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Et si la vérité n’était qu’un mirage ? Lyon, 1984. Un père et son fils se lancent dans une course folle à travers la ville, traquant une énigmatique Dyane verte. Ils sont persuadés qu’elle cache les clés d’un passé trouble… mais ce qu’ils découvriront dépasse tout ce qu’ils imaginaient. Mensonges, trahisons, souvenirs manipulés… chaque pas les entraîne plus loin dans un labyrinthe d’illusions. Un roman noir haletant, où la frontière entre vérité et folie s’efface à chaque page. Et vous, jusqu’où iriez-vous pour connaître la vérité ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur-compositeur-interprète,
Frank Berty a longtemps exprimé les nuances de l’âme à travers la musique. Cette œuvre marque un nouveau souffle : celui des mots sans mélodie mais chargés du même rythme intérieur. Une quête personnelle, intime et universelle.
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Seitenzahl: 123
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Frank Berty
La malédiction des filles Martin
Roman
© Lys Bleu Éditions – Frank Berty
ISBN : 979-10-422-6951-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
J’aime les mots, ils soignent les maux.
La Malédiction des filles Martin est un roman, j’aime à dire presque.
C’est l’histoire d’une vie… la mienne, ou peut-être pas.
Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? (Tout, peut-être.)
Une chose est sûre :
aucun prénom n’est réel.
L’automne 84 se met doucement en place, il fait encore beau et les feuilles ne tourbillonnent pas encore dans le ciel. J’ai l’impression que la nature ne veut pas s’endormir et repousse le moment fatidique où il faudra bien se rendre à l’évidence : les beaux jours seront bientôt derrière nous, je vais avoir 18 ans.
Je marche derrière mon père et ma sœur dans cette petite rue du quartier de Montchat, une rue tellement perdue qu’elle semble tout droit sortie d’un village de campagne. Tellement perdue qu’elle est prisée des couples illégitimes qui apprécient, au-delà de la tranquillité, la présence bucolique du parc Chambovet situé juste à côté. C’est donc le grand jour, celui dont notre père nous a parlé il y a quelques semaines. Il fallait attendre. Attendre que le détective privé qu’il avait sollicité fixe les horaires, lieux et jour du crime. Des photographies sans équivoque possible avaient été prises dans cette rue lyonnaise et présentées à mon père.
La vérité avait donc éclaté au grand jour, mon père avait découvert le secret, ou plutôt avait sans doute décidé de ne plus l’ignorer. Pourquoi, après toutes ces années, je l’ignore ? C’est un samedi matin qu’il nous avait appelés, ma sœur et moi, ou plutôt convoqués, alors que ma mère était absente, pour nous dire qu’il avait découvert qu’elle voyait un amant et que, pire encore, cet amant était Carlo qui, avec son épouse Martine, étaient des amis assez récents de la famille. Il nous révèle qu’il avait contacté un avocat et lui avait demandé conseil pour obtenir à coup sûr un divorce pour faute… nous sommes en 1984. L’avocat lui avait alors conseillé de faire constater la faute par des témoins irréprochables et incontestables : ses enfants. L’objectif était donc pour lui de nous montrer ma mère en plein ébat avec son amant.
Lors de l’annonce, j’avoue avoir eu un sentiment d’euphorie qui m’a tout d’abord envahi. Enfin, depuis toutes ces années de mutisme en raison du grand secret que nous détenions, ma sœur et moi, nous allions libérer notre cœur. Une forme de soulagement. Nous vidons notre sac très partiellement mais lui apprenons tout de même que, contrairement à ce qu’il pense, cela dure depuis des années, que ce fameux ami n’est pas le premier.
Le rendez-vous était pris ; il avait été convenu que nous n’irions pas en cours ce jour-là et que nous nous retrouverions chez notre grand-mère paternelle en milieu d’après-midi. J’arrive au 3ᵉ étage de ce vieil immeuble lyonnais, où j’ai passé une grande partie de mon enfance. Ce genre d’immeuble vétuste où les toilettes et les salles de bain ont été installées seulement au début des années 80. Un silence de mort règne dans l’appartement et dire que mon père a l’air soucieux est un euphémisme. L’objectif quasi militaire qu’il a fixé étant d’arriver à 17 h pile sur place où se retrouvent les coupables, nous nous mettons en route. Une nouvelle surprise nous attend puisque nous nous arrêtons en chemin pour prendre Martine, l’épouse trompée. Je me demande quel cheminement intellectuel avait poussé mon père à prévenir cette femme qui visiblement ne se doutait de rien et surtout à l’embarquer dans ce délire d’une mauvaise série policière.
Nous nous garons au début de la rue et marchons d’un pas lent, mon père en tête. Il faut trouver la voiture de ma mère, une Dyane si facilement reconnaissable puisqu’elle est verte quasiment fluo. Une voiture qu’elle conduisait à tombeau ouvert, mal, et qu’on pouvait repérer à 500 mètres. Il n’y avait sans doute pas deux voitures comme celle-ci à Lyon.
Je jette un œil rapide, au loin, en espérant qu’un miracle va se produire, car depuis quelques mètres l’adrénaline qui me rendait euphorique a laissé place à une sensation de malaise qui m’envahit. Hélas, le miracle n’eut pas lieu et à 100 mètres, j’aperçois la fameuse Dyane verte garée entre deux voitures. Pire, je distingue un couple avec une femme blonde comme ma mère ayant un comportement qui ne laisse pas de place au doute. Le couple disparaît visiblement allongé sur la banquette arrière. Nous sommes encore trop loin pour les reconnaître.
Je marche comme un robot, et mes muscles ne me portent plus. Chaque pas résonne dans cette rue paisible, amplifiant le silence qui nous enveloppe. J’ai envie de vomir, de pleurer, de partir. Je ne suis pourtant pas croyant mais je me mets à prier pour que je sorte de là. Je prie de toute mon âme la force créatrice qui fait que chaque année les pâquerettes repoussent dans les champs. Appelons-la force créatrice, appelons-la nature, science, appelons-la Dieu si on veut, mais elle ne m’entend pas.
Il reste quelques mètres, j’ai l’impression que je vais tomber. Mon père, qui ralentissait tout au long de cette marche macabre, se met à accélérer, nous y sommes, la crise va éclater. Sans doute des hurlements, peut-être des coups, des pleurs et nous au milieu.
Il y a de la buée sur les vitres de la voiture tant le couple s’active, on ne perçoit que deux corps emmêlés, j’ai peur, je suis essoufflé. Mon père ouvre la porte d’un geste brusque, je défaille.
Alors que le monde semblait s’écrouler, la femme se retourne, l’air complètement affolée : « Ce n’est pas ma mère ! »
Il existait un couple avec exactement la même Dyane verte qui se retrouvait dans la même rue que celle qu’avait signalée le détective. Quelle est la probabilité que cela arrive ? Je me suis souvent posé la question, peut-être que la force créatrice m’a envoyé un message d’espoir. De manière plus cartésienne, disons que ma mère, ayant senti le vent du boulet, avait appelé mon père à son travail ce jour-là et, devant son absence, s’était doutée qu’il se tramait quelque chose. Elle était rentrée directement.
Mon père, confus, s’excuse, nous opérons un demi-tour, je suis vidé comme un coureur de marathon. Il nous annonce que ce n’est que partie remise et que nous reviendrons le lendemain.
Toute histoire a une genèse, et celle de la malédiction des filles Martin semble prendre sa source dans un univers d’austérité et de cruauté à peine voilée. Ce sombre théâtre se joue dans un pensionnat lyonnais, austère comme une vieille bâtisse oubliée, où des sœurs acariâtres dictent leurs règles avec une main de fer, mélangeant bigoterie et sadisme ordinaire. Ces religieuses semblaient puiser une étrange satisfaction à terroriser les jeunes pensionnaires, comme si leur propre frustration trouvait un exutoire dans le contrôle absolu qu’elles exerçaient sur ces adolescentes vulnérables. Les filles Martin, quatre sœurs jetées là par un destin peu clément, y furent enfermées pendant toute leur adolescence, ou plutôt emprisonnées, comme aimait à le souligner ma mère en évoquant cette période avec un mélange de colère rentrée et de mélancolie.
Nous sommes dans les années 50. Une époque où la France panse encore ses blessures après l’occupation allemande. Les rues sont animées par l’énergie fébrile de la reconstruction, mais derrière cette effervescence, la réalité est rude : les salaires sont misérables, et les employés peinent à joindre les deux bouts. Ma grand-mère, quant à elle, a décidé de tourner la page sur un passé jugé encombrant. Elle s’est remariée avec Henri, un publicitaire ambitieux, symbole d’une modernité clinquante, qui rêve de mondanités et de réussite sociale. Henri, personnage arrogant et calculateur, considérait les quatre filles comme un vestige embarrassant de son prédécesseur, Marius. Une solution s’imposa rapidement à leurs esprits : les envoyer dans un pensionnat qui promettait non seulement une éducation, mais aussi une initiation à la vertu domestique par le biais de l’école ménagère.
Éduquer les filles pour en faire de bonnes épouses, capables de tenir impeccablement leur intérieur et de s’effacer derrière la réussite de leur mari, telle était l’ambition implicite de ce programme. La décision fut entérinée sans discussion : les filles iraient au pensionnat et, dans un premier temps, reviendraient les week-ends. Mais comme c’est souvent le cas, les promesses initiales furent vite trahies. Pour des raisons pratiques, ou peut-être simplement par commodité, il fut décidé qu’elles ne rentreraient plus à la maison que lors de certaines vacances. Loin de tout repère familial, les quatre sœurs entrèrent dans un univers clos, austère et impitoyable.
Les années au pensionnat furent marquées par une alternance oppressante de cours monotones, de corvées interminables, de punitions humiliantes et de prières obligatoires. Les sœurs religieuses avaient fait du contrôle une science, et leur rituel nocturne reste encore aujourd’hui un symbole glaçant de leur emprise. En pleine nuit, elles pénétraient dans les dortoirs, soulevaient brutalement les couvertures et s’assuraient que les jeunes filles dormaient les bras en croix, comme des anges. Ce cérémonial n’avait qu’un but : étouffer toute ébauche de découverte de soi, empêcher que, dans l’obscurité des draps, ces adolescentes ne s’abandonnent à une curiosité naturelle mais jugée pécheresse.
Mais l’horreur ne s’arrêtait pas là. Les fautes, qu’il s’agisse d’une leçon mal apprise ou d’une prière manquée, étaient sévèrement réprimandées. La punition suprême consistait à enfermer les fautives dans un grenier sombre et poussiéreux, un espace qui semblait hanté par la souffrance des précédentes détenues. Ce grenier devint une seconde maison pour l’une des sœurs Martin, ma mère, dont l’insubordination systématique lui valait les foudres des religieuses. Refusant les corvées, rejetant les prières, elle affrontait ces figures d’autorité avec une audace presque suicidaire. Dans cette obscurité oppressante, elle s’inventait un monde parallèle, transformant les vieux chiffons en poupées, les malles en balançoires, et les matelas en trônes imaginaires.
Pendant ce temps, la vie continuait à l’extérieur, mais elle leur était inaccessible. Les rares pensionnaires qui avaient le privilège de rentrer chez elles le week-end revenaient le lundi avec des récits exaltants de dancings, de premiers flirts et d’émois amoureux. Les sœurs Martin, coincées dans leur carcan, écoutaient ces histoires avec envie, rongeant leur frein, laissant s’accumuler une frustration qui finirait par exploser des années plus tard sous forme de comportements imprévisibles et de transgressions.
Lorsque le pensionnat ferma enfin, à la suite de plaintes de quelques anciennes élèves, les filles Martin purent rentrer chez elles. Mais le rêve d’un renouveau fut de courte durée. Chez leur mère et leur beau-père, elles se retrouvèrent à reproduire les mêmes tâches serviles, sans reconnaissance ni espoir d’évasion. La violence psychologique qu’elles avaient subie au pensionnat laissait place à une oppression plus insidieuse, incarnée par Henri, dont les avances vicieuses et les remarques humiliantes étaient couvertes par l’indifférence complice de ma grand-mère.
Pourtant, ma mère, avec son caractère rebelle, trouva une petite échappatoire. Grâce à quelques ménages dans le quartier, elle économisa assez pour s’inscrire à des cours de danse. C’est là qu’elle rencontra mon père, son premier amour, celui qui semblait incarner un avenir enfin différent. Mais la vie, cruelle et imprévisible, allait bientôt lui jouer un autre mauvais tour, laissant dans son sillage les graines d’un drame qui marquerait encore longtemps les descendants des filles Martin.
En 1960, l’Algérie est un théâtre de violences. La guerre, que l’on maquille encore sous le terme pudique d’« opérations de maintien de l’ordre », emporte dans son tourbillon tous les jeunes appelés. Personne n’y échappe, pas même mon père, un homme à peine sorti de l’adolescence, emporté malgré lui dans une tragédie collective dont il ignorait tout des tenants et des aboutissants. La nouvelle tombe comme un couperet : il doit rejoindre Alger dans quelques jours. Le destin a décidé, et rien ne pourra enrayer la machine.
Pour lui, l’annonce a un goût amer, mais pour ma mère, elle est une condamnation. Ils viennent à peine de se rencontrer, ces jeunes amoureux, et déjà les voilà face à une séparation imposée. Le désespoir les gagne, mais la réalité est implacable : fuir, déserter, c’est risquer la peine de mort. Alors, ils cherchent des solutions, des arrangements pour tromper l’attente et préserver, autant que faire se peut, ce fragile lien qu’ils viennent de tisser. C’est alors que mon père, dans un élan sans doute plus dicté par l’amour que par la raison, propose une idée : que ma mère s’installe chez ses parents pendant son absence.
Le cadre semblait idéal. Ma mère vivait dans une maison étouffante où l’air était chargé des rancunes du passé. Rejoindre la maison de son amoureux, même modeste, apparaissait comme une solution apaisante. Elle accepte, sans mesurer toutes les implications de cette décision. Quelques jours plus tard, elle s’installe dans le petit appartement exigu de mes grands-parents paternels, un deux-pièces cuisine où chaque objet semble avoir une place figée depuis des décennies.
Au début, tout semblait fonctionner. Ma mère, pleine de bonne volonté, s’intègre dans la routine domestique. Elle aide à la cuisine, partage les tâches ménagères, et accompagne mes grands-parents au cinéma une fois par semaine, une maigre distraction dans une vie d’une austérité presque monacale. Mais combien de temps cette harmonie a-t-elle duré ? Avec le recul et connaissant ma mère, je pourrais la mesurer en jours, peut-être trois ou quatre, tout au plus. Car très vite, le vernis se craquelle.
Ma mère s’ennuie. Elle, qui rêvait d’un peu de liberté et d’un brin d’aventure, se heurte à l’immobilisme de ce foyer. Elle peste contre cette belle-mère, figée derrière sa machine à coudre comme si chaque point était une prière, et ce beau-père, homme taciturne, qui ne tolère ni légèreté ni humour. La monotonie s’installe, et avec elle, un malaise diffus. Les lettres qu’elle adresse à mon père, au départ quotidiennes, s’espacent. Bientôt, elles ne parviennent plus qu’une fois par semaine, puis tous les quinze jours. Mon père, loin là-bas, perçoit le changement. Il s’inquiète. L’amour à distance, fragile par essence, vacille sous le poids de l’absence.