'ai suivi mon sénior lors de sa visite. Elle semble être quelqu'un de bien.

Que pouvais-je répondre à ça ? « Oui, c'est une fille bien. Et comme tous les gens bien, elle va mourir... et ce, pour mieux laisser vivre des abrutis ». Il était médecin, il ne voyait certainement pas le plan humain de la situation. Pour lui, ma sœur n'était qu'un numéro de chambre à consulter une fois par jour pour obtenir la mention excellente à sa spécialisation. Comment pouvais-je croire que cela l'intéresserait ? Il était gentil, mais pas à ma place. Pas dans ma situation.

- Ne me regardez pas comme ça, me dit-il soudain.

Je rougis, ne comprenant aucunement où il venait en venir.

- Comme quoi ?

- Comme si c'était la fin.

Mes rougeurs disparurent alors, et ma gorge commença à se nouer. Je balbutiai :

- Je... Je suis réaliste.

- L'espoir est un grand pas vers la guérison, tu sais.

Il me tutoie ? Je posai mon regard sur ses lèvres. Avais-je bien entendu ou mon esprit chamboulé me jouait des tours ?

- Sur ce, je vais y aller. J'espère te revoir bientôt, Florélina, me dit-il en rejoignant son « sénior » qui l'épiait impatiemment depuis quelques minutes.

Non, je ne rêve pas. Il m'a bien tutoyé. Ce qu'il m'eut dit me réconforta un instant. Puis, à force de ruminer, mon angoisse reprit le dessus.

Dring dring.

Je regardai mes messages.

« Le 10 juin 2017.

De : Mason Cooper

Objet : Demande d'emploi

À : Florélina Inamoro

Bonjour,

J'ai parcouru votre CV et serais intéressé pour un entretien ce mercredi 15 juin à 15h30 précise.

Veuillez me contacter en cas d'empêchements.

Cordialement,

MC. »

Enfin une bonne nouvelle ! À présent, je n'avais qu'une hâte : être engagée et rester à New York avec ma sœur. Mais est-ce que la chance allait réellement me sourire ? Ou bien était-ce encore un coup douteux de dieu ? Merde. Trop tard, je venais d'accepter le rendez-vous qui m'était proposé.

Chapitre 3

Ce mercredi 15 juin, le temps était au rendez-vous. Ne tremble pas. Ne tremble pas. Je m'observai dans le miroir de la salle de bain, essayant de me calmer. Aujourd'hui, j'avais un entretien d'embauche très important. Il allait être décisif. Si je ne le décrochai pas, je pouvais dire adieu à New York (et je n'en avais nullement envie). Arrête de trembler, pauvre idiote ! Je n'étais pas très douée pour parler aux autres. Soit j'étais maladroite et je blablatais trop, soit j'étais muette. Je ne savais pas être sereine. J'avais vécu trop de choses horribles pour simplement sourire. Pourtant, quand ma fierté prenait le dessus, il m’arrivait de me surprendre à feindre la gaieté. Malheureusement, j'ai toujours été -comme mon père le disait- « transparente comme de l'eau de roche ».

J'ajustai mon maquillage. Je n'étais pas si mal avec ma longue chevelure brune et mes yeux vert pomme. Cependant, je manquais de confiance en moi et ceci retirait à peu près 99% de mon charme. En fin de compte, j'étais juste une bête fille banale et ça, ça se remarquait à mes pompes à même pas vingt balles.

- Bonjour, je m'appelle Florélina Inamoro. Je viens pour un entretien avec Monsieur Cooper.

Le parlophone fit un bruit strident. Quelqu'un me répondit :

- Je vous ouvre tout de suite.

Un son bien distinct me fit signe de rentrer. Je poussai la porte et m'installai sur l'une des chaises situées à l'entrée. J'étais seule et j'étais paniquée. Il faut absolument que j'arrête de trembler. Le stress, c’était une mauvaise idée pour faire bonne impression.

- Mademoiselle Inamoro, entrez, me dit l'homme en costard-cravate.

J'entrai silencieusement dans la pièce (immense soi dit en passant) et l'homme me fit m’asseoir sur une chaise. Qu'est-ce qu'elle est confortable ! J'avais l'impression de faire tache dans ce somptueux décor. C’est pas la première fois… C'était une décoration de luxe et voyant les vêtements bon marché que j'avais sur moi, je me sentais ridicule. Qu'est-ce que je foutais là ?

- Tout d'abord, j'aimerais connaître vos motivations. Pourquoi désireriez-vous travailler chez nous ?

Je m'expliquai, un peu gênée :

- Comme je l'ai spécifié dans mon CV, je débarque de Belgique et je suis venue ici pour porter soutien à ma sœur malade. Quand j'ai vu votre annonce, j'ai su que c'était ici que je devais postuler.

Il hocha la tête et je poursuivis :

- Je suis consciencieuse, ordonnée et les heures supplémentaires ne me font pas peur.

Monsieur Cooper me jaugea du regard et prit un air sérieux en parcourant minutieusement mon CV. Quand il releva la tête, il eut un bref sourire de politesse.

- Vous avez le profil parfait : vous êtes jeune, en bonne santé. Vous parlez couramment anglais- bien qu'ici, le français n'est pas un problème - et vous semblez motivée. Mais dites-moi, quel genre d'emploi vous attendez-vous à avoir ?

Comment ça ? Qu'entendait-il par-là ? Me prenait-il pour une idiote ? J'étais vexée et virais immédiatement au rouge pivoine.

- Que ce soit bien clair, Mademoiselle Inamoro. En entrant ici, vous n'aurez pas que le ménage à faire.

Il me tendit un contrat.

Contrat de travail à durée indéterminée

Auteur : J. Moranty

Contrat établi entre Florélina Inamoro (l'employé) et Jonathan Moranty (l'employeur).

Le travailleur commencera son service à partir du 20 juin 2017. Son travail consistera à exécuter des tâches telles que le ménage, le dîner et bien d'autres choses.

Il a été convenu ce qui suit :

Article 1 - L'employé ne peut en aucun cas révéler les activités de son employeur. Il en va de même pour la publication de photos et de vidéos dont l’employeur n’en a pas validé le contenu et qui pourraient lui être compromettantes. La vie privée de l’employeur se doit d’être respectée.

Article 2 - Aucun chantage ni vol n'est toléré sous peine de renvoi immédiat.

Article 3 - L'employé exécute les ordres de l'employeur. L'employeur ne peut en aucun cas demander des services d'ordre sexuel ou qui porteraient atteinte à la pudeur de l'employé. Tout acte sexuel non consenti est condamnable par la loi selon l’article 248 du code pénal.

Article 4 – En pratique, l'employé s’engage à réveiller l'employeur chaque matin, à lui faire son petit déjeuner et à s'occuper de la maison jusqu'à ce que l'employeur lui autorise à prendre congé.

Article 5 - L'employeur, quant à lui, s’engage à accorder deux jours de repos par semaine à l'employé.

Article 6 - Les horaires seront variables, ils dépendront de l'employeur. L'employé a le droit de véto en cas d'incompatibilité.

Article 7 - Les rémunérations se feront tous les mois et le jour sera précisé par l'employeur. Le montant de la rémunération sera remis en mains propres.

Article 8 - L'employé a une chambre à disposition. Elle est libre d'y séjourner à condition de ne pas empiéter sur l'espace privé de l'employeur.

Article 9 - En cas d'heures supplémentaires, l'employé sera payé en conséquence.

Article 10 - L'employé s'engage à signer la clause de confidentialité et à la respecter.

Article 11 - En cas de maladie, l'employé devra avertir son employeur dans les plus brefs délais.

Article 12 - L'employé reconnaît par la présente avoir reçu une copie du règlement de travail.

Signature de l'employeur

Je reposai le papier sur le bureau. Alors, c'était donc ça le fameux métier qui payait si bien ? Je comprenais mieux pourquoi à présent. Il ne faisait nul doute que mon employeur était quelqu’un de renommé, sinon pourquoi insister autant sur la confidentialité ?

- Cela vous convient-il ?

Je regardai l’homme qui me faisait passer l’entretien.

- Pourquoi moi ? demandai-je, perturbée.

- Pardon ?

- Eh bien, pourquoi me choisiriez-vous ? Je veux dire, il y a certainement beaucoup plus de filles qualifiées que moi...

Tais-toi, pauvre cruche ! Qu'est-ce que je pouvais être bête ! J'avais parlé sans réfléchir. Mais bien sûr que j'étais qualifiée ! SIGNE ET FERME-LA ! Et s'il revenait sur sa décision à présent ?

- Monsieur Moranty est très pointilleux et il lui arrive de changer assez régulièrement de bonnes. Vous ne recherchez pas un contrat de longue durée, c'est parfait.

Sur le coup, j'étais tétanisée. Si je signais, à quel horrible gougeât aurais-je à faire ? Et s'il était désagréable ? Et s'il me renvoyait sur-le-champ ? La honte s'abattrait sur moi.

- Et qui est exactement ce Jonathan Moranty ?

En prononçant ce nom, j'eus la vague impression de l'avoir déjà entendu quelque part. Impossible. Mason Cooper me regarda, hébété.

- Monsieur Moranty est l'une des plus grosses fortunes de New York. Il s'est fait un nom de par son entreprise familiale.

Il jeta un coup d'œil sur sa montre.

- Il ne devrait pas tarder. Monsieur Moranty arrive souvent en retard. Il est débordé.

Il me fit signe de le suivre et nous montâmes les escaliers.

- En attendant, je vais vous faire visiter sa demeure. Elle s’étend jusqu’au troisième étage.

Il blague ? Monsieur Cooper entra un code et les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. J’entrai, quelque peu chamboulée par cette luxure qui m’entourait, et je patientai le temps d’arriver au premier étage.

- Voici la pièce principale où vous effectuerez vos travaux quotidiens, dit Cooper en sortant de l’ascenseur.

J’écarquillai les yeux. C’était beaucoup plus somptueux et luxueux que ce à quoi je m’attendais. La pièce était immense et d'une beauté à couper le souffle. Était-ce une hallucination ou bien tout ce qui se trouvait dans cette pièce brillait de mille feux ? Le parquet et les murs étaient d'un blanc nacré tandis que d'immenses baies vitrées venaient apporter une belle luminosité. Je regardai le ciel. Le soleil venait de se cacher derrière les nuages. À cet instant, j'aurais souhaité disparaître. J'aurais caché ma candeur face à tant de beauté.

- La vue est magnifique, n’est-ce pas ?

Je me retournai, l’air interrogateur. Qui parle ? Le soleil se montra, illuminant Jonathan Moranty comme pour l'accueillir. C'est le gars du magazine ! J'étais choquée. Tétanisée. Je ne savais plus bouger, ni même respirer. Qu'est-ce qu'il était beau ! Avec ses beaux yeux turquoise, ses cheveux noirs à l'état sauvage, sa chemise légèrement ouverte et son parfum envoûtant... Je fondais littéralement devant cette perfection incarnée. Je me noyais dans ses yeux, m'enivrais de son parfum... Il était si grand, avait une carrure si imposante.

- Vous devez être Florélina Inamoro, je suppose ? me demanda-t-il en s'approchant de moi.