La glèbe - Paul Adam - E-Book

La glèbe E-Book

Paul Adam

0,0
3,99 €

-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
MOBI

Seitenzahl: 39

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



La glèbe

La glèbeIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIPage de copyright

La glèbe

 Paul Adam

I

La vaste cuisine de ferme tiède après le dîner ; où s’étirent les ombres sur le carreau rose, où la vieille servante droite et plate essuie la vaisselle tintante ; là Cyrille vient s’asseoir cette veillée d’hiver.

Il pense à Trouville, aux mois des dernières vacances, à Denise. Son cousin, ce noceur, les avait unis solennellement, un matin, devant la mer plumetée, tandis que ruisselait l’harmonieuse voix des eaux, tandis que riait cette fille aux cheveux teints. Et suivit une folle excursion en barque où elle le serrait à la taille en lui disant des bêtises : « Potache, potache. Oh ! que t’es farce, petit potache. » Ce lui sonne encore. Elle épela « Institut Saint-Vincent » sur les boutons de son uniforme ; car, sorti depuis cinq jours de chez les Pères, un tailleur n’avait pu le pourvoir de vêtements civils.

Et dans cette chair duveteuse, dans ces cheveux teints gros et drus, il vécut des semaines. Les heures passées hors des étreintes, il ne les sait plus.

L’aima-t-elle cette femme de Paris, échouée là pour faire la plage ? Si bête qu’elle ne parlait même pas, si robuste qu’elle le faisait geindre en le lacis de ses bras doux, lui le rude fils de paysans et de chasseurs. Elle l’ahurit de ses parfums brusques, de ses dentelles infinies, de ses soieries et de ses mousselines.

En Italie. Comme ça. Parce qu’il avait encore dans la tête Virgile, l’histoire, les gondoles de Venise, Cicéron, le Forum. Ils étaient partis avec l’argent d’un usurier, un ami d’elle. Sans hésitation lui conclut cet emprunt, malgré sa raison morigénante.

Et puis, à Milan, un midi, elle se leva terriblement fâchée, cassa les porcelaines de la toilette, lui prit son portefeuille et, par le premier train, fila sur Paris. Pourquoi ? Elle était ivre-morte depuis trois jours.

Alors il fallut revenir. Il dormit tout le temps du voyage. Quand il ne dormait pas, il larmoyait. À Lyon il trouva son tuteur.

Furieux cet oncle lui rendit des comptes : « Tu as vingt-et-un ans, par bonheur ! Je ne serai pas obligé de m’occuper d’un pareil chenapan. » Et l’oncle retourna dans sa métairie après avoir sermonné pendant dix-huit heures de chemin de fer, et prédit la ruine.

À tout cela Cyrille pense.

Sa pipe laisse aux lèvres la saveur la plus souhaitable et les nues de fumée sinuent en spires valsantes. L’averse chante aux vitres. Les chevaux piaffent à l’écurie ; il les écoute.

La Terre ne vaut plus. Sans doute, elle se relèvera : la Terre ne peut faillir. Mais quand ? Donc pas d’argent. Des terres et des terres, son patrimoine inaliénable, par religion. Il les connaît : rases et plates étendues depuis Becquerelles jusque Ferbon, englobant les clochers et les moulins, enjambant les grandes routes. Sans un arbre. Il y chasse durant toutes les vacances depuis l’année où il remporta neuf prix.

La lampe verse sa lumière ronde sur le caraco passé de la servante droite et plate. Et les jurons des ouvriers arrivent du fournil avec le vent.

Autrefois, à Boulogne, il étudia chez les Pères. Une vie d’écolier sage avec le mépris profond des cancres, avec les calmes études où, de tout le poids de sa lourde intelligence, il s’appliquait à parfaire les thèmes et à noter l’accentuation grecque ; les joies des promenades bavardes et turbulentes ; le suprême ravissement d’instaurer en leur sens précis certaines phrases obscures de Quintilien et d’en être louangé seul par le professeur ; les idées d’amour esquivées avec horreur comme susceptibles de punition. Puis, des volumes dorés, des médailles d’argent dans des écrins grenat, le baiser de l’archevêque couronnant aux stridences de la musique et des bravos, un parchemin de bachelier qui, là-haut, gît dans le vieux secrétaire d’acajou près du daguerréotype où il distingue mal ses parents en costume de noces, aujourd’hui morts. Non, jamais il ne mangea fin et propre comme au réfectoire, ni dans les ducasses d’en deçà la Deule ni dans les kermesses d’au-delà. À Trouville ? En Italie ? Il but surtout.

À Turin du Lacryma-Christi. Les lèvres de Denise s’écrasaient sur le mince cristal et leur carmin transparaissait dans la pourpre du vin. Après elle, il y huma : une saveur chaude et liquoreuse avec des vigueurs pourtant, un arrière-goût amer, un parfum d’ambre et de thym… un peu comme du très vieux Volnay où persisteraient des saveurs de sucre… Et Denise son coude levé, la poitrine blanche et mouvante sous la gaze du corsage d’été, ses longs cils baissés vers la liqueur… Il retrouva sur ses lèvres ce goût de thym et d’ambre, ce liquoreux qui poissait leurs bouches.

Et pour revivre cette impression il commande :

— Catherine, allez à la cave chercher une bouteille de Volnay.

Devant la bouteille brune renaissent des souvenirs à chaque gorgée bue. Souvenirs tactiles, et souvenirs sapides, et souvenirs odorants. Visions de membres qui se cambrent, de bouches qui hoquettent, de dents froides et dures. Et chaleurs qui fluent par la gorge avec le vin comme chaleurs de baisers. Elles gagnent la poitrine, elles l’énervent ainsi que des contacts de derme.