La classe moyenne - Akeduke - E-Book

La classe moyenne E-Book

Akeduke

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Beschreibung

Si vous aimez l’argent, la musique, et l’Education, éventuellement nationale, alors ce roman peut vous montrer…tout ce qu’il ne faut pas faire. Si vous aimez Vianney ou La grande motte, reposez tout de suite ce livre. 


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
 
« …un roman court conseillé pour nos séjours courts… » So Lonely Planet 
« …une violente charge contre le showbiz français sous forme de huis Cloclo » Salut les coquins 


À PROPOS DE L'AUTEUR


Akeduke (nostalgique de Duke Nukem), auteur-compositeur-enseignant, il invente le titre et incarne à lui seul -ce qui n’est pas rien- une synthèse des bonnes mœurs des années 80 à nos jours. Enfin quasiment.

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Akeduke

La classe moyenne

A Edith« You will see light in the darknessYou will make some sense of this… »Secret journey, Sting

PREFACE

Avant que de commencer à lire cette modeste préface qui précède ce merveilleux roman, je demanderai au lecteur de se travestir l’espace d’un instant en auditeur. Aussi rébarbative qu’elle puisse paraître, cette petite expérience est néanmoins nécessaire pour se placer dans les meilleures conditions pour lire cet ouvrage majeur. Car la vie de l’auteur et de ses personnages est indissociable d’une certaine musique. La musique de qualité. La bonne musique. Celle qui est faite avec des guitares Fender ou Gibson vintage et hors de prix. Celle que notre bon goût notoire nous permet de distinguer des autres. Les autres musiques sont pour les imbéciles !!!

Il lui (au lecteur) est adressé donc une injonction de ma part. Celle de s’emparer de son smartphone, de lancer une application distribuant de la musique et d’écouter Claude-Michel Schönberg Le premier pas (1974)…

Je patiente…

C’est bon ? C’est fait ? Alors on peut commencer.

Le premier pas. Je VEUX qu’elle (fait) fasse le premier pas. Même pas je « voudrais ». Qu’a-t-il donc de spécial ce premier pas ?

Le premierpas.

Les premiers pas.

Tous ces pas qui sont si différents des autres du simple fait qu’ils sont les premiers.

Il en est un qui est tout particulièrement remarquable, vous en conviendrez. Il s’agit de celui que l’on fait tous. Très tôt, très jeune. Vous voyez certainement duquel je veux parler. Vous ne vous souviendrez pas du votre mais vous avez vibré, tremblé même pour celui de votre (premier) enfant. En effet pour le deuxième on s’en fout et pour le troisième n’en parlons pas. Je suis un troisième.

Le premier pas que l’on fait avec une fierté balbutiante suscite l’admiration. Quoi de plus légitime ? Quels efforts ne nous demande-t-il pas ? Quelles prouesses ne sont-elles pas nécessaires pour le produire ? Quelles ressources ne nous faut-il pas aller puiser pour accomplir cette succession de petites impulsions électriques incroyablement bien placées dans le temps et qui nous permettent à la fois de tenir en équilibre sur les pattes arrières et d’avancer par le savant dosage de l’utilisation des muscles antagonistes ? Et tout ça sans savoir que ça s’appelle un schème moteur et qu’il nous faudra en construire des milliers ne serait-ce que pour aller aux toilettes toutseul.

Il nous en faut montrer des trésors d’ingénierie pour mériter de lire dans le regard de cet entourage conquis par avance l’admiration tant désirée. Cette admiration qu’on ne cessera plus jamais de rechercher. Alors que le petit chevreuil lui, sitôt né sitôt debout et parfois sitôt mangé se contrefiche pas mal qu’on l’admire ounon…

On titube déjà, on se lance à corps perdu, ça passe ou ça casse, mais en général, comme l’oiseau qui se jette dans le vide pour la première fois, l’instinct nous dit que c’était le moment. Trop tôt on n’a pas les guiboles, et trop tard on passe pour un guignol. C’est un peu moins risqué que pour l’oiseau, il faut bien le reconnaître. Le petit moineau, lui, à l’instar du chevreuil, ne suscite pas l’admiration de ses parents lorsqu’il s ‘élance pour la première fois dans le vide, au péril de sa vie. Et pourtant. Trop tôt, il tombe, s’écrase, meurt dans d’atroces souffrances, trop tard, il meurt de faim car ses parents ne vont pas le nourrir au-delà du certificat d’étude. Oui les moineaux en sont restés au certificat d’étude. Ils n’ont pas la folie du changement de jargon à chaque nouveau quinquennat. Chaque bouleversement ministériel n’engendre pas forcément son chapelet de réformes inutiles, pédantes et qui donnent envie d’expédier des dizaines de boites à gifles dans les bureaux de tous ces penseurs plus bêtes les uns que les autres et qui se gargarisent en jargonnant à qui mieux mieux. Celui de l’Education nationale étant, il faut bien l’avouer, l’un des meilleurs dans le domaine. J’en profite pour redorer le blouson de l’humanité qui, se substituant parfois aux parents indignes que sont les moineaux, se charge de témoigner au jeune oisillon lors de son premier envol, cette admiration tant méritée.

La première rentrée. Celle qui nous fait tant peur. Celle dont toute la famille parle depuis des mois. Celle qui fait que maman va perdre la moitié de ses amies tant elle va saouler tout le monde avec ça. Cette rentrée qui nous plonge dans la machine à formater dont on ressortira tout prêt, tout soumis, tout docile. Un rite. Une initiation. A mi-chemin entre la constitution d’une culture générale dont on peut être fier et un long dressage. A mi-chemin entre un apprentissage à la liberté grâce à la connaissance et une acceptation de la soumission. A mi-chemin entre le rêve de réussir (devenir riche) et la forte probabilité de grossir les rangs de la classe moyenne, celle qui nourrit les miséreux et engraisse les ultra-riches. Mais lors de cette rentrée, lors de cette première fois-là, on ne voit pas tout ça bien sûr. On voit juste qu’il faut se placer. Eviter de se faire casser la gueule par celui-là, surtout en présence de celle-là. Par contre l’autre là on va pouvoir en faire ce qu’on veut et celle-là qui nous court derrière on va la garder sous le coude au cas où. Et même si elle est un peu moche. Pour ce qui est des notes, chacun fera en fonction de ses capacités. Mais ce n’est pas là l’essentiel.

Le premier baiser. Ou la première fois qu’on fait l’amour. Les garçons et les filles ont bizarrement des versions différentes alors qu’ils sont censés faire la chose ensemble. Tout est faussé par l’image que cette première fois nous permettra d’asseoir durablement aux yeux des autres. On ment à ce sujet. Les rentrées scolaires sont l’occasion de raconter des aventures sexuelles hypothétiques qui se seraient déroulées durant l’été. Sans témoin. Mais après, pendant toute l’année, plus rien. Comme par hasard. Mon âge ne me permet pas de savoir exactement où en sont les jeunes dans cette première fois-là. Mais Je peux vous raconter ma première fois à moi.

Laurence !!!!

Je t’embrasse Laurence. Je ne veux pas savoir ce que sont devenus tes seins fabuleux qui faisaient de toi la plus belle fille du lycée. Un joyau dans cet écrin qu’était le lycée Bonaparte de Toulon. Ça et ton magnifique sourire, ta peau douce et dorée de méditerranéenne, ta démarche sensuelle, ta chevelure ondulée et ton regard de salope il faut bien l’avouer. Je ne veux pas le savoir. Laisse-les encore comme dans mon souvenir. Ils étaient magiques. Au sens propre du terme. Seule la magie peut faire de tels miracles. Un tel volume, une telle masse ne PEUT PAS avoir cette forme parfaite et défier à ce point et sans vergogne les lois DE LA PHY-SI-QUE ! MERDE !!!

Ceci étant dit, et avec tous ces souvenirs que cela fait jaillir en moi, je peux l’avouer, ma première fois était désastreuse ou presque. Pas à cause de Laurence qui avait tout pour réussir sa première fois, elle, mais à cause de moi qui ne savait pas quoi faire de tout ça. C’était un peu comme passer son permis de conduire à bord d’une Ferrari. Aujourd’hui je saurais me débrouiller avec n’importe quelle voiture de sport parce que je n’en suis plus à ma première fois. Mais la vie est cruelle et j’ai rarement l’occasion de pénétrer à bord d’une Ferrari. Et plus ça va aller plus les occasions vont se faire rares.

Laurence, c’était mon premier amour. Elle était à la gent féminine ce que le léopard est au règne animal. Ce que la Porsche 911 bi-turbo est à l’automobile, ce que Venise est à l’urbanisme, ce que l’expressionisme allemand du début du vingtième siècle est à l’art pariétal. A moins que ce ne soit l’inverse mais comme vous ne connaissez certainement rien à l’expressionisme allemand, peu importe.

J’étais beaucoup trop timide pour Laurence. Je n’étais pas pressé. Elle oui. Elle a attendu longtemps. A l’approche de la majorité, j’ai eu ce que les femmes qui n’ont pas d’enfant ressentent à l’approche de la quarantaine. L’horloge biologique qui sonne le glas d’une époque qui doit se terminer. Alors j’ai enclenché ma première fois ainsi que celle de Laurence qui n’en pouvait plus d’attendre. Et ce fut donc nul. Si bien que je n’ai pas eu envie de recommencer. Pas tout de suite en tout cas. Je n’étais donc toujours pas pressé. D’autant que l’honneur était sauf et que mon horloge biologique me laissait tranquillement jouer au babyfoot avec mes copains en me vantant d’avoir réussi haut la main mon passage dans la vie d’homme. Alors Laurence, qui avait certainement décelé en moi l’étalon que j’allais devenir plus tard, et tout en essayant assidument de me faire devenir l’homme dont elle avait besoin, s’est mise à enchaîner les premières fois. Et la plupart de mes copains ont vécu leur première fois avec Laurence.

Le premier salaire, ou gagner au loto ? Quelle différence ? Quel plaisir que cette autonomie nouvelle. C’est comme gambader la bite à l’air dans les herbes hautes. Je vous laisse le soin de transgenrer cette phrase.

Mon premier salaire est passé intégralement avec le deuxième dans l’achat d’une MPC2000. Si vous êtes toujours sur Youtube à écouter Claude-Michel Schönberg  Le premier pas (1974 )…profitez-en pour jeter un œil à la MPC2000.

Cette sensation de liberté est grisante et tant pis si ce salaire et les menus plaisirs qu’il génère nous enchaine définitivement dans ce système qui nous oblige à faire le deuil de la liberté, de l’originalité, du libre arbitre et tutti quanti. Tant pis s’il signe l’officialisation de notre asservissement. Le fait est que sur le moment cette première fois-là est très agréable. Le système est bien huilé qui créé cette sensation de soulagement à une frustration de manière à nous rendre accroc. Drogué au salaire de misère. Voilà ce que nous sommes.

Pour certains il y a également la première partouze, le premier infarctus, le premier redressement fiscal, le premier meurtre, etc… Je sens votre impatience à voir cette préface se terminer afin de pouvoir commencer la lecture du roman. Je vais donc abréger. Je suis la première partie que tout le monde veut voir dégager de la scène au plus vite afin de laisser la place à la vedette américaine. En l’occurrence la perle de Casa.

Tels des petits robots lâchés dans une nature qui n’en n’est plus vraiment une, on est tous plus ou moins programmés pour sauter du nid au bon moment, pour s’user les shorts sur les bancs de l’école sans rechigner pendant 10, 15 ou 20 ans, pour disséminer nos gênes aux quatre vents à la première occasion. Pour accéder à un salaire insuffisant en échange d’un temps infini qu’on donne. Un temps qui constitue notre vie et que l’on donne. Mais à qui ? Qui tire encore et toujours du profit à sucer notre temps ? Qui a tout intérêt à nous faire croire qu’on est tous des collaborateurs dans cette religion qu’est notre économie ? L’économie des hommes.

C’est marrant comme ce mot possède deux sens bien distincts. C’est marrant comment le plus vaste système, la plus grande organisation, celle qui permet à certains de s’enrichir plus que de raisons et de faire accepter à d’autres qu’ils ne sont pas que des moins que rien, mais qu’ils sont indispensables. Ce réseau immense qui existe dès lors qu’une poignée d’hommes se trouvent amenés à vivre ensemble et qui aujourd’hui regroupe huit milliards d’humains dans une guerre civile et fratricide à laquelle peu d’entre nous ont la conscience de participer, c’est marrant comme ce vaste système est désigné par un terme qui veut aussi dire « radiner ».

Bref, toutes ces premières fois, on y est tous plus ou moins programmés, préparés. Ça se passe toujours à peu près comme il faut. Sauf pour moi avec Laurence. Mais un premier roman…

Voilà autre chose…

Car c’est bien là que je veux en venir, comment sait-on que ce qu’on a dans la tête mérite d’être couché sur du papier afin d’être lu par d’autres petits robots ? Qui juge de cela ? Qui peut dire « toi, tu écriras et ce que tu écriras sera de la merde, alors tu n’écriras pas » ou bien « Toi là, écris. Vas-y, n’aies pas peur, ça sera bon, et en plus tu pourras, de ce fait, te taper des Laurence ». Encore que Laurence ne fût pas férue de littérature. Quoi qu’il en soit cette première fois-là est tout aussi intense que les autres. Avant d’écrire son premier roman on se dit que c’est impossible d’écrire tous ces mots. Que c’est pas pour nous. En fait c’est possible. Tout le monde peut y arriver. Ce qui est difficile c’est d’écrire un bon roman.

Ce que vous allez lire après ma modeste contribution est un premier roman. Ce premier roman est une réussite. Comme des premiers pas à la démarche séduisante et solide, une rentrée en confiance faite de boulettes de papier maché lancés dans les cheveux de la maitresse et de 18 en maths, un premier baiser doux et vicieux à la fois. Un premier salaire en partie gaspillé aux putes et en partie placé sur un livret A.

C’est marrant, intelligent, cocasse et coquin.

C’est une première fois de plus pour l’auteur qui peut-être trouvait que sa dernière première fois était trop loin déjà. A moins qu’il n’ait voulu agir plutôt que d’attendre que sa prochaine première fois soit la dernière. En effet cette première fois-là n’est pas la moindre mais on s’en passerait. La mort est bien une premièrefois.

Alors un premier roman. Pourquoipas ?

Rémi LeGal

Prologue

C’est étonnant comme je viens de dire à mes élèves qu’une probabilité ne s’applique pas à l’individu mais au grand nombre, que Shany a 100 % de chances de réussir son brevet (trop sympa en plus cette petite), tandis qu’un autre (moins sympa mais pas agressif) que je ne cite pas en prétendant qu’il est dans une autre classe, a 0% de chance de l’avoir, et le tout bien indépendamment des 91,4% de réussite constatés l’année dernière dans notre collège, score comparable à notre belle moyenne nationale, et que malgré tout, me voilà en train d’acheter un ticket de loto Euromillions, contredisant toutes mes belles théories.

Après tout je ne fais rien de mal. En tous cas, moins qu’un médecin qui se remet de l’annonce d’une grave maladie à son précédent patient en s’allumant une cigarette. Non, c’est juste que mon néocortex peut bien se reposer de temps en temps, je m’appuie sur lui au boulot, c’est bien la moindre des choses (tout le monde ne le fait pas) et là je me laisse tenter en me donnant bonne conscience d’être vénal, non, bêtement vénal puisque je n’ai aucune chance de gagner. J’y vois même une qualité car vénal tout court c’est vouloir de l’argent avec préméditation, moi c’est juste par disons opportunisme puéril, c’est ce qui se fait de mieux concernant l’argent. En effet, je ne viens jamais à la librairie-tabac, et je ne joue jamais, c’est juste que j’ai besoin d’un stylo rouge de marque Pilot — et d’un certain modèle — sans quoi j’estime que mon écriture est contrariée et encore plus médiocre que d’habitude. Alors me voilà en caisse et j’en profite : « deux stylos rouges (et un bleu au point où j’en suis)… Et un Euromillion tiens ! » 4 euros de plus ou de moins, est-ce que mon train de vie s’en trouvera contrarié, non.. , autant les mettre directement dans une poubelle, oui…, ou même, et je vais le faire, je donnerai le reste de mes pièces (3 euros 60, quasiment la même somme, symboliquement c’est pas rien, je me dis que si pour 1 euro gâché il y a 1 euro offert, je suis un mec bien, enfin je me le dis rapidos sans passer par la formulation verbale) au clodo de l’entrée qui est très sympa, pas le genre à vous demander quoi que ce soit brutalement, un mec qui sait faire sentir à la société environnante qu’il est respectueux de son mode de vie — le mien — qu’il est demandeur passif d’une aide modeste, ayant bien conscience qu’il enfreint la sacro-sainte règle « travail équivaut à argent » ou en stricte logique « pas travail équivaut à pas argent ». Et je me dis que ce mec est fort car il arrive à contourner la logique à lui tout seul, un vrai philosophe qui en plus a le courage de vivre sa théorie, ou finalement que tout ça est faux, tout en lui donnant les pièces, le gratifiant d’un sourire qui veut dire « merci je suis une “belle personne” grâce à vous », putain d’expression de merde, j’espère qu’il ne va pas me souhaiter une « belle journée » parce que je vais vite regretter mon geste. Dieu merci, il est de la vieille école, ou il n’a pas Facebook, ou il est réac, mais il se contente d’un « merci monsieur » fort respectueux, et moi je dégage de la librairie-tabac pour un an à peu près, avec une certaine sérénité.

En chemin, je me laisse aller à penser que j’aurais pu lui expliquer brièvement que je suis loin d’être le plus riche du quartier, beau quartier s’il en est, mais même probablement un des plus pauvres. Non plus, pas le plus pauvre, j’ai un bon salaire, très au-dessus du salaire médian et moyen, ça j’adore, c’est un truc qui dit que je suis dans la classe moyenne (mes élèves aussi grâce à la loi sur l’hétérogénéité des classes…), mais par contre doté du plus petit patrimoine, mais bon j’ai un patrimoine quand même, toujours est-il qu’avec les blindés qu’on croise par ici, cela donne d’autant plus de panache à mon geste. Bon, je suis arrivé chez moi, je coupe court à mon autosatisfaction.

CHAPITRE 1 Une demi-journée de classe

–« Vous prenez une feuille double, vous n’écrivez rien sur le sujet, vous avez droit à la calculatrice, vous pouvez commencer, et concentrez-vous bien pour ne pas faire d’erreur dès le début alors que les questions sont les plus faciles », je répète ma phrase deux ou trois fois tandis que le léger brouhaha dû à l’effervescence de l’évaluation s’atténue rapidement.

C’est une heure de devoir surveillé donc, un petit no man’s land dans la semaine pour moi, le cours a été déroulé depuis bien deux semaines, les exercices ont été faits et corrigés, des questions orales et autres entrainements ont été proposés, tout le monde a pu participer et constater qu’il avait compris, non franchement, j’ai bien fait mon truc, à l’ancienne, mais je l’ai fait. En vrai pas tout le monde n’a compris, puisque certains sont largués complet, et d’autres ne prennent jamais la parole, mais ils peuvent se projeter dans celle des autres, je crois que ça sert à ça la participation en classe, on ne m’a jamais expliqué mais peu importe, on ne m’a rien expliqué car c’est difficile à expliquer, c’est juste des lois sociales et psychologiques qu’on apprend sur le tas. Et d’ailleurs, je vais avoir droit, comme une loi parmi d’autres, qui s’applique avec la même légitimité que celle de la gravité à mon pack d’eau, à ces trois questions, au minimum, posées très poliment :

« Est-ce qu’on prend une feuille double ? »

« Est-ce qu’on a le droit à la calculatrice ? »

« Est-ce qu’on peut commencer ? »

En général, à la troisième question, des élèves excédés (il faut les voir) vont répondre à ma place ! « Oh mais oui, il l’a dit, t’es bouché ou quoi ! » Parfois ça peut tourner au vieux couple entre deux élèves « Il a pas dit qu’on pouvait commencer » « Mais si vas-y tu perds du temps » « Non regarde il distribue encore »… « Hého, il est là ! Il vous entend ! Et il vous dit de vous taire et de commencer » Je suis obligé d’intervenir…

Mais j’aurai aussi probablement des questions à visée encore plus rassurantes, des questions doudou, même en 3ème :

« Est-ce qu’on fait des phrases ? » Fais comme tu veux tant que je comprends la réponse.

« Est-ce que je peux écrire au crayon ? » Oui si tu appuies bien car sinon je ne vois rien, je m’énerve en corrigeant et je mets du rouge partout ». Je réponds en souriant, c’est bien la moindre des choses, c’est lui qui morfle là, c’est pas moi.

Ces deux dernières questions sont les prérogatives de l’adulte, c’est moi qui dois décider de ça, le doute est permis, ils ne répondront pas à ma place. Je suis décisionnaire de la procédure ! Et ma parole compte. Y’a pas mal de profs qui doivent se fantasmer chef d’entreprise ou Premier ministre, une espèce d’ambition rentrée…

Je suis souvent étonné que les élèves m’accordent tant d’importance, je leur en sais gré. Je sais que ce n’est pas tout à fait ma personne, c’est mon statut, ma place symbolique, la transposition momentanée et éphémère que j’incarne de leur adulte de référence sentimentale (bon, leur père quoi, ou leur mère ça marche aussi), mais quandmême.

Ils me font sourire (intérieurement bien sûr), leurs questions disent qu’ils veulent bien faire, ou même me faire plaisir, ou mieux : faire comme tout le monde, s’insérer ? Être heureux plus tard ? Ne pas rater le train qui fait tchou tchou ?

Je ne me moque pas d’eux, je mesure les difficultés qui les attendent, je commence à comprendre avec l’âge que le chemin va être difficile à tous points de vue pour eux, et qu’ils ont bien raison de profiter à outrance de leur dernier smartphone, tant qu’ils me rendent des devoirs corrects bien sûr, je suis prof quand même, j’aime le bon travail, surtout quand je me souviens le mal que j’ai eu à le faire moi-même à leurâge…

Certains savent déjà que le train est parti sans eux, le tchou tchou — encore lui ! a chanté il y a bien longtemps, et ne s’est jamais représenté, eux ne rigolent pas, ils font la tête, quand ils ne se montrent pas hostiles, mais l’institution a décidé qu’ils étaient quand même montés, dans le dernier wagon certes, mais que tout le monde s’envolerait du même quai (respect Francis Cabrel), pour atterrir où ?....J’y reviendrai.

Une heure de devoir (50 minutes en vrai), c’est un moment tranquille, sauf si les élèves font les cons, s’ils refusent l’obstacle, mais les miens non, j’ai des classes avec des très bons, d’autres classes avec des moins bons, mais ils se montrent dociles et ils prennent mes évals au sérieux. J’irai presque jusqu’à dire qu’ils m’aiment bien. Moi je les aime bien « en général », tout le monde est content, l’éval est un moment très calme. Ils la prennent sous le bon angle : « On relève les compteurs, montrez-moi un peu ce que vous savez faire » enfin plus ou moins, on peut couper les cheveux en quatre sur le rôle d’une interrogation écrite, la note, la marge de progrès,etc.

Toujours est-il que c’est le moment pour moi de remplir mon cahier de textes numérique, trier quelques papiers, prévoir quelques séances, m’organiser quoi, m’occuper !… Puis texter un peu : « J’ai plus de jus d’orange, tu passes à carrefour ? ». Ça, c’est pour ma femme. Pour les copains j’ai plutôt « demain chez Mathis à 15h, y’aura de la bonasse ». En fait de bonasse, on se contente de commenter la photo d’une femme à poil à quatre pattes avec une pomme sur le cul style Guillaume Tell (si quelqu’un s’en souvient) qu’il vient de nous envoyer sur notre groupe WhatsApp et qui génère des commentaires d’un niveau métaphorique soutenu. « J’y boufferais bien le cul avant la pomme », a affirmé Raphaël, 45 ans, instituteur, suscitant une approbation à base d’émoticons que je vais moi-même confirmer. Mais il a que ça à foutre l’autre, de chercher des trucs pareils ! Bon, heuuu, presque, oui. Il bosse peu, c’est un libéral déguisé en anarchiste. Alors je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir la photo sur mon téléphone, il ne faudrait pas qu’à ce moment-là, un élève fonce vers moi derrière mon bureau, mais ça n’arrive jamais, ou pire, mon téléphone m’échappe des mains, il rebondit sur mon bureau, se retrouve au milieu d’une des deux allées centrales entre les élèves, et tombe côté confiture, l’écran bien vers le haut avec la luminosité et le contraste au top de mon iPhone (extraordinaire écran Rétina), à portée de vue d’environ 9 élèves. « Comment un concentré de technologie, accessible pour un demi-SMIC, a ruiné la réputation d’un prof respectable et bien noté par sa hiérarchie !»

Bon ça a peu de chances d’arriver (faudrait consulter les probabilités sur le sujet sur le site education.gouv.fr) mais quand même, les élèves m’ont déjà dit qu’un prof matait du porno en classe, un collègue à moi, sympa au demeurant : « Oui c’est vrai, Mattéo l’a vu en allant à son bureau ».

Est-ce que c’est vraiment vrai ? Je connais mon collègue, je ne le vois pas faire ça, pas par corporatisme, mais parce que je ne le sens pas dans ce genre de trucs, ou alors il se faisait vraiment chier entre midi et deux et il a laissé trainer une page web ouverte, et les gosses en ont fait tout un truc, car les rumeurs vont vite avec les enfants et elles dépendent beaucoup du nombre de punitions que vous infligez !

Exemple récent : un prof apprécié et respecté, pas de problème de discipline, look jeune et sportif, assez cool, peu de punitions pour le coup, un poil exigeant avec le boulot, assez passionné par sa matière (les maths), un bon, je le sais. Dans sa 3ème, une jeune fille semble amoureuse de lui, un grand classique qu’il n’aurait même pas mentionné sans l’incident. Un jour, cette gamine porte un haut qui laisse voir sa poitrine beaucoup trop décolletée, l’ambiance est à surveiller les tenues dans l’établissement, un nouveau règlement a été voté, il est décidé que les adultes doivent veiller à tes tenues correctes, vœu pieu…. En pleine classe (28 élèves quand même) il s’approche de cette gamine assise au centre de la classe et lui demande de remonter son bustier, il me cite la phrase employée « Lily, remonte ton bustier s’il te plait, c’est un peu limite là » et il joint le geste à la parole en mimant une main qui remonte une fermeture éclair. La gamine s’exécute et le cours se passe sans rien de notable.

Au cours suivant, avec une enseignante, la gamine en pleurs : « Qu’est ce qui ne va pas Lily ? » « Monsieur G. m’a touché les seins », « Oui, enchaine sa meilleure amie dans la classe, il lui a touché les seins »

Le reste est anecdotique et se déroule à peu près comme suit : rendez-vous chef d’établissement, justifications diverses, confrontations, témoignages de 26 élèves qui démentent, pleurs, parents dans la confusion, puis finalement excuses, et enfin pseudo-réconciliation, et un prof qui est passé à côté de sérieux problèmes, pour une simple maladresse, certes vexante, mais qui n’a rien à voir avec un geste déplacé. Reste une question : pourquoi son amie l’a soutenue dans un premier temps, ce qui a monté l’affaire en épingle ? Peut-être par vexation solidaire… Il s’avère que les deux amies, de bonne famille, seraient peut-être des petites amies l’une pour l’autre, et accessoirement impliquées dans quelque harcèlement à l’égard de jeunes filles de l’établissement.