La petite fille de Michel Strogoff - Octave Béliard - E-Book

La petite fille de Michel Strogoff E-Book

Octave Béliard

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Beschreibung

La roulade finale du saxophone, brillante comme la prouesse d’un clown, éveilla un murmure d’allégresse et les applaudissements claquèrent, mêlés d’interjections britanniques. Mais tout aussitôt le jazz du Savoy – comme s’il craignait de laisser s’éteindre cette joie factice – fit entendre la première phrase d’un charleston. Jean-Paul Hibeau écoutait, les yeux clos, peut-être parce qu’il s’endormait en effet, mais plus probablement pour mieux faire pénétrer en lui l’image du hall lumineux, plein de chaleur et de parfums, les couples élégants agités au rythme de la danse ou souriants autour des tables parmi les cristaux et les fleurs.
« Ce bruit vous ennuie ? demanda sir Herbert Froggie.
— Non, mais ces gens qui ne prennent même pas le temps de respirer m’effraient un peu. Est-ce ainsi tous les soirs ?
— Tous les soirs, jusqu’à ce que minuit sonne à Westminster. Encore quelques minutes de patience. Une autre tasse de thé ?

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Ähnliche


Octave Béliard

LA PETITE FILLE DE MICHEL STROGOFF

 

 

© 2024 Librorium Editions

ISBN : 9782385746636

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une rencontre

La vision

Perplexités

Une photographie

Vers la « dame blonde »

En Russie

Au cabaret de nuit

L’assassin

Le couvent de la Mère de Dieu

L’aire du vautour

La course sur la berge

« L’Hydra » retrouvée

Les deux frères

La caravane tragique

La « Gipsy » retrouvée

Une rencontre

La roulade finale du saxophone, brillante comme la prouesse d’un clown, éveilla un murmure d’allégresse et les applaudissements claquèrent, mêlés d’interjections britanniques. Mais tout aussitôt le jazz du Savoy – comme s’il craignait de laisser s’éteindre cette joie factice – fit entendre la première phrase d’un charleston. Jean-Paul Hibeau écoutait, les yeux clos, peut-être parce qu’il s’endormait en effet, mais plus probablement pour mieux faire pénétrer en lui l’image du hall lumineux, plein de chaleur et de parfums, les couples élégants agités au rythme de la danse ou souriants autour des tables parmi les cristaux et les fleurs.

« Ce bruit vous ennuie ? demanda sir Herbert Froggie.

— Non, mais ces gens qui ne prennent même pas le temps de respirer m’effraient un peu. Est-ce ainsi tous les soirs ?

— Tous les soirs, jusqu’à ce que minuit sonne à Westminster. Encore quelques minutes de patience. Une autre tasse de thé ?

— Merci.

— Alors une cigarette. »

Hibeau aspira la flamme d’une allumette et souffla une fumée mielleuse de tabac blond. Il se fit quelque tumulte, un bruit de coupes brisées. Une querelle proche finit dans le rire, couvrant presque l’orchestre.

« À la fin, le champagne et l’échauffement de la danse excitent quelques têtes, » dit tranquillement sir Herbert.

Décidément Jean-Paul, sans égard pour son hôte, allait succomber à la fatigue. Il perçut comme en songe un changement dans les bruits, des sièges déplacés, des conversations qui s’entrecroisent, une foule qui s’éloigne. Et tout à coup un silence plana, étrange après le vacarme du jazz, comme dans les légendes quand la nuit a bu la cohorte des djinns dansants.

Alors une mélodie grêle de cloches naquit, suspendit à ce silence des guirlandes sonores. Et lentement, minuit tomba en douze grosses gouttes sombres du haut de la tour invisible. Hibeau sursauta, promena sur les choses un air effaré.

« C’est le carillon de Westminster, dit le baronnet. Il est d’accord avec Greenwich. Vous réglez votre chronomètre avant d’aller vous coucher ? Je vous demande pardon : j’ai la manie de l’heure exacte. »

Machinalement, Jean-Paul constata qu’il était minuit cinq à sa grosse montre d’argent. Sir Herbert vérifiait lui-même sur son chronomètre la position des aiguilles. Il sonna ; un domestique parut qui ressemblait à un magistrat âgé.

« Paddy, voici l’heure légale. Mettez immédiatement toutes les horloges d’accord. Et priez le capitaine de venir. »

Un instant après, un homme de cinquante ans au moins, en vareuse bleu-marine, descendait l’escalier.

« Vous m’avez fait demander, sir Herbert ?

— Pour savoir où nous sommes, Murray.

— Nous avons devant nous le feu d’Oost-Vlieland, à deux milles environ. »

Hibeau se souleva non sans difficulté du confortable fauteuil de cuir où il s’acagnardait.

« J’ai besoin de le voir pour le croire, dit-il, réveillé. On a beau être prévenu, la facile magie de ce haut-parleur me donnait l’illusion d’être à Londres, dans la cohue étouffante du dancing à la mode, où je ne suis jamais allé. Et sans transition, je me retrouve dans l’étroit salon d’un yacht, glissant silencieusement sur des flots inconnus…

— Ce sont encore, et pour quelques instants, les flots du Zuyderzée, sourit le baronnet. Une lagune, en somme, bien que considérable, dont nous sortirons en dormant tout à l’heure. Mais désormais le navigateur, au milieu de l’océan sans limites, entend vivre l’univers autour de sa solitude. Bientôt, si c’était notre gré, nous pourrions surprendre l’écho des soirs new-yorkais, en retard sur les nôtres, et plus tard encore les guitares d’Honolulu. Car les hommes font, autour du monde, une ronde ininterrompue. »

Les trois hommes étaient montés sur le pont. Herbert Froggie s’éloignait avec le capitaine. Jean-Paul s’accouda au bordage.

La nuit était obscure et froide, poudrée de bruine. De courtes vapeurs grises enveloppaient l’eau et le petit navire glissait sur ce coton, sans autre bruit que les pulsations de sa machine. Des pâleurs intermittentes révélaient des phares éloignés et le feu d’Oost-Vlieland, tout proche, promenait circulairement un pinceau de lumière sur l’étendue imprécise et sans limites visibles.

Hibeau se sentit frissonnant, un peu perdu, timide devant l’aventure qu’il avait acceptée.

Il était jeune, il était pauvre, il était peintre.

Venu de sa province à Paris pour y étudier les éléments de son art, il avait longuement caressé un rêve : voir la Hollande, ce pays des maîtres qu’il admirait par-dessus tous les autres, Vermeer, Franz Hals, Ter Borch, Rembrandt ! Il n’avait travaillé que pour réaliser ce rêve-là, consentant à d’humbles besognes et à de grosses privations afin d’amasser l’argent nécessaire au voyage.

Jean-Paul savait réduire au minimum les exigences de la vie matérielle et vivre de miettes, étant de ceux que leur passion nourrit. Et un voyage en Hollande ne passait point, avant la guerre, pour un luxe inaccessible aux petites bourses. Mais depuis la guerre le florin a pris une telle avance sur le franc que les distances se sont accrues jusqu’à rendre impossible ce qui naguère était aisé. Sans jamais désespérer de satisfaire son ambition, Hibeau avait dû y songer longtemps et couper bien des sous en quatre. Enfin il avait réussi à remplir la tirelire et cela ne faisait quand même pas un gros magot.

Bah ! il y a tant de dépenses qui sont compressibles ! L’essentiel était de posséder un « aller et retour » en troisième classe, avec facultés d’arrêts, jusqu’à Amsterdam, et quelques petites choses en plus pour payer d’humbles gîtes, l’entrée dans les musées, le morceau de pain qu’on dévore avec un peu de charcuterie. Au besoin on se passerait de dîner, on réduirait le temps du séjour.

Et un jour, courageusement, Jean-Paul Hibeau était parti à la gare du Nord, pauvre de pécune, mais proprement vêtu, avec une grosse musette bourrée d’albums et de crayons, de provisions et de linge, pour tout bagage. Il avait couru d’une traite jusqu’à Anvers, puis d’Anvers à Dordrecht, de Dordrecht à Rotterdam. Il visita rapidement Delft, s’arrêta plus longuement devant les Rembrandt et les Vermeer de La Haye, devant les Franz Hals de Haarlem, picorant des repas d’oiseau dans les jardins publics, mais jouant du crayon avec rage et s’emplissant les yeux de couleurs et de lumière, découvrant un monde, heureux comme un dieu.

Il parvint ainsi à Amsterdam, avec l’allégresse du pèlerin qui atteint Jérusalem, et oublia tout. Le Rijksmuséum n’avait plus de secret pour lui. Il s’y rendait dès le matin, après avoir dormi dans des garnis à matelots et déjeuné de pain et de fromage. On l’en chassait à la fermeture des portes. Ou bien il arpentait la ville aux pignons rouges coupée de chemins d’eau, attentif à en cueillir les aspects, jouissant des marchés dont les étalages croulent sous le poids des victuailles, poissons gluants aux ouïes battantes, volailles plumées, viandes pendues, légumes monstrueux comme dans les natures mortes de ses maîtres favoris ; il suivait les passants aux profils busqués dans la Judenstraat, épiait les matelots au sortir des bouges et les appétissantes commères qui récurent sur les portes les chaudrons de cuivre.

Le soir, quand la faim le tiraillait, il se faisait pour quelques cents tremper une soupe dans un estaminet du port et la digérait en regardant osciller les barques pansues sur les eaux troubles du Zuyderzée et fumer les paquebots en partance pour les îles de la Sonde.

Et puis il arriva, trop vite, qu’il sentit le vide au fond de ses poches. Il ne possédait plus que quelque menuaille et son billet de retour. Alors, brusquement, sa joie tomba, avec la mélancolie du crépuscule. Il se vit seul, abandonné, dans une ville subitement redevenue étrangère et indifférente, sans assez d’argent pour payer le gîte de la nuit.

Le sifflet des locomotives l’appelait désespérément. À Amsterdam, la gare est sur la digue, le long du port, à deux pas des navires. Il s’informa d’un train de nuit. Ah ! atteindre Paris comme un refuge, sans s’arrêter en route, sans pain pour les mortelles heures du retour !

Il froissait dans sa main ce billet de chemin de fer, ce tout petit carré de carton, le moyen tangible qui lui restait de regagner une patrie démesurément lointaine où les hommes parlent sa langue, et sa chambrette du quartier Montparnasse, sous les toits, et son labeur paisible de petit peintre pauvre.

« Voilà le rêve fini. Je me réveille, » murmura-t-il.

Il compta ses piécettes, tristement. Les dernières !

« Pas assez pour manger à ma faim ! Pas assez pour être ivre et colorer d’un peu de rêve l’instant du départ. »

Il grelottait. Le ciel suintait une petite pluie froide. Se réchauffer l’âme et le corps, avant tout.

Jean-Paul entra dans la salle basse d’un cabaret proche, jeta ses sous sur la table et, en mauvais anglais – la seule langue étrangère qu’il sût parler et que tous comprenaient ici, – commanda du café et du genièvre.

On lui apporta une tasse et un petit verre. Il s’assit, but une gorgée de la tasse et ferma les yeux.

Autour, il y avait des marins qui causaient bruyamment et qu’il ne regarda point. Il y avait, à la table à côté de la sienne, un homme jeune encore, rasé, flegmatique, couvert du vêtement ciré que les gens de mer mettent en temps de pluie et coiffé également d’un casque de toile cirée.

Cet homme prenait du thé avec des grillades. Malgré ses vêtements de matelot, il gardait une tournure aristocratique. Il fixa ses regards longuement sur le visage fatigué de Jean-Paul, sourit et, saisissant brusquement le petit verre de genièvre que le peintre s’était fait servir, il en versa le contenu à terre.

Le geste inattendu secoua l’apathie de Jean-Paul. Il se redressa, indigné contre l’individu qui répandait ainsi méchamment le breuvage d’oubli acheté de toute sa fortune. Mais il dévisagea l’étranger et sa colère fit place à la surprise.

« Sir Herbert Froggie !

— … membre de plusieurs sociétés savantes et antialcooliques, continua l’autre en français, la main tendue. Je suis heureux de vous rencontrer, cher monsieur Hibeau. Le monde est petit !… Et je suis également heureux de vous avoir empêché de vous empoisonner. »

Le peintre poussa un soupir :

« Je vous remercie, dit-il. Pourtant, je vous avouerai que la perte de ce verre d’alcool… Il fait froid. Je me réchauffais un peu en attendant le train de Paris.

— Ce n’est pas sérieux ! Vous ne songez pas à partir ainsi, à la minute où, par chance, je vous trouve si loin de l’Académie de la Grande-Chaumière ! Êtes-vous si lassé du voyage ou si pressé par vos affaires ?

— Mes affaires… ah ! non, murmura Hibeau avec un mouvement d’épaules. Mais je ne suis pas un grand seigneur et mes ressources sont épuisées. Je ne pars pas, je fuis.

— Ah !… Me permettriez-vous de vous offrir une tasse de ce mauvais thé avec quelques toasts ?

— Merci.

— Je vous en prie. Il me vient l’idée que vous pourriez me rendre un service. Ce n’est pas le hasard qui vous met sur mon chemin, mais ma bonne fortune. Vous avez du talent, monsieur Hibeau.

— C’est trop d’indulgence, sir Herbert, dit le jeune peintre en atteignant une grillade avec une avidité qui n’échappa pas au noble Anglais. En quoi puis-je vous être utile ? »

Froggie demeura quelque temps sans répondre. D’un coup d’œil il embrassait les traits exténués de son interlocuteur, ses vêtements usagés, sa pauvre musette de chemineau. Les deux hommes s’étaient connus à Montparnasse, quartier des artistes dont les mœurs pittoresques attirent les amateurs étrangers de passage à Paris. Sir Herbert, qui avait assez de fortune pour être curieux de tout, aimait les arts et cultivait les sciences en dilettante, avec un joli goût superficiel. Il avait acheté quelques dessins de Jean-Paul Hibeau. Il sentit la détresse du jeune homme si singulièrement rencontré.

« Mon yacht, The Gipsy, est amarré au Dam, dit-il enfin, et nous appareillons tout à l’heure pour la Norvège. Les études géologiques sont un de mes… comment dites-vous en France ?… un de mes violons d’Ingres. Il y a, en Norvège, à voir de très belles coupes de terrains primaires.

— Vraiment ? Vous entreprenez pour cela un si grand voyage ?

— N’êtes-vous pas venu en Hollande pour voir les Rembrandt ? À chacun son luxe. Je suis fils et frère de savants. La curiosité de la science est le caractère de ma race. Mais arrivons au fait. Je souhaiterais que des peintures me conservassent les aspects géologiques de la région où je vais. C’est peut-être un travail indigne de votre talent et je n’ose me flatter que vous consentiriez à m’accompagner. Puis-je vous le proposer ? C’est vous prendre de court…

— Aucunement, s’écria Hibeau dont le regard brilla. Mais c’est un rêve, sans doute. Les joies n’arrivent pas si inopinément. Parlez-vous sérieusement, sir Herbert ? Vous me connaissez si peu ! Et ce voyage merveilleux… Mais je n’ai rien que ce que je porte sur moi… Je suis dénué de tout…

— Nous nous occuperons de ces détails. Permettez-moi de vous remercier. C’est pour moi trop de chance de vous trouver libre. Aussi ne veux-je pas vous donner le temps de réfléchir. Je vous enlève comme une jolie fille. Finissez cependant votre thé. Nous avons une heure. »

… Et voilà comment quelques minutes après minuit, heure légale de Greenwich, le peintre Jean-Paul Hibeau se trouvait accoudé au bordage de la Gipsy, sur les flots encotonnés du Zuyderzée balayés par les rayons de feu d’Oost-Vlieland.

Le peintre était perdu dans sa rêverie. La pression d’une main sur son épaule le fit sursauter.

Sir Herbert et le capitaine Murray étaient près de lui.

« Je crois, dit sir Herbert, qu’il est temps de s’abandonner au sommeil. Vous aurez tout loisir de contempler la mer quand le jour sera levé. Vous m’excuserez, cher ami, si votre cabine n’est pas absolument confortable. Vous n’étiez pas attendu, et le yacht, aménagé par mon frère pour des croisières exclusivement scientifiques, n’a rien d’un bâtiment de luxe. Je vous ai donné la chambre qu’occupait mon frère lui-même en ses voyages. Elle est telle qu’il l’a laissée et fort encombrée, je pense. Que les dieux de la mer vous bercent de beaux rêves !

La vision

Froggie avait certainement sous-estimé le confort du logement qu’il offrait. La chambre était spacieuse et meublée comme les cabines de luxe des paquebots. La lueur douce d’un plafonnier électrique, tamisée par un voile de soie verte, éclairait un lit bas en palissandre. Le pied foulait mollement un tapis ancien de Boukhara et toute la garde-robe du peintre pouvait tenir à l’aise dans l’un des tiroirs d’un cabinet de précieuse marqueterie fixé à la cloison opposée au hublot. Les parois de la pièce étaient recouvertes d’un vieux cuir cordouan et l’une d’elles, en face du lit, montrait un encadrement circulaire sur lequel un rideau était tiré.

Une table avait été placée devant ce rideau et cette table supportait un tableau dans lequel Jean-Paul, malgré toute son ignorance de ce qui ne touchait pas à son art, reconnut un poste récepteur de la téléphonie sans fil avec ses condenseurs gradués, ses manettes et ses « nids d’abeille ».

Ce meuble n’était du reste point seul à témoigner du goût du précédent occupant pour les sciences physiques, car le cuir de la tenture disparaissait un peu partout sous des appareils énigmatiques appendus pêle-mêle, des galvanomètres, des rhéostats, des cylindres enregistreurs d’où partaient des réseaux de fils embrouillés. Des cadres contenaient des épures indéchiffrables, des fantaisies graphiques et des chiffres et, sous le hublot, un petit bureau semblait devoir crouler sous le faix des livres.

Du moins, en annonçant un encombrement, sir Herbert n’avait-il pas fardé la vérité. Et la poussière de tous ces objets vraisemblablement hors d’usage n’avait point cédé au plumeau hâtif et négligent du domestique.

Mais de cela Hibeau ne s’aperçut guère. Le contraste de cette chambre de riche avec les abris sommaires qu’il avait quittés excitait son admiration. Il lui vint une joie d’enfant à constater qu’à ce réduit de savant, qui n’était pas sans l’intimider un peu, était annexée une petite salle de bain pourvue d’autant de commodités qu’une coquette en eût désiré. Et les bruits du bateau lui rappelaient que ce palais était en marche vers un merveilleux inconnu.

« Je fais un beau rêve, en effet, » murmura-t-il.

Rapidement il fit l’inventaire de tout ce dont l’usage lui était concédé, s’assura que des robinets dispensaient l’eau chaude et l’eau froide, s’offrit le luxe d’une toilette, joua avec les appareils étranges qui l’entouraient, déplaçant les manettes, faisant glisser le curseur des rhéostats, contenta sa curiosité puérile.

« Je ne suis pas raisonnable, conclut-il, mais comment pourrais-je dormir ? »

Il tira sa montre. Elle marquait une heure vingt-cinq.

« Allons ! décidons-nous à tâter la mollesse de ce bon lit. »

Jean-Paul Hibeau n’était pas long à se dévêtir. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées qu’il était étendu dans des draps frais au balancement berceur du petit navire. Et il n’eut qu’à allonger la main pour éteindre la lune verte du plafonnier.

Mais presque immédiatement après il se dressa sur son séant avec une surprise inquiète. Sur la cloison d’en face, une luminosité filtrait à travers le rideau, derrière la table.

Le peintre frissonna. Il n’avait pas songé à soulever cette portière. Il eut l’impression que quelqu’un l’épiait.

L’épier, lui, pourquoi ? Que voulait-on faire de lui ? L’hypothèse était absurde. Ne valait-il pas mieux croire que quelqu’un veillait dans une autre pièce, derrière une porte mal fermée ? Quelqu’un de l’équipage… Sir Herbert peut-être…

La nuit, tout semble fantastique.

« Je vais faire un peu de bruit, se dit Hibeau, et l’on fermera la porte. »

Il toussa très fort. La lueur ne s’éteignit pas. On n’entendait que les pulsations de la machine et le frémissement de l’eau sur les flancs du navire.

« Je ne dormirai pas tranquille. Il faut que je voie ce que c’est. »

Doucement, le jeune homme sortit du lit et glissa sur le tapis. Il souleva précautionneusement le bord du rideau et rencontra un obstacle qui avait la froideur du verre. Une fenêtre sans doute.

Alors il écarta brusquement la portière et étouffa un cri.

Sa vue pénétrait dans une chambre entièrement tapissée de livres. Il y avait une pendule Empire sur une console et, devant un petit meuble qu’elle cachait presque entièrement, une jeune femme blonde, merveilleusement belle, qui tremblait de tous ses membres.

Elle était vêtue d’un costume tailleur d’une simplicité élégante, sans bijoux et la tête nue. Ses yeux immenses reflétaient une attente horrifiée. Soudain elle eut un mouvement convulsif. Une porte s’ouvrait, livrant passage à un homme qui resta dans la pénombre.