La dernière vadrouille - ChrisTo Balh - E-Book

La dernière vadrouille E-Book

ChrisTo Balh

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Beschreibung

Six âmes liées par leurs fêlures se rencontrent au crépuscule de la vie dans le même EHPAD quand le virus du siècle s’abat sur le monde. Ce lieu, synonyme d’éternel déclin, pousse les survivants à un choix radical : fuir pour retrouver les fragments d’un passé où l’existence avait encore un goût d’éclat. Dans un ultime sursaut d’insoumission, ce groupe disparate embarque pour un road trip improbable. Portés par une quête de souvenirs et un besoin viscéral de liberté, ils bravent leurs douleurs, leurs secrets et la loi. Entre actes de tendresse, coups tordus et une irrépressible envie de savourer une dernière fois le frisson de l’interdit, ce périple devient une danse macabre où chaque kilomètre les rapproche un peu plus de leur destin.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

ChrisTo Balh explore dans ses écrits le contraste saisissant entre la tendresse humaine et la violence brute. Après "Les rayures du zèbre" publié en 2022 aux éditions Le Lys Bleu, il propose "La dernière vadrouille", une œuvre où drame et poésie s’entrelacent pour révéler toute la profondeur de l’âme.

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Seitenzahl: 323

Veröffentlichungsjahr: 2025

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ChrisTo Balh

La dernière vadrouille

Roman

© Lys Bleu Éditions – ChrisTo Balh

ISBN : 979-10-422-6275-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

Banksy

Camille Vercruysse a 57 ans, il est allongé sur son lit depuis bientôt 15 heures. Il aimerait se lever, mais un poids sur sa poitrine, sur son ventre, sur ses jambes, sur son âme tout entière l’empêche de bouger le moindre muscle. Il scrute le plafond sans cligner des yeux, le lustre au plafond, les taches de peinture, les toiles d’araignées et la tapisserie d’un autre âge. Tous ces détails autrefois illusoires captent son attention. On pourrait croire qu’il médite, mais il n’a tout simplement rien d’autre à faire. Il n’a plus conscience de respirer. Il tourne la tête sur sa gauche et pour la première fois depuis près de 32 ans, Caroline, sa Caroline, n’est pas là. Il pose une main tremblante sur la couverture froide et indéfiniment plate. Sur la table de chevet attenante de son côté, une lampe, un réveil et une photo de sa Caroline. Sa fille l’a placé hier soir alors qu’il était étendu dans la pénombre. Un geste bienveillant sonnant comme un coup de poignard au petit matin.

Sa fille Estelle est prostrée dans le couloir, elle tape à la porte de la chambre. Elle n’est même pas certaine qu’en entrant dans la pièce son père sera toujours vivant, mort de chagrin pour retrouver au plus vite la femme de sa vie. Elle s’assied en silence à la place de sa mère sur son lit et prend sa main d’un geste rassurant. Camille la regarde longuement, mais aucun des deux ne sait quel est le mot le plus approprié pour enclencher le reste de sa vie.

— Ça va papa, tu as bien dormi ? Pardon, c’est idiot, excuse-moi.
— Ce n’est pas idiot ma chérie, au moins, tu as dit quelque chose. Moi, je n’ai pas la force de parler.
— J’ai préparé le déjeuner si tu veux, j’ai fait un pot-au-feu, ton plat préféré.
— Merci ma chérie, je n’ai pas faim, mais comme disait ta mère, je ne sais pas résister à un bon pot-au-feu.

Ils descendent l’escalier puis pénètrent dans la salle à manger. Assis à la table, Sylvain, le fils de Camille, tourne à peine la tête pour accueillir son père. Estelle prend leurs mains et entame une prière pour sa mère, partie voilà 5 jours. La bouche pleine et la pensée furtive, Sylvain ne repose même pas ses couverts sur la table. Il tend négligemment ses deux petits doigts et attend avec impatience le moment où il pourra enfin avaler sa première bouchée. Le reste du repas fut du même acabit : un mari absent, une fille perdue et un fils en perdition. Et puisque la classe n’attend pas la fin du repas, le fils prodigue met sur la table, avec le dessert qu’il a acheté au Lidl du coin de la rue, la question de l’héritage à venir. Cela n’est pas une question d’argent bien sûr, c’est une attention, une offrande d’amour désintéressé pour soulager son père de toutes ces tracasseries administratives. Pour réponse, Sylvain reçoit le regard noir de sa sœur affligée et le tic-tac, tic-tac, tic-tac de la pendule du salon. Les semaines qui suivent sont une litanie de souvenirs partagés retrouvés au fond des cartons du grenier. Estelle passe plusieurs fois par semaine pour voir son père, lui faire à manger jusqu’à le laver quand il n’y a pas pensé depuis deux jours.

Les seuls sourires qui arrivent à franchir le seuil de sa bouche jaillissent quand il tient dans sa main une photo de son épouse, sa meilleure amie, son âme sœur et son acolyte d’art de la rue. Camille et Caroline se sont rencontrés un soir d’été dans le métro parisien. La connexion ne fut pas seulement artistique entre les deux graffeurs, elle fut tour à tour intellectuelle, spirituelle puis intime tout au long de leur vie.

Ces souvenirs n’effacent pas longtemps le vide abyssal de ses jours sans amour. Il se réveille seul chaque matin. Il dort toujours du même côté du lit en espérant secrètement qu’elle revienne se glisser sous les draps, près de lui, afin que cela sonne la fin d’un mauvais rêve. Les échanges les plus profonds et subtils qu’il a chaque jour sont avec son chat Loustic, ils comblent sa matinée jusqu’au journal de 13 heures. Sa fille a organisé tous ses repas 7/7 jours et deux fois par jour. Une chose en moins à penser, une chose de moins… une fois de plus. La première année de sa vie d’endeuillé passe très vite, jalonnée par les visites de sa fille et les absences de son abruti de fils. Roland Garros, le Tour de France et « Questions pour un Champion », tous les soirs grâce à toutes ces chaînes de télévision. Estelle les a toutes enregistrées sur la télécommande, ainsi il n’a rien à penser… encore une fois.

Camille n’a jamais été seul pendant près de 30 ans. Sa jolie Caroline était aussi sociable que lui est introverti. Alors les amis, présents au début, se font de plus en plus rares. Ils venaient pour elle, plus que pour lui. Caroline n’arrêtait pas de leur dire que son Banksy est beaucoup plus sympa qu’il ne laissait paraître. Camille s’épanouit peu dans les trivialités du quotidien, il a le sentiment de ne jamais intéresser les gens, donc les visites se distendent et la solitude devient sa meilleure amie.

Deux ans après, la disparition accidentelle de son grand amour, celui qui devait durer jusqu’au dernier jour, Camille n’est plus que l’ombre de l’homme provocateur, passionné et amoureux qu’il fut. Estelle a pris avec, son consentement, rendez-vous à l’auberge des cœurs aimés, maison de repos avec vue sur mer devant le port de plaisance de Brest. En ce matin pluvieux de janvier 2019, Camille s’assied péniblement dans le SUV de sa fille. Son fils n’a pas pu venir pour l’accompagner vers sa retraite dorée. Elle a réservé quelques semaines pour lui permettre de retrouver l’envie et la faim à l’abri, dans un appartement assisté. En passant sous le panneau de l’auberge, Camille redevient Banksy l’espace d’un instant : il sait déjà comment vandaliser le sordide panneau d’accueil de sa dernière demeure.

2

Calamity Jane

Jane, assise sur le siège de première classe de son TGV, repose son casque sur sa tablette. Elle n’a ni l’envie ni la force d’écouter la musique ou de lire le magazine acheté à la boutique Relay de la gare Montparnasse. Elle est heureuse de retrouver sa Bretagne chérie même si elle a conscience qu’en tournant le dos à la Tour Eiffel, elle ouvre le dernier chapitre de sa vie.

Les départements succèdent aux départements, les champs succèdent aux champs. Pendant les six heures de son trajet retour, elle pose son attention sur les différentes races de bovins qui jalonnent son voyage. Un article de Paris Match indique en double page que ces bêtes insignifiantes sont responsables, autant par leur viande contaminée que par leur méthane polluant, du dérèglement climatique à venir. Cela dégoûte la végane qu’elle est depuis dix ans. En s’approchant de la gare de Brest, la nostalgie d’une vie de transgression et de passion refait surface.

Assise dans le carré juste à côté d’elle, une maman et ses deux adolescents discutent âprement. Jane, curieuse de naissance, ne peut s’empêcher d’écouter la conversation qui tourne autour d’un sujet qu’elle maîtrise depuis toujours, la place des femmes dans la société.

La génération qui sépare la mère de sa fille de seize ans et de son fils, tout juste majeur, se fait ressentir dès le début de la conversation. La maman se trouve juste au milieu de sa fille identito-sphérique assumée et son fils qui n’en a pas grand-chose à foutre de toutes ces gesticulations féministes à deux balles. La maman est tout aussi affligée par l’une que par l’autre. Le je-m’en-foutisme de l’un contre l’étendard des fiertés en tout genre brandi à tout bout de champ de l’autre.

Julia : Juliette, ma chérie, je ne te comprends pas, ce monsieur te propose de t’aider à installer ta lourde valise et tu l’envoies paître avec agressivité. Je ne t’ai pas élevé ainsi, la gentillesse et le savoir-vivre ne sont pas des défauts ma chérie.

Juliette : Je suis capable de le faire toute seule, je n’ai pas besoin d’un homme pour cela, qu’il s’occupe de ses affaires. C’est la modernité, maman, tu ne peux pas comprendre, de ton temps les règles étaient différentes. Avec mes copines, nous voulons tout faire comme les hommes, c’est le nouveau féminisme, maman, c’est ainsi aujourd’hui.

Julia : Ah bon, tu en penses quoi Christophe ?

Juliette : Il s’en fout, c’est un gars, maman, les garçons ne comprennent rien au féminisme.

Julia : Christophe s’il te plaît, dis-moi toutes les filles sont comme ta sœur aujourd’hui ?

Christophe : Non maman, rassure-toi, ta fille fait partie des meufs soi-disant modernes. Nous les gars, cela nous passe au-dessus, mais certaines filles ont décidé que l’avenir était à l’identité féminine. C’est une posture idéologique ou tout ce qu’il leur arrive est vu et analysé par le prisme du féminisme.

Julia : Et tu trouves cela bien toi ?

Christophe : En fait, c’est marrant, car c’est une sorte de déguisement, faire partie d’un quelque chose où tout le monde pense pareil, sans singularité ou différence. La cause est juste, mais le moyen n’est pas terrible. Je trouve cela un peu restrictif en fin de compte. L’autre jour, j’ai demandé à une fille ce qu’elle faisait dans la vie, elle m’a dit : « Je suis féministe. » Tu vois, c’est d’abord la cause avant tout le reste. C’est devenu une valeur avant toutes les autres qualités ou compétences. Moi, je dirais que c’est complètement con.

Silence post-traumatique dans le wagon. Juliette qui pensait que son frère était un sombre imbécile de l’espèce patriarcale, découvre un être vivant et pensant. L’uppercut au menton fait mal, mais elle prépare sa revanche. Assise à deux mètres, Jane pose sur la tablette son casque, ouvre son journal devant elle et tend l’oreille. Une telle analyse mérite de faire semblant de lire le Ouest-France, même à l’envers.

Julia : Alors Juliette, c’est vrai ce que raconte ton frère ?

Juliette : Mais non maman, il n’a rien compris évidemment. Nous sommes juste vigilantes afin de bénéficier des mêmes droits que les hommes, c’est tout. Mais nous sommes capables de parler d’autre chose de temps en temps.

Christophe : Tu sais maman, c’est pas un petit moment d’égarement, c’est toute la société qui est comme ça maintenant. Les gens sont guidés par leur communauté, leur identité, un peu à l’américaine. Et cela vaut pour le genre, la race ou la religion. Donner une idée différente est vécu comme une agression, plus comme un avis.

Julia : C’est un peu dangereux ça, quand tu n’es plus capable d’écouter un avis contraire sans être offensé, c’est la fin des figues, tu ne trouves pas Juliette.

Juliette : Si, mais ce n’est pas ça notre truc, nous on veut juste avoir les mêmes droits et ne plus se faire embêter dans la rue ou agresser. Et c’est vrai que parfois on reste entre nous pour être en sécurité. C’est de la faute des hommes, pas des femmes. C’est une conséquence, pas une cause. Vous êtes marrants, vous les hommes, avec votre universalisme, vous pouvez tout faire tout le temps sans craindre quoi que ce soit. Nous, on doit être sexy, mais pas trop, faire les courses, la bouffe et des gosses tout en étant épilées et disposées quand vous avez envie. J’en ai discuté avec ton pote Fabien l’autre soir, il me regardait bêtement en se marrant à moitié et m’a juste dit : « Allez, on boit un coup Juliette pour se noyer dans la profondeur de ton identité. » Putain, j’ai rien compris.

Christophe : Évidemment que tu n’as rien compris, il est amoureux de toi depuis deux ans et toi tu lui prends la tête avec tes conneries sans même te rendre compte que tout ce qu’il veut, c’est être avec toi. Alors, il picole et dit des conneries, normal.

Juliette : Voilà, c’est de ma faute en plus, toujours pareil, tu vois maman, c’est toujours de notre faute.

Julia : Ah bon, c’est qui ce Fabien, il est comment ?

Christophe : Un poète, maman, cool et BG en plus.

Juliette : Maman non, t’es nul là.

Jane n’en a pas raté une miette, la conversation est de haut vol de la part de ce jeune garçon qui fera certainement un bon sociologue ou un bon psychologue tellement il semble avoir compris les nouvelles mœurs de sa génération. Après six heures de rail à petite vitesse, Jane arrive enfin à la gare de Brest. Elle monte dans un taxi, direction la dernière demeure qu’elle a choisie pour ses beaux jours, l’auberge des cœurs aimés.

3

Bourvil

La première phrase qu’a dite le père de Raymond à sa naissance est : « Putain, il ressemble à rien, ce fils. » Le genre de bébé différent. Si son père le rejette immédiatement, sa mère l’aime instantanément pour deux. Elle attend depuis tellement longtemps. Qu’il ressemble à elle, à son père ou à pas grand-chose ne change rien à l’affaire. Il suffit pourtant de voir la tête de la sage-femme pour comprendre que rien ne serait facile.

À l’école, personne ne cerne ce petit garçon étrange et sensible. La cour d’école devient rapidement la Cour des Miracles pour le petit Raymond. Brimades, coups et moqueries se succèdent devant les institutrices résignées. Ray encaisse. Pour toucher le ciel de la marelle, il doit sauter pour éviter les tacles de ses petits camarades. Et quand il touche enfin au but, il reçoit une volée de crachats et d’insultes, mais Ray s’en fout, il encaisse encore. Dans la classe, tout se passe bien, Histoire, Mathématiques, Français, poésies apprises en cinq minutes, Ray sait tout sur tout et ça énerve les enfants moins brillants. Raymond fait partie de ceux que l’on ne calcule pas, de ceux que l’on envie secrètement, de ceux que l’on martyrise, de ceux que l’on choisit en dernier dans la cour de récré.

Au collège du Sacré-Cœur, si son intelligence ravit toujours autant ses professeurs, son physique ne lui permet pas de combler ses envies d’adolescent. Un événement marquant va faire basculer sa vie, pas simplement sa vie d’adolescent, tout le reste de son existence. Ray est devenu le punching-ball favori du capitaine de l’équipe de foot locale. Le dénommé Aimé Puskas, qui est réputé pour ne parler correctement qu’avec ses pieds, jette pour la énième fois le nouveau vélo rouge de Ray dans la rivière qui longe le collège, faisant lâcher à Ray la phrase qui va changer sa vie : « Oh mon vélo ! » L’évidence saute alors aux yeux de tous ces lâches camarades. Ray ressemble comme deux gouttes d’eau au célèbre acteur de comédie. Pas une gueule cassée, pas une tronche moche, non juste la tronche de Bourvil. Cela aurait pu entraîner un harcèlement de puissance dix, mais c’est exactement l’inverse qui se passe, car tout le monde aime Bourvil. Personne ne veut de mal à un mec aussi gentil que Bourvil. Ray comprend alors tout l’avantage qu’il a à tirer de cette découverte cocasse. Bourvil est touchant et amusant, il découvre alors le pouvoir de l’arme qu’il a dorénavant entre les mains : le rire. Il va apprendre par cœur les répliques de l’acteur et copier la gestuelle à la perfection. Sa protection passe dorénavant par les dialogues, les mimiques du comédien. En cours, il va régulièrement saupoudrer ses interventions de répliques de film ou des chansons de l’artiste. Il remarque alors immédiatement que les violences envers sa personne s’arrêtent et que les regards des filles se posent enfin sur lui.

En fin de collège, les parents de Ray sont convoqués par le proviseur qui veut leur parler des résultats exceptionnels de leur fils :

PROVISEUR : Je vous ai demandé de venir ce matin pour vous parler de votre fils que tout le monde nomme Bourvil dorénavant.

PÈRE : Qu’est-ce qu’il a fait cet idiot, j’ai toujours su qu’il nous poserait des problèmes. Déjà qu’il ressemble à pas grand-chose, maintenant tout le monde l’appelle Bourvil en plus, imbécile va. Raconte-lui la fois où il pensait être l’élu envoyé par Dieu en personne, vous allez le voir à l’œuvre le génie.

Mère : Il était petit, ça n’a rien à voir.

PROVISEUR : Allez-y, je vous en prie.

MAMAN : Il m’a dit que notre maison était spéciale. Je pensais qu’il était attaché à la maison de son enfance, que c’était important pour lui. Mais non, j’avoue que ce jour-là, il m’a un peu inquiété.

PÈRE : Un peu mon neveu, il est complètement con, ce fils, un abruti, je vous dis.

PROVISEUR : C’est-à-dire, continuez Madame.

MAMAN : Il m’a dit qu’il ne voulait pas trop m’inquiéter, mais il pensait que des choses étranges se passaient la nuit dans la maison. La veille, il avait mis ses habits sales par terre et le lendemain matin, ils étaient propres et pliés. Je lui ai dit qu’en effet, cela ne se faisait pas tout seul. Alors il a fait des tests en laissant du désordre sur la table du salon, pour vérifier si un esprit viendrait ranger pendant la nuit et cela marche à chaque fois. Il m’a demandé si cela faisait pareil pour moi et son père. Je lui ai dit que pour son père, oui, au début, mais plus maintenant, et que pour moi, cela n’était jamais arrivé malheureusement. Il était persuadé d’être l’élu avec Dieu ou des fantômes à son service permanent. Il vidait le shampoing dans la douche pour voir si le flacon était rempli au petit matin.

PÈRE : Faut vraiment être con, vous ne trouvez pas Monsieur le Proviseur. Il ne s’est même pas rendu compte que c’est sa mère qui faisait tout ça quand il dormait cet imbécile.

Ray : Après réflexion, je fais comme toi papa, tu engueules maman quand le frigo est vide, comme si le fait de lui crier dessus allait remplir le frigidaire. En fait, tu fais pareil que moi, mais en gueulant. Sauf que toi, tu le fais encore à quarante ans.

PROVISEUR : Non monsieur, votre fils est brillant. Pour dire vrai, Raymond est l’élève le plus brillant que ce collège ait connu. Des cas comme le sien sont rares, croyez-moi. Je ne sais si Ray est un génie, en tout cas, il est doté de qualités exceptionnelles pour un enfant de son âge. Il fait partie d’une race un peu à part que les nouveaux psychologues nomment potentiel supérieur.

Mère : Oui, j’ai lu cela, j’ai entendu parler de haut potentiel intellectuel.

PROVISEUR : Oui exactement Ray est énigmatique pour ses camarades et les professeurs. On se sait jamais ce qu’il va faire et comment il fait pour trouver les solutions aux problèmes, mais il résout tous les problèmes deux fois plus vite que tous les autres élèves du collège. Bourvil est plus sensible que les autres, plus rêveur, plus idéaliste, plus vif d’esprit, plus engagé, plus critique et surtout plus stratégique. Certains diront même un peu diabolique par moment.

Mère : Je savais qu’il était différent, vous savez, je l’ai su tout de suite. Son père n’a jamais rien compris, il n’a vu que son physique étrange alors que sa beauté est à l’intérieur.

PÈRE : Ben voyons… la beauté intérieure maintenant. Il est surtout très chiant à poser toutes ces questions sur des sujets dont on a jamais entendu parler. En plus, il ressemble à rien et moi, ça, je l’ai vu tout de suite.

PROVISEUR : Pour l’année prochaine, je peux vous aider, si vous en avez les moyens, à le faire intégrer un lycée qui lui permettra de développer tout son potentiel que je pressens immense. Il faudra le mettre en pension, loin de chez vous malheureusement, je sais que ce choix est difficile pour vous tous, mais le lycée Marie Curie de Bayonne sera parfait pour lui, croyez-moi. Ils ont une section qu’ils appellent « Pensées Complexes ». De plus, monsieur, il arrêtera de vous poser toutes ces questions qui peuvent embarrasser quand les réponses tardent à venir.

C’est au lycée que Ray a rencontré la gentille Pauline. Pas la plus belle de l’école, mais probablement la première à l’avoir regardée vraiment, à voir l’intime profondeur de ce garçon pas tout à fait comme les autres. Elle a vu la douceur et la haine, la gentillesse teintée de colère et la radicalité de ses pulsions. Il avait bien fréquenté la négligée Salomé à la fin de la seconde. Elle lui avait offert son premier flirt et ses premiers émois d’adolescent complexé. Dans les buissons hauts et profonds, ils avaient profité de la moiteur de l’été et de quelques bouteilles de vin blanc acide pour se libérer de ce poids juvénile. Elle a résumé à ses copines ce moment furtif et délicat d’un désagréable : « Imbaisable, imbaisable, vous dites ? Mais baisé quand même le Bourvil, les filles. » Ray avait tout entendu, il a fait comme d’habitude, il a encaissé puis il a refermé sa braguette, le sourire franc et la bite légère.

Les années lycée furent les plus épanouissantes pour Ray, qui a pu peaufiner son style crooner baroque. Il papillonne de fille en fille, d’heures de cours en heures de colle. Son père n’est jamais venu le voir en trois ans de scolarité, sa mère a fait le trajet chaque trimestre pour faire le point avec le directeur sur le personnage Bourvil. Des résultats de premier de cordée dans toutes les matières, une popularité intacte auprès de ses professeurs qui regrettent amèrement un comportement provocant et irrespectueux. Au milieu de son année de première, la maman de Bourvil est convoquée chez Monsieur Gendrain, directeur de l’établissement.

Directeur : Mme Bourvil…

Mère : Non, je suis Mme Raimbourg, pas Bourvil.

Directeur : Oui, pardon, avouez quand même que l’erreur est aisée. Votre fils est captivant, intellectuellement supérieur, c’est évident. Il est malin, malicieux et parfois intimidant pour ses camarades.

Mère : Oui, c’est vrai, depuis tout petit il est différent. Il ne vous embête pas au moins.

Directeur : Moi non, mais ses professeurs se plaignent de son comportement. Il se moque de ses professeurs en insérant dans les cours des répliques de Bourvil.

Mère : Ah bon, tu fais encore ça Ray ?

Directeur : Sa professeure de français a cassé une de ses chaussures l’autre jour en faisant une chute de vélo dans la cour du lycée. Eh bien, il a crié : « D’abord mes chaussures et maintenant mon vélo. » Provoquant l’hilarité de ses camarades et d’enchaîner : « Maintenant, ça va marcher beaucoup moins bien évidemment. »

Mère : Ray, quand même cette pauvre dame, je ne suis pas contente de toi.

Ray : Pardon maman, mais c’était drôle, tu comprends.

Mère : Oui, mais tu lui as fait de la peine.

Ray : Je le sais maman, mais cela n’est pas bien méchant et ici je ne suis plus maltraité, j’ai des amis, cela me fait du bien. Je ne peux pas être puni pour ça, maman, c’est injuste.

Mère : Il est tellement tendre, c’est une douce faiblesse, un sentimental avec du répondant Monsieur le Directeur, ne le sanctionnez pas s’il vous plaît. Il a de bons résultats même s’il est un peu dissipé.

Directeur : Un peu plus que dissipé Madame. L’autre jour, il s’est battu avec un camarade qu’il a provoqué lâchement.

Ray : Monsieur le Directeur, c’est un imbécile, vous le savez bien. Il méritait ce que je lui ai dit.

Mère : Et tu as dit quoi Raymond ?

Ray : Il ne trouvait pas une réponse de niveau sixième alors, je lui ai dit : « Te gratter la tête ne fera jamais sortir une idée, te gratter le cul ne fera jamais rien sortir non plus Henry. »

Mère : C’est pas gentil Ray.

Ray : Je suis lassé de tous ces gens qui ne savent pas qu’ils ne savent rien, alors je ne dis plus rien, je m’écrase sous leur bêtise ou je me moque. Quand cet élève est méchant, je prends la défense des autres à ma façon.

Directeur : De plus, il ne travaille pas beaucoup, il ne peaufine pas ses capacités gigantesques.

Ray : Réviser, c’est douter de son talent, Monsieur le Directeur.

Directeur : Vous voyez Madame, c’est comme cela tout le temps, toujours le dernier mot.

Mère : Ray, cela n’est pas bien. Je ne suis pas contente du tout de ton comportement.

Directeur : Et ce n’est pas tout, j’ai laissé le meilleur pour la fin.

Mère : Ah bon, qu’as-tu fait de pire que cela Ray ?

Directeur : Eh bien, votre fils s’est moqué d’un de ses camarades qui est un peu fâché avec l’écriture. Il se trouve que Jean-Alain est le fils de Monsieur le Maire qui, c’est vrai, n’est pas des plus malins. Il est le capitaine de notre équipe de Rugby et ses qualités suffisent largement pour ce sport de voyou. Monsieur le Maire est très présent concernant le financement de notre vénérable institution et à la suite d’une réponse trop longue au goût de votre fils, Jean-Alain s’est senti humilié par une remarque acerbe de votre fils.

Ray : Il avait fait une faute à son nom Maman, tu t’en rends compte, il ne sait même pas écrire son nom et il se permet de donner son avis sur tout le monde.

Mère : Qu’as-tu dit Ray ?

Directeur : Il a dit ceci, Madame : « Pauvre type, ça donne des ordres, mais ça ne sait pas écrire son nom. Tu donnes beaucoup trop d’ordre pour un mec qui ne sait pas écrire son nom. » Jean-Alain n’a pas pu rester coi et il a rétorqué : « Bourvil, t’es tellement frêle que quand on te provoque t’es obligé de sourire. » Ils se sont battus en plein milieu de la classe en cassant un bureau et deux chaises. Voici la facture divisée entre les deux familles.

Mère : Tu as cassé du matériel Ray !

Ray : J’ai pas bien vu maman… j’étais occupé avec cet imbécile.

Directeur : Je suis obligé de respecter le règlement de notre vénérable École et d’exclure votre fils pour deux semaines. Ses capacités ne sont pas en doute, mais son comportement doit changer à l’avenir. Vous pouvez partir avec lui, il reviendra après les congés.

Mère : J’imagine que l’autre enfant, celui qui ne savait pas écrire son propre nom, est exclu également, Monsieur le Directeur.

Directeur : Nous verrons cela avec l’autre famille.

Ray : Tu parles, il ne va rien lui arriver, comme d’habitude.

Pour la première fois, Ray a eu envie de tuer, par haine un peu, par injustice surtout.

4

Joan Beketone

En pénétrant dans le bar du Serena hôtel de Goma, Joan Beketone cherche du regard l’homme qui doit le guider pendant les deux semaines à venir à travers le Nord-Kivu afin de vérifier l’avancée des recherches dans la mine qui s’annonce florissante sur les hauteurs de Bisié. Le bar est presque vide en ce début de soirée. Joan s’assied à une table au fond de la salle et commande une Amstel, trace vintage de l’implantation de sa Belgique natale en plein cœur de l’Afrique colonisée par Léopold II, roi des Belges et de tout le royaume. Au-dessus de chaque table, un ventilateur dernier cri brasse un air tiède et moite. Le juke-box crache une chanson de Bernard Lavilliers :

Je connais qu’un seul endroit, mais c’est pas fréquentable

Où on joue ce blues-là aussi loin que le sable

C’est le blues d’Angola, mineur et solitaire

Qui nous vient de Luanda, c’est un chant de poussière

Qui ont du sang sur les mains jusqu’au bout de l’enfer

Cours plus vite, ne dis rien sous cette pluie de fer

J’veux du sang pour 20 carats, des diamants, des rivières

Pétroliers du panama, vos dollars m’exaspèrent

Joan Beketone est né le 1er avril 1952 à Bruxelles, d’un père flamand et d’une mère wallonne. Ses parents furent épargnés par la guerre, trop d’enfants à nourrir. La rumeur familiale dit que le petit Joan est arrivé à bon escient pour éviter l’appel sous les drapeaux colonisateurs. Toujours à la bonne place au bon moment restera sa devise tout au long de sa vie. Mais dix frères et sœurs signifient également autant de bouches à nourrir et pas assez de nourriture pour tout le monde. L’instinct de survie devient alors le sens le plus développé de toute la famille. « Mange ou crève » est le cri de ralliement de la famille Beketone à la maison comme à la cantine de l’école. Chez les Beketone, on ne transige pas avec la valeur cardinale de la famille, la malice. Il n’est pas interdit d’être malin est inscrit sur un des murs de la cuisine. La famille voue un véritable culte au plus grand des Belges Léopold II, Roi pour les uns, esclavagiste pour les autres, voleur notoire pour tous ceux qui ont déjà ouvert un livre d’Histoire. Léopold est pour la famille Beketone, le plus malin de tous. Explorateur émérite, il n’est pas interdit de ramener un petit quelque chose de ses voyages. Si ce petit souvenir est en or et en diamant et bien, il convient d’en faire profiter la famille et le pays. Y a pas de mal à être malin, on vous dit. Quand l’école finit par se débarrasser du petit Joan, un diplôme de chaudronnier dans la poche et des qualités évidentes de camelot, il est embauché immédiatement à l’Union Minière belge afin de prospecter les nouvelles capacités souterraines du Congo belge.

En posant le pied dans cette lointaine colonie, Joan s’est retrouvé comme à la maison, à la vie, à la mort dès la descente de l’avion. Il a exploré pendant plus de quarante ans tous les éventuels gisements de ce pays qu’il a vu changer de noms autant de fois que de dictateurs. Or, diamants, étain, cobalt, uranium, cuivre… le Congo est alors au début d’une conquête qui mènera à sa perte, la malédiction de ses ressources naturelles.

En ce jour du juillet 1998, Joan est assis à une table et attend le guide qui doit l’emmener à travers la jungle du parc national de la Maiko pour évaluer le potentiel d’une nouvelle mine d’étain découverte par des creuseurs locaux dans la région de Bisié. L’étain est l’or de demain, celui qui permet de protéger les circuits électriques de tous les appareils électroniques de demain et d’après-demain.

Joan a un look très à la mode en occident dans les années 80. Cheveux blond platine, nuque longue, moustache molle et dent de requin autour du cou. À quelques tables de lui, une femme en robe rouge semble attendre son prince charmant et Joan a l’âme princière. Avant d’attaquer sa proie, il passe par les toilettes. Nettoyage d’aisselles, parfumé au testeur gratuit Pierre Cardine proposé dans la boutique Duty free de l’hôtel, moustache luisante et argumentaire bien en place.

— Bonsoir mademoiselle, je me présente Joan.
— Bonsoir Joan.
— Si vous étiez seule à votre table et moi seul à la mienne, je vous demanderais de me rejoindre.
— Qui vous dit que je suis seule Joan ?
— C’est vrai, vous ne l’êtes plus.
— J’aimerais l’être pourtant encore quelques minutes.

Moi aussi, j’aimerais être seul avec vous-même quelques minutes. Je suis perdu, vous savez.

— Ah bon ?
— Il n’a fallu qu’une seconde pour me perdre, pour tomber dans l’abîme de votre regard intense.
— Ah d’accord, très bien Joan. Vous vous considérez poète j’imagine ?
— Vous avez remarqué, je veux rester modeste, mais si vous le dites.
— Vous n’avez pas peur d’accoster les dames !
— J’ai pas de mérite, c’est de famille, j’ai peur de rien.
— Je vois cela, cela n’est pas attirant pour autant, vous savez.
— Vous ne prenez pas de gant, ça me plaît. Votre douceur me tue.
— Que se passe-t-il ? vous semblez souffrir ?
— C’est mon cœur.
— Ah bon, vous m’inquiétez Joan.
— Vous pensez à un autre, vous ne pensez pas à moi, je le vois bien.
— Vous souffrez Joan ?
— Ce n’est rien, j’ai brisé mon cœur sur vous.
— Je vais être obligé de vous laisser Joan, mon époux arrive et il est un peu jaloux.
— C’est votre mari, le gars avec un pistolet à la ceinture.
— Vous êtes physionomiste Joan.
— Avec les gens armés, je suis plus attentif.

Joan reprend sa place en face de l’entrée, jamais dans un coin et toujours à côté d’une porte de secours. Un homme s’assied devant lui, grand, noir, chemise en lin et armé. Boubacar Touré fait face au petit blondinet, il pourrait l’écraser d’un battement de cil.

— Bonjour Joan, je m’appelle Boubacar Touré ? Je serai votre guide durant les quinze jours à venir. Avez-vous des questions Joan ?
— Bonjour Bakary.
— Non, c’est Boubacar monsieur.
— Bien sûr Boubacar. Quand partons-nous pour Bisié ?
— Demain matin, à l’aube si cela vous convient.
— Whooo putain Boubacar, regardez-moi ça, à douze heures.
— Je vous la déconseille Joan, c’est une dame de petite vertu, vous savez.
— C’est exactement ce qu’il me faut Boubacar et regarde-moi ce cul… c’est le plus beau fessier de toutes les cuvettes du Congo, Boubacar. C’est pas compliqué, j’ai jamais vu des courbes pareilles. Ce n’est pas un cul, c’est une offrande, un hibou dans la nuit, je suis hypnotisé, c’est cuit.
— Ce n’est vraiment pas une bonne idée, Joan, j’insiste.
— Tu veux boire quoi Boubacar ?
— Un verre d’eau suffira.
— Tiens, goûte ça, c’est pas un truc de capricieux, c’est que des bonnes choses, du maïs, du manioc et une larmichette de méthanol ou l’inverse peut-être.
— C’est du Lotoko Joan et oui c’est toxique et qui plus est, interdit. C’est pour cela qu’ils ont mis une tête de mort sur l’étiquette.
— Je me disais aussi, quelle drôle d’idée. Autant mettre un cancer sur un paquet de clopes, c’est dégueulasse de montrer ça. Je reviens tout de suite.
— Vous ne devriez pas monsieur, ce n’est pas une bonne idée.

Joan se lève, pas le temps de passer aux toilettes, la cible se retourne, droit dans le mille.

— Bonsoir mademoiselle.
— Oh mademoiselle… comme vous y allez ! Vous êtes charmant.
— Je vais être direct si vous n’y voyez pas d’inconvénients.
— J’aime ça, allez-y, je vous en prie.
— Si vous acceptez de partager un verre avec moi, je sens que vous allez me donner la vie belle mademoiselle.
— Ah bon et ensuite…
— Et ensuite, je vais vous montrer comment savent aimer les garçons.
— C’est prometteur, mais encore…
— Je vous imagine nue sur le lit avec votre sexe raffiné. Une pierre précieuse. Un bijou de vingt-quatre carats, vous voyez ?
— Vous savez parler aux femmes, c’est indéniable.
— Si vous le dites.
— Ça va vous coûter un peu jeune homme, si vous voulez arriver à vos fins. Des verres puis un restaurant au minimum.
— Eh ben, dis donc, vous n’êtes pas dans la mendicité. Comment puis-je vous appeler ?
— Appelez-moi Donneeze. Avec deux E.
— Très bien Donneeze, je pensais que c’était avec un D, mais si vous le dites. J’espère en avoir pour mon argent.
— Soyez rassuré Joan, je n’aurai jamais assez de vous. Je vais vous faire l’amour dans tous les sens, vous serez accroc à mon corps, vous allez exalter de jouissance. J’ai la bouche du bonheur, mon cœur et si tu te lasses de mon corps, j’en viendrai aux mains mon bichon et j’ai la tendresse plein les doigts. Si tu es très gentil mon chou à la crème, je m’assiérai sur tes lèvres jusqu’à l’étouffement.
— C’est prometteur Donneeze.
— Et au bout de la nuit, vous aurez juste la force de vous endormir à mes côtés.

Le lendemain matin, après sa nuit de plaisir tarifé, Joan se sent léger, soulagé de son stress et de son argent liquide. Sa belle de nuit s’est volatilisée en même temps que la plupart de ses affaires personnelles. Il rejoint Boubacar dans le hall de l’hôtel.

— Comment s’est passée votre nuit Joan ?
— Parfaite, mais je me suis fait dépouiller ce matin.
— Je vous avais prévenu.
— Oui je sais, j’apprends, mais j’oublie vite.
— Tenez, voici vos papiers.
— Vous les avez retrouvés ?
— Je suis là pour veiller sur vous Joan, n’oubliez pas.
— Merci beaucoup Boubacar.
— Avant de partir, nous devons recruter des pisteurs pour nous accompagner à travers la jungle. Cela coûte cher par les temps qui courent. Vous avez combien ?
— Cinq mille dollars.
— Non, mais à ce prix-là, vous cherchez des clochards, moi je cherche des hommes. Il faudra le double.
— Le double, non, c’est impossible. Question affaire, c’est moi qui ai la parole. Je vais négocier.
— Je ne peux pas admettre qu’on maltraite les pauvres, Joan.
— Vous avez raison, mais bon, comme dirait le bon Léopold, c’est plus facile de maltraiter les pauvres que les riches, vous ne croyez pas ?
— Vous n’avez pas beaucoup de bagages.
— J’ai souvent remarqué dans mes expéditions au Niger ou en Angola que dans la vie les armes sont plus utiles que les bagages. De toute façon, à partir d’une certaine quantité, le reste est superflu.
— Très bien, vous êtes un homme de phrase toute faite, semble-t-il. Rendez-vous devant l’hôtel dans une heure, j’aurai les porteurs et les vivres.

Une heure plus tard, Joan retrouve Boubacar et six porteurs sur le parking de l’hôtel. Ils prennent place dans le camion qui les amène dans l’enfer du Kivu.