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Lanceuse d’alerte passionnée, Isaure mène une vie paisible en harmonie avec la nature et portée par une quête inlassable de vérité. Mais tout bascule avec l’arrivée d’Az, un homme à l’aura magnétique qui s’empare de son cœur. Ignorant qu’il est un agent infiltré au service du groupe qu’elle dénonce, Isaure plonge malgré elle dans un tourbillon d’aventures aussi intenses que déstabilisantes. Entre révélations stupéfiantes et combats intérieurs, elle s’apprête à lever le voile sur des secrets qui ébranleront ses convictions et à découvrir un pouvoir insoupçonné : celui du don suprême. Parviendra-t-elle à surmonter la trahison, à affronter l’inconnu et à embrasser la destinée qui l’attend ? Une épopée où amour, vérité et courage s’entrelacent pour redéfinir les limites du possible.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Camille Buisson nous convie à travers ses écrits à une réflexion profonde sur des thèmes universels, empreints d’une poésie subtile et d’une grande humanité. "La Lyre", son premier ouvrage publié, marque ses débuts en tant que romancière.
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Seitenzahl: 219
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Camille Buisson
La Lyre
Roman
© Lys Bleu Éditions – Camille Buisson
ISBN :979-10-422-5413-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Parce que chaque point de lumière se trouvera étouffé et coupé de sa source, obscurci sans recours par l’encre épaisse de notre intransigeance. Débranchez-la. »
Le bruit de la pluie battante martelant la fenêtre de toit de la petite cabane la laissait imperturbable. Les mouvements rapides de ses doigts sur le clavier semblaient hors de contrôle, animés par une force invisible. Ses yeux clairs, rivés sur l’écran de son ordinateur, qu’aucun battement de paupière ne dissipait, manifestaient sa concentration scrupuleusement asservie à sa tâche.
Elle s’appelait Isaure. Tout le monde la connaissait sous le pseudonyme « La Lyre ».
Elle s’était lancée là-dedans quelques années auparavant. Poussée par une force intérieure, incontrôlable, inqualifiable. Elle savait bien qu’il n’y aurait pas de ticket retour, et qu’elle deviendrait de plus en plus au service de cette force. Mais c’était lutter en vain que de résister à l’appel. Un appel intime, assoiffé de justice, de cataclysme, d’ouverture à plus grand qu’elle.
Cinq années en arrière, surfant sur la vague du communautarisme numérique d’une puissance tsunamiesque et condamnée tôt ou tard, selon ce qu’elle pensait, à s’écraser en un fracas irréversible, elle décidait d’ouvrir des comptes sur toutes les plateformes d’interactions sociales. Elle se mit à produire des textes et des vidéos minutieusement documentés afin de cracher au monde les informations qu’elle détenait, qu’elle poursuivait sans relâche et qu’elle ne pouvait plus tenir au rang du secret.
Elle ne supportait plus les crimes organisés, l’oppression permanente, l’ignorance contrôlée, le sabotage massif des lieux et espèces indispensables à l’évolution de l’être humain, l’irrespect des valeurs universelles, le culte de la technologie…
Elle avait en abomination les instincts putrides que certains hommes cachaient dans leurs viscères vides de toute compassion et d’abnégation.
Ils étaient une poignée, mais avaient la main mise sur le monde entier.
Elle avait lu, vu, entendu suffisamment d’informations pour sentir une lourde colère monter en elle. Non pas une colère corrompue par le pouvoir, ou une colère piquée de susceptibilité. Non, une sainte colère, la colère d’une guerrière prête à payer de sa vie son droit à la liberté et son devoir de vérité. Car en dépit de son inconfort personnel et de son propre futur obscurci par l’action de certains de ses congénères, il lui semblait servir un dessein bien plus grand que le sien.
Qui ne dit rien consent. L’adage facile écorché vif sur l’autel de la sécurité, et laissé pour mort dans les conversations de tous.
Elle parlerait. Quoique cela lui coûte.
C’est ainsi qu’Isaure dans la vraie vie était devenue « La Lyre » sur Internet. Elle tenait ce nom d’une constellation symbolisant l’enseignement et la vérité.
Elle aimait le monde, plus que tout. Elle l’aimait profondément, cette vie miraculeuse, fragile, cette vie qui pétille, en chacun des sourires sincères, dans le chant des ruisseaux et le bruissement des feuilles d’arbre. Elle aimait se perdre dans la contemplation du plafond azur infini, elle aimait se fondre dans la douceur d’un lac, elle aimait le regard dénudé des animaux, elle aimait le goût sucré des fruits, elle aimait les battements de son cœur irradiant sa poitrine… Le paradoxe de son existence au sein d’un monde condamné la plongeait souvent dans une mélancolie froide, une douceur profonde, ce qui lui conférait un charisme sans pareil.
Ce jour-là, la veille de ses 33 ans, elle rédigeait avec frénésie un article sur une affaire concernant des enfants réduits en esclaves énergétiques en Europe. Un scandale qui avait fuité de Bruxelles. Son informateur était un banquier qui avait assisté à maintes reprises au traitement de certains de ces enfants, qui étaient utilisés de différentes manières comme des turbines énergétiques pour des vieillards dont l’âme n’était plus à sauver.
L’informateur, qui s’était donné la mort entre temps par peur des représailles et hanté par la culpabilité de ces souvenirs qu’il avait laissé se dérouler sous ses yeux, avait été d’une précision acerbe, ce qui rendait le récit insupportable.
Isaure, accoutumée de ces récits, avait appris à anesthésier ses émotions et travailler comme un robot. Faire ce qu’elle avait à faire, et rien d’autre. L’article serait prêt pour le lendemain. Elle inonderait les plateformes. Elle appellerait au partage massif, au discernement, au positionnement.
Cela fera-t-il l’effet d’une bombe ? Elle l’espérait, mais l’ignorait. La censure allait rapidement supprimer sa publication.
Elle ne souhaitait pas savoir si elle allait être approuvée, prise au sérieux, ou au contraire moquée, critiquée, bannie de ses viewers.
Elle se fichait du nombre de vues, des compliments, des brebis adeptes dont elle n’abreuverait jamais le besoin d’être gouroutisées.
Elle recevait de nombreux messages d’encouragement, d’amour, de gratitude. Son audience semblait pendue à ses lèvres. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle s’obstinait à répéter chaque jour, ce qu’elle considérait comme une mission. Sa soif de vérité ne pouvait s’étancher tant qu’elle ne faisait pas sa part. 2027. La mascarade avait assez duré.
Une fois son travail publié, elle coupait tout. Le lendemain, elle passait simplement au sujet suivant et poursuivait sa tâche.
Elle ignorait cependant qu’elle était présentement dans le collimateur de ce groupuscule pernicieux qu’elle s’évertuait à démonter.
Le Conseil de l’Ordre de ce jour était constitué de vingt-deux personnes. Ces personnes venaient de pays et cultures différentes. Ils étaient sélectionnés selon la pertinence qu’ils pourraient apporter à la réunion, par un président lui-même sélectionné quelques jours plus tôt par un autre Conseil.
Ordre du jour : débusquer ceux qui sont assez fêlés pour laisser passer la lumière.
Le commandement terrible et inviolable de la lumière est que, par principe indomptable, celle-ci prend automatiquement le pas sur l’obscurité. Il n’y a pas de confrontation d’égal à égal. La lumière a tous les avantages. Si on oppose une pièce sombre et une pièce lumineuse, séparées d’une simple cloison avec une porte… et que l’on entrouvre la porte de quelques centimètres à peine… la pièce lumineuse éclairera instantanément la pièce obscure, la révélant soudain à son existence conditionnelle.
Tandis que la pièce obscure n’aura aucun impact sur la pièce lumineuse. Aucun.
Ils étaient tous conscients de la faille du camp dans lequel ils étaient. Leur camp était voué à l’échec, par nature. Mais lutter contre la nature faisait partie de leur spécialité. Leur Plan. Ils y brûleraient toutes les énergies dont ils disposent, y compris les leurs pour se maintenir dans leur position. Ils n’avaient pas le choix. Ils ne l’avaient plus, surtout…
Les membres du conseil étaient installés autour d’une table qui avait la forme d’un U pointu. En réalité, ils n’étaient pas physiquement présents. Ils étaient tous là en hologramme. Pour eux, c’était pratique courante et ils ne faisaient aucune différence entre leur présence physique et leur présence informatique. Le président du conseil, un vieillard à la peau épaisse et parcourue de sillons profonds, avait eu pour mission de présenter une liste de personnes considérées comme des virus à leur système.
Pour comprendre ce qu’est leur système à l’échelle de la Terre, c’est comme avoir Microsoft sur un ordinateur.
Leur champ d’action est la planète, qu’ils se sont accaparée de libre droit en des accords souterrains et informels. Sans chercher le consentement de qui que soit d’étranger à leur organisation qui comptait actuellement presque cent millions d’individus. Ils étaient issus de lignées anciennes, préservées depuis tout ce temps par le seul attrait obsessionnel de la quête et la conservation du pouvoir. Ils étaient les détenteurs heureux ou malchanceux d’un héritage institutionnel de plusieurs siècles à présent. Ils infiltraient la sphère politique, le milieu bancaire, certains détenaient des assurances, des médias, des laboratoires, des productions artistiques… D’autres étaient des philosophes de renommée à la parole prophétique… Si certains étaient très médiatisés, la plupart vivaient tapis dans des paradis artificiels édifiés sur Terre, à jouer avec leur pécule comme on s’occupe avec une partie de Monopoly. À l’abri des regards du public, de la « masse », telle qu’ils l’appelaient.
Faire partie des leurs semblait découler d’une providence héréditaire, à condition d’être le digne héritier de sa lignée. En effet, certains rejetons avaient été éliminés en raison d’un comportement jugé déviant. À l’inverse, des étrangers, présentant les qualités recherchées et la curiosité fatale du pouvoir, avaient été intégrés à l’Ordre. Le reste du monde était la source énergétique, celle qui faisait tourner l’ordinateur, en somme. Et qui ne se conformait pas à ce destin non négociable, qui mettait en danger le fonctionnement du système, était considéré comme un virus.
Chaque semaine de nouveaux noms sortaient et il appartenait aux membres présents de trouver une solution pour qu’ils sombrent dans l’oubli. En règle générale, il était plutôt simple de les éliminer. On étudiait la vie personnelle et professionnelle du virus et en fonction, on pouvait décider qu’il subisse une overdose de médicament, qu’il fasse une mauvaise rencontre un soir, qu’il soit victime d’un accident de la route ou d’un crime passionnel… Pour certains cas, ils avaient recours à des stratégies d’attaques bactériologiques, qui emportaient les cibles en quelques semaines d’un cancer fulgurant par exemple. Parfois, et notamment pour les plus jeunes, il était facile de les rendormir en créant diversion (rencontre amoureuse, interdits bancaires…) ou d’orienter leur entourage à les penser fous ou schizophrènes et faciliter leur entrée définitive dans un parcours psychiatrique.
Lors de ces réunions, les membres passaient en revue chacun des cas dans une indifférence glaçante. Pour certains, le verdict tombait très vite, pour d’autres, le débat pouvait se poursuivre sur plusieurs séances jusqu’à trouver une solution efficace et définitive. Ils devaient agir avec finesse.
Ce jour-là, ils évoquèrent le sujet de « La Lyre ». Cela faisait trois fois que son portrait était étudié et discuté.
La première fois, ils avaient décidé de lui causer quelques difficultés financières et judiciaires afin de la replonger dans le tourbillon du travail et de l’anxiété que l’absence de ressources peut provoquer. Ils pensaient que cela suffirait à la décourager, car ils avaient décelé en elle une personnalité hypersensible.
Ils s’étaient trompés. « La Lyre » avait su rebondir et continuer ses publications sans que personne ne devine ses challenges personnels. Elle avait déménagé et s’était lancée dans une activité en free-lance où elle rédigeait le contenu d’auteurs, entrepreneurs, et particuliers à la recherche d’une jolie plume. À en croire ses transactions bancaires qui étaient scrupuleusement surveillées depuis la première évocation, sa nouvelle activité semblait fonctionner à merveille.
La deuxième fois, en voyant sa communauté augmenter de manière fulgurante et ses propos impitoyables, ils décidèrent de jouer la carte de la décrédibilisation. Ils levèrent la censure et payèrent de nombreux faux profils pour moquer, discréditer et réfuter ses publications. L’acharnement dura trois semaines et divisa la communauté de « La Lyre ». Celle-ci restait silencieuse face à ses détraqueurs et ne publia rien des semaines durant. L’Ordre pensa une nouvelle fois qu’il avait gagné, il la pensait bien trop faible pour supporter un acharnement médiatique.
En fait, « La Lyre » préparait simplement sa riposte. Elle réapparut de plus belle et plus convaincante encore. Depuis, environ une fois par semaine elle répétait le message : « Si demain je disparais, voyez-y la preuve que tout ce que je dis est vrai, car de ma seule volonté jamais je n’arrêterais ».
Pour cette troisième évocation, le conseil de l’Ordre décréta qu’il était impératif de trouver l’antidote au virus, maintenant.
Le président du Conseil, qui scrutait avec un mépris non dissimulé le visage de « La Lyre » projeté en hologramme au milieu de l’auditoire, rappela les faits :
Il désigne son visage de son doigt arqué aux jointures saillantes.
Un silence pesant envahit l’atmosphère. Puis, un homme âgé d’une quarantaine d’années aux mâchoires carrées et aux épais sourcils prit la parole :
L’assemblée se jeta un coup d’œil circulaire. Ils avaient tous un visage de marbre et les traits suspendus en une expression uniforme. Pour autant, chacun dans son regard perçant semblait chercher à déceler ce qui se passait chez les autres.
Une femme, la seule de la réunion, prit la parole à son tour :
Un bourdonnement collectif s’éleva de l’assemblée qui élaborait la mise sous cloche de « La Lyre » lorsqu’un raclement de gorge imposa le retour au silence.
Les visages se tournèrent lentement vers celui qui était à l’origine de l’injonction subtile.
Maestro. Le fameux mentor, vieux et dur, incontournable. L’homme redressa son buste et prit quelques secondes pour mesurer le poids de sa présence. Il scruta un à un chacun des membres de l’Assemblée.
Les membres de l’Ordre étaient pour la plupart dotés d’une intelligence vive et froide, vorace.
Un murmure indigné parcourut l’assistance. Allait-il dissuader le projet d’éliminer « La Lyre » ?
Les visages se crispèrent et accouchèrent d’un silence tendu qui électrisa l’atmosphère.
Les vingt-deux membres s’observèrent en silence avant d’attarder leur attention sur l’hologramme de « La Lyre » qui scintillait au milieu. Ils éprouvaient un mélange de dégoût et d’attirance animale pour cette humaine. L’idée de l’incubation les laissait méfiants.
Maestro exposa longuement et posément ce qu’il estimait être une stratégie d’avenir. En quoi les failles de « La Lyre » viendraient colmater les leurs. Comment mettre ses atouts au service de leur agenda. Peu à peu, l’assemblée se laissait séduire, envahie d’un amusement mesquin et curieux… pleine d’un espoir improbable, ravivé de ses cendres.
Pour mener à bien l’incubation, il allait falloir inventer un scénario dans lequel « La Lyre » ne les soupçonnerait pas, et au sein duquel elle tiendrait le premier rôle…
C’est ainsi qu’au gré de cette réunion, le portrait informatique du prédateur se dessina sous leurs yeux.
Le soir, le président passait un coup de fil.
Isaure contemplait les étoiles dans les bras réconfortants de son frère. Lovés l’un contre l’autre sur la terrasse en caillebotis de la maison familiale, ils se laissaient bercer par les doux mouvements de la balancelle en osier dans laquelle ils s’étaient réfugiés.
Enveloppés d’un plaid et de la sérénité d’un ciel clair de novembre.
La constellation d’Orion scintillait au-dessus de leurs têtes. Quelle belle soirée pour son trente-troisième anniversaire !
La matinée avait été particulièrement remuante. Sa publication sur les enfants esclaves avait généré de nombreuses émotions. Bien qu’Isaure ne côtoyait pas ses lecteurs, qu’elle n’échangeait que très peu avec eux, elle se sentait capable de capter leur état.
Et ce matin-là, elle souffrait. Elle souffrait pour ces enfants, elle souffrait pour l’humanité inquiète et démunie. Elle avait ressenti un désarroi palpable, empreint d’une tristesse profonde.
L’enfer ne se trouvait pas si loin de là, et c’est précisément ce qui terrifiait les gens… et les poussait également à réagir. Comme si chacun délimitait son territoire de l’acceptable et du silence. Lorsque des guerres ou des génocides éclataient de l’autre côté du globe, nombreux se montraient compatissants, mais calfeutrés dans une fausse aubaine qui côtoyait une indolence certaine.
La distance rendait les évènements irréels, étrangers. La nature voulait que l’homme ne se préoccupe de ses congénères que lorsqu’il était touché lui-même. Ce qui présentait une certaine logique, mais ralentissait les rouages du développement universel.
Sénèque disait : « la Nature nous a fait naître pour ces deux fins : la contemplation des réalités et l’action ».
Pour Isaure, les deux théories faisaient défaut. L’illusion était davantage contemplée que la réalité. Les actions s’en trouvaient vaines ou inappropriées.
Il y avait différentes façons d’être utile à la fourmilière.
La première et la plus importante consistait donc à oser voir les choses telles qu’elles étaient et cesser de cautionner l’inacceptable.
Ensuite, se montrer cohérent. En passant au peigne fin ses habitudes, et les transformer en choix conscients, pour que le corps, l’esprit et l’âme se trouvent en harmonie.
Puis, il fallait faire. Créer dans la matière. Manifester par les actes, les intentions pour demain et ses voisins. Les plus courageux… méditaient, simplement. Ils se soumettaient au travail spirituel discipliné et abandonné de l’éveil de la conscience.
Pour parfaire leur turbine énergétique et agrandir, ralentir leur rotation vibratoire.
Se mettre au diapason de la Terre qui était un guide ascensionnel palpable, maternel.
Les plus grands adeptes de l’Illusionnisme, qu’il touche à l’intérieur ou à l’extérieur d’eux-mêmes, se laissaient croire, parce qu’ils saluaient leurs congénères avec les mains jointes devant leur cœur et un sourire tendre accroché aux lèvres en disant Namaste, qu’ils avaient atteint un degré d’illumination suffisant pour se laisser aller à la paresse et l’autosatisfaction. Peindre les masques est à n’en pas douter plus facile que les ôter. Ceux-là ne changeaient rien. Ni en eux ni autour d’eux. Ils renforçaient seulement le tissage opaque du voile de l’illusion dans lequel certains trouvaient encore un repos bien insouciant.
Pour catalyser ces changements, Isaure avait donc décidé d’évoquer plus souvent les vérités répugnantes du paysage proche européen que nombreux pensaient blanc comme neige.
Elle n’entendait pas mettre sous cloche la joyeuse insouciance des épicuriens. Elle entendait leur redonner leur puissance véritable et le droit à la Vie.
Après quelques heures passées devant son ordinateur à apporter des retours à ce qui lui semblait important, elle avait rabattu son écran et s’était mise en tailleurs. Le murmure d’une introspection s’était posé sur elle, et elle avait fermé les yeux pour l’accueillir. Elle se sentait juste, à son rythme, à sa place. Elle n’avait ni peur ni colère au fond de son cœur, et, pour cette paix intérieure, elle éprouva une grande gratitude. Elle avait rouvert les yeux avec l’envie d’apprécier joyeusement le reste de cette journée.
Elle avait accepté l’invitation de ses parents dans la maison familiale alpine. Isaure habitait non loin de là, sur le flanc d’une montagne, depuis qu’une expérience de travail parisienne l’avait laissée humiliée et désabusée. Elle avait dit adieu en un claquement de doigts à sa vie des grands boulevards et s’était réfugiée dans un cadre verdoyant et tranquille où le besoin de repartir de zéro s’était fait grandement ressentir. Isaure cherchait toujours à satisfaire ses intuitions ou ses envies profondes, même si parfois cela donnait le vertige ou menait à de longs passages à vide. Cependant, plus les années passaient, plus elle s’adonnait à cet exercice avec brio. Tout comme n’importe quelle discipline, écouter son chuchotement intérieur se travaillait et se perfectionnait.
Jouir sans nuire.
Son frère, Léandre, de quatre ans son cadet, se spécialisait dans l’innovation en construction écologique. Il lui avait apporté une grande aide pour son installation actuelle.
Ils se vouaient depuis leur petite enfance, une tendresse mutuelle et inconditionnelle.
À l’abri de l’écoute de leurs parents, ils parlaient à voix basse des centres d’attention d’Isaure.
Doté d’une intelligence mordante et d’un sens de la stratégie hors pair, Azriel était fréquemment sollicité par l’Ordre pour des missions de la plus haute importance.
Dévoré par ses ambitions professionnelles, l’« enfant rebelle », comme tous s’entendaient à le surnommer, n’était pas un pion facile à placer, mais un affamé souverain qu’il valait mieux soigner avec précaution. Ainsi traité, son dévouement presque chevaleresque et sa compréhension accrue des enjeux que l’Ordre traversait actuellement, faisait de lui un élément indispensable.
Ses qualités d’esprit et son prestige n’étaient pas ses seuls atouts.
Azriel, être de chair et de plaisir, était un bel homme, à la stature solide et féline. Il sculptait son corps avec la même intensité que son intellect. Une aisance souple, un regard gris bordé d’épais cils ébène… un charisme évident dont il usait sans aucun complexe.