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Elrich est confié par ses parents à Myrrdin, célèbre mage de la cour du Roi Arthur. En sa compagnie, il vivra des aventures étonnantes et défiera de nombreuses forces puissantes et, pour certaines, d’une dangerosité extrême. Ensemble, leur mission est d’établir une paix durable entre les peuples magiques et les humains. Pour y parvenir, la première étape consistera à convaincre Léviathan, la plus terrible et la plus ancienne de toutes les créatures que la terre ait portées, de se rallier à leur cause. Y arriveront-ils ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Éric Vandeweyer partage son temps libre entre la lecture et l’écriture, scientifique d’abord, puis fictionnelle. Avec
La dernière alliance – Livre premier – Léviathan, il crée par des mots un portail magique vers un univers peu commun.
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Seitenzahl: 677
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Éric Vandeweyer
La dernière alliance
Livre premier
Léviathan
Roman
© Lys Bleu Éditions – Éric Vandeweyer
ISBN : 979-10-377-5870-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pour Victoria la princesse,
Pour Valentin le chevalier,
Pour Marie-Claire la presque fée
Je vais bientôt mourir !
Cela ne m’effraie pas, j’ai fait mon temps, voilà tout. De toute façon, je suis fatigué. Depuis soixante ans que je suis vigile, mon corps et mon esprit se sont usés. Il est temps que je leur accorde le repos auquel ils ont droit, fût-il éternel.
Voici donc plus de soixante ans que je fus choisi comme vigile. Soixante-deux, pour être exact, que j’assure avec fierté cette fonction aussi secrète qu’honorable. Je ne me plains pas, je savais le jour où j’ai accepté que je ne serais relevé de mes fonctions que par ma mort. Le temps en est venu et ma dernière tâche sera, comme pour chacun de mes prédécesseurs, de m’assurer que la garde se perpétue, que la mission se poursuivra après moi et pour des siècles encore.
Je ne fus qu’un maillon d’une chaîne qui prit sa source il y a plus de mille ans et devra continuer tant que le monde sera monde. Cette chaîne est celle des vigiles de la Dernière Alliance et c’est donc à moi qu’il appartient de découvrir mon successeur, l’héritier de la Mission, le prochain Vigile de L’alliance.
C’est là une tâche difficile, car je ne connais pas celui qui sera l’élu, lui-même n’a d’ailleurs aucune idée de son destin. Comme moi et tous les précédents, il sera choisi, mais n’aura pas le pouvoir d’influencer ce choix. Comment et par qui s’opère ce choix ? Je ne suis pas certain de connaître avec précision la réponse à ces questions. L’élu prend conscience qu’il est choisi, il sent couler en lui la force et la connaissance nécessaire à accomplir son devoir, s’il l’accepte. Tout ce dont je suis certain, c’est qu’il est choisi dans sa douzième année et que trois ans de plus seront indispensables pour qu’il soit prêt.
Je me rends compte en écrivant ces lignes que je ne conserve pas le plus infime souvenir de cette période cruciale de mon existence, pas un seul. Pourtant, je ne suis pas sénile, je revois toujours avec netteté presque tous les moments de ma vie, à l’exception de ces trois années. Pour autant qu’il m’en souvienne, un jour j’ai su que j’étais l’élu puis je me suis senti paré à mener à bien mon devoir. C’est tout.
À présent que c’est à mon tour de trouver le prochain vigile, je ne me souviens que de quelques règles simples :
Le vigile peut être un garçon ou une fille.
Il devra être dans sa douzième année.
L’élu doit prendre connaissance de l’histoire de sa prodigieuse lignée. C’est au travers de cette connaissance qu’il sera choisi.
Pour celui ou celle qui sera désigné, cette histoire deviendra son histoire, elle fera partie de lui comme il en fera partie. Pour les autres, de loin les plus nombreux, ce récit ne laissera aucune trace dans leur existence, voire dans leur mémoire. Ils n’en ont pas besoin, ils ne seront pas vigiles.
Si tu es prêt à affronter ton destin et à accepter d’être choisi, alors, continue ta lecture, sinon…
Je le répète, c’est uniquement par la connaissance de l’histoire des Vigiles de L’alliance que l’on peut être choisi. Cette histoire, ce récit éternel, le voici…
Aux portes d’une cité
Huitième siècle apr. J.-C.
Les premières lueurs de l’aube, pourpres, déchiraient un ciel lourd de menaces de neige. Les volutes d’un épais brouillard s’accrochaient aux arbres de la forêt de chênes entourant les épaisses murailles de la cité. L’homme et l’enfant, emmitouflés dans leurs vêtements de laine et de peau, luttaient contre le froid piquant. Ils attendaient l’ouverture des portes de la vile, comme de nombreux marchands et paysans venus là pour se livrer à leurs négoces. Tous espéraient obtenir de quoi sustenter leurs familles et payer les taxes dues à leur seigneur. Ils étaient résolus à patienter même s’ils savaient que seuls les plus rapides trouveraient les meilleures places au marché. Les autres, moins chanceux, devraient se contenter des emplacements moins achalandés, ce qui hypothéquerait leurs chances de remplir leurs bourses.
L’homme et l’enfant, quant à eux, n’avaient cure des marchands, des badauds et du commerce. Ils étaient là pour une raison moins vénale. S’ils avaient quitté leur chaumière au cœur de la forêt et pris la route cinq jours auparavant, c’était pour répondre à une invitation. La personnalité de celui qui les avait ainsi conviés, si elle était encore inconnue du jeune garçon, n’avait pas laissé sa mère indifférente. Sitôt le message reçu, et sans la moindre hésitation, elle avait confié à son mari que le temps était venu de s’absenter pour plusieurs jours et qu’il emmènerait son fils aîné. Elle n’avait pas discuté cette décision, trop consciente que celui qui réclamait aujourd’hui la présence de son fils ne lui voulait aucun mal. Ils avaient conclu un pacte il y avait maintenant presque onze années et rien ni personne ne l’empêcherait d’en respecter les engagements. Malgré une tristesse légitime à l’idée de se séparer ainsi de l’aîné de ses enfants, elle accepta donc sans crainte qu’il parte ainsi à la rencontre de son destin et de celui qui l’aiderait à l’accomplir.
Son époux était bon pour elle et sa progéniture, ne les battait jamais, travaillait dur pour les nourrir et les loger, ne buvait pas plus que de raison et, même s’il était bourru et peu loquace, elle sentait qu’il la respectait et l’aimait.
Après avoir réuni quelques effets et des provisions pour le voyage, l’homme et l’enfant avaient donc pris la route de bon matin. Ils avaient marché cinq jours durant, à travers bois, collines et vallées, ne s’arrêtant que pour manger leurs maigres réserves de pain et de fromage. Le soir, ils établissaient un sommaire bivouac et tentaient de se réchauffer autour d’un feu de branches mortes. Ils dormaient à tour de rôle, par crainte des bêtes sauvages, mais plus encore des brigands qui n’auraient pas hésité à s’en prendre à deux voyageurs vulnérables. L’homme ne possédait, en guise de protection, qu’un couteau de chasse plus destiné à le rassurer qu’à éconduire des bandits déterminés. Le jeune garçon n’avait pour toute arme que son bâton de marche. Ces moyens de défense auraient été bien plus vains encore si le malheur les avait amenés à croiser la route de Rovenik. La terrible et féroce sorcière constituait pour tout voyageur le plus grand danger des forêts du pays. Cruelle au plus haut point, elle n’aurait pas un instant hésité à s’en prendre à eux sans autre raison que le plaisir de se délecter de leur peur. Ses yeux noirs glaçaient le sang de ceux qui la croissaient et peu nombreux sortirent sains d’esprit d’une rencontre avec elle. Cette femme malfaisante se faisait le plus souvent accompagner de, son compagnon d’infamie, Marcus le marteau. Cet être vil et stupide se chargeait des basses besognes pour satisfaire les moindres désirs abjects de sa maîtresse. Il était aussi craint que la sorcière, même si son manque d’intelligence ne compensait qu’insuffisamment la férocité dont il faisait montre en toute circonstance.
Par prudence, ils avaient évité les bourgs, préférant la quiétude des forêts et des champs. Ils avaient donc affronté le froid, la brume, la fatigue et même une pluie glacée sans chercher un abri. L’homme parlait peu, ne s’adressant à l’enfant que pour signaler les repas ou l’heure du bivouac. L’enfant, même si à cette époque on était plus un enfant à douze ans, n’avait quant à lui pas cherché à en savoir plus sur la raison de leur périple. Non qu’il fût dénué de curiosité, il savait que si son père souhaitait lui fournir des explications il le ferait sans qu’il soit besoin de les demander.
Seul le bruit de leurs pas troublait donc le calme des bois qu’ils traversaient. Après cinq jours de marche forcée, ils arrivèrent enfin en vue des remparts d’une ville. La nuit tombait et les torchères des portes faisaient danser des ombres sur les murailles et les tours de garde.
Il était trop tard pour pénétrer dans l’enceinte sans sauf-conduit officiel. L’homme détenait un sauf-conduit autrement plus important qui leur aurait ouvert toutes les portes à n’importe quelle heure, mais il avait reçu pour consigne de tenir secret le but de son voyage et faire étalage du parchemin qui avait motivé son départ aurait mis en péril ce secret. Le nom du signataire de la missive, plus encore que le contenu du message, aurait inévitablement provoqué rumeurs et spéculations.
Ils allaient donc établir leur campement de fortune aux abords de la route menant au pont-levis de la porte orientale de la cité.
Malgré l’heure tardive, il régnait autour des remparts une activité inhabituelle. Partout, l’on voyait des campements de fortune, le plus souvent aménagés à la hâte. Des soldats en armes et arborant sur leurs tuniques et leurs boucliers des armoiries diverses allaient et venaient de tous côtés. Des rires gras et des cris de joie s’élevaient autour des tentes et de nombreux braseros avaient été allumés tant pour réchauffer les gardes que pour délimiter les abords des campements. Des odeurs de ragoût enivrantes pour qui avait le ventre vide chatouillaient leurs narines. La vue de pièces de gibier tournant sur des broches et même les bruits de vaisselle leur rappelaient qu’ils éprouvaient grand-faim.
L’homme et le garçon se frayèrent discrètement un chemin parmi les hommes d’armes avant de trouver, en retrait, leur emplacement pour la nuit. Le garçon, peu coutumier d’un tel spectacle et quelque peu intimidé par la cohue, ne cessait de jeter des regards sur toutes ces images nouvelles. Cette curiosité évidente lui attirait bon nombre de quolibets et même quelques rebuffades de la part de cette soldatesque brutale et vulgaire. L’homme, sans tenter de détourner l’attention de l’enfant de ce spectacle, entreprit de préparer un feu, tâche difficile, car presque tout le bois disponible alentour avait déjà été ramassé par les soldats.
Il trouva néanmoins suffisamment de brindilles négligées pour allumer un maigre foyer sur lequel il jeta des feuilles et un peu d’herbe fanée pour ralentir la combustion. Il ouvrit son baluchon et invita le jeune garçon à partager leurs dernières provisions. Après ce frugal repas, harassés par leur longue marche, ils s’enveloppèrent dans leurs pelisses pour la nuit et, malgré le vacarme persistant, n’éprouvèrent aucun mal à trouver le sommeil.
Bien qu’épuisé par ce périple, le repos du garçon ne fut pas réparateur. De multiples et trop nombreuses questions lui taraudant l’esprit. Il peinait à trouver une position confortable et s’éveilla en sursaut à plusieurs reprises au cours de la nuit.
Tout était pourtant calme alentour et la présence des feux de camp entretenus par les soldats avait de quoi l’apaiser. Cependant, la sérénité relative du campement n’empêchait en rien son esprit de vagabonder. Pourquoi étaient-ils ici et qui devaient-ils y rencontrer ?
L’homme et le garçon attendaient donc l’ouverture des portes de la cité. Le brouillard semblait étouffer les bruits environnants, nés du réveil des soldats, des changements de garde, de la mise en branle des hommes d’armes et de la préparation de la première pitance de la journée. Autour d’eux, les marchands, le regard las et les paupières encore lourdes du poids du sommeil manquant, demeuraient pour la plupart silencieux. On entendait partout dans cette foule rassemblée le caquètement des poules dans leurs cages d’osier, le bêlement des moutons, le béguètement des chèvres et même le grondement d’un ours qu’un montreur tenait en respect derrière les barreaux d’une cage. Celle-ci était juchée à l’arrière d’une carriole tirée par une mule sans âge qui ne paraissait pas s’inquiéter de la présence de l’ours. L’odeur forte du fauve se mêlait aux remugles de basse-cour et aux senteurs plus subtiles des légumes. Il flottait aussi une pointe douce-amère, sans doute des pommes qui en cette saison devaient commencer à se flétrir et à fermenter.
Une odeur plus forte, celle de la crasse et de la maladie, mélange de sueur, d’urine et de furoncles provenait d’un groupe de mendiants agglutinés en marge de cette petite foule. Ils se tenaient en retrait par crainte des coups et des rebuffades des commerçants qui craignaient la rapine ou plus simplement encore la contagion. Ces pauvres hères tenteraient leur chance auprès des gardiens et certains, sous couvert de charité, seraient autorisés à pénétrer dans l’enceinte de la cité pour quémander l’aumône.
L’homme attira l’enfant à l’écart et, après un regard circulaire, lui fit signe de s’approcher de lui.
Le jeune homme, exalté par la promesse de connaître enfin le but de ce voyage, ne répondit rien, attendant que son père poursuive.
Il reprit alors sa place dans la file, signifiant ainsi qu’il n’avait aucune intention d’aller plus avant dans les explications. Le garçon n’en était que plus intrigué. Pourquoi ce secret, pourquoi cette réserve ? Quel était ce personnage mystérieux qui les avait mandés en ces lieux et que leur voulait-il ? Pourquoi un simple paysan et son fils devaient-ils venir dans cette cité et pourquoi en secret ? C’est à ces questions et à beaucoup d’autres encore qu’il réfléchissait quand un bruit sourd retentit, suivi d’un grincement puis d’une clameur de satisfaction. On ouvrait les portes ! Cinq à six gardes repoussèrent sans ménagement les marchands qui se pressaient pour entrer dans la ville. Ils n’avaient cure des personnes ou des marchandises et ne faisaient montre d’aucune délicatesse. Des rangs des marchands, agacés par l’attente et le froid, montèrent quelques protestations bien vite ravalées quand l’un des gardes brandit une hache à double lame d’un air menaçant. Après quelques gestes d’intimidation, ils finirent par laisser entrer les premiers de la file et le reste de la colonne s’ébranla petit à petit. Quand leur tour arriva de se présenter face aux gardes, l’homme, comme convenu, prétendit qu’ils étaient venus pour faire des achats. Pour étayer son affirmation et assurer qu’ils n’étaient pas des mendiants, il pointa discrètement une bourse de pièces au tintement révélateur. Il confia avoir l’intention de la vider aux étals de la cité. Rassuré, le garde qui les interrogeait leur livra passage et ils furent alors admis à passer les fortifications.
Une foule déjà nombreuse se bousculait dans les ruelles aux pavés irréguliers. De part et d’autre d’étroites venelles s’échappaient vers les profondeurs de la cité.
L’homme poursuivit son chemin, sans prêter la moindre attention aux devantures des artisans, tailleurs ou orfèvres, pas plus qu’aux étals des maraîchers ou des camelots. Une bonne odeur de pain s’échappait par la porte ouverte d’un boulanger, rapidement masquée par les remugles plus âcres provenant de sentes et chemins aux sols jonchés de détritus. Plusieurs mendiants et estropiés tentaient de glaner quelques pièces en s’agrippant aux braies et aux mantes des passants, la plupart du temps récompensés d’un coup de pied rapide et dissuasif. Le bruit était omniprésent et presque oppressant pour les deux voyageurs plus coutumiers du calme de la forêt. Le garçon se demandait comment son père savait où aller et s’il connaissait déjà cette cité. Ce devait assurément être le cas puisqu’il ne marqua à aucun moment la moindre hésitation dans son parcours. De ruelle en placette, ils se dirigeaient vers le cœur de la cité, s’élevant régulièrement vers un château qui la dominait entièrement.
À l’approche des murailles du château, l’animation des badauds cédait la place à celle des gens d’armes dont certains avaient établi de véritables campements. Tout comme en dehors de la cité ceux-ci bivouaquaient sous diverses bannières, se voisinant avec un peu plus d’ordre que les troupes massées dans les bois. Pourtant, malgré cette rigueur, les hommes d’armes ici présents affichaient une plus grande sérénité. Aucun ne portait l’épée ou même le gambisson. Les armes, bien entretenues, demeuraient rangées sur les râteliers. Les tentes étaient plus grandes et plus richement ornées, des calices d’argent voisinaient les gobelets d’étain sur les tables de campagne. L’homme expliqua à l’enfant qu’ils contemplaient là les tentes des chefs, ce qui justifiait sans doute la plus grande discipline qui semblait régner alentour.
L’orbe solaire s’élevait dans le ciel et ses rayons frappaient à présent la moitié supérieure des murailles crénelées. Sans marquer la plus petite hésitation, l’homme entraîna son fils vers la porte d’accès du château, elle aussi défendue par des soldats.
Ici, point de file d’attente, point de foule, mais il ne serait pas plus aisé de franchir le barrage. Après plusieurs regards de droite et de gauche, l’homme s’avança d’un bon pas vers le poste de garde. L’un des soldats, le plus âgé et donc sans doute le responsable du poste, s’interposa aussitôt. Ses hommes, restés en léger retrait, portèrent à l’unisson la main aux pommeaux de leurs lames, prêts à intervenir.
Après une courte hésitation, le garçon approcha à son tour de quelques pieds, se plaçant un pas derrière son père. Le garde leva la main, leur signifiant de s’arrêter alors même qu’aucun des deux ne bougeât encore.
L’homme eut un geste de la main pour signifier à son fils de demeurer là, à la suite de quoi, sans un mot, il plongea la main droite dans une poche de sa tunique. Ce geste cristallisa l’attention des soldats dont certains firent un pas en avant, se préparant à l’action.
Sans un mot de plus, mais avec une lenteur délibérée, l’homme sorti la main de sa poche et la tendit paume ouverte vers le ciel sous les yeux du garde qui lui faisait face. Celui-ci se pencha légèrement, hésita une seconde puis écarquilla les yeux. Son regard passa par deux fois de la main ouverte au visage de l’homme, affichant une incrédulité certaine. Sa main quitta son épée et sa mâchoire se détendit. Ce n’est qu’à ce moment, alors même qu’elle se dissipait que le garçon prit conscience de la tension extrême qui régnait quelques instants auparavant. Il relâcha l’air de ses poumons et tendit le cou pour voir ce qui avait tant surpris le garde.
Sur la paume ouverte de son père, il y avait une bague. Trop épaisse pour être un bijou de femme, pas assez brillante pour être véritablement précieuse, elle semblait luire, ou plutôt irradier d’une luminescence rouge sang. L’anneau, pour grossier qu’il fût, s’ornait d’une pierre dont émanait cette étrange lumière. De là où il était, le garçon ne pouvait distinguer la forme ou la nature de cette pierre, pas plus qu’il ne put déterminer avec certitude si elle était gravée à l’instar d’un sceau. Qu’elle le fût ou pas, l’effet que cette bague d’apparence si inoffensive avait exercé sur le garde témoignait de sa grande valeur.
Celui-ci, de méfiant et arrogant qu’il était avant de la découvrir, semblait à présent d’une tout autre composition. Il regarda l’homme une dernière fois droit dans les yeux, pas avec défiance, mais cette fois avec respect, inclina presque imperceptiblement le chef et s’écarta pour leur livrer passage. Voyant cela, les autres soldats, trop éloignés pour avoir entrevu quoi que ce fût, se détendirent à leur tour et libérèrent le chemin pour l’homme et le jeune garçon.
L’anneau avait déjà rejoint sa cachette. L’homme rendit au garde son salut de la tête et s’engagea sans un mot sous la voûte de pierre. Le garçon le suivit aussitôt, non sans un regard inquiet vers les pointes de la herse qui dépassaient au-dessus de leurs têtes. Ils franchirent ainsi la muraille, épaisse d’au moins six pieds. Une seconde herse meurtrière était prête à s’abattre de l’autre côté.
Quelques ruelles grossièrement pavées s’étendaient devant eux. Deux d’entre elles longeaient les remparts et rejoignaient de larges escaliers montant vers le chemin de ronde et les tours d’angle. L’homme les négligea, s’avançant vers la plus large. Elle s’élançait en droite ligne vers le château.
Au bout de quelques mètres, il s’arrêta puis, se tournant vers l’enfant, lui annonça qu’ils devaient se rendre aux cuisines et attendre qu’on les fasse mander.
À peine une poignée de minutes plus tard, ils arrivaient devant une porte dont les lourds battants étaient ouverts. Des odeurs de pain, de ragoût et de friture leur chatouillèrent les narines, rappelant à leurs estomacs qu’ils étaient bien vides.
Un colosse se présenta devant eux. Il était aussi large que haut, la face rouge et le nez piqué. Un tablier de cuir sale tendu à craquer sur une énorme panse. Ses énormes mains posées sur les hanches semblaient capables d’assommer un bœuf d’un seul coup. Il était si imposant qu’il leur barrait à lui seul la presque totalité de la porte à double vantail. Bien qu’il le dominât tant en hauteur qu’en carrure, il ne parut nullement impressionner l’homme.
Avant qu’il eût le temps de les chasser des cuisines, l’homme lui adressa un signe de l’index l’invitant à s’approcher de lui. Se penchant pour être à sa hauteur, le colosse n’afficha aucune surprise quand il lui chuchota quelque chose à l’oreille. Sans discuter, il se redressa, acquiesça de la tête et, toujours sans le moindre mot, mit son imposante masse en mouvement pour rejoindre l’intérieur des cuisines.
L’homme le suivit et d’un signe de tête invita son fils à l’imiter. Le colosse les emmena vers le centre de la vaste salle où il leur désigna une table de belles proportions. Ils prirent place sur un banc de bois après avoir déposé leurs sacs de voyage à même le sol. Il ne fallut pas plus de quelques instants pour que l’on pose devant eux de quoi boire et manger en quantité.
Encouragé par un regard de son père, le garçon se rua sur cette manne et ne s’arrêta de manger qu’une fois le ventre plein et bien plein. Tandis qu’il dévorait avec gourmandise, l’enfant lançait des regards curieux de toutes parts. Il y avait foule autour d’eux et la besogne ne semblait pas manquer. Un groupe de fillettes épluchait, lavait et coupait choux, navets, panais et autres légumes. Deux marmitons touillaient avec une spatule de la taille d’une petite rame dans un chaudron gigantesque. Des pyramides de volaille plumées et vidées attendaient dans un coin d’être enfilées sur les broches. Il y avait des oies, des cygnes, des poules de taille respectable, des faisans, des grives et bien d’autres oiseaux encore que le garçon ne fut en mesure d’identifier. Des cageots garnis d’herbes étranges et visqueuses regorgeaient de poissons de taille impressionnante. Par la porte ouverte, l’on surprenait le passage de commis faisant rouler des barriques de bière et de vin. Au plafond pendaient une profusion d’herbes et d’aromates en bouquets entiers séchés. Sur le mur du fond, suspendus tête en bas à d’imposants crochets, deux chevreuils et un porc gras.
Tout à son exploration des alentours, le garçon ne réalisa pas que le cuisinier ne les quittait des yeux l’homme et lui. Le colosse, en effet, tout en paraissant diriger le travail de toute la cuisine demeurait très attentif à ses deux visiteurs. Dès qu’il les avait installés à la table, il s’était éclipsé par une porte dérobée pour confier un message à un coursier de confiance mais avait bien vite rejoint son poste d’observation. Sans en avoir l’air, il jaugeait l’homme et le garçon tandis qu’ils mangeaient. Pas plus que les gardes, il ne connaissait leur identité ou la raison de leur présence au château, tout au plus savaient-ils qu’ils étaient attendus par l’un des dignitaires de la cour et que leur mission était de la plus haute importance. De nombreux invités se succédaient au château et à la table du Roi depuis plusieurs semaines. Malgré une lancinante curiosité, personne n’était parvenu à découvrir ce qui se cachait derrière toutes ces réunions et visites. Plus d’un avait tenté d’en apprendre davantage, de lever un coin du voile sur tous ces mystères mais ils en furent pour leurs frais. Rien ne filtra, pas le moindre indice ne transpira, pas la plus petite indiscrétion ne s’échappa de la salle du conseil, celle-là même où le Roi recevait tout ce beau monde. Et puis il y avait cette table, si grande que douze sièges l’entouraient. Une table monumentale et taillée ronde sur les ordres du Roi en personne. Le secret avait été si bien gardé que les rumeurs les plus extravagantes naissaient tous les jours depuis bientôt un mois que se déroulait ce défilé incessant de dignitaires, de chevaliers, de vassaux à la table du roi. L’on chuchotait même, mais il n’en avait pas été le témoin, que d’importants représentants des peuples non humains furent conviés dans la plus grande discrétion. Que pouvaient faire des elfes, des fées, des mages, des druides et bien d’autres peut-être dans ce château ?
Tout cela dépassait le cuisinier qu’il était, cependant sa curiosité était grande et soumise à rude épreuve. Fort heureusement, le travail ne manquait pas avec ces festins à préparer, organiser et servir tous les jours. Il avait été contraint d’augmenter les effectifs de son équipe, recrutant tant et plus pour faire face au surcroît de labeur. Des paysannes, des commis, des coursiers intégrèrent ses équipes. Il fallut même engager des charretiers pour acheminer les denrées, ceux de l’intendant ne suffisant plus à la tâche.
La peste soit de ce fichu intendant gonflé de prétention ! Il avait purement et simplement refusé de prêter aux cuisines les deux carrioles nécessaires, arguant que sa mission auprès du Roi était plus importante que celle d’un vulgaire cuistot. Qu’il s’étouffe dans sa graisse, ce porc ! Quelle tâche pouvait bien être plus noble que d’offrir vins fins et nourriture abondante et savoureuse aux convives du Roi ? Combien de pactes n’avaient abouti que grâce à la bonhomie provoquée par la bonne chair ? Combien de batailles ne tournaient en débâcles faute de nourriture ? Quel idiot cet intendant, l’homme le plus important de la cour du Roi ne pouvait être que le chef cuisinier !
Tout à ses pensées peu charitables le cuistot gardait un œil scrutateur sur les deux étrangers. L’homme avait la mise d’un paysan sans arme ni fortune, et le garçon, un enfant encore, tout juste en âge d’être écuyer. Que pouvaient-ils bien faire à la cour ? Quel dignitaire pouvait bien avoir besoin de ces deux rossignols ?
Le colosse en était là de ses interrogations quand le coursier l’arracha à ses songes. Il lui glissa un message à l’oreille.
Inconscient de la discrète surveillance dont il était l’objet, le garçon s’appliquait avec délectation à faire un sort aux victuailles posées devant lui sur la grande table. Peu coutumier de ce genre de plats il dévorait cependant avec appétit, découvrant textures et saveurs avec plaisir et gourmandise. Les maigres repas de pain et de fromage partagés durant leur périple n’avaient suffi qu’à masquer sa faim, pas à le rassasier. Il dévorait donc à belles dents tout ce qui passait à sa portée provoquant sourires et commentaires amusés de la part des commis qui garnissaient la table. L’homme lui-même ne pouvait dissimuler son amusement à le voir ainsi s’empiffrer. Il manqua s’étouffer dans une part de tourte, ne reprenant couleur humaine qu’après avoir fait passer la bouchée avec une lampée de bière. L’amertume du breuvage, tout autant que l’inconfort d’une déglutition laborieuse, lui arracha une grimace et un frisson, provoquant une fois encore l’hilarité de tous. Il repoussa son gobelet, préférant l’eau fraîche et pure que lui tendit l’homme. Il mangeait vite, trop vite, craignant que les plats ne lui soient retirés avant que sa faim ne soit éteinte. Lorsqu’il lui devint évident que ce ne serait pas le cas son rythme ralentit. Il continua de manger jusqu’à satiété, voire au-delà et se sentait lourd et empâté de tant de nourriture quand il repoussa enfin son écuelle.
Son ventre plein, la chaleur ambiante, le bourdonnement incessant des cuisines et peut-être aussi la gorgée de bière le plongèrent dans une douce torpeur. Il ne percevait plus les sons distinctement comme si ceux-ci se fondaient les uns dans les autres. Tout, autour de lui, paraissait se dissoudre dans une légère brume estompant les contours des objets comme des gens. En un mot, le garçon s’endormait sur son banc au milieu du bruit et de l’agitation des cuisines.
C’est dans ce demi-sommeil qu’il perçut la présence du colosse penché à l’oreille de son père. Il lui sembla qu’il le dévisageait sans aucune retenue tout en chuchotant son message. L’homme acquiesçât, visiblement satisfait de ce qu’il venait d’entendre puis, avec délicatesse, posa une lourde main sur l’épaule du garçon et d’un geste l’invita à le suivre. Ils se levèrent donc puis, sur un signe du cuisinier, se dirigèrent vers le coursier qui les attendait au fond des cuisines. Sans un mot, le coursier revêtu d’une tunique aux armoiries du palais les emmena vers l’intérieur du château. Il marchait d’un bon pas, traversant salles et couloirs sans hésiter, les entraînant à sa suite. Des escaliers de pierre aux marches lustrées par le passage les éloignèrent des cuisines. Le bruit s’estompait. Ils atteignirent une salle d’armes aux murs couverts de râteliers en bois pour les lances, épées et boucliers. L’endroit était vide, pas un soldat assis à l’une des nombreuses tables. L’espace était de dimensions impressionnantes et le garçon imaginait le tumulte qui devait rebondir sur les murs quand la garde était présente. Une odeur de bois brûlé imprégnait encore l’air bien qu’aucun feu ne flamba dans l’imposante cheminée.
Des marches à nouveau, puis d’autres salles dont le garçon ne connaissait pas la fonction. Le coursier les priait sans cesse de se hâter. On entendait à leur passage que le frottement de leurs chausses sur la pierre et le froissement de leurs vêtements. Ils ne croisèrent pas âme qui vive dans le palais, sans doute tout le personnel était-il occupé auprès des nombreux chevaliers et vassaux présents à la cour. À moins que tous ne soient en réunion à la salle du trône. Après un parcours digne de Dédale, le garçon se sentait complètement désorienté et bien incapable de retrouver seul le chemin des cuisines. Il se demandait comment leur guide faisait pour s’y retrouver dans tous les recoins du palais et surtout combien de temps encore ils allaient arpenter les couloirs avant d’arriver à destination. Comme en réponse à ses questions, le coursier s’immobilisa devant une porte de bois monumentale, ils étaient rendus !
Les deux lourds vantaux étaient splendides et intimidants, tant par leurs dimensions que par les bas-reliefs dont ils étaient ornés. Ceux-ci représentaient des scènes de chasse, de combat et, dans la partie supérieure, une image plus terrible encore que les autres : un chevalier en armure, défiant de sa lame une créature ailée à la gueule garnie de crocs acérés et à la longue queue de serpent. Le dragon était si finement sculpté dans le bois que l’on s’attendait à tout moment à ce qu’il prenne son envol et quitte le panneau pour s’attaquer aux visiteurs. Parcouru d’un frisson à cette image, le garçon s’empressa de détourner le regard tant il craignait de percevoir un mouvement de la part du monstre ailé.
Sans que le coursier ait eu besoin de s’annoncer, la partie droite de la porte s’entrouvrit sans le moindre bruit, dégageant un espace juste suffisant pour le passage de l’homme et de l’enfant. Leur guide s’effaça et, sans un mot, les invita à entrer.
À peine furent-ils entrés que la lourde porte se referma sans qu’il soit possible de voir qui la manœuvrait.
La salle dans laquelle ils se trouvaient à présent était plus vaste encore que la salle de garde. Les plafonds d’une hauteur vertigineuse étaient soutenus par de lourdes colonnes et des cintres de pierre. D’étroites fenêtres permettaient à la lumière du jour de pénétrer dans la pièce. Des armures de combat et d’apparat avaient été disposées au pied de chaque colonne, les gantelets posés sur la garde des épées. Les blasons du royaume et de ses provinces ornaient les murs, reflétant la lueur dansante des torches et des immenses chandeliers. Au centre de cet imposant espace trônait une gigantesque table ronde entourée de douze sièges à dossier haut, tous identiques. Au milieu de cette table, une étoile à douze branches encadrait le blason royal, chacune des branches de l’étoile désignait l’un des sièges. Pas de trône, pas d’estrade contre le mur opposé à la lourde porte d’entrée. Seules quelques tapisseries pendaient de part et d’autre d’une carte du pays peinte à même le mur. Il régnait un silence profond, solennel, à peine troublé par le crépitement des torches fixées aux murs.
L’homme et le jeune garçon demeuraient interdits à l’entrée de cette salle impressionnante et majestueuse… mais vide de toute présence. Ils étaient seuls et de plus en plus intrigués quand un mouvement derrière l’une des tapisseries attira leur attention.
Auréolé d’un peu de poussière qui tombait de lourdes pièces de tissu, un homme fit son entrée. Il était vêtu d’une sorte de cotte de toile grise serrée à la ceinture par une cordelette tressée à laquelle pendaient de petites bourses de cuir, une cuillère de bois et d’autres objets que le garçon ne put identifier. Tandis qu’il venait à leur rencontre, le visage de l’inconnu se fit plus distinct. Il était sans âge, les cheveux à l’épaule, ni gris ni noirs. Ses yeux bleu profond dégageaient à la fois une force et une énergie énorme. Un nez fort mais pas gros surmontait un large sourire qu’entourait une courte barbe. Son expression avenante se trouvait renforcée par un regard souriant. Avec une vitesse étonnante, il rejoignit l’homme et le jeune garçon et leur tendit une main puissante à chacun. Sans un mot, l’homme inclina la tête en signe de révérence à leur hôte, puis, d’une main hésitante entreprit de chercher quelque chose dans sa poche.
L’homme n’eut pas le temps d’achever ses explications. L’inconnu avait levé une main dans un geste d’apaisement pour le faire taire. Il les invita ensuite tous deux à prendre place à la monumentale table ronde. Une fois qu’ils furent installés, l’inconnu reprit la parole.
L’homme et le garçon échangèrent un regard où se mêlaient respect et incrédulité.
Myrrdin était le plus puissant des mages du royaume et personne n’ignorait sa réputation. On le disait le seul capable d’affronter l’infâme et cruelle Rovenik, la sorcière que tous craignaient de rencontrer un jour. Myrrdin se serait déjà opposée à elle à plusieurs reprises pour aider les malheureuses victimes de sa méchanceté. Il avait également porté secours à de très nombreuses personnes à travers tout le pays.
Que pouvait bien leur vouloir un mage si puissant ? Qu’attendait-il d’eux ? Étaient-ils en danger ?
Myrrdin eut à nouveau un sourire face à leurs airs ébahis.
Le Roi auquel faisait allusion Myrrdin s’appelait Arthur, fils d’Uter Pendragon. Le Roi Uter avait été un grand roi, protégeant son royaume et ses sujets avec bravoure. Il avait souvent eu à se battre pendant son règne, contre des envahisseurs, des vassaux renégats, mais aussi et plus difficilement contre des créatures du monde magique. Il avait défié et vaincu des sorciers, des esprits et même de terrifiants dragons qui tous menaçaient son peuple. C’était d’ailleurs en sa mémoire que le blason d’Arthur représentait un dragon rouge, symbole de puissance et de force mais aussi de sagesse.
Le petit Arthur n’avait pas été élevé à la cour mais dans la maison d’un chevalier de confiance à qui il avait été confié par l’entremise de Myrrdin. Personne dans le royaume, pas même lui, ne le savait fils du Roi, si bien qu’à la mort tragique de celui-ci tous les vassaux se déchirèrent dans de terribles affrontements pour occuper le trône. Pourtant, aucun ne parvint à s’imposer car, le garant du pouvoir, l’épée Excalibur demeurait scellée dans une enclume magique. Or, l’épée seule permettait d’asseoir la légitimité d’un Roi.
C’est le jeune Arthur qui fut seul capable de retirer Excalibur de l’enclume et par conséquent de prendre la succession du Roi Uther Pendragon sur le trône.
Myrrdin n’en fut pas étonné bien entendu, puisqu’il était le seul à connaître le secret de l’origine véritable d’Arthur.
Au fil des années, Arthur démontra des qualités de courage et de justice aussi grandes que celles de son illustre père (qu’il ne connaissait toujours pas), mais en plus il était pétri d’un idéal de sagesse et de paix. Grâce aux conseils et enseignements de Myrrdin, il parvint à unifier le royaume. La table ronde constituait désormais le symbole de cette paix, en effet, autour d’une telle table toutes les places revêtaient la même importance et tous bénéficiaient du même poids.
Myrrdin les invitait donc à participer à une quête au nom du Roi Arthur !
Le garçon restait pantois, il ne comprenait rien à ce qu’il entendait de la bouche du magicien le plus puissant du royaume. Comment avait-il pu le rencontrer peu après sa naissance alors qu’il n’avait jamais quitté la chaumière dans la forêt ? Comment cela était-il possible ? Myrrdin se trompait-il de personne ? Pourtant il connaissait son nom !
Myrrdin répondit ainsi à une série de questions qui n’avaient pourtant pas été posées.
Les yeux d’Elrich menaçaient de quitter leurs orbites tant sa stupéfaction était grande. Il se demandait avec insistance s’il devait défaillir ou plutôt s’enfuir à toutes jambes de cette salle.
Une fois encore Elrich fut perturbé par ces révélations. Il n’avait jamais eu affaire à Rovenik ou à l’une de ses malédictions. De sa courte vie, il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui eut vu la sorcière de ses propres yeux. Comment pouvait-il correspondre à cette description que le mage faisait de lui ? Il devait y avoir une méprise et bien vite tout rentrerait dans l’ordre. Elrich dévisageait le magicien avec incrédulité tout en restant persuadé qu’il y avait erreur sur la personne.
Elrich sursauta sur son siège. Il venait d’entendre la voix de Myrrdin alors même que les lèvres de celui-ci n’avaient pas bougé. Le mage le regardait droit dans les yeux et lui souriait mais n’avait pas prononcé le plus petit mot tandis qu’Elrich l’entendait distinctement parler.
Ils discutèrent encore de longs moments des aspects pratiques. Elrich logerait dans l’enceinte du palais, Myrrdin s’occuperait à la fois de son éducation et de le préparer au mieux à accomplir sa destinée.
Bien que l’idée de quitter la chaumière en forêt, sa mère, sa sœur et son père pour demeurer au palais soit pour lui source d’appréhension, la perspective de vivre de palpitantes aventures aux côtés de Myrrdin avait de quoi émoustiller l’enthousiasme d’un garçon de son âge. Bien qu’il ne connaisse encore aucun détail de cette « dernière Alliance » il s’imaginait déjà en armure étincelante, l’épée à la main, volant au secours de belles princesses ou poursuivant les ennemis du royaume jusqu’aux limites du territoire. Même s’il percevait que les implications de la décision qu’il se préparait à prendre étaient lourdes de conséquences, Elrich, après avoir reçu l’aval de l’homme, s’empressa d’accepter la proposition de Myrrdin.
Le mage leur fit servir à manger dans cette même salle. Pendant le repas, auquel ni Elrich ni son père ne touchèrent tant ils étaient déjà repus, ils discutèrent encore beaucoup. Myrrdin s’inquiéta de la santé de Sylva, la mère du jeune garçon, de sa sœur ainsi que de leur voisine dans la clairière, la courageuse Dame Souris. Il leur raconta quelques-unes de ses aventures à travers les forêts du royaume. Elrich posa de nombreuses questions sur son avenir et ne reçut que fort peu de réponses et encore étaient-elles évasives. Sur les aventures de Myrrdin par contre il en apprit beaucoup plus, par exemple que le mage avait aidé le peuple des fées, des licornes, sauvé la descendance des souris, conjuré le pouvoir des naïades à l’aide de petits cailloux et bien d’autres encore. Quand il questionna le mage sur les raisons qui l’avaient amené chez sa maman des années plus tôt, Myrrdin répondit que c’était à Sylva que revenait le plaisir de lui conter cette histoire quand elle le souhaiterait.
Ils mangèrent peu, rirent beaucoup et, une fois le repas terminé, se retirèrent. Myrrdin les confia à l’un des pages du palais qui les emmena vers une chambre où ils passeraient la nuit.
Malgré, ou à cause de l’exaltation de cette journée surprenante, Elrich sombra rapidement dans le sommeil. Il éprouvait la sensation de flotter dans les airs, s’insinuant entre les arbres d’une épaisse forêt sans toucher le sol. Il distinguait le moindre détail, la plus petite feuille, la plus infime trace de givre sur le sol avec une précision remarquable. Le jour se levait à peine et des filets de brume s’accrochaient aux branches basses. L’endroit lui paraissait familier alors même qu’il ne parvenait pas à l’identifier. Soudain, à quelques pas devant lui apparut une silhouette. Impossible pour Elrich de la reconnaître, d’une part parce qu’elle lui tournait le dos, d’autre part car elle était entièrement dissimulée par une longue cape noire à la capuche rabattue sur la tête. D’instinct, le jeune garçon sut que cette présence était maléfique. Il retint son souffle et tenta, en vain, de s’éloigner de cet endroit qui ne lui inspirait rien de bon. Derrière la silhouette, il aperçut bientôt une clairière et il comprit où il se trouvait. Il avait identifié la forêt dans laquelle il avait grandi. Quand il reconnut Sylva, sa maman, devant la petite chaumière, il se sentit envahi d’un sentiment de danger imminent. De manière surprenante, il était incapable du moindre geste ou du plus petit son pour l’avertir de cette présence malsaine. Curieusement, Sylva paraissait plus jeune et une foule de détails autour d’elle ne correspondaient pas parfaitement à la maisonnette qu’Elrich avait quittée quelques jours auparavant. Du coin de l’œil, le jeune garçon remarqua que la silhouette se déplaçait, elle s’avançait à présent vers la clairière. Elrich tenta encore une fois de crier pour avertir sa maman, rien n’y fit. Il se concentra alors sur le porteur de cape. Il s’approchait sans bruit et s’arrêta d’un coup. Elrich distingua alors leur voisine, Dame Souris. Elle s’adressa au porteur de cape et, même s’il restait trop éloigné pour entendre les paroles échangées, Elrich comprit qu’il s’agissait d’une dispute. Il vit Sylva s’approcher à son tour. Après quelques instants de tension, la silhouette ôta sa capuche, révélant une chevelure flamboyante, c’était une femme ! Elrich comprit tout à coup qu’il contemplait Rovenik, la terrible sorcière qui hantait le royaume depuis des lustres. Tout s’accéléra alors, Rovenik leva une main menaçante, inclina la tête en arrière et un éclair noir jaillit de l’extrémité de ses doigts. Il frappa Sylva et Dame Souris une poignée de secondes avant que la sorcière disparaisse dans un nuage de fumée. Le jeune garçon était terrorisé, il avait assisté impuissant à l’anéantissement de sa mère. Pourtant, quand la fumée se dissipa, il fut soulagé de constater que ni Sylva ni Dame Souris ne paraissaient blessées. En fait, elles n’avaient pas bougé et tournaient la tête vers lui. Enfin, pas précisément vers lui mais un peu à côté. Suivant leurs regards, il aperçut un homme. Il demeurait planté là, à quelques pas. Chauve, laid et l’air stupide, il contemplait Sylva et Dame Souris d’un regard vide, un sourire à la fois idiot et mauvais sur les lèvres.
Avant de savoir ce qu’il allait advenir, Elrich fut arraché à la forêt et se retrouva assis dans un lit, la respiration rapide et le front couvert de sueur. Il avait rêvé !
Le jeune garçon se sentait confus, partagé entre la peur pour sa maman et un vague malaise à propos de ce qu’il venait de voir en songe. Soudain, il comprit que la scène à laquelle il venait d’assister dans son sommeil n’était pas une prémonition mais plutôt une évocation du passé. C’est pour cela que tout lui paraissait différent bien que familier. Sylva et Dame Souris étaient plus jeunes dans son rêve. Tout cela, à considérer que ce fut arrivé, s’était déroulé il y a plusieurs années. Elrich en ressentit un certain soulagement, bien que de nombreuses interrogations le taraudent encore. Que s’était-il passé à l’époque, quand cela était-il survenu, pourquoi ce rêve avait-il troublé son sommeil et comment pouvait-il voir en songe des évènements qui lui étaient inconnus ?
Il se promit de poser ces questions à son père au plus vite, espérant qu’il lui apporterait les réponses qu’il était en droit d’attendre.
Le jeune garçon finit par se rendormir, très perturbé par ce rêve et priant pour ne plus vivre ce genre de songe. Pourtant, même s’il était terrible, ce rêve n’était pas prêt de rivaliser avec les aventures qui l’attendaient au long des prochaines années.
Heureusement, cela, Elrich ne le savait pas encore quand il parvint à s’assoupir.
Au petit matin, quand il s’éveilla Elrich ressentait encore le trouble qu’avait fait naître en lui son rêve. De nombreuses questions le taraudaient, qu’était-il advenu de sa mère ? Qui était cet homme à l’allure stupide et pourtant si malveillante ? Pourquoi ces évènements du passé lui donnaient-ils l’impression d’être liés à sa présence au Palais ?
Quand il eut raconté le contenu de ce songe à son père, celui-ci parut troublé puis lui avoua son désarroi.
Ils furent interrompus par des serviteurs leur apportant de quoi manger. Les pages posèrent sur la table une belle miche de pain encore tiède, du fromage, des fruits, un large morceau de viande froide, un pichet de vin coupé d’eau pour l’homme et un de lait pour le jeune garçon. Après avoir disposé écuelles, couteaux et gobelets, ils quittèrent la chambre sans un mot. La vue de ces victuailles réveilla l’appétit d’Elrich et il s’attable aussitôt, oubliant presque son rêve effrayant.
Ils mangeaient tous deux avec plaisir, parlant peu. Le pain était moelleux, la viande cuite à la perfection et le vin coupé savoureux. Elrich se demandait par quoi il allait poursuivre son repas quand la porte s’ouvrit sans le moindre bruit. Dans l’embrasure se tenait Myrrdin, souriant des lèvres et des yeux. Lorsqu’il posa le regard sur les reliefs du repas, son sourire s’étira encore plus.
Elrich, sur le point de croquer dans une pomme luisante suspendit son geste, comme si l’évocation du Roi lui faisait prendre peur d’avoir dévoré un repas qui ne lui était pas destiné. Un vague sentiment de gêne s’empara de lui.
Myrrdin éclata d’un rire sonore.
Ses yeux semblaient se perdre dans la contemplation de tout ce qui les attendait.
Après un long moment de silence et la mort dans l’âme, c’est dans un soupir que l’homme répondit.
Elrich avait suivi cet échange avec une certaine appréhension. L’idée de se trouver seul au palais, même sous la garde de Myrrdin, avait de quoi le rendre nerveux. Il n’avait jamais été séparé de ses parents et de sa sœur et ne savait toujours pas ce que l’on attendait de lui.
Myrrdin était sur le point de quitter la pièce, les laissant à leurs au revoir quand l’homme le rappela.
Intrigué, le mage fit demi-tour et vint s’asseoir à la table. Il se servit un gobelet de vin coupé d’eau et interrogea le garçon. Elrich entreprit le récit de son rêve, n’omettant aucun détail, précisant aussi que bien que familier, tout lui était apparu légèrement différent. Il ne passa sous silence que la peur qui s’était emparée de lui et qu’il ressentait encore au souvenir de ces images. À la fin de son récit, il fut parcouru d’un frisson glacé.
Après l’avoir entendu, Myrrdin but une gorgée de vin et réfléchit quelques instants.
Mille nouvelles questions se bousculaient dans la tête du garçon.
À ces mots, il quitta la chambre, abandonnant Elrich à ses réflexions.
L’heure des adieux avait sonné pour l’homme et le garçon. D’un geste gauche, il serra Elrich dans ses bras. Peu coutumiers, l’un et l’autre, de telles effusions, ils étaient maladroits, pourtant cela leur fit du bien à tous les deux.
Très touché par cette dernière remarque, Elrich n’en ressentit pas moins de crainte face à ce qui l’attendait. Il n’en avait toujours pas la plus petite idée et se demandait avec insistance s’il serait à la hauteur de tant d’attentes.
L’homme se saisit de son baluchon de voyage et c’est d’un pas hésitant qu’il quitta la chambre. Elrich se sentit immédiatement écrasé de solitude, si seul dans ces lieux qu’il ne connaissait pas, face à un avenir incertain. Il hésitait à se saisir de son propre baluchon pour se précipiter à la suite de son père et à rentrer chez lui, auprès de sa mère et de sa sœur, là où tout paraissait si simple. Il avisa alors le coutelas qui dépassait de ses affaires. Il le reconnut au premier regard, c’était le couteau de chasse de sa mère. Celui qu’elle portait à la ceinture quand elle se rendait en forêt. Elle en prenait toujours grand soin, veillant à ce que la lame en soit parfaitement affûtée, le manche garni de cuir bien propre et souple. Que faisait-il dans cette chambre ? Le garçon s’en saisit, le tira de son fourreau de quelques centimètres et découvrit un fragment de parchemin enroulé autour de la lame. Il le dégagea et déroula le rouleau. Il était couvert de l’écriture fine et appliquée de sa mère !
« Fils, j’ai reçu ce couteau d’un ami il y a très longtemps. Il m’a protégée en de multiples occasions. Cet ami réclame aujourd’hui ta présence à ses côtés, ce couteau te sera donc plus utile qu’à moi, il veillera sur toi comme moi-même. Sois courageux, sois fort, sois juste ! Je t’aime, mon fils. »
Elrich sentait ses yeux picoter et son cœur se serrer à la pensée de sa mère. Quand la reverrait-il ?
Lorsqu’il voulut partager sa découverte avec son père, il s’aperçut que celui-ci avait disparu, sans un bruit et sans prolonger des adieux difficiles.
Quelques heures plus tard, alors qu’Elrich avait tué le temps dans la chambre à retourner dans sa tête les nombreuses questions qui l’assaillaient de toutes parts, Myrrdin avait fait son retour. Il invita le jeune garçon à prendre ses maigres possessions et à le suivre pour découvrir son univers. Elrich rangea soigneusement le coutelas de sa mère au milieu des quelques vêtements qu’il possédait et avait suivi le mage. C’est d’un bon pas qu’ils traversèrent le palais. De temps à autre, Myrrdin distillait divers commentaires sur les lieux qu’ils parcouraient. Le garçon apprit ainsi que la construction du palais avait débuté sous le règne du grand-père d’Arthur, s’était poursuivie sous celui d’Uther Pendragon, le père du Roi actuel. Des fortifications furent érigées autour de la cité pour protéger la Cour et la population des fréquentes attaques menées contre le souverain. Bon nombre de ces attaques demeuraient le fait de rivaux ou d’envahisseurs étrangers mais pas toutes. Elrich ne comprit pas ce que signifiait cette dernière remarque mais préféra s’abstenir de toute nouvelle question. C’était pour mettre fin à ces guerres incessantes que le Roi Arthur fit aménager la salle du conseil des douze et sa gigantesque table ronde. Autour de cette table, il réunissait les anciens ennemis et leur proposait alliance. Les seigneurs furent pour la plupart prompts à accepter tant ils souffraient dans leur chair et dans leur trésorerie de guerroyer à la moindre occasion. De plus, leur union leur permettait de se défendre plus aisément et efficacement contre les envahisseurs étrangers.
Restaient les autres adversaires. Ils furent pour certains beaucoup plus malaisés à convaincre de conclure des alliances de paix avec la cour et les humains. Myrrdin n’apporta pas plus de précision quant à l’identité de ces « autres adversaires ». Quand Elrich fit mine de le questionner à ce sujet, il lui adressa un sourire énigmatique et se contenta d’un nouveau « plus tard » assez énervant pour le jeune garçon.
Tout en devisant, ils eurent bientôt rejoint les cuisines et leur agitation. Le colosse se tenait à son poste, houspillant, surveillant et servant même çà et là quelques injures à faire rougir un soldat. Lorsqu’il remarqua la présence du mage, il se raidit puis s’avança, courbant l’échine (ce qui ne suffit pas à le faire paraître moins grand).