La question - Hervé Gransart - E-Book

La question E-Book

Hervé Gransart

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Beschreibung

Marie et André vivent une existence paisible dans un village du Val de Loire, rythmée par une habitude : chaque jour, ils partagent une heure ensemble, assis sur le petit banc de la place. Mais ce jour-là, tout dérape. André, inopinément, dirige leur échange vers un sujet troublant, posant la question qui ébranle l’équilibre de leur relation. Pourquoi évoquer cela ? Perd-il la raison ? Quelle sera la réaction de Marie ? Saura-t-elle se dépêtrer de cette situation qui semble inextricable ? Leur paisible routine se transforme en un tourbillon d’incertitudes aux conséquences imprévisibles.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Hervé Gransart consacre son temps à l’écriture de nouvelles, de romans et de pièces de théâtre. Inspiré par la vie et les relations humaines, il s’intéresse aux interactions, qu’elles soient bienveillantes ou conflictuelles. Fasciné par la complexité de l’âme humaine, il façonne des récits qui interrogent et touchent par leur authenticité.

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Seitenzahl: 181

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Ähnliche


Couverture

Titre

Hervé Gransart

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La question

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Hervé Gransart

ISBN : 979-10-422-6027-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

 

 

Ainsi va la vie ou les petites scènes de l’ennui ordinaire, 2009, Recueil de nouvelles, Jets d’Encre.

 

La vie c’est rien que du cinéma, ou inversement, 2010, Recueil de nouvelles, Publibook.

 

Petites Miscellanées ou autres pensées, 2015, Recueil de nouvelles, Mon Petit Éditeur.

 

La question, première édition, 2019, Roman, Éditions Spinelle.

 

Dernier domicile connu, première édition, 2021, Roman, Ilion Éditions.

 

Dernier domicile connu, deuxième édition, 2025, Roman, Éditions Complicités.

 

 

Bats-toi, 2023, Roman, Éditions Complicités.

 

Lettres ouvertes, 2024, Pièce de théâtre, Éditions L’Harmattan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les questions ne sont jamais indiscrètes. Les réponses le sont parfois.

 

Oscar Wilde

 

 

… Dans l’histoire qui suit, ce serait le contraire…

 

Hervé Gransart

 

 

 

 

 

Les jours s’écoulent identiques. Le suivant sans plus d’ambition que le précédent.

Eux sont assis, depuis plusieurs minutes déjà, sur ce banc de bois qui est devenu en quelque sorte leur propriété quasi exclusive.

Ils sont assis là, paisiblement, sans bruit.Comme un rituel journalier dont ils ne se déparent plus. Aussi longtemps qu’il puisse leur en souvenir. Le leur est très exactement en fin de journée, contrairement à d’autres qui n’ont pas, à ce point, pris rendez-vous, permanent. Au moment précis où le soleil se décide à changer de ciel pour partir éclairer d’autres âmes.

Ni un petit crachin ni le froid, pas plus la neige, n’étaient assez forts pour les dissuader de s’installer. Tout juste arrivaient-ils à écourter la tradition. Seule la pluie diluvienne pouvait empêcher le rituel. Quelques jours dans l’année, il fallait se résoudre à sacrifier ce qui apparaissait comme invariable. Une entorse à la règle, l’exception.

Ainsi, au soleil déclinant, le couple qui habite à moins de cent mètres de la place sort-il couvert en fonction de la météo, d’un pas assuré pour son âge, vient prendre son tour. Personne n’aurait eu l’idée saugrenue, à ce moment-là de la journée, de leur chiper ce petit banc.

Seuls les oiseaux, la saison propice, s’invitent pour cette scène. Leur autorisation de séjour probablement due à la mélodie enchanteresse qu’ils servent à nos deux petits vieux. Un gazouillement de spectateurs bruyants pour ponctuer les silences convenus ou échanges spasmodiques des deux en dessous.

 

La femme et l’homme donnent l’impression qu’ils ont attendu cet intermède toute la journée. Qu’ils ne vivent que pour cela, l’un comme l’autre. Ils ont vaqué à quelques occupations du matin au soir pour cette parenthèse toute particulière dans leur existence devenue irrémédiablement monotone.

Leur instant de grâce et de bonheur ultime.

Le cérémonial commence dès l’approche de la place. Sans s’en rendre véritablement compte, l’un et l’autre ralentissent l’allure, autant pour profiter de cette temporalité suspendue que pour ne rien manquer de ce qui s’offre à leurs yeux. Ils balaient, ensuite, la place d’un regard circulaire embrassant la totalité de ce lieu magique. Ce regard exprime parfaitement leur état mutuel. Reflétant leurs états d’âme. Leurs yeux réfléchissent une tendresse empreinte d’une mélancolie heureuse. Un très léger sentiment de petit bonheur perle.

À ce moment particulier, ils sont sereins, apaisés. Toute personne présente peut palper cet instant distinctif, sentir combien l’air exhale le parfum suave de la tendresse. Eux sont simplement heureux. Heureux d’être encore en vie, simplement soulagés d’être là.

Après avoir pris le temps de ne pas se précipiter pour savourer comme il se doit leur approche mesurée, ils reprennent leur cadence pour atteindre le Graal attendu de la fin d’après-midi. S’asseoir sur leur banc. Jamais il ne peut en être autrement.

Une fois posé, ce couple, sans nul doute, figurerait sur une carte postale, personnifiant à merveille leur village. On aurait pu les peindre, mieux, les dessiner au fusain, de dos.

Lui, pas toujours bien assis ; au bord du banc, toujours à la même place, du même côté. Très légèrement voûté, massif, bien que ses formes se soient ramollies. Les deux mains ostensiblement posées sur sa canne. Son regard tantôt au loin, tantôt rivé au sol. À la recherche de quel objet ou sujet ?

Elle, toute menue, droite comme un piquet. La tête bien haute, les lunettes accrochées à son doux visage, son corps parfaitement calé. Ses petits pieds ne touchent qu’à peine le sol. Elle écoute les chants, les bruits et l’air lui murmurer plus qu’elle ne regarde ce qui l’entoure.

 

Ils sont assis l’un à côté de l’autre.

 

 

 

 

 

La journée a bien débuté, l’un et l’autre se sont levés sans douleur, un exploit. Ont déjeuné avec appétit, ce dont ils manquent rarement. Un petit peu de tout ; courses, télé, lecture ont animé leur ordinaire, pour filer, gentiment, vers la tant attendue sortie quotidienne.

En somme, ce n’est qu’une journée supplémentaire, s’ajoutant à toutes celles accumulées ces dernières années. De celles qui ont rythmé leur vieille existence, dont ils se réjouissent avec la simplicité d’en être arrivés à ce stade, goûtant aux plaisirs fugaces de leur âge. Rien d’extravagant, il faut en convenir.

Ils planifient consciencieusement leurs nombreuses activités en préparation de la toute fin d’après-midi. Attendant que le soleil s’efface poliment, emportant avec lui le dernier zeste de fournaise. Cet écrasant sentiment de lourdeur brûlante, bien trop pesant pour leurs corps.

Le fond de l’air s’est suffisamment radouci pour leur permettre de pointer le bout du nez à l’extérieur. Ici, durant les journées estivales, il est impossible à la majeure partie des habitants vieillissants du village, quasi tout le village donc, de se risquer sur le macadam gluant de goudron qui transpire lui aussi de chaleur. Tous préfèrent demeurer cloîtrés à résidence, pour profiter de la fraîcheur de leurs maisons, protégées par les persiennes de bois.

 

Nos deux petits vieux se sont aventurés vers leur siège de prédilection. La place aux marronniers séculaires. La place centrale du village et ce banc, domaine réservé à leurs séants. Ce même banc, cette même place qu’ils viennent occuper depuis des lustres.

Dans ce fameux et inaltérable rituel, ils s’assoient l’un à côté de l’autre.

Ils observent une distance respectable. Une petite frontière invisible à l’œil du commun des mortels, que seuls eux connaissent. Histoire de préserver leur pudique et précieuse intimité. Cette limite raisonnable favorise les conversations quand il leur prend d’échanger un mot, une pensée ou un sentiment.

En la matière, il n’y a pas de préalable. Il leur arrive d’observer le silence absolu, laissant s’égrener des minutes entières, sans qu’ils échangent un traître mot ou une seule syllabe. Juste accompagnés par le récital des petits volatiles bavards. À l’inverse, la conversation peut rouler au gré des envies de l’un ou l’autre, devenant le théâtre d’échanges vifs et spontanés. Sans aucune justification ni signification. Puis cette envie repart comme elle est venue pour se perdre dans l’écorce des arbres témoins.

Quand un mot part, une phrase s’enroule, anodine, puis appelle une réponse. Une conversation prend alors tournure, suit un échange, parfois insignifiant, souvent stérile. C’est ainsi qu’ils conçoivent leur vie, confortée, rassurée par la présence de l’autre, de ces moments passés assis sur leur banc, sur cette paisible place centrale de leur village.

En ce jour lumineux de fin d’été, encore aucun échange ne s’est imposé.

 

Il y a manifestement chez Marie un souhait de mutisme. Elle désire seulement profiter de l’air pur, de cette possibilité de ne pas rester claquemurée dans sa demeure. Sauf qu’il en va tout autrement pour André. Lui a une furieuse envie de parler et ne pas exaucer le désir de son épouse. Visiblement cela le démange, on sent qu’il se retient depuis plusieurs minutes, voire plusieurs jours, comme elle le comprendra plus tard.

Elle le ressent, Marie sent transpirer cette fougue verbale. Elle connaît le bonhomme, prompt à dégainer, quand une idée le taraude depuis bien trop de temps.

C’est bien lui qui découpe le silence en mille morceaux. Ce sacro-saint silence qu’elle est parvenue à instituer depuis quelques minutes. Il attaque de biais, de façon insignifiante, d’une façon qui ne lui ressemble guère, ne laissant augurer rien de bien bon.

 

ANDRÉ : Tu sais que nous sommes environ cinq cents âmes, maintenant.

 

MARIE : Huumm !

 

ANDRÉ : Cinq cents… répète-t-il dans le vide, attendant une réponse, parlant autant aux oiseaux qu’à sa femme.

 

MARIE : Bah oui, et alors ? finit-elle par répondre avec une pointe d’agacement.

 

ANDRÉ : Rends-toi compte, nous étions mille cinq cents il y a dix ans de cela. On s’appauvrit singulièrement. On disparaît au fur et à mesure, c’est évident.

 

MARIE(acquiesçant de la tête) : On s’appauvrit, oui.

Cette fois,avec une légère pointe d’indifférence.

 

ANDRÉ : On meurt aussi.

 

MARIE : … Aussi…

 

Elle trouve que cette conversation ne mène nulle part. Comme elle en a l’habitude, elle n’en est pas plus surprise que cela, tant André est coutumier du genre. Elle demeure en alerte. Non qu’il parle, systématiquement, pour ne rien dire. Il lui arrive simplement de s’égarer sur des sujets anodins qui ne méritent guère le développement de toute une démonstration, qui plus est, alambiquée. Elle ne sait ni où il veut en venir ni comment il va ponctuer ses remarques pour amorcer le motif qui semble être source de tempête crânienne.

Aujourd’hui, bien que d’humeur badine, elle n’a pas l’énergie pour donner du grain à moudre à son fantasque compagnon et ne veut pas s’appesantir sur les digressions de son époux.

Marie laisse en suspens sa dernière réponse, sachant qu’il n’arrêtera probablement pas sa logorrhée. André reprend d’ailleurs de plus belle.

 

ANDRÉ : François m’a dit qu’on avait d’ailleurs agrandi le cimetière.

 

Marie fait la moue, secoue la tête.

 

MARIE : Un village qui agrandit plus son cimetière que ses artères, ce n’est pas bon signe en effet.

 

ANDRÉ : Non, pour sûr (soupira-t-il, regardant au loin, dans le vide). Pas une bonne nouvelle du tout.

 

Un premier silence s’invite, éruptif, comme si cette première salve d’échanges les a éreintés, pour des raisons différentes. Ils donnent l’impression d’avoir été au bout de leurs forces intellectuelles pour bien peu de chose. L’une, peu concernée par la diatribe de son mari, ne voulant que la quiétude alors que l’autre avance sous couvert de propos autant lénifiants qu’anodins, cherchant visiblement l’ouverture, le moment où il pourra placer sa banderille.

Marie n’est pas au bout de ses peines. Elle ne le sait pas encore, mais ne va pas tarder à le découvrir, sous-estimant cet instant logiquement dédié à leur petite sortie rafraîchissante.

André, lui, a juste besoin de reprendre son souffle. Jauger la situation, reprendre le fil de son objectif. Déterminé à passer à l’attaque au moment qu’il jugera opportun. Cependant, pas franchement gaillard à l’idée d’affronter sa femme qu’il juge peu réceptive.

 

Au loin quelques moteurs à essence rompent la bienveillante monotonie de ce village, embarquant André dans d’autres souvenirs. Mémoire d’un bourg perdu dans l’immensité de la campagne. Localité peu concernée par la vie citadine qui le lui rend bien. Ce patelin que la modernité a tout juste effleuré sans le pervertir. Une carte postale, une sorte d’image d’Épinal, que maître temps, lui-même, n’eut pas osé retoucher de peur de commettre un impair en troublant l’ordre naturel.

 

 

 

 

 

Le confort était entré dans les foyers dans sa plus simple expression. Cela suffisait au bonheur des habitants plus enclins à cultiver leurs lopins de terre qu’à décorer de tissus dernier cri leurs murs et sols. Ici on vivait la ruralité avec fierté. Les journées étaient rythmées par des tâches précises, dictées par mère Nature où rien ne ressemblait moins au jour suivant que celui de la veille. Aucun de ces villageois ne s’en plaignait, bien au contraire. Ils avaient choisi cette vie, personne ne la leur avait dictée. Ils la protégeaient jalousement, en gardiens du temple, contre l’envahisseur endimanché qui lorgnait les maisons pour les transformer en pied-à-terre bourgeois dominical ou estival.

Une intimité de paysans aux demeures ancestrales qui sentait bon le terroir. Une vie entre eux à se moquer, narquois, des citadins pâles à faire frémir. Des êtres toujours enrhumés, nauséeux, sans cesse à courir, babiller et téléphoner dans la même seconde. Des agités qui ne prenaient jamais le loisir de regarder autour d’eux ni d’apprécier ce dont la nature leur proposait de s’émerveiller.

Ici, tous étaient à leurs places, conscients de ce qu’ils représentaient désormais, soit pas grand-chose. Une curiosité en voie de disparition. À tout le moins, ils vivaient dans leur village. Guettés par la nuée de vautours prêts à fondre sur la pierre comme sur un morceau de viande dans le désert. Celui dans lequel la plupart étaient nés, comme dans une maison en viager, où le futur propriétaire était quoiqu’il arrive, le gagnant à tous coups. Un proprio simplement peu empressé, sûr de son heure.

Alors, dans ce bourg perdu entre champs et routes, leurs vies s’écoulaient, au gré de leurs humeurs ou plaisirs, surtout de leurs habitudes. Celles qu’ils s’étaient forgées ou que leurs ancêtres leur avaient transmises. Certains n’avaient de choix que de cultiver encore de quoi les nourrir pour vendre le surplus sur le marché afin d’arrondir la maigre pension mensuelle.

La majorité des familles s’étaient ancrées à ce petit village, y avaient fait leur trou, il y a déjà un nombre incalculable d’années, tel un bateau échoué qui ne repartirait jamais. Un tout petit bourg de quelques âmes seulement doté d’une place ceinte de marronniers séculaires, une belle petite place, point central et névralgique que les commerces avaient déserté au fil du temps, faute de clients qui consommeraient sans compter. Ici l’âge des résidents était inversement proportionnel à la somme des petits plaisirs qu’ils s’octroyaient les uns les autres. Plus on avance dans le temps, moins l’on consomme. Peu de besoins, moins d’envies.

Pour les commerçants, c’était une plaie. Eux n’y prêtaient pas attention. Pas de tenues vestimentaires affriolantes, pas d’excès culinaires. Seule subsistait la boulangerie, une tradition nationale. Une maigre épicerie qui changeait de propriétaire tous les ans ou presque. Tant qu’un doux dingue parvenait à faire tourner la boutique et approvisionnait en substances de base, les gros centres commerciaux ou autres hypermarchés pouvaient bien aller au diable.

C’était une vie en quasi-autarcie à peine bousculée l’été par quelques juillettistes ou aoûtiens en mal de repos et tranquillité. Le fleuve attirait ceux qui pouvaient se contenter de se, presque, croire à la mer. Le petit camping, non loin, où des grands-parents hôtes de leurs descendances grossissaient temporairement les statistiques. En septembre tout rentrait heureusement dans l’ordre jusqu’à la saison suivante. Rien qui ne puisse franchement troubler la vie bien réglée des vrais habitants. Leur vie était comme le cours de leur fleuve, imperturbable, gravé dans la roche intemporelle.

 

Pour la grande virée commerciale, la pseudo-grande ville, à une quinzaine de kilomètres, faisait l’affaire. Les plus valides véhiculant les moins mobiles. L’entraide était primordiale pour résister en bande. Malgré tous, les petits potins déplaisants ou avanies locales qui faisaient partie du folklore, d’un joyeux passe-temps, il y avait toujours un voisin prêt à rendre service, plus apte que vous, pour s’occupait du ravitaillement global ou vous évitez de prendre le transport public local. On pouvait épier, baver sur ses compatriotes sans manquer à l’élémentaire nécessité de l’entraide collective. Question de survie du village et de la fierté de ses habitants à perpétuer l’histoire avec un petit ou grand h.

 

Ce petit village avait les pieds dans l’eau. La moitié de son bourg regardait couler le fleuve le plus long de l’hexagone. Le bruissement du cours ajoutait à la quiétude des habitants. Ces courants, tumultueux, passaient avec furie à certains endroits, puis sans transition, docilement à d’autres. Ces flots produisaient un constant frémissement de fond, comme une petite fontaine zen pour adepte de la sophrologie. On finissait par ne plus y prêter trop attention, cela participait de l’ambiance, ajoutait une légère humidité à l’atmosphère, garantissant toujours un peu de fraîcheur quand vous fréquentiez cet endroit propice à la nostalgie et à la rêverie. Il n’était nul besoin d’être un grand artiste peintre pour saisir la scène et en faire un tableau en immortalisant les lieux. En définitive, devant les yeux, jamais blasés, c’était une autre carte postale vivante.

Les maisons, à la genèse de l’existence du village, avaient été construites les unes contre les autres pour illustrer l’absolue proximité de leurs hôtes, conservant la chaleur l’hiver et la fraîcheur l’été. Ce n’est que bien plus tard dans le siècle que les nouveaux venus, épris de liberté, cédèrent aux sirènes du pavillon individuel et du terrain décoratif, eux n’étaient pas agriculteurs de naissance. Ils payèrent le lourd tribut de l’intégration lente, laborieuse, au compte-gouttes. La distinction des uns ne faisait pas le bonheur des habitués, ils devaient le comprendre. Les années accompagnées de leur compère le temps aplanissent les aspérités, effacent les souvenirs et gomment les rancœurs. Les néo-accédants esseulés furent finalement accueillis dans le giron collectif. Il fallait veiller à rajeunir le cheptel.

Le recensement était sommaire, expéditif, un tant soit peu constant. Une génération spontanée renouvelée perpétuellement. Quand certains partaient pour le grand voyage, il y avait toujours un remplaçant qui estimait agréable de passer ses vieux jours ici. Les derniers arrivants s’inscrivaient alors dans le moule sans broncher, comme s’ils étaient là depuis le début. Telle une secte.

Les esprits cyniques ou chagrins le qualifiaient de maison de retraite à ciel ouvert. Grandeur nature. Il fallait être bien peu sensible aux charmes de la nature, de ses bénéfices pour le comprendre. Ou plus prosaïquement, complètement intoxiqué, drogué à l’ultime stade de l’urbanisation brute et aveugle.

 

 

 

 

 

En cette toute fin de journée, à l’heure où le soleil s’étiole gentiment pour ne pas brusquer les vacanciers voulant encore profiter des derniers instants de ces douces après-midi oisives, sous une température devenue plus clémente pour des corps marqués par le temps, sensible à toutes variations climatiques, Marie et André sont sur leur place familière.

Ils sont installés comme à l’accoutumée, puisqu’ils ne sacrifient jamais à leur habitude de prendre place sur ce banc dont l’âge des montants en bronze et lattes de bois doit à peine excéder l’addition de leurs vieux os.

Ils sont là, l’un à côté de l’autre, tel le vieux couple qu’ils forment. Ils sont là, sans se toucher, juste se frôler. Une intimité pudique personnelle indispensable et propre à laisser croire qu’ils peuvent se passer l’un de l’autre ; ce qui n’est qu’une croyance au vu des années innombrables qu’ils ont vécues ensemble, mariés, selon la formule consacrée, pour le meilleur et pour le pire.

 

Une nouvelle pétarade lointaine remet André sur la route. Il reprend le fil de ses pensées éparses et confuses. Dans le même temps, avec le bout de sa canne, prolongement de son cerveau, avec une dextérité d’escrimeur, il décrit des petits ronds dans le gravier de la place.

 

Prémices de l’estocade pour le sujet plus personnel et consistant qu’il garde pour le final, il embraye de but en blanc, sans explication ni transition – elle a l’habitude –, André pense qu’elle n’y prêtera attention, ce qui lui fera une excellente introduction pour porter le coup fatal.

 

Il se décide à briser l’insidieux silence :

 

ANDRÉ(faussement soucieux) :Si nous n’arrivons pas à vendre nos terres,qui s’en occupera dans ce cas ?

 

MARIE(sur le qui-vive) : Crois-tu vraiment que, là où tu seras, tu devras t’en soucier ? répond-elle d’un ton neutre, dénué d’émotions.

 

Pour Marie, en son for intérieur, les alertes sont nombreuses. Trop de questions d’abord anodines, puis plus proches de leur vie, tellement éloignées de ses centres d’intérêt. Une petite voix intérieure lui commande la prudence, surtout, surtout la vigilance.

Quelque chose cloche, il avance à couvert. Cela sent le piège à plein nez.

 

ANDRÉ : Tout de même !

 

MARIE : André, c’est bien la première fois que tu t’en soucies. Pour ta gouverne, notre métayer a l’air intéressé à reprendre la totalité des biens et des machines. Je ne vois pas ce qui te tracasse à ce point.

 

ANDRÉ(perfide) : Je te ferais remarquer que le prix qu’il a proposé est en dessous de ce que tu as évoqué.

 

De l’extrémité de son bâton infirmier, il dessinait de petits ronds dans les gravillons qui crissaient sous le chatouillement du caoutchouc.

 

MARIE(Incrédule) : Vraiment, je ne te saisis pas aujourd’hui. Tu ne t’es jamais soucié des prix. Jamais tu n’as regardé combien nous achetions ou combien nous vendions nos produits. Voilà que maintenant, des années et des années plus tard, quand rien ne sert plus, te voilà sourcilleux et craintif.

 

ANDRÉ