La chanson de Teva - Patrick Borga - E-Book

La chanson de Teva E-Book

Patrick Borga

0,0

Beschreibung

Teva, musicien de 44 ans à Tahiti, traverse une série de coups durs. Alors qu’il est sur le point de tout abandonner, il entend sa propre chanson à la radio… interprétée par une pop-star américaine. Sous le choc et en quête de justice, il se rend à Los Angeles, où il se retrouve face à son imposteur. Un couplet caché, qu’il a écrit lui-même, renferme un secret lié à son passé : un trésor dissimulé, une île sacrée, et une destinée qui pourrait tout changer.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Auteur-compositeur-interprète, Patrick Borga fait ses débuts littéraires avec "La chanson de Teva", un roman émouvant et innovant. Inspiré par sa passion profonde pour la musique et les récits poignants, ce premier ouvrage explore les émotions intenses et les histoires captivantes qui caractérisent son œuvre artistique, marquant ainsi une nouvelle étape dans sa carrière d’artiste polyvalent.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 344

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Patrick Borga

La chanson de Teva

Roman

© Lys Bleu Éditions – Patrick Borga

ISBN : 979-10-422-5873-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Remerciements

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à mes amis lecteurs de la première heure, dont les remarques et encouragements ont été précieux pour donner vie à ce roman.

Merci également à Jean Rasther pour ses conseils et son œil attentif, ainsi qu’à ma tendre épouse Laetitia, pour son amour et son soutien indéfectibles. Tous ensemble, « All together » : une chanson, une histoire, une aventure, un roman…

Ce roman comprend plusieurs QR codes

donnant accès à l’écoute des différentes chansons de Teva,

le personnage principal de ce roman.

Prologue

Se peut-il qu’un jour, la « chance » vienne à vous sourire, de la façon la plus incroyable et improbable qui soit ?

Pourriez-vous imaginer une situation qui, en seulement un instant, une fraction de seconde, serait capable de bouleverser le déroulement de votre vie dans sa totalité ?

Ces événements entrent dans la catégorie des événements « extraordinaires ». Bien en dehors de « l’ordinaire ». Ils possèdent une caractéristique supplémentaire qui est :

« On ne peut revenir en arrière. »

C’est l’irrévocabilité. Tel le temps qui passe.

Ces événements, nous pouvons imaginer ce qu’ils pourraient être et instinctivement, nous ne songeons pas vraiment aux plus heureux. Certains s’avèrent même catastrophiques et nous laissent un goût amer, un sentiment d’impuissance et une certaine envie de ne plus exister.

Nous les redoutons consciemment et inconsciemment. Mais c’est ainsi, ils existent. Néanmoins, aussi sûr que le Diable a besoin de Dieu, les événements catastrophiques ont leurs opposés : les véritables moments de chance pure et inouïe.

Ce sont ceux qui peuvent nous conduire au bonheur, à l’extase. On aurait même tendance à croire, en pareille occasion, que nous y serions peut-être pour quelque chose ou que nous pourrions avoir attiré cela à nous, comme si le côté positif d’un aimant n’attirait que le côté positif d’un autre que lui. Difficile à croire.

Cependant, est-il toujours évident de comprendre et d’apprécier le sens des choses qui se produisent de façon imprévue ? Pouvons-nous identifier la chance ou la malchance aussi catégoriquement ? Il faudrait les avoir déjà vécues pour cela. Voilà bien une chose impossible par définition. Notre expérience nous permet-elle de comprendre notre présent ? Ou seulement notre passé ?

Pour Teva, cette journée du 21 décembre 2018 a commencé comme toutes les autres. Un savoureux mélange de désillusion et de résignation. Rien ne présageait de rien. C’est le calme plat. Comme tant de gens qui ont passé la quarantaine, les rêves de jeunesse ont été oubliés, ou pire, ils sont devenus objet de frustration, et il ne reste plus devant lui que des années d’errance et de vivotage. Une existence qui n’est plus animée que par les mauvaises nouvelles et les moins mauvaises.

Cependant au milieu de cette vie remplie de pas grand-chose, une éclaircie est apparue, une chance à saisir peut-être ? Dans un moment où une heureuse coïncidence lui sourit, il se met à croire qu’il pourrait être enfin une fois dans sa vie, au bon endroit et au bon moment.

Car ce jour-là, arrivé devant sa banque, le Crédit de Tahiti, Teva parvient à garer la Clio qu’il vient d’emprunter, juste derrière le fourgon des convoyeurs de fonds. Cela fait déjà quelques minutes que Teva les suit patiemment dans un dédale de rues étroites et pour cause, il a rendez-vous ici même, et maintenant, avec quelque chose comme « le hasard extraordinaire ».

Les convoyeurs sortent de leur véhicule blindé, ouvrent la porte latérale droite pour avoir un accès direct à l’agence bancaire.

Teva observe la scène, son sang bouillonne et une mélodie énervante lui trotte dans la tête depuis déjà quelques minutes. Les deux mains sur le volant, il se mord les lèvres d’anxiété et soudainement, au moment où l’un des convoyeurs se saisit de deux gros sacs remplis de billets, Teva, pourtant simple musicien sans histoire, se décide à sortir de son véhicule et fait quelques pas en direction du fourgon. Le ciel est bleu au-dessus de Papeete et le vent est chaud et humide. Quelques feuilles tourbillonnent élégamment. Tout est calme en apparence, sauf peut-être dans l’esprit de Teva Matéo.

Aujourd’hui, une chose incroyable et inattendue s’apprête à se produire. Un braquage ? Peut-être. Ou bien serait-ce l’œuvre d’une puissance mystérieuse ou l’accomplissement d’une longue série d’événements, la conséquence inattendue d’une cause très ancienne ?

Il reste que, en cet instant précis, la vie de Teva est arrivée à son point de basculement de façon « irrévocable ».

Chapitre 1

Tout part en Live

À présent qu’il déambule dans la servitude mal éclairée

de son village tahitien balayé par le mara’amu,

c’est la peur qui doucement est en train de l’envahir.

Un mois et demi plus tôt,

Vendredi 2 novembre 2018, 19 h

Teva s’approche de son smartphone qu’il a installé face à lui en équilibre contre un cendrier en verre, sur une pile de livres et de magazines eux-mêmes disposés sur une table basse de salon vitrée en rotin en cours de 3e vie, ou plus, chinée dans un vide-grenier dominical des environs.

Il appuie délicatement sur « Lancer le direct » de sa page Facebook « Teva Mateo Music », en faisant attention de ne pas faire s’écrouler le fragile édifice improvisé. Il vérifie le cadrage rapidement. Le petit salon rempli de meubles dépareillés devient alors, comme à chaque fin de semaine, le décor d’un tournage de clip vidéo ou plutôt une mini salle de concert qui pourrait d’ailleurs presque contenir la demi-douzaine de spectateurs, fidèles habitués des « Lives de Teva ».

En voyant la notification annonçant le début du direct qui s’affiche alors, Teva se penche instinctivement pour allumer la petite lampe dorée posée à sa droite sur un petit meuble de bois blanc bien à la mode dans les années 90, et dont la lumière de la petite ampoule fait percevoir le message écrit sur l’abat-jour « ON AIR ».

Puis, posée près de lui, il saisit sa guitare folk « Martin », son obéissante compagne depuis 15 ans déjà. Martine, ainsi qu’il l’appelle, il y tient comme à la prunelle de ses yeux. Comme il aime à le dire, Martine, « c’est mon grand amour, toujours là pour moi, elle sait rester là des heures durant, blottie contre moi, à tenter d’extraire de mon esprit et de mes doigts, la mélodie, la chanson, le hit, le tube planétaire… », qui le fera enfin sortir de son confortable et paisible anonymat.

— Hello, salut à tous, c’est Teva. J’espère que vous allez bien, les Bro. Me voici devant vous aujourd’hui dans mon canap, après une semaine de dingue où j’ai enfin réussi à terminer la nouvelle chanson de mon futur album. Mais je pense que ce sera l’objet d’un prochain Live de Teva…

Comme à son accoutumé dans ses lives, Teva ne peut s’empêcher de parler avec un fort accent tahitien. Il le sait bien pourtant, que ça n’est pas son style naturel, mais c’est plus fort que lui.

— Alors, aujourd’hui les amis, en fait je voudrais vous jouer une ancienne nouvelle chanson ! Ancienne parce que je l’ai écrite il y a plus de 6 ans, et nouvelle, car je ne l’ai encore jamais jouée devant quiconque ! Et c’est donc une super exclu pour vous, les copains !

Il en profite alors pour scruter l’écran de son vieux Samsung qui indique que…

Il s’approche plus près… 3 personnes sont connectées à son live !

Voilà qui lui met du baume au cœur !

— Avec Martine, nous allons donc vous interpréter « All together », une chanson en anglais, une fois n’est pas coutume, qui parle de… il hésite… qui parle du fait que nous les humains, on n’est pas super cool avec notre planète bleue, et qu’il est grand temps de prendre les bonnes décisions. Il me semble que c’est une chanson de circonstance et j’espère de tout cœur qu’elle vous plaira. Vous êtes prêts ?

Teva se saisit de son médiator jaune posé devant lui et attaque direct, l’intro à la guitare…

ALL TOGETHER

Couplet 1

What happens with our planet

You are making strange bets

And be sure we won’t forget

Cause yet we don’t have another set

Couplet 2

And what’s going on with the water

It’s not getting better

Our world turned dry and bitter

Now we can’t postpone later

No we can’t postpone forever

Refrain

Time to wake up, time to face the bad news

No more delays, no more sideways to use

Looking for another planet is too soon or is too late

Let’s get now on work all together

Couplet 3

What happens with the humans

Forgotten we’re all crewmen

But clocks are turning like fans

Now it’s time to elaborate new plans

Now It’s time for increasing our demands

Refrain

Time to wake up, time to face the bad news

No more delays, no more sideways to use

Looking for another planet is too soon or is too late

Let’s get now on work all together

Time to wake up, time to take decisions

Forget social networks and take actions

Remember that no one can change

the whole world came to something strange

Don’t stay on your own and feel better

Time to wake up, time to face the bad news

No more delays, no more sideways to use

Looking for another planet is too soon or is too late

Let’s get now on work all together

Traduction

TOUS ENSEMBLE

Que se passe-t-il avec notre planète

Vous faites de drôles de paris

Et soyez sûrs que nous n’oublierons pas

Car maintenant, nous n’avons pas d’autre maison.

Et que se passe-t-il avec l’eau

Ça ne va pas en s’arrangeant

Notre monde est devenu sec et amer

Maintenant, nous ne pouvons pas reporter à plus tard

Non, nous ne pouvons pas reporter éternellement

Il est temps de se réveiller, il est temps d’affronter les mauvaises nouvelles

Plus de retards, plus de voie d’arrêt d’urgence à utiliser

Rechercher une autre planète, c’est trop tôt ou trop tard

Mettons-nous maintenant au travail tous ensemble

Que se passe-t-il avec les humains

On a oublié que nous sommes tous membres d’un même équipage

Mais les horloges tournent comme des ventilateurs

Il est maintenant temps d’élaborer de nouveaux plans

Il est maintenant temps d’augmenter nos exigences

Il est temps de se réveiller, il est temps d’affronter les mauvaises nouvelles

Plus de retards, plus de voie d’arrêt d’urgence à utiliser

Rechercher une autre planète, c’est trop tôt ou trop tard

Mettons-nous maintenant au travail tous ensemble

Il est l’heure de se réveiller, l’heure de prendre des décisions

Oublions les réseaux sociaux et agissons

Rappelez-vous que personne ne peut seul changer le monde entier,

qui se transforme en quelque chose d’étrange

Ne restez pas seul pour vous sentir mieux

Il est temps de se réveiller, il est temps d’affronter les mauvaises nouvelles

Plus de retards, plus de voie d’arrêt d’urgence à utiliser

Rechercher une autre planète, c’est trop tôt ou trop tard

Mettons-nous maintenant au travail tous ensemble

Alors que le dernier accord résonne encore :

— Yeah man, dit-il à la façon d’un rasta de la Jamaïque.

Alors qu’est-ce que vous en pensez ? dit-il, l’air très enjoué et très satisfait en s’adressant toujours à son smartphone où il peut voir, alors qu’il y a maintenant 13 personnes connectées à son live. Pratiquement un record !

Et en plus, ça porte bonheur ! se dit-il.

Cela le contente plutôt bien, le nombre de vues de son live, retransmis sur sa page Facebook, atteindra vraisemblablement la centaine d’ici la fin du week-end, ce qui n’est pas non plus extraordinaire, mais il est bien conscient de ses limites.

Teva poursuit son live :

— Alors, en fait les amis, j’ai écrit un quatrième couplet à cette chanson. C’est un couplet qui m’a été inspiré par les histoires que mon grand-père me racontait souvent. J’y parle d’histoire de trésor caché un peu comme celui que nous avons tous en nous. Mon pépé Jean aimait beaucoup me raconter des histoires comme ça. Mais bon, ça collait pas trop avec le reste de la chanson, alors je ne vous l’ai pas chantée, mais voilà, c’était important que je vous le dise, les amis.

— Et maintenant, n’hésitez pas à me donner vos avis en commentaire, et j’espère qu’ils seront nombreux. Voilà, ça m’a fait super plaisir de vous chanter cette « ancienne nouvelle » chanson pour vous en exclu ce soir et en même temps c’était un peu stressant, avoue-t-il, de vous présenter cette création pour la première fois.

Teva enchaîne :

— Demain, c’est samedi, pas de concert pour moi malheureusement, mais je vous souhaite un super bon week-end, rendez-vous semaine pro pour un nouveau Live de Teva. Nana1 les amis et mauru’uru2…

Teva affiche une fausse bonne humeur, un sourire de circonstance comme s’il était sur scène, mais sa vie d’aujourd’hui est loin de ses rêves de jeunesse.

À 44 ans, Teva sait bien qu’il est difficile de rester dans le coup. Il est dans l’âge des remises en question. Des changements de cap. Et puis sa silhouette d’1m75 un peu enrobée et ses tempes grisonnantes ne lui donnent plus l’allure qui lui allait si bien il y a quelques années. Voilà 30 ans qu’il fait de la musique et il aimerait trouver des raisons d’y croire encore.

Dans son esprit un peu « old school », Teva se dit souvent qu’il regrette le temps des musiciens. Le temps où on pouvait « faire le métier » selon l’expression consacrée. Ce n’est pourtant pas si vieux.

On faisait beaucoup de concerts ! Qu’est-ce qu’il s’est passé, se demande-t-il bien souvent ? Pourquoi les gens n’aiment-ils plus les musiciens comme avant ?

Combien de temps vais-je continuer ainsi ? se dit-il.

Teva s’approche de son smartphone pour s’en saisir et alors qu’il stoppe son Live en appuyant sur l’écran, il fait tomber le cendrier qui servait de support improvisé en plus de quelques livres de la pile en essayant de le rattraper au vol.

— Merde !! s’exclame-t-il tout en vérifiant, au cas où, que le live est bien terminé sur son appareil.

Il se lève alors pour contempler l’ampleur des dégâts. Il y a partout des cendres et des mégots sur un bon mètre carré du nouveau peue3 arrivé depuis peu dans l’appartement T2 qu’il occupe avec sa petite amie Vanessa. Un peue artisanal, acheté neuf pour une fois, aux motifs marquisiens comme elle les aime et comme il ne les aime pas. Mais bon, c’est son appart ! Comme elle le répète souvent en conclusion des fréquentes discussions qui tournent en disputes presque… tous les jours.

Et tout en regardant le peue souillé par sa maladresse et par les mégots de Vanessa, fumeuse de Lucky, Teva reste un moment immobile. Son esprit est comme pris dans un moment d’absence et des songes musicaux l’emportent loin, très loin de ce petit salon mal décoré où il ne s’est jamais réellement senti chez lui.

Un bruit pourtant le fait soudainement revenir à la réalité de ces motifs marquisien-cendrés. C’est le cliquetis de la serrure de la porte d’entrée de l’appartement.

S’ensuivent, les sons familiers de l’ouverture et de la fermeture de la porte, des clefs posées sur le meuble du petit hall d’entrée, de la petite veste en train d’être enlevée et suspendue sur un cintre dans le placard et enfin le bruit des mocassins qui rebondissent sur le vieux carrelage jauni qui recouvre l’ensemble du sol de l’appartement à l’exception depuis peu du petit salon et de son peue ! Teva est resté debout sans bouger. Sa main droite s’est portée instinctivement sur sa bouche.

— Wouaouh, putain, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est toi qui as fait ça ? Je sais bien que tu ne supportes pas que je fume, mais quand même, mon peue, meeeerde !

Vanessa venait de rentrer de son travail. Sa silhouette fine et élancée d’1m73, très communément stylée, jean bleu taille haute et petit haut noir, s’est figée dès son entrée dans le petit salon, les yeux fixés sur son peue marquisien adoré.

— Mais non Vaness, ça vient juste d’arriver.

— Putain, mais genre, tu peux pas faire attention. Le peue est genre tout neuf, tu sais combien ça coûte ce truc?

— Te fâche pas s’il te plaît, je vais m’occuper de le nettoyer.

— Fais-le tout de suite, car franchement après la journée que je viens d’avoir au magasin, c’est genre pas le moment d’en rajouter.

— Et tu veux pas arrêter de dire « genre » tout le temps, tu sais que ça m’exaspère.

— Ouais, ben j’espère pour toi que ça va partir.

Teva, en se disant que c’est quand même les cendres et les mégots de Vanessa qui sont par terre, s’empresse alors d’aller chercher l’aspirateur qui se trouve dans le placard de l’entrée. Il se met à l’ouvrage et fort heureusement, il parvient au bout de plusieurs minutes d’effort très exagéré, à faire réapparaître comme immaculés, les fameux motifs marquisiens du peue, tel un archéologue amateur qui armé d’un pinceau, révèle le sol d’un marae4 enfoui sous des siècles de terre et de poussière.

— Oooh puis t’as même pas fait la vaisselle ! dit Vanessa, rageuse, d’un air plus que désabusé, les yeux levés vers le ciel, qui après un tour aux toilettes s’en est allée machinalement dans le coin cuisine de l’appart.

— Teva, tu vas me rendre genre, dingue, entre ça et tout le reste.

Merde, j’ai zappé la vaisselle, pense alors Teva.

— Je la fais tout de suite, je finis ça !

Avant que ne s’ouvre le recueil des phrases d’engueulades toutes faites, se dit-il, la première ayant déjà fait son apparition.

Depuis plusieurs mois, leur relation n’est pas au beau fixe. Tout doucement, leurs routes respectives prenaient des directions différentes. Peut-être était-ce l’âge ? Ils avaient en tout cas beaucoup de mal à en parler. Vanessa a douze ans de moins que Teva et quoi qu’on en dise, il leur est difficile de construire solidement leur couple avec des projets de vie communs.

Il n’y a rien à faire, se dit souvent Teva, on ne conçoit pas sa vie de la même manière à 32 ans et à 44.

Lui cherche un second souffle dans une vie pseudo-marginale sans surprise, et elle se contenterait bien de suivre les modèles tout bien pesés et emballés d’une vie complètement standardisée. Mais surtout, elle ne se voit pas faire un enfant avec Teva et ce sera peut-être l’étincelle qui fera exploser leur couple. Teva le sait, mais il ne le sait peut-être pas encore assez violemment.

Teva replie avec maladresse l’aspirateur et le ramène dans le placard de l’entrée. Et, tout en se baissant pour glisser l’appareil dans son coin habituel, il plaque son visage sur le devant de la petite veste de Vanessa qu’elle vient soigneusement de ranger.

Il se surprend alors à humer un parfum inhabituel, mais vaguement connu. Sûrement pas un parfum de femme et encore moins le Coco Mademoiselle de Vanessa qui sait faire remonter en lui le souvenir de leur rencontre.

Un parfum d’homme peut-être ? Il reste ainsi saisi quelques instants, figé, masquant ses recherches olfactives par des bruits de rangement. Quelques notes de santal, d’ylang-ylang. Il connaît ce parfum, mais sans parvenir à mettre un visage dessus.

Que se passe-t-il ? La question qu’il se surprend à se poser à lui-même le met dans un embarras qu’il parvient difficilement à dissimuler.

Vanessa apparaît derrière lui.

— Tout va bien ? Tu vas t’en sortir ?

— Oui, oui, j’ai fini, je vais faire la vaisselle. Au fait, bonjour !

— Oui salut, lui répond-elle en lui assénant un baiser sec et furtif.

Il se dirige vers la kitchenette pour y remplir son devoir conjugal à coup d’éponge double-face et de liquide vaisselle parfum des îles. Il perd rapidement l’odeur de ces fragrances masculines, mais cette question prend le contrôle de son esprit : que se passe-t-il ?

Se peut-il que Vanessa voie un autre homme ? Que se passe-t-il ? Il n’est même pas sûr de comprendre la portée de cette question.

Alors qu’il s’attaque à récurer sauvagement le plat de lasagnes de la veille qui avait trempé depuis 24 h, il se demande pourquoi d’ailleurs, le téléphone de Teva retentit d’une sonnerie personnalisée et dédiée à un numéro de téléphone en particulier, celui de son Pépé.

Teva laisse retomber le plat à peine plus propre et l’éponge dans l’évier et se précipite sur son Samsung laissé en plan sur le canapé et tente de répondre à l’appel à l’aide de son index mouillé.

— Hey, ia ora na5 Pépé, comment vas-tu ?

La voix un peu éraillée à la diction lente de Pépé Jean retentit :

— Ia ora na. Oui, je vais bien et toi ?

Aller bien pour son Pépé Jean était une notion aujourd’hui toute relative.

À 88 ans, Jean Vaihue est le dernier des grands-parents de Teva. Son grand-père maternel précisément, et son état de santé est à l’image de son âge, vieillissant ! Il y a toujours plus ou moins un truc qui cloche dans la mécanique comme il le dit souvent, mais il a gardé toute sa tête ainsi qu’une lucidité et un pragmatisme très polynésien.

La voix de Pépé Jean plonge systématiquement Teva dans un état de quiétude et de bien-être. Il est la seule famille de Teva à l’exception d’une tante du côté de son père, jamais revue depuis le décès de ses parents lors de l’incendie de leur maison, 35 ans auparavant.

Ce fut le grand drame de la famille Matéo-Vaihue. Une vieille maison charmante au bord du magnifique lagon de Raiatea6, où les parents de Teva, Jean-Pierre et Hinerava vivaient dans la langueur des îles et la simplicité. Et cette nuit du 19 mai 1984, il se produisit l’irréparable, laissant Teva à jamais orphelin du haut de ses 9 ans. Il ne restait plus rien de la maison, rien d’autre qu’un tas de cendres. Tout avait brûlé, absolument tout. Personne n’a jamais trouvé l’origine de cet incendie. Cela reste un grand mystère et une plaie béante dans le cœur de Teva.

C’est donc Jean et Yvette, les parents de Hinerava, sa mère, qui avaient recueilli Teva et l’avait élevé dans la tradition fa'a'amu7. Jean avait ainsi pu lui transmettre tout son savoir et son amour pour la musique.

— Oui, ça va Pépé, répond Teva tout en ouvrant la baie vitrée qui le conduit vers le petit jardin jouxtant l’appartement. Qu’est-ce que tu me racontes de beau aujourd’hui, t’as déjà mangé, j’imagine ? Qu’est-ce que Sam t’a préparé ce soir ? Du poisson cru ?

— Oui, du thon comme j’aime d’ailleurs. C’est bien, parce qu’il n’y a pas d’arêtes. Faudrait pas voir à déconner trop souvent avec ces histoires d’arêtes, tu vois bien fiston. Dis-moi, Samantha m’a montré ta vidéo sur son téléphone et alors c’est super. Bon, j’ai rien compris aux paroles de la chanson. Parce que déjà que je suis à moitié sourd, tu chantes des paroles en anglais. J’espère bien que tu m’en donneras une traduction ?

— Oui t’inquiète, Pépé, je vais t’envoyer ça sur le mail de Sam. Mais sinon la musique te plaît ?

— Oui, elle est très belle et elle reste bien dans la tête, c’est bon signe ça, surtout pour les vieux comme moi qui perdent la mémoire.

Tous deux rient de ce trait d’humour digne d’un octogénaire à qui l’intelligence ne fait pas encore défaut.

Parmi les rares personnes de son entourage sur lesquelles Teva peut compter pour avoir de bonnes critiques sur ses chansons, il y a en première place depuis toujours, Pépé Jean.

Et pour une bonne raison. Jean avait été en son temps un excellent musicien d’orchestre polynésien et son ukulélé magnifiquement sculpté était connu dans toute l’île si ce n’est plus. Il en avait fait danser des vahinés sur les plages de son île natale de Raiatea où il vit toujours. Pépé Jean en parle souvent comme d’une époque formidable. Il se disait extrêmement chanceux d’avoir pu réaliser ses rêves de jeunesse, d’avoir vécu des années riches en toutes sortes d’expériences comme la fois où il avait donné un récital assis sur un cheval. Et puis il y avait aussi sa rencontre avec Yvette, à Uturoa8 lors d’une fête de mariage. Yvette, la belle Yvette, convoitée par plus d’un, mais c’est Jean, ou son ukulélé qui avait su charmer celle qui allait devenir sa femme pour toujours.

Ce faisant, malgré son âge, Pépé Jean avait conservé une oreille musicale toujours aussi fiable et sincère. Il savait trouver les mots pour donner à son petit-fils, un avis bienveillant et éclairé sur les arrangements ou la mélodie des compositions.

— Et dis-moi Teva, poursuit Pépé Jean, tu as écrit un couplet en plus avec mes vieilles histoires alors ? Il dit quoi ce couplet en français ? Ça m’intéresse.

— Ah oui, je vois que tu as bien écouté la vidéo.

— Eh ben, oui fiston.

— Je parle juste de l’histoire que tu me racontais souvent quand j’étais jeune, au sujet du trésor caché des anciens. J’aime bien cette histoire alors j’en ai fait un couplet en quelques lignes. Mais bon, ça collait pas trop avec le reste de la chanson, donc, je l’ai pas chanté. Je ferai peut-être une autre chanson avec !

— Ah, OK alors… oui… c’est mieux comme ça. Garde-le pour toi ce couplet, il pourra te servir plus tard.

— Ok Pépé ! À part ça, quoi de neuf à Raiatea ?

Tout en écoutant son Pépé Jean raconter les potins de l’île, retranché dans le jardin, Teva observe Vanessa aller et venir dans le petit appartement et perçoit chez elle plus qu’un agacement.

Toujours est-il que Teva n’a pas vraiment la tête à poursuivre une longue discussion dont ils pouvaient, son pépé et lui, en avoir quelquefois le secret. Ce qui est sûr, c’est que ce soir comme tous les soirs, par convention, Vanessa ne fait pas partie des sujets de conversation entre Teva et son grand-père. C’est mieux ainsi en a conclu un jour Pépé Jean, qui ne la porte pas vraiment dans son estime.

Teva envoie comme à son habitude des baisers tendres et affectueux et raccroche rapidement, se rendant compte au même instant que la batterie de son smartphone est à 1 %. Voyant plusieurs notifications de messages, il rentre bien vite à l’intérieur de l’appartement, mais son portable s’éteint aussitôt.

Bon, les messages, ce sera pour plus tard, se dit-il. Je suis attendu d’abord par le plat de lasagnes à récurer et surtout par mes potes pour la répète du vendredi.

Vanessa, installée sur le canapé, cigarette aux lèvres et les yeux rivés sur son smartphone, ne fait pas vraiment cas de Teva et, d’ailleurs, elle ne pose jamais de questions au sujet du grand-père de Teva. Son redoutable sixième sens lui avait déjà indiqué il y a longtemps qu’il lui serait impossible, malgré les années, de gagner les faveurs du grand-père. Elle ne supportait pas non plus l’idée que Jean puisse régulièrement subvenir aux besoins de Teva, ce qui avait conforté ce dernier dans son choix de vivre aux dépens des autres et elle s’incluait dans « Les autres » évidemment.

Ce qui reste entre elle et lui, elle se le demande tous les jours. Elle qui rêve aujourd’hui de fonder une famille, de s’installer dans une petite maison et de trouver, pourquoi pas, un boulot qui lui plaise plus que son poste de vendeuse en prêt-à-porter. Voilà 4 ans déjà qu’elle œuvrait dans ce magasin d’une enseigne de vêtements pour femme sans percevoir la moindre évolution à venir.

Elle repense souvent à ce jour où assise à la table d’un bar, elle remarqua ce musicien plutôt talentueux à la voix chaleureuse qui interprétait avec créativité sa chanson favorite de Jean-Jacques Goldman : « Envole-moi. » Elle tomba vite sous le charme, jugeant qu’après quelques déceptions amoureuses de jeunesse, un homme plus mûr et artiste de surcroît, pourrait enfin la rendre heureuse. Elle avait 26 ans, lui paraissait en avoir environ 34. Son sixième sens ne l’avait pas trop induite en erreur, sauf pour l’âge…

Les premières années avec Teva furent magiques, parsemées d’innombrables petits bonheurs qui la rendaient heureuse comme elle l’avait imaginé. Il y avait de belles vacances, des attentions délicates et sincères même si, les jours passant, elle sentait bien que la balance ne penchait plus vraiment en sa faveur.

Aujourd’hui au bout de six ans de vie commune, elle se demande si une septième serait « raisonnable ». Il y avait dans ce mot presque une résignation, ou tout au moins la conviction qu’elle avait mis de nouvelles priorités dans sa vie.

Et depuis peu, dans sa vie, un autre homme avait fait son entrée par la petite porte de son cœur, celle que Vanessa avait entrouverte, au cas où.

***

Au même moment, en plein cœur du quartier du commerce de Papeete, dans son bureau sombre et discret, Stephen Noeh, détective privé, affalé sur son vieux fauteuil de bureau défraîchi, envoie un message sur son smartphone :

Florent, je crois qu’on a quelque chose. Allez voir sur sa page, il vient d’annoncer un truc bizarre au sujet d’une nouvelle chanson et d’un couplet qui parle de trésor. Je pense que ça vaut le coup de creuser un peu. J’ai aussi l’impression que le grand-père en sait plus qu’il n’y paraît.

OK j’ai écouté et je l’ai contacté. Vous continuez de le surveiller et rendez une petite visite au vieux pour en savoir plus.

La réponse arrive quelques minutes plus tard :

OK, mais c’est loin Raiatea !

C’est votre job. Je vous paie depuis des années et pour une fois qu’on tient une piste, c’est le moment de vous illustrer.

— Vaness, ça va être l’heure de la répète, je vais devoir filer, annonce Teva avec la tranquille satisfaction du travail effectué, peut-être pas dans le timing voulu, mais effectué quand même.

— Mouais, rentre pas trop tard s’il te plaît, demain j’ai une grosse journée ou au moins ne fais pas de bruit en rentrant, il faut que je fasse une bonne nuit. Elle savait qu’elle ne pouvait obtenir qu’une demande sur deux avec lui.

Teva s’empare rapidement de sa guitare Martine laissée sur le canapé et la glisse soigneusement dans sa housse noire à bretelles sans oublier son médiator jaune, son livret de chansons où il consigne soigneusement ses créations, et enfin son téléphone qui, branché depuis un peu plus de dix minutes, avait repris vie.

Il délivre délicatement un baiser à Vanessa.

— À toute ma petite tiare9 !

Ce petit mot affectueux lui était revenu d’une part parce qu’il sentait que l’atmosphère s’était un peu apaisée, mais aussi parce que malgré les apparences, Teva essayait de maintenir une certaine tendresse entre eux et avec les années il se disait que ces marques d’affection sous forme de petits noms divers et variés sonnaient juste. Il aimait à penser que Vanessa y était sensible, mais n’en était pas tout à fait persuadé.

Teva passe le palier de la porte et emprunte le petit couloir commun aux deux appartements de sa petite résidence à un étage. Puis il se met en marche sur les bords de la route de ceinture pour rejoindre la maison de Fabien qui ne se trouve qu’à 300 mètres de chez lui, à Paea10. La faim le gagnant, il réfléchit à la pizza qu’il va choisir ce soir. Une pepperoni ou une royale ?

— Oh zut, mon portefeuille !!

Teva s’immobilise sous un réverbère et soupire d’agacement. Il réfléchit quelques secondes et fait demi-tour. Ce genre d’oubli, récurrent chez lui, le plonge dans un état d’agacement profond et il lève la tête au ciel, remarquant quelques étoiles qui pointent dans le ciel tahitien libre de tout nuage. Son visage balayé par le mara’amu11 s’apaise doucement, et il se met à fredonner sa chanson.

Au bout de quelques minutes, il pénètre à nouveau dans sa résidence et franchit le seuil de son appartement en annonçant son retour.

— C’est moi, j’ai oublié mon portefeuille.

Vanessa, toujours installée dans le canapé, est au téléphone et voyant Teva revenir, son visage change brusquement. Ses yeux sont grands ouverts. Elle balbutie d’une voix hésitante et discrète.

— Oui, oui, ben je te rappelle, OK ?

Puis elle raccroche.

— Ah ton portefeuille, oui je l’ai vu sur la table de la cuisine, je crois.

— Merci, désolé, je t’ai dérangé non ?

— Non, non, c’était ma collègue Vaimiti, elle voulait voir un truc avec moi pour la journée de demain, ça va être bientôt le rush de la fin d’année, tu comprends.

— Teva hésite : Ah OK ! Bon, j’y retourne, à toute.

Un étrange sentiment envahit Teva soudainement et cette question encore présente à son esprit refait surface immédiatement : qu’est-ce qu’il se passe ? Il avait remarqué sur le visage de Vanessa une étrange expression, mélange de surprise et de gêne ou alors d’abord la surprise et après la gêne peut-être ?

À présent qu’il déambule dans les chemins mal éclairés de Paea balayé par le vent, c’est la peur qui doucement est en train de l’envahir.

Qu’est-ce qu’il se passe ? se répète-t-il à voix basse.

Vanessa était-elle au téléphone avec un autre homme ? Il avait du mal à avaler l’excuse de la copine de boulot qui l’appelle un vendredi soir alors qu’elles étaient toutes deux ensemble deux heures auparavant. Et tout ça, juste quelques minutes après qu’il soit sorti pour la soirée. Et là, à présent, est-elle en train de le rappeler ?

En tout cas, elle avait une drôle de tête inhabituelle, ça c’est sûr et certain. Il y avait le parfum sur la veste d’abord et maintenant, le flag de la conversation téléphonique.

Sur le chemin de la répète, ce n’est pas sa musique qu’il a à l’esprit, ni même les pizzas de Giacomo, le faux italien pizzaïolo du coin, mais plutôt des scénarios par dizaines qui se bousculent dans son imagination fertile.

Vanessa voyait-elle un autre homme, pensait-il ? Et depuis combien de temps ? Et comment s’étaient-ils rencontrés ? Et comment faisaient-ils pour se voir sans qu’il ne s’en soit encore jamais aperçu ? Et c’est qui, ce connard ? Et meeeeerde ! cria-t-il. C’est bien le moment !!! Teva entend soudainement la sonnerie de son téléphone, en même temps qu’il en ressent la vibration dans la poche de son bermuda.

Il se saisit avec agacement du téléphone et décroche sans l’espèce de politesse élégante qui le caractérise : « Allo, c’est qui ? »

— Ia ora na Teva, pardon de vous déranger, c’est Samantha, l’aide à domicile de Papy.

— Oh ia ora na Samantha, répondit Teva en reprenant immédiatement sa voix de séducteur-chanteur.

— Je suis désolé de t’appeler aussi tard !

— Oh non, ne t’inquiète pas, je suis en train de me rendre à ma répétition du vendredi. Tu ne me déranges absolument pas.

— D’accord, écoute Teva, en fait je t’appelle au sujet de Papy. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Chapitre 2

Les White Beards

Time to wake up, time to face the bad news.

En chemin vers son moment de plénitude de la semaine, Teva ne s’attendait pas vraiment à recevoir un appel de ce genre.

— Ah que se passe-t-il ?

— Eh bien, tu sais, en ce moment, ça va pas vraiment fort. Je le ressens vraiment extrêmement fatigué. Le Taote12 est passé cet après-midi, après la sieste de Papy et il n’avait pas la tête des bons jours.

— Ah ! le taote ou Pépé ?

— Ben, les deux en fait.

— Mais c’est… c’est… c’est bizarre, bégaya-t-il, tout à l’heure, dans sa voix, il n’y avait pas vraiment de quoi s’inquiéter.

— Mais oui, quand il t’appelle, il fait des efforts et je vois bien aussi qu’il ne te dit pas tout et c’est pour ça que je t’appelle ce soir. Mais je voulais pas non plus te rendre triste, tu sais. Je l’aime beaucoup, Papy, alors, je me suis dit qu’il valait mieux que je t’appelle pour te dire un peu comment il va. Voilà, j’espère que je te fais pas trop de chagrin ?

Teva décela une émotion vive et sincère dans la voix de Samantha, car en plus d’être convaincu qu’il ne pouvait exister meilleure aide à domicile pour son grand-père, il savait qu’elle prenait soin de lui avec beaucoup de tendresse et de bienveillance comme elle aurait pris soin du grand-père qu’elle n’avait plus.

— Je le connais quand même, ça va aller. Il doit être un peu fatigué, c’est sûr, et puis surtout tu prends si bien soin de lui que, pour continuer à recevoir tes délicates attentions, il va s’accrocher encore dix ans, le Pépé Jean.

— Oui, c’est gentil, il faut espérer alors, répondit Samantha.

— Oui, ne t’inquiète pas.

Les rôles s’inversaient tout à coup et c’est Teva qui tentait de rassurer Samantha.

— Il a une santé de fer mon Pépé et il sait aussi que je dois enfin venir le voir pour Noël, ça va le requinquer. En plus, nous pourrons passer un peu de temps tous ensemble. C’est dans un mois et demi, ça passera vite.

— Oui effectivement, ça sera vite là.

— Je dois te laisser Samantha, car j’arrive chez mon pote bassiste pour la répétition. Merci beaucoup d’avoir appelé, c’était un plaisir de t’entendre et surtout, c’est tellement rassurant de savoir que Pépé est entre de bonnes mains. Merci encore pour tout ce que tu fais pour lui.

— Mais de rien, c’est normal. Eh bien ! bonne répétition et au fait, bravo pour tes chansons aussi, j’aime beaucoup ! Nana Teva.

— Oh, mais c’est gentil, merci Samantha. Passe une bonne soirée. Nana.

Teva qui se trouve juste arrivé à destination, raccroche, frappe trois coups sur la porte, quitte ses claquettes bleu turquoise et entre dans la maison de Fabien. Il emprunte le couloir resté obscur et pénètre dans le studio de répétition où l’attend déjà Paul, le batteur des White Beards.

— Aaaaah ! on a failli attendre, soupire Paul de sa voix nasillarde, assis sur le vieux canapé.

— Fab n’est pas là ?

— Si, il est au téléphone, il arrive.

Teva le regarde en répondant d’un sourire. Il ressent une fraîcheur agréable venant de l’intérieur. Une émotion naît en lui et tente de prendre possession de tout son être. Il sait, sans que rien n’ait été un jour dit ou annoncé, qu’il est ici chez lui, dans cette pièce précisément et que Paul et Fabien sont, avec Pépé Jean, sa seule famille.

Au milieu des câbles, des instruments, des pieds de micros, Teva est dans son temple à lui, dans ce monde sacré où son esprit peut enfin cheminer en toute tranquillité. Il se sent mieux, il se sent bien.

Fabien entre à son tour. Teva s’exclame :

— Ah, on est au complet. Salut les amours.

Teva s’approche et claque trois bises à ses deux frères de passion comme il se doit, entre musiciens.

— Les gars, j’ai une grande nouvelle, lance-t-il. Enfin même plusieurs !

Et Paul d’enchaîner tel un présentateur de JT :

— Mesdames, Messieurs, bonsoir et merci de nous rejoindre pour les infos du soir, il est 20 h et voici les principaux titres de ce vendredi… euh, on est le quantième déjà ?

— D’abord, poursuit Teva, j’ai une « ancienne nouvelle » compo que je ne vous ai jamais jouée et va falloir qu’on se mette dessus ce soir. Le titre c’est « All Together » et je pense qu’elle va vous plaire, enfin j’espère tout du moins.

— Ancienne nouvelle compo ? interroge Fabien. Tu l’as nouvellement composée il y a longtemps ? demande-t-il fidèle à son humour finement pince-sans-rire.

— Oui, en fait, c’est un titre que j’ai écrit il y a plusieurs années et tout à l’heure, je l’ai dépoussiéré et joué dans mon live du vendredi. Vous avez regardé pour une fois ?

— Ben, non comme d’hab ! répond Paul avec un certain ricanement complice. Si on avait un compte Facebook, ça se saurait.

— Je m’en doutais, bande d’arriérés !

— Alors, la suite ? lance Fabien.

Teva prend un air beaucoup plus inquiet.