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Au-delà d’une évocation des faits qui ont marqué l’évolution de l’espèce humaine et qui sont à l’origine de la lente transformation de sa condition, ce voyage, tel qu’il nous est raconté, nous entraîne dans une réflexion plus profonde sur le sens et l’aboutissement du fabuleux voyage de l’Humanité dans lequel, à tour de rôle, nous sommes tous à la fois spectateurs et acteurs. Ce livre nous rappelle que comprendre la raison des choses, tout en acceptant de ne pouvoir en expliquer le pourquoi, a toujours été l’obsession de l’Homme et en fait sa singularité. Là est le moteur du Grand Voyage de l’Humanité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Poulat comprend que l’écriture, au-delà de l’apaisement qu’elle procure, permet à la pensée d’aller plus loin que la parole quotidienne. En accordant du temps à son imagination, cet art ouvre les portes à un voyage différent, plus intérieur, qui surprend et mène à des terres inconnues. Là où notre pensée nous mène, c’est là que se situe notre vie.
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Seitenzahl: 321
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Bernard Poulat
La pensée guide notre voyage
© Lys Bleu Éditions – Bernard Poulat
ISBN : 979-10-377-9843-5
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Le chemin parcouru par l’Humanité témoigne de son incroyable capacité à construire et à inventer son futur, sans savoir elle-même ce que demain sera. Aussi petits que nous soyons, nous sommes cependant les bâtisseurs de ce formidable voyage comme le furent les poussières d’étoiles pour l’Univers tout entier.
Ce livre débute par un voyage dans notre passé pour que nous n’oubliions pas que nous sommes tous individuellement et collectivement le fruit de notre passé.
Le futur s’imagine, le présent peut être différent du futur que nous nous étions imaginé, le passé est plus que notre mémoire, il est notre identité.
Le passé, mémoire d’un présent vécu, ne peut donc être ni effacé ni modifié pour devenir plus conforme à ce que nous voudrions qu’il soit.
Notre passé est responsable de ce que nous sommes aujourd’hui. Il structure notre pensée, nos jugements, notre comportement. Plus encore, il est l’Histoire des désirs, des aspirations, des rêves de ceux qui ont vécu avant nous.
Notre présent est la conséquence de faits et de décisions qui appartiennent au passé.
Et notre avenir, écrit avec un « A » ou un « a », ne s’écrira pas à partir d’une page blanche, mais il sera celui rendu possible par l’extraordinaire accumulation des expériences et découvertes faites par l’espèce humaine depuis qu’elle est apparue, il y a plus de sept millions d’années.
À travers ce livre qui n’est pas un ouvrage historique, l’auteur a simplement tenté de rappeler à ceux d’entre nous qui n’étaient pas passionnés par l’Histoire, lorsqu’ils étaient sur les bancs de l’école, que notre société occidentale résulte d’une succession de faits historiques avérés, communs à l’humanité entière, ou spécifiques à notre culture, qui sont brièvement décrits dans ce livre. Il n’est donc pas anormal que d’autres peuples qui n’ont pas partagé la même Histoire puissent penser différemment.
Matthieu, le personnage principal de ce livre en fera souvent le constat lors de ses différents voyages à travers le monde.
Pour illustrer ce point de vue, l’auteur propose de nous faire voyager dans le temps en retraçant l’évolution des différents modes de vie, depuis l’apparition des premiers êtres humains jusqu’à notre époque. Chemin faisant, l’auteur évoque certains faits de l’Histoire des différents peuples qui permettent de mieux comprendre leurs différences culturelles et leurs aspirations.
Mais au-delà d’un rappel des faits qui ont marqué l’évolution de l’espèce humaine, et qui sont à l’origine de la lente transformation de sa condition, ce voyage, tel qu’il nous est raconté, nous entraîne dans une réflexion plus profonde sur le pourquoi, le sens et l’aboutissement du fabuleux voyage de l’Humanité dans lequel, à tour de rôle, nous sommes tous à la fois spectateurs et acteurs.
Bien que d’après l’auteur le sens et la finalité de ce voyage nous soient inaccessibles, il serait faux de croire que les évolutions successives de Sapiens, de son statut de chasseur-cueilleur en l’Homme moderne, aient été prédéterminées, ou qu’elles soient les fruits de hasards. Au contraire, elles résultent de cette faculté unique donnée à l’espèce humaine, la pensée.
Cette faculté à penser, c’est-à-dire à imaginer, à concevoir et à construire ce que l’homme ne voit ou ne connaît pas, à comprendre son environnement pour sans cesse en repousser les limites, a toujours été et restera à l’origine des évolutions successives du monde dans lequel chacun de nous fait un bref passage.
Ce livre nous rappelle que comprendre les raisons des choses tout en acceptant de ne pouvoir en expliquer le pourquoi a toujours été l’obsession de l’Homme, et en fait son originalité. Là est le moteur du Grand Voyage de l’Humanité.
Nous qui vivons au XXIe siècle, nous sommes, pour un court moment encore, le dernier maillon de cette longue chaîne. Alors, ne nous croyons pas ni plus ni moins intelligents que les générations qui nous ont précédés, mais reconnaissons plutôt que notre capacité à inventer, à modifier s’est fortement accrue grâce aux efforts faits par nos prédécesseurs.
Soyons reconnaissants de ce qui a été accompli par chacune des générations qui nous ont précédés, et veillons à ce que l’empreinte que nous laisserons ne soit pas la caractéristique de notre égoïsme, mais au contraire celle d’une volonté à privilégier le bien-être collectif.
N’oublions pas que notre devoir et notre responsabilité sont de transmettre à la génération future une planète saine et des conditions de vie équilibrées et équitables comme le firent les générations précédentes.
Mais au-delà des prochaines générations qui vont probablement mettre en place ce que nous anticipons déjà, ce à quoi va ressembler notre monde dans un avenir beaucoup, beaucoup plus lointain nous est totalement inconnu.
Sapiens existera-t-il encore ? Ou bien, en obéissant aux lois de la biologie qui sans cesse explore l’étendue des possibles pour n’en choisir qu’un seul, Sapiens aura-t-il été remplacé par une nouvelle espèce, lui qui, il y a 200 000 ans environ, s’imposa face aux autres espèces humaines ?
Nul ne peut répondre à cette question.
Certains tenteront d’apporter des réponses en s’appuyant sur les lois de la physique et de la biologie, d’autres en rattachant cette question au sens qui doit être donné à l’existence de cet être de pensée, si seul dans un monde peuplé de milliards d’espèces vivantes différentes.
Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé, car les évènements de ce monde ont en tout temps eu des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par les hommes animés des mêmes passions, ces évènements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats.
Nicolas Machiavel
Marcher n’est pas voyager et dans la grande histoire de l’humanité le voyage apparaîtra avec la pensée. L’animal marche, se déplace pour chasser ou pour trouver sa nourriture et donc le fait d’instinct, pour survivre. Il ne voyage pas.
Certes, certains parcourent de longues distances pour trouver eau et nourriture mais leurs déplacements sont guidés par une mémoire dédiée à la survie de l’espèce. Ils n’imaginent pas ni ne préparent leurs déplacements.
Au contraire l’Homme, avec l’arrivée de la pensée, aura cette capacité unique et inouïe d’imaginer, de préparer de longs déplacements dont l’objectif ne se réduira pas à la simple recherche de nourriture, mais sera celui de se déplacer pour découvrir, connaître, apprendre, comprendre.
Ce nouvel objectif le poussera sur des routes inconnues qui n’auront pas de limites. L’idée du voyage se substitue alors à celle du simple déplacement et devient l’expression d’un désir fort et propre à l’être humain, celui d’ouvrir de nouveaux chemins, d’agrandir sans cesse le champ du possible pour l’Humanité, ou tout simplement celui de réaliser ce que sa pensée a fait naître.
Si, pour nous qui vivons au XXIe siècle, le voyage est totalement entré dans nos mœurs et nos habitudes à un point tel que quelqu’un qui n’imaginerait pas voyager, ne serait-ce qu’une seule fois dans sa vie, serait vu comme une personne totalement atypique, voire bizarre, il ne faut néanmoins pas en conclure que cela a toujours été ainsi. Pour comprendre le commencement et le pourquoi du voyage, ou plus exactement pour comprendre les différentes formes de voyage, nous devons remonter la très longue histoire de l’espèce humaine jusqu’à ses débuts, c’est-à-dire jusqu’à l’apparition des premiers hominidés sur la Terre.
La théorie de l’évolution nous apprend que nous, qui peuplons aujourd’hui la planète Terre, sommes les descendants de l’Homo Sapiens, dernière espèce de la lignée des hominidés qui se sont succédé durant la Préhistoire, mais aussi de celle qui s’est imposée aux autres et qui a vu sa population croître suffisamment pour ne pas disparaître. Notre ancêtre est donc l’Homo Sapiens qui serait apparu il y a 200 000 ans environ c’est-à-dire hier à l’échelle de la Préhistoire.
Pour nous qui éprouvons déjà des difficultés à ordonner chronologiquement les grands évènements qui ont fait notre Histoire commune depuis la sortie du Moyen Âge, comprendre la Préhistoire est hors de notre champ de compréhension habituel. Alors que le siècle est pour nous l’unité temporelle que nous pouvons encore maîtriser, que le millier d’années est celle qui délimite notre capacité à nous représenter l’Histoire, la Préhistoire, pour le commun des mortels, est assimilée à un immense et vertigineux trou noir dont l’unité temporelle, la centaine de milliers d’années, n’a pas de réelle signification. Comment quotidiennement s’imaginer que quelque part en nous existe un lien qui nous relie à ces premiers hominidés qui ont vécu il y a 7 millions d’années environ ?
Sept millions d’années ce n’est pas sept mille ans qui seraient déjà pour nous un passé difficilement atteignable, c’est mille fois sept mille ans, alors qu’il y a simplement deux fois mille ans qui nous séparent de Jésus Christ. Seuls les paléontologues, par un examen rigoureux des fossiles d’hominidés régulièrement mis à jour, tentent de reconstruire et de comprendre la lente évolution de l’espèce humaine.
Que savent-ils, que nous apprennent-ils sur les apparitions des différentes espèces d’hominidés qui, quelques millions d’années plus tard, conduiront à l’apparition de l’Homo Sapiens ?
Jusqu’à preuve du contraire, les paléontologues s’accordent pour situer les origines de l’espèce humaine en Afrique. Avec la découverte du fossile d’un crâne à Toumaï en 2001, dans le désert du Djourab (Tchad), ils s’accordent aujourd’hui sur une nouvelle date d’apparition du premier hominidé qui aurait eu lieu il y a 7 millions d’années environ, c’est à dire à une date bien antérieure à 3 millions d’années1 qui avait été longtemps considérée comme étant la période probable d’apparition des premiers hominidés. Si l’origine de la lignée humaine apparaît bien être l’Afrique, la découverte de nombreux fossiles d’hominidés en différents lieux de l’Eurasie et de l’Europe nous indique aussi que 5 millions d’années plus tard, c’est-à-dire il y a 2 millions d’années environ, une partie de leurs descendants se sont mis en mouvement et sont sortis d’Afrique.
Quels étaient leurs buts, leurs motivations ? S’agissait-il de déplacements préparés et voulus ?
Les paléontologues n’ont pas de certitudes mais l’analyse des fossiles, et en particulier des crânes, montre que la taille du cerveau de ces hommes était semblable à celle des premiers hominidés et des grands singes. Ainsi, ne disposant pas de facultés cognitives suffisantes pour communiquer, pour se repérer dans l’espace et plus généralement pour développer des mécanismes leur permettant d’acquérir et de mémoriser de nouvelles connaissances, il est très probable que leurs préoccupations quotidiennes étaient principalement la recherche de nourriture et leur survie.
Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que ces déplacements, qui les ont conduits hors de leur territoire d’origine, répondaient à une logique de découverte et qu’ils s’y étaient préparés. Plus probablement, leurs déplacements répondaient à la nécessité de suivre les troupeaux qui leur servaient de nourriture et que, sans le savoir, sans le vouloir, de proche en proche, ces déplacements, qui se sont faits sur des milliers d’années, les ont conduits hors d’Afrique puis vers d’autres continents.
On ne peut donc pas dire que ces hommes qui vivaient il y a 2 millions d’années furent les premiers voyageurs.
Il va falloir attendre encore longtemps, très longtemps pour que la bascule entre déplacement et voyage s’opère. Et cette bascule, ce grand bouleversement pour l’avenir de l’humanité, se produira au paléolithique supérieur avec l’apparition d’une nouvelle espèce humaine : l’Homo Sapiens. Bien que cette nouvelle espèce apparaisse en Afrique il y a environ 300 000 ans, les paléontologues estiment le début de la conquête des autres continents par Sapiens à environ 60 0002 ans. Et là tout est différent, tout va beaucoup plus vite. En moins de 40 000 ans, l’Homo Sapiens est présent sur tous les continents (Antarctique excepté) alors que ses prédécesseurs ne connaîtront en 2 millions d’années que l’Europe et une partie de l’Asie. Fait aussi très surprenant, l’Homo Sapiens découvrira l’Australie avant l’Europe et finira son tour du monde par l’Amérique il y a environ 20 000 ans.
Il est vrai que la morphologie de l’Homo Sapiens vivant à cette époque s’est significativement modifiée et son cerveau s’est considérablement développé.
Ces transformations physiologiques ont été possibles et se sont accélérées grâce à un changement radical de son alimentation. Tout en restant omnivore, son alimentation s’est diversifiée et, par la maîtrise du feu, il cuit ses aliments. Son alimentation devient alors plus saine et plus riche en protéines indispensables au développement de son cerveau.
L’Homo Sapiens accède alors au langage et développe les facultés cognitives qui lui permettent d’expérimenter, d’inventer, de s’organiser collectivement, de partager ses acquis et connaissances. Alors, très vite il va imaginer, élaborer des projets et maîtriser quelques technologies, certes rudimentaires, mais qui s’avéreront fort utiles dans ses voyages.
Bref, cet Homo Sapiens a la capacité de penser et de s’exprimer. Il prend alors possession de son environnement et plus encore, il le comprend. Cette compréhension va alors lui permettre d’utiliser la navigation côtière comme un moyen de déplacement complémentaire à la simple marche, lui permettant ainsi d’aller plus loin et en particulier de s’implanter en Australie. Plus tard, d’autres Sapiens traverseront à pied le détroit de Béring pour s’installer sur des terres nouvelles qui porteront beaucoup plus tard le nom d’Amériques.
Néanmoins, pendant toute cette période de découvertes, Sapiens, comme les autres espèces humaines qui l’ont précédé ou qu’il a croisées lors de ses déplacements, est un fourrageur nomade qui se nourrit grâce à la chasse et à la cueillette.
Ce n’est que quelques milliers d’années plus tard qu’il deviendra paysan et éleveur et qu’il pourra alors se sédentariser3.
Il apparaît clairement que ces longs déplacements sans retour n’étaient pas justifiés par un besoin de nourriture, ou d’adaptation à un climat moins rude, mais n’ont été possibles que grâce à l’envie de dépasser les frontières connues, de connaître ce qui est au-delà de l’horizon, envie qui elle-même ne peut prendre forme qu’au travers de la pensée de l’Homme.
Les éléphants d’Afrique, connus pour parcourir de longues distances, n’ont jamais quitté les savanes africaines alors que de grandes prairies, qui auraient pu satisfaire leurs besoins alimentaires, existaient sous des latitudes équivalentes.
L’éléphant se déplace pour trouver sa nourriture et non pour découvrir de nouvelles terres, il ne voyage pas.
Ainsi, il y a 60 000 ans environ, pour la première fois dans la grande aventure de l’espèce humaine, l’homme prépare et entreprend de longs déplacements avec la volonté d’aller au-delà du déjà connu et l’objectif de découvrir de nouveaux espaces.
L’idée du voyage vient de naître et habitera l’Homme tant qu’il existera.
Les voyages entrepris tout au long de la fabuleuse évolution de l’espèce humaine prendront des formes différentes. La première fut sans contestation portée par le désir de repousser les frontières du connu, et celle-ci n’a jamais cessé d’exister.
C’est elle qui poussera, des milliers d’années plus tard, les grands navigateurs à construire des bateaux capables de naviguer au long cours et de parcourir l’immensité des océans pour découvrir de nouvelles routes maritimes, de nouveaux continents.
C’est encore elle qui poussera les colons, fraîchement débarqués sur la côte Est du Nouveau Monde, à se lancer avec femmes et enfants à la conquête hasardeuse de l’Ouest américain.
C’est toujours elle qui aujourd’hui pousse l’Homme Moderne à s’intéresser à l’espace et à imaginer comment il pourra envisager son exploration.
Le plus admirable et le plus remarquable est que ces hommes, qui ont osé, ont fait beaucoup plus que voyager, ils ont dessiné et construit le grand voyage de l’Humanité sans le vouloir, sans le savoir, sans en comprendre ni la destination ni le sens. Ils ont ainsi simplement affirmé leur différence avec le monde animal.
Quelques millénaires d’années plus tard, pendant la période du Néolithique4 vers 5000 ans av. J.-C., des hommes emprunteront à leur tour les mêmes routes mais cette fois, non pas pour trouver de nouvelles terres arables, ni pour découvrir des territoires encore inconnus mais pour se rendre sur des lieux précis, sur des lieux sacrés. Leurs ancêtres avaient quitté l’Afrique sans savoir où ils allaient, sans connaître le lieu à atteindre, eux au contraire se mettaient en route non seulement pour se rendre sur un lieu précis mais aussi pour satisfaire une demande plus personnelle, plus intérieure.
Alors que l’écriture n’existait pas encore, et encore moins les cartes géographiques, le téléphone ou Internet, comment avaient-ils connaissance de l’existence de ces lieux et des chemins qu’ils devaient suivre alors que ces lieux étaient, très souvent, distants de plusieurs milliers de kilomètres de leurs lieux de vie ?
Probablement par la tradition orale et les récits de ceux qui avaient déjà fait le voyage. Mais qu’en était-il pour les premiers d’entre eux ?
Il faudrait interroger les spécialistes de cette époque pour le savoir. Là encore, la raison de leur déplacement ne peut se comprendre que par leur capacité à s’interroger sur le pourquoi et le sens de leur existence, sur la question de l’existence de divinités, ou tout au moins d’êtres supérieurs invisibles et immortels.
Pour ces hommes, le voyage prend alors une nouvelle dimension, une dimension que l’on pourrait qualifier de spirituelle qui déjà répondait à un besoin de croire en des divinités, de s’interroger sur le sens que l’on donne à sa propre vie.
Les preuves de ces déplacements existent, et leurs voyages ont laissé des signes dont la signification n’a pas encore été totalement interprétée. De tels signes, assez semblables entre eux, ont été découverts et sont encore visibles sur plusieurs continents, en particulier en Amérique du Sud et, plus près de chez nous, dans les vallées entourant le mont Bego5.
Cette quête de spiritualité sera également la motivation des pèlerins qui n’hésiteront pas à traverser l’Europe pour converger vers les lieux saints connus au Moyen Âge. La même quête spirituelle, ou plus simplement, le même besoin de faire une pause dans sa vie quotidienne conduit encore de nos jours de nombreuses personnes sur les routes de ces anciens pèlerinages et sur les sentiers de grande randonnée.
Avec ces hommes qui vivaient à la période du néolithique est apparue une seconde façon de voyager. Le voyage devient alors aussi le vecteur d’une recherche de spiritualité, de méditation sur le pourquoi de l’apparition de la vie, puis de l’Homme, puis de la pensée et enfin sur l’existence de ce Tout6 qui, lui-même, était sorti du Néant quelques quatorze milliards d’années auparavant sans raison connue.
Avançons encore, quittons la Préhistoire, abandonnons son unité de temps vertigineuse et entrons dans l’Histoire7 qui nous est plus proche et plus familière. Retrouvons Sapiens tout au long du Néolithique.
Où est-il ?
Nous savons qu’il est présent sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique, qu’il est devenu paysan et éleveur, qu’il s’est dans sa très grande majorité sédentarisé et que ses facultés cognitives se sont considérablement développées.
Alors qu’il est devenu l’unique représentant de la race humaine, comment vit-il ? Quelles sont ses préoccupations ?
Grâce aux nombreux travaux archéologiques effectués sur les sites répertoriés dans les différentes régions du monde, nous savons qu’à une date donnée, le développement de Sapiens était très hétérogène.
Pour rester dans la perspective de l’histoire du voyage, allons à la rencontre des hommes qui ont été les premiers bâtisseurs de l’Évolution.
Où sont-ils ?
Ils sont majoritairement regroupés au sein du Croissant fertile ou, plus largement, ils habitent les pourtours du bassin méditerranéen.
Alors qu’au début du Néolithique ils étaient encore peu nombreux et que l’organisation sociale était fondée sur des petites communautés comprenant quelques dizaines d’individus, nous retrouvons, dans cette région, d’importantes populations de Sapiens vivant en sociétés structurées et hiérarchisées.
Sous l’effet de la sédentarisation et de la généralisation de l’agriculture, la démographie explose et la population mondiale est multipliée par 10, passant de 2 à 3 millions d’hommes avant cette révolution agricole, à plus de 250 millions un siècle avant notre ère. À l’exception de notre époque contemporaine, la croissance démographique n’avait jamais été aussi forte.
En se sédentarisant, la vie quotidienne de notre fourrageur change puisqu’il abandonne son occupation de cueillette et de chasse.
Mais bien au-delà, sa vie sociale va se trouver radicalement et définitivement transformée. Sa vie nomade de chasseur-cueilleur l’avait conduit à vivre en communauté au sein de petits groupes qui s’étaient formés sur la base d’affinités réciproques. Ils se connaissaient tous, et la confiance les uns envers les autres était le ciment de cet embryon de vie sociale.
Avec la sédentarisation tout devient différent. Les premiers villages apparaissent, grossissent rapidement ce qui oblige Sapiens à apprendre à vivre dans une certaine proximité aux côtés d’individus qu’il ne connaît pas.
Ces hommes, trop préoccupés par les nombreuses tâches à accomplir pour assurer la survie du village, ne se déplacent plus et ne pensent pas à préparer de nouveaux voyages.
Ce n’est donc qu’après l’achèvement de cette transformation radicale et formidable de sa vie sociale que Sapiens reprendra ses voyages. Il faudra donc attendre quelques millénaires de plus.
L’augmentation du nombre d’individus se regroupant dans les villages fait apparaître des tensions, de nouvelles tâches centrées non plus sur ses besoins immédiats mais devenues nécessaires pour assurer la survie du collectif. Ces dernières obligent à s’organiser collectivement, à établir des règles puis des lois nécessaires à la protection du village et de tous ses individus.
Devenir agriculteur ou fermier avec la responsabilité de nourrir toute une population et non plus quelques individus oblige à travailler autrement. Satisfaire son besoin alimentaire quotidien n’est plus suffisant. Il faut penser le futur, effectuer les travaux imposés par le rythme des saisons, se préparer aux sécheresses ou aux inondations, anticiper les famines causées par la perte des récoltes, accroître les surfaces cultivées pour faire face à l’augmentation du besoin, diversifier les cultures.
L’homme n’étant plus exclusivement occupé à se nourrir, de nombreuses activités artisanales fleurissent dans les villages pour accompagner le développement de l’agriculture et pour bâtir maisons et bâtiments divers.
Les premiers cercles vertueux qui conduiront à une économie ouverte se mettent lentement en place : croissance de la demande due à une augmentation de la population, invention et multiplication de moyens plus performants permettant de répondre à la demande, apparition de nouveaux métiers et développement du commerce.
Dans les régions les plus avancées, des villes vont être construites et notre Sapiens passera, en quelques siècles, d’une vie de fourrageur nomade lui offrant une liberté totale, à un statut de paysan, d’artisan, de bâtisseur et pour un certain nombre d’entre eux de citadin. Sa vie sociale lui échappe.
Peu à peu mais inexorablement, Sapiens va devoir accepter de perdre la liberté totale dont il jouissait lorsqu’il était chasseur-cueilleur dans la forêt.
Peu à peu mais inexorablement, il ne va plus décider par lui-même, mais va devoir obéir à des lois et règles imaginées et dictées par un pouvoir distant et puissant, souvent auto proclamé, devenu dépositaire légitime du pouvoir.
Mais comment aurait-il pu en être autrement ? s’interroge Matthieu, toujours épris du désir de comprendre le pourquoi de l’évolution d’une société essentiellement fondée sur des relations simples entre individus, à une société aussi complexe que celle dans laquelle il vit aujourd’hui.
À ce propos, il ne partage pas totalement le constat fait par Noah Harari. En effet, tout en reconnaissant que l’adhésion des individus à des ordres imaginaires8 est bien le ciment de nos sociétés, Noah Harari semble s’en étonner et le dénonce en sous-entendant que ces « ordres imaginaires » ont été imaginés et entretenus par les puissants pour asseoir et exercer leur pouvoir sur les plus faibles. L’ordre imaginaire devient alors, si l’on accepte son analyse, un outil conduisant à l’aliénation de l’individu et à une perte de sa liberté, alors que cet ordre trouve sa seule origine dans l’imagination de l’Homme. Ne pas vouloir d’ordres imaginaires reviendrait à interdire à l’être humain de penser, ce qui n’est pas possible.
L’Homme est un être de pensée et n’existe en tant qu’Homme que parce qu’il pense.
Cela nous a été rappelé par Descartes dans son opuscule intitulé Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences dans lequelse trouve le fameux « Je pense donc je suis », qui, si l’on prend la liberté de l’inverser, devient « Je suis donc je pense ».
Affirmer que la vie du fourrageur était meilleure pour Sapiens parce qu’il jouissait d’une liberté totale est surprenant. Cette affirmation serait une négation de toutes les difficultés quotidiennes auxquelles le fourrageur devait faire face : échapper à la cruauté de ses prédateurs naturels (se faire dévorer par un lion ou par un ours ne devait pas être très plaisant), se protéger des intempéries et du froid, trouver de la nourriture en toutes saisons l’obligeant à se déplacer constamment, accepter la souffrance consécutive à une blessure ou à une maladie, abandonner sur les routes ses enfants trop fragiles ou ses parents trop faibles pour continuer le voyage.
Cette affirmation serait aussi niée que l’évolution de Sapiens s’est fortement accélérée avec l’apparition des civilisations qui, elles-mêmes, n’ont pu émerger que lorsque Sapiens s’est sédentarisé. Avant la sédentarisation, Sapiens travaillait pour lui-même, pour sa famille ou pour un petit groupe d’individus qui lui étaient proches.
Avec la sédentarisation, Sapiens travaille pour une collectivité au sein de laquelle il accomplit une tâche bien définie, reconnue comme nécessaire et utile à la collectivité.
Pour la première fois, il a un statut social, acquiert des compétences spécifiques que l’on désignera plus tard par le mot « métier ». Occupé par son métier, il imagine de nouvelles pratiques le rendant moins pénible, plus efficace.
La notion de progrès prend alors une forme concrète et Sapiens est acteur de ce progrès. Les acquis du progrès permettent des inventions, elles-mêmes, sources de progrès, créant ainsi un cercle vertueux dont les effets se traduiront rapidement par l’éclosion des premières civilisations.
Pour Matthieu, le progrès est simplement le fruit d’une évolution naturelle guidée par la pensée de l’Homme.
Dès lors qu’il naît par la pensée, qu’il soit bon ou mauvais, le progrès devient possible.
Il se nourrit et s’enrichit des acquis. Il ralentit ou accélère au rythme de la pensée, de la culture. Comme le phénix qui renaît de ses cendres, le progrès renaît après chaque disparition d’une civilisation.
Quant aux ordres imaginaires, ils ont été aussi pensés et progressivement mis en place par les hommes aux différentes périodes de l’Histoire. La raison en a simplement été une nécessité d’organiser une vie sociale au sein de populations atteignant, puis dépassant, le million d’individus. Certes, c’est parce que l’Homme n’est pas parfait et qu’il a ses faiblesses, que les ordres imaginaires sont imparfaits et que leurs points faibles sont corrigés au fil du temps.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Rome ne s’est pas faite en un jour, et comme l’a si bien dit Gaston Bachelard « La vérité n’est que la rectification d’une longue suite d’erreurs ».
Il n’est donc pas juste de juger le contenu des différents ordres imaginaires du passé avec nos critères et valeurs du XXIe siècle. La seule question à se poser est de savoir s’ils ont été utiles à l’humanité et s’ils ont été pensés dans le but d’améliorer le vivre ensemble et le bien être des peuples.
Opposer ordres naturels et ordres imaginaires n’a alors que peu d’intérêt, si ce n’est celui de meubler nos longues soirées d’hiver par d’interminables conversations philosophiques entre amis.
C’est donc durant le Néolithique, et tout d’abord en Mésopotamie, que Sapiens va penser, et pour la première fois, fonder sa vie collective sur la base du respect d’un certain nombre de règles.
Les premières règles apparaîtront alors que l’écriture n’avait pas encore été inventée. Elles seront majoritairement établies sur la base d’un consensus oral et se limiteront à assurer la protection de l’individu et de la collectivité.
Avec l’apparition de l’écriture ou plus exactement des premières écritures prend fin la première et longue, très longue étape de la fabuleuse évolution de l’Homme.
Cette première étape, appelée Préhistoire, est souvent comparée à une longue nuit de laquelle va sortir l’Homme moderne. Matthieu préfère la comparer à la vie souterraine de la graine de blé qui, semée à l’automne, va lentement et progressivement, à l’abri de tous les regards, se transformer, pour être au printemps un petit brin apparemment fragile mais qui, une fois sorti de terre, va très rapidement devenir ce magnifique épi de blé. Il en est de même avec l’espèce humaine qui, après avoir évolué lentement et à l’abri de nos regards au cours de la Préhistoire, va voir son évolution s’accélérer fortement au cours des 5 000 ans de notre Histoire.
En effet, c’est bien à la fin du Néolithique que les collectivités s’agrandissent, que les villages se transforment en villes et que les hommes s’approprient des territoires.
Agrandir son territoire devient alors une quasi-obsession. Les guerres visant à conquérir de nouvelles terres se multiplient, et les individus qui s’illustrent par leurs faits d’arme s’imposent comme des chefs légitimes ayant autorité sur le reste de la collectivité.
Profitant de leurs succès militaires qui leur valent la reconnaissance du peuple, ils vont rapidement revendiquer et s’octroyer la légitimité de défendre le territoire, de définir et de faire respecter le droit et de rendre la justice.
En s’octroyant le droit exclusif d’exercer ces trois pouvoirs9, ils incarnent à eux seuls l’État. Et c’est ainsi que les premiers États seront des royaumes à la tête desquels le pouvoir sera exercé par des dynasties. Les premières formes abouties de telles organisations10 apparaîtront vers 2500 ans av. J.-C. peu de temps après l’apparition des premières écritures environ 3300 ans av. J.-C11.
Les hommes comprennent alors qu’il leur faut accepter l’existence d’autorités supérieures assurant la garantie du respect des règles établies, la sécurité individuelle et collective, et établissant des règles de réparation en cas de manquement constaté à ces règles. Plus généralement, ils imaginent les fondements essentiels à tout pouvoir politique pour organiser et assurer la stabilité d’une société.
Sans le savoir, ces hommes viennent d’inventer les bases d’un futur système institutionnel que l’on appellera « État », voire pour les premiers « cité État » puis « État-nation12 ».
Ainsi Sapiens, en abandonnant l’état de nature qui a dicté son comportement pendant des millions d’années, vient de penser l’État. Cela peut nous apparaître étonnant, à nous qui avons appris que la finalité, les fonctions d’un État et sa légitimité ont été largement discutées au temps des Lumières !
Notre compréhension contemporaine de ce que l’on entend par le mot « État » nous est principalement donnée par le droit qui s’attache à donner un sens précis et juridique à des notions abstraites que sont « la Souveraineté », « le Territoire », et « les Compétences », et qui sont indissociables de la notion d’État.
Mais il n’en a pas été toujours ainsi.
Entre Préhistoire et Histoire, l’apparition des premiers États a été l’aboutissement naturel d’un désir d’individus vivant en collectivités à mieux organiser leur vie sociale.
Mais l’apparition d’États demande en contrepartie à Sapiens d’abandonner la liberté que lui offraient les ordres naturels auxquels il était soumis lorsqu’il était un chasseur-cueilleur.
Est-ce un bien ou un mal ? Le monde d’avant était-il meilleur ? Le Jardin d’Eden décrit par la Bible comme étant le Paradis terrestre a-t-il été un jour une réalité ?
Régulièrement au cours de l’Histoire, des hommes, des citoyens, des philosophes, des assemblées chercheront à trouver réponse à ces questions existentielles et en particulier à trouver une définition satisfaisante de la Liberté et des libertés qui leur convient, tout en sachant que la Liberté ne se laisse pas enfermer dans une définition et qu’il est vain d’en chercher une définition universelle.
Matthieu, en observant la vie de ses congénères vivant aux quatre coins du monde, dans des pays aux passés différents, en est pleinement conscient. Lors de son voyage aux États-Unis, en contemplant la statue de la Liberté qui marque l’entrée dans le port de New York, Matthieu ne pourra s’empêcher de s’interroger sur la signification du mot « Liberté » dans ce pays qui a eu tant de mal à se défaire de l’esclavage et dans lequel la plaie laissée par la ségrégation des hommes selon leur couleur n’est toujours pas refermée.
Cette même question il se la posera durant son bref séjour à Shanghai.
Bien sûr, au cours de ses nombreux voyages, lorsqu’il portera son regard sur la vie des hommes vivant dans les campagnes ou dans les villes, que ce soit en Inde, en Asie ou en Amérique Latine, Matthieu sera traversé par un autre questionnement : la découverte de nouveaux outils, de nouvelles technologies a-t-elle été bénéfique à l’individu et aux peuples ?
Dans ses réponses, il s’appliquera à discerner pauvreté et misère, liberté et aliénation, confort, bien être et bonheur. Mais contrairement à Noah Harari qui, dans son livre13 sur l’évolution de l’Homo Sapiens, qualifie de plus grande escroquerie de l’histoire la révolution agricole, Matthieu estime que cette transformation fut bénéfique à l’individu et nécessaire à l’évolution de l’espèce humaine.
Cette transformation sera en effet le point de départ à l’émergence des premières civilisations quelques siècles plus tard. Pour Noah Harari, cette révolution agricole qui s’est passée approximativement 10 000 ans avant notre ère, a eu surtout pour effet de précipiter Sapiens dans une mutation, le faisant passer d’un état de fourrageur nomade, vivant en harmonie avec son environnement, à celui d’agriculteur sédentaire, éloigné des grands espaces naturels dans lesquels il pouvait se déplacer librement.
À l’agriculteur qu’il est devenu on demandera de travailler toujours plus pour assurer l’alimentation d’une population en pleine explosion démographique.
Tout cela est vrai, mais pour Matthieu l’analyse des conséquences de cette mutation ne peut pas être aussi réductrice, et doit être élargie à l’ensemble des changements qu’elle va engendrer et qui n’auraient pas pu voir le jour si Sapiens était resté un simple chasseur-cueilleur.
La finalité de l’existence des premiers hommes n’était pas de rester indéfiniment des fourrageurs nomades, menant une vie semblable à celle des animaux qu’ils côtoyaient, mais était de devenir des êtres de conscience et de pensée dont l’évolution n’aurait pas de limite.
La tortue marine que l’on peut admirer aujourd’hui nageant librement dans les eaux chaudes de nos océans nage aujourd’hui comme elle le faisait Il y 155 millions d’années. Elle nage, parcourt des milliers de kilomètres, traverse les océans, mais notre courageuse tortue ne voyage pas, elle se déplace sans conscience dans les océans, guidée par des informations codées dans son génome qui la ramèneront sur la plage où elle a vu le jour, pour elle-même y pondre ses œufs. Admirable tortue, admirable nature. Mais l’Homme n’est pas une tortue marine et sa destinée sera totalement différente.
Matthieu a l’intime conviction, sans pour autant pouvoir en apporter la moindre preuve, que l’existence de l’espèce humaine dans le Tout14 n’a de sens que si l’on accepte l’idée qu’elle est apparue avec un destin précis, celui d’évoluer sans cesse, ce qui la rend définitivement unique et différente de toute autre forme de vie.
Le temps continue à s’écouler sur Terre avec une régularité parfaite, celle qui lui est imposée par la loi universelle de gravitation. Pour l’espèce humaine, la Préhistoire a pris fin il y a environ trois mille ans.
Sapiens habite et vit en grand nombre sur les cinq continents mais il n’en a pas conscience. Isolé sur son continent dont il ignore les limites, il ne connaît que ses voisins immédiats avec lesquels ses relations sont souvent conflictuelles. Le monde dans lequel il vit quotidiennement est organisé, administré et gouverné par un pouvoir étatique qui lui échappe.
Cependant, l’existence d’un État n’est pas toujours synonyme de civilisation. Les cités-États et les États se sont faits et défaits au cours de l’Histoire au rythme des invasions et des guerres. Il est difficile de se les rappeler tous, tant ils ont été nombreux et un grand nombre d’entre eux ont disparu ou disparaîtront sans laisser une trace dans l’Histoire.
À l’inverse, peu à peu, des civilisations15 vont apparaître.
Un État existe dès que son autorité déclarée, ou reconnue comme légitime, lui permet d’exercer les compétences régaliennes nécessaires à la vie sociale d’une collectivité vivant sur un territoire défini.
Une civilisation apparaît lorsque la transmission de la connaissance et la conservation des acquis au profit des générations futures deviennent possibles. Les premières civilisations ne pouvaient donc apparaître qu’une fois l’écriture maîtrisée.
Mais la pensée de l’Homme continue à progresser et le pousse à imaginer autre chose, quelque chose de différent qui n’existe pas, quelque chose qui n’a pas d’utilité pratique mais qui laissera une trace ineffaçable de son passage sur la Terre. L’Homme va créer du « beau » à partir du « rien ».
Et c’est exactement ce qui va se mettre en place en Mésopotamie pour donner naissance à une civilisation reconnue comme étant la première civilisation. Les preuves tangibles de cette civilisation, connue sous le nom de civilisation sumérienne, deviennent évidentes avec les dynasties d’Ur, et plus précisément sous le règne d’Ur Nammu, fondateur de la 3e dynastie d’Ur, c’est-à-dire vers 2100 ans av. J.-C.
Avec elles, les arts, et plus particulièrement l’architecture, connaissent un essor formidable avec la construction de nombreux temples, ziggourats et sanctuaires témoignant ainsi d’une maîtrise des techniques nécessaires à la construction de tels bâtiments. Les nombreuses stèles sculptées à la gloire du souverain ou représentant des scènes cultuelles témoignent de la naissance d’un nouvel art : la sculpture.
Plus globalement, l’héritage organisationnel et artistique que nous a laissé cette civilisation est impressionnant tant sur le plan de la création que sur les techniques de réalisation. Si l’art aux formes multiples est bien présent sous le règne d’Ur Nammu, si le commerce y est si prospère, si les techniques d’exécution permettent la construction de bâtiments aux dimensions jamais atteintes par le passé, c’est évidemment parce que, depuis plus de mille ans, les hommes habitant la région de Sumer ont su imaginer, inventer, créer, partager les mêmes croyances, croire en un destin commun et transmettre.
L’ensemble de ces attributs, dès lors qu’ils sont partagés et transmis, crée le dénominateur commun à toutes les civilisations qui, elles-mêmes, se révèlent par leur capacité à développer les arts et la manufacture. Si la culture peut être associée à l’accumulation de connaissances par un individu ou par une collectivité, la civilisation peut, quant à elle, être associée à la notion d’une même culture partagée par tout un peuple.
Cette première civilisation disparaîtra mais, très rapidement, ailleurs, et cette fois-ci en dehors du Croissant Fertile, d’autres civilisations apparaîtront et disparaîtront à leur tour.
Tout d’abord la civilisation de l’Égypte ancienne, puis celle de l’Indus au Pakistan et la civilisation Sabéenne en Éthiopie. Il faudra attendre le Ve siècle av. J.-C. pour qu’apparaisse la première civilisation européenne, celle de la Grèce Antique.
Qu’avons-nous appris de ce passé ?
De la Préhistoire, qui est infiniment plus longue que notre Histoire, nous savons peu de choses, bien que cette période fût certainement essentielle pour le devenir de l’espèce humaine. Elle en fut tout d’abord le commencement puis la lente création de toutes les pièces du puzzle qui, une fois assemblées, permirent d’aboutir à ce que nous sommes.