Là où va le feu - Thibault Vié - E-Book

Là où va le feu E-Book

Thibault Vié

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Beschreibung

2054, une décennie de sécheresse. La terre succombe sous d’ardents rayons solaires. Plus une pousse, plus une goutte, le soleil est à son apogée, il brûle tout.
Tom Lancéphale est l’un des derniers rescapés de la race humaine. Pour survivre, il vit sous terre, loin de la fournaise régnant en surface. Soudain, après de longs mois de sursis et de solitude, une ère glaciaire s’abat en un éclair, gelant tout sur son passage.
Tom se réveillera des milliers d’années plus tard à l’heure de la fonte des glaces et des grandes floraisons. Il est libre à présent, libre face aux intrépidités de ce nouveau monde qui pousse en surface.
Ceci est son carnet de bord, empli de découvertes, d’aventures et d’horizons. Véritable roman d’anticipation, Là où va le feu est une expérience humaine et sensorielle instituant un inévitable réapprentissage des fondamentaux de la vie sur terre.


À PROPOS DE L'AUTEUR


La littérature est pour Thibault une porte ouverte à l’évasion. Elle est un besoin vital qui transporte dans des imaginaires à la fois divertissants et instructifs. L’indéniable beauté du vivant et son urgent besoin de protection sont les deux essentiels de ce roman développant également les thèmes de l’aventure, de la perdition et de l’ensauvagement.

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Seitenzahl: 183

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Thibault Vié

Là où va le feu

1er Journal

Roman

© Lys Bleu Éditions – Thibault Vié

ISBN : 979-10-377-6105-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Année 2, mois 7

Là où va le feu, est là où s’avancent mes pas. Ce sont ces instants qui mènent d’une survie à l’autre. Ce sont ces lignes que j’écris le soir en cuisant le repas que la jungle m’a offert. C’est suivre le chemin des braises qui s’évadent dans l’obscurité. Le dernier long voyage de mes empreintes…

Ceci fut mon journal d’un entre deux mondes, ouvert dans le désespoir d’une mort certaine, achevé dans la certitude d’une vie nouvelle.

La terre ne s’est pas réincarnée, elle s’est régénérée. Et moi avec.

Tom Lancéphale, terrien déchu

Ruines

Fragments de notes - septembre à novembre 2053 :

4e mois de sécheresse

Plus de Biafine, bonjour la peau de cobra pour demain. Ils appelaient ça planète étuve, eh bien la voici. Nous avons muté en une espèce nocturne, des êtres devenus proies du soleil. Ça y est, là il est parti carboniser les terres de l’ouest mais dans 6 heures, il reviendra chez nous pour le prochain tour de broche. Et alors il faudra se cacher, avancer à couvert. Avancer, à couvert, et puis c’est tout. L’objectif ? À boire, à manger, de l’ombre. Basta. Il sera là le bonheur, un ruisseau d’eau fraîche et cristalline cascadant tes entrailles. Je m’assèche. Surtout, n’oublie rien terrien, t’es rien de rien tuer, ouais terrien, tu n’es plus rien sur cette terre de plus rien. Tu veux en finir terrien ? OK, alors vautre-toi au sol demain dès 6 heures et le soleil t’emportera dans sa lumière. Flash ! Au bûcher, adios l’hérétique. Pulvérisé, peaulvérisé, chairvérisé, osvérisé, âmevérisé… Des rayons de lave. Un grand marasme. Ravi d’être né, merci maman, merci papa.

Réserves : eau 1.6L, 2 barres de céréales.

Solo depuis les 10 jours que j’ai lâché la troupe folle. À contre sens sur l’autoroute, le goudron visqueux qui colle aux pattes. Vallée de la mort. Quelques voitures HS, quelques stations essence HS, quelques cadavres HS. Comme une balade à Pompéi. Odeur de roussi. Narines brûlées. Gorge enflammée. Air opaque. Nuit ocre sombre. Même pas un cactus qui pousse. J’ai un plan, il faut marcher vers le sud. Là où les hommes ne sont plus que souvenir. Là où dans la débandade ils n’ont pas eu le temps de faire bagage… Ensuite, il faudra creuser. S’éloigner loin, ouais loin dans les profondeurs. Les autres migrent vers le nord et la damnation alors que la survie se trouve juste sous leurs pieds dans le taudis des taupes.

Réserves : eau 0.7L, avoine d’écurie 450G.

Des ruines arides, partout. Mare de boue bien amère. Neige de cendres. Ciel rougeâtre, coucher de soleil magnifique. L’eau est l’or maintenant, la denrée disparue, qui l’eût cru ? Les marketeux s’en arracheraient les cheveux. Ville, ville à l’horizon ! Des usines, des magasins, des maisons, des immeubles, des bistrots, des parcs, un stade. Tous silencieux. Drôle d’oasis. Fouilles alimentaires. Trouvailles. Ça ravigote.

Fragments de notes fin 2053 – début 2054

Rassasié. 3 nuits que je creuse mon trou à coup de pelle-bêche. Tout est prêt et voilà… J’y suis, ancré 5 mètres sous terre. La vie de caverne commence. Un étroit tunnel me relie à la surface, il me fournit air et lumière. Enfin un peu de fraîcheur, moi qui pensais finir brûlé vif à force de rester planté là-haut comme un piquet. Avant de descendre pour de bon, j’ai tué une charogne en lui fracassant le crâne aussi à coup de pelle-bêche. Légitime défense, c’est lui qui voulait s’en prendre à mon stock de vivres ramassés un peu partout dans la flopée de maisons mortes que je fouillais depuis des semaines. Maisons, supermarchés, usines… Tout est bon à prendre pour l’homo-mori de la post-histoire.

« Éloigne-toi de ça ou jt’écaille », me disait-il, tout tremblotant qu’il était en pointant sa petite lame vers mes réserves.

Je n’étais pas plus homme qu’il ne l’était plus. Oui, il fallait en arriver là, notre famine dévora notre humanité en dernière ration de survie. Désolé vieux, mais c’est pas comme ça qu’on demande de l’aide à son prochain. Et c’est pour cette raison que je t’ai enfoncé ma pelle en pleine face. Ce vautour m’aura quand même planté la cuisse pendant le corps à corps. Triste affaire, l’un sur l’autre se roulant au sol jusqu’à sombrer au fond de mon puits. Par chance, j’y avais laissé ma pelle qui creuse apparemment aussi bien la terre que la cervelle. Merci pour le t-shirt néanmoins, il ne te servira plus alors il sera mon pansement. Terrible, il y a encore quelques mois je ne me pensais pas capable de tuer quelqu’un. Oui mais ici chez nous – les terriens –, le vent a tourné, le sang a chauffé.

Fallait-il manger cet homme ? C’était sans doute l’idée la plus sage mais je ne pouvais m’y résoudre. Arrivée dans ses derniers retranchements la faim donne raison à tout et ça même pour le plus avisé des hommes. Mais non, pas encore pour moi. Allez ouste, hors de mon trou avant que ça n’empeste le cadavre. Les flammes du soleil s’occuperont du corps. Vu la température, il sera devenu poussière planante d’ici le mois prochain et excellent fertilisant pour le monde d’après. Fallait-il vraiment ne pas manger cet homme ? Ce si gros morceau de viande, j’y vois du gâchis, j’y vois un festin, j’y vois mon dernier élan de lucidité, j’y vois cette sécheresse… Rôtissant sa cher et chère chair humaine.

Nous

Aujourd’hui et cette semaine (peut-être juin 2054) : Réflexions souterraines

Il n’y aura donc pas eu de troisième grande guerre ni d’holocauste ou de virus mortel… Les machines n’auront pas non plus mené de grande révolution contre leurs propres géniteurs. Non, rien de tout cela n’eut raison de nous. Je pense qu’il fut simplement venu l’âge où, la vie était devenue tempête pour tout homme foulant la terre et où, le vent ne s’épuisait guère plus à balayer les frasques de notre passage. Dès son premier feu, l’homme enclencha les rouages si bien huilés de la machine infernale qu’est son évolution. À peine les premières étincelles furent-elles déployées dans l’atmosphère qu’il n’était plus que question de temps avant que ne sonne la fin du frotteur de silex.

Le climat nous a-t-il tués ? Oui et non. Il a fini le travail. Nous étouffant nous-mêmes dans les sueurs de nos efforts hydrocarbures, il est venu nous achever. Fini la bourlingue, place au silence. 6 mois que je vis ici. Confiné dans ma crypte, j’écris ces lignes, pour sortir de l’ennui et pour ne pas m’embourber dans l’oubli. J’attends que quelque chose se passe, miracle, catastrophe, pfff plus m’importe. Ces lignes, je les écris aussi pour laisser une trace, un message à qui saura un jour me lire... D’autres survivants je l’espère, ou probablement l’un de ces nouveaux terriens âne-alpha-bête de dans des milliers d’années.

En cette ère obscure de l’histoire, il me sera difficile de trouver un éditeur, c’est pourquoi cet ouvrage paraîtra en un unique exemplaire à savoir ce journal de bord que vous aurez sans doute retrouvé là et las sur ma dépouille. Mais certainement qu’à ce temps-là, les mots seront déjà tombés dans l’oubli. Tel un alphabet hiéroglyphique… Alors, à quoi bon écrire dans ce cas ? La chance de trouver un lecteur est infime mais pour autant, ce journal est mon compagnon d’infortune, il sera bientôt mon meilleur ami, mon grand confident. Celui qui ne demande que des mots sur du papier pour son bonheur.

Autre semaine de juin 2054, autres réflexions

Si la vie est fugitive de l’univers, la planète terre en est le seul refuge connu des hommes. Là, on nous y donna l’humus, l’air, le soleil, l’eau, les arbres et les pierres. Nous en fîmes du feu puis des lampes, des outils puis des armes, des huttes puis des villes, des peintures puis des livres, du commerce puis des guerres… Sur sa propre échelle d’évolution, l’homme fut d’abord un survivant alors la terre était son cocon. Par la suite, il devint chasseur et cultivateur alors la terre était sa ferme. Lorsqu’il devint artisan, la terre était son atelier. Le temps filant, il muta en mineur, naturaliste, conquérant, scientifique, biochimiste… Alors la terre se mua pour lui en carrière, jardin, champ de bataille, laboratoire, usine… Mais c’est en en changeant trop la fonction première que la terre est maintenant devenue un véritable brasier. Une sphère en fusion dont le fin tapis de cendre m’abrite encore de la totale perdition.

Avant mon temps, l’humanité suivait son cours en laissant vaquer dans son sillage des œuvres somptueuses et une histoire si vaste que je ne peux que m’efforcer de prolonger à travers ces lignes. Néanmoins, il y a des (r)évolutions dont on ne se relève pas. L’homme n’est plus un loup pour l’homme, il est devenu un piège à loup pour l’homme. Il est les crocs d’acier de sa propre extinction.

« Arrêtez-vous ! » nous criaient les scientifiques à coup de langue fourchue. Car oui, la vie sur terre courait un vil péril. Pour nous sauver, il aurait fallu tout réinventer. Mais que faire quand le capitaine du navire n’a d’yeux que pour l’huile des baleines tandis que ses sbires chargent les mutins ? Seuls dirigeants au gouvernail, le cap de la capitainerie était à l’Eldorado et ils nous y perdirent tous sans même trouver trace de nos fins éclaireurs conquistadores.

Quelle belle chevauchée fut celle de l’humanité renégate. Paysagez-la, piétinant allégrement mère Nature au dos de sa fidèle monture – une jument majestueuse que j’appellerai Tornada.

La destination de notre cavalcade n’existe pas encore car elle n’a pas été – et ne sera jamais – vraiment prédéfinie. Depuis notre départ, on galope et on improvise sans trop se soucier du reste. Nous pourrions néanmoins nous accorder à dire que notre quête se dirige obstinément vers le progrès. Horizon vague qui nous échappe toujours plus à mesure que nous nous en approchons. Ce n’est pas grave, il est là, on le voit, il se montre en vapeur de mirage alors on le suit, on l’observe, on le fantasme… L’ultime progrès, un jour je le sais nous t’attraperons et alors enfin nous tirerons sur les rênes de Tornada qui s’arrêtera pour souffler un peu. L’ultime progrès, c’est comme qui dirait notre Graal lorsque nous l’aurons trouvé nous serons devenus de grands dieux, monarques immortels et tout-puissants.

Steppes, sierras, plaines, vallées, montagnes, forêt, plages, déserts… La route est belle, la route est pure. En chemin, la cavalière sème par-ci par-là une petite pousse de village qui fleurira en mégalopole coloniale. En croupe de monture, tout un tas de lourds et encombrants bagages qui s’accumulent d’année en année. Vous cherchez l’humanité ? Suivez notre crottin d’ordures nous nous débarrassons souvent du démodé. Vous cherchez votre azimut ? Notre nuée de poussière toxique vous guidera même dans la nuit. Que Tornada s’épuise et nous lui greffons une nouvelle paire de jambes à propulsion mécanique. Qu’elle ralentisse encore, qu’elle se rebelle ? Un bon coup d’éperons et ça repart pour une traînée de sueurs gazeuses. Il n’y a que son cœur que nous n’ayons pas changé en machine. Son battement demeure inclonable alors tant qu’il tient, nous tenons. Pour le reste de ses membres, il ne fut et ne sera jamais qu’affaire de recherches et d’innovations.

Initialement majestueuses, l’humanité et sa jument ne sont aujourd’hui plus que deux squelettes éperdus traçant leur route vers elles ne savent où. Parjures fuyantes du dieu soleil luisant en leur dos, il a déjà dépecé la peau mais il ira jusqu’à irradier les os. L’ultime progrès s’éloigne, il gagne devant nous, il se dérobe sous nos yeux secs de larmes. On ordonne de redoubler en coups d’éperons mais rien à faire, à bout de souffle, Tornada s’emballe puis s’effondre. Emporté dans son élan, le squelette de l’humanité plane un instant en apesanteur puis s’étale au sol pour ne pas y mordre la poussière mais bel et bien s’y fondre.

Un monde hypoglycémique, une civilisation qui se dissout, un parterre de gruyère, des anges déchus. Plus rien ne sortirait de l’épiderme de la terre désormais, il avait été cyclé qu’elle n’offrirait plus gîte au vivant pour les quelques prochaines années. Moi qui humain, recherche oxygène, eau et nourriture n’a plus qu’à me résoudre à pourrir.

Cela fait donc 6 mois que je vis ici, foré dans les profondeurs du passé sous une ville dont je ne connais même pas le nom. J’ai creusé mon trou dans l’arrière jardin d’une maison de campagne qui n’était pas la mienne alors que le monde moderne cédait au tumulte général.

Ma caverne fait environ 3 mètres de longueur pour 1 m de largeur sur 1,50 m de hauteur. Mon régime alimentaire ne se compose que d’une soupe froide accompagnée d’une cuillérée de haricots ou de lentilles une fois par jour. Un verre d’eau le soir. Avec cette chaleur, il serait mal avisé de faire un feu alors je mange crus mes aliments. Je m’accorde une petite douceur de temps à autre quand le moral redescend (à savoir une poignée de chocolat en poudre, du lait concentré ou une pincée de fruits secs). Je me demande parfois pourquoi je ne transformerais pas toutes ces rations en grand festin d’adieu. Néanmoins, ayant hérité de cette inextricable accroche à la vie si chère aux humains, j’ai opté pour la survie et donc le rationnement dans l’attente de jours meilleurs. Les nuits sont courtes, 4 à 5 heures tout au plus selon les jours, le soleil ne semble jamais se coucher car même si sa lueur faiblit elle ne s’éteint jamais. Quelques exercices physiques pour maintenir mon corps en état de forme. Un pot en guise de litière que je remplis de terre une fois la tâche accomplie et que je n’utilise que très rarement (en cause, mon rationnement drastique). J’aurais aimé ajouter une bibliothèque à ma hutte pour pouvoir m’évader de ce triste quotidien le temps d’un récit d’aventures. Mais mis à part toi cher carnet, il ne me reste que mes souvenirs de l’ancien monde qui puisse me rendre le sourire et dans lesquels je vagabonde continuellement. J’y retrouve ma famille, mes amis chers et ce que nous partagions ensemble. La nostalgie du bon vieux temps est une fièvre foudroyante.

C’est fini pour nous mais la jungle, la savane, la brousse et les forêts repousseront… La nature sait se recroqueviller en silence et se montrer patiente. Alors elle reviendra conquérir nos villes perdues. Sacré spectacle, des lianes… Partout… Envahissant nos murs comme s’ils étaient des temples Maya. J’entends parfois la terre qui craquelle discrètement, et dans ma hutte, les murs s’effritent. Signe d’un nouvel âge qui gronde, il est le son des plaques tectoniques entrant en collision, le son des montagnes émergeant du sol et des continents qui se déchirent. Mais qu’en disent nos satellites toujours en orbite ? À quoi ressemblera la terre nouvelle ? D’autres l’exploreront comme le faisaient jadis nos ancêtres.

À vous futurs terriens, héritiers des premiers hommes, puissiez-vous lire un jour ces lignes et quand reviendra ce temps où les arbres vous feront ombre et oxygène, faites en vos divinités. Méritez votre terre, méritez son eau, son air, sa faune, sa flore, ses vibrations…

Amazonie

6 ou 7e mois sous terre : Souvenir de vie

Avant la fin de nous, ma vie se passe en France. Les copains, la famille, la fête, l’aventure à droite à gauche, les petits boulots, une énième séparation et me revoilà en quête de perdition. Je m’improvise reporter d’image spécialisé dans la protection de l’environnement. Sorte de paparazzi défenseur de la cause environnementale et animal si vous voulez. Métier ingrat mais enfin quelque chose qui me fait vibrer, une vraie bataille à laquelle participer. Je travaille pour une coopérative couvrant des sujets un peu partout dans le monde. Nous squattons les locaux de la rédaction et notre rémunération vient des poches de quelques généreux donateurs.

2052 Guyane Française, installé dans un hôtel miteux je prépare mon prochain reportage photo. Il portera sur la forêt Amazonienne, sa faune, sa flore, son massacre à chair vive. Elle qui saigne du nord au sud et d’est en ouest, elle aurait besoin d’un bon garrot, mais à la place nous décidons de l’amputer toujours un peu plus haut vers les poumons puis le cœur. Je ne suis qu’à quelques kilomètres de la frontière Brésilienne que je passerai incognito une fois mon attirail d’aventurier complété. C’est pour demain.

Sur terre, le bois est l’origine de tout, il oxygène, abrite, réchauffe, meuble une maison, s’imprime, se lit, se brûle, se recycle… Il est devenu rare, vulnérable. Depuis le début du siècle, la forêt amazonienne est l’atout économique majeur du Brésil. Il est donc tout naturel que l’on ne puisse en observer l’exploitation de trop près, et cela vaut d’autant plus pour les journalistes étrangers qui ne passent plus les postes de frontière depuis quelques années déjà. Il est aussi encore le temps ou avec la valeur de l’argent, nous pouvons toujours acheter le regard des hommes.

Jour-J, adieu hôtel miteux à présent je me faufile vers l’ouest à travers les mailles du filet laissant traîner quelques billets par ci par là. Voilà, je quitte les routes et pénètre au cœur de la sublime Amazonie. J’arpenterais pendant une semaine cette vaste forêt tropicale, un territoire primaire, centre vierge de la main de l’homme constituant un ultime refuge à la vie sauvage. 70 % de la flore a été ravagé au cours des 100 dernières années, je contemple alors avec à la fois émerveillement et tristesse les derniers remparts de mère Nature qui entonne doucement son chant de mort. Un jour ou l’autre, son heure viendra en notre nom, celui des hommes. Je ne suis pas seul, il y a des petits villages qui apparaissent au milieu des arbres. Les habitants sont d’un autre siècle, arriérés, craintifs… Je ne m’approche pas plus que ça. Pas de photos, ils me prendraient pour un sorcier à abattre.

Arrivé à un village de pêcheurs aux abords de l’Amazone, je monte à la poupe d’un petit remorqueur pour descendre le fleuve, et rejoindre la ville de Manaus, épicentre historique de la déforestation amazonienne. En chemin, les abords boisés de la rivière se font de plus en plus silencieux jusqu’à en devenir totalement muets sur quelques kilomètres. Le temps d’une courte transition entre le grand opéra de la faune Amazonienne et l’écho pas si lointain d’un concert de pelleteuses disharmonieuses.

L’aube, par précaution j’accoste en amont du port de Manaus et poursuis ma route à pied. La végétation est couverte de fines particules poussiéreuses virevoltantes dans le ciel, faisant escale dans les troncs, les feuillages, au sol. Je trouve une route goudronnée et monte à l’arrière d’un pick-up d’ouvriers incrédules qui m’emmène droit en première ligne. Les yeux rivés sur la route qui défile, je découvre un champ de souches destiné aux futures plantations de soja et au loin, des arbres s’effondrant au sol après décapitation. Les ténèbres trinquent à la santé du chaos.

À l’approche de l’exploitation, je sautais de l’arrière du pick-up pour me tenir à l’écart du chantier et me cachais derrière un immense tas de bois en partance pour l’Europe. Cette pyramide atteignait les 8 mètres de hauteur et derrière elle, il y en avait d’autres toutes aussi grandes. Au-dessus de celles-ci s’échappaient d’épais nuages de fumée noire préliminant l’obscurité. La totalité du chantier était délimitée d’une longue clôture et d’un mirador avec en contrebas, un grand baraquement de taule faisant office de quartier général lui-même entouré d’un lieu de camp rudimentaire destiné aux ouvriers. Je photographiais la centaine de travailleurs armés de tronçonneuse qui – comme l’infanterie précédant les blindés – suivaient les camions à grue déjà en route pour décrocher leurs premiers troncs. Le jour se levait à peine et tous partaient à la conquête des richesses de la forêt amazonienne. Certains ouvriers devraient encore à l’école mais l’économie mondiale n’attend plus rien des savants. Il faut produire, il faut dézinguer, tête baissée. Sur le chantier, tout semblait se dérouler comme d’ordinaire lorsqu’à l’orée de la forêt jaillit subitement un fort groupe d’indigènes criards et peinturlurés d’argile rouge. Ils étaient armés de javelots d’arcs et de flèches.

« Os nativos ! » ; « Índios ! », tétanisés par cette vision, les ouvriers donnent l’alerte et prennent la fuite laissant champ libre aux assaillants pour saboter leur matériel. Un signal d’alarme retentit depuis le quartier général et une patrouille de jeep de l’armée brésilienne se dirige à toute vitesse en direction des rebelles désormais à couvert et prêts à combattre. Une première volée de javelots et de flèches blesse grièvement plusieurs soldats tandis que le reste d’entre eux déchargent leurs armes automatiques en direction du peuple des bois. Ces guerriers redoutables occupent parfaitement le terrain en se dissimulant derrière de larges souches de bois et les camions à bennes, profitant de tout répit pour décocher une flèche et se déplacer d’un abri à l’autre. Non sans compter quelques pertes, ils forment un demi-cercle autour du corps de jeeps qui en sous-nombre ne sait plus où faire feu.