L'Orvoire - Jean-Noël Ripoche - E-Book

L'Orvoire E-Book

Jean-Noel Ripoche

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Beschreibung

Entre les jours de réception au domaine, les repas gargantuesques à l’ombre des marronniers centenaires, la période agitée des vendanges des champs de vignes et les retours de chasse… des liaisons improbables se nouent, des amours naissent… Adèle et Jauson, ces deux cabossés de la vie que tout oppose, oseront-ils enfin s’avouer leur amour l’un pour l’autre ? Qui de la table en pierre près des grands marronniers ou des trois séquoias géants du parc révélera le secret de la maisonnette du champ de vigne ? Ou restera-t-il à jamais prisonnier des murs du manoir ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Jean-Noël Ripoche, depuis sa plus tendre enfance, trouve refuge dans la nature où il puise de précieuses leçons de vie. Fort de sa foi inébranlable en la vie, il s’efforce de célébrer et de s’émerveiller à chaque instant de son quotidien. Il a déjà publié deux livres historiques sur sa ville d’adoption, l’un d’entre eux ayant reçu le prix de la Société Académique de Nantes et de la Loire-Atlantique.

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Seitenzahl: 216

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Jean-Noël Ripoche

L’Orvoire

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Noël Ripoche

ISBN : 979-10-422-1466-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

À mes tendres et merveilleux souvenirs,

Aux camélias, aux tilleuls, aux marronniers, aux séquoias,

À la petite maison, aux champs de vigne…

À tous les êtres qui ont forgé cet endroit, laissé leur trace

et dont les pas résonnent à jamais dans ces lieux.

Affectueusement à Chantal,

à nos fils et à celles qu’ils aiment.

À Maxence, Tissia, Léon, Lucien.

Du même auteur

❖ Éditions Opéra, Clisson, 1999 ;
❖ Éditions Opéra, Pour ce qu’il me plaîst, 2000 ;

Gisèle Coulon-Lumeau, Jean-Noël Ripoche

Prix de la Société Académique de Nantes et Loire-Atlantique

❖ Éditions Le Lys Bleu, Vingt et un jours mon amour.

Septembre 1930,

Au loin, saturant l’air, résonne en écho le tintement aigu des cloches, marquant la fin du troisième et dernier office du matin. Les gravillons brun clair recouvrant les allées crissent au passage des pneus de la luisante Peugeot 201, de couleur bordeaux. En contraste, les chromes, les ailes et le toit noir lui donnent fière allure. Après avoir franchi le grand portail d’entrée, longeant et contournant une partie du parc à la française, la rutilante et unique voiture connue dans la commune vient se stationner devant le perron sud du manoir. Monsieur Louis, maître des lieux, en descend. Son imposante stature qui d’ordinaire l’oblige à se contorsionner là, bizarrement par des gestes vifs et précis, s’extrait rapidement du véhicule. Il semble de bonne humeur.

Mardi 9 septembre 1930, onze heures quarante. Douze années se sont écoulées depuis la fin de la dernière guerre mettant fin à son cortège de malheurs, dont le manoir de Monsieur Louis et ses occupants n’ont pas été épargnés. Depuis la dernière décennie, la France connaît un taux de croissance très fort. Tous les secteurs d’activité sont marqués par un dynamisme et de très fortes performances. La fin des années folles va bientôt sonner. La période va déboucher sur une importante crise économique venue d’Outre-Atlantique. La France va connaître une instabilité politique. Le domaine du clos l’Orvoire va devoir s’adapter afin de résister.

Dans cette campagne d’après-guerre, le dimanche est le jour particulier de la semaine. Bien sûr, c’est un jour sans travail. Le matin, on assiste fidèlement aux offices dans l’imposante église du village exhibant son architecture gothique élevée en arc-boutant montée en pinacles. L’après-midi, respectueusement, soit on assiste aux vêpres, soit en promenade dans le parc, il est bien venu de s’émerveiller devant les créatures florales de Dieu, où chacun jouit de la quiétude du dimanche et se laisse aller paisiblement à ces quelques heures de repos. C’est aussi le jour où, l’on s’habille différemment des autres jours de la semaine à l’effet de se montrer beau. Voir afficher son rang social. Même le menu du déjeuner semble approprié à ce jour singulier.

Monsieur Louis, fidèle à ses habitudes, a donc revêtu son costume à boutonnage croisé, en laine marine et fines rayures verticales plus claires. Cravate assortie, unie, foncée se démarquant sur une chemise blanche en lin, le tout acheté à Nantes dans une boutique de la rue Crébillon, restant ainsi fidèle aux vieilles traditions familiales. Les extrémités des manches de sa chemise sont maintenues par des boutons de manchette, or et nacre. La montre à gousset enfouie dans la poche du petit gilet avec sa chaîne assortie, pince à cravate en or, pochette en soie blanche compose la panoplie parfaite, rien ne manque. Il a pris soin de surmonter sa silhouette d’un chapeau de feutre noir ajusté sur sa chevelure grise légèrement bouclée, ainsi sa carrure en impose naturellement.

Victorine s’étant libérée de bon matin des cérémonies religieuses, prépare le repas. Elle vient d’enfourner le plat traditionnel qui sera servi bien rôti comme de coutume, au déjeuner du dimanche à douze heures trente, précises. Un coq dodu qui, hier encore, paradait insouciant au beau milieu de la basse-cour. Elle a prévu pour accompagnement quelques pommes de terre placées dans le plat entourant le généreux poulet sans oublier un peu de thym et des caïeux d’ail déposés en chemises. Puis, une fricassée mélangée de céleri branche, verte et jaune du jardin, préalablement cuit à l’eau avant d’être grassement rissolé dans la poêle, avec un peu d’huile et de beurre fait maison.

Du haut de sa cuisine, son bastion, où il est préférable que vous ayez une bonne raison pour y pénétrer avant l’heure des repas, par la fenêtre, Victorine jette un œil au-dehors, aperçoit la forte silhouette du maître se diriger d’un pas vif vers son bureau. Il emprunte les quelques marches du perron avant de disparaître furtivement dans le vestibule.

Satisfaite, elle retourne à son menu. Aujourd’hui, ce sera en entrée, sauté de ris et rognons du veau tué cette semaine en prévision des vendanges à venir. Ceux-ci seront flambés avec un vieux Bas Armagnac auquel elle ajoutera un trait de crème épaisse avant de servir. Ensuite, le joli coq rôti à souhait et son accompagnement puis le plateau de fromages du maître, inévitablement présentés au déjeuner et au dîner, enfin pour dessert une tarte sur fond de pâte feuilletée compotée de rhubarbe et quartiers de fraises disposées délicatement. Avec Victorine tout est fait maison. Les produits selon les saisons proviennent du jardin, de la basse-cour, du charnier où prélevés dans la nature environnante. Soit, en période de chasse, de pêche, la saison des champignons, à l’époque des châtaignes où, en tout début de printemps, les pissenlits récoltés dans les labours de Toussaint…

La matinée fut douce et sereine. Vers midi, l’ambiance se voile, la chaleur devient lourde et pesante. Rien d’étonnant à ce que le temps tourne à l’orage en fin de journée, ce qui laisse craindre une attaque de mildiou dans les vignes du domaine pour les jours prochains.

Afin d’indiquer l’instant du déjeuner, d’un son clair et perçant, la cloche du domaine retentit deux minutes avant midi trente. Depuis qu’il est enfant et de taille suffisamment grande pour se saisir de la poignée reliant la chaîne, c’est Joseph qui, du haut de ces quinze ans fièrement l’agite. Telle est la consigne du dimanche. Joseph accorde beaucoup d’importance à cette mission gratifiante. Les repas sont pris dans la grande cuisine sauf, occasions exceptionnelles où, les jours de repas de fête, les invités sont servis dans la grande salle à manger. Parfois, les beaux jours d’été, dehors sous l’alignement des marronniers, les invités bénéficient des larges places d’ombres fraîches et généreuses.

Monsieur Louis a un profond respect pour toutes les choses établies, jusqu’à définir la place occupée par les convives à table. Il appartient à chacun de respecter quotidiennement l’ordre attribué. Durant le repas, dominant l’ensemble des convives, en bout de table Monsieur Louis assume pleinement son rôle de patriarche, distillant ses ordres et rappelant les tâches de chacun. Lui faisant face, Victorine allant et venant puis Joseph le fils de Victorine se tient à ses côtés. Assise à droite de Monsieur Louis, Adèle puis Jauson, son mari. Face à eux, Juliette et Jeanne, leurs filles, et la petite Joséphine, qui vient de naître, dort dans son landau près de ses parents qu’Adèle porte régulièrement avec un regard attendri. Le repas terminé, Monsieur Louis, machinalement ferme son couteau qu’il glisse dans la poche de son pantalon tout en jetant un œil sur la pendule, indiquant ainsi à chacun qu’il est temps de reprendre son ouvrage. Les quelques journaliers employés au domaine, hors période de vendange, ne déjeunent jamais dans la grande cuisine, ceux-ci prennent leur repas dans la grande pièce attenante au manoir où l’on se retrouve au retour de chasse.

Les vins servis aux repas sont toujours choisis par Monsieur Louis. En semaine, ce sont les vins blancs et rouges du domaine. Mais le dimanche, le choix se porte sur les vins millésimés stockés dans la cave située sous l’aile nord du corps principal du logis dont seul Monsieur Louis détient la clé. Avec les ris de veau, il a prévu un vin blanc Pouilly-Fuissé, et il servira avec la volaille un vin rouge pinot Noir de Bourgogne de 1926. Ensuite, accompagnant la tarte sera servi un excellent vin blanc doux Sainte-Croix du Mont de 1924. Puis en fin de repas, le dimanche, Monsieur Louis ne manque jamais de présenter ses meilleures eaux-de-vie servies mélangées au café ou en rincette.

La fin du bénédicité récité par Adèle et repris par tous les convives donne le signal à Victorine de lancer les festivités. Alors que toutes les personnes sont servies et dégustent, Monsieur Louis profite du silence pour annoncer qu’une fois la messe de dix heures terminée il est allé à la mairie se faire confirmer la date de lever du ban des vendanges.

— Victorine, je vous félicite ces ris et rognons sont excellents.

—Merci, reprit Victorine d’un air un peu détaché, tout en lui servant un verre de vin blanc.

Puis Monsieur Louis s’adresse à Jauson :

— Jauson, mercredi je ferais un voyage en Bretagne pour aller chercher les vendangeurs et les vendangeuses. Ainsi nous commencerons la récolte jeudi, par la plantation de vignes du Pré Simon. Il me semble que cette parcelle de muscadet est arrivée à parfaite maturation.

Puis élevant la voix et s’adressant à l’assemblée tout entière il poursuit :

— Voilà le temps des vendanges revenu. Je demande un effort à chacun d’entre vous, pendant ce mois que va durer la période de cueillette.

— Adèle, vous veillerez à ce que tous les couchages soient prêts et prendrez soin à la répartition des lits dans les chambres. Vous vous occuperez également du maintien de l’ordre et à la bonne entente du groupe, en soirée. Avec Victorine, vous constituerez les paniers du matin et ceux de la collation à emporter dans les vignes, sans oublier d’établir les menus pour tous les jours du mois à venir.

— Jauson, vous savez ce que vous avez à faire concernant le matériel, affûter et huiler les sécateurs et vérifier leur bon fonctionnement. Mettre à l’eau les portoirs et baquets en bois, graisser la vis du pressoir, laver et mécher les fûts et barriques, sans oublier de nettoyer les cuves…

— Quant à vous Victorine, n’oubliez pas de demander au père Victor qu’il vous envoie la plus jeune de ses filles pour vous aider en cuisine.

— Les gelées ont passé sans provoquer de dégâts. Jusqu’aujourd’hui, il n’y a pas eu d’orage dévastateur. Joseph et Jauson, avec les saisonniers vous avez bien travaillé la vigne, la récolte s’annonce précoce, abondante et d’excellente qualité, ce sera un bon cru.

Situé au sud d’un petit hameau, le manoir déroule sa longue façade tel un chat replet, paresseusement endormi, profitant généreusement des rayons du soleil. De sa silhouette stricte, il domine fièrement la campagne pittoresque environnante. Il s’impose au regard, situé parmi de longues plaines et vallons garnis de champs de vignes, adossés au bocage. Exposé sur son promontoire au confluent de deux lits de petites rivières qui avec le temps sont devenues deux ruisseaux amaigris où s’écoule parmi de fragiles cascades un filet argenté d’eau joyeuse. Malgré son manque de caractère dans son architecture, par la longueur et la symétrie de ses façades, son dépouillement aussi, l’épaisseur prodigieuse de ses murs, cette bâtisse en impose. Les murs d’enceinte forment un écrin où s’étale un joli parc invitant soit à la promenade, au repos, ou convie à la quiétude. L’ensemble rassure. La bâtisse fut construite en pierres de pays, du grès. Les entourages des portes et des fenêtres étant surélevés de linteaux en granite, la toiture en tuile tige de botte en terre cuite rouge orangé, apportent une jolie note de couleur à ce beau corps. Suivant les saisons, cette demeure protège des grands froids rigoureux de l’hiver ou bien l’été, conserve une agréable fraîcheur apaisante.

À l’origine du domaine, le père de Monsieur Louis était éleveur de chevaux. Il possédait alors quelques poulinières au pré, un lot d’une dizaine de jeunes percherons bons à placer comme animaux de trait et d’autres qui, sur la fin de leur vie, attendaient de partir à l’abattoir. Ce n’est que bien plus tard vers 1900, lors de la reconstruction du vignoble Nantais, suite aux ravages du phylloxera qu’une partie du domaine fut plantée en différents cépages. Depuis toujours, le domaine dont l’unique et imposante bâtisse fait autant référence dans la commune que le clocher de l’église, est réputé pour son bien-vivre et renommé pour son prestige. Ses occupants sont très considérés et souvent visités par les notables du canton, ses vins prisés souvent cités font l’éloge de la région.

Le clos l’Orvoire, est réputé pour ses vins, son muscadet élevé sur lie dévoile tous ses arômes, finesses et rondeurs en bouche. Son gros plant sec, apprécié lors de la dégustation de fruits de mer, enfin ses assemblages de vins rouges cabernet vieilli en fût de chêne identique à la façon bordelaise est très prisé. Par ailleurs, Monsieur Louis est devenu acteur incontournable dans la région viticole des vins de Nantes. Alors maire de la commune succédant à son père, il fut l’instigateur du premier syndicat qui œuvra pour le classement du muscadet en Appellation d’Origine Contrôlée, dès 1937. Il devint très vite le Président du syndicat viticole de la Loire Inférieure, puis élu conseiller général du département.

***

Inventaire après décès, dressé par Maître Victor Devouge, notaire à Nantes.

Sis au lieu-dit L’Orvoire, une maison de Maître comprenant un rez-de-chaussée en partie surélevé. Un vaste vestibule distribuant les accès aux parties levant et couchant du corps de logis. Avec desservant, l’étage, un escalier de belle facture demi-tournant, marches en tuffeau, main courante et balustres en bois ciré. Au sol carreaux de ciments peints. Au levant sous l’aile du bâtiment, un escalier en granite permet l’accès à la cave à vin embouteillé à demi enterrée. La partie au levant de l’habitation comprend un couloir au nord desservant un bureau, une salle à manger, une cuisine. Au couchant, l’aile de l’habitation comprend un couloir au nord desservant un salon puis une grande chambre avec cabinet de toilette. À l’étage, l’ensemble comprend six chambres sur parquet et deux salles de bains avec toilette.

Attenant à l’habitation dans son prolongement côté levant, un corps de bâtiment comprenant une arrière-cuisine et buanderie avec chaudron et lessiveuse, une remise à bois, un grand garage pour une automobile, une remise, un poulailler. Puis, adossé au mur du garage donnant au midi sur les grands marronniers un petit jardin d’hiver où l’ont remise les orangés et les plantes craignant la rudesse de l’hiver. Avec, à l’intérieur, une grande volière où, dans un charivari indescriptible, s’ébattent deux tourterelles et une multitude d’espèces de perruches riches en couleur dans un gazouillis assourdissant.

Accolée, dans son prolongement côté couchant une grande et belle pièce avec une imposante cheminée faisant office de rendez-vous de chasse en saison. L’imposante hotte de la cheminée est surmontée d’une jolie ramure de cerf 12 corps montés en trophée, dont la plaque en cuivre gravée indique « Forêt du Gavre, allée du chêne au Duc ». Attenant un petit caveau et un cabinet de toilette, à suivre un bureau d’exploitation. Un porche d’entrée permet l’accès à la cave à vin où on dénombre soixante fûts et barriques et un magasin entrepôt à vin avec une imposante cuverie aérienne et en partie enterrée.

En partie nord, ruage de cinq mètres desservant le village. Face à l’habitation principale une grange où l’on range le matériel viticole et agricole. Au couchant, un peu à l’écart, une étable pour trente vaches et deux boxes pour chevaux.

Face au corps de logis principal au sud, un parc paysagé d’une surface d’un hectare trente centiares avec étang empoissonné de carpes communes et de tanches. Verger et potager, au midi, clos de murs. Porté au plan cadastral sous les numéros 763 puis 781, 784 et 788 de la section E. Tel au surplus que lesdits immeubles existent, se poursuivent et comportent sans aucune exception ni réserve.

Huit hectares de terres, « Les Hachais », « Le Pré Simon » plantées de vignes cépages Melon de Bourgogne, vin blanc appelé muscadet, quatre hectares de terres, « Le Pastis », « Le Moulin » plantées de vignes cépage folle-blanche, vin blanc appelé gros-plant, deux hectares de terres, « Le Chêne Gaudrais » plantées de vignes vin rouge, cépages cabernet sauvignon et deux hectares de terres, « Le Chêne Gaudrais » plantées de vignes vin rouge cépage cabernet franc. Trois hectares de terres « L’Oasis » plantées de vieilles vignes vin blanc cépage Baco blanc. Neuf hectares cinquante centiares de bois dénommé « Les Terres Noires ». Trente-sept hectares de terres à cultiver, prairies et coteaux.

Il est ici noté que le ruisseau dit de « Beaulieu » traverse la propriété d’est en ouest pour se jeter dans la rivière « La Sanguèze ».

Tous les animaux sont à l’étable on note une paire de bœufs de trait de race Parthenaise, dix-huit vaches laitières de race Normande dont quatre avec leur veau, un couple de chevaux de trait breton dont la jument mettra bas au printemps. Une jument demi-sang pour la selle ou l’attelage au Fiacre. Une chèvre et ses deux chevreaux, deux cochons de race Landrace français.

Un magnifique mâle paon s’est approprié le parc et déambule dans les allées du jardin à la française. Il ne dédaigne pas les flatteries. Il suffit de lui dire « tu es beau, comme tu es beau » pour qu’il montre sa bonne humeur et dresse ses superbes plumes de queues en une splendide roue multicolore.

Dans la basse-cour, on dénombre une bonne douzaine de poules pondeuses de Marans et deux coqs, dont un de Malines. Des canards de Barbarie et leurs cannes. Un couple d’oie blanche, un faisan commun. Pour les volailles du dimanche à l’engraissement on trouve un certain nombre de poulets cou nu, des pintades et quelques dindons. Les clapiers sont fournis en lapins blancs de Termonde et de Fauve de Bourgogne plus en chair.

Novembre 1916,

Le gel intense marque de ses morsures chaque partie du jour dévoilée aux doux rayons dorés du soleil naissant. Pendant la nuit et afin de mieux se protéger, la terre s’est refermée, comme figée. Le fond de l’air transporte des vagues de froideur, tapisse toute chose d’un froid métallique et indique quand ce mois de novembre 1916, l’hiver est déjà là. Au petit matin, le ciel est bien dégagé, rien ne vient troubler l’éveil du soleil qui, par monts et vallées, inonde la campagne d’une étincelante lumière jaune.

À l’Est, depuis le début de l’année, les bombardements font rage à la bataille de la Somme dont les spécialistes s’accordent à dire qu’elle est la plus meurtrière depuis le début du conflit. Le massacre de vies humaines continue dans ce que l’on nommera plus généralement la bataille de Verdun.

Nous sommes jeudi. Ce jeudi 9 novembre 1916. Comme chaque matin, ne dérogeant pas à ses habitudes, après l’heure du petit déjeuner partagé en compagnie de Marthe son épouse, Monsieur Louis s’active à parcourir le tour du domaine. S’acquitter de ce besoin impérieux à satisfaire. Comme pour imposer son empreinte au domaine. Au travers de la marche, se sentir vivant. Ressentir ce désir profond de connecter son corps et son esprit. Assouvir cette envie à vérifier que chaque chose constituant le domaine soit à sa place. S’arrêtant ici ou là. Saluant les saisonniers, discutant avec eux suivant les saisons, soit de l’avancement du taillage des vignes, du sarclage, du sulfatage où décider des derniers guérets dits d’automne à effectuer avant l’hiver. Observant et prenant note des futurs travaux à prévoir pour les jours prochains. Ne manquant pas de rappeler aux ouvriers d’identifier les endroits où il faudra le printemps venu réaliser des marcottages.

Souvent, quittant volontairement le chemin pourtant établi, il marche dans les rangs de vigne ainsi au plus près il lui est plus facile d’observer et examiner leur état. À certains endroits précis du domaine, Monsieur Louis aime s’arrêter, embrasser d’un regard ses terres natales. Ce qui est toute sa vie. Au loin, à travers la frondaison des arbres, observer la structure imposante du manoir posée là, au milieu de cette nature luxuriante tel un diamant dans son écrin. À la vue de ce tableau enchanteur, il lui apparaît que tous les éléments ainsi disposés le rassurent. Il se dit que la nature fait bien les choses. À l’exemple des flèches vertes des séquoias dépassants le toit de tuiles orangées un peu grisées par le temps, les murs du manoir recouverts de chaux claire apportent la lumière et l’éclat à ce fabuleux décor. Observant du regard chaque fenêtre du logis évoquant des scènes de vie intérieure, il pense avec mélancolie à tous ceux qui, avant lui, ont animé ces lieux et à tous ceux qui lui survivront après sa mort. Les pensées pour son fils lui parviennent à l’esprit. Il ne peut s’empêcher de rêver d’une belle et longue vie au domaine. Reprenant sa marche sur les chemins, il foule le passé dans le champ de ses souvenirs.

Monsieur Louis prend soin d’aménager ses promenades afin de faire coïncider son retour au domaine vers 11 heures. C’est l’heure du passage du facteur. À chaque jour qui passe, Adèle attend avec impatience et émotion le retour de Monsieur Louis. Il lui déposera le courrier du jour à traiter concernant le domaine et peut-être une lettre de son homme, soldat au front. Elle appelle de ses vœux des bonnes nouvelles de là-bas, de l’homme qu’elle aime, dont elle porte l’amour sincère dans tout son être.

Charles, le fils unique du domaine, fut mobilisé le jeudi 13 août 1914, autant dire quelques jours après son mariage avec Adèle. Avant son enrôlement, se conformant aux habitudes il avait pu participer et échanger quelques journées de battage avec les jeunes métayers des environs. La saison était là. Depuis ces deux années de guerre passée au front, il est revenu en permission à deux reprises pendant une quinzaine de jours au domaine. Blafard, fatigué et amaigri, Charles évite de se confier sur les horreurs de la guerre. À quoi bon évoquer la fureur des combats ? Les pluies incessantes d’obus et de mitraille. Le temps d’un instant, tenter de chasser de son esprit ses visions effroyables des corps mutilés, oublier les cris des agonisants. À quoi bon évoquer les drames et déchirements à perdre ses compagnons d’armes, comment lutter face au désespoir ? À quoi bon évoquer la vie gangrenée dans les boyaux des tranchées, où selon les saisons la puanteur de la poudre et du sang, se mêle à la terre ou à la boue. À vouloir décrire parfaitement la vision de ses horreurs, ne resterait-il pas impuissant à trouver les mots justes ? Même s’il le voulait il ne pourrait pas en parler, un jour peut-être s’il en revient vivant.

Dans le confort douillet de la grande bâtisse en pierre, durant ces jours de réconfort, il veut tenter d’oublier et reprendre goût à la Vie. Profiter pleinement de ces moments en compagnie des gens qu’il aime. Avec Adèle, ils s’aménagent de longues marches à travers le domaine, en amoureux, cheminant d’un même pas. Tous ces épisodes sont consacrés à échanger sur leurs émotions intimes, rêver à une vie nouvelle, envisager un futur qui semble une fois la guerre terminée tout tracé. En ces minutes qu’ils s’évertuent à faire durer, seuls au monde, plus rien autour d’eux n’existe. Profitant l’un de l’autre, enfin réunis, ils se racontent les bons évènements vécus, c’est leur manière à eux de retenir le temps qui passe.

***

… En ce mardi 23 juin 1914, l’insouciance est de mise. Pourtant, d’ici quelques jours, les évènements politiques vont se précipiter et iront jusqu’à la déclaration de guerre. Personne ne peut envisager les horreurs qui vont se dérouler pendant cette longue période qui va s’ouvrir, et dureront plusieurs années. Les occupants du manoir ne seront pas épargnés.

De bon matin, un valet, aidé d’un saisonnier du domaine, a préchauffé le four à pain qui accueillera la kyrielle des plats à rôtir. Maintenant, ils se pressent à installer tables et tréteaux sous la rangée de marronniers séculaires et l’imposant tilleul. À plusieurs reprises, ils s’assurent du nombre de places possibles réservées aux convives autour de la lignée de tables déjà installées. Ils ne manqueront pas d’accrocher quelques lampions pour la soirée qui promet d’être douce. Depuis plusieurs jours, l’été semble bien campé. Les journées sont chaudes mais procurent des matinées et des soirées agréables entrecoupées de nuits fraîches et étoilées. À l’ombre des majestueux marronniers et du tilleul séculaire odorant, la chaleur sera plus supportable pour tous les invités. Puis, le soir venu, chacun profitera de la douceur de l’instant.

Depuis trois jours, l’agitation est palpable au manoir. Soixante-dix personnes sont attendues à l’occasion du mariage de Charles et Adèle, sans prendre en compte les ouvriers saisonniers, les voisins et quelques fermiers des environs. Tous les occupants du manoir, la famille Nantaise d’Adèle, les tantes parisiennes de Charles et leurs maris, ses cousins et cousines. Maître Devouge notaire et son épouse seront là. Charles-Henry médecin de famille et Hubert l’avocat tous amis de Monsieur et Madame Louis. Quelques notables des communes voisines puis deux couples d’amis de Charles et Adèle, rencontrés à l’université. Monsieur le curé aussi sera de la fête, Marthe y tient beaucoup elle l’a invité personnellement.