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Depuis son jeune âge, Koda Gwyneth n’a qu’un seul rêve : devenir la meilleure danseuse de la contrée. Pourtant, elle ne sait pas que sa rencontre avec un mystérieux garçon aux yeux violets bouleversera sa vie. Une fois leurs desseins entremêlés, ils seront prêts à vivre des aventures aussi palpitantes les unes que les autres.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Pour
Angela Goncalves, la littérature est un besoin vital. L’écriture de
La pensée bleue lui a permis de s’échapper de la monotonie de son quotidien pour se réfugier dans un monde où les rêves et l’espoir sont plus proches de la réalité que de l’illusion.
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Seitenzahl: 290
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Angela Goncalves
La pensée bleue
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Angela Goncalves
ISBN :979-10-377-6499-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Dans le petit comté de Holly Town, le jour se leva une nouvelle fois. Le soleil resplendissait, haut dans le ciel, et nuançait les douces couleurs orangées des arbres qui annonçaient la fin de l’été. C’était un village, paisible d’ordinaire, dont le calme n’était rompu que par les soupirs et les cris des enfants.
Les journées ensoleillées étaient les préférées de Koda. Du haut de ses huit ans, elle aimait par-dessus tout courir dans les hautes herbes et rouler jusqu’au bas des collines, chose qu’elle ne pouvait faire lors des jours de pluie, sous le regard alors attentif de sa mère. La petite famille Gwyneth était composée de quatre membres. De l’union de Parod, le père et chef du village qui travaillait dans les champs en pleine journée tout en dirigeant les affaires de celui-ci et de Cassie, mère bienveillante qui s’occupait des tâches ménagères, naquirent Noji, jeune fille aussi belle qu’intelligente et Koda, la petite dernière aussi maligne qu’intrépide. Koda et Noji avaient huit ans de différence : leurs parents n’avaient pas de quoi subvenir aux besoins d’un petit nouveau, mais la nécessité d’une paire de bras supplémentaire pour les aider devint évidente. Cependant, cette raison n’était qu’accessoire pour Cassie, qui avait toujours rêvé d’avoir un deuxième enfant.
— Koda, arrête de bouger et viens mettre ta robe, ordonna Mme Gwyneth avec autorité.
— J’veux pas aller à la messe, pleura la jeune enfant.
— Elle pourrait rester ici, non ? Les enterrements ne sont pas appropriés pour les enfants…
— Elle ira un point c’est tout, Noji. Ne prends pas la défense de ta sœur quand il n’y en a pas besoin, gronda une voix grave qui fit sursauter les deux femmes.
— Oui papa, désolé… répondit sagement cette dernière.
— Koda s’il te plaît, il s’agit de l’enterrement de M. Phil, l’aubergiste. Tu sais il t’aimait beaucoup, il venait toujours nous offrir des chocolats quand il passait dans le coin, répliqua sa mère. C’est vraiment triste ce qui lui est arrivé…
Ce n’était pas tant la mort de M. Phil qui affligeait la cadette, mais le fait que tout le village serait présent. Koda avait un secret qu’elle s’abstenait de partager à sa famille mais dont ses camarades de classe n’hésitaient pas à se moquer. Koda voulait devenir danseuse. Danseuse professionnelle et mondialement connue. Lors de ses balades en montagne, elle avait déniché son lieu favori où elle pouvait s’adonner à sa passion, au bord d’un lac éloigné du chemin principal et à l’abri des regards.
Les rares fois où ses parents recevaient des journaux, elle arrachait les pages qui mentionnaient la Royal Academy, l’académie de danse la plus célèbre de la capitale, et les gardait dans une cabane vétuste qu’elle avait réussi à construire à l’aide de quelques bouts de bois alignés au bord du lac. Rentrer dans cette académie était synonyme de gloire et de réussite. Cependant, en parler à ses parents ne pouvait être qu’une mauvaise idée : elle avait conscience que son père avait soit l’intention de la marier à une famille de médecins soit, dans le cas où elle refuserait, les champs et les travaux domestiques l’attendaient.
Elle n’en avait pas non plus parlé à sa sœur aînée malgré la complicité qu’elle entretenait avec cette dernière, mais elle n’était pas dupe : elle savait que Noji l’avait déjà suivie maintes fois dans son repaire secret et l’observait silencieusement à travers les buissons, toujours un sourire aux lèvres. Ce qu’elle ne savait pas c’était que seule la fierté envahissait son aînée quand elle la voyait danser. Ses sauts de chat, tourniquets et autres pas de danse la rendait gracieuse, tel un cygne se mouvant dans l’eau.
Koda se regarda une dernière fois dans le miroir. Elle ne s’habilla jamais aussi bien qu’aujourd’hui et elle en était heureuse, même si elle essayait de ne pas le montrer. Elle se trouvait jolie, avec ses grands yeux bleu marine et ses cheveux longs tressés, de la même couleur, qui s’accordaient finalement bien avec la couleur ébène de sa robe. Elle voulait être jolie, comme toutes les danseuses de la Royal Academy.
— On y va Koda ? Papa et maman nous attendent, fit sa sœur enjouée.
La cadette se retourna et fut émerveillée. Son modèle de beauté avait toujours été sa sœur, qui resplendissait toujours de mille feux. Noji avait, contrairement à elle, hérité des cheveux noirs de son père et des yeux de cette même couleur sombre et profonde. Koda savait bien que ce regard ténébreux était ce qui plaisait le plus aux nombreux prétendants qui courtisaient son aînée.
— T’es si belle Noji ! Pourquoi je n’ai pas eu cette chance aussi, dame nature ne doit pas beaucoup m’aimer...
Son aînée pouffa gentiment et lui embrassa doucement la joue, ce qui laissa Koda aux anges.
— À mon âge, tu seras encore plus belle que je ne le suis, ce ne sera pas compliqué, j’en suis persuadée ! Et puis, la beauté n’est pas tout ce qui compte, il y a des choses bien plus importantes, par exemple ici… lui répondit-elle en posant sa paume sur son cœur. Fie-toi toujours à lui, il te dira toujours la vérité.
Koda la regarda, l’air ahuri.
— Mais le cœur ne peut pas parler !
Sa sœur rit puis lui prit la main pour l’emmener auprès de leurs parents. Le chemin jusqu’au cimetière fut très bref, il n’était qu’à dix minutes de marche, plus bas dans le village. Koda courut la plus grande partie de la balade ce qui lui valut des rappels à l’ordre de sa mère.
— Koda ! Si tu cours encore tu vas finir par tomber et déchirer ta robe, ce sera à toi de la recoudre, s’inquiéta sa mère.
Son père prit cette discussion à cœur et alla chercher la plus jeune fermement par le poignet et lui tira l’oreille de son autre main en lui criant d’obéir à sa mère.
— Parod, arrête ! paniqua Mme Gwyneth. Ce n’est qu’une enfant ! Ne fais pas de scènes inutiles, je t’en prie, pas aujourd’hui, c’est un jour déjà bien assez triste, tu ne trouves pas ?
— Tu es bien trop compatissante avec cette bonne à rien, s’enquit le père avec énervement.
Noji accourut auprès de sa sœur dont les larmes n’allaient pas tarder à couler, puis elles marchèrent main dans la main silencieusement, s’éloignant pas à pas de leurs parents. Elles étaient bien trop habituées à ces disputes et ne souhaitaient jamais envenimer les choses, alors garder le silence restait la meilleure des solutions.
Leur route les amena à traverser les ruelles pavées qui entouraient les nombreux champs du petit village.
— Regarde Noji comment les vaches de M. et Mme Stanley ont l’air heureuses en broutant l’herbe ! Tu crois qu’elle a bon goût ? s’exclama la cadette l’eau à la bouche, toujours l’oreille rouge et douloureuse.
— Ta gourmandise te perdra, commenta-t-elle un sourire aux lèvres.
Une fois arrivées à l’église et rejointes par leurs parents, la famille s’installa sans faire de bruit au fond de la bâtisse, puis Parod se leva et marcha rapidement jusqu’à l’autel où il salua leur divinité, puis prit la parole.
— C’est avec regret, mes chers compagnons, que nous devons nous séparer de ce cher monsieur Phil. Rendons-lui hommage…
Koda n’arriva pas à suivre jusqu’à la fin le discours du chef du village, trop concentrée à masser son oreille encore douloureuse. Elle suivit sa famille lorsqu’elle devait recevoir la bénédiction du saint Yggdrasil puis sortit de l’église, où la cérémonie se poursuivait à l’extérieur du vieux bâtiment. Ce fut sans grande surprise qu’elle entendit des chuchotements à son égard. Elle reconnut alors deux garçons et une fille de son école devant qui il lui arrivait de danser. Cette enfant ne se souciait que très peu voire aucunement du regard des autres et n’hésitait pas à leur demander de regarder ailleurs s’ils se moquaient d’elle ou s’ils n’aimaient pas ce qu’elle faisait. Quand elle commençait à danser, elle se retrouvait dans une bulle que personne d’autre, mis à part elle, ne pouvait atteindre. Si Koda connaissait les termes « harmonie avec la nature », c’est sans doute ce qu’elle dirait pour qualifier la danse.
Elle les ignora alors en priant de toutes ses forces pour que sa famille, du moins son père, ne les écoutât pas. Son nom fut chuchoté plus bruyamment, alors sans plus tarder, elle écrasa le pied du fautif qui gémit de douleur, en le menaçant du regard.
— Si quelqu’un d’autre veut rendre hommage à ce cher M. Phil, et bien qu’il prenne la parole, demanda le prêtre à la communauté.
— Koda veut dire quelque chose, s’écria celui à qui le pied faisait encore souffrir.
Koda devint rouge d’embarras lorsqu’elle sentit le regard de son père à la fois furieux et intrigué se poser sur elle. Elle bégaya, voulut corriger la mesquinerie de son camarade mais la fille qui prenait également part aux ragots la coupa :
— Non, elle ne veut rien dire, elle veut danser ! C’est tout ce qu’elle sait faire, elle veut même en faire son métier plus tard, se moqua-t-elle sans pudeur. La Royal Academy n’accueille pas des moches pareilles, ma pauvre.
Les garçons eurent un violent fou rire sous l’incompréhension de la foule. L’ambiance devint de plus en plus insoutenable, la tension était palpable. Alors qu’elle essayait de trouver du soutien dans le regard de sa mère et de sa sœur, elle ne vit que de l’inquiétude dans leurs yeux, et Koda savait très bien qui était la source de cet ennui : il ne s’agissait de nul autre que son père. Prise de panique pour la première fois depuis longtemps, elle ne sut rien faire d’autre que fuir, tête baissée. Arrivée à la fontaine du village, en amont du cimetière, elle se retourna enfin et aperçut de loin le visage rouge de son père, qui dut se sentir humilié et très en colère contre elle. Que penserait le village en voyant la cadette du chef prendre ses jambes à son cou à l’annonce d’un rêve aussi pitoyable ? Elle crut avoir croisé le regard de son paternel, puis elle reprit sa course, cette fois les larmes aux yeux.
Sans s’arrêter, elle sentait le vent lui parcourir l’échine. Ses tresses flottaient au gré de la brise et bondissaient sur ses fines épaules. Elle apercevait le changement de paysage : du village pavé de pierres, elle rejoignit vite les arbres orangés qui bordaient la rue principale. Elle passa par-dessus une clôture et par habitude, se rua vers le cœur de la forêt qu’elle connaissait si bien.
Une dizaine de minutes de course plus tard, elle se retrouva dans son repaire secret. La jeune enfant jeta un coup d’œil aux alentours s’assurant que personne ne la suivait. C’est alors qu’elle entendit une cohue de pas qui se dirigeait vers elle, ce qui la fit se précipiter dans son étroite cabane.
— Arrête-toi tout de suite, bandit !
Koda vit un jeune garçon d’à peu près son âge, poursuivi par trois hommes qui portaient l’uniforme de l’armée royale et qui arboraient un air effrayant. Elle connaissait bien cet uniforme pour avoir vu de nombreuses fois les soldats patrouiller et réclamer les impôts dans le petit village d’Holly Town. Elle comprit la détresse du garçon sans en pouvoir expliquer la raison et voulut lui crier de venir se réfugier, mais elle ne pouvait le faire sans que les hommes ne l’entendent ou ne la voient. Elle continua d’observer la scène, et alors qu’elle se demandait par tous les moyens comment elle pouvait se faire remarquer par le jeune enfant, celui-ci croisa son regard.
Même s’il se trouvait loin d’elle, elle vit non sans mal une lueur violette se dégager de ses yeux, un violet percutant qu’elle n’avait jamais vu auparavant. D’une seconde à l’autre, elle était comme tombée sous le charme de ce regard électrifiant. Les poursuivants la ramenèrent à la réalité par le bruit excessif de leur course, lorsqu’elle aperçut à ce même moment un objet d’une taille infime tomber du manteau du garçon aux yeux violets.
Koda attendit que les quatre individus disparaissent enfin pour partir à la recherche de l’objet. Après de longues minutes de fouille qui lui semblaient interminables, elle vit finalement l’objet de sa convoitise attiser sa curiosité.
— Yahou ! s’écria-t-elle joyeusement.
Il s’agissait d’un anneau, avec une pierre d’un violet aussi hypnotisant que les yeux de l’enfant.
— Maintenant, tu es à moi, jusqu’à ce que je retrouve ton propriétaire, se promit-elle en l’enfilant autour de son doigt.
La jeune fille prit ensuite le chemin inverse, cet incident lui ayant fait oublier la raison de sa venue. Surexcitée à l’idée d’avoir trouvé un bijou aussi merveilleux, elle ne fit pas attention au bout de tissu appartenant à sa robe, resté accroché à la clôture par-dessus laquelle elle avait bondi lors de sa fuite. Un courant d’air le fit s’envoler, loin dans l’horizon.
— Koda !
La dénommée reconnut la voix effarée de sa sœur, qui l’attendait à l’orée des sous-bois.
— Noji, tu devineras jamais ! J’ai rencontré quelqu’un d’extraordinaire, s’enthousiasma la cadette.
— Tu me raconteras ça après, papa est furieux contre toi. Maman essaye de le raisonner mais…
Koda sentit la voix de son aînée se briser à la fin de sa phrase mais elle comprit pourquoi. Son cœur se mit à battre férocement contre sa poitrine. Elle détestait ce sentiment d’angoisse qui surgissait chaque fois que sa mère devait prendre sa défense auprès de son père. Cela ne se faisait jamais sans cris et encore moins sans violence. Elle allait toujours voir sa mère les larmes aux yeux en lui disant de ne plus la protéger, qu’elle préférait être la victime des coups de son père. Mais ce n’était pas l’avis de sa mère qui lui répétait que tant qu’elle serait là, rien ne pourrait lui arriver. La culpabilité ne quittera jamais l’esprit de Koda.
— Vite, il faut rentrer ! s’écria Koda qui s’était mise à courir.
— Non, Koda.
La voix de sa sœur était ferme et autoritaire, mais elle était surtout brouillée de sanglots. La petite fille ne supportait pas de voir ses proches souffrir autant. Ses pensées allaient de sa mère à sa sœur et les larmes lui montèrent aux yeux à chaque battement accéléré de son cœur.
— Mais Noji, c’est moi que papa cherche, tu sais bien qu’il ne faut pas laisser maman seule !
— Mais si t’y vas, c’est toi qui souffriras ! Je ne veux pas qu’il te fasse du mal, pas à ma petite sœur… sanglota Noji.
— Et maman, alors !
Noji essayait de contenir ses larmes tant bien que mal.
— Je ne veux pas qu’il lui fasse de mal non plus… pleura-t-elle en prenant son visage dans ses mains.
Koda sentit son cœur se briser devant cette scène. Sans pouvoir y assister plus longtemps, elle partit en courant en direction de chez elle, laissant son aînée derrière elle. Cette dernière essaya de l’appeler une énième fois, le bras tendu vers elle et les yeux brouillés de larmes.
Arrivée devant chez elle, la jeune fille ne se rendit même pas compte que la porte d’entrée était restée entrouverte. Elle entra en appelant sa mère, sans aucune réponse, puis elle tendit l’oreille et suivit ce qui lui semblait être des reniflements. Derrière la porte de la chambre des parents, Mme Gwyneth était en pleurs, recroquevillée sur elle-même.
— Maman !
Sa mère la regarda avec peine. Koda laissa échapper un cri quand elle vit l’œil de sa mère tourner au violet et son nez rougi par le sang.
— Pourquoi… ? demanda l’enfant tout en essayant de contenir son chagrin avant de se jeter dans les bras de Mme Gwyneth.
Cette dernière tenta de rassurer sa fille en lui caressant le derrière de son crâne, et une fois que sa vue commença enfin à s’éclaircir, elle distingua l’objet qui dégageait une lueur améthyste autour du doigt de l’enfant.
— C’est une jolie bague que tu as là, dis-moi.
— Tu as vu ça ! Tu devineras jamais, elle est tombée de la poche d’un garçon avec des yeux aussi violets que cet anneau !
La mère la regarda les yeux écarquillés exprimant à la fois l’effroi et la stupeur.
Aussitôt qu’elle eut dit ça, la porte de la chambre s’ouvrit brusquement sur deux gardes de l’armée royale, et Koda eut un mouvement de recul. Elle aperçut sa sœur arriver dans le couloir et se diriger vers elle à grands pas.
— Qu’as-tu dit ? demanda le plus âgé des deux policiers.
— Quand je parlais du garçon aux yeux v… voulut répéter la jeune fille.
— Verts ! Aux yeux verts, reprit Noji essoufflée.
— Elle allait dire violet, non ? redemanda l’autre garde.
— Elle a des problèmes avec les couleurs, mais j’étais avec elle, et le garçon avait des yeux verts, mentit-elle à nouveau.
— Mais Noji, il avait les yeux…
Koda ne put finir sa phrase, sa mère lui pinçant le bras.
— Très bien, fit le policier, les sourcils froncés. Dans ce cas, mon collègue et moi allons prendre congé. Nos salutations, messieurs dames.
— Merci beaucoup d’avoir accordé une once de votre temps, messieurs. N’hésitez pas à revenir si la moindre question vous vient à l’esprit, remercia M. Gwyneth. Passez une bonne journée.
Une fois qu’ils furent partis, tous les regards se braquèrent sur l’enfant de huit ans. Ceux curieux de sa mère et de Noji, et celui énervé de son père. Ce dernier s’approcha d’elle et lui colla une gifle monumentale. Elle plaqua de suite sa main contre sa joue pour calmer la sensation de brûlure et vit les deux autres femmes baisser les yeux.
— Mais bon sang, où étais-tu passée ? s’écria Parod. Tu nous humilies devant tout le village et tu t’enfuis ? La danse, mais ah ah, que cette blague était drôle ! Les enfants du village ont beaucoup d’imagination, ça, c’est certain !
— Mais papa, ce n’est pas une…
— C’est une blague, un point c’est tout, insista-t-il fermement. Regardez ce que vous me poussez à faire. Toujours à me faire passer pour le méchant de l’histoire.
La jeune fille baissa le regard, puis attendit silencieusement que son père s’en aille, regardant sa femme et sa fille aînée avant de claquer la porte de la chambre dans un soupir. Les trois femmes attendirent quelques minutes, puis Noji et leur mère prirent la plus jeune dans leur bras, dont la gorge était à nouveau serrée.
— Alors tu as vu un garçon aux yeux violets, c’est vrai ? demanda Noji.
— Oui ! Mais pourquoi vous ne me laissiez pas le dire ?
— Ils sont venus nous demander si on savait où se trouvait ce garçon… On aurait eu plus d’ennuis si c’eût été le cas, répondit sa mère.
— Koda, il faut que tu saches que les personnes aux yeux violets sont rarissimes et… pour cette raison, elles sont traitées d’erreurs de la nature et sont « chassées » par la plupart des hommes… Elles vivent recluses de la société, là où personne ne pourrait leur chercher d’ennuis.
— Mais c’est horrible ! Leurs yeux sont tout simplement magnifiques !
— C’est peut-être injuste, mais je te demande de ne plus t’en approcher, de loin ou de près. Ça ne fera que créer des problèmes, et on en a déjà assez, tu ne trouves pas ? questionna Mme Gwyneth.
Koda observa son œil amoché et acquiesça, les yeux baissés.
— Pardon, maman. Je n’y retournerai plus, je te le promets.
Sa mère la prit dans ses bras, et l’accolade fut bientôt rejointe par l’aînée.
— Mais je rêverais de voir ma fille danser si tu me le permets, reprit Mme Gwyneth.
Koda sourit alors, et resserra un peu plus son étreinte, avant de quitter la pièce et retourner dans sa chambre. Allongée sur son lit, elle contempla une dernière fois le bijou, puis le serra dans sa paume.
— Je sais que tu me protégeras, dit-elle en s’endormant paisiblement.
Koda n’avait pas passé une seule journée sans cette bague pendant les six années qui s’étaient écoulées depuis. Elle avait maintenant quatorze ans et semblait être totalement différente de celle qu’elle était six ans auparavant. Le départ de sa sœur lui avait appris à devenir plus mature et à se comporter comme elle : elle aidait aux différentes tâches ménagères sans que sa mère n’eût besoin de le lui demander. L’été, elle était toujours la première réveillée quand il fallait récolter les nombreuses pommes de terre, ce qui faisait la fierté de ses parents. Quant à son père, il avait beaucoup moins de choses à lui reprocher, mais elle n’accordait tout de même plus beaucoup de temps à la danse et avait complètement délaissé son repaire qui pourtant avait été pendant longtemps entretenu, par peur de croiser à nouveau ce regard violet : elle en avait fait la promesse à sa mère.
Le dimanche restait néanmoins son jour préféré. Les Gwyneth se rendaient en famille à la messe matinale et l’après-midi, sa sœur venait leur rendre visite à l’heure du thé. L’année de ses dix-huit ans, Noji avait épousé Dylan Carver, le jeune médecin du village voisin qui avait repris le cabinet de son père. Koda trouvait leurs douze années de différence étrange, mais à la vue de son père satisfait de ce mariage, elle n’y pensa plus.
Son aînée était toujours la même, consciencieuse et bienveillante, et profitait de ce jour pour ne rester qu’en compagnie de Koda. Elle culpabilisait de l’avoir laissée seule avec ses parents alors qu’elle savait mieux que quiconque à quel point certaines situations pouvaient dégénérer.
— Alors Koda, comment vas-tu ces derniers temps ?
Les deux sœurs s’étaient isolées du reste de la famille et avaient pris place sur des tabourets de la cuisine. Elles pouvaient toujours entendre les conversations de leurs parents mais elles réussirent à en faire abstraction.
— Ça va, papa ne nous crie plus vraiment dessus. Il a l’air de plus en plus épuisé à cause de sa maladie, et n’arrête pas de répéter qu’il n’en a plus pour très longtemps.
Noji émit un long soupir.
— Moi ça ne me fait ni chaud ni froid, commenta la cadette.
— Je comprends Koda, mais il s’agit de notre père, on ne peut pas dire des choses pareilles…
— Après tout ce qu’il nous a fait !? Noji, j’ai mis mon rêve de côté par sa faute ! Je me suis tuée à la tâche pendant tout ce temps pour que ton absence se fasse moins ressentir. Et c’était d’autant plus frustrant de savoir que je ne pourrais jamais t’égaler…
— C’est très honorable de ta part Koda, je t’assure que tu as fait ce qu’il y avait de mieux à faire. Maman a l’air beaucoup plus épanouie et papa a l’air d’être… moins lui je dirais. Mais tu as complètement oublié ton rêve ?
— Oui et non… Il m’arrive quelquefois de danser devant maman quand on se retrouve seules, et je lui ai déjà parlé de vouloir intégrer la Royal Academy ! Elle me soutient dans ma vocation mais papa… J’ose même pas imaginer sa réaction… Et puis j’ai déjà quatorze ans ! Les danseuses professionnelles de l’école sont généralement à peine plus âgées que moi…
Noji se leva en faisant grincer son tabouret et mit son index devant la bouche de sa cadette.
— Ah non, tu ne vas pas baisser les bras pour une question d’âge ! Tu as déjà fait tellement pour papa et maman, il serait temps que tu penses à toi !
Celle aux cheveux bleus haussa les épaules d’indifférence.
— En parlant d’âge, ça ne te chiffonne pas que Dylan ait douze ans de plus que toi ?
— Ah euh, au début si, ça me paraissait être bien plus un mariage arrangé qu’autre chose, mais on a appris à se connaître et… la nature fait bien les choses, répondit l’aînée avec de nombreuses rougeurs lui parsemant le teint.
Koda remarqua que sa sœur avait posé ses yeux et ses mains sur son ventre, comme s’il s’agissait là d’un instinct maternel.
— Noji ! tu es enceinte ! s’écria-t-elle, ce qui avait interrompu les conversations, dérangées par le cri de la cadette.
— Chut ! paniqua Noji.
— Koda moins fort, on ne s’entend plus parler dans cette cuisine ! intima leur père d’une voix grave.
Son aînée lui plaqua les mains sur la bouche, son visage devenant de plus en plus rouge.
— C’est l’anniversaire de Dylan dans deux jours, je comptais le lui annoncer comme cadeau… Il voulait que je lui donne un enfant depuis si longtemps maintenant, on a eu un peu de mal au début…
— Je vous envie toi et lui, vous avez l’air d’être heureux et il a l’air sympa, même si j’ai pas eu beaucoup d’occasions pour apprendre à le connaître. Je me demande si quelqu’un voudra bien de moi…
La brune émit un faible rire, puis un éclair passa dans ses yeux, qui les écarquilla.
— Je sais ! Dylan m’a parlé de ses amis d’une noble famille qui habite la capitale ! Si tu leur tapes dans l’œil, tu pourras peut-être épouser l’un d’entre eux et vivre à Royal Town. Tu seras plus proche de ton rêve ! Et puis, papa ne pourra qu’accepter s’il s’agit de la capitale.
Koda sourit et laissa la joie envahir son visage, qui rayonnait tel un soleil d’été.
— Waouh, Noji, c’est une idée géniale ! Mais est-ce que c’est vraiment bien de laisser maman seule ici… ?
— Pense un peu à toi pour une fois ! Belle comme tu es tu ne voudrais pas laisser passer cette chance, si ? J’en parlerai à Dylan ! et je m’occuperai de maman cette fois-ci, crois-moi.
La cadette rougit suite au compliment qu’elle venait de recevoir puis acquiesça.
— Oh, d’ailleurs je voulais te montrer ce que j’avais fabriqué cette semaine ! J’ai suivi des explications dans un journal et je voulais qu’on l’essaye aujourd’hui.
Koda partit dans sa chambre et revint avec un objet plutôt large auprès de sa sœur.
— Un cerf-volant ! s’écria Noji. Il est magnifique, il faut qu’on aille l’essayer dehors !
— Oui, mais je ne sais pas si c’est recommandé pour les femmes enceintes…
Noji pouffa et donna un coup de coude à sa sœur. Une fois dehors, elles déroulèrent le fil relié à un bout de bois épais pour observer le cerf-volant s’élever dans les airs. Il était jaune et orange et avait été fabriqué à partir de feuilles dont Koda ne se servait plus pour l’école.
Par malchance, elles ne pensaient pas qu’un soleil éclatant pouvait cacher une bourrasque intense. En un coup de vent, le bout de bois leur échappa et le cerf-volant se dirigea vers le petit bois. Koda entendit sa sœur émettre un son de tristesse et la rassura.
— J’y vais, ne bouge surtout pas !
La plus jeune partit en direction du petit bois puis avant de franchir la clôture comme elle avait l’habitude de le faire, elle hésita quelques instants. La journée où elle avait rencontré le jeune garçon lui revint en tête avec une telle clarté qu’elle eut l’impression d’y être. Le cerf-volant passa au-dessus de sa tête et la rappela à l’ordre. Sans plus attendre, elle passa la clôture et se mit à courir en direction du lac.
Après une course effrénée au milieu des arbres, Koda aperçut enfin le cerf-volant atterrir dans un buisson, non loin de son ancienne cabane. Elle allait s’y diriger quand elle se rendit compte que sa cabane paraissait comme neuve, comme si elle n’avait jamais été abandonnée. Elle s’attendait au contraire à ce qu’elle ne retrouve que des vestiges. C’est là qu’elle vit un jeune homme accroupi au bord du lac, aiguisant ce qui lui semblait être une épée.
La bleue hésita grandement. Elle se dit qu’il pouvait s’agir d’une jeune recrue de l’armée royale partie en expédition ou simplement d’un chasseur en quête d’une nouvelle proie. Elle s’apprêtait à lui faire remarquer sa présence lorsqu’elle se reprit : s’il s’agissait d’un vagabond, ou pire, d’un vagabond aux yeux violets, elle ne se le pardonnerait jamais.
Koda se prit la tête dans les mains brusquement, ce qui fit craquer les brindilles sous ses pieds. Le garçon à l’écoute tourna furtivement sa tête et envoya sans prévenir un caillou d’une telle force qu’il réussit à laisser une marque sur le tronc qui se trouvait derrière la jeune fille.
— Mais vous êtes malade ! Un peu plus à côté et vous auriez eu de l’humaine pour le déjeuner !
— C’était peut-être mon but, fit le garçon avec insolence.
Koda déglutit. Puis, elle se consola en se disant qu’il n’avait pas les yeux violets, mais des yeux d’un gris profond.
— Je ne veux pas vous embêter, je veux juste récupérer mon cerf-volant.
Le jeune homme lui pointa l’objet de sa convoitise du bout de son épée et lui fit signe qu’elle pouvait passer. Elle se précipita vers le buisson et se dépêcha de le récupérer. Elle voulait seulement s’éloigner le plus rapidement possible de cet individu.
— Merci beaucoup, et bonne journée, se risqua-t-elle poliment.
Elle passa devant lui à grands pas quand elle le sentit lui prendre la main, ce qui la fit sursauter. Elle retira sa main instantanément, embarrassée de ce contact si soudain.
— Où as-tu trouvé cette bague ? lui demanda-t-il avec autorité.
— Pardon ?
— Cette bague, où l’as-tu trouvée ?
— Euh, ici, quand j’avais huit ans… répondit-elle avec hésitation.
— Rends-la-moi, intima-t-il d’une voix ferme.
— Je me suis juré de la remettre en mains propres à son propriétaire et vous n’avez pas les yeux violets donc elle ne vous appartient pas !
Le jeune homme l’observa, l’air perdu, puis se mit à rire d’une voix douce.
— On me l’a volée il y a quelques années, celui qui possédait ces yeux était le coupable. Il a été arrêté puis mis aux cachots, mais personne n’a pu retrouver ce qui m’appartenait. Mais toi si. Alors, rends-la-moi, maintenant.
— Yolan, on t’a pas appris à dire s’il te plaît aux jeunes demoiselles ? Tu vas lui faire peur, la pauvre. Ce n’est qu’une petite femme sans défense, fit une voix rauque.
Koda frissonna quand elle entendit une nouvelle voix s’approcher d’eux. Le dénommé Yolan, lui, ne bougea pas d’un centimètre, comme s’il avait prédit que son camarade allait arriver à ce moment-là. Elle prit un instant pour observer les deux hommes qui se trouvaient face à elle. Yolan avait des cheveux pourpres plutôt courts et présentait une musculature assez fine, ses vêtements plutôt amples ne permettaient pas à Koda de déterminer sa morphologie. Mais elle craignait que derrière ces habits soit cachée une minceur frôlant l’anorexie.
L’homme qui venait d’arriver, quant à lui, avait de longs cheveux noirs rassemblés en une queue de cheval et des yeux aussi sombres que ceux-ci. Cette obscurité qui lui semblait bienveillante chez Noji n’était que malsaine chez cet individu. Il semblait un peu plus âgé que Yolan mais restait tout de même jeune, Koda ne lui donnait pas plus de vingt-cinq ans.
— J… je ne veux pas vous embêter plus longtemps, excusez-moi de vous avoir dérangés, bégaya la bleue.
— Oh non, ma belle, ne joue pas la princesse en détresse, ça fait fondre mon petit cœur, continua l’homme qui venait d’arriver.
— Tais-toi Rob, sers à quelque chose et va chercher Jazz, tu sais bien qu’il a tendance à se perdre, ordonna Yolan.
L’homme aux cheveux ébène poussa un juron et repartit s’enfoncer dans la forêt. La jeune fille comprit suite à cette discussion qui était le chef de la bande. Une fois que Rob n’était plus visible, le regard reconnaissant de Koda croisa celui de Yolan.
— Tu pensais pouvoir partir sans m’avoir rendu l’anneau ? C’est de l’argent que t’attends en retour ? Je suis désolé mais t’en trouveras pas ici, on n’a pas un sou à dépenser pour la première venue.
— Quoi ? Bien sûr que non !
— Alors, donne-la-moi, je t’en supplie.
Son ton avait l’air chargé en émotions. Elle crut même apercevoir un reflet violet dans ses yeux gris puis elle se frotta les yeux pour calmer ses hallucinations.
— De la reconnaissance en retour m’aurait suffi, mais elle a l’air de compter pour vous, dit-elle en lui tendant le bijou.
— … Pour toi, la corrigea-t-il, tu peux me tutoyer, je ne suis pas d’une haute classe comme ils aiment tant l’appeler et je ne pense pas être bien plus vieux que toi.
— J’ai quatorze ans, renchérit-elle.
— Je ne faisais pas la conversation. Allez, file Koda.
— Comment tu… ?
— Quelqu’un t’appelle depuis tout à l’heure dans cette direction et je ne connais pas d’autre Koda. J’en déduis donc que c’est toi.
La jeune fille entendit enfin la voix cristalline de sa sœur.
— Zut, Noji !
Koda regagna l’orée du bois en courant, le cerf-volant bien serré contre elle. Elle aperçut son aînée qui l’attendait derrière la clôture.
— Je l’ai retrouvé accroché dans un buisson !
— Super, mais t’en as mis du temps, qu’est-ce qui t’a retenue ?
La fillette réfléchit rapidement. Faire part de sa rencontre ne ferait que rendre sa sœur suspicieuse et s’inquiéter pour quelque chose de futile.
— J’ai revu mon lieu préféré auprès du petit lac…
— Ah, tu parles de l’endroit où tu dansais petite ?
— J’ai toujours su que tu me suivais quand j’allais là-bas !
— Eh, j’ai toujours adoré te voir danser, c’était plus fort que moi ! Et j’espère que j’aurais à nouveau cette occasion et que lui aussi pourra avoir cette chance, dit-elle en caressant son ventre.
— Bien sûr, tout pour mon futur neveu ou ma future nièce !
Les deux filles plaisantèrent encore un bout de temps puis rentrèrent chez elles, bras dessus, bras dessous. Le cerf-volant virevoltait haut dans le ciel se confondant parmi les nombreux oiseaux dont le vol signait le retour du printemps.