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En deux mille ans, la quête du Graal a autant fasciné qu’elle a détruit. Objet de convoitise, sacrée, il a souvent coûté la vie à ceux qui ont tenté de s’en emparer, aveugles à la malédiction qui l’entoure. Ce récit va au cœur de cette légende sombre, ressuscitant les fins héroïques des assiégés de Massada et de Montségur, symboles de la chute de deux mondes. Il retrace aussi le destin d’un homme prêt à tout, même à conclure un pacte avec le Diable, pour accomplir son rêve. Un voyage entre foi, pouvoir et damnation.
À PROPOS DE L'AUTEUR
En 2018, Jean-Marie Kutner se retire d’une vie politique qui lui permit de collaborer avec la Fondation Anne Frank dans le cadre d’une opération conjointe en faveur des adolescents de sa commune. Très attaché à l’écriture, il consacre alors davantage de temps à cette activité et publie en 2022 "Myriam pour toujours", un roman historique salué par la critique, qui lui vaut le Prix Littéraire 2022 de la Société des Écrivains d’Alsace, Lorraine et Territoire de Belfort.
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Seitenzahl: 262
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jean-Marie Kutner
La malédiction du Graal
© Lys Bleu Éditions – Jean-Marie Kutner
ISBN : 979-10-422-7521-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
(Voir l’annexe I à la fin de l’ouvrage : Mon Graal)
La légende du Graal est universelle et a traversé les siècles.
Comme toute légende, il en existe de nombreuses versions.
Je vous propose de découvrir la mienne.
J’ai choisi de vous conter, celle qui m’a fait rêver, m’a permis de laisser libre cours à mon imagination et de donner vie à mes héros.
Au cours de ces pages, je vous invite à revivre les fins héroïques des assiégés de Massada et de Montségur, qui marquèrent la fin de deux mondes.
Cette légende, c’est aussi l’histoire d’un homme qui pour vivre son rêve, tel le docteur Faust, avait signé un pacte avec le Diable.
Jean-Marie Kutner
— Veuillez m’excuser, Herr General, j’ai une information urgente à transmettre au Reichsführer-SS.
— Dans l’immédiat, ce ne sera pas possible. Il est en rendez-vous avec son médecin personnel, le docteur Kersten et il ne veut être dérangé sous aucun prétexte.
— Je suis désolé de devoir insister, Herr General, mais on me charge de remettre cette note sans délai au Reichsführer.
— Remettez-la-moi. Je vais voir ce que je peux faire.
Le général Karl Wolff prit rapidement connaissance de la missive.
— Effectivement, c’est de la plus haute importance. Je vais déranger le Reichsführer. Vous pouvez disposer.
Karl Wolff se leva et frappa à la porte du bureau du Reichsführer.
Derrière celle-ci, il entendit la voix passablement énervée de Himmler.
— Je ne veux pas être dérangé pendant mon traitement.
— Je suis désolé, Herr Reichsführer, mais il s’agit d’une information de première importance, concernant Otto Rahn.
— Entrez vite, Herr Wolff. Enfin des nouvelles !
— Le SS Obersturmführer1 Otto Rahn est mort. Son corps a été retrouvé congelé, il y a deux jours au sommet enneigé du Kaisergebirbe2. On a trouvé une lettre annonçant son suicide.
— Je n’aurais jamais dû faire confiance à ce Juif. L’information ne doit pas sortir de ce bureau. Faites-moi parvenir cette lettre sans délai. Personne d’autre que moi ne doit la lire ni être informé du suicide. Faites le nécessaire. Il devait me livrer le Graal, qu’il avait retrouvé en France.Je m’étais engagé personnellement auprès du Führer. Sans doute, l’a-t-il enterré à proximité de son corps. Faites fouiller la zone discrètement. Il faut absolument le trouver. Officiellement, il s’agira d’un accident. Attendez le résultat des fouilles et publiez une annonce dans ce sens dans le Völkischer Beobachte3.
— Zu Befehl4, Herr Reichsführer.
Tout au long des vingt siècles de notre ère,
La quête du Graal a fait couler beaucoup d’encre et de sang.
Pour le posséder, des hommes y ont consacré leur vie,
Mais leur vie en fut souvent le prix à payer.
Car ignorer LA MALÉDICTION DU GRAAL,
Condamnait à mourir, celui qui l’approchait.
Son histoire débute à Jérusalem, un jour d’avril de l’an 30.
Par le Sang du Christ
Dire le Graal est vain
Vers lui ne s’ouvre aucun sentier
Et nul ne peut trouver la route
Qu’il n’ait lui-même dirigé son chemin.
Parsifal, Richard Wagner
Je m’appelle Anne d’Arimathie.
Je vais mourir, devant Baeterrae5, loin de Jérusalem, cette ville où je suis née et que j’ai tant aimée.
Il y a cinq ans, lorsque Jérusalem fut détruite et que le Temple fut incendié, notre monde s’est effondré. Comme nombre de nos amis, mon père et moi n’avions alors d’autre choix que de partir. Ce fut le début d’un long périple, le début de la diaspora, l’exode de tout un peuple.
J’ai trente-quatre ans à peine et je meurs, mais je vais quitter cette vie sans autre regret que de ne pas être ensevelie dans la terre qui m’a vu naître.
J’ai tenu la promesse faite à mon père.
L’heure est venue pour moi de transmettre le secret qu’un soir, il me confia et que j’avais promis de ne partager qu’à l’heure de ma mort, avec la personne que j’aurai choisie.
J’avais conscience de l’importance du secret dont j’étais détentrice, mais je ne savais pas alors qu’au nom de ce secret et au cours des siècles à venir, des innocents mourront, par le fer et par le feu.
Esther, fille de Rachel, est ma plus fidèle amie. Depuis notre plus tendre enfance, nous ne nous sommes jamais quittées. Elle m’a suivie sur le chemin de l’exode, m’a consolé quand je pleurais, rassuré quand je doutais et me soigne depuis que je suis malade.
Elle est ma sœur de cœur, c’est elle que j’ai choisie. C’est à elle que je vais transmettre mon secret.
Je lui ai demandé de me rejoindre sous ma tente. Elle arrivera dans un instant.
Le temps est venu pour moi de repenser à ce que fut ma courte vie et de demander pardon pour le mal que j’aurais fait.
Je suis née le cinquième jour du mois de Sivan6 de l’année 40.
Je suis la fille de Joseph d’Arimathie, fils de Mathan « Nasi » Ha-David et d’Anne Marie, fille d’Éléazar.
Mon père, marchand et armateur, était un homme respecté de tous. Il était membre du Grand Sanhédrin7 et il avait la confiance de Ponce Pilate, le Procurateur de Judée.
Ma mère est morte, alors que je n’étais encore qu’une enfant. Je n’ai, malheureusement, plus de souvenir d’elle. Mon père m’en parlait parfois.
Rachel, ma nourrice, est restée fidèlement à mes côtés. Sans la remplacer, elle fut ma deuxième maman.
Nous habitions sur la colline d’Ophel, face au Temple et du haut de notre terrasse, nous surplombions la ville de Jérusalem.
Je me souviens, de ce matin-là, nous étions la veille de Pessa’h8de l’an 60.
Pessa’h est une fête religieuse importante. Le pèlerinage au Temple de Jérusalem et le sacrifice d’un agneau étant des devoirs sacrés pour tout Juif, la ville s’emplissait alors de centaines de milliers de pèlerins venus de Galilée, de Samarie et de Judée.
Comme chaque année, aux premières heures du jour, mon père s’était rendu au Temple pour acheter l’agneau qu’il souhaitait sacrifier. Il voulait être dans les premiers, afin d’avoir l’agneau le plus blanc et le plus pur, afin d’expier nos fautes.
Quant à moi, j’étais restée à la maison afin d’aider Rachel à préparer les repas des jours de fête et cuire le pain sans levain, comme il nous est ordonné, en souvenir de nos ancêtres, qui dans leur hâte de quitter l’Égypte, ne purent laisser leur pain lever.
Tu mangeras des pains sans levain, comme je te l’ai ordonné, au temps fixé du mois des épis ; car c’est au mois des épis que tu es sorti d’Égypte.
Ce soir-là, comme presque tous les soirs, en attendant le retour de mon père, j’étais assise à ma terrasse et Rachel avait allumé les flambeaux.
La nuit était paisible. Je contemplais ma ville, ses rues étroites et les rares passants qui, à cette heure, les empruntaient. D’une terrasse voisine montait la chanson mélodieuse d’une jeune fille. Elle s’accompagnait à la harpe et ses notes cristallines soulignaient la douceur de cette nuit.
J’aimais cette ville au printemps. À cette saison, les lilas embaumaient la maison et les amandiers se couvraient de fleurs blanches. Même le désert, au-delà des collines, reprenait vie et se couvrait d’une multitude de fleurs sauvages.
Ce soir-là, je m’en souviens, comme si c’était hier, mon père rentra plus tard que de coutume. Il me rejoignit sur la terrasse et se tenait derrière moi. Il était silencieux et me caressait les cheveux. Je me rappelle qu’il pleurait.
— Regarde ce beau ciel étoilé, père. Sèche tes larmes. Je sais la raison de ta tristesse. Tu y penses encore ?
— C’était il y a trente ans, mais dans mon cœur, c’était hier et je n’ai rien oublié.
— Parle-moi de lui.
— À quoi bon, ma fille ? Le temps n’effacera rien.
— Je sais, père. Mais je pense que cela te ferait du bien d’en parler et j’aime t’écouter.
C’est ce soir-là que pour la première fois, il accepta de m’en parler. Peut-être était-il, simplement, plus triste ou préoccupé par l’agitation qui gagnait la ville.
— C’était il y a trente ans, tu n’étais pas encore née, nous étions à la veille de Pessa’h, comme aujourd’hui. Un bruit courait dans la ville. Un prédicateur venu de Galilée était entré dans Jérusalem, monté sur un petit âne, rappelant la prophétie de Zacharie9.
Des pèlerins venus de Béthanie racontaient qu’il aurait ressuscité un mort et guéri un lépreux.
Tous voulaient le voir. Les malades et les estropiés se pressaient sur son passage pour le toucher et lui demander de les guérir. Ils l’accueillirent au cri de Hossana10.
Le matin, pendant que ta mère et Rachel préparaient les repas de fête, je me suis rendu au Temple. Alors que je choisissais mon agneau pour le sacrifice de Pessa’h, j’ai croisé le prédicateur nazaréen.
Je le revois, comme si c’était hier. Il n’était pas très grand, ses longs cheveux châtain clair et sa barbe courte, encadraient un visage d’une incroyable douceur. Je me souviens de ses yeux bleus, on ne voyait qu’eux. Il portait une tunique et un manteau de laine écrue. Aux pieds, il avait les sandales poussiéreuses de l’homme qui avait beaucoup marché.
Il était très en colère et renversait les tables et les étals des vendeurs en s’exclamant :
— Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. Ôtez cela d’ici, ne faites pas de la Maison de mon Père une maison de trafic.
Attirés par ce vacarme, les pèlerins, curieux, se rassemblèrent autour de lui.
Très remontés, les prêtres accoururent, criant au blasphème, car en qualifiant le Temple de : Maison de mon Père. Il se désignait : Fils de Dieu. Les uns voulaient le battre et le chasser du Temple, d’autres, armés de grosses pierres, voulaient le lapider.
Sans même y réfléchir, je m’étais interposé pour le protéger.
En début d’après-midi, je fus convoqué au Grand Sanhédrin. Il y fut décidé de saisir le Procurateur et de demander l’arrestation et la condamnation de celui qu’on appelait déjà le Roi des Juifs. Seuls mes amis, Nicomède et Gamaliel l’Ancien, se joignirent à moi pour prendre sa défense.
Le soir, je me suis rendu au Cénacle, où je savais qu’il partageait la Pâque avec ses disciples. J’ai essayé de le prévenir du danger qu’il courait. Mais au moment de lui parler, d’un geste de la main, il m’arrêta.
— Je sais la fin de mon temps parmi les hommes, mon Père me rappelle à ses côtés. Un de mes amis m’a trahi, un autre me reniera ce soir. Qu’il en soit ainsi, car je dois m’accomplir pour les siècles des siècles.
Je n’ai pas compris le sens de ses paroles, mais sa voix était aussi douce que son regard.
Après leur départ, je m’aperçus qu’il avait oublié la coupe qui lui avait servi à partager le vin. Espérant le revoir le lendemain, je l’ai prise, afin de pouvoir la lui rendre.
Ce soir-là, je ne saurais dire pourquoi, mais j’étais inquiet. En rentrant à la maison, ta pauvre mère, me voyant ainsi, tenta de me rassurer.
— Que peut-il lui arriver ? me dit-elle. Seul Rome peut le condamner et tu sais que le Procurateur n’intervient pas dans les questions religieuses.
Je savais qu’elle avait raison, néanmoins, je n’étais pas tranquille et ce soir-là, j’eus bien du mal à m’endormir.
Le lendemain, à mon réveil, le soleil était déjà haut dans le ciel.
Nicomède, essoufflé d’avoir trop couru, arriva à la maison pour me prévenir.
— Pilate l’a condamné à mort. Il sera crucifié aujourd’hui et l’exécution aura lieu au sommet du Golgotha. Avant cela, il a été cruellement flagellé et pour se moquer de lui, ils ont posé une couronne d’épines sur la tête. Te voilà Roi des Juifs, puisque tel est le titre que tu revendiques, lui dirent-ils. En tant que membres du Sanhédrin, notre devoir et d’y assister. Il nous faut partir sans attendre, les légionnaires se sont déjà rassemblés et vont se mettre en mouvement.
La rumeur de la mise à mort du nazaréen avait fait le tour de la ville et tous s’empressaient sur le chemin qui menait au lieu du calvaire.
Nous venions de parvenir au sommet du Golgotha, quand les cris de la foule annoncèrent son arrivée.
Il avançait en titubant, épuisé et courbé sous le poids de la croix. Il était couvert de sang.
Dans la foule, les uns pleuraient, d’autres priaient et tous imploraient Pilate de l’épargner.
Deux légionnaires le saisirent, pendant que trois autres déposèrent la croix au sol.
Ils l’allongèrent sur la croix. À l’aide de cordes, un centurion attacha fermement ses poignets à la traverse de la croix, puis les deux chevilles superposées au pilier.
C’est alors qu’apparut le bourreau. Il avait de solides clous à la ceinture et une lourde masse à la main.
La foule fut soudain silencieuse. Les plus sensibles se retournèrent pour ne pas voir, d’autres se bouchèrent les oreilles pour ne pas entendre.
La masse s’abattit violemment une première fois. Lorsque le clou s’enfonça au centre du poignet gauche, le bruit des os broyés fut couvert par ses cris de douleur.
Près de moi, une femme s’évanouit. Le ciel s’obscurcit.
Le bourreau posa le deuxième clou au centre du poignet droit. Quand la masse s’abattit à nouveau, dans un cri déchirant, il perdit connaissance.
Le bourreau dut se reprendre à trois fois pour planter le dernier clou dans les chevilles.
Je n’ai pas pu retenir mes larmes.
Au signal du centurion, quatre légionnaires soulevèrent la croix et la positionnèrent à la verticale.
Vers onze heures, il reprit connaissance.
Je regardais son visage, il était pâle et pleurait.
— Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Les heures passèrent. Lentement, la foule se dissipa.
Il devait être environ quatorze heures.
Marie, sa mère et Marie-Madeleine, sa compagne, priaient, agenouillées au pied de la croix.
Il avait de plus en plus de difficulté à respirer. Son souffle était court et pour inspirer, il soulevait sa poitrine de quelques centimètres en s’appuyant sur ses pieds et en tirant sur ses bras. À chaque inspiration, les clous déchiraient un peu plus ses membres, le faisant souffrir et saigner. Sous sa peau diaphane, je voyais ses muscles se tétaniser. Chaque inspiration lui demandait un effort croissant et l’épuisait un peu plus. Je priais pour que cesse son calvaire.
Encore aujourd’hui, cette image me hante.
Je me souviens que dans un râle, il dit :
— Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?
À quinze heures, alors que son supplice durait depuis plus de quatre heures, à bout de force, il s’évanouit.
Afin de vérifier s’il était encore en vie, un légionnaire perça son flanc droit d’un coup de lance. Il saigna abondamment.
En m’approchant de la croix, à l’aide de la coupe, je recueillis un peu de son sang.
À cet instant, le vent se leva et le tonnerre gronda. Il faisait nuit en plein jour. Un éclair traversa le ciel. Un grand silence régnait.
— Tout est accompli, dit-il dans un murmure à peine perceptible.
Dans un dernier souffle, il dit :
— Père, entre tes mains je remets mon esprit.
Sa poitrine se souleva une dernière fois.
Le masque de souffrance, sur son visage, s’effaça. Ses yeux se fermèrent, sa tête pencha en avant et tous ses muscles se relâchèrent. Il venait de mourir.
Dans le ciel passa une colombe blanche. Elle tenait dans son bec un rameau d’olivier.
Tous pleuraient ou priaient à voix basse. Il se passa environ une demi-heure sans que personne ne puisse détacher son regard de la croix.
Ébranlé par tant d’émotions, il me fallut un certain temps pour reprendre mes esprits. J’ai alors réalisé que nous étions la veille de shabbat et d’un jour saint. Nous n’avions pas le droit d’abandonner ce corps et nous avions pour devoir de l’enterrer avant le début des fêtes. C’était, pour nous, une mitsva11. Il nous restait peu de temps pour lui offrir un enterrement respectueux de nos lois et de nos valeurs. J’envoyais Nicomède au marché afin d’acheter un linceul ainsi que de l’encens et de la myrrhe pour préparer son corps. Quant à moi, je me suis rendu chez Pilate afin d’obtenir l’autorisation d’emporter le corps et de l’enterrer dignement, dans la tombe que j’avais fait creuser, dans la montagne, et qui nous était destinée. C’est dans cette tombe que repose aujourd’hui ma femme tant aimée et qu’un jour, je l’y rejoindrai, car entre temps, le corps du supplicié avait disparu.
Enluminure du XVe siècle, Joseph d’Arimathie à genoux au pied
de la croix, recueillant le sang du Christ
Avec l’accord de Ponce Pilate, je pus récupérer le corps.
L’un de ses disciples s’approcha de moi. Il était accompagné de Marie et de Marie-Madeleine.
— Dieu a donné en sacrifice son fils, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. Le sang que tu as recueilli est le sang de la rémission de nos péchés. Garde-le précieusement, car c’est le plus précieux des trésors. Quand le temps messianique sera revenu ; il se liquéfiera et sera le témoignage de son sacrifice et du pacte passé avec les hommes.
— Père, qu’as-tu fait de la coupe ?
— J’ai fait fabriquer pour elle un écrin en bois de cèdre, par l’un de mes charpentiers. J’ai enfermé cet écrin dans un sac en toile, imperméabilisé avec de la résine de calfatage que j’utilise pour mes bateaux. Enfin, ta mère et moi avons enterré ce sac au pied de l’olivier, qu’ensemble, nous avions planté pour célébrer notre union. Personne n’est au courant, pas même Rachel. Depuis le décès de ta pauvre mère, à part moi, tu es aujourd’hui la seule à savoir. Je te confie ce secret, car après moi, tu en seras l’unique gardienne. Ce sang est le devenir espéré des hommes, car le temps venu, c’est par lui que se rouvriront les portes du Paradis Terrestre. Tu garderas ce secret jusqu’à l’heure de ta mort et à ton tour, tu le confieras à la personne de ton choix, celle que tu jugeras digne et capable de le protéger. M’en fais-tu le serment ?
— Oui, père. J’en fais serment sur la Torah et sur la tête de ma pauvre mère.
J’avais vingt ans et toute la vie devant moi, mais dès lors, je devenais la gardienne d’un secret que j’avais juré de ne transmettre qu’à ma mort, à une personne que j’aurai désignée.
À l’époque, on me disait jolie et les prétendants ne manquaient pas, mais je ne me suis jamais mariée. Je n’imaginais pas partager ma vie avec un homme et ne pas pouvoir partager avec lui mon secret.
Aujourd’hui, alors que les portes de la mort s’ouvrent pour moi, je n’ai qu’un regret, celui de ne pas avoir revu ma ville et de ne pas y être enterrée.
Rachel, bien qu’âgée, ne m’avait jamais quittée. Elle m’était restée dévouée, aidée par sa fille Esther, qui était comme une sœur pour moi.
Mon père, malgré son âge avancé, était resté vaillant et continuait à gérer ses affaires.
Depuis plus de cent ans, la Judée était occupée et soumise à Rome.
Cependant, les Hébreux n’avaient jamais renoncé à leur indépendance et la révolte grondait.
Elle s’était organisée autour des Zélotes et des Sicaires, des groupes politico-religieux, qui, comme les Maccabées12, deux cents ans auparavant, voulaient chasser l’occupant.
Les premières émeutes éclatèrent en l’an 66, lorsque le Procurateur Gessius Florus13 fit procéder à un sacrifice païen devant la synagogue de Césarée, puis détourna, à son profit, dix-sept talents14 d’or, qui appartenaient au trésor du Temple de Jérusalem.
Les Zélotes incitèrent le peuple de Judée à prendre les armes pour chasser les Romains. Ils mirent en déroute la XIIe Légion et occupèrent Jérusalem.
À la Pâque de l’an 70, Titus, fils de l’empereur Vespasien, à la tête des quatre légions de Judée, encercla la ville.
Après quatre mois d’un siège dramatique, le 30 août 70, Jérusalem fut mise à sac et le Temple fut incendié et pillé.
De notre terrasse, atterrés, mon père et moi regardions le Temple brûler. Mon père pleurait, son monde s’écroulait.
Partout dans la ville, les incendies faisaient rage. Dans les rues, jonchées de cadavres, les gens, apeurés, couraient dans tous les sens, hurlant, priant et pleurant.
La destruction du Temple de Jérusalem
(Image réalisée à l’aide du programme d’Intelligence Artificielle Gemini)
— Cette terre nous a été donnée par Dieu, dit mon père. Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Est-ce la fin de notre histoire ? Il nous faut partir sur les routes, notre peuple sera éparpillé aux quatre coins du monde et nous serons partout des étrangers. Une longue période d’exode commence aujourd’hui. Mais je sais que Jérusalem se reconstruira.
— Oui, père, cette ville est éternelle et elle nous a été donnée pour l’éternité. Demain, nous partirons, mais mon cœur est ici à jamais et je sais qu’un jour Dieu rassemblera ses enfants et que nous reviendrons chez nous.
— Partout où nous serons, nous vivrons dans l’espoir de ce retour. Dans l’immédiat, nous devons sauver la coupe de sang du pillage. Demain aux premières heures, nous partirons. Rachel et Esther nous accompagneront. Nous serons escortés par quatre de mes hommes les plus sûrs. J’ai tout prévu. Nous irons à Massada, l’un de mes amis, Éléazar ben Yaïr, chef des Sicaire15, commande la place. Il est prévenu de notre arrivée et nous a préparé des logements confortables. Nous y serons en sécurité, au moins pour un temps.
Une fois la maison endormie, mon père déterra la coupe de sang et me la confia. Je pris soin de bien la cacher au fond de mes bagages. Elle ne me quitta plus.
Nous partîmes aux premières lueurs de l’aube.
Nous étions tous les quatre assis dans un attelage tiré par deux chevaux, escortés par nos hommes à cheval.
Le trajet dura quatre jours. Nous avions voyagé dans la poussière et sous un soleil accablant.
Heureusement, mon père, toujours prévoyant, avait organisé ce voyage. À chaque étape, le gîte et le couvert nous attendaient. Ce furent, néanmoins, quatre jours éprouvants.
La dernière étape fut la plus dure, outre la fatigue accumulée, il nous fallut, poursuivre à pied pour accéder à la citadelle, empruntant des chemins étroits et escarpés.
Situé au cœur de la Judée, dans un paysage désertique et surplombant la Mer Morte, Massada est un immense plateau. Une forteresse y fut construite, il y a près d’un siècle, par le roi Hérode le Grand. Ses pentes abruptes et sa puissante muraille, dotée de trente-sept tours, en faisaient une place forte, réputée imprenable.
Peu de temps après notre arrivée, le général Lucius Flavius Silva, à la tête de la Xe Légion et de six cohortes auxiliaires, se positionna au pied de la montagne. Le siège de Massada venait de commencer.
Flavius Silva répartit ses douze mille hommes en huit camps et reprenant la stratégie de Jules César à Alésia, il fit ériger un puissant mur d’enceinte. Ainsi, Massada, isolé, ne pouvait plus recevoir d’aide extérieure.
Éléazar s’était préparé à un long siège, les greniers et les citernes étaient pleins et en limitant nos rations quotidiennes, nous avions de quoi tenir longtemps.
Sur le plateau vivaient un millier de Juifs, hommes, femmes et enfants, dont la moitié constituait la garnison chargée de défendre le site.
Nos journées étaient organisées, autour de nos tâches quotidiennes respectives. Le respect de nos fêtes et de nos pratiques religieuses rythmait les mois qui s’écoulaient. Nous avions confiance en Dieu et nous formions une communauté très soudée. Conscients que nous étions le dernier bastion de résistance à Rome, nous étions déterminés à ne pas baisser les bras.
À la fin de l’été, Esther fit la connaissance de Yoav, un jeune et beau sicaire, dont elle tomba follement amoureuse. Bien que Rachel vît cette idylle d’un mauvais œil, la voir heureuse, me rendait heureuse.
Au printemps de l’an 73, le siège durait depuis trois longues années et Rome s’impatientait.
Sommé de prendre Massada, sans délai, Flavius Silva fit construire une rampe sur le flanc occidental de la forteresse pour atteindre la corniche haute.
De nos remparts, nous observions, avec appréhension, l’avancée de ces travaux.
Nos soldats tentaient vainement de faire échouer ce projet en balançant d’imposants blocs de pierre. Mais rien n’y faisait. L’implacable machine romaine était en marche.
Occupant la corniche, Flavius Silva y installa ses pièces d’artillerie et fit construire une tour de plus de trente mètres de haut. Nos soldats étaient maintenant à portée de l’ennemi.
Le 17 avril au matin, lors d’une de ces nombreuses escarmouches et après s’être battu vaillamment, Yoav fut grièvement blessé. Après une longue agonie, il mourut dans les bras d’Esther.
— Promets-moi, Esther, d’être forte. Promets-moi d’aimer encore comme tu m’as aimé, car ta vie continue et tu es jeune. Je pars sans regret, car j’ai eu le bonheur d’être aimé de toi.
Telles furent ses dernières paroles.
Ma pauvre Esther était inconsolable. Elle veilla son corps et porta son deuil dignement.
Son courage faisait l’admiration de tous et de moi la première. Elle voulait que Yoav soit fier d’elle.
Yoav fut enterré dans le petit cimetière, à l’arrière de la synagogue. À la demande d’Esther, c’est mon père qui eut l’honneur de dire le Kaddish, la prière des morts.
Esther avait besoin de moi pour surmonter cette épreuve et chaque matin, je l’accompagnais au cimetière et nous priions ensemble sur la tombe de son amoureux.
Malgré le courage de nos soldats, notre situation était de plus en plus précaire.
À un contre vingt, face à des légionnaires aguerris, quelle que fût la vaillance de nos défenseurs, il fallait bien en convenir, Massada était perdu. Nous étions allés au-delà du possible et il fallait s’y résoudre.
Le 30 avril au matin, Éléazar réunit tout le monde sur la place centrale et prit la parole.
— Mes frères et mes sœurs, je suis fier de vous et fier d’avoir eu l’honneur de vous commander. Demain, nous aurons face à nous douze mille légionnaires déchaînés, avides de nos femmes et de nos biens. Massada tombera. Qui se souviendra alors de nous ? Les survivants seront exhibés à Rome, lors du triomphe de Flavius Silva. Ils seront esclaves pour les uns ou seront livrés aux fauves dans les arènes, pour les autres. Est-ce cela que nous voulons ?
— Non, crient en chœur tous les Hébreux.
— Nous pouvons ne pas combattre et nous rendre. Mais, la gloire en moins, nous connaîtrons le même sort. Sommes-nous des lâches ?
— Non, non, crièrent les hommes présents. Que nous proposes-tu, Éléazar ? Tu es notre chef et nous t’écoutons.
— Je vous propose de rentrer dans l’Histoire. Personne n’oubliera Massada, car sa chute sera notre jour de gloire. Demain sera pour nous, un jour de joie, celui de nos adieux et de notre sacrifice. Nous enterrerons nos livres sacrés et nos témoignages, pour qu’ils ne tombent pas aux mains des Romains. Un jour, quelqu’un les trouvera et on se souviendra de nous. Je vous demande de briser tous vos biens. Ainsi, Flavius Silva n’aura pas de butin à offrir à César. En fin d’après-midi, nous nous rassemblerons autour de la synagogue pour un dernier office qui s’achèvera par la prière des morts. Après quoi, nous ouvrirons grandes les portes des greniers et je vous inviterai à manger et boire tout ce que vous pourrez. Ce sera notre dernier repas en commun. Ensemble, nous bénirons le pain et le vin pour la dernière fois. Après-demain, nous ne serons plus. Je souhaite que ce festin soit joyeux, parce que ce sera la dernière image de notre vie, celle que nous emporterons avec nous. Mais aussi, parce que le bruit de notre festin détournera l’attention des Romains. À l’issue du repas, nous nous ferons nos adieux et nous nous préparerons à mourir. Quand les Romains entreront dans Massada, nous serons tous morts. Flavius Silva, n’ayant ni butin ni prisonniers à exhiber, sera privé de Triomphe à Rome et n’en tirera aucune gloire.
— Éléazar, nous demandes-tu de nous suicider ? Tu sais que notre religion nous l’interdit.
— Non, mes frères, nous ne nous suiciderons pas, mais chacun d’entre vous aura à cœur d’offrir cette mort à ses proches, à ses amis, à ses voisins. Seul, le dernier vivant se tuera lui-même. Parce que c’est mon devoir, je serai celui-là.
— Tu es notre chef, Éléazar, et tous nous t’obéirons.
Quand le calme fut revenu, Éléazar demanda à nous voir en privé.
— Anne, dit Éléazar, une importante mission t’a été confiée par ton père. Joseph s’en est ouvert à moi. Il existe un passage secret par lequel il est possible de sortir. Depuis un mois, avec ton père, nous avons préparé ta fuite. Ce passage est dangereux, d’autant que cette nuit sera sans lune. Esther et toi, vous partirez lorsque débutera notre festin. Notre bruit détournera l’attention des Romains, mais ce temps étant limité, il faudra faire vite. Ton père et Rachel sont trop âgés, ils vous retarderont. Je m’en suis entretenu avec eux. Ils souhaitent partager notre destin. Je veillerai personnellement à ce que leurs nobles sacrifices soient doux et ne soient pas oubliés.
J’essayais de ne pas montrer mon chagrin, car je savais que malheureusement, Éléazar avait raison.
Esther était effondrée, elle pleurait et refusait d’abandonner sa mère et le corps de son amoureux.
— Sois raisonnable, ma fille, dit Rachel. Anne doit partir et elle aura besoin de toi. Votre route sera longue et vous ne serez pas trop de deux. Quant à moi, je suis trop vieille, le bout de mon chemin approche. Laisse-moi le choisir, car ce bout de chemin est beau et noble. Je veux partir dans la joie de ce festin, plutôt que dans la peur. Il nous reste un peu de temps à partager, fasse qu’il soit un temps d’amour, car je veux emporter de toi l’image de ton sourire, plutôt que celle de tes larmes. De là où je serai, je veillerai sur vous deux, mes filles. Je vous aime et je vous bénis.
Éléazar reprit la parole.