L'Os De Dragon - Ines Johnson - E-Book

L'Os De Dragon E-Book

Ines Johnson

0,0
4,99 €

-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Ce n’est pas parce que j’assure en débardeur et queue de cheval tout en collectant d’anciens vestiges qu’il faut m’appeler Lara Croft. J’ai connu le gars qui a bâti les pyramides… au sens biblique du terme.
Embarquez-vous dans cette urban fantasy sexy pleine de frissons et d’aventures, de rebondissements et de mystères historiques, sans oublier une romance palpitante, dans cet univers où Tomb Raider croise Indiana Jones – et ils sont immortels !

Ce n’est pas parce que j’assure en débardeur et queue-de-cheval tout en collectant d’anciens artéfacts qu’il faut m’appeler Lara Croft. J’ai connu le gars qui a bâti les pyramides… au sens biblique du terme.

Archéologue, fashionista et Immortelle sans âge avec un sérieux problème de mémoire, le Dr Nia Rivers a passé les quelques derniers siècles à combler les lacunes de son passé, tout en échappant à de sombres assassins et en dérobant quelques rares instants seule-à-seul avec Zane, son amant Immortel.
Mais quand un vestige vieux de deux mille ans et issu du passé de Nia refait surface, elle n’est plus très sûre de vouloir partager l’histoire qui s'y rattache avec le monde entier. Le fait que Tres Mohandis, autre Immortel et grand rival de Nia, soit déterminé à condamner le site et à développer un projet immobilier par-dessus avant que Nia ne puisse mettre ce vestige au jour suggère qu’une sombre histoire s'y cache. Pire, Nia commence à se rendre compte qu’elle ne déteste pas autant le taciturne promoteur immobilier milliardaire que dans ses souvenirs. Laisser Tres faire ce qu’il veut est probablement ce qu’il y a de mieux pour Nia, particulièrement quand la vérité concerne un crime horrible de son passé – crime dont tout indique qu’elle en serait l’auteur. Mais est-ce que toutes les histoires ne méritent pas d’être racontées ? Même les plus laides. Même si elles prouvent que Nia n’est pas du tout celle qu’elle pensait être.

Embarquez-vous dans cette urban fantasy sexy, pleine de frissons et d’aventures, de rebondissements et de mystères historiques, sans oublier une romance palpitante, dans cet univers où Tomb Raider croise Indiana Jones – et ils sont immortels !

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 331

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


L`OS DE DRAGON

LES AVENTURES DE NIA RIVERS

INES JOHNSON

Traduction parSABINE INGRAO

Titre original : Dragon Bones

Cet ouvrage est une œuvre de fiction. Tous les personnages, les lieux et les incidents décrits dans cette publication sont soit fictifs soit utilisés de manière fictive.

Aucune partie de cet ouvrage ne peut être reproduite ou transmise sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit sans l’autorisation expresse d’un revendeur agréé ou la permission écrite de l’auteur.

Copyright © 2017, 2020, Ines Johnson.

Tous droits réservés.

Couverture par Dark Queen Designs

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Ingrao

TABLE DES MATIÈRES

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

CHAPITREUN

La boue était une chose étrange. Elle reprenait possession des morts pour cultiver de nouvelles vies. Elle ensevelissait les sombres secrets qui, plus tard, feraient jaillir des vérités longtemps enfouies. Elle enterrait le banal et le transformait en vestiges que les vivants considéreraient comme des trésors.

Elle avait aussi la fâcheuse habitude de laisser des tâches indélébiles sur les tissus luxueux.

Quelle que soit la légèreté avec laquelle je me déplaçais sur le sol couvert de boue séchée de la forêt, de minuscules taches de terre parsemaient tout de même mon haut en lin. Oui, je savais parfaitement qu’il ne fallait pas porter de chemise en lin à 129 $ dans la jungle amazonienne. Mais ce voyage était totalement imprévu, et je n’avais pas eu le temps de refaire mes bagages pour la forêt tropicale. J’étais censée me détendre dans les bains de boue hors de prix d’un spa européen. Au lieu de cela, j’étais en plein cœur de la jungle du Honduras, où les soins à base de boue étaient gratuits.

Ma bottine s’enfonça jusqu’à la cheville dans une boue épaisse, d’un brun profond, et je proférai un juron en l’en retirant. La terre humide projeta des gouttes de la taille de mon pouce sur mon jean et mes avant-bras. Ma tenue tout entière était fichue.

Je gagnais ma vie dans des ruines comme celles-ci, tout autour du monde – en marchant dans la fournaise d’un désert à travers des paysages désolés, en pataugeant dans des marécages aux eaux troubles, et en escaladant des montagnes glacées. En tant qu’archéologue, j’adorais la façon dont je gagnais ma vie. Mais travailler en côtoyant la boue et la mort toute la journée suscitait de temps en temps, chez une femme, l’envie de choses belles et propres.

Malheureusement, mon arrivée au spa devrait être reportée de quelques jours au moins – davantage si je ne parvenais pas à arrêter la catastrophe imminente qui était sur le point de s’abattre sur mon site de fouilles actuel. Alors, je secouai autant de boue que possible de mes bottines, frottai les taches de terre sur mon pantalon, et prétendis que la chaleur hondurienne était celle d’un sauna et que la boue offrait à ma peau un soin cinq étoiles.

Évidemment, cette escapade imaginaire ne fonctionna pas vraiment. Mais elle m’aida à atteindre ma destination plus vite.

Quand j’arrivai enfin sur le site de fouilles, je vis le dessus des artéfacts pointant hors de la terre comme des légumes prêts à être récoltés. Ce travail avait été facile. Ces anciens trésors ne demandaient qu’à être découverts. Ils se dressaient hors de leurs tombeaux, agitant le drapeau blanc de la reddition au vu de tous.

Et c’était une partie du problème. Certaines personnes ne voulaient pas que ces trésors soient découverts. Certaines personnes préféreraient les voir à nouveau enfouis, ou même détruits. Pire, d’autres personnes voulaient les déterrer pour en tirer profit. Ce dernier problème me fit accélérer l’allure, mais ce fut le premier problème qui m’arrêta net.

Je reculai de quelques pas lorsqu’un convoi militaire arriva sur le site. Un drapeau, affichant cinq étoiles turquoise sur un fond blanc entre deux bandes bleues, s’étalait fièrement sur les flancs de la jeep. Le drapeau du Honduras. Le peuple indigène de ce pays s’était vu retirer son indépendance, et son identité avait été remodelée par des conquérants venus d’une autre contrée.

Il avait fallu des siècles à ce peuple pour regagner son autonomie et réussir à faire à nouveau entendre sa propre voix. La puissance militaire devant moi indiquait que ce peuple n’avait aucune intention de voir le passé se répéter. Ce qui était ironique, puisque la nouvelle menace provenait du passé.

Nous nous trouvions dans ce qui avait été autrefois le cœur de la Ciudad Blanca, la Cité blanche, également connue sous le nom de Cité perdue du dieu singe. Une immense statue de singe y était couchée sur le flanc, de la terre recouvrant sa moitié inférieure. Comme si l’ancienne peuplade avait recouvert la statue de son idole d’une couverture avant d’abandonner la ville. Cette cité ensevelie contenait les vestiges d’une ancienne civilisation qui avait prospéré il y a plus de mille ans. Aujourd’hui, ces vestiges antiques en appelaient à nous pour faire à nouveau entendre la voix de ce peuple auprès des foules.

Avant que quelque chose puisse être emporté hors du site pour de plus amples observations, le terrain devait être expertisé, puis les vestiges authentifiés. C’était là que j’intervenais. Le terrain d’un site archéologique était expertisé quand un expert certifié – comme moi – y posait les yeux. Première étape terminée. Maintenant, place à la deuxième étape, plus complexe, qui consistait à authentifier les artéfacts. Mon rôle spécifique, en tant qu’experte en antiquités sur ce site de fouilles très rare, était de dater les découvertes et de prouver leur authenticité.

Le gouvernement du Honduras croyait – espérait – que la cité perdue n’était vieille que quelques centaines d’années. Bien sûr qu’ils l’espéraient. Ces hauts fonctionnaires étaient des descendants directs des Mayas. Le tourisme lié aux ruines mayas générait de gros profits. L’Histoire était souvent écrite par les vainqueurs. Si on découvrait qu’une civilisation plus avancée, ou plus ancienne, que celle des Mayas avait existé, ce serait un énorme problème.

Malheureusement pour le gouvernement, la terre ne mentait pas.

Ce que j’avais découvert était non seulement plus ancien que les Mayas, mais c’était également plus qu’un simple village. Ce site était vaste. D’après mon estimation, les quelques hectares déjà délimités n’étaient que le début. Les ruines visibles en surface étaient disposées en quelques pâtés de maisons d’un village qui semblait faire partie d’un réseau de villages.

Je marchai le long de la zone délimitée du site de fouilles, observant mes collègues s’atteler au travail méticuleux de déterrer le passé. Le professeur Aguilar, de la Coalition nationale des Antiquités du Honduras, brossait délicatement la terre recouvrant un artéfact en pierre noire pour révéler une sculpture qui ressemblait à une tête de jaguar sur un corps d’homme. Nous avions trouvé de nombreuses représentations semblables sur les vestiges déjà mis au jour – hommes-singes, hommes-araignées, hommes-oiseaux.

Les yeux du professeur Aguilar s’écarquillèrent de contentement. Une seconde plus tard, ils se voilaient d’inquiétude en apercevant les soldats en uniforme patrouillant sur le site. Les inscriptions sous la sculpture de l’homme-jaguar n’utilisaient pas les mêmes hiéroglyphes que les Indiens mayas, qui étaient la plus ancienne civilisation officiellement reconnue de ce pays. Cette sculpture était quelque chose de plus ancien, quelque chose d’antérieur à la gloire des Mayas, quelque chose qui pourrait redéfinir l’identité nationale de tout un pays – pays qui s’était battu vaillamment contre les conquistadors pour retrouver sa culture, ses terres et ses caractéristiques propres.

C’était quelque chose que je comprenais, ayant récemment discuté de cela avec deux de mes meilleures amies qui se trouvaient justement être des femmes-jaguars. Heureusement, elles n’avaient pas entendu parler de ces fouilles ou notre prochaine soirée entre filles serait foutue. Je devais empêcher ça.

Aguilar pinça les lèvres en une légère grimace quand il leva les yeux vers les forces armées qui envahissaient ce site culturel. Un soldat s’approcha. Aguilar hésita, mais, finalement, il lui tendit l’artéfact. Le fonctionnaire recouvrit le vestige d’un tissu et s’en alla.

Le regard d’Aguilar croisa le mien et il secoua légèrement la tête. Je savais qu’il partageait mes inquiétudes. Ce site était une découverte spectaculaire. Une découverte qui devrait être partagée avec le monde entier, pas écartée et réduite au silence comme un membre gênant et indésirable de la famille.

Alors que l’équipe archéologique mettait les trouvailles au jour, l’équipe des forces spéciales hondurienne les empaquetait et les chargeait à l’arrière de leur convoi. J’observais les soldats faire entrer les artéfacts dans un camion. Ils pouvaient essayer de camoufler la vérité, mais cette dissimulation ne tiendrait pas longtemps. Il avait fallu un millier d’années pour que cette histoire réapparaisse. Elle referait surface un jour. Le passé refaisait toujours surface.

Et peut-être plus tôt que prévu. Je regardai par-dessus mon épaule, me rappelant que les soldats n’étaient pas mon souci principal. Une menace encore plus grande s’annonçait. Je fis demi-tour et me dirigeai avec détermination vers le responsable.

— Lieutenant, appelai-je. Puis-je vous parler ?

Le lieutenant Alvarenga se tourna avec raideur dans son pantalon militaire. Ses sourcils relevés s’abaissèrent tandis que ses lèvres s’étiraient en un sourire propriétaire.

— Voilà notre petite Lara Croft.

J’essayai de ne pas m’offusquer de la comparaison, bien que cela ne me dérange pas d’être comparée à elle physiquement. Être comparée au personnage du jeu vidéo ou à l’héroïne de film incarnée par Angelina Jolie était un compliment, même si on était loin de la copie parfaite. Mes longs cheveux noirs, épais, étaient attachés en une rapide queue-de-cheval, pas en une unique longue tresse, et j’avais de grands yeux semblables à ceux d’un chat, avec une forme prononcée qui indiquait un héritage asiatique. J’étais dotée d’un nez majestueux qui laissait deviner de lointains ancêtres gaulois. Mes lèvres étaient pleines et pulpeuses, révélant des influences africaines. Mon teint de peau mat me plaçait quelque part entre le nord de l’Afrique et le sud de l’Espagne. Et, oui, j’étais carrément canon en pantalon moulant, avec un débardeur et une paire de bottines à tige montante.

Mais c’était là que s’arrêtait la comparaison entre le personnage de fiction et moi. Croft pillait des tombeaux et dérobait des artéfacts. Moi, au contraire, je découvrais ce qui avait été perdu, puis je partageais mes trouvailles avec le monde entier. D’un point de vue moral, nous ne pouvions pas être plus différentes.

— Vous ne m’avez jamais précisé, Nia, dit le lieutenant en envahissant mon espace personnel. C’est madame ou mademoiselle ?

— C’est docteur, dis-je en lui tenant tête. Docteur Nia Rivers.

Alvarenga avait bien trente centimètres de plus que moi, mais je n’étais pas facilement impressionnable. Malheureusement, il semblait être du genre à aimer ça.

— Je suis encore émerveillé par la vitesse avec laquelle vous êtes arrivée sur le site, dit-il avec les yeux plissés et un sourire factice. Et seulement quelques jours après qu’un ordre officiel m’ait envoyé ici avec mes troupes.

J’ouvris de grand les yeux, feignant l’innocence.

— L’IAC m’a envoyée pour s’assurer qu’il n’y aurait aucun dégât causé à un site historique potentiel.

Ce n’était pas tout à fait vrai. L’IAC - la Coalition internationale pour les Antiquités – pour qui je travaillais souvent en freelance ne m’avait pas envoyée. J’avais attiré leur attention sur le site après que j’aie eu vent de son existence via un site du darknet fréquenté par les chasseurs de fortunes et de trésors – les pilleurs de tombes. J’avais dit à l’IAC que j’étais en chemin et ils s’étaient simplement occupés de la paperasse pour officialiser mon arrivée.

— Bien sûr, dit le lieutenant avec un ricanement hypocrite. C’est un gaspillage de ressources de déterrer les huttes de terre de sauvages préhistoriques. Ils mangeaient probablement leur progéniture comme les animaux de la forêt. Mieux vaut laisser le passé enfoui sous terre.

Hier, nous avions mis au jour un autel sacrificiel au centre de la place du village. Toutes les cultures pratiquaient des sacrifices, que ce soit des sacrifices d’animaux, le jeûne, ou même des sacrifices humains. Cette pratique d’abandonner quelque chose auquel on tenait se perpétuait encore de nos jours quand un père se privait pour son enfant, quand une épouse plaçait les besoins de son mari avant les siens, ou quand un employé subalterne mettait sa fierté de côté pour grimper les échelons vers la réussite. Le principe même du sacrifice était d’abandonner quelque chose auquel on tenait pour la bonne cause. En un sens, j’imaginais que la tentative du gouvernement de cacher ces vestiges pour protéger l’identité culturelle actuelle du pays était un sacrifice. Néanmoins, ça ne voulait pas dire que c’était juste.

— L’IAC m’a envoyée pour expertiser le site de fouilles et authentifier les découvertes, en respectant l’Accord international pour les Antiquités. Ils estiment que ce site a une signification historique dont toute l’Humanité pourrait bénéficier.

Le lieutenant releva à nouveau un sourcil, comme s’il ne me croyait pas. Nom d’un chien, il était plus malin que je ne le pensais. Mais je n’avais ni le temps ni l’envie de lui accorder le moindre crédit alors que, sur le site de fouilles, ses hommes étaient en train de dépouiller une autre civilisation de tout le sien.

— Mon pays n’a besoin de l’accord de personne pour fouiller sur son propre territoire, dit-il.

— Non, mais vous aurez besoin d’aide pour retrouver tout ce qui sera pillé et emporté dans un autre pays. Je crois que la localisation du site a fuité en ligne.

J’en arrivais enfin à la raison pour laquelle j’avais couru depuis le téléphone satellite, d’où j’étais en train de relever mes emails sous ma tente, jusqu’au site de fouilles. Je ne m’étais pas connectée depuis mon arrivée ici. Quand j’avais ouvert mon compte, il y a vingt minutes, j’y avais trouvé une alerte signalant un accroissement de l’activité sur le site du darknet qui m’avait menée jusqu’ici.

— Ne dites pas de bêtises, répliqua le lieutenant. Même si la localisation avait fuité, mes hommes surveillent toute la zone.

— Mais il y a énormément de terrain à couvrir, insistai-je. Peut-être que si vous n’écartiez pas autant vos hommes les uns des autres, et que vous les rameniez plus près du site lui-même–

— Mademoiselle Rivers, je sais que les Américains laissent leurs femmes exprimer leurs opinions, mais vous êtes dans mon pays, au milieu d’une jungle, en train de parler à un militaire haut gradé. Donner des ordres n’est peut-être pas le meilleur usage que vous puissiez faire de cette liberté d’expression.

J’étais douée pour prendre l’accent américain, mais je n’étais pas Américaine. Et, oui, c’était là-dessus que je choisissais de me focaliser plutôt que sur ses commentaires misogynes. Je le côtoyais depuis de trop nombreux jours pour accorder la moindre attention à cette nouvelle variation de son disque rayé. Il y avait des choses plus importantes en jeu.

— Le seul endroit où iront ces détritus, c’est dans une chambre forte du gouvernement, dit-il en regardant autour de lui d’un air dégoûté.

— Vous voulez dire une chambre forte de la Coalition nationale pour les Antiquités du Honduras ? demandai-je en injectant une note de douceur à ma voix.

J’avais côtoyé trop d’hommes et de femmes comme lui – des gens qui s’intéressaient davantage à la protection de leurs intérêts qu’aux progrès de l’Humanité – pour laisser passer ça. Le gouvernement du Honduras n’avait aucune intention de laisser filtrer l’information avant d’avoir trouvé comment la faire jouer en sa faveur. Et quand il aurait trouvé, la vérité sur cette civilisation disparue serait falsifiée, diluée, conquise et colonisée jusqu’à ce qu’elle corresponde parfaitement à l’identité nationale actuellement en place.

Au vainqueur, le butin, comme disait la maxime. Malheureusement pour le gouvernement, j’avais pleinement l’intention d’être le vainqueur aujourd’hui.

— Une fois que nos experts auront authentifié les… vestiges, nous déciderons de ce qui sera partagé en dehors de nos frontières, dit le lieutenant avec une note condescendante dans la voix. Ne préoccupez pas votre jolie petite tête avec des pillards. Vous êtes parfaitement protégée, ici.

Il avait tort. J’étais entrée.

Ses mots étaient des menaces, malgré sa tentative pour me « tranquilliser ». Je savais que j’aurais dû me montrer craintive – mon absence de peur ne ferait que l’exciter, le pousser à me défier davantage. Mais j’étais trop fatiguée et de trop mauvaise humeur à cause de mes vêtements ruinés pour faire semblant qu’il m’avait intimidée.

— Peu importe, dis-je finalement avec un haussement d’épaules. J’ai peut-être tort.

Je savais que ce n’était pas le cas.

Le lieutenant Alvarenga hocha sagement la tête.

— Si vous êtes inquiète pour votre sécurité, vous pouvez toujours passer par ma tente à la nuit tombée.

— Tentant.

Mon ton était narquois, mais la lueur dans ses yeux me dit qu’il n’avait pas perçu mon dédain. Si je devais me vautrer dans la fange, je voulais au moins déterrer quelque chose qui en valait la peine.

Je tournai les talons et me dirigeai vers ma tente, sentant son regard sur mes fesses. Ce n’était pas grave. C’était la dernière fois qu’il les voyait.

CHAPITREDEUX

La nuit était bruyante. Des mammifères, des reptiles et des insectes s’éveillèrent mutuellement en bâillant, puis ils commencèrent leurs rituels. Les crickets frottaient leurs cuisses l’une contre l’autre pour annoncer leur disponibilité. Les oiseaux battaient des ailes en chantant leurs sérénades. Les singes hurleurs méritaient leur surnom et criaient en s’interpellant à travers les branches.

Sous cette activité nocturne, un fourmilier croisa mon chemin, s’arrêta à l’endroit où je m’étais accroupie pour me cacher, et se retourna pour me dévisager. Il lécha la boue de mes bottines, mais, n’y trouvant aucune fourmi, il continua sa route. Ce ne fut pas ma seule rencontre. Les animaux de cette forêt luxuriante n’avaient vu aucun humain depuis un millénaire. Ils avaient oublié d’en avoir peur.

Je grimpai sur le tronc d’arbre pour éviter d’attirer l’attention d’autres animaux déambulant sur le sol, et pour avoir un meilleur point de vue. Un paresseux passa en se balançant et grimpa sur une branche, à côté de moi. Ses pattes avant et arrière s’y accrochaient et il me regardait la tête en bas. Nous nous dévisageâmes pendant quelques instants. Je détournai les yeux la première et pouffai devant l’expression sérieuse de son visage lisse.

Le craquement d’une branche qui se brisa dans le lointain ramena mon attention sur la tâche qui m’occupait. Tournant la tête, je sursautai à la vue de deux des soldats du lieutenant. Je les avais vus au campement. Apparemment, le lieutenant avait tenu compte de mon avertissement. Malheureusement pour lui, il était déjà trop tard.

Les soldats gardaient les yeux sur l’horizon, leurs regards dirigés vers l’endroit où le soleil s’était couché. Quelque chose me dit de regarder en l’air, vers la nouvelle lune. Je vis les pillards, alors. Le cœur battant, j’en comptai trois se déplaçant dans le feuillage au-dessus de moi.

Nom d’un chien.

Je savais qu’ils viendraient, mais j’avais espéré que ce ne serait pas si tôt. Ils se déplaçaient comme des spectres dans la canopée de la forêt amazonienne, assez silencieux pour que les bruits qu’ils faisaient se confondent avec ceux des autres animaux se balançant de branche en branche. Si je n’avais pas eu cette intuition, je ne les aurais jamais remarqués.

Me tenant aux aguets, je restai aussi silencieuse et immobile que possible pour les observer. Deux des pillards étaient du coin. Je le vis à la façon dont ils se déplaçaient avec légèreté dans le noir. Le troisième, le meneur, était un étranger. C’était probablement un jeune homme initié à l’art new-age du parkour. Mais les branches d’arbre n’étaient pas des toits plats ou des rampes de béton, et il accusait du retard. Il ne fallut pas longtemps avant qu’il glisse. La branche en dessous de lui, trop fine pour soutenir son poids, craqua.

J’observai, le souffle court, l’homme saisir le tronc de l’arbre. À plusieurs mètres de distance, je vis ses doigts blanchir tandis qu’il s’y cramponnait de toutes ses forces. Ses lèvres remuèrent rapidement, priant probablement le dieu auquel il croyait pour que personne ne le voie. Ou, s’il était malin, pour qu’il ne tombe pas.

La branche se brisa d’un coup sec. La cassure était nette. L’épais morceau d’écorce effectua un demi-tour, de haut en bas, lors de sa descente. De jeunes feuilles furent arrachées de leurs brindilles pendant la chute de la branche.

Mais ce fut la seule chose qui tomba. L’homme avait réussi à enrouler ses jambes autour d’une autre branche et se tenait maintenant à l’arbre par le bout des doigts et les pieds croisés aux chevilles. Un peu comme mon ami le paresseux.

La branche tombée heurta le sol avec un grand bruit sourd, et l’un des soldats fut instantanément alerté. Il regarda à gauche et à droite. Heureusement pour le parkouriste, il ne regarda pas vers le haut.

Le soldat continua à jeter des coups d’œil aux alentours pendant une minute supplémentaire, puis fit demi-tour et partit d’un pas décidé. Sa démarche excessivement bruyante écarta les animaux de son chemin, laissant le champ libre aux pilleurs nocturnes. Les grimpeurs sylvestres tirèrent des cordes aussi épaisses que des anacondas et commencèrent à descendre silencieusement en rappel vers le sol. Quand ils arrivèrent en bas, ils se faufilèrent vers le site de fouilles.

Je me redressai de ma position accroupie dans les arbres et dis adieu au paresseux qui me dévisageait avant de faire le saut de l’ange directement depuis la branche. Le vent siffla à mes oreilles durant la descente tandis que j’effectuai un double saut périlleux, puis j’atterris sans un bruit et d’un pied assuré sur le sol humide de la forêt tropicale. Mais mon atterrissage silencieux ne me fut pas d’une grande utilité.

En me relevant, je me retrouvai face à face avec un des soldats. Je sentis mon cœur bondir dans ma gorge. Les yeux du soldat s’écarquillèrent immédiatement de terreur. La sueur qui apparut sur ses tempes ne devait rien à la moiteur quasi permanente.

— El espíritu, murmura-t-il en titubant en arrière. El espíritu !

Son cri de frayeur résonna à travers les arbres, et je soupirai. Ma couverture était foutue. J’avais échangé mon jean et ma chemise en lin pour une tunique foncée qui me recouvrait les jambes et le torse. Le couvre-chef qui masquait mon visage suffisait largement à dissimuler mon identité. Avec l’ornement décorant la lanière de la machette qui pendait à mon épaule, j’imagine que je ressemblais à une déesse maya vengeresse.

Le second soldat arriva en courant dans la clairière, arme déjà au poing. Il s’arrêta net en me voyant. Un peu plus loin, le pilleur et ses acolytes firent une pause pour observer ce qui se passait.

— Je ne ferais pas ça–, commençai-je tandis que le soldat levait son arme tremblante vers moi.

Mais il n’écouta pas.

Il pressa deux fois sur la détente, un tir s’égarant au loin, l’autre se dirigeant droit vers moi malgré son horrible façon de viser. Je le déviai facilement avec ma lame, mais son troisième tir fut plus stable. Il toucha la lanière de cuir de l’étui de mon épée ; la lanière se déchira en deux, et mon sac tomba au sol.

Une bouffée de colère me traversa, et j’aspirai une goulée d’air en brossant les bouts de métal résiduels du haut de ma tunique. La terre, je pouvais la laver. Mais le tissu déchiré à l’endroit où la balle avait rebondi contre ma peau était autre chose. Le soldat tenta de presser encore une fois la détente, mais je fus sur lui en moins d’une seconde. Mes doigts s’enfoncèrent dans son cou lorsque je le soulevai du sol sans effort.

Serrant les dents, je le frappai contre le tronc d’arbre. Sa tête heurta l’écorce avec un tonk satisfaisant et ses yeux se révulsèrent tandis qu’il perdait immédiatement connaissance. Retroussant les lèvres, je le relâchai. Il s’affala au sol comme un pantin désarticulé, son arme pendant inutilement à ses côtés.

Mais au moins, il vivrait.

Je me tournai vers le second soldat, mais il s’était déjà enfoui, trébuchant dans les buissons dans sa précipitation. Deux des pilleurs étaient sur ses talons, filant à travers les arbres comme si leur vie en dépendait. Mais le parkouriste avait continué pendant que j’avais été distraite. Je le vis courir vers les ruines à travers la clairière.

Je soupirai et me dirigeai dans sa direction sans trop me presser. Même si nous étions à découvert, il n’y avait qu’un seul chemin pour entrer et sortir de la zone, et il courait droit vers la porte de sortie. Je n’étais pas du genre à ricaner, pendant un film d’horreur, quand le méchant ou le monstre partait à la poursuite de la demoiselle en détresse, ou du gars un peu stupide et maladroit, qui s’encouraient, affolés. Ils fonçaient toujours droit dans le piège.

Mais ensuite, j’entendis un bruit de chute et le fracas d’un savoir millénaire brisé en mille morceaux. Le pilleur, qui avait trébuché sur une zone soigneusement délimitée et interdite d’accès du site de fouilles, se relevait de sa gamelle monumentale.

Sérieusement ? J’avais vu des rhinocéros avoir plus de légèreté que ce mec. Mon cœur se changea en pierre en apercevant les restes d’un vase brisé dans la poussière. Je fonçai sur le pilleur, mes jambes puissantes parcourant le terrain bien plus vite qu’un sprinteur humain ne le pourrait. En fait, j’avais même battu des guépards à la course, une fois. Je fus sur le pilleur avant même qu’il ait pu reprendre son souffle.

Je l’attrapai d’une main, puis le lançai sur une portion d’herbe non délimitée. Il atterrit avec un bruit sourd plus fort encore que celui de la branche qu’il avait cassée. Le temps qu’il batte des paupières pour rouvrir les yeux, mon pied était sur sa poitrine.

— Vous avez la moindre idée de la valeur de ce que vous venez de détruire ? demandai-je.

Il bredouilla, les yeux exorbités, et je compris qu’il voyait en moi le même esprit vengeur que les autres.

— Les connaissances que nous aurions pu tirer de ce vase intact auraient rempli un livre entier. Auraient rempli, ajoutai-je d’une voix rageuse, si vous ne l’aviez pas détruit de vos pieds maladroits.

Je soulageai un peu la pression sur sa gorge pour qu’il puisse gémir et supplier. Mais il se contenta de me dévisager avec une confusion muette. Je m’apprêtais à lui aboyer dessus à nouveau, mais je pris soudain conscience que je lui avais parlé dans ma langue maternelle, qui était plus ancienne que l’anglais ou l’espagnol. Plus ancienne que le latin, l’hébreu, ou toute autre langue encore parlée de nos jours.

— Q-Qui êtes-vous ? bredouilla-t-il.

La façon dont sa lèvre inférieure tremblait le faisait ressembler à un enfant. Malheureusement pour lui, mon taux de sympathie était plutôt bas. J’en ressentais davantage pour le vase brisé que pour ce gamin turbulent.

— V-Vous êtes vraiment un esprit vengeur ? Oh, mon Dieu.

Il se couvrit le visage de ses mains tremblantes.

Une odeur d’urine envahit l’air, et je lui fis une moue dégoûtée.

Il retira les mains de son visage.

— C’est votre tombeau, n’est-ce pas ? Et maintenant vous allez me jeter un sort pour avoir essayé de voler vos trésors !

— Voilà, dis-je avec ironie en reculant légèrement. On n’a qu’à dire ça.

Je pris un instant pour étudier cet homme-enfant qui, Dieu sait comment, avait eu assez de couilles pour essayer de piller ce site archéologique. Il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Il avait probablement regardé Indiana Jones étant enfant et joué à Assassin’s Creed à l’adolescence. C’était vraisemblablement un accro à l’adrénaline cherchant à se faire un peu d’argent vite gagné.

Une idée jaillit dans mon esprit, et mes lèvres s’étirèrent en un sourire malicieux. Je pouvais utiliser ce type à mon avantage.

— La malédiction est sur vous, dis-je en instillant dans ma voix un accent ibérique en dépit du fait que les gens ayant vécu ici mille ans auparavant n’avaient jamais rencontré d’Espagnols. Si vous voulez rompre la malédiction et rentrer dans mes bonnes grâces, vous ferez ce que je vous dis… ou votre famille mourra.

— D’accord, acquiesça-t-il immédiatement avec un mélange de peur et d’empressement dans la voix. Je comprends.

Je reculai et le laissai se relever. Il se redressa sur des jambes tremblantes. Ses mains couvrirent la tâche mouillée de son pantalon cargo.

— Mon peuple est resté longtemps caché, entonnai-je d’une voix grave et antique. Il est grand temps que le monde apprenne à nous connaître. Vous serez celui qui leur racontera. Suivez-moi.

Je tournai les talons sans un mot de plus. Il se précipita à ma suite comme un chiot enthousiaste, mais je sentis qu’il faisait attention à ne plus écraser d’autres vestiges.

Je le conduisis plus loin à l’intérieur du tombeau, jusqu’à l’artéfact qui avait attiré mon regard quand j’étais venue ici. C’était une tablette en argile dont les inscriptions gravées étaient antérieures à l’écriture maya. J’avais déjà commencé à les traduire. Cette tablette racontait une histoire bien différente de celle que les Mayas et leurs descendants racontaient.

D’après les inscriptions, ces deux cultures s’étaient rencontrées. Les Mayas avaient appris beaucoup de cette civilisation plus ancienne, plus éduquée. Je savais que si je laissais la tablette ici, le gouvernement du Honduras s’en emparerait et l’enfouirait pour que leur vilain petit secret ne réapparaisse jamais. Mais je ne pouvais pas les laisser faire. Cette tablette était plus importante que leur besoin de touristes. Elle contenait des indices sur les raisons pour lesquelles cette civilisation avait disparu. C’était probablement parce que ce peuple s’était détourné de ses dieux, ce qui était une raison courante.

Doucement, je soulevai la tablette de son perchoir. Après l’avoir enveloppée dans un tissu pour la protéger, je la tendis à mon messager avec une carte de visite.

— Portez mon histoire à cette adresse, dis-je. Et faites-y très attention.

Le pillard prit la tablette et la serra dans ses bras. Il fourra la carte de visite dans sa poche. S’il se demanda comment une déesse millénaire se trouvait en possession d’une carte de visite avec une adresse à Washington D.C., il n’en fit pas mention.

Le regardant droit dans les yeux, je l’avertis.

— Si vous me trahissez, je vous retrouverai.

Je reculai d’un pas, et il déglutit lorsque je lui tapotai la joue.

— Soyez prudent, dis-je doucement. La prochaine fois que vous prévoyez de piller une tombe, le dieu que vous y trouverez pourrait bien ne pas se montrer aussi clément.

Acquiesçant, il partit comme une fusée. En le regardant sortir de la tombe à toute vitesse, je priai pour qu’il soit plus doué pour s’échapper que pour entrer par effraction.

CHAPITRETROIS

— Quand la plupart des gens pensent à l’archéologie, ils pensent aux fossiles et aux momies. Ils imaginent de grands reptiles enterrés dans le sol. Ils imaginent de hauts dirigeants enfouis sous le sable dans des palaces triangulaires. En tant qu’archéologues, ce que nous faisons est bien plus important que ça.

Je me tenais devant une foule de cinquante professeurs, professionnels et étudiants, dans l’amphithéâtre du Musée national des Amérindiens de la Smithsonian Institution de Washington. Croyez-le ou non, une foule de cinquante personnes était l’équivalent d’un stade de football, dans mon domaine. Les nombreuses lunettes à double foyer présentes dans la foule reflétaient le vif éclairage au néon. Les stylos appartenant aux plus âgés s’agitaient furieusement sur des blocs-notes. Les doigts agiles des plus jeunes volaient sur des claviers et des appareils servant à capturer mes perles de savoir.

— Nous ne nous contentons pas de mettre au jour les reliques du passé, nous mettons au jour des idées. Nous pensons être novateurs, pour ensuite nous rendre compte que cela a déjà été fait auparavant.

Une plateforme surélevée se trouvait à côté de mon pupitre de conférence. Je retirai le drap la recouvrant pour dévoiler la tablette que le parkouriste avait personnellement livrée à un de mes collègues au Smithsonian. Le jeune homme s’était arrangé pour la livrer sans la moindre égratignure et sans même alerter la douane.

Le gouvernement du Honduras n’avait pas été ravi, mais j’avais prévenu le lieutenant Alvarenga au sujet des pilleurs. Cela dit, il n’était plus lieutenant. Laisser échapper des informations indéniables sur une civilisation aussi ancienne lui avait coûté son rang. À présent, le monde entier connaissait l’existence d’une culture antérieure aux Mayas. L’histoire de ce peuple disparu allait enfin être racontée.

— Les livres d’Histoire sont écrits par les vainqueurs, continuai-je. Mais les vainqueurs mentent parfois. Il est important de ne pas seulement mettre au jour les pharaons, mais aussi les serviteurs des pharaons. Quand vous irez creuser sur le terrain, recherchez les marginaux, les minorités et les personnes sous-représentées. Donnez-leur la parole. Leurs histoires comptent. Toutes les histoires doivent être racontées, même les plus laides – surtout les plus laides.

Les applaudissements d’une poignée de membres du public auraient aussi bien pu être les acclamations d’un concert de rock. Je n’étais pas souvent reconnue pour le travail que je faisais ; je préférais l’ombre et le couvert de la nuit pour mener mes croisades à la découverte des morts. Mais cette histoire longtemps enterrée devait être racontée, et j’étais le seul être vivant en position de le faire.

Je descendis de l’estrade et répondis à quelques questions, refusant poliment les selfies avec des excuses allant de la nécessité de garder mon identité secrète afin de pouvoir participer à des fouilles discrètes – vrai – jusqu’à la photokératite – faux, mais amusant à prononcer.

Une notification sur mon téléphone me sortit d’un débat à sens unique avec un grand type en costume de tweed. Je voyais bien à ses inhalations incessantes et au fait qu’il se massait l’arrière du cou qu’il rassemblait son courage pour me demander mon numéro. Je m’amusais à essayer de deviner s’il allait m’inviter à prendre un verre ou m’inviter à co-signer un papier avec lui. Difficile à dire.

Dans tous les cas, la réponse aurait été non. Je ne voulais pas de la notoriété accompagnant la signature de mon nom sur un article publié. Et la raison pour laquelle je n’étais pas intéressée par un verre avec lui était en train de m’appeler sur mon téléphone en ce moment même.

Je tournai le dos, espérant que le jeune professeur comprendrait le message et arrêterait de rassembler davantage de son courage. Quand il continua à rester patiemment aux alentours, je me rapprochai de la fenêtre, puis quittai tout à fait le bâtiment.

Le réseau à l’intérieur du musée était loin d’être mauvais. Je captais parfaitement, mais le message prit tout de même du temps à s’afficher sur l’écran. Je sortis dans l’air frais de l’après-midi et attendis, réactualisant mon téléphone toutes les deux secondes.

Enfin, l’image apparut. Elle était floue et brouillée, mais je reconnus mon propre visage sur le tableau. Il y avait un camaïeu de rouges, du plus clair des roses au plus foncé des fuchsias. Au centre de la toile, il y avait une femme nue, allongée avec les bras au-dessus de la tête. Ses cuisses dévêtues étaient serrées l’une contre l’autre, et ses orteils se recroquevillaient comme si elle avait été assaillie par plus de plaisir qu’elle n’en pouvait supporter. Ses lèvres étaient entrouvertes en un sourire comblé. Elle avait un œil fermé et l’autre ouvert avec une étincelle en son centre. Il m’avait peinte exactement comme j’avais été la dernière fois qu’il m’avait vue.

Sous la photo, il y avait une bulle de texte. Il disait, C’est à ça que j’ai passé mon lubrifiant.

Je pouffai de rire et appuyai sur envoyer. Alors ton lundi se passe bien, j’imagine ? J’adore le roubignole.

Je n’avais pas tapé roubignole sur mon clavier, mais quand la notification « envoyé » apparut en dessous de la bulle de texte sur mon téléphone, je compris que le concombre automatique avait encore frappé.

Le correcteur automatique était une plaie permanente dans notre relation. Peu importe combien de fois chacun d’entre nous vérifiait ses mots, les messages étaient toujours un peu erronés et souvent bien plus érotiques que prévu. Le sexting avec lui était une comédie bourrée d’erreurs avec son puma et ma chaise faisant toutes sortes de choses salaces.

J’attendis patiemment la réponse. Elle arriva deux longues minutes plus tard.

Bon Vieux, le rouge est magnifique sur ta peau.

Il disait ça de toutes les couleurs. Mon amant, Zane, m’avait peinte dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Je préparai mon pouce pour un autre message quand l’écran de mon téléphone devint noir.

J’appuyai sur le bouton central, mais aucune réaction. Puis j’enfonçai le bouton de mise en marche en haut de l’appareil. Toujours rien.

Je poussai un juron silencieux, me préparant à jeter le téléphone en bas des marches. Mais je m’abstins. Je savais que le problème ne venait pas de l’appareil. J’essayai de ne pas le prendre trop à cœur. Je verrais Zane plus tard dans la soirée, après tout.

Je remis le téléphone en poche. Il se remettrait en marche quand il serait prêt. D’ici là, Zane serait plongé dans l’œuvre d’art sur laquelle il travaillait. Une fois qu’il était dans sa bulle, il n'accordait plus d'attention à rien en dehors de la création sous ses doigts.

Je le savais par expérience. Les détails de ce nu qui me représentait étaient élaborés et méticuleux – jusqu’aux légères taches de rousseur sur mes hautes pommettes. Heureusement, Zane m’avait donné du plaisir à en oublier tout, avant de prendre ses pinceaux pour en immortaliser les conséquences. Il n’était pas venu se coucher avant d’avoir terminé son œuvre. Zane était entièrement dévoué à son travail.

— Excusez-moi, Docteur Rivers ?

Ma main effleura la lame attachée au haut de ma cuisse. L’arme était dissimulée dans un compartiment cousu à la poche de mon pantalon de tailleur. Mon geste était un réflexe chaque fois que quelqu’un m’approchait par-derrière. J’avais été trop distraite par Zane pour faire attention à la femme qui arrivait.

Je savais que c’était une femme. Elle avait un accent africain. Les consonnes résonnaient, courtes et dures, sur sa langue comme si elle était Sud-Africaine. Mais elle avait ajouté une consonance plus douce à la fin de mon nom, allongeant la voyelle comme si elle avait du temps libre et qu’elle pouvait en profiter. Une Afrikaner, peut-être ?

— Vous êtes bien le Docteur Nia Rivers, experte en antiquités ?

Sa question était un défi. Je me retournai pour apercevoir la sœur, plus jeune et plus mignonne, de Charlize Theron. Sa peau pâle était très bronzée ; c’était un bronzage naturel, qui provenait du soleil et pas d’un banc solaire. Ses cheveux blonds étaient attachés dans le bas de son cou de cygne. Le froid regard bleu de la jeune femme me dévisagea de haut en bas en prenant ma mesure. Le mien fit de même, à la manière de deux lionnes dans la savane, de deux princesses convoitant la couronne, de deux pom-pom girls visant le sommet de la pyramide.

— Vous êtes une femme difficile à retrouver, dit-elle.

Non, j’étais une femme impossible à retrouver. Mes talents étaient recherchés, mais je ne donnais à mes clients qu’une estimation assez large de mon arrivée sur un site, jamais une date précise. Je préférais simplement apparaître sans avertissements, comme je l’avais fait au Honduras. Je n’aimais pas que les gens connaissent mon itinéraire quotidien.

Ma main effleura à nouveau la lame dissimulée sur ma cuisse. Les yeux de la jeune femme ne perdirent rien de mon geste. Ses sourcils maquillés s’arquèrent, mais elle garda les mains sur la poignée de son sac. J’évaluai celui-ci des yeux – un Gucci vintage. Joli.