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Nour est une enfant de la campagne qui a grandi sans l’amour de sa mère. Elle s’éduque seule en fantasmant sur les héros des romans et sur les femmes élégantes des catalogues de mode qui nourrissent ses rêves. Lassée d’une vie monotone, elle décide d’aller à Paris en espérant rencontrer son prince charmant et réveiller la star qui sommeille en elle. Pourtant, la jeune femme ne se doute pas des ennuis et des défis qu’elle affrontera. Entre sexe, passion et folie, elle devra faire face à des réalités impitoyables.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Dès l’âge de 13 ans,
Esther Forton trouve un plaisir sincère dans la lecture des ouvrages de Flaubert, Stendhal et Zola. Elle s’imprègne de leur univers livresque pendant de nombreuses années avant de se décider à écrire ses propres histoires. À travers ce premier roman, elle se dévoile en partageant ses craintes et ses espoirs.
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Seitenzahl: 885
Veröffentlichungsjahr: 2024
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EstherForton
Lacatinenherbe
Roman
©LysBleuÉditions–EstherForton
ISBN : 979-10-422-1866-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes2et3del’articleL.122-5,d’unepart,quelescopiesou reproductionsstrictementréservéesàl’usageprivéducopisteetnon destinéesàuneutilisationcollectiveet,d’autrepart,sousréservedu nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique,scientifiqueoud’information,toutereprésentationou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteuroudesesayantsdroitouayantscause,estillicite (articleL.122-4).Cettereprésentationoureproduction,parquelque procédéquecesoit,constitueraitdoncunecontrefaçonsanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Nour, jeune provinciale de dix-huit printemps, grandit auprès d’unemèrequin’enaqueladénominationetd’unpèreabsent.Enfant non désirée, elle s’élève seule, sans aucun repère entre le mal et les bonnes manières.
Cettesauvageonnemonteàlacapitale,àlarecherchedesondestin. Elle s’est tant oubliée dans les romans, il y a encore si peu de temps, qu’elleenrêveencore.Ellevoudraitunhommequil’aimeraitplusque tout, un qui comblerait ce grand vide en elle, un homme qui ferait d’elle sa muse, sa reine. Paris fait tant rêver que tout paraît possible là-bas.
Avecsonnaturel,sonfranc-parleretsaquêted’amour,cetterebelle qui s’ignore encore, goûte aux plaisirs qui s’offrent à elle, licites ou pas. Sans limite, elle s’étourdit dans la fête et brûle la chandelle par les deux bouts. Dans une de ses nuits sans frontière, elle croise le chemin d’un énigmatique brun au regard profondément bleu qui éveille en elle des sentiments jusque-là, inconnus d’elle.
Hypnotisée, fascinée, elle est comme une souris face à un crotale et malgré son allure mal dégrossie et sa chevelure en bataille, ce dernier détecte en elle un réel potentiel. Rapidement, il la prend en main, lui vendant un avenir meilleur.
Aprèslazoneetlamisère,illuijetteenpâtureleluxeetl’opulence. Lerêvedeviendrait-ilréalité?Griséedanssonnouveaucocondoré,ce bel et mystérieux amant tombé du ciel lui fait découvrir son monde, cemondequil’atantfaitrêverdansles polarsd’où elles’estoubliée. Mais la réalité dépasserait-elle le rêve ?
Entre amour et passion, cynisme et domination, Nour devenue Victoire va se perdre dans l’amoralisme jusqu’au jour où, peut-être, elle retrouvera la vue ?
Les oreilles de Nour bourdonnaient. Les insanités qu’elle venait d’essuyer de sa mère retentissaient encore dans sa tête. Malgré cela, le son du camion de Canard qui entrait dans la cour lui redonna un sursaut de vie. Sans plus un regard pour la vieille qui ricanait dans son dos, elle attrapa son baluchon, sortit en claquant la porte et sauta dans le véhicule.
Ça va, bébé ?
Bouge ! Bouge Canard
1
! On se casse !
OK, ça roule.
Le camion salvateur repartait, faisant crisser les pneus en envoyant valser des cailloux de chaque côté. Du coin de l’œil, Canard observait sa jeune amie reniflée bruyamment.
Dis-toi que c’est derrière toi tout ça. Ta vie commence.
Ouais, tu crois ?
Mais oui. Mais avant toute chose, prends ce mouchoir et mouche-toi avant d’en mettre partout dans mon beau camion rouge. Tu ressembles à un escargot tombé dans le sel.
Son sourire encore timide revenait. Son regard se perdait dans le paysage sans le voir. Les paroles de sa mère résonnaient encore dans sa tête.
À Paris ! Elle est bin bonne celle-là. Tu sais rien foutre de tes dix doigts. T’es bin comme ton fumier de père ! Fou-moi l’camp si c’est ça qu’tu veux. T’auras qu’à faire la pute !
Mais c’est qui mon père ?
Un bon à rien ! Dégage !
Nour n’avait jamais connu ce père qui lui avait tant manqué. Et si c’était un bon à rien, comme son ersatz de mère aimait le clamer haut et fort à qui voulait bien lui prêter une oreille, il n’était pas fou. À peine avait-on fêté la première année de sa fille qu’il s’était fait la malle. Des larmes silencieuses coulaient le long de son cou. À cause de cette daronne2 dénuée de sentiments, elle partait, elle qui adorait tant courir pieds nus dans les prés des journées entières, cheveux au vent, chaparder ici ou là des cerises, des prunes ou bien des pommes selon les saisons. Les fermiers du coin l’appelaient l’enfant sauvage lorsqu’elle était adolescente, c’était la fille de la foldingue. Mais l’enfant avait grandi, à présent elle attachait ses longs cheveux et portait des chaussures.
Canard ?
Oui ?
C’est comment Paris ?
Paris, dit-il pensif, c’est… différent d’ici, mais c’est sympa, tu vas voir.
Ouais, ça, c’est plutôt une réponse de Normand et toi t’es pas Normand. Et ta Nadia, elle est comment ?
Nadia ! C’est une grande Duduche poil de carotte. Je pense que vous allez bien vous entendre toutes les deux.
Ouais, j’espère.
Écoute Nour, tu tournes une page, alors laisse le passé se casser et en avant toute ! Tu n’as pas eu de chance avec ta daronne, OK c’est un fait, mais c’est derrière toi à présent, non ?
Mais qu’est-ce que j’vais bin pouvoir faire ?
Mais
tu vas vivre chérie ! Te faire de nouveaux amis, te trouver un mec, un job et roule ma poule !
Ouais c’est ça, roule ma poule, ronchonna-t-elle.
À force de palabrer, la môme reprenait du poil de la bête. Le temps passait et à son grand regret, la campagne disparaissait, laissant peu à peu sa place à une jungle urbaine qui emplissait son regard.
On est où ? C’est l’autoroute ? J’croyais qu’on l’avait quittée.
— Non, c’est le périphérique, dans cinq minutes nous serons à Paname, Porte de Clignancourt et c’est là que débute l’aventure, déclara-t-il.
Dubitative, la môme observait les véhicules surgir de partout. Sa crainte se mélangeait à son excitation.
Ça y est ma grande, nous sommes aux puces de Clignancourt.
Mais… c’est horrible tout ce monde qui court partout ! Et puis regarde ! Cette pollution qui flotte au-dessus des bagnoles ! Ça pue ton Paris !
L’horizon lui semblait bouché. L’air vicié enrobait les parigots. Elle étouffait. La population était si dense, les véhicules se succédaient les uns à la suite des autres.
Il y avait trop de bruit, trop de béton, pas assez d’oiseaux mais des pigeons qui se noyaient dans la masse et quelques papillons inexistants, sauf sur les parebrises des véhicules.
Septique, elle allait devoir apprendre à vivre dans ce qu’elle jugeait pour le moment être l’enfer.
Ne t’affole pas bébé, tout ça n’est qu’une question d’habitude. Dans une semaine, tu n’y prêteras plus attention. Je vais me garer. Nous ferons le reste à pied.
OK, c’est toi le boss, mais pourquoi qu’ces gens-là n’arrêtent pas de klaxonner ? C’est usant à la longue.
Canard éclata de rire.
Mais ça y est ! T’es une vraie parigote ! Tu râles déjà comme eux.
Ils s’étaient rencontrés un lundi dans le Perche où elle donnait un coup de main à un pote fripier. Le jeune homme était tombé sous son charme. Devenus intimes, ils ne s’étaient jamais rien promis. Cependant, il lui avait dit que le jour de ses dix-huit ans, il l’emmènerait à Paris et ce jour tant attendu était enfin arrivé. Descendue dans le métro, elle en prit plein le nez. Ça sentait si mauvais dans ce sous-sol aux odeurs peu ragoûtantes d’égouts dégoûtants. Elle trouvait les parigots tristement drôles. À peine le métro arrivé et ses portes ouvertes, ils se bousculaient, s’engouffrant dedans, ignorant les protestations des personnes désireuses d’en descendre. À ce moment précis, elle se permit d’en rire, car elle se doutait bien que demain, elle trouverait cela pathétique. Collés les uns aux autres bien malgré eux et respirant les odeurs de transpirations inquisitrices, Nour dévisageait avec bienveillance cette population bigarrée avec laquelle elle se sentait curieusement en phase. Elle était, comme eux, une émigrée qui se cherchait. Il faisait si chaud dans ce boyau. Enfin Château-Rouge leur tendit les bras. Tels des manchots sur la banquise, ils avançaient péniblement vers la sortie. Ce fut la surprise pour la jeune campagnarde. Ce matin, elle s’était réveillée en France profonde. Ce soir contre toute attente, elle allait s’endormir en Afrique. Le marché Dejean cueillait ses clients dès la sortie du métro avec ses couleurs, son ambiance, ses parfums de l’Orient et ses musiques traditionnelles qui s’évadaient par les fenêtres et les portes ouvertes. La môme n’avançait pas, trop occupée à détailler son nouvel environnement. Les étals des primeurs débordaient de généreux fruits et légumes dont elle ignorait jusqu’à ce jour l’existence. Les intarissables poissonniers hélaient la clientèle.
Capitaine ! Tilapia ! On profite ! Fraîchement débarqué du Sénégal !
Les bancs des bouchers n’avaient rien à leur envier. La viande rouge brillait de tout son sang, faisant pâlir d’envie d’inflexibles végétariens. Du nord au sud, l’Afrique se révélait dans toute sa splendeur. Les femmes revêtues de leur boubou aux couleurs chatoyantes faisaient leur marché pendant que les hommes aux chemises impeccablement repassées et aux chaussures lustrées jouaient aux courses, à chacun son domaine.
Allez ! Viens ! Tu auras tout le temps de découvrir ça.
Ouais ! J’arrive mon p’tit Canard. Hey ! J’adore c’t’endroit.
Cool alors, je suis content pour ta pomme, bébé.
Regarde ! dit-elle toute en joie.
Quoi ?
Mais regarde Canard ! Le coiffeur ! Il est Africain aussi. Et les épiceries ! Incroyable, non ? Quelle ambiance ! Mais c’t’odeur là ? C’est quoi ? Ça sent bizarre, non ?
Viens voir, dit-il en l’entraînant. Regarde ! Là ! Dans la rôtissoire !
Sa malice mangeait son visage.
Mais c’est quoi c’truc-là ! On dirait une tête de… de quoi d’ailleurs ? Ce machin a encore des dents et des yeux qui nous r’gardent, c’est quoi ? Hein Canard ? C’est quoi ?
Ça s’appelle Bouzelouf. C’est une tête de mouton grillée. Les musulmans en raffolent.
Vraiment ? Eh bien je le leur laisse sans façon et avec grand plaisir. En tout cas, j’aimerais pas habiter ici, entre la poissonnerie et la boucherie. J’suis pas bégueule, mais quand même !
Vraiment bébé, parce que là, nous sommes arrivés.
Le studio de Nadia était au deuxième étage. Canard n’avait pas menti, c’était vraiment une grande Duduche poil de carotte. Elle les attendaitsurlepalieravecunsourirequiallaitd’uneoreilleàuneautre et qui se reflétait dans ses yeux verts. Les taches de rousseur ne lui faisaient pas défaut. Elle n’était pas vraiment belle avec sa coupe à la garçonne ni moche non plus, mais elle avait un grand capital sympathique.
Hey
!
Salut
les
voyageurs
!
Je
ne
vous
attendais
pas
si
tôt ! Ils s’embrassèrent chaleureusement.
Et toi je suppose que tu es Nour. Allez ! Viens faire un p’tit bisou à Tata. Ici, il n’y a pas de chichi et puis nous allons vivre ensemble, non ? dit-elle en éclatant de rire.
Aussitôtdit,aussitôtfait,lemètresoixantedisparutdanslemètre quatre-vingts de Tata puisqu’il devait en être ainsi. Toutes les craintes que Noureûtpuavoirenarrivants’étaientenvoléescommeparmagie.Pour mettreàl’aise,Iln’yavaitpasàdire,lagrandeNadiasavaityfaire.
Voyons, entrez, ne
restez
pas sur
le
palier, prenez une
chaise et asseyez-vous
par terre. Que voulez-vous boire
? Bière, whisky, coca, café ? demanda-t-elle en chantant.
Entrefatigueetnervosité,Nouréclataderire.
Toi
!
J’me
trompe
ou
tu
bosses
dans
un
bar
?
Perdu
!
Je
suis
secrétaire
dans
des
bureaux
à
la
Défense…
Mais
devant
l’air
surpris
de
Nour,
elle
ajouta.
J’entends
ce
que
tu
penses,
je
n’ai
pas
la
tête
de
l’affiche
et
patata et
patati,
une
grande
bringue
comme
ça
!
Mais
crois-moi
chérie,
ce
n’est
pas un bobard.
Les joues de Nour s’empourpraient face à cette Nadia qui semblait lire en elle.
Canard
!
Qu’est-ce
que
je
te
sers
?
Un
grand
café,
j’en
ai
bien
besoin,
j’ai
deux
ou
trois
affaires
à
régler
avant de repartir.
Mais
tu
ne
restes
pas
avec
nous
ce
soir
!
Non
désolé,
vraiment
je
ne
peux
pas.
Une
prochaine
fois
promis.
Très
bien.
Nour,
que
veux-tu
boire
?
J’veux
bin
une
bière
s’il
te
plaît.
Et
en
plus,
elle
est
polie,
dit-elle
en
faisant
un
clin
d’œil
à
Canard.
Nour,
visite,
mais
ne
te
perds
pas
!
cria-t-elle
du
fond
de
la
cuisine.
Nourl’entenditrire,cedevaitêtresamarquedefabrique.Lasallede bain,carc’enétaitune,étaitminuscule:unebaignoiresabot,unlavabo etunetoilette.Lestrictnécessairesouslamain.Justecequ’ilfallait.Ni tropnitroppeu.Ellejetaunseulœildanslacuisine,cardeux,c’étaitde trop:unmètresurdeuxmètres,peutêtretroisetlapièceprincipale,la plushonorable,lachambresalon,grandmaximumdevingtmètrescarrés avec un seul paddock3! La môme se mit à espérer que lagrande Duduche ne soit pas lesbienne.
Ellen’avaitriencontre,maissielledevaitvirersacuti,sûrequece n’étaitpasverscegenredegazonqu’elleirait.C’étaitunvraiterrainde foot!Àchoisir,elleiraitplutôtverslemini-golf.
Ça
va
?
Ça
te
plaît
?
demanda-t-elle
en
revenant
avec
les
boissons.
Ouais,
c’est
cool.
Tiens
Canard
!
Ton
café,
tu
es
sûr
de
ne
pas
rester
?
Patrick
serait content de te revoir.
C’est
pas
à
mon
programme,
mais
une
prochaine
fois
on
fera
la chouille,
promis.
Tu
lui
passeras
le
bonjour
de
ma
part
bien
sûr.
Ce
sera
fait,
ajouta-t-elle.
Après avoir bu son bol de café, Canard s’envola vers ses mystérieusesaffaires. Nour eutunpincement aucœuren le regardant partir.Ilétaitleseullienàsonpassé,uneattachedouceetsucrée,maisà présentlesdésétaientbeletbienlancés.Elledevaitavancer.Accoudées au balcon, les filles faisaient plus ample connaissance. La grande Duduchevivaiticidepuisquatreans.Touslesmatinsdelasemaine,elle quittaitlestudio àseptheures trentepour allerbosser.Nour,fatiguéepar levoyage,lesémotionsetlesbédos,selaissaitbercerparlebrouhahade larueetlesmusiquesquisortaientdeséchoppes.Larichesseétaitlà.Elle en était sûre, dans la différence et non dans l’indifférence. Elle s’imprégnaitavecdélicedecequesesyeuxpouvaientvoir,decequeson nezpouvaitsentiretsoncœurressentir.L’ambiancedecequartierlui pénétraitpartouslesporesdesapeau.Perduedanssespensées,elleavait l’impressiondeprendreracinelorsqu’ellesentitqu’onlasecouait.
Hé
! Ça y est, je t’ai déjà perdue
! Viens, on descend
! On va chercher
des
kebabs,
on
va
faire
simple
ce
soir,
sinon
tu
cuisines
?
Tu rigoles ou quoi
! J’ai tout juste dix-huit ans
! rétorqua la vieille excuse
en riant jaune.
Dommage,
parce
que
moi
non
plus
!
Bin
fallait
te
renseigner
avant
de
m’accueillir
si
gentiment
chez
toi
parce
que
là,
crois-moi,
c’est
mort
!
Et
moi
qui
comptais
sur
toi
!
ajouta-
t-elle en pouffant.
Le marché avait fermé, un triste calme régnait en maître presque absolu.Descartons,descagettes,dessacsplastiquesetdesdéchetsde légumes jonchaient àprésent le sol. Demain matin, aux premières lueurs du jour, des balayeurs pleins de balais feraient place neuve à une nouvellejournéed’animation. Nadia entraînait sanouvelleamiechez AzizleroidukebabdeChâteau-Rougependantquelanuittombaitsur Paname et malgré ce nouveau goût de liberté, tout au fond de Nour persistaitunsentimentdetristesse,ungoûtamer.Elleavaitbeau,scruté leciel,ellen’yvoyaitaucuneétoile,mêmelaluneavaitdésertélavoûte céleste.Maiscommentaurait-ellepuleurenvouloir?
Sixheurestrente,leréveilsonna.Latêtedanslepâté,Nadiatendit sonbrasenmaugréantverslefauteurdetroubleetl’envoyavaldinguer à terre. Les yeux encore fermés, elle attrapa son paquet de clopes et s’engrillaune.Aufuretàmesurequecelle-ciseconsumait,sesyeux s’ouvraient.JetantunregardenvieuxsurNourquis’enfonçaittoujours dans le 4pucier elle écrasa son mégot dans le cendrier qui débordait, soupira et se leva. En réalité, la fumée montait jusqu’au cerveau de Nouretluibouffaitsonoxygène.Elleseretournaengrognant.L’heure n’étaitplusauxamabilités.Elledécouvraitquel’odeurdutabacavant quesespiedsn’aienttouchélesollacontrariait,maisàforcedelutter, elle se rendormit vraiment.
La matinée était déjà bien avancée lorsqu’elle s’éveilla. Un rayon de soleil passait entre les rideaux mal fermés, l’appelait auréveil.Le studio était plongé dans le calme. Langoureusement, comme une chatte, elle s’étira de tout son long, envisageant son nouvel environnement. Elle s’extirpa, fit le tour du studio en reniflant les odeurs que Nadia avait créées jour après jour : le tabac, le café, l’encens, son parfum. Mais aussi les fragrances de Parisqui tentaient vainementdeseplanquerdanslesmoindresrecoins:lerenferméetle moisi. Mais pour Nour, c’était l’odeur de la liberté. Elle ouvrit une fenêtreetChâteau-Rouge,àsespieds,l’accueillitdansl’allégresse.La populationfourmillaitdanstouslessens.Demain,ellechercheradu travail. Mais aujourd’hui,elle sera touriste. Après avoir fait une halte dans la micro-salle de bain, Nour descendit dans la rue où un air de vacances flottait dans l’atmosphère. Se frayant un chemin parmi la populace colorée, elle dévala le boulevard Barbes comme un oiseau évadé de sa cage puis s’engagea sur le boulevard Rochechouart. Les magasinsTatis’étalaientàpertedevue,pourtoutelafamille,duplus jeuneauxplusâgéesetdelacaveaugrenier.ToutParissemblaits’être donné rendez-vous ici. Telles des abeilles, la clientèle à la recherche de la bonne affaire fouillait fiévreusement dans des bacs installés sur les trottoirs. La fièvre acheteuse sévissait. Après avoir observé ce phénomène totalement inconnu dans sa province, Nour continua sa routeensefaufilantentrelespassants,lesbus,lesvoituresetlesmotos pétaradantes. Sa campagne semblait si loin, trop loin avec sa bonne odeur d’herbes fauchées, le craquettement des grillons sous le soleil, l’odeurdesmaïsquimûrissaientainsiquelefameuxchantducoqqui ne réveillait que les gens qui ne dormaient déjà plus! Aux yeux de Nour,Parismalgrél’attractionquitentaitdelaséduiren’étaitqu’enfer et pollution, ça ne sentait ni la rose ni le lilas. Avançant vers Pigalle, ellecroisaitdesgensàladémarchelourdeetauxvisagesmarquéspar lafatigue.D’autresàl’opposé,lepasalerteetleregardvif,semblaient s’intéresser à tout et n’importe quoi, ne trompant personne à part eux même, attendant que la nuit tombe afin de s’encanailler avec Pigalle lajovialequiàdeuxpasleurtendaitlesbras.Cetteeffrontée,pudique à ses heures et entremetteuse a d’autre s’offrait à qui osait. La môme ne savait où regarder, soudain, devant elle, la place Clichy et son Moulin Rouge! Comme à la télévision ! La tête lui tournait de toute cette nouveauté, mais une odeur qui lui chatouilla ses narines lui rappela qu’elle n’avait rien avalé de la journée. À nouveau, elle se régala d’un kebab. Avant-hier, elle ignorait encore que ce sandwich aussidélicieuxexistait,uneviandesisavammentépicéeetrôtiesursa broche,grilléeàsouhait.Siellel’avaitsu,elleauraitbravébienavant l’heure la loi de la majorité! Assise sur un banc, elle terminait son festin tout en regardant sa nouvelle vie faite d’inconnus et d’incertitudes.Ledoutetentaitdes’immiscerenelle.Avait-elleeu raisondeveniràPaname?Maisavait-elleeulechoix?Etpuisqu’est-ce que ça changeait, ici ou ailleurs ? De toute façon, il fallait qu’elle parte avant qu’elle ne devienne aussi cinglée que sa daronne. La nuit tombait.Elles’engageasurlecheminduretouraugrédeslampadaires qui s’allumaient tour à tour et remarqua qu’un changement s’était opéré. Place Pigalle, là où les enseignes lumineuses se terraient discrètementlejour,sedévoilaitàprésentsansretenues.Seslumières criardes sur les devantures des magasins attiraient les regards. Les passants qui passaient par là par hasard ou pas pouvaient lire à loisir et choisir selon leur phantasme: sex-shop, projections privées, Show-room,lesbiennes,gay,coupleshétéros…Lesyeuxdepotentiels clients s’arrêtaient et brillaient presque autant que les néons. Pour un peu,ilsauraientfoutulefeuaucabaret !QuecettePigalle-làpouvait-ellebienleurcacher?Quepourrait-elleleurdévoiler?L’odeurdecet interdit,attiranteettroublantedeceParisbynight,fascinaitNouravec ses lumières éblouissantes et ses néons qui n’avaient de cesse de clignoter. Saisie, bouleversée, elle pressentait que ce Pantruche aussi mystérieux et envoûtant qu’il pouvait être vendait du rêve, du rire, mais aussi des pleurs.
Troisfemmesfardéesàoutrance,revêtuesdefourreauxenfourrure et perchées sur des échasses, attirèrent son attention. Accoudées au comptoir d’un bar, elles sirotaient des cocktails et discutaient avec vivacité tout en riant aux éclats. Leur joie semblait presque irréelle. Un livreur de pizza en scooter se gara devant l’établissement et se dirigea vers les trois Grâces. L’une d’entre elles, décolorée à blanc et ausourireétincelant,pritsonbaise-en-villeposésurlezincetfilaàsa rencontre, tous les deux disparaissaient dans le fond du rad. Après quelques minutes, le livreur ressortait seul et se fondait dans la nuit noire, pas de blonde à l’horizon. Le livreur lui avait-il fait avaler sa dernière pizza? Paris était si excitant ! Elle venait de vivre un évènementdonttoutlemondeparleraitdemainmatindanslejournal! Un scoop! Mais la femme revenait, ondulante comme une couleuvre enaffichantsursonvisagelabéatituded’unevierge qu’ellenedevait plusêtredepuisbienlongtemps.Àsesdeuxamiesquivenaientàsa rencontre, elle leur tendit son sac à main que l’une d’entre elles lui arracha presque avec un sourire complice. Toutes deux à leur tour disparaissaient mystérieusement. Que se passait-il? La môme se délectaitdecetteambiancemi-figuemi-raisin.Elleneconnaissaitpas encore les autres quartiers de Paname, mais celui-ci, Dieu qu’elle l’aimait. Elle se sentait si vivante face à ce sentiment de liberté mêlé aux dangers qu’elle pressentait. Mais les deux greluches revenaient, setenant parla taille et gloussant à des mots qu’elles se murmuraient àl’oreille. D’unedémarchechaloupée, touteslestrois disparaissaient à leur tour dans la nuit profonde. Nour, sa curiosité inassouvie sous son bras, repartait. C’était sure qu’elle reviendrait par ici. La personnalité de ces créatures nocturnes la captivait et si elle trouvait que Pigalle était sexy grâce à ses femmes qui hantaient ses trottoirs, sescabaretsousesbars,ellen’étaitpasdupe.Ellevoyaitbienqueleur vie n’était pas aussi glamour qu’elles voulaient le faire croire. La môme ressentait leur vie, leurs galères, leurs souffrances, leurs joies passagères, mais aussi leurs nuits blanches. Alors curieusement, un peu honteuse d’être trop heureuse, elle se noyait dans l’empathie, souffrantpourelles,reniflantl’odeurdescendriersquivomissaientles mégots ainsi que le remugle écœurant du cigare que fumait un bon gros beauf, avachi dans un canapé en attendant sa gâterie comme un du.Elleimaginaitleprincecharmantsoudainementtransforméen roi desmaquereauxvenantreleverlescompteursdesprincessesdéçueset déchues,fatalistesetsoumises,degréoudeforce.Commesitoutcela n’était pas suffisant, le pseudo charme des rides créées par tous ces excès de nuits sans sommeil sévissait et si ces créatures nocturnes tentaient de camoufler ces avanies par des couches et encore des couches de fards, c’était en vain. C’était avec ses sentiments contradictoires qui la perturbaient que Nour, pensive, rentra à Château-Rouge.
Impatiente de retrouver sa colocataire, Nour grimpa les escaliers quatre à quatre et entrait comme un boulet de canon, un sourire facétieux accroché à son visage.
Hey
!
Salut
la
compagnie
!
Qu’est-ce
que
tu
fabriques
?
La gamine jeta ses pompes et se catapulta sur un pouf à moitié déglingué qui couina.
J’aiunmalauxarpions5,dit-elleenselesmassant.
Ma
belle,
Paris,
ça
se
mérite
!
Nadia riait. Avachie sur un pouf, elle se faisait une cigarette mal roulée.
Tiens,
vilaine,
allume-le
!
Je
vais
m’en
rouler
un
autre.
Ho
!
Merci
!
Tu
sais
qu’t’es
une
vraie
mère
toi
?
Alors
? Comment s’est déroulée ta première journée de Parisienne ?
Super
!
J’suis
allée
à
pied
jusqu’à
la
place
Clichy
où
j’ai….
Pleine d’enthousiasme, Nour raconta sa journée. Nadia l’écoutait en souriant. La môme était rafraîchissante, mais jusqu’à quand ? Au fur et à mesure qu’elle tirait sur le pétard, l’euphorie l’envahissait, la vie était si belle. Elle riait de tout, de rien, d’elle-même, de ses angoisses et de ses peurs, de toutes les façons, ce soir elle était le maître du monde.
Super
! dit Nadia, alors finissons cette journée en beauté. Mets tes pompes ! On va chez Patrick, il habite en dessous.
Ha
! C’est pratique d’aller chez Patrick, ajouta Nour en pouffant.
Faut
que
j’me
calme
sinon,
qu’est-ce
qu’y
va
penser
d’moi
? Hein ?
Descendue à l’étage du dessous, Nadia sonna, après quelques secondes,laportes’ouvritsurungrandgaillarddontunebarbebrune mangeait le visage.
Hey
!
Nadia
!
Ça
va
?
Content
de
te
voir
!
On
ne
te
dérange
pas
au
moins
?
Jamais,
tu
le
sais
bien.
Il
y
a
une
demi-portion
qui
te
suit.
Oui, c’est Nour, une Payse
6
.
Elle va rester avec moi le temps qu’elle s’établisse. Je voulais vous la présenter.
Cool,
entrez.
Nour intimidée par cette montagne se sentait chihuahua,mais Pat l’amisrapidementàl’aise.Sonstudioétaitentoutpointlemêmeque celui de Nadia.
Nadia,
un
whisky
?
Ouais,
mais
uniquement
pour
te
faire
plaisir.
Bien sûr, dit-il en lui en balançant un clin d’œil. Et toi Nour ? Attends ! Laisse-moi deviner, dit-il en la détaillant de plus près.
Il était fort à son goût ce petit modèle qui devait peser le quintal, lesyeuxparchanceelleenavaitdeux,d’unbleusombre.Sescheveux en broussailles mi-longs étaient blond vénitien mordoré. Nour, qui n’avaitpasl’habitudedeselaisserdémonter,rougissaitmalgrétoutde se sentir ainsi détaillée sans vergogne. Ce Pat-là avait l’air d’être un sacré coco. Nadia voyant son pote se perdre dans la contemplation le ramena brusquement sur terre.
Annie
n’est
pas
là
?
Bin
tu
vois
bien
que
non
!
puis
avec
un
sourire
en
coin
il
plongea son regard dans celui de Nour et ajouta
; à moins qu’elle ne soit planquée dans le fond de ma culotte ! Et là, dommage pour elle
! dit-il en éclatant d’un rire gros et gras. Bon, plus sérieusement ! Bière
? Coca ? Coke ? Qu’est-ce qui te ferait plaisir, ma belle ?
Une
bière
ça
ira,
c’est
qui
Annie
?
C’est
ma
nana.
Alors
comme
ça
tu
es
venue
te
perdre
dans
notre belle capitale.
Ouais,
c’est
Canard
qui
m’a
amenée
chez
Nadia.
Ha
!
C’est
un
drôle
d’oiseau,
cet
animal-là
!
Il
est
où
d’ailleurs
?
Il
est
reparti,
il
te
passe
son
bonjour,
ajouta
Nadia.
Ça lui aurait fait mal de s’arrêter
! J’aurais bien aimé le voir. Celui-là avec ses mystères, ses affaires et sa grand-mère
! Il faudrait lui
couper
une
aile
pour
qu’il
se
pose
un
moment,
grogna-t-il.
Tant
pis, j’avais deux ou trois trucs pour lui.
Il
a
promis
de
rester
faire
la
7
chouillela
prochaine
fois.
Ouais,
sûrement.
À
la
vôtre
les
filles
!
Et
toi
Nour,
n’hésites
pas, si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là, je suis ton humble
serviteur.
Oui,
Annie
aussi,
ajouta
Nadia.
Évidemment ! Qu’est-ce que tu as avec elle ce soir
! Tu es jalouse ou quoi ? Elle bosse chez Tati, dit-il à Nour.
J’ai aperçu ça c’matin, ça m’a impressionné toute cette foule agglutinée. C’en est presque effrayant.
Qu’est-ce
que
tu
faisais
là-bas
?
Bin
j’faisais
connaissance
avec
Paris
pardi
!
J’suis
allée
jusqu’à la
place
Clichy
à
pied,
j’adore
!
Et
Pigalle
!
J’l’avais
vu
à
la
télé,
mais là,
c’est
carrément
autre
chose
!
C’est
époustouflant
de
mystère
!
Ha
! Il faut vraiment voir ça !
Lamômes’emballait,Pattentadecalmersonenthousiasme.
Ouais,
si
tu
veux
mon
avis,
évite
de
traîner
seule
par
là-bas.
Ce n’est pas un endroit pour toi, la gamine.
Ouais j’sais, j’ai entendu parler d’ça à la télé
! Des nanas rentrent dans les magasins et hop
! Elles n’en ressortent jamais. Incroyable
!
Non
?
Elles
se
volatilisent
en
claquant
des
doigts
p’tê
bin
?
Comme
ma
sorcière
bien-aimée
?
Hein
?
C’est
ça
?
P’tête
même qu’il y a un triangle des Bermudes
? s’exclama-t-elle en riant. Non
! non
! J’suis pas une gamine comme tu l’dis, on n’me fait pas avaler n’importe quoi ! Moi !
Ouais
je
vois
ça.
Nadia,
tu
as
du souci
à
te
faire
avec elle, dit-il amusé. Il roula un gros joint qu’il tendit à la môme.
Ouais, mais je ne suis pas sa mère, rétorqua Nadia. Elle fait ce qu’elle veut, elle est assez grande, non ? dit-elle agacée.
Nours’étrangladerireentirantsurlepétard.
Heureusement
qu’té
pas
ma
mère
sinon
crois-moi
sur
parole
que je s’rais pas là !
Tous trois passèrent la soirée à bavasser en riant de tout et de rien dutout,s’embrumantdanslesvapeursdel’alcooletseboucanantavec la fumée des Bedos qui se succédaient à gogo. Annie n’était toujours pasrentrée.Nour,toujoursdansuneautredimension,avaitreléguéses soucisaupassé.Cesoir,elleétaitl’insouciancemême,aussiheureuse etlégèrequ’elleétaitdéchirée.Àlafinale,Parisc’étaitlepanardavec sescomplices etdemainseraitunautre jouravecsonlotdesurprises.
Après la fête, la défaite, le lendemain, Nour s’éveilla avec une sensationinexpliquéedesolitudepesantsurtoutsonêtre.Auprixd’un effort surhumain, elle sortit du lit et tira les rideaux. Un soleil grandissime l’accueillit, accentuant son mal de tête. Elle ouvrit la fenêtre, espérant trouver un peu d’air frais, mais seul l’impitoyable odeurguerrièredubouzeloufquigrillaitvaillammentsurletrottoirlui sauta aux narines, lui donnant une irrésistible envie de vomir. Des idéesnoirestentaientlâchementdes’imposer.Àprésent,sonbutétait biendéfini;trouveruntravailavantcesoir.Elleavaitremarqué,hier, un bazar assez conséquent pour qu’il recherche du personnel. Ce n’était pas loin du studio et elle sentait qu’elle y avait ses chances. À présent légère comme une plume et habillée d’un jeans et d’un tee-shirt propre, elle dévalait les escaliers, poussait énergiquement la lourde porte d’entrée et se retrouvait au beau milieu de la population en pleine ébullition. C’était une joyeuse cacophonie, les marchands criaient leurs primeurs, les poissonniers vantaient la fraîcheur de leur marchandise,delamusiquequ’ellen’identifiaitpasencoresortaitdes bistrots, les boulangeries laissaient échapper leurs odeurs alléchantes des fours qui cuisaient toute la journée. Au milieu de ce tohu-bohu, Nour s’y sentait comme un poisson dans l’eau et renaissait. D’une démarche alerte, elle se faufila comme une anguille et passa devant Tati où elle eut une pensée pour Annie qu’elle ne connaissait pas encore. Le cœur plein d’espoir, elle avançait, impatiente. Quinze minutesplustard,lePalaisRochechouartétaitfaceàelle,vaillamment elle entra et se dirigea vers la caisse centrale ou une bombe d’Antillaise moulée dans une robe rouge trônait sur son siège.
Bonjour
!
dit
Nour
avec
un
grand
sourire.
Bonjour
!
Que
puis-je
pour
vous,
jeune
demoiselle
?
Je
cherche
du
travail,
j’me
d’mandais
si
vous
cherchiez
pas
du personnel ?
C’est
possible,
avez-vous
un
CV
?
En fait, j’n’ai encore jamais travaillé, j’viens d’avoir dix-huit ans et j’suis très motivée.
Très
bien,
attendez-moi
là,
répondit-elle
en
lui
balançant
un sourire éblouissant.
En plus d’être canon, la Barbie noire était fort agréable. Elle téléphona et revint rapidement vers Nour qui croisait les doigts dans le dos.
C’est
votre
jour
de
chance,
jeune
fille
!
Le
patron
arrive
dans
un instant, attendez-le ici.
Super
!
Merci
beaucoup.
Quelques minutes plus tard qui lui parurent une éternité, Nour vit arriver un grand brun baraqué au regard sombre et au teint mat. Sa chemise largement ouverte laissait entrevoir un torse velu où une grosse chaîne en or se battait avec sa toison. L’homme transpirait la virilité.
Bonjour, mademoiselle, je suis Sam Rouche, le patron et vous, vous êtes la jeune demoiselle qui cherche du travail et qui n’a encore jamais travaillé ? C’est bien ça ?
Sa forte voix à l’accent pied-noir plut de suite à Nour. Il devait avoirdanslescinquanteansetdesonregardperçant,ildétaillaitcette jeuneoieblanchequisortaitdesacampagne,maisquinesemblaitpas avoir les deux pieds dans le même sabot, ce qui lui donna une idée.
Oui c’est ça m’sieur Rouche, j’suis arrivée à Paris, y a deux jours, j’vis chez une amie à….
La môme se présenta si naturellement que l’homme apprécia sa spontanéité et sa fraîcheur.
Rappelez-moi
votre
prénom,
s’il
vous
plaît
!
Nour.
Nour,
Nour,
répéta-t-il
pensif
en
regardant
au
plafond,
c’est
très joli. Vous êtes orientale ?
Ellefitunemouedubitative:
Bin non, pas aux dernières nouvelles, moi je s’rai plutôt orientable, mais vous savez, personne n’est parfait m’sieur Rouche !
L’hommeéclatad’unrirefranc.
Vous
! On peut dire que vous êtes une petite veinarde, j’ai un poste pour
vous. Vous saurez
bien me
vendre des chaussures ? Non
? Ce n’est pas bien compliqué, qu’en dites-vous
? Ça vous va les chaussures ?
Mais bien sûr que ça m’va
! affirma-t-elle enjouée. D’ailleurs, j’en ai même mis une paire c’matin ! R’garder !
Dudoigt,ellemontraitsesgrolles8avecungrandsourirecharmeur.
Devantsonnuméro,ilsouriait,remarquantsonfortcaractère.
Dans ce cas, je vous attends lundi matin à huit heures trente, vous
travaillerez
avec
Véronique
et
si
tout
va
bien,
ce
dont
je
ne
doute pas, je vous ferais un contrat. Mais surtout, soyez à l’heure !
Merci, merci beaucoup, vous ne le regretterez pas et j’s’rais à l’heure et avec des chaussures ! Promis !
Soutenu par une paire d’ailes qui semblait lui avoir soudainement poussée dans le dos, Nour traversa le bazar comme une flèche et s’envola ivre de bonheur vers son nid. Il fallait qu’elle partage cette joie qui l’étouffait. Ça avait été si facile. Elle eut une pensée revancharde pour sa mère, peut-être qu’elle l’appellerait pour lui dire qu’elle l’avait dans l’os.
Nour sonna comme une furie chez Patrick, impatiente d’annoncer la bonne nouvelle, mais a sa grande surprise, ce fut une petite blonde au visage enfantin qui lui ouvrit.
Voyons…
ne
serais-tu
pas
Nour
?
demanda
celle-ci
d’une
petite
voix.
Si,
et
toi
Annie
?
Absolument, je te connais déjà tellement, soupira-t-elle en levant les yeux au plafond, Pat n’a pas arrêté de me parler de toi.
Ho,
j’suis
désolée.
J’ignorais
que
j’l’avais
traumatisé.
Disons
que
ce
n’est
pas
vraiment le
mot
que
j’emploierai,
mais ne t’en fais pas, question d’habitude, affirma-t-elle avec une petite moue, je t’en prie, entre !
Tu
sais,
dit
Nour
pleine
d’entrain,
tu
nous
as
manqué
hier
soir.
Oui j’imagine, c’est toujours la sensation que je fais lorsque je suis
absente, mais aujourd’hui
je
suis
bel et
bien
là,
n’est-ce
pas
Pat ?
s’écria-t-elle.
Hey
! Pat
! Comment qu’tu vas d’puis hier
? demanda Nour en
l’apercevant.
Bien
et
toi
?
Tu
n’as
pas
eu
trop
de
mal
à
te
lever
ce
matin
?
Tu en tenais une bonne hier soir ! affirma-t-il en riant.
Ha
! M’en parle pas, tout d’abord, c’était pas c’matin, mais plutôt en début d’aprèm, la honte
! C’était Beyrouth dans ma tête, affirma-t-elle
en
riant,
mais
ça,
c’est
pas
le
plus
important
!
Devinez
! J’ai trouvé du taf ! C’est pas génial ça !
Déjà
!
Mais
c’est
carrément
super !
On
va
fêter
ça
alors
! Obliger, non ?
Ha
toi
!
Pat
!
Tu
ne
perds
pas
de
temps,
dit
donc
!
Et
qu’as-tu
trouvé
?
demanda
Annie
plus
sérieusement.
C’est
au
Palais
Rochechouart,
au
métro
Anvers.
Vous
connaissez ?
Ha
!
Ce
n’est
pas
mal
là-bas,
dis
donc
!
En
tout
cas,
c’est sûrement mieux que chez Tati.
J’veux
bin
t’croire,
ça
m’a
plutôt
l’air
d’être
l’enfer
là-bas, non ?
Carrément
et
quand
commences-tu
?
Lundi,
j’vais
vendre
des
pompes
!
C’est
pas
le
panard
les
gars
? Nour se pavanait, grandi de ce succès.
Carrément que c’est le panard ! Et si on allait faire la ribouldingue
9
chez
Les
fondus
10
ce
soir
?
proposa
Patrick
en
regardant Annie. Je suis sûr que Nadia sera partante, et en l’attendant, apéro
! s’écria -t-il enjoué.
Ouais bin t’es sûre qu’il est pas un peu tôt
? Et puis pour le restau, dit Nour, c’est pas qu’ça me branche pas, mais pour l’instant, j’suis plutôt ric et rac.
S’il te plaît la môme, ne sois pas désagréable, c’est moi qui t’invite,
OK
?
Ensuite
reste
polie,
tu
débutes
dans
la
vie
alors
assieds-toi, regarde et apprends ! Tu veux bien ?
Bin
j’ai
comme
l’impression
que
j’ai
pas
trop
le
choix
!
affirma-t-elle en rougissant. Merci, mon pote, j’te le revaudrai.
Pashabituéeàautantd’attention,lamômeétaitflattée.
Tu sais, tu apprendras vite qu’avec Pat, tu n’as pas souvent le choix, soupira Annie, aussi ne te laisse pas faire !
J’m’en souviendrai et Nadia
? Elle rentre pas plus tôt le vendredi soir ?
Si et fais-moi confiance, rétorqua Pat égrillard, dès que son radar va détecter l’odeur du pétard, sentir le Ricard et entendre les glaçons
s’entrechoquer
dans
les
verres,
crois-moi
sur
parole
qu’elle
va pointer le bout de son nez celle-là !
N’importe
quoi
!
s’exclama
Annie,
ne
l’écoute
pas,
Nadia
n’est pas comme ça !
Bah,
t’inquiète
Annie,
j’m’en
doute…
j’suis
sûre
qu’elle
est
bin pire ! dit-elle en se tordant de rire.
Ha
! Elle est vraiment bien cette petite
! Tu vois Annie, je te l’avais dit
! Elle a de l’avenir
à Paris
! s’exclama Pat en détaillant la
môme.
La soirée prenait une belle tournure, le feeling passait bien avec Annie qui, enfoncée dans son pouf, tirait sur le bonze que Pat avait roulé.Elleressemblaitàunepoupéedeporcelaine,fragileet délicate. Unesortedenostalgieétait installéedanssonregardbleudélavé.S’il y avait eu de l’amour et de la passion entre elle et son homme, cela semblait appartenir au passé. Ils étaient si différents l’un de l’autre. Elle était le soleil et lui l’ombre, elle était le jour et lui la nuit. Ils vivaient l’un à côté de l’autre sans plus se voir, ayant laissé leurs habitudes rogner leur histoire. L’indolence de Patrick semblait faire souffrir Annie qui cachait ses déboires derrière des sourires fatigués, sansvéritableséclatsdelumière.Nourn’étaitpasdupe.Lebédoarriva entre ses doigts, avec avidité, elle pompa dessus, engoncée dans son ersatzdefauteuil,certainementunrescapédespoubelles.Aprèsavoir mis un vinyle des Led Zeppelin, Pat apporta une bouteille de mousseux avec quatre flûtes. Nour se laissait aller et commençait à aimerParisetsanouvellevie.Elleeutunepenséefurtivepoursamère qu’elle envoya aussitôt valser chez le Diable avec un sourire en coin. Que croyait-elle ? Que même ici elle lui boufferait la tête ?
Bon les filles
! On ouvre les paris
? proposa Pat en débouchant la bouteille, Nadia ou pas Nadia ?
Ouais,
mais
t’es
tricard
!
rétorqua
l’insolente
Nour
en
braillant, c’est pas du Ricard et y a pas de glaçons !
T’inquiète
la
naine
!
c’est
du
pareil
au
même
tant
que
ça
se
boit
! Elle n’est pas difficile la Nadia !
Etcen’étaitpasdupipeau.Àpeineeut-ilempliunepremièrecoupe qu’on sonna à la porte sous le regard médusé de Nour.
Qu’est-ce
que
j’avais
dit
?
éructa-t-
il.
Nadia à l’allure dégingandée et au regard malicieux sur sa face de rouquine entrait, cachant Annie derrière sa haute stature. Nour riait pendant que Pat frimait au beau milieu de ses trois drôles de dames
Alors
t’as
vu
Nour
!
Je
n’ai
pas
fait
ma
langue
de
pute
!
La
preuve
!
Qu’est-ce
qui
t’arrive
mon
Patou
?
C’est
encore
les
filles
qui
te font
de
la
misère
?
Raconte
tout
à
Tati
Nadia,
mais
avant,
sers-moi
un verre ! J’ai soif !
Tiens
!
Il
t’attendait.
Je
racontais
à
la
môme
que
si
on
attirait
les guêpes avec du sirop et bin toi ma poule, c’était plutôt avec un apéro et un bédo, la preuve ! dit-il goguenard. T’es passée chez toi
? demanda-t-il en la détaillant.
Bin oui, je ne suis pas allé au boulot comme ça
! On m’aurait dit défense d’entrer, tu penses bien ! affirma-t-elle en se marrant.
Lejour,sielleétaitsecrétairebonchicbongenredanslesbureaux de la Défense, le soir, elle était plutôt débraillée, mauvais chic, mauvais genre.
Donne-moi ça
! Encore en train de te droguer
! dit-elle en lui ôtant le pétard des mains.
Elletiraunebouffée.
Pasdégueu!Sinonquoideneufdanslequartier?
Il
paraît
qu’on
va
chez
les
Fondus
ce
soir,
dit
Annie
toute
en
joie.
Cool,
on
fête
quoi
?
J’ai
trouvé
du
boulot
!
Non
!
Déjà
!
Bin
toi
alors
t’es
une
vraie
flèche
!
Nour, au paroxysme de la fierté, raconta ce qu’elle jugeait être un exploit.Ellesevoyaitdéjàengrangerlamonnaieparbrassée,assumer son indépendance, avoir son appartement, ensuite elle dégotterait un homme qui prendrait soin d’elle, qui la gâterait et l’aimerait plus que tout, la belle vie !
Nadialevasonverreetdéclaraenriant;
Alors
à
ton
travail
et
ton
indépendance
«
futur
proche
»
comme disait ma professeure de français mademoiselle Gnokki.
Comme les gnocchis qui s’mangent
? demanda Nour toute en
fierté.
Oui, peut-être bien, personnellement je ne la trouvais pas très
digeste.
Hé
! Les filles
! Et si on se faisait un petit décollage ? proposa Pat en les resservant.
Pourquoi
pas,
moi
je
suis
d’accord
et
toi
Annie
?
Ouais,
je
ne
sais
pas…
Mais
tu
es
vraiment
un
faux
cul
par
moment
!
Ce
n’est
pas
parce que Nour est là que tu vas faire des manières, allez vas-y Patou
! Envoie le matos ! ordonna Nadia sous le regard interrogatif de Nour.
Mais
non
!
se
défendit
Annie,
ça
n’a
rien
à
voir
c’est
seulement que
ça
devient
une
habitude
et
tout
le
monde
sait
que
les
habitudes ne sont pas bonnes, surtout dans ce domaine.
Tu
ne
vas
pas
commencer
à
faire
ta
rabat-joie
!
éructa
Pat,
si
on ne peut plus rigoler, dit-il en balançant un clin d’œil à Nour.
C’est quoi ça un décollage
? demanda celle-ci au bout de sa
curiosité.
C’est rien, t’occupe pas d’Annie
! Elle aime bien nous les casser par moment
! grogna-t-il. C’est juste un peu de
schnouf
11
, tu vas voir, ça donne des ailes.
De la schnouf
? Des ailes
? répéta-t-elle étonnée. J’comprends rien à c’que tu dis !
Tais-toi et regarde
! Tu sors vraiment de ta cambrousse
! s’exclama Nadia en rotant comme un maçon.
Mais
arrête
de
l’embêter
et
puis
laissez-la
tranquille
!
Toi,
je
ne te conseille pas de toucher à cette merde ! OK, la môme
? déclara
Annie.
Hé ho
! D’abord, j’suis pas une môme et ensuite toi la Nadia, j’te
signale
qu’on
sort
d’la
même
cambrousse
comme
tu
l’dis
si
bien
! s’indigna
Nour.
Bon
!
J’ai
les
dents
qui
poussent
!
Quand
est-ce
qu’on bouge chez vos Tondus ?
Pas
les
Tondus,
mais
les
Fondus
!
et
ensuite
ce
sera
quand
nous aurons déraillé et toi y compris ! se marra Nadia en défiant Annie du
regard.
Décidément
! J’savais pas qu’à Paris, il y avait une langue spéciale
! Bin en tout cas, toi ça s’entend pas qu’t’as eu une prof de français ! la railla Nour.
Et toi
! Ça s’entend peut-être
? Tu bouffes la moitié de tes
mots !
Pendant que les filles se chamaillaient, Patrick réalisait quatre petites lignes blanches avec une poudre qui ressemblait à du sucre glace.
Voilà
les
gueuses
!
Qui
commence
?
Annie
?
Bon,
eh
bien
j’y
vais
sinon
on
va
y
passer
la
nuit
avec
vous
!
Malgré ce qu’elle pouvait dire des mauvaises habitudes, elle semblait les aimer. La ligne blanche disparaissait vaillamment dans l’unedesesjoliespetites narinesen moinsdetempsqu’ilnelefallait pour dire ouf. Relevant son visage angélique pleinement satisfait comme si elle avait vu la Vierge Marie, elle renifla fortement.
Ha OK
! C’est comme la chanson de Johnny, fais c’que j’dis mais pas c’que j’fais
! aboya Nour sur Sainte-Annie qui haussa les épaules en ricanant.
D’unœilattentif,lamôme observaitleurrituel ;unepailledansle pif et c’était parti ! Vas-y que je me penche et que j’m’enquille une belle ligne blanche, à ne jamais dépassersauf en casd’urgence! Puis cefutautourdeNadiaquinesefitpaspriernonplus,puisPatquis’y colla.Ilsavaienttousl’airsiheureux,plusdétendusetenmêmetemps si audacieux. Ils ressemblaient à trois jeunes chiens fous reniflant et s’essuyant leur truffe, puis tous trois de leurs yeux brillants fixèrent Nour.
À
ton
tour
la
môme
!
Patluitenditlemagazine.
Mais
elle
est
trop
jeune
!
insista
mollement
Annie.
Mais
non
!
Qu’est-ce
que
tu
racontes
!
rétorqua
Nadia.
N’oublie pas
qu’elle
est
majeure
et
vaccinée
et
qu’elle
commence
à
taffer
lundi, hein Nour que tu es grande ?
Bien que tentée par les expériences nouvelles, la môme hésitait encore.
Bin
j’suis
pas
vraiment
vaccinée
et
pis
j’ai
jamais…
Taratata
! Y a un début à tout et puis on fait la fête ou pas ? Faudrait savoir ! s’exclama Pat enjoué.
Se disant qu’elle aurait du rab, la brave petite Annie se fit l’avocat du Diable.
Mais fichez-lui la paix ! Merde à la fin
! Vous ne voyez pas qu’elle n’en a pas envie !
C’est ça
! Tu crois qu’on ne te voit pas venir avec tes gros sabots
!
la
tacla
Nadia.
Arrête
de
lorgner
sa
part,
tu
ne
l’auras
pas,
c’est
tout.
Démasquée, Annie riait comme une perdue. Le ton montait, les esprits s’échauffaient, l’un s’énervait levant les bras au ciel, l’autre riait ou partait dans des explications incompréhensibles, quant à Patrick, il marchait de long en large, jurant sur ses grands Dieux qu’une petite ligne n’avait jamais fait dérailler une 12Micheline. Devant cette cacophonie qui menaçait de prendre une tournure inextricable, mais aussi surtout face à sa propre curiosité, Nour capitula.Aprèstout,ilsétaientsesamis,lesamisnevousveulentque du bien, et si ça ne leur faisait pas de mal à eux, pourquoi ça lui en ferait à elle ? Elle attrapa la paille, se l’enfila dans la narine et sniffa.
Voilà,
mais
ça
m’fait
rin
du
tout.
Ellerenifla,s’essuyalenezetpoussaunlongsoupir.
Attends,
ça
va
monter,
dit
Pat.
Bon
on
bouge
maintenant
!
Nadiafaisaitlescentpas.Dansunsursautdetendresse,Patroulait goulûmentunegalocheàAnniequidisparaissaitdanssesbrasquantà Nour, elle dégustait cette sensation jusque-là inconnue, monter dans tout son corps qui se relaxait comme il ne l’avait jamais été et a contrario,uneenviedesortir,devoirdumonde,deparler,decrier,de rire et de chanter s’imposait à elle. Cette vive envie de vivre l’empoignait d’uneforce presqueviolente avecuneconfiance qu’elle n’avait encore jamais éprouvée jusqu’à ce jour.
Hé
! Ça suffit
! Arrêtez d’vous lécher la pomme
! Vous allez finir par nous exciter ! On a mieux à faire pour l’instant et en plus j’commence à avoir les dents qui poussent. On va chez les Tondus
! Hein Nadia ? On y va chez les Tondus !
Les quatre gais lurons dévalaient les escaliers dans une ambiance festive.Seulsaumonde,ilsjacassaientbruyammentaubeaumilieude la route, pestant contre les voitures qui les dérangeaient, à savoir qui dérangeait qui. Riant de tout, de rien, ils tenaient des discours philosophiques qui les menaient à des impasses sur la vie. La soirée s’annonçait belle. Ils marchaient depuis un bon quart d’heure lorsqu’enfin le Graal qui ne payait pas de mine se présenta à eux, les odeursdegraillons’échappaientparla porteouverte.Suividesfilles, Pat entra. Le boss, chaleureusement, leur indiqua un emplacement entre quatre clients. Nour, intimidée dans ce lieu insolite n’avait pas assez de ses yeux pour tout regarder. L’intérieur à l’image de l’extérieur était tout aussi sommaire; deux grandes lignées de tables, dessus des nappes de papier blanc et des bancs de chaque côté. Les mursdisparaissaientsousdesdédicacesdetoutstyle,sousdespoèmes, des citations, des caricatures, des remerciements au bon accueil des patrons et des délires en tout genre, certainement dus à cet infâme breuvage servi à volonté dans ces légendaires biberons. Certes, si cet abominablepicrate12 qui piquait et qui grattait devenait un grand cru dû à son contenant, alors on le buvait et on le rebuvait sans retenue, riant aux éclats de tout et de rien du tout. La chaleur des poêlons des servicesàfondusainsiquelachaleuranimalequedégageaientles clients rendaient l’atmosphère étouffante, presque irrespirable, augmentant cette soif déraisonnée. Une ambiance joyeuse et une convivialité régnaient en maître absolu comme si à l’entrée, le boss Georgioendistribuaitdixkilosàchaqueconviveafinqu’illesdépense sans compter avant la fin de la soirée. Dans ce milieu sans manière, lesvoisinsdetable,inconnuscinqminutesauparavant,devenaientdes amis pour la vie, alors on jurait de se téléphoner et de se revoir. Ça braillaitplusqueçaneparlait.Biensûr,lelendemain,toutétaitoublié. Entredeuxnuages,Nourétaitauxangesetn’arrivaitpasàserassasier de ces nouveautés. Sa soif était aussi déraisonnée que sa faim, elle goûtait de la fondue savoyarde puis de la Bourguignonne, n’arrivant pas à savoir laquelle elle préférait. Après quelques biberons, elle oubliait le passé ne jurant plus que par le présent et ses nouveaux alliés.
Je
trinque
à
vous
mes
amis
!
déclara-t-elle
la
bouche
pâteuse
en levant son verre. À cette merveilleuse soirée !
Et
ce
n’est
pas
fini
!
rétorqua
Pat,
la
bouche
pleine. Il balança un clin d’œil à Annie et Nadia.
Ce soir, dit-il en la regardant dans le blanc des yeux qui était plutôt rouges, c’est ton baptême alors ensuite nous irons digérer quelque part, fais-moi confiance.
À quoi penses-tu
? demanda sa compagne en repoussant son
assiette.
À
la
même
chose
que
toi,
petite
cochonne
!
Pat éclata de rire, accompagné de Nadia la diabolique qui riait comme une hyène.
Qu’est-ce
qu’ils
ont
ces
deux-là
?
demanda
Nour
intriguée
à Annie qui rosissait.
Je
pense
que nous
irons
digérer
à
Pigalle.
Pigalle
! Waouh
! Cool
! Ça fera du bien en plus de ça j’adore ce quartier.
Elle desserra d’un cran la ceinture de son jeans et déclara en segaussant :
J’ai
trop
mangé
!
T’as
trop
picolé
oui
!
s’exclama
Nadia
en
pouffant.
Si l’effet de la coco s’était atténué depuis belle lurette, l’alcool avaitprislerelaisdepuisunbonmoment.Noyésdansl’allégresse,les quatre compagnons descendaient la rue Houdon. Nadia et Annie avançaient bras dessus, bras dessous en riant aux éclats, suivies de Patrick qui tenait fermement Nour par la taille tout en lui murmurant des gaudrioles à l’oreille.
Tu as dit que tu aimais Pigalle, eh bien,
je vais t’en montrer du Pigalle moi. Je suis sûr que tu es une petite coquine non ?
Mais Pat
! Arrête
! T’es bourré
! Calme-toi sinon j’vais en référer à ta femme et lâche-moi un peu ! Tu m’étouffes !
Ellepouffaitenrepoussantsesmainsbaladeuses.
Comme tu parles bien quand t’es bourrée
! et pis ma gonzesse de
toute
façon,
elle
s’en
fout.
Tu
ne
le
savais
pas
?
Et
en
plus
elle
n’est pas
jalouse.
Regarde-les
avec
la
Nadia
!
on
dirait
deux
lesbiennes
!
Je ne
serai
pas
surpris
qu’un
jour
elles
se
fassent
la
malle
toutes
les
deux
!
Ouais, bin arrête de fantasmer
! Tu dis n’importe quoi ! T’es bourré, mon gros !
Nour, entre rêve et réalité, aurait aimé que cette soirée dure toute sa vie. Tout se mélangeait en elle. Elle se sentait si grande ce soir, si euphoriqueetlégèrequ’elleressentîtl’enviedemarcherjusqu’aubout de la nuit.
Soudain Pigalle fièreavec safaune, ses lumières, son ambiance et son odeur de l’interdit se présenta à eux dans toute sa splendeur.
Regarde ! Elles ne perdent pas le nord ces deux gonzesses-là ! Elles sont déjà devant la boutique ! Ça en est des drôlesses ces nénettes !
Pat faisait mine de s’indigner, mais la joie et l’excitation sur son visage le trahissaient. Impatientes, les deux filles les attendaient devantlaported’unsex-shopàladevantureimmensesurfondrouge. Dedans prônaient des robes toutes plus sexy les unes que les autres ; fendues devant, derrière, sur le ou les côtés, moulantes comme des peaux de serpent avec des décolletés plongeants. Bien qu’en admirationdevantcesfringues,Noursedemandaitsiunjourelle oserait porter ce genre d’apparat et surtout où? Et pour qui? Pour quelle occasion ? Ce qui l’intriguait le plus, c’était ces robes constituéesdechaînesquinecachaientaucunepartiedel’anatomieet où le tissu semblait banni.
Je
suis
sûr
que
ça
t’irait
super
bien,
lui
susurra
Pat
dans
le
creux de l’oreille.
Tu
crois
?
minauda-t-
elle.
Ouais,
sûr
et
certain,
bon
on
rentre
les
morues
!
Hé
!
Tu
arrêtes
de
nous
parler
comme
ça
et
de
faire
ton
merlan
! le rembarra Nadia.
C’est vrai
! Tu nous prends pour qui ou pour quoi
? s’indigna Annie. Tu commences sérieusement à…
Ouais c’est bon, excusez-moi les princesses, voulez-vous bien entrer ? se rattrapa-t-il en leur ouvrant la porte.
À peine entrées dans le magasin, Annie et Nadia s’envolaient commedeuxperdrix relâchéesenpleinenature.Neselâchantpasd’une semelle, elles naviguaient aussi à l’aise qu’un bateau sur l’eau et gloussaient entre les rayons de littérature érotique, d’objets que Nour n’identifiait pas vraiment et de cassettes de films aux couvertures explicites.
Patrick était aussi chez lui. Tel un boulimique devant la vitrine d’une pâtisserie, il salivait, allant d’un objet à un autre, laissant derrière lui un filet de bave digne d’une limace. Sa libido éprouvée, Annieenpaieraitcertainementlesfraisenrentrant.QuantàNour,ses prunelles encore chastes, mais très intéressées se sentaient agressées faceauxgodemichetsdetoutestaillesettoutescouleurs.Sapudeurse battait avec sa curiosité miseà rude épreuve, refusant de regarder ces chosesditesdel’amourdansleblancdesyeux,etpourtantcetteenvie était bel et bien là qui la titillait et la torturait. Mais que penserait-on d’elle si quelqu’un l’apercevait ?
Dans ce temple réservé aux plaisirs, des couples entraient, se tenant par la main et divaguaient au milieu des rayons, étouffant par moments des rires impromptus en se balançant des sourires complices. Certes, ils n’avaient pas encore l’audace de certains, mais un jour… A contrario, des clients entraient, envoyaient un rapide bonsoir au boss et se dirigeaient dans le fond du magasin où ils disparaissaient derrière un mystérieux rideau. Mais qui étaient ces hommes ? se demandait Nour. Des malheureux chez eux ? En tout cas, lorsqu’elle en aurait un bien à elle, sûr qu’elle en ferait un mâle heureux. Elle retrouva les filles qui discutaient âprement sur les culottes, à savoir lesquelles se boulottaient ou pas, et quels pouvaient être leurs goûts ? Le parfum de l’audace ? De la sensualité ? Ou bien le goût des promesses licencieuses ?
Ça
va
Nour
!
tu
as
trouvé
ton
bonheur
?
demanda
Nadia.
Peut-être
que
si
j’avais
un
homme,
ça
serait
plus
évident,
non ? murmura-t-elle à regret, et vous ?
Tel un beau Diable, Pat surgissait tout émoustillé avec un large sourire lubrique et brandissait une mystérieuse petite fiole.
Hé les nanas
! qui aura le droit de s’amuser avec moi
et mon petit flacon ? Et ne vous battez pas surtout ! il y en aura pour vous toutes ! Remarquez comme je suis gentil… Non ?
Face à l’air perplexe de Nour, Annie et Nadia pouffaient comme des bécasses.
Mais c’est quoi ça
! s’énervait-elle vexée de se sentir à l’écart. Arrêtez de vous marrer comme des clefs à molette
! On dirait des débiles !
LabravepetiteAnniepeut-êtrepasaussisagequ’ellenevoulaitle laisser croire, l’attrapa par la taille et lui murmura dans le creux de l’oreille :
Tu en mets quelques gouttes sur le zboub
13
de ton mec et tu verras, il ne te lâchera pas de la nuit, c’est imparable ! Crois-moi
bébé !
Vraiment
!
Mais
c’est
génial
!
Et
si
t’as
pas
d’bonhomme
?
T’en fais quoi ? demanda-t-elle déçue.
Alors
tu
te
le
mets
dans
le
tarin
et
tu
vas
te
marrer
un
bon
coup, crois-moi !
Ouais, vous en mettez des trucs dans votre pif ! C’est un vrai débarras
! En vrai, j’aurais préféré avoir un homme sous la main, surtout avec c’que tu viens d’me dire, avouait-elle dépitée.
T’inquiète
!
T’en trouveras
un de lascar et en attendant je
peux te prêter le mien si tu veux.
Nourpartitdansunfourireinextinguible,leslarmesluimontaient auxyeux.Auborddel’hystérie,elles’étouffaitenimaginantlascène, dessus? Dessous? Même dans le désert, la chose lui semblait impossible.Ensoi,cen’étaitpastantl’échangedebonprocédéquila rebutait, mais Patrick.
T’es
sérieuse
?
réussit-elle
à