La Grande aventure de Le Moyne d'Iberville - Pierre Daviault - E-Book

La Grande aventure de Le Moyne d'Iberville E-Book

Pierre Daviault

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Beschreibung

Le dernier navire attendu de France entre dans le port de Montréal. Fatigué de sa course hasardeuse, il replie ses voiles. Parmi les agrès, les matelots s’affairent, fouettés par les ordres des officiers.
Foule sur la rive. Les hommes attendent les lettres venant de la métropole, non pas seulement mère patrie, mais la Patrie. Une lueur de convoitise s’allume dans l’œil des femmes : M. Le Ber aura demain de nouveaux colifichets à vendre. Mélancolie chez tous à la pensée du long hiver tout proche.
On se montre sur le pont un bel officier, magnifiquement vêtu. Un nouveau, frais émoulu de Versailles ? Encore un qui méprisera les colons et ne saura même pas diriger un canot !
— Mais ! c’est M. d’Iberville !
On se retourne. Cette petite Picoté de Belestre, tout de même ! Bonne famille, mais pas de tête.
M. d’Iberville saute le premier du bateau. On l’entoure. Il s’est fait beau chez les marchands de Paris où, pour la première fois, il a porté les dépêches de Monseigneur le gouverneur. Garde de la marine au départ, il revient enseigne de vaisseau. Sa carrière se poursuit de belle façon. On voit bien, à son allure, qu’il le sait !

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PIERRE DAVIAULT

 

LA GRANDE AVENTURE

DE

LE MOYNE D’IBERVILLE

 

© 2024 Librorium Editions

ISBN : 9782385746193

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« L’un des plus grands marins à la fois et l’un des plus habiles navigateurs que la France ait jamais eu », Guérin, les Navigateurs français.

« Un de nos plus grands hommes de guerre, le Cid canadien », Ch. de la Roncière, Histoire de la Marine française.

 

I PRÉLUDE

II DÉPART POUR L’AVENTURE

III « MILITAIRE COMME SON ÉPÉE »

IV « UN GARÇON QUI SAIT CE QU’IL FAIT »

V « ILS LES ONT PAYÉS POUR VENIR TUER LES FRANÇAIS »

VI GENEVIÈVE ET MARIE-THÉRÈSE

VII TERRE-NEUVE

VIII LE COMBAT DU « PÉLICAN »

I SUR LES PAS DE LA SALLE

II LE FLEUVE À L’EAU BOURBEUSE ET BLANCHE

III ANGLAIS ET HUGUENOTS

IV LA MOBILE

V COLONISATION

VI DIPLOMATIE

VII FIN DE L’AVENTURE

NOTES

BIBLIOGRAPHIE

Partie I

BAIE D’HUDSON

IPRÉLUDE

AUTOMNE, 1683. Le dernier navire attendu de France entre dans le port de Montréal. Fatigué de sa course hasardeuse, il replie ses voiles. Parmi les agrès, les matelots s’affairent, fouettés par les ordres des officiers.

Foule sur la rive. Les hommes attendent les lettres venant de la métropole, non pas seulement mère patrie, mais la Patrie. Une lueur de convoitise s’allume dans l’œil des femmes : M. Le Ber aura demain de nouveaux colifichets à vendre. Mélancolie chez tous à la pensée du long hiver tout proche.

On se montre sur le pont un bel officier, magnifiquement vêtu. Un nouveau, frais émoulu de Versailles ? Encore un qui méprisera les colons et ne saura même pas diriger un canot !

— Mais ! c’est M. d’Iberville !

On se retourne. Cette petite Picoté de Belestre, tout de même ! Bonne famille, mais pas de tête.

M. d’Iberville saute le premier du bateau. On l’entoure. Il s’est fait beau chez les marchands de Paris où, pour la première fois, il a porté les dépêches de Monseigneur le gouverneur. Garde de la marine au départ, il revient enseigne de vaisseau. Sa carrière se poursuit de belle façon. On voit bien, à son allure, qu’il le sait !

Effusions. Entouré de sa nombreuse famille, il se dirige vers le logis de son père, rue Saint-Charles, quand, devant le séminaire de Saint-Sulpice, il voit sortir l’abbé Cavelier, avec un homme très grand qu’il ne reconnaît pas.

— Qui est-ce ?

— Robert Cavelier, frère de l’abbé. Il revient des pays d’en bas. Il se fait appeler M. de La Salle, maintenant !

M. de Longueuil prononce ces paroles avec un grand mépris, oubliant que, dix ans plus tôt, lui-même ne s’appelait que Charles Le Moyne. M. d’Iberville suit du regard l’homme à la figure hautaine. Son père gronde.

— Heureusement, M. de Frontenac est retourné chez sa Divine, qui jamais ne voulut se frotter au commun des colons. Il ne protégera plus les coquins.

Le vieux Le Moyne n’avait jamais aimé M. de Frontenac. Pierre le savait. Il avait soutenu son père dans sa lutte contre le gouverneur, avec les jésuites et Duchesneau. Mais c’était par solidarité de famille. Allait-il entrer dans sa querelle contre le grand explorateur, querelle de marchand furieux d’une créance qu’on ne lui règle pas ?

Le lendemain, d’Iberville allait chez son oncle Jacques Le Ber, rendre compte d’affaires traitées à Paris. Le bonhomme aunait du drap, tout en causant paisiblement avec son neveu, quand la porte s’ouvrit en coup de vent. Robert Cavelier entra, une lueur de défi dans le regard. De surprise, M. Le Ber en laissa tomber son aune. Sans lui donner le temps de se resaisir, La Salle dit, d’une voix glaciale :

— Le navire arrivé hier repart avant les glaces. Je m’y embarque. Là-bas, je mettrai ordre à mes affaires. Je verrai ensuite à vous régler votre créance. Je tenais à vous prévenir.

Il salue, sort. M. Le Ber, recouvrant la parole, l’invective de la belle manière. La fureur le secoue tout entier. Pierre en profite pour se retirer et, à grandes enjambées, rejoindre La Salle.

— Monsieur, lui dit-il, je suis Pierre d’Iberville… Oh ! ne croyez pas que j’épouse la querelle de ma famille. Je ne suis pas marchand, moi ! Hier, j’arrivai de Paris, où l’on me parla de vous avec grands éloges.

— On y a bien changé !

— Je vis M. de Frontenac…

— Ah ! Frontenac ! s’il était encore ici !…

— Mais il vous sert fort bien, là-bas, puisqu’il détruit la calomnie des envieux. Il me narra vos actes glorieux. Je voulais vous dire mon admiration.

La Salle jette un long regard sur son compagnon. Sa figure perd le pli d’amertume qui ne la quitte plus depuis des années. Ce petit enseigne lui plaît.

— Mon frère de Saint-Sulpice reçut hier quelques bonnes bouteilles. Venez à ma chambre. Nous leur ferons honneur.

Mis en confiance, M. de La Salle fait le récit de son voyage, tout le long du fleuve à l’eau bourbeuse et blanche. Jusqu’à la mer du sud, parmi d’étranges tribus, il a surmonté des obstacles inouïs, couru des dangers sans nombre. Le succès l’a payé de ses peines, mais reste à reconnaître l’entrée de ce fleuve par la mer, afin de créer des communications directes avec la France : on ne s’y rendra plus par le Canada ; c’est trop long et les Canadiens sont jaloux.

L’imagination d’Iberville prend feu. Du coup, l’officier de marine trouve mesquin son métier de courrier des dépêches. Traverser la mer n’est plus qu’un jeu. Aucune voile étrangère ne refuse le salut en réponse au coup de canon lancé pour s’assurer de ses intentions. On ne se bat même plus !

Pierre Le Moyne rêve de lointaines randonnées, de pays à découvrir. Mais, délaissant le récit des exploits, M. de La Salle lui ouvre d’autres horizons. Las de la contrainte qu’il doit s’imposer avec tous ; devinant en son jeune interlocuteur une âme de même trempe, l’explorateur dévoile l’intime de sa pensée. L’aventure, il l’aime, c’est pour elle qu’il a jeté le froc aux orties. Mais il tient davantage à faire œuvre durable. Peu à peu, il a compris le sens du continent immense qu’il parcourt par longues étapes. À tout le monde, ces pays apparaissent comme des terres d’exploitation, où l’on établira des postes aux points stratégiques pour en tirer des richesses à l’usage des vieilles contrées civilisées. Qu’il puisse s’y fonder une nation, personne n’y songe. Ne sont-ce pas pays inhabitables, sauf pour des malheureux qui crèvent de faim en Europe et qui, là-bas, au service des gens de naissance venus s’enrichir ou se couvrir de gloire, pourront se faire une sorte de situation ?

M. de La Salle y voit bien autre chose. Il dit son rêve : prolonger la France jusqu’au golfe du Mexique ; établir un courant continu des Lacs au pays des conquistadores. Cet immense territoire, à peine entamé, recèle des ressources incalculables. Il suffira de l’organiser. Mais la cour voit petit, peut-être parce qu’elle y est forcée : la France est prise dans tant de complications internationales ! Aucun plan d’ensemble, aucune idée large. Le progrès de l’exploration naît de l’initiative particulière. Mais les explorateurs sont avant tout des traitants. Lui, La Salle, veut être le fondateur de l’empire français d’Amérique. Cet empire sera l’œuvre d’un homme ou de quelques-uns, voués à l’exécution tenace du projet grandiose.

Dans son ardeur à prêcher, à chanter la vertu de l’effort individuel, l’ancien novice des jésuites prend figure de visionnaire. Mais M. d’Iberville sait distinguer dans ce langage de feu tout ce que l’enthousiasme recouvre de positif. Et il se dit qu’il sera l’un de ces hommes appelés à réaliser le rêve.

IIDÉPART POUR L’AVENTURE

I

 

PARMANDA, vous partirez, mon fils. Sans répondre, M. d’Iberville lève les yeux sur sa mère. Le pittoresque juron revient aux jours des grandes colères. Malgré la gravité du moment, Pierre sourit au souvenir de l’incident, historique dans la famille, que lui rappelle ce mot. Un matin, dans les champs, la grand mère Primot, attaquée par des Iroquois, s’était défendue comme une maîtresse femme qu’elle était. Tant et si bien que des colons eurent le temps d’accourir, de mettre les agresseurs en fuite. L’un d’eux se penchait sur la Martine, renversée dans l’échauffourée, quand il reçut un magistral soufflet que la bien digne femme expliqua ensuite par cette phrase : « Parmanda, je croyais qu’il voulait me baiser ». On l’avait surnommée Parmanda. Le vocable était passé dans le fond du vocabulaire intime de sa fille adoptive.

Cette fille a aussi le parler vert. Devenue dame, elle se surveille, mais le naturel jaillit sous le coup d’une forte émotion. Alors, elle n’y va pas par le dos de la cuiller, comme on dit. Elle en a trop vu dans la vie. La belle Catherine Thierry, qui prit le nom de son oncle Primot quand celui-ci la fit venir de Rouen pour l’adopter, a été la beauté de la petite ville naissante. Ce temps est loin. Elle a épousé, puis aimé le rude fils d’un cabaretier de Dieppe qui avait tellement vécu parmi les sauvages qu’il avait fini par leur ressembler à plus d’un égard : dans les tribus, on l’appelait Akouessan, la Perdrix. Elle a partagé ses travaux, ses dangers, ses inquiétudes ; puis ses succès et sa prospérité quand, intermédiaire obligé entre les gouvernants et les indigènes, il devint tout un personnage, ambassadeur auprès des naturels du pays, commandant de la milice, procureur du roi et grand commerçant avec son beau-frère Jacques Le Ber, le richard de la colonie. Elle eut un moment d’orgueil quand, anobli, le couple ajoutait à son nom roturier celui d’un petit patelin de Normandie, que portait un chevalier venu autrefois au Canada et que s’appropria Charles Le Moyne, en modifiant l’orthographe : de Longueil il fit Longueuil. Elle a bien le droit d’être fière. Car elle a été pour beaucoup dans la réussite de son mari. Et ne lui a-t-elle pas donné une famille merveilleuse dont dix fils portent ou porteront de beaux noms empruntés à des localités de cette Normandie toujours regrettée, et qu’ils rendront célèbres ? (1) Un autre est mort à peine né et les deux filles épouseront sans doute de bons gentilshommes.

Mais toute cette gloire ne lui fait perdre ni son autorité, ni son rude langage. Et elle continue de gronder son grand fils, si beau, à la figure intelligente et énergique.

M. d’Iberville garde le silence. Profitant d’une accalmie, il salue, se retire. Il sent si bien l’inutilité des explications ! Il a d’abord tenté d’exposer son idée ; sa mère ne l’a pas entendu.

Lui-même n’est pas très sûr de ses propres sentiments. Jamais M. d’Iberville ne connut une telle indécision. D’abord, il n’a jamais été indécis. Homme d’action, il accorde à la réflexion tout juste le temps de trouver les moyens propres à atteindre son but. Son plan élaboré, il n’y pense plus : il agit.

Quand on a parlé du départ, pour la baie James, d’une grande expédition dont Sainte-Hélène, son frère, doit être le commandant en second, il a demandé puis obtenu de partir, bien que le voyage doive se faire par terre et qu’il soit marin. Mais, à terre ou sur mer, il veut connaître enfin l’aventure. Les occasions ne sont pas si nombreuses ! Les dirigeants l’ont accepté avec empressement ; ils ont même pris un autre Le Moyne, Paul de Maricourt. Ce sera désormais de tradition : où il y aura un Le Moyne, on en verra au moins un autre, les frères n’iront jamais seuls. Il est juste que la famille se dépense à la baie du Nord. N’y va-t-on pas pour défendre les intérêts de la Compagnie, fondée quatre ans plus tôt, dont Charles Le Moyne avec l’oncle Jacques Le Ber ont été les principaux associés ? Les Le Ber ne sont pas nombreux et leur nombre ne s’accroîtra guère. La fille, Jeanne, n’amènera jamais un gendre à la maison paternelle ; elle vit enfermée dans une cellule, plongée en un mysticisme que son remuant cousin respecte sans le comprendre.

À l’idée de partir, il exulta et s’en fut porter la bonne nouvelle à sa chère Geneviève. Pierre d’Iberville, homme sain, n’est pas insensible aux charmes des femmes. Il aime cette petite Picoté de Belestre, à peine âgée de 19 ans. Orpheline, vivant chez Mme de la Mollerie, sa sœur, elle est assez ; libre. Le sexe ne résiste pas au plus beau des Le Moyne. Elle ne s’est pas refusée. On s’aime tant ! Les exemples ne manquent pas. Vivant dans l’anxiété, on se dépêche de goûter à la vie tant qu’elle dure. L’élégant chevalier de Baugy, cette mauvaise langue, n’a-t-il pas écrit dans sa lettre confidentielle du 22 novembre 1682, à propos des femmes de la colonie. « Pour ce qui est des femmes, elles sont pour la plupart d’assez bonne humeur ; il ne les faut pas trop prescher, ce qui m’a été dit, pour obtenir d’elles quelques faveurs » ? (2) Depuis quelques mois, Geneviève était dans un état qu’on appelle intéressant. Elle le rappela à Pierre, rougissante, en larmes, mais point désespérée. La futée pensait peut-être à motiver le mot de Bacqueville de La Potherie : « Quand les Canadiennes entreprennent un amant, il lui est difficile de n’en pas venir à l’hyménée ». D’Iberville a pensé à cette solution. Mais il y avait des difficultés. Il vit en un temps où le mariage est affaire de familles bien plus que d’individus. En tout cas, il vaudrait mieux régler la question avant le grand départ. Que faire ?

Pierre tomba dans une grande irrésolution. M. le bailli, pour éviter le scandale, avertit discrètement Mme de Longueuil que M. de la Mollerie porterait plainte contre le sieur d’Iberville au nom de sa jeune belle-sœur. À vrai dire, il s’est déjà présenté chez l’autorité judiciaire, mais on retardera les procédures, on gagnera du temps…

Prenant la place du père, défunt depuis quelques mois, Mme Le Moyne fit une belle scène à son fils. Il tenta d’expliquer qu’il faudrait s’occuper de Geneviève, ne pas attendre au retour de l’expédition. Dans ses phrases embrouillées, Mme de Longueuil crut discerner le refus de partir. Elle atteignit à la haute éloquence ! Elle jouait un peu l’indignation, elle feignait de se méprendre sur le sens des paroles de Pierre : c’était si commode pour éviter la question du mariage ! Pierre était si jeune et Geneviève si écervelée !

Comment Mme de Longueuil aurait-elle pu comprendre les scrupules de M. d’Iberville ? Inconsciemment peut-être, Pierre éprouve une délicatesse de sentiments inconnue à ses parents. Oh ! il ne se met pas martel en tête pour des états d’âme intéressants. Seulement, il est allé à Versailles ; il fréquente les élégants officiers venus de France ; il fait figure de gentilhomme. Peu à peu, il a eu de l’honneur une conception plus subtile. Il est de la seconde génération d’une famille ascendante, de la génération qui a franchi l’étape, qui s’éloigne de la rudesse des origines. Le vilain ne paraît plus guère en lui. Par d’autres voies, il arrive au même but que son frère aîné, l’ancien élève des grandes écoles de France.

Qu’on est loin des modestes débuts du père ! Charles Le Moyne quittait la taverne paternelle, en 1641, à quatorze ans, pour venir à Québec avec son frère Jacques et son oncle, le soldat Dufresne. Il suivait les missionnaires ches les Hurons, où il apprenait très vite toutes sortes de dialectes, possédant une grande facilité pour les langues dont son fils Pierre héritera. De là viendront ses succès. Interprète, marchand, il aura un tel prestige auprès des sauvages que, pris par les Iroquois ivres de vengeance, en 1664, il subjuguera les anciens, qui le relâcheront après trois mois de captivité. C’est grâce à lui que M. de la Barre sortira indemne de la campagne ratée de 1684. De la Barre en aura tellement de reconnaissance qu’il le proposera pour le poste de gouverneur de Montréal. Tombé en disgrâce, il ne pourra obtenir pour son protégé ce titre que portera, quarante ans plus tard, le fils aîné de Le Moyne, premier baron de Longueuil.

Ses fils prendront, avec la particule, le métier des armes, celui des nobles. Il ne sera plus question de jouer les interprètes ou les traitants. Comme d’autres colons, dans un pays où les valeurs peuvent se déployer librement, Charles Le Moyne a fondé une famille.

II

Au mois de mars de cette année 1686, M. le chevalier Pierre de Troyes arrive à Québec pour prendre le commandement de l’expédition.

Il s’agit de déloger les Anglais de la baie d’Hudson, pour y faire à leur place la traite du castor, seule industrie importante du Canada et de bon rapport dans ces parages. L’histoire de ces postes est assez troublée. En 1662, les Français Pierre-Esprit Radisson et Médéric Chouart des Groseilliers (extraordinaires aventuriers qui avaient battu le pays en tous sens et pénétré à l’ouest du lac des Bois), concevaient le projet d’aller chercher des pelleteries tout là-haut. Les premiers, ils atteignirent la baie par voie de terre. Au retour, le gouverneur d’Avaugour confisqua leurs peaux. Ils se réfugièrent à Boston, puis passèrent à Londres où se forma, à leur instigation, la compagnie de la baie d’Hudson. En 1668, ils fondèrent le fort Charles à l’embouchure de la rivière Nemiskau. Dans les années qui suivirent, les Anglais élevèrent d’autres forts sur les rivières Nelson, Monsoni et Quichichouan. Mécontents des nobles aventuriers de la compagnie, les deux Français se firent pardonner à Paris. Radisson entra dans la marine. Des Groseilliers revint à ses courses dans les bois canadiens. Aubert de la Chesnaye, Gaultier de Comporté et des marchands du Canada fondaient la compagnie du Nord. Radisson, avec son neveu Jean-Baptiste Chouart des Groseilliers et le pilote Pierre Allemand, reçut de la compagnie deux petits bateaux avec lesquels il alla brûler le fort Nelson. Sur l’emplacement, il éleva le fort Bourbon. Il s’empara d’un forban de Boston, le Bachelor’s Delight, puis laissant la garde du nouvel établissement à son neveu, il revint à Québec avec sa prise. M. de la Barre, ne comprenant jamais les circonstances de la guerre en Amérique, remit la prise aux Anglais, sous prétexte que Radisson agissait en interlope. Furieux, ce dernier passa à Paris ; l’ambassadeur d’Angleterre, lord Preston, réussit à l’envoyer à Londres où il épousa la nièce des frères Kirke qui avaient enlevé Québec à Champlain, en 1629. La compagnie de la baie d’Hudson lui confia trois vaisseaux. Il vint brûler le fort Bourbon, malgré les protestations de son neveu, et construire un autre fort à sa place. Québec envoyait dans le même temps M. de la Martinière à la baie du Nord. Il fut bien surpris d’y voir les Anglais. Mais, incapable de les déloger, il revint, après un an, fort penaud et abandonnant l’explorateur Jean Péré aux mains des Anglais. Cela se passait en 1684. La compagnie perdait trois cents mille livres. Elle fit des remontrances au roi, qui lui laissa carte blanche, car il fallait aussi délivrer Péré. Les Associés décidèrent d’envoyer une expédition à leurs frais.

Trente hommes des troupes régulières et soixante dix Canadiens devaient partir. M. de Troyes composa ainsi son état-major : aumônier, le père Silvy ; commandant, le sieur de Troyes ; lieutenant, le sieur de Sainte-Hélène ; lieutenant en second, le sieur d’Iberville ; major, le sieur de Maricourt ; aide-major, le sieur de la Noue ; commissaire des vivres, le sieur Lallemand ; capitaine des guides, le sieur de Saint-Germain. Lallemand avait été le pilote Pierre Allemand de Radisson, en 1682, et de la Martinière, deux ans plus tard.

Plusieurs routes de terre conduisaient à la région du nord. La plus courte était celle du Saguenay. Pour ne pas donner l’éveil aux sauvages et, par eux, aux Anglais, M. de Troyes choisit la route de l’Outaouais, la plus longue et la plus désolée. Le pays était plein d’espions, qui prévenaient l’ennemi de tous les mouvements.

« Ils partirent de Montréal au mois de mars 1686, écrit Bacqueville de la Potherie ; traînèrent et portèrent sur le dos leurs canots avec leurs vivres une bonne partie du chemin dans le bois, où ils trouvèrent les rivières qui avaient chariées (sic). Cette marche dura jusques au vingt juin, accompagnée de beaucoup de fatigues ».

À la vérité, ils commençaient un invraisemblable voyage sur des rivières et des lacs fort dangereux, traînant dans les portages vivres et munitions nécessaires à une longue expédition puis à un siège. Tâche inouïe, surhumaine, où il fallait être canadien ou fou pour se lancer. M. de la Potherie, cet Antillais égaré dans les glaces du pays esquimau, dira tout uniment : « Et il fallait être Canadien pour supporter les incommodités d’une si longue traverse ».