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Au cœur des étendues Tikar du Cameroun, le village de Ntchi, sous le règne d’un roi noble, se prépare à désigner un héritier pour porter la mission sacrée de protection du peuple. "La couronne" aborde avec élégance les enjeux délicats de cette succession royale, entre polygamie et croyances variées. En explorant des thématiques profondes telles que le viol, l’infertilité et le féminisme, ce récit déploie une fresque épique où se mêlent traditions et luttes pour l’émancipation, vous invitant à une réflexion intense.
À PROPOS DE L'AUTRICE
À travers ses écrits,
Audrey Yangan explore la richesse de l’expérience humaine, véhiculant des messages qui résonnent comme des échos de nos luttes quotidiennes et invitent à la réflexion sur nos défis communs.
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Seitenzahl: 99
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Audrey Yangan
La couronne
Roman
© Lys Bleu Éditions – Audrey Yangan
ISBN : 979-10-422-5081-2
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Dès ma plus tendre enfance, j’avais senti que j’étais différent, différent des autres enfants autour de moi. Déjà, notre concession était la plus grande du village. Près de 30 personnes y vivaient. Mon père, mes trois mères, donc les trois femmes de ce dernier, mes sœurs, ainsi que plusieurs oncles que j’ai découvert plus tard être des notables de mon père. Ensuite, la dépendance de ma mère, elle aussi, était la plus grande de la concession. Mon père venait nous rendre visite, à ma sœur et à moi, presque chaque jour, ce qui n’était pas le cas avec mes 7 autres sœurs et leurs mères. Enfin, le regard que mon géniteur posait sur moi était particulier. On aurait dit que j’étais un trophée, une sorte de dernier espoir. Il me témoignait un amour immense et fort, m’emmenant partout lors de ses déplacements : pas étonnant que j’étais le seul de notre fratrie à connaître si bien le village. Très souvent, au retour de nos voyages, je réunissais mes sœurs autour du feu et je leur contais ce que j’avais vu à l’extérieur. Elles s’émoustillaient et partaient dormir pleines de rêves pour le lendemain, qui, bien sûr, ne duraient que le temps d’un prochain lever de soleil, s’évanouissant aussitôt qu’à chaque chant du coq, la dure réalité de notre environnement s’imposait de nouveau.
Ce n’est qu’à mes 12 ans que je compris pourquoi j’étais traité ainsi. Une nuit, à l’occasion, mon père me fit appeler par l’un de ses notables à sa dépendance. La mine qu’il affichait témoignait de tout le sérieux de son annonce. Je m’assis, comme à mon habitude, sur la natte apprêtée pour les visiteurs de mon père, lui, en face, assis sur son trône.
Je me levai et me dirigeai vers là. C’était habituellement le siège de tonton Fo’oh Nsong, son grand frère de même père, qui était aussi son premier notable et fidèle allié.
Je pris congé de lui et rejoignis notre dépendance. Cette nuit, je ne dormis pas insouciant comme un préadolescent de mon âge, car mon esprit était occupé à autre chose. Ses paroles me semblaient si lourdes pour mes petites épaules toutes menues. Après ce jour-là, l’attitude de mon père envers moi changea du tout au tout.
Retour sur mon enfance, bercée de multiples jeux avec mes sœurs dans notre immense cour, de cérémonies organisées par les gens du village pour des raisons aussi primordiales que futiles, ou encore de voyages aux quatre coins du pays à la rencontre d’autres chefs et de leurs enfants, avec qui j’échangeais volontiers sur leurs visions des choses et leurs journées. Aussi petit que je fusse, j’aimais comprendre ce que ressentaient les enfants qui avaient presque le même vécu que moi. Certains adoraient cette vie d’or et de paillettes, d’autres, comme moi, ne se rendaient vraiment compte de rien et prenaient tout ce qui venait comme cela venait, tandis que d’autres détestaient cette prison dorée. À chaque fois que je rentrais, je m’empressais de raconter à mes sœurs ce que j’avais vu ou entendu.
L’une des visites qui m’avait marqué s’était déroulée il y a un an. J’avais 11 ans. Papa, Fo’oh Nsong, Ntame (l’homme à tout faire de papa, à son service depuis la naissance de papa), trois gardes et moi étions allés dans un village voisin. J’y avais fait la rencontre d’une jolie jeune fille qui m’avait été présentée comme ma future promise. Il s’agissait d’un accord fait entre nos grands-parents des décennies auparavant. Je n’y comprenais vraiment pas grand-chose, mais cette petite fille me semblait si triste. Quand je l’approchai, elle baissa la tête incessamment. Tout ce que je voulais, c’était jouer avec elle et me faire une nouvelle amie. À notre retour, je racontai tout à Loumè, ma grande sœur, ma préférée, issue de l’union de papa et de sa deuxième épouse.
Elle m’interrompit toujours avec cette grande douceur :
Je ne compris pas clairement où elle voulait en venir, mais je me sentais si bien près d’elle. Bien qu’elle ne fût que ma sœur, je la considérais comme ma 4e maman. Du haut de ses 18 ans, elle était si douce, apaisante. Elle me parlait toujours avec attention et me protégeait lorsque je me faisais attaquer par mes autres sœurs, qui me reprochaient à chaque fois de jouer avec les filles, de participer à des jeux de filles ou encore de porter de grands boubous même en pleine chaleur. Elle n’avait jamais vu mon corps, et moi je n’avais jamais vu le sien. Toutes se lavaient ensemble, mais lorsque j’essayais de les rejoindre, je me faisais chasser ou sévèrement réprimander par mes parents. Enfant, j’étais jaloux de la relation entre elles, alors je me consolais avec l’attention particulière que me donnait mon père et nos petits voyages, que je me faisais une joie de leur raconter chaque fois pour susciter leur jalousie et leur admiration.
Dans la nuit noire, près du ruisseau qui parcourait l’arrière de la maison de papa, de l’autre côté, une immense forêt, un petit vent parcourait nos cheveux. Les morceaux de bois crépitaient çà et là. Au milieu de nous se dressait un feu ardent. Nous étions tous rassemblés là, les 9 enfants de Fo'oh Ndong 4e du Nom. Chacune entonnait des chants à son tour, et pour ceux qui nécessitaient des danses, nous nous levions et nous dansions. De sa somptueuse voix, Loumè répétait l’une de ses chansons favorites.
Chant en Tikar :
Mbiiip Mbelam Beee eh Yiliguem ne ya nou et ooooo wou lissa mounou eh eh Mba mou yen mou nou eh ayo oh eh.
Ainsi, Yiliguem se levait, esquissait quelques pas de danse et c’était à elle de réentonner le chant. Elle à son tour reprit et me désigna : « Mbiiip Mbelam Beee et eh Nyeli ne ya nou eh ooooo wou lissa mounou eh eh Mba mou yen mou nou eh ayo oh eh », et je me levais pour danser.
Mon père, qui à ce moment passait par-là, se prit de colère et intima l’ordre à ma sœur Yiliguem de retourner dans sa chambre et nous interdit de chanter cette chanson à nouveau dans cette cour. Nous fûmes tous surpris. Qu’y avait-il de mal à chanter cela ? Comme c’était notre père, personne n’eut le courage de lui demander pourquoi cette énorme colère.
Alors on décida à l’unanimité ce soir-là de ne plus rien chanter jusqu’au petit matin, mais juste nous raconter des histoires et bien sûr je fus le premier à ouvrir le bal.
« Les dragons, j’en ai vu au pied de la plaine, l’autre jour avec papa, il crachait du feu, je vous jure. Je montais sur le dos de l’un d’eux, et on fit le tour du monde. » Elles me regardaient toutes ébahies sauf mes 3 premières grandes sœurs, dont Loumè, qui, elles, savaient sûrement que j’étais en quête d’amour envers mes sœurs d’où ces histoires farfelues. On s’endormit tous là, et le matin je rejoignis ma maison.
Yiliguem, qui avait dormi toute seule avec maman, était là, assise, et s’excusa devant moi, sous ordre apparemment de mon père et de ma mère. Bien que je ne compris toujours pas ce qu’elle avait fait de si grave, j’acceptais ses excuses tout en regardant ma mère, l’esprit assez agité.
À mon arrivée dans la douche de papa, il était en pleine conversation avec Ntamè. Je n’avais pas pour habitude de suivre quand les aînés parlaient, mais la colère de papa laissait s’échapper quelques bribes de conversation.
De là, je n’entendis plus rien et c’était mieux ainsi.
Après ma douche, ma mère vint me chercher et m’emmena chez « la dame du village ». C’est comme ça qu’on l’appelait. C’était la plus vieille du village et elle me donnait des cours, sur les astres, les mathématiques et les physiques anciennes. J’étais le seul à y avoir droit parmi les enfants de papa. Toutes ces petites choses de ma vie renforçaient encore en moi l’idée que j’étais sûrement un enfant assez spécial pour mes parents, bien avant que papa ait eu la discussion de la veille avec moi.