La Gamine au débardeur rouge - Brenda Lee O’Ryan - E-Book

La Gamine au débardeur rouge E-Book

Brenda Lee O’Ryan

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Beschreibung

Un cold case de vingt ans ressurgit par le biais d'une gamine qui communique avec les morts...

Dans sa classe de CM2, Marine Thibeau accueille une bien étrange élève. Racines irlandaises, face lunaire et sourire timide, Gwendoline communique avec une jeune fille décédée il y a vingt ans. Voyant que la gamine souffre de ses « pouvoirs », l’enseignante la prend sous son aile, et, surtout, elle la prend au sérieux. Après un début d’histoire délirant et paranormal, il faut prévenir les autorités, car il s’agit de meurtres qui, eux, sont bien réels, même s’ils relèvent d’un cold case. La brigade du gendarme Thomas Moreau, aidée par l’instit, la petite médium et un ornithologue qui aime les vautours, se lance dans une enquête qui va crescendo, avec des victimes éparpillées aux quatre coins de la France. Mais il faut faire vite, très vite, et devancer l’assassin qui s’apprête à descendre le quatrième homme de cette vieille et sale affaire.

Découvrez sans plus attendre ce polar haletant aux frontières du paranormal !

EXTRAIT

Il y avait cependant une exclue parmi les enfants volubiles. Une gamine de sa nouvelle classe de CM2 semblait être toujours
évincée des conversations parfois animées et hilares. De ce fait, la fillette errait lentement et en silence à travers la cour. Ou bien elle s’accoudait sur le mur
d’enceinte du préau et elle contemplait avec envie les écoliers qui se retrouvaient avec joie à chacune des récrés.
À une époque où la plupart de ses camarades s’appelaient Emma, Manon, Lola, Lina ou Chloé, cette élève prénommée Gwendoline se différenciait des autres par son ancien prénom celte. De plus, avec son épaisse toison de cheveux roux bouclés, son surpoids et sa figure de pleine
lune constellée de taches de rousseur, elle se distinguait également par son apparence physique et vestimentaire.
Malheureusement, dans le monde impitoyablement uniformisé des enfants et des adolescents, toutes ces différences l’éloignaient des autres écoliers qui se riaient d’elle.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Comme beaucoup d’enfants anglo-saxons, Brenda Lee O'Ryan fut bercée par des histoires de fantômes qui hantent les châteaux écossais, de dames blanches à la lampe qui errent dans les couloirs de maisons de maître londoniennes pour annoncer un décès imminent ou de malicieux
leprechauns, ces lutins des forêts d’Irlande qui cachent les chaussures des humains pendant les nuits sans lune.
Adolescente, elle se tourna de préférence vers les romans policiers des vieilles Anglaises où il est souvent question d’enquêtes menées par des détectives privés très stylés, avec ou sans chapeau melon, plutôt que par des policiers inévitablement balourds et incompétents.
Adulte, il lui est venu à l’idée d’écrire des polars contemporains qui aborderaient à la fois le côté surnaturel qui la faisait frémir, enfant, et l’enquête menée par une toute jeune Miss Marple, moderne, fine, et amoureuse.
Brenda Lee O'Ryan a passé une grande partie de sa vie aux Etats-Unis. Elle a appris le français au Québec et s'est laissée séduire par la France au cours de ses nombreux voyages. Jusqu'au jour où elle a décidé d'y poser ses valises définitivement. Elle vit aujourd'hui dans le Pays catalan, à côté de Perpignan.

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À mes amis, anglo-saxons et français, qui ont cru en moi et qui m’ont toujours soutenue.

« Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. »

Nicolas BOILEAU, L’Art poétique

Eh ben, maintenant, je pourrai plus jamais retourner chez moi ! J’avais pourtant été contente d’aller retrouver ce grand garçon sans le dire à personne. Il m’avait dit qu’il fallait que ça soit un secret entre nous par rapport à ce que j’avais à peine quinze ans et que lui, il en avait déjà dix-huit. Il m’avait dit aussi que les autres garçons, surtout ceux qui sont en classe avec moi, s’ils le savaient, ils en baveraient de jalousie. Il valait mieux ne pas en parler. Il voulait me garder pour lui tout seul. Ça m’avait drôlement fait plaisir parce que ça voulait sûrement dire qu’il m’aimait. Moi, en tout cas, c’est sûr que je l’aimais ! Ce qu’il y a, c’est que, une fois là-bas, ça s’est mal passé. Très mal passé, même. Après, j’ai voulu me sauver, mais quelqu’un m’a poussée. Je sais plus qui. Alors, comme on voit des fois au cinéma quand ils ralentissent l’image du film, je me suis sentie tomber, tomber, tomber lentement. Et c’est comme ça que je suis morte. Et puis, après, les oiseaux m’ont mangée et c’est pourquoi je pourrai plus jamais retourner à la maison.

Comme chaque soir après le repas, Mlle Marine Thibeau corrigeait des copies. Elle était, depuis peu, une institutrice diplômée. En fait, selon l’actuel jargon de l’Éducation nationale, prétendument plus valorisant que l’ancien, elle était devenue professeur des écoles. La jeune femme regrettait pourtant cette nouvelle appellation, car depuis son enfance elle avait rêvé d’être maîtresse et, plus particulièrement, d’être « instit » comme son héros télévisé de l’époque, Gérard Klein, alias Victor Novak. Cet ancien titre affectueux lui paraissait infiniment plus proche de ses petits élèves que le nouveau terme qu’elle jugeait pompeux. Les copies qu’elle corrigeait, pour la plupart enjolivées de remarques ou d’annotations à l’encre rouge, formaient des piles bien ordonnées sur la table où elle travaillait. Le silence dans la pièce était ponctué par ses « ouf ! », ses « bof ! » et ses « pfft ! ». Ces onomatopées d’étonnement ou d’irritation lui échappaient parfois à la vue de perles, présents naïfs offerts par certains de ses élèves et glissés parmi les lignes de leur rédaction, par ailleurs souvent raturée et tachée, on ne savait jamais avec quoi. Il ne fallait pas se décourager. Toutefois, le mémorable « Les douzes travos d’Hercule on été fais aussi par Ulisse » dépassait les bornes !

— Mais il le fait exprès ou quoi, ce Léo ? Pouff ! Je me demande si ce n’est pas de la provoc, seulement pour voir jusqu’où il peut aller avec moi !

Bien qu’elle ne lui soit probablement pas adressée, cette remarque prononcée à haute voix sembla donner à Mme Meunier le feu vert qu’elle attendait. Jusqu’à présent, assise en face de Marine à l’ancienne et massive table de cuisine, elle avait gardé le silence et s’était concentrée sur son activité, une grille particulièrement ardue de sudoku 4.

— C’est sûr qu’ils nous en sortent des vertes et des pas mûres, ces gosses. Tenez, hier, au cours de catéchisme que je donne à ceux qui préparent leur communion ou leur profession de foi, j’en ai entendu une belle.

Marine s’était remise à ses corrections et elle se contenta de hocher la tête pour signaler à sa logeuse qu’elle l’écoutait. Louise Meunier reprit son récit :

— Je leur parlais de Pâques. Plus particulièrement de la Résurrection. Je leur ai posé la question suivante : « D’après vous, c’est quoi, au juste, la Résurrection du Christ ? » Eh bien, vous ne me croirez pas, mais il y en a un qui m’a sorti : « C’est la saison deux de l’histoire…, c’est le retour de Jésus. »

— En somme, un peu comme Le Retour du Jedi, opina sa locataire sans lever les yeux de ses copies.

— Du quoi ?

Marine secoua la tête, comme pour indiquer que la chose était sans importance, et continua à corriger. D’un grand trait rouge appuyé, elle raya une phrase malheureuse qui aurait fait frissonner Homère : « Pénélope restait à la maison et elle tricotait des pulls en attendant que son mari Ulysse revienne de déplacement. »

Le lendemain, en observant ses élèves dans la cour de récréation, elle se fit la remarque évidente et propre à chaque génération : « Les gamins de dix ans ont bien changé depuis mon époque ! » En l’occurrence, finis la marelle, trappe-trappe ou colin-maillard ! S’il subsistait parfois un groupe restreint de garçons qui jouait encore aux billes et quelques rares filles qui perpétuaient la tradition en fabriquant des bracelets en élastique, la grande majorité de ses petites charges se rassemblait en cercles intimes pour se raconter des secrets d’amour, pour discuter des rebondissements de The Voice Kids ou pour commenter les nouvelles frasques de Justin Bieber. Il y avait cependant une exclue parmi les enfants volubiles. Une gamine de sa nouvelle classe de CM2 semblait être toujours évincée des conversations parfois animées et hilares. De ce fait, la fillette errait lentement et en silence à travers la cour. Ou bien elle s’accoudait sur le mur d’enceinte du préau et elle contemplait avec envie les écoliers qui se retrouvaient avec joie à chacune des récrés. À une époque où la plupart de ses camarades s’appelaient Emma, Manon, Lola, Lina ou Chloé, cette élève prénommée Gwendoline se différenciait des autres par son ancien prénom celte. De plus, avec son épaisse toison de cheveux roux bouclés, son surpoids et sa figure de pleine lune constellée de taches de rousseur, elle se distinguait également par son apparence physique et vestimentaire. Malheureusement, dans le monde impitoyablement uniformisé des enfants et des adolescents, toutes ces différences l’éloignaient des autres écoliers qui se riaient d’elle. Discrètement, Marine s’approcha d’un attroupement au fond de la cour. Parmi les petites commères causeuses, elle repéra une de ses meilleures élèves.

— Dis-moi, Lisa, pourquoi Gwendoline ne se joint-elle jamais à vous ?

— La sorcière ? Ben, en fait, on n’aime pas tellement être avec elle. Elle nous fait peur avec ses histoires de rêves.

Marine afficha un regard sévère.

— Sorcière ? Je n’aime pas ce vilain mot, Lisa.

Un peu honteuse, la gamine rougit de confusion.

— Pardon, ça m’a échappé, maîtresse. C’est vrai que c’est pas gentil, mais c’est un des garçons qu’a commencé à l’appeler comme ça quand elle lui a dit qu’il allait tomber dans l’escalier. Le lendemain, quand il est tombé pour de vrai, il lui a dit que c’était de sa faute et qu’elle lui avait jeté un mauvais sort. Elle, elle a répondu qu’elle avait fait un rêve, qu’elle l’avait vu tomber et qu’elle voulait juste le prévenir.

— Elle en a fait d’autres, de ces rêves, disons…, prémonitoires ?

— Ben oui, plein ! Un autre jour, elle a voulu prendre Cathy dans ses bras et l’embrasser. Mais moi, je savais que c’était pas une bonne idée parce que Cathy la déteste. Gwendoline lui a dit qu’elle avait beaucoup de peine pour elle. Eh ben, le lendemain, le petit chien de Cathy s’est échappé et il s’est fait écraser par une voiture. Alors, vous comprenez, elle nous fait peur.

— C’est bon, Lisa, tu peux retourner t’amuser, mais, à l’avenir, tâchez tout de même d’être un peu plus charitables envers votre petite camarade. Comme tu peux le constater, elle est toute seule et elle a l’air bien triste.

La sonnerie annonça la fin de la récréation et les enfants rentrèrent en chahutant, sous l’œil courroucé des professeurs. Malgré la demande faite à Lisa, Gwendoline arrivait à la traîne, en solitaire, comme à son habitude. Marine se dit, une fois de plus, que les gosses pouvaient manifester une grande cruauté entre eux. Elle se promit d’éclaircir cette histoire de rêves et d’essayer d’en savoir plus sur cette enfant frappée d’ostracisme.

Depuis quatorze mois, et son arrivée au Caylar pour la rentrée de l’année précédente, Marine louait une chambre chez Louise Meunier. Cet arrangement, qui devait être provisoire en attendant qu’elle se trouve un studio, se perpétuait pour le plus grand bonheur des deux parties. La maison de sa logeuse se situait à proximité de l’école. Elle comprenait un jardin fleuri ainsi qu’un grand balcon avec vue sur le roc Castel, une ruine imposante qui dominait le haut du village. La cuisine et le salon étaient à la disposition de la jeune célibataire. La jolie chambre à louer, avec sa propre salle de bains moderne, était lumineuse et agréable. La propriétaire, une veuve d’une soixantaine d’années, était sympathique et apparemment en manque de compagnie. Marine était elle-même seule au monde. Peu à peu, des liens d’amitié s’étaient tissés entre ces deux femmes malgré les quarante ans qui les séparaient. Louise avait toujours vécu au bourg ; elle connaissait tous ses habitants. Il était normal que Marine commence son enquête auprès de cette enfant du pays. Le soir, pendant le dîner qu’elles partageaient désormais, elle fit une pause après avoir resservi sa convive.

— Est-ce que vous connaissez la petite Gwendoline Sezneg ?

— Ah ! L’aînée de ce couple de Bretons ? Oui, j’ai eu cette pauvre enfant en cours de catéchisme. Ses parents sont très croyants. Ils ont une ribambelle de gosses !

— Pourquoi dites-vous « cette pauvre enfant » ?

— Oh ! Pour plusieurs raisons. D’abord, cette fillette a toujours été bizarre. C’est une solitaire. Elle n’a jamais eu de petites copines. Et puis, elle m’a toujours fait pitié. À vrai dire, elle n’est pas bête. Loin de là ! Pourtant, les autres gamins se moquent d’elle, de son surpoids, de sa tignasse frisée, de ses gros pull-overs tricotés maison. Et surtout de ses yeux verts ! Les enfants connaissent le vieux dicton. Au catéchisme, je les surprenais à le chantonner derrière mon dos : « Les yeux bleus vont aux cieux, les yeux gris au paradis, les yeux noirs au purgatoire, mais les yeux verts en enfer ! »

Marine hocha la tête. Elle aussi connaissait ce vieil adage. Elle reprit de l’onctueux gratin de courgettes qu’elle avait concocté. Un soir sur deux, c’est elle qui préparait le repas.

— Vous l’avez décrite en premier comme étant bizarre. Pourquoi ?

Louise posa sa fourchette et réfléchit un instant avant de répondre.

— Eh bien, entre autres, si un objet venait à disparaître pendant la catéchèse, mettons… mon cahier ou mon trousseau de clés par exemple, cette petite le retrouvait instantanément. Elle tournait la tête vers la porte avant qu’on n’entende même la sonnette. Une fois, elle avisa le groupe qu’untel allait tomber malade. Ça n’a pas loupé ! Le lendemain, on apprit que la personne en question avait été hospitalisée en urgence.

— Une de mes élèves m’a parlé de rêves prémonitoires.

— Oui, c’est bien ça ! Au début, elle nous parlait effectivement de rêves ou de voix qu’elle entendait parfois. Les gamins se sont tellement moqués d’elle qu’après elle ne disait plus rien !

***

Cette deuxième rentrée scolaire se déroulait sous de meilleurs auspices pour Marine. Finis le stress et l’appréhension de la première année. À présent, elle connaissait bien les lieux et elle avait pris ses marques dans la salle des professeurs. Désormais, elle faisait partie de la maison et se sentait suffisamment en confiance pour aborder une de ses collègues au sujet de la « sorcière ».

— Dis-moi, Laura, tu as bien eu la petite Sezneg en CM1 l’année dernière ?

— Gwendoline, la triste rouquine, ronde et frisée ! Oui, et cette année j’ai son frère Pierrick. Derrière eux, je crois qu’il y a encore trois ou quatre petits frères et sœurs.

— Elle était comment, cette gamine ?

— Angoissée, voire complexée. Au sujet de son poids, je suppose. Mais gentille, pauvre gosse ! Bonne élève à l’écrit, mais forcément réticente quant à la participation orale. Deux ou trois fois en cours d’année, il lui est arrivé de faire comme un malaise vagal, sans toutefois aller jusqu’à la perte de connaissance. Une chute de tension, une hypoglycémie… Qui sait ? Je l’avais signalé à la directrice à l’époque. Elle se faisait souvent malmener par les autres élèves. Tu sais comment ils peuvent se comporter avec les plus faibles. J’avais essayé de la faire réagir en classe. Je voulais qu’elle se défende. Elle me regardait avec sa grosse bouille ronde et ses yeux verts de chat…, mais elle ne répondait pas et finissait par baisser la tête. Les gamins riaient de plus belle. J’ai cru bien faire en n’attirant plus l’attention sur elle. Pourquoi ta question ? Gwen te poserait-elle des problèmes ?

— Non, mais je crains que son propre problème ne se soit aggravé. Les élèves la traitent maintenant de sorcière et ils l’évitent. Elle ferait des rêves soi-disant prémonitoires qui leur font peur.

— Tu ne crois pas qu’elle a trouvé cette faible ruse pour qu’ils lui fichent la paix ? Ou, au contraire, pour attirer l’attention et se rendre intéressante ?

— Qui sait ? Quoi qu’il en soit, elle a les yeux cernés et elle me paraît fatiguée. Quelque chose la tracasse, mais elle ne dit rien. Je compte la retenir après la classe et essayer de la faire parler. Peut-être que, seule à seule avec moi, elle sera plus communicative.

La sonnerie stridente, qui rythmait la journée de l’établissement, retentit et signala la rentrée des élèves. Les professeurs empoignèrent leur cartable et se dirigèrent vers leur classe, en se frayant un passage dans les couloirs bondés. Ils étaient accompagnés par le fond sonore d’une joyeuse et habituelle cacophonie.

Tout au long de la matinée, Marine observa discrètement Gwendoline. L’élève ne levait jamais la main, ne répondait qu’aux questions directes et, chose que l’enseignante n’avait pas remarquée auparavant, ne la quittait jamais des yeux. Tout en déambulant dans la cour pendant la récréation, la jeune femme se garda d’approcher la rouquine aux yeux verts pour ne pas attirer sur elle l’attention des autres écoliers. Du coin de l’œil, elle constata, comme en classe, que la petite l’observait d’un regard accablé.

À l’heure du repas, la sonnerie résonna à nouveau et les enfants sortirent en trombe pour se rendre à la cantine. Aujourd’hui, jour béni, il y avait des frites au menu ! Gwendoline tardait à suivre ses camarades. Marine en profita pour l’interpeller :

— Attends, Gwen, j’aimerais que nous discutions, toi et moi. J’ai apporté des chips, des sandwichs au jambon, des fruits et des boissons. Nous allons nous installer ici toutes les deux, nous y serons tranquilles pour bavarder. J’ai dans l’idée que tu voudrais peut-être me confier un secret ou m’avouer quelque chose qui te chagrine et que tu ne peux pas dire devant tes compagnons de classe.

La fillette poussa un soupir de soulagement, et, pour la première fois, un timide sourire anima son visage lunaire.

— Il y a si longtemps que j’attends ce moment, maîtresse… Mais la voix m’a toujours dit de ne pas désespérer, parce que vous finiriez par arriver.

La jeune femme sentit un frisson lui parcourir l’échine. Néanmoins, sans laisser paraître sa stupeur, elle invita la petite à s’asseoir à un des bureaux d’élèves. Elle commença à déballer le repas pique-nique et s’installa à ses côtés. Celle-ci, tranquille, la scrutait à présent avec ce qui semblait être de l’espoir ou, chose curieuse, de l’adoration.

D’une voix douce mais quelque peu chevrotante d’émotion, Marine s’adressa à l’étrange écolière :

— Tu entends quelqu’un dans ta tête, Gwen, c’est bien ça ? C’est cette même voix qui t’avait dit que le chiot allait se faire écraser ou que le garçon allait tomber dans l’escalier ?

Gwendoline soupira à nouveau, comme si elle était enfin arrivée au bout d’un long chemin et qu’elle allait désormais pouvoir s’appuyer sur quelqu’un et souffler un peu.

— Non, c’est pas exactement comme ça que ça se passe, maîtresse. Pour de vrai, je fais ce que moi j’appelle des petits rêves et des grands rêves. Avec le chien ou le garçon…

Elle fit une pause et sourit malicieusement à Marine. – … ou pour les clés de votre Mme Meunier…, je n’entends pas de voix. Ce sont des choses que je sais, c’est tout. Des images me viennent dans la tête. Je vois où se trouvent des trucs égarés. Ou bien je vois des choses qui vont se passer. Ça, ça m’arrive depuis que je suis petite. Maman m’a toujours dit que ma grand-mère Bridey était comme moi. Elle aidait les gens. Elle retrouvait ce qu’ils avaient perdu ou bien elle les prévenait d’un malheur qui allait leur arriver. Ça, ce sont mes petits rêves. Et puis, un jour, j’ai commencé à faire les grands rêves. Là, c’est plus pareil du tout. D’abord, quand ça se passe, j’ai mal au cœur ou mal à la tête…, j’ai des vertiges ou pire. Des fois, j’ai même vomi ! C’est comme ça que je sais que la voix va me parler ou va me montrer dans ma tête ce qui est arrivé. C’est toujours la même voix. Et c’est toujours une belle grande fille avec de longs cheveux blonds. Depuis longtemps, elle m’apparaît et elle me dit qu’elle a besoin de moi pour pouvoir se reposer. En plus, elle me dit que vous, une gentille institutrice, vous allez arriver et que vous allez m’aider.

Marine sentit les petits poils sur sa nuque se hérisser. Elle n’avait jamais été confrontée à ce genre de phénomène. Cependant, une de ses nouvelles amies au village s’intéressait aux rêves et autres manifestations psychiques. Elle se promit de lui demander son avis. Entre-temps, il fallait trouver un moyen de rassurer cette enfant.

— D’après toi, ta grand-mère avait des… visions, elle aussi. Crois-tu que ta maman accepterait de venir m’en parler ? Je voudrais mieux comprendre. Je n’ai pas envie que tu restes seule avec ce… problème.

— Maman viendra, si vous le voulez, mais elle pourra pas vous en dire beaucoup plus. Il paraît que je suis née « coiffée » et que c’est un don de Dieu, comme pour ma grand-mère. Pour les petits rêves, je veux bien croire à cette explication, mais pour les grands rêves je suis sûre que c’est pas pareil. Personne parlait à Granny comme la grande fille me parle à moi. Moi, je crois qu’elle est morte, cette fille… Je pense même que quelqu’un l’a tuée et qu’elle voudrait que vous et moi, on retrouve celui qui lui a fait ça !

***

Mme Sezneg surgit dès la fin des cours ; la sonnerie retentissait encore lorsqu’elle se présenta, essoufflée, à la porte de la classe. Cette mère de famille nombreuse était une belle femme, grande et mince. Ses magnifiques cheveux roux mi-longs, plus ondulés que bouclés, brillaient de reflets cuivrés et dorés – à la différence du ton résolument carotte qu’arborent la plupart des rouquines, dont sa fille faisait partie. Sa petite progéniture se précipita pour l’embrasser. Marine se leva pour l’accueillir et se tourna ensuite vers la fillette.

— Gwen, tu vas aller nous attendre au CDI, d’accord ? Je veux parler avec ta maman. Nous viendrons t’y rejoindre dans quelques minutes.

La gamine prit son cartable et sortit en leur adressant un signe de la main.

— Merci d’être venue aussi vite. Asseyez-vous, madame Sezneg.

Marine indiqua sa propre chaise et elle-même s’installa sur un coin du bureau.

— Comme je vous l’ai dit au téléphone, j’aimerais que vous me parliez des étranges visions de votre fille. Nous sommes arrivés à un point où les autres élèves ont peur d’elle, la traitent de sorcière et ne veulent pas jouer avec elle. Gwen prétend que sa grand-mère, elle aussi, trouvait des objets perdus ou « voyait » des événements se dérouler dans sa tête.

— C’est vrai, mademoiselle ! La famille irlandaise de ma mère s’est établie en Bretagne quand elle n’était encore qu’une enfant. Des années plus tard, elle a rencontré mon père, un Breton qu’elle a fini par épouser. Les parents de mon mari sont bretons aussi. Avec Gaël et les enfants, on est venu s’installer ici pour son travail, il y a plusieurs années. Pour en revenir à ma mère donc, elle avait ce don de voyance, ce don de double vue. C’est un cadeau de Dieu !

Elle baissa la tête, fit un rapide signe de croix et poursuivit son récit :

— Il faut croire que, parfois, c’est un mauvais cadeau, comme pour ma petite Gwendoline, mais que voulez-vous, on ne peut rien y faire, cela nous vient du ciel. Un psychiatre pour enfants avait pensé qu’elle pouvait avoir un schi…, qu’elle pouvait faire une schizo…

— Une schizophrénie juvénile ? suggéra Marine.

— Oui, c’est ça. Après plusieurs consultations, il a dit que non, qu’elle était normale et que ça passerait avec le temps. Nous ne sommes jamais retournés le voir. De toute façon, je savais bien que Gwendoline avait tout simplement hérité du don de sa grand-mère Bridey ! Vous savez, elle est la seule parmi mes cinq enfants à l’avoir reçu. Par contre, ma mère, elle, ne m’a jamais dit qu’elle entendait des voix.

— Simple curiosité… Votre fille m’a expliqué qu’elle était née « coiffée ». De quoi s’agit-il exactement ?

— Eh bien, elle est née avec la poche des eaux qui lui recouvrait le visage. C’est comme ça qu’on a su tout de suite qu’elle aurait le don de double vue. En plus, elle est née un dimanche. Alors, vous comprenez…

Marine ne comprenait pas du tout, mais apparemment, selon Mme Sezneg, le fait de naître un dimanche renforçait « le pouvoir ». Toute cette histoire la dépassait. Les deux femmes bavardèrent encore un moment et Marine constata que Mme Sezneg ne s’inquiétait pas outre mesure du phénomène paranormal que semblait vivre son aînée. Dans la famille Sezneg, on ne badinait pas avec Dieu ; on acceptait sa volonté et ses présents, sans contestation.

***

À l’exemple de nombreux autres villages du Larzac, depuis le début du siècle dernier, la place centrale était ornée d’un orme majestueux. Dans les années quatre-vingt, cet arbre superbe avait été frappé par une maladie et il était mort, comme la plupart des ormes de France. Plutôt que d’abattre ce triste géant dénudé, la municipalité de l’époque avait décidé de le faire sculpter par un artiste local. À présent, peuplé de personnages, de plantes et d’animaux gravés en haut-relief sur sa base et ses branches principales, il avait retrouvé une seconde vie. Le mercredi à midi, Marine arriva à son rendez-vous au restaurant situé en face de cet arbre. Elle devait y retrouver Morgane. Elle et cette talentueuse artiste peintre, rencontrée à son arrivée au village, avaient sympathisé dès le premier jour. Sachant cette nouvelle copine passionnée par les rêves et leur signification, elle espérait obtenir des éclaircissements sur d’autres phénomènes énigmatiques similaires. Peut-être la jeune femme aurait-elle une interprétation rationnelle à lui proposer. Quelque chose qui expliquerait les événements mystérieux vécus par la jeune Bretonne. Son amie était déjà arrivée et elle s’était installée sur une banquette. Marine l’embrassa et se glissa sur celle qui lui faisait face. Leurs commandes furent vite expédiées. Comme il s’était passé plusieurs semaines depuis leur dernière rencontre, Morgane profita de l’apéritif pour raconter ses occupations récentes. Elle retraça en détail les préparatifs de sa nouvelle exposition de peinture, prévue pour le mois d’octobre. Puis, elle demanda à son amie de lui décrire sa deuxième rentrée à l’école primaire. Ce que celle-ci fit en peu de mots. Une fois le repas servi et la patronne éloignée, n’y tenant plus, Marine se lança enfin sur le sujet qui la préoccupait. En grignotant du bout des dents, elle narra, depuis le début, l’incroyable histoire de Gwendoline, son étrange petite élève. Morgane l’écouta sans broncher. Elle fit même honneur au plat.

— Tu manges, tu manges ! Je trouve que tu prends cette affaire avec beaucoup de légèreté. Pourtant, je t’assure que tout cela me fiche la pétoche. Non seulement cette enfant semble être clairvoyante, mais, de plus, elle prétend qu’un fantôme lui parle !

Marine affichait un regard tellement effarouché que sa copine, plus réaliste, éclata de rire.