La Fille du rabbin (1876) - Pierre Coeur - E-Book

La Fille du rabbin (1876) E-Book

Pierre Coeur

0,0
1,49 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Aïn-Beïda est le dernier poste avancé à soixante-dix ou quatre-vingts lieues au sud de la province d’Oran et confine presque au désert du Petit-Sahara ; les hivers y sont rigoureux, les étés brûlants ; la végétation nulle ou à peu près ; les ressources les plus élémentaires de la vie y font complètement défaut, et, comme il n’existe aucune route carrossable entre les rares centres de populations européennes qui soient en relation directe avec Aïn-Béïda, les transports s’effectuent, de l’un à l’autre de ces divers points, à dos de mulet et de chameau, genre de communication inconnu dans les pays civilisés et sujet à des accidents sans nombre.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB

Veröffentlichungsjahr: 2020

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


La fille du rabbin

Pierre Cœur

Copyright © 2020 Librorium Editions 

First Published in 1876

Table of Contents

Page de titre

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

 

I

Aïn-Beïda1 est le dernier poste avancé à soixante-dix ou quatre-vingts lieues au sud de la province d’Oran et confine presque au désert du Petit-Sahara ; les hivers y sont rigoureux, les étés brûlants ; la végétation nulle ou à peu près ; les ressources les plus élémentaires de la vie y font complètement défaut, et, comme il n’existe aucune route carrossable entre les rares centres de populations européennes qui soient en relation directe avec Aïn-Béïda, les transports s’effectuent, de l’un à l’autre de ces divers points, à dos de mulet et de chameau, genre de communication inconnu dans les pays civilisés et sujet à des accidents sans nombre. Parfois, surtout pendant la mauvaise saison, les convois retenus par des pluies torrentielles au bord des chots2 sont contraints, afin de se livrer passage, de combler, avec des fascines dont ils se servent ensuite comme de ponts de bateaux, les lacs qui se forment en quelques heures, ou d’attendre l’écoulement et l’absorption des eaux ; il en résulteque les habitants d’Aïn-Beïdase trouvent, dans de telles occurrences, séparés momentanément du reste du monde, qu’ils manquent de pain,.de vin, de café et de tabac, choses indispensables ou à peu près à l’existence.

Quant aux ressources morales et intellectuelles, elles font défaut en tout temps. Il existe bien à Aïn-Beïda un cercle militaire, où sont admis les employés civils, abonné à la Revue des Deux Mondes et aux principaux recueils et journaux de la grande et même de la petite presse ; mais grâce aux difficultés des transports, à la rareté des arrivages., ces revues et ces journaux parviennent à Aïn-Beïda en si grand nombre à la fois, qu’on les parcourt presque sans les lire, pour passer plus promptement aux dernières nouvelles, et qu’ainsi déflorés, les feuillets coupés d’une main hâtive et souvent peu soigneuse, livres et journaux sont abandonnés sans que l’on se soucie de les explorer davantage.

D’ailleurs, dans les lieux où pèse l’ennui, le marasme s’empare de vous à la longue ; vous devenez indolent, paresseux, incapable de soulever vos ailes ; l’existence matérielle, bestiale, prend le dessus ; la contagion de l’exemple de vos devanciers est là, fatale, inexorable. Le matin vous vous éveillez en bâillant, vous vous levez le plus tard possible ; vous n’accomplissez vos devoirs professionnels qu’avec lassitude et parce qu’il le faut ; vous tuez le temps, selon l’expression vulgaire, entre le cigare et l’absinthe, et par le désœuvrement et par la torpeur dont le soleil accablant et le simoun sont les plus puissants auxiliaires, vous glissez sur la pente de la dégradation.

Quelques natures d’élite réagissent, il est vrai ; mais celles-là sont rares et fortement trempées. Consultez les officiers d’Afrique, et ils vous diront ce qu’il leur a fallu de volonté soutenue, de courage même, pour résister à l’action dissolvante de ces fatalités : l’isolement, la chaleur et l’ennui. Peut-être pourrait-on rechercher dans ces causes le défaut d’instruction, tant reproché à l’armée dans ces derniers temps ; les facultés intelligentes, la mémoire même s’atrophient dans l’oisiveté ; on oublie jusqu’aux connaissances acquises par de longues années d’étude, et l’on arrive à être justement classé parmi les non-valeurs.

Lorsque le lieutenant d’infanterie Léonce Maubert fut envoyé, au mois de mars 185., en qualité d’officier adjoint, au bureau arabe d’Aïn-Beïda, il connaissait de réputation le triste séjour qui allait devenir pendant plusieurs années, probablement, une des stations de son existence militaire ; cependant il ne s’effrayait point outre mesure de la perspective désolante d’une longue résidence dans un poste si peu habitable ; doué de beaucoup d’illusions et d’une certaine présomption, il pensait que, où d’autres pouvaient périr d’ennui, il trouverait assez de force et de ressources en lui-même pour braver les effets délétères de la forteresse et qu’il saurait s’occuper de telle sorte qu’il ne tomberait point dans le travers commun du constant farniente, du tabac et de l’absinthe.

Malgré tout ce qu’il avait pu prévoir, Léonce, à l’aspect de sa nouvelle résidence, éprouva une déception cruelle. En fait de monuments, il n’existait, dans ce qu’on nommait improprement la ville, entourée de murailles et d’un large fossé de défense, qu’un hôpital militaire et une caserne, percés régulièrement de fenêtres étroites ; sur chacune de leurs faces, blanchies uniformément à la chaux, se reflétaient, avec une intensité insupportable aux yeux les mieux aguerris contre les réverbérations brutales, les rayons d’un soleil aux brûlantes ardeurs. Quelques maisons, celle du commandement, entre toutes, offraient seules une apparence de comfort relatif ; les autres habitations n’étaient, pour la plupart, que des baraques en planches, des gourbis en torchis et en troncs de palmiers, des tentes même, d’un effet misérable et attristant.

Plusieurs cantines, cabarets ou débits de boisson ou plutôt de poison, le traditionnel bouchon de branches de houx en vedette à la porte d’entrée, indiquaient suffisamment aux rares passants et aux soldats la destination de l’établissement ; une boulangerie cumulant, avec la vente du pain, celle de l’épicerie et des produits alimentaires les plus grossiers et les plus frelatés, représentait l’industrie et le commerce à Aïn-Beïda.

Gâté par un long séjour à Alger, cette Capoue de la colonie, que regrettent à jamais ceux qui l’ont connue, Léonce, en franchissant le mur d’enceinte de sa nouvelle résidence, embrassa d’un coup d’œil son ensemble et éprouva un serrement de cœur.

— Quoi ! se dit-il avec amertume, à vingt-huit ans être condamné à végéter dans un tel trou ! Et l’on appelle cela de l’avancement !

Le souvenir enchanteur d’Alger se dressa dans sa mémoire ; il songea à la mer si bleue dont les flots viennent mourir doucement, par les belles soirées de printemps, au bas de la place du Gouvernement, si gaie, si animée, couverte de promeneurs nonchalants et de jolies femmes des deux mondes ; il revit, comme en rêve, les verdoyants ombrages de Mustapha et de la vallée des Consuls ; puis, rappelé à la réalité par la voix d’un des spahis de son escorte qui lui indiquait le chemin, il exhala un soupir et baissa la tête sur l’encolure de son cheval, jusqu’au moment où ses guides, s’arrêtant devant la maison du commandement, lui dirent :

— C’est ici !

Il descendit de sa monture aussi harassée que lui-même, et, tout couvert de la poussière de la route, il fut, après avoir traversé deux ou trois pièces encombrées de justiciables indigènes du bureau, introduit auprès de son chef, le capitaine directeur des affaires arabes.

Celui-ci, assis sur un fauteuil élevé comme un trône, au centre d’une vaste table chargée de papiers, ayant à ses côtés son adjoint, son interprète et les stagiaires, expédiait les affaires avec la promptitude de décision d’un homme investi d’une grande autorité et préoccupé de tout autre chose que de la dignité et de l’importance de ses fonctions.

En apercevant son nouvel adjoint se présentant d’un pas incertain, le capitaine Bertin, à qui il était annoncé, comprit instantanément qui était Léonce, et en examinant avec rapidité et non sans une certaine curiosité la physionomie piteuse du lieutenant, il put à peine réprimer un sourire ironique, sans méchanceté toutefois.

— Je vois ce que c’est, ajouta-t-il, après lui avoir souhaité la bienvenue et serré la main, vous arrivez à l’instant, et l’aspect d’Aïn-Beïda a déjà produit son effet. Que voulez-vous ? Nous en sommes tous là, mais on s’habitue à vivre ici, vous ferez comme chacun... et d’ailleurs... vous aurez pas mal de travail pour distraction.

Ces derniers mots furent accompagnés d’un nouveau sourire dubitatif, qui fit réfléchir Léonce ; puis le capitaine le fit asseoir auprès de lui, et il continua à donner audience à ses administrés. Au bout d’un instant, il tourna la tête du côté du jeune homme et lui dit :

— Savez-vous parler l’arabe ?

— Certainement, mon capitaine, répondit en cette langue le nouvel adjoint ; s’il en était autrement, ce serait une honte pour moi qui suis en Algérie depuis quatre ans.

Le visage du capitaine et celui de son interprète eurent alors une expression de mécontentement qu’ils ne parvinrent à déguiser entièrement ni l’un ni l’autre, et qui n’échappa point à Maubert.

— Il paraît que cela les contrarie, pensa-t-il ; j’aurais mieux fait de les laisser me supposer ignorant comme une carpe. Ma foi, tant pis ! mais je n’aimerai jamais mon chef, c’est là une éventualité fâcheuse que je n’avais point prévue.

A quelques minutes de là, le lieutenant Roy, que venait remplacer Maubert dans sa position d’adjoint, se penchait vers le capitaine et lui murmurait quelques mots à l’oreille ; celui-ci fit un signe d’assentiment, et Roy, s’adressant au nouveau venu, lui dit :

— Le capitaine nous donne campo, allons-nous-en ; on étouffe ici.

Aux premières paroles de son collègue, Léonce, déjà prévenu en sa faveur par la physionomie ouverte de celui-ci et par la cordialité de ses manières, s’était levé, avait salué le capitaine qui l’invitait à dîner pour le surlendemain, et il suivait machinalement Roy qui, à la sortie de l’audience, lui prit le bras, le posa familièrement sur le sien, avec une bonhomie qui fit une diversion heureuse aux préoccupations de Maubert.

— Nous allons commencer, reprit Roy, par monter chez vous ; vos bagages doivent y être remisés, et vous avez besoin, j’en suis certain, de vous débarrasser de la poussière de la routé et de changer de vêtements.

— N’y a-t-il point ici d’établissement-de bains ? demanda Maubert en se laissant guider par Roy.

Celui-ci s’arrêta court, regarda son compagnon avec un air de stupéfaction comique et lui répondit :

— Un établissement de bains ! on ne connaît pas un tel luxe à Aïn-Beïda, mon cher camarade ; mais comme compensation à ce petit désagrément qui ne choque que les raffinés, je vous offre et vous cède, en toute propriété, un immense baquet fabriqué avec une moitié de tonneau et dont je me sers pour mes ablutions quotidiennes ; vous allez le voir dans mon antichambre, qui devient la vôtre, puisque mon palais, composé de deux pièces et d’une terrasse, va vous appartenir. Si dans la suite vous êtes en bons termes avec le comptable de l’hôpital et les médecins, ils pourront, de temps à autre, vous gratifier d’un vrai bain, dans une véritable baignoire ; l’hôpital seul en possède deux ou trois.

— Quel pays ! s’écria Maubert consterné.

— Plus affreux encore que vous ne le pouvez supposer, répliqua Roy ; il y a deux ans que je l’habite, et j’ai sollicité mon changement parce que je n’y tenais plus : je ne dois point posséder une grande énergie de caractère, car le spleen m’envahissait, et sauf à retarder mon avancement, j’ai voulu partir. Dame ! je tiens avant tout à conserver le fils de ma mère. Quant à vous, il faudra vous habituer et vous soumettre à bien des misères. Vous n’ignorez pas ce qui se produit à bord des vaisseaux qui font de longues traversées : à force de voir les mêmes individus autour de soi, on les prend en grippe, presque en horreur. Dans l’étroite enceinte des murs d’Aïn-Beïda, l’effet semblable se produit ; on se déteste en général et en particulier. Mais nous voici à notre porte ; vous avez quinze marches à monter pour être chez vous.

Et Roy, indiquant à Maubert une sorte d’escalier de moulin que celui-ci commença à gravir, le suivit en continuant à causer. Lorsqu’ils furent au faîte sur un étroit palier, Roy poussa la porte entr’ouverte, et les deux jeunes gens se trouvèrent dans une assez vaste pièce, aux murs blanchis à la chaux, sans aucune espèce d’ornement ; le baquet dont Roy avait fait mention se trouvait dans un coin ; au centre les malles, les cantines et les bagages de Maubert gisaient pêle-mêle, tandis qu’un soldat d’infanterie, qui s’était mis au port d’armes dès qu’il avait aperçu les deux officiers, attendait qu’ils lui donnassent leurs ordres.

— C’est Jolivet, mon ordonnance, dit Roy en désignant le soldat à Maubert ; je vous engage à le prendre à votre service ; c’est un brave garçon, très-sage, très-discret, très-propre, et duquel je n’ai jamais eu à me plaindre.

— Merci, mon lieutenant, dit Jolivet, dont le regard étincela de satisfaction.

— Soit, répondit Léonce, je prends Jolivet ; mais où vais-je trouver ce qu’il me faut pour me débarbouiller ?

— Attendez, reprit Roy, vous n’avez pas vu tout votre domaine.

Il poussa doucement Maubert dans une seconde pièce et ajouta :

— Ceci est le cabinet de travail, le salon et la salle à manger ; si vous vous arrangez aussi, comme je l’espère, de mon luxueux mobilier, — et ne croyez pas que je plaisante, il est tel pour Aïn-Beïda, mais on est seigneur du bureau arabe, et à tout seigneur tout honneur, — vous aurez, ainsi que vous le voyez, le rarissime bonheur de posséder un divan, deux fauteuils, trois chaises, une armoire en noyer, une table et un bureau idem ; plus, dans la chambre à coucher, un lit de fer, un lavabo et un troisième fauteuil ; plaignez-vous donc ! personne ici, si ce n’est notre chef et le commandant supérieur, n’est aussi confortablement partagé.

— Et de plus, mon logement se compose de trois pièces, faveur réservée aux capitaines, dit Léonce en ébauchant un sourire un peu triste ; je dois, en effet, m’estimer heureux.

Il se laissa, en achevant ces mots, tomber sur une chaise avec un air de découragement si complet que Roy en fut ému. Il appela Jolivet, demeuré dans l’antichambre, pria Léonce de remettre à celui-ci les clefs de ses cantines et dit au soldat :

— Allons, Jolivet, vivement ; préparez tout ce qu’il faut au lieutenant pour faire sa toilette ; apportez son uniforme numéro 1, posez-le sur le lit, que vous dédoublerez quand nous serons sortis, afin que je puisse coucher ce soir quelque part, et dans lequel vous mettrez des draps blancs pour votre nouveau maître. A propos, continua-t-il en s’adressant à Léonce, en avez-vous, des draps ?

— Certainement, répondit Maubert ; Jolivet les trouvera par là, dans mes cantines.

Dès que Jolivet se fut retiré après avoir exécuté les ordres de Roy, Léonce se mit à procéder à sa toilette, tandis que son collègue continuait à le mettre au courant des habitudes et des mœurs de l’endroit.

— Quelle existence je vais avoir ici ! dit Maubert ; je n’y connais personne, et qui pis est, je ne suis pas très-liant. Avec vous, et grâce à votre entrain, je me suis trouvé à l’aise dès d’abord ; mais vous allez partir, que deviendrai-je ?

— Ne pas être liant n’est pas une mauvaise condition ici, repartit Roy, et comme vous me paraissez doué d’un caractère sûr, je veux vous mettre en garde contre tous les écueils ; si vous m’en croyez, vous userez de prudence envers chacun ; étudiez bien le terrain avant de vous livrer avec qui que ce soit ; puisque vous êtes calme, froid, peu communicatif, la chose sera facile. Il n’y a que deux manières de vivre dans ce trou : s’isoler en travaillant ferme, en ne s’occupant que de sa profession ; mais vous n’aurez pas cette ressource, le capitaine veut tout faire par lui-même, ou par et avec son interprète, je vous dirai pourquoi ; il ne faudra donc vous occuper du bureau arabe que dans les limites exactes de votre devoir, et travailler chez vous et pour vous ; ou bien vous abrutir au cercle comme la majorité de l’état-major, en jouant, en buvant de l’absinthe, en écoutant et en faisant des histoires sur les uns et sur les autres jusqu’au moment où il en résulte des altercations et mille désagréments ; ici, on est aussi bavard qu’indiscret. Non, l’existence d’Aïn-Beïda n’est pas agréable ; cependant, si vous avez le goût de l’étude et surtout celui des sciences naturelles, vous pourrez peut-être supporter patiemment la durée de votre stage dans cet abominable poste.

— Pourquoi, reprit Léonce intrigué, pensez-vous que je ne doive point m’occuper des affaires arabes ? C’est dommage, j’espérais, dans mes loisirs, continuer avec succès mon étude de la langue du pays.