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"La femme de Jean Marie", le récit d’une femme à travers le temps, de 1965 à aujourd’hui. Cécile traverse les époques sans chercher à tout comprendre, se laissant porter par les événements qui la façonnent autant qu’ils la bousculent. Ni ingénue ni totalement émancipée, elle devient épouse et mère sans toujours maîtriser son destin, jusqu’à s’établir dans le sud de la France, où elle semble avoir tout construit… Cependant, a-t-elle réellement choisi cette vie ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Depuis "Bulles de nuit" en 2006,
Jean-Paul Brunel a publié cinq ouvrages, explorant avec finesse les méandres de l’âme humaine. Avec "La femme de Jean Marie", il délaisse sa « philosophie de bistrot » pour offrir une relecture captivante de "Bonjour maître" – 2016 –, cette fois à travers le regard de l’épouse du héros. Fasciné par les destins, les tempéraments et les atmosphères, il puise dans son irrésistible curiosité pour donner vie à des personnages aussi authentiques qu’attachants.
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Seitenzahl: 199
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jean Paul Brunel
La femme de Jean Marie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean Paul Brunel
ISBN : 979-10-422-6377-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’homme se meut dans un monde organisé par de petites choses qui s’empilent, s’enchevêtrent et emprisonnent.
L’univers de chacun n’est qu’un grenier familier mais en désordre, où il faut se faufiler pour trouver la sortie.
Comment comprendre tous les dédales ?
La famille Péronne a préparé l’apéritif. Un peu fastueux, comme aime le père, parce que sa fille Cécile a réussi le bac.
Ce n’est pas vraiment une surprise, elle a toujours été bonne élève et, malgré son caractère un peu chahuteur, a toujours reçu les félicitations de ses professeurs.
Elle n’a donc pas bondi de joie, parce que pour elle, c’était normal d’obtenir ce diplôme.
D’ailleurs, elle n’a pas l’intention de fêter quoi que ce soit, elle pense déjà très fort à ce qu’elle fera l’année prochaine.
Ce soir-là, elle traîne un peu avec une copine et elles se racontent des banalités de filles avant de rentrer à la maison.
Il fait tiède en cette fin d’après-midi de juin, mais un orage gronde. L’ambiance est déjà aux vacances, les rues grouillent un peu de touristes allemands ou d’ailleurs, et Cécile se sent légère. L’année scolaire est terminée, la rentrée de septembre est encore loin même si les soucis de la nouveauté la tourmentent un peu en secret.
Fin du lycée.
Une autre vie, une aventure quoiqu’on en dise, et surtout, d’autres endroits, d’autres lieux.
Elles en parlent ensemble, son amie Monique a également obtenu le baccalauréat, et comprennent avec leurs échanges qu’elles vont devenir un peu plus grandes.
Presque adultes.
Cécile Péronne sera une vraie étudiante en septembre et suivra des études de droit à Aix-en-Provence.
Son Vaucluse natal ne sera cependant pas très loin, mais tout de même… La trouille est là, cachée avec cette petite émotion permanente qui excite mais oppresse aussi sans cesse.
Cécile.
Elle sait que ses parents sont aux anges et vont probablement lui offrir un cadeau. Elle ne peut pas être surprise parce qu’elle les connaît tellement et que toutes les bonnes nouvelles apportées par son frère cadet et elles ont été saluées avec enthousiasme.
Elle ne se sent pas si fière que ça, parce qu’être reçue à ce fameux bac, ce n’est au fond que la normalité de son parcours scolaire.
Normal, normale.
Monique a moins de chance avec ses parents. Agriculteurs maraîchers, ils ont eu peu de temps pour suivre les études de leur fille. Les travaux sont durs pour eux et n’ont pas, comme les Péronne, de jours de repos.
La quincaillerie des Péronne est un commerce important qui emploie cinq salariés.
Jean Philippe, le père, travaille davantage à son bureau qu’au magasin et Colette, son épouse, gère la comptabilité.
Les cinq salariés se répartissent entre les ventes et la gestion des stocks.
Cette petite entreprise fonctionne bien et a été héritée du minuscule commerce qu’avait créé le grand-père de Cécile.
Chez les Péronne, la bienséance est de mise, les bonnes manières transmises et respectées, et l’éducation catholique enseignée et pratiquée avec assiduité et grand respect. Le travail est sacré, tout le monde s’emploie à être à la hauteur et personne ne plaisante avec la réputation de leur respectable maison.
On est comme cela chez les Péronne parce que c’est comme cela qu’il faut être et se conduire.
On ne doute pas.
***
La table de la salle à manger a été recouverte d’une nappe blanche bordée de dentelle.
Les plis montrent que cette nappe doit être soigneusement rangée par habitude et que la déplier est le signe d’événements importants.
Jean Philippe Péronne s’est mis un peu en frais et pris la posture du patriarche satisfait.
Colette l’épouse se hâte avec précision pour que cette petite réception soit à la hauteur.
Il n’y aura pas beaucoup de monde pour cet apéritif, que les très proches.
Bertrand, le frère de Cécile, bien sûr, deux des employés qui sont les fidèles de la maison, la tante de Cécile, sœur de sa mère, Hélène, plus « Mamie Souris » et « tonton Monmon » qui n’ont rien à voir avec la famille mais qui sont les amis proches que toute la famille connaît depuis toujours.
Mamie Souris a plus de quatre-vingts ans, a connu tous les Péronne depuis toujours et son défunt mari a travaillé dans la quincaillerie. Son esprit taquin et sa vivacité émaillent les conversations, et les Péronne se délectent toujours de ses répliques et de ses observations.
Quant à Tonton Monmon, il existe lui aussi dans le paysage des Péronne depuis une éternité.
Personne ne sait vraiment de quoi a vécu ce monsieur maintenant très vieux, personne ne lui a connu d’épouse ni de maîtresse, personne n’a jamais osé lui poser de questions.
Il a rendu beaucoup de services autour de lui et il se dit même que, dans un passé lointain, alors que le commerce traversait une crise grave, il a prêté une somme d’argent importante pour éviter la faillite.
Les arcanes de ces tractations sont toujours restés secrets ; en tout cas, Tonton Monmon fait vraiment partie de la famille sans que l’on sache comment, ni pourquoi, ni vraiment depuis quand.
Il est là.
Tous ces gens arrivent les uns après les autres, lentement, habitués au cérémonial des Péronne et un rien fiers d’en faire partie.
Ils sont tous beaux, un tout petit peu guindés dans les habits du dimanche, préparés à complimenter et à user de la petite hypocrisie qui va de soi pour une plus grande cordialité.
Les employés du magasin arriveront en dernier, travail oblige.
Cécile ne se presse pas. Elle vient de faire une grosse bise à Monique en la quittant et se trouve tout de même légère.
J’ai le bac.
Je suis en règle. J’ai fait ce qu’il fallait.
À la minute présente, elle se trouve à jour. Sans plus mais rassurée et à sa place.
Il va être dix-neuf heures et l’air du début d’été apporte une douceur exquise. Le temps d’un paradis qui donne un aperçu du bonheur de la vie lisse et calme.
Peu de bruits, peu de brutalité, tout est feutré et orangé.
Avignon de paix et de couleurs, les anges ont dû fournir un effort pour organiser ces moments.
Elle en profite, Cécile, elle en profite…
Avant d’arriver dans la maison des parents, elle doit traverser tout le quartier et, comme d’habitude, elle regarde chez les autres. Les petits jardins, les haies fleuries, certains ont des garages ouverts, d’autres s’affairent dehors. Elle les connaît plus ou moins, mais elle aime la familiarité des endroits et des apparences.
Son monde, ses gens.
Une dame qui la connaît la regarde arriver de loin.
— Alors Cécile, ce bac ?
— C’est fait, je l’ai eu, je suis bien contente.
— Bravo ! Tes parents vont être heureux ! Je te félicite.
— Merci, madame Laurent, merci et bonne fin de journée.
La voilà proche de la maison, elle ressent à distance le confort et son intimité.
Est-elle heureuse ?
Pas la question. Pas encore, mais certainement pas malheureuse.
Le domicile des Péronne est bourgeois, sans plus. La façade de la maison est sobre, le jardin soigné, tout respire le rangement et l’ordre mais pas la grande richesse.
Ils n’ont rien à montrer de plus que le nécessaire confort des gens travailleurs et honnêtes.
***
À peine le seuil franchi, après avoir traversé le jardinet, Colette Péronne applaudit l’arrivée de sa fille et se jette dans ses bras pour l’embrasser.
— Nous sommes fiers de toi, ma fille !
— Merci maman.
Jean Philippe la prend dans ses bras à son tour, puis Mamie Souris qui lui tapote le dos longuement.
Elle vient lui chuchoter quelque chose que personne n’entend et sourit avec malice. Ce doit être une de ses coquineries favorites ou un conseil ou – comme dit Colette – une galéjade.
Tonton Monmon, digne comme il sait l’être, lui fait une bise sur les deux joues, avec la même distance qu’il cultive depuis toujours.
— Je te félicite, Cécile, je te félicite. À partir de maintenant, ce sera un peu plus dur, tu sais… !
— Je sais, Tonton, enfin, je me doute !
Bertrand, le petit frère de 15 ans, vient à son tour faire une bise à sa sœur, sans effusion exagérée, ce n’est pas son genre.
— Bravo ! lui glisse-t-il…
— Merci bébé… ce sera bientôt à toi !
Il s’éloigne avec un petit sourire. La complicité des deux enfants n’a jamais été très intense.
La faute à Cécile, trop solitaire.
Les employés viennent à leur tour embrasser Cécile, avec beaucoup de respect, mais en marquant l’affection qu’ils lui portent. Il faut bien dire aussi qu’ils l’ont connue toute petite.
Au milieu de cette affection collective, Cécile reste d’un grand calme. Presque éloignée. Un rien ailleurs.
Elle vole, elle plane, elle quitte par seconde ce bruitage qu’on lui accorde.
Mais même si la légère distance qu’elle semble mettre l’isole un peu, elle sent monter un immense sentiment de sécurité.
Le grand confort, qu’apportent ceux qui veulent aimer, ressemble aux soins que reçoivent les malades.
Les assistances, les petites et grandes attentions, les gentillesses sont des convenances souvent plus importantes que l’amour.
Elle en reçoit beaucoup de chaleur, Cécile.
Elle sait que la sincérité de l’amour de ces gens est authentique, mais elle ressent que, peut-être, cela pourrait être trop.
— Merci à tous d’être là, merci de venir trinquer avec notre fille et merci de partager notre fierté bien légitime ! clame un peu solennellement Jean Philippe.
Un « Bravo » collectif résonne et tout le monde trinque.
— Tu as le droit de boire un peu de champagne, ma fille, même si tu n’es pas majeure… nous t’autorisons tous ! Pas vrai ?
Des oui, oui, bien sûr émergent de la pièce en réponse au père, et Cécile lève son verre très haut avec un grand sourire.
Colette, affairée pour que tout se passe bien, s’échappe dans la cuisine, peut-être bien pour y cacher une petite larme.
Est-ce le bonheur, toutes ces habitudes ? Tout ce protocole où se mêlent la fierté, la reconnaissance et un peu de nostalgie pour les plus anciens inscrit la famille Péronne dans une tradition qui fait du bien.
Ils sont conformes et à jour en ce moment présent. Ils existent, le montrent et tenteront de le transmettre.
***
Les mois d’été du Sud créent de nouveaux brouhahas et provoquent beaucoup de cacophonies. Les touristes viennent nombreux, les habitants vivent beaucoup dehors et les journées sont longues et claires, tard le soir.
Vacances des uns et récupérations des autres. Il faut bien que la rencontre s’organise et que les gens se parlent, s’écoutent et s’échangent ce qu’ils ont à proposer.
Les commerçants sont évidemment au comble de l’affairement, les établissements publics s’entassent d’usagers brouillons, et les cafés étalent leurs terrasses parfumées. Anisées ou sucrées, les tables attirent le monde, les guêpes, les regards et offrent le spectacle du bistrot.
Juillet, août et même septembre ne sont que des miroirs qui ne reflètent que des nuées de passants affairés à rien, des artifices de société où la légèreté se propose comme une guérison éphémère.
Ils passent un temps puis repartiront en caravanes vers le nord, en même temps, comme de bons soldats qui ont prévu un rassemblement ailleurs.
Ailleurs est toujours un peu loin.
Toujours un exotisme plus ou moins prononcé selon la distance, ailleurs, là-bas, où je vais ou d’où je viens, selon qui regarde et ne bouge pas.
Les commerçants commercent, les fonctionnaires fonctionnent, les badauds badent, et les étudiants font la fête, comme tous les jeunes.
***
Cécile est partie chez les grands-parents de Grenoble, comme tous les étés. Elle y a retrouvé les amis habituels, grandis, mûris, et durant la quinzaine s’est beaucoup amusée.
Ce sont les parents de sa mère et eux aussi ont été heureux et ont arrosé le bac de leur petite fille.
Pourtant, leur nature protestante a limité les effusions et ils sont restés beaucoup plus sobres que les Péronne d’Avignon.
Ils ont toujours beaucoup surveillé leur petite fille, mais cette année, vu son âge, ont moins traqué ses sorties. En plus, Cécile ne sort qu’avec les mêmes amis, pratiquement, et ils pensent bien connaître tout son monde.
Ils pensent.
Dans cette famille, il est aussi de tradition d’affirmer que l’air des Alpes maintient en forme. Depuis longtemps, Cécile a compris que la fournaise habituelle de juillet à Grenoble est plus étouffante que la chaleur ventée du sud. Mais cette année, la ville reste étonnamment fraîche pour la saison. Il y a eu de la pluie, et les pulls ont été de rigueur sur les fins de journées.
La ville est déjà en effervescence à cause des Jeux olympiques d’hiver qui auront lieu en 1968.
Des travaux, des palissades, des ouvriers, même en juillet l’activité ne mollit pas.
Cécile Péronne a des habitudes grenobloises et aime bien retrouver le quartier des grands-parents. Elle s’est rendu compte qu’elle avait grandi en voyant l’attitude de son grand-père un peu rigide, s’assouplir.
Le regard a changé, les attentions aussi.
Voilà.
Grenoble, juillet 1965, la ville travaille, se prépare à la fête qui arrive, Cécile a mis son agenda familial au point, et fait son devoir de copine, de vacancière et de petite fille. Elle rentre.
Ses parents vont venir la chercher la troisième semaine de juillet, un samedi.
Le repas avec toute la famille reste là encore un moment sacré.
Cela fait partie des habitudes familiales et les mêmes discussions se poursuivent depuis toujours.
Il est convenu de repartir le dimanche parce qu’il y a moins de circulation.
Le retour se fait dans la journée, la route est longue et la voiture pourtant importante des Péronne, une Frégate Renault, inconfortable parce que toujours très chargée.
Départ, Valence, Montélimar, Orange avec ses interminables bouchons et Avignon.
Cécile revient, retrouve, reconnaît, renaît.
***
Le reste des vacances d’été se partage entre les amis d’Avignon, du lycée, et quelques échappées en car ou en voiture avec les parents de copines au bord de la mer.
Carry le Rouet, à côté de Marseille, puis plusieurs fois Bandol. La mer n’est pas très loin mais avec les afflux de touristes, ces petites sorties sont toujours très longues et encombrées.
Cécile aime beaucoup la mer. Elle ressent une attirance impossible à calmer dès que les chaleurs de l’été commencent à brûler. Alors toutes les occasions sont bonnes pour s’y précipiter.
Pour en profiter vraiment, il faut partir évidemment assez tôt le matin et revenir le plus tard possible. Ces horaires sont dictés par l’intensité de la circulation.
L’abandon sur la plage commence souvent vers dix heures.
Un vrai abandon.
Une fuite au travers de bruits, de soleil, de brûlures, parfumée de mauvaises odeurs d’huile solaire.
Cécile Péronne adore ce rêve de feu, ce sable, ce monde, ces flacons jaunes gras de produits qui doivent en principe éviter les coups de soleil.
Tant pis pour la promiscuité, pour les gosses des autres qui crient, qui courent, qui sont souvent insupportables.
Tant pis.
Je suis entre le sommeil et le monde qui jacasse.
Je ne rêve pas, je ne dors pas, j’existe.
Cécile devient vite bronzée et encore plus jolie. Elle sait comment les garçons la regardent, comment quelques filles la jalousent, comment les copines essaient de la copier.
Chacun ses avantages, et elle a compris depuis l’adolescence comment se servir des siens.
Les garçons l’ont beaucoup chahutée toutes ces années de collège et de lycée, mais elle a conservé une attitude réservée, comme une diplomatie innée souvent dictée par ce qui ressemble à de la timidité.
Pourtant, cette légère distance qu’elle cultive depuis l’enfance ne prouve pas qu’elle soit timide, mais agit comme une protection.
Un rideau élégant et qui dégage une fierté simple, voilà ce qui émane de cette jeune fille que l’on suspecte très vite d’être de bonne famille.
Cécile la polie, Cécile la fière, Cécile la belle, Cécile Péronne un peu mystérieuse.
Cécile, une noblesse naturelle qui a un charme fou.
Elle se contente de ces moments pour la fin de ses vacances, de ces fréquentations habituelles et de ses premiers flirts.
Parmi les copains de ces années scolaires, il y a bien déjà eu des petits bécots, des petites caresses gentilles, mais jamais plus.
Elle craint un peu, appréhende, et les garçons gauches de son âge n’ont jamais osé s’aventurer très loin.
Bof.
Elle a eu peur une fois pourtant de se laisser tenter par une aventure un peu plus coquine. Mais elle a reculé au dernier moment, sa crainte a été plus forte que son désir et sa curiosité. Parce que tout de même, elle y pense, elle imagine sa sexualité de couple souvent, mais comment et avec qui commencer ?
Comment s’y prendre ? Comment céder avec honneur et élégance ? Et puis elle sait bien que les garçons – les filles aussi – parlent et racontent beaucoup entre eux. C’est peut-être bien cela qu’elle redoute le plus. Les ragots, les commentaires, les sourires en coin.
Alors, tant pis, ce sera pour plus tard, et elle espère beaucoup de cette rentrée qui vient, pour d’autres connaissances, et qui sait ?
Curieuse et un tout petit peu impatiente, Cécile.
Justement, à la rentrée, elle aura 18 ans. L’âge où les jeunes se dégourdissent un peu en attendant les trois années qui les séparent de leur majorité, l’âge où démarrent tous les apprentissages importants, et la saison de beaucoup de découvertes.
Attendons.
Le mois d’août est horriblement chaud et les informations relatent en permanence les incendies de pinèdes.
Les feux sont une grande habitude dans le sud de la France et il n’y a guère de journées sans les fumées noires et leurs odeurs de brûlé.
Les gens se sont habitués mais ne se rassurent toujours pas pour autant.
Le feu, ce grand secret qui fascine, qui émerveille les pervers et les pousse au crime de l’allumette ou du brûlot.
Le feu.
L’addition du soleil et des flammes, la combinaison de ces éléments font que le sud ressemble à un enfer, à des lieux de perdition et de fin du monde.
Tous les étés, quand le vent vient de ce ciel bleu, quand ce mistral chaud provoque et saoule, quand les populations de shorts et de jupes courtes s’éventent, le feu rappelle à l’ordre.
Les humains de ce sud devraient rester sages, ordonnés, prudents.
Mais non, ils sont pleins de vie, pleins de découvertes, pleins de tout parce qu’ils ne sont pas chez eux.
Les touristes, peuples de voyageurs fatigués, se repaissent des aventures bon marché et le feu des forêts fait partie de l’épopée.
Dommage pour les arbres.
Cécile craint ces flammes, même lointaines, de ces odeurs de bois carbonisés, de cette panique.
Les sirènes, les camions, les informations relayées, répétées, tout ce tohu-bohu la met toujours mal à l’aise.
Et la fin du mois d’août est particulièrement agitée, non pas par tant de feux sur la région de Vaucluse mais surtout sur la Côte d’Azur proche.
***
Fin des vacances, départ des estivants, les routes réapprennent les files interminables, les accidents, les disputes. Lieux de confrontations et de frictions, les embouteillages se succèdent aussi bien sur cette fameuse nationale sept que sur les départementales.
Il faut bien rentrer.
Il faut bien que cela s’achève.
On ne peut pas être en vacances toute l’année !
Les villes qui ont été grasses de monde pendant les dernières semaines vont se reprendre et se taire un peu.
Monotonie ou sagesse, repos ou habitudes, chacun retrouve sa place et sa cadence.
Pas Cécile Péronne.
Les préparatifs pour se loger à Aix-en-Provence, les inscriptions diverses, trouver ses repères et se rassurer, son père l’a déjà accompagnée trois fois depuis le vingt septembre.
Il se fait un peu de soucis pour sa fille qui va quitter sa famille pour la première fois, et vivre ailleurs.
En bon père, il essaie de tout préparer. En homme averti, il la regarde et sait bien ce qu’elle inspire autour d’elle.
Jean Philippe Péronne connaît-il bien sa fille ? À le voir se ronger les ongles et être nerveux dans cette ville d’Aix-en-Provence, il y a peu de chances.
Papa, ta petite s’en va.
Bien sûr, il se rassure parce que ce n’est pas très loin et qu’elle reviendra souvent, bien sûr, il a confiance parce qu’elle a reçu l’éducation qu’il faut, bien sûr parce que…
Colette a parlé avec sa fille de tout, mais comment ?
N’étant elle-même pas vraiment libérée de cette condition de femme rangée et soumise aux protocoles des traditions héritées, soucieuse de tout bien faire, a-t-elle éduqué sa fille comme il faut ?
Les Péronne tremblent un peu. Ils ont la crainte du dehors en même temps que la fierté de la faculté et redoutent leurs solitudes malgré la présence de Bertrand, leur petit dernier.
Mais voilà, c’est la vie.
La leur.
Comme beaucoup de gens, ils assistent et reçoivent le temps qui passe, et le regardent défiler en voyant les petits grandir.
Grande Cécile. Étudiante. Aix-en-Provence, cette ville qui inspire un respect dû aux magistrats de la cour d’appel, aux avocats si nombreux, au monde universitaire, à une espèce de population huppée, instruite. L’élite.
Bref, ce qu’il faut pour Cécile en quelque sorte !
***
Mi-septembre 1965, la vraie rentrée, l’autre visage du monde pour Cécile.
L’agitation des autres et sa nouvelle identité, son adaptation se fait déjà parce que le mouvement collectif la pousse. Elle est une parmi d’autres, elle se sent dans une espèce de famille où les souvenirs existent avant elle.
Les grandes personnes connaissent les nouveautés, sont habituées aux transformations, et tout l’art de grandir consiste en ce repérage des balises qui donnent le statut de ressemblance.
Le grand nombre absorbe les petits, les nouveaux. La file met en ordre cette jeunesse et leur donne déjà une place. Le plus grand des désordres ne peut rien contre le tri et la mise en place des groupes.
Cécile suit docilement et avec beaucoup de curiosité. Qui sont-ils ? que se disent-elles, celles qui se connaissent ?
J’en suis.
Je vais bientôt me mouvoir, me fondre, échanger.
En plus, les lieux sont surprenants par la taille et les enchaînements de couloirs, de salles, de vitres, d’espaces barbouillés d’histoire témoignent de cette colossale mutation.
La ville aussi porte les souvenirs de péripéties anciennes. Des statues, des quartiers anciens et propres, des fontaines partout, et des jeunes, des jeunes…
La vivacité de l’histoire bouscule tout.
« Aix-en-Provence sera ma ville », se dit Cécile.
Une belle ville qui, de Mirabeau à Portalis, de Cézanne à Zola, a accouché de grandes choses ! et tous les secrets qu’elle contient et qui vont venir l’imprégner la rendent fière et presque responsable.
Me voilà !
Le petit logement que son père a pris en charge est en plein centre-ville. Les deux voisins sont de jeunes couples. Le garçon du premier couple n’étudie pas et travaille dans un grand magasin du centre.
Son amie est en faculté de lettres et a l’air très studieuse et sérieuse.
Pour se rendre à la faculté de droit, Cécile mettra moins de dix minutes en marchant tranquillement.
Elle va bien s’organiser, tout est proche, tout est pratique et elle a reçu quelques centaines de francs de ses parents.
Le cadre est posé, les acteurs sont en place et les tâches arrivent.
Bonne chance, Cécile Péronne.
Bienvenue, mademoiselle l’étudiante.
Les études de droit obligent les étudiants à beaucoup de persévérance. Le travail de rabâchage et d’apprentissage mobilise et impose une stabilité qui ne va guère aux jeunes fêtards.
Ils ont souvent plus envie de s’amuser, mais Cécile sait se retenir un peu plus que ses amis.
Des amis filles et garçons, elle en fréquente beaucoup. Peu et de moins en moins réservée, elle s’est libérée très vite.
Les échanges sympathiques ont précédé les flirts et les amourettes.
Belle fille, elle attire les garçons, bien que sa distance naturelle les oblige à des précautions.