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Pris dans le tourbillon d’un quotidien métro-boulot-dodo, Kevin Tarelli croyait mener une vie stable. Mais sous l’apparente tranquillité, un malaise grandissait. Usé par la routine, vidé de sens, il finit par tout remettre en question. À la faveur d’une passion soudaine pour un tout autre domaine, il décide de tout quitter, de faire une pause, de se recentrer. Ce choix radical, guidé par un besoin vital de renouveau, le conduira à une rencontre inattendue – une rencontre qui transformera sa vie à jamais.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Kevin Todde est un jeune homme porté par l’ambition et la passion des mots. L’écriture, d’abord sous forme de textes de rap, puis de poésie, lui a permis de canaliser une émotion trop longtemps contenue. Sa découverte de la lecture agit comme un déclic : il s’essaie à la nouvelle, avant d’achever, avec détermination, son premier roman. Une épopée intérieure devenue œuvre littéraire.
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Seitenzahl: 265
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Todde Kevin
La rencontre de deux âmes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Todde Kevin
ISBN : 979-10-422-7979-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pour Serena Pestiaux
Lors d’une journée d’agenda vide et de manière perpétuellement inchangée, seul, je décidai d’aller me promener. Je fis demander un fiacre qui viendrait me chercher dans la demi-heure. Cela me laisse le temps de me préparer en conséquence. Une toilette simple, légère et claire. Je me coiffe d’un haut de forme, maintenant paré. Bien que je me voie encore cerné du chagrin d’hier soir.
Mon concierge vint toquer à ma porte ; ma voiture est arrivée.
Ce fiacre est de couleur noire où, dans la cabine, sont disposées deux banquettes rouges comme l’est, au-devant, le siège conducteur. J’ai demandé cette hippomobile sans toit et tirée que d’un seul cheval ; je suis loin d’être pressé et désire, sans en rater aucune branche ni passer à côté d’un seul rayon de ce soleil surplombant aujourd’hui notre plat pays, contempler la flore sans effort.
Au cocher, je présente ces mêmes instructions et j’insiste ; je ne désire point que le cheval ne s’épuise à sa besogne. Baladons-nous tous, profitons de ce que notre planète a à nous offrir.
Je demande également à ce qu’il ne rôde que dans les environs. Je n’apprécie guère m’égarer et me sens irrémédiablement conforté par ces paysages me demeurant familiers. Tout en n’omettant point de couvrir sa journée de deux billets de cinq cents francs belges.
Je puis bien m’octroyer cela ; deux années de labeur aux menus revenus et mon sens de l’économie m’ont fait récolter, en somme, des moyens plus que confortables.
Aujourd’hui, je suis âgé de 17 ans. Je possède un appartement dans la cité de Tubize. Village paisible, confortable et assez désert. Comme le sont également ses environs d’ailleurs.
La voiture se mit en marche.
Ce vent livré par la mobilité me revigore de fraîcheur en cette journée m’ayant déjà tant accablé de chaleur. Dès lors, je profite, je contemple, je me divertis et je songe.
Le film de ma vie me revient, et mon absence d’obligation en ce jour me permet d’en faire le point. Comparer ce qui m’est arrivé, ce que cela fait de moi. Je sais qu’y songer aura le bienfait de m’enrichir encore davantage de ces évènements passés.
Puis je souhaite m’évader. Le cadre s’y prêtait vraiment bien.
Il est également vrai que j’affectionne particulièrement joindre l’utile à l’agréable.
Alors, j’entreprends.
Avoir vécu dans un milieu bien modeste, non aveuglé par la richesse, m’a permis de développer un esprit critique, et ce, très tôt.
Avoir vécu dans les conflits conjugaux m’a permis de développer une force intérieure, de me forger un caractère unique, et ce, très tôt.
Avoir compris que j’aurais à me débrouiller seul dans la vie au vu de tous les imprévus rendant l’avenir si incertain m’a donné la force, l’impulsion fondamentale à ma construction, et ce, également, très tôt.
À 15 ans, je me suis alors paré. Je me suis rendu apte à remplir une fonction professionnelle et ai dès lors commencé à former les bases de ce qui m’assure une vie indépendante aujourd’hui.
M’assurant de m’offrir le bonheur, accompagné, demain.
J’ai commencé en tant que cocher : un patron richissime –puisqu’il possédait à l’époque déjà 5 voitures –m’a fait confiance et, après m’avoir mis à l’épreuve, il m’a quotidiennement chargé de conduire les individus ayant fait appel à nos services.
Si je ne considérais que mon salaire, j’en serais bien malheureux, mais ce qui m’engraissait principalement les poches furent les pourboires de ces généreux locataires ! En me saluant, ceux-ci me glissaient quelques pièces d’or dans la paume de ma main.
J’en fus à tous les coups ravi.
Un an plus tard, le désir brûlant de cuisiner et de perdurer à servir le peuple, j’ai commencé à convertir le blé fraîchement moulu en pain.
Ma besogne consistait à mélanger farine et eau, pétrir cette pâte puis la conditionner au sec pour la laisser lever. Ensuite, je sortais la pâte à pain confectionnée la veille, taillais des portions individuelles et formais grossièrement celles-ci en dômes juste avant de les placer au four. Jusqu’à ce qu’ils soient parfaitement dorés.
J’adorais incarner cette fonction jusqu’à ce qu’une autre passion vienne totalement m’habiter. Et, puisqu’avoir les pieds de plomb à l’idée d’aller travailler, ce n’est pas pour moi, j’ai alors pris une décision : j’ai démissionné.
C’était il y a à peine plus d’une semaine.
Je m’y sens tellement bien dans ce XIXe siècle. On est à l’époque où les arbres ne sont encore saturés de besogne et peuvent répandre, en notre air emplissant le ciel, matière saine à respirer.
Je mène ma vie tranquillement, sans grand luxe, et c’est un choix !
Je fréquente le milieu mondain, j’ai des amis comtes, marquis. S’ils eurent une once de prétention à mon égard, jamais plus je ne les aurais revus. Mais ils ont cette bienveillance, ils forment le soutien dont j’avais grand besoin. Je suis un paysan qui côtoie des bourges. Je ne les vois point souvent, nous ne nous devons rien. De vrais et bons amis.
Ceux-ci m’aident à avancer, me poussent à prendre des décisions et à ne pas me laisser aller à l’abandon. Sans eux, jamais je n’aurais eu le cran de démissionner, d’écouter mes envies et de m’imposer. Imposer mes décisions. Prendre la parole. Parler. Sans penser aux conséquences.
Ils voient quelque chose en moi qui m’est totalement imperceptible. Ils ne savent non plus mettre des mots là-dessus. Moi, j’essaierai.
Je m’essaie à la peinture, ce n’est pas pour moi. Mes esquisses paraissent s’ennuyer davantage encore que leur auteur. Je me suis adonné à la chanson, mais un jour j’ai entendu un verre se briser dans la pièce d’à côté. J’ai abandonné.
Ils croient tellement en moi que j’en ai honte de leur partager mes essais, donc mes échecs. Mais cela m’affecte, me rend chafouin.
Je décide d’aller initier une autre tentative afin de m’extirper de ces émotions négatives mais en résulte un nouvel échec.
D’une manière désespérée, je m’affale sur le sol. Seul, je suis accablé par mes émotions. Mes larmes intérieures me font suffoquer.
Je me redresse et m’adosse à un mur pour retrouver ma respiration et affronter mes peines. Je n’ai plus d’autre choix. Tête baissée, je songe. Je pense au fait que mes amis n’ont pas eu à affronter cette recherche, n’ont jamais eu à s’inquiéter de la récolte de moyens nécessaires à la survie. Ils ont tout reçu de papa et maman, qui, eux, ont tout reçu de papa et maman.
Dans ces moments de peine, je les envie. J’envie leur tranquillité, l’aisance de leurs jours, leur avenir déjà tout tracé. Autrefois, je plains leur ennui, leur totale inutilité citoyenne. Ils ne créeront rien. Ne vivront rien. Outre un mariage dépourvu d’amour.
Ils mènent une vie monotone, sans relief. Dans ces conditions, ils ne peuvent faire émerger ce pour quoi ils sont faits. Ce pour quoi ils sont venus au monde. Ils n’ont pas de rêves. En pensant à cela, je me sens dynamisé, requinqué.
Je dois en parler, en parler à moi-même, cela m’apparaît alors comme une évidence. Là, tout de suite, je dois écrire.
Dans l’émotion, je dois écrire. Je ne dois pas laisser disparaître ces pensées m’ayant inondée.
Je dois les attraper au vol pour les coucher à jamais.
Alors je me relève, je saisis une feuille de papier, une plume, m’assois à mon bureau et je vide mon esprit. Je parle de moi, et pour éliminer toute ambiguïté du choix du premier mot, je commence par « Moi ». Permettant le déblocage de l’initiation.
Au début, il y a de l’euphorie, il y a aussi de la crainte d’être trop lent à poser mes idées sur papier et ainsi ne plus habiter mes propos. Ce qui ferait perdre tout sens à mon initiative.
Je m’empresse alors.
Mes larmes d’il y a quelques instants paraissent alimenter ma plume qui trace, à la vitesse de mes émotions, des mots à l’harmonie surprenante.
Je couche donc sur papier des bribes de pensées. Puis je m’amuse à les lier. Je prends plaisir à réfléchir à la manière de rendre ces phrases encore plus délicates, tout en ayant un sens très directif, immersif.
Mon désordre mental des débuts devient alors limpide, clair. Allant me faire soutirer des enseignements, j’en suis certain.
Cela me permet de vider mon esprit aussi. D’entièrement alléger mon cœur, de délester mes épaules. La tête inclinée vers le papier aujourd’hui pour me faire redresser la tête, demain.
Sur ce papier, j’ai écrit :
Moi, ce qui me fascine, ce sont les petites choses du quotidien, ces petits évènements qui viennent perturber le pacifisme. Ce que je veux exploiter, c’est ce rien qui devient immense. C’est partir de rien pour créer l’inéluctable.
L’inéluctable pour laisser ma trace.
Qu’il y ait toujours une trace de moi sur cette terre, même si douze siècles se sont écoulés depuis ma disparition.
Je veux écrire.
Finalement, c’est un texte simple à l’amorce maladroite qui en ressort. Mais un texte empli d’aveux. Totalement sincère et sans fioritures.
Le modifier serait en altérer, en diluer les propos. Ces propos définissent ici qui je suis et ce que je veux exactement. Posant des mots sur mes désirs enfouis.
Je veux écrire.
Je ne peux décrire le plaisir que j’y ai pris. Je me sens capable de conter ma vie, d’en imaginer d’autres. De prendre de multiples positions au sein d’un même évènement. Et j’arrive à exprimer tout cela sans souci. En parvenant même à jouer de la langue française. Sans perte d’idées neuves. Sans manque d’inspiration.
J’en viens alors à me poser des questions. J’aperçois évidemment que cette fois-ci, l’initiative ne s’est pas soldée par un échec. Mais, ai-je du talent ? serais-je réellement capable d’accomplir mes ambitions ? d’en faire quelque chose ? d’en vivre ?
Dans tous les cas et qu’importent ces questions qui ne trouveront réponse que bien plus tard, dans un futur inconnu par définition, je m’en donnerai les moyens. Je rendrai cela possible.
Déterminé, je veux y croire.
Et quoi de mieux pour commencer à écrire que de retrouver complètement le bonheur.
Je décide donc, avant d’entamer ce projet, de me laisser du temps. De profiter de la vie. De me ressourcer par le biais de la nature. Par le biais du repos. Maintenant que je n’ai plus à aller me salir dans la farine.
Maintenant que j’ai l’occasion d’être libre, je veux retrouver cette liberté. Prendre le temps de m’accorder du temps. Du temps pour moi et pour autrui.
Tout cela s’est passé hier soir.
Puis je suis allé dormir.
Nous sommes le samedi 3 mars 1883. Je suis en promenade dans le fiacre naviguant lentement désormais. En temps normal déjà, cette voiture tirée par deux chevaux ne parcourt que 3 lieues en une heure. Ici, nous n’en parcourrons que deux, soit 8 kilomètres par heure.
Je suis parvenu à produire un tel récit de ma vie car le paysage vert, teinté d’or de par ce soleil au zénith semblant s’être perdu au milieu d’un ciel d’un bleu pastel et sans tache, m’a véritablement hypnotisé. Je pense n’avoir jamais été autant apaisé.
Je me demande comment les gens peuvent rester malheureux lorsque le monde et les paysages peuvent offrir bien plus que de la confiance en soi.
J’ai énoncé cette phrase un jour ; depuis, elle me reste en tête en sa formulation exacte, au mot près. Il est irréfutable que la nature offre un type de bonheur qui ne peut se retrouver ailleurs. Et qui produit un bien fou.
Je suis lié à la nature, lorsque je suis chagriné, je saute dans ses bras. Mais également lorsque me vient le désir de m’isoler, de réfléchir. Ou simplement me confesser. Ces infrastructures naturelles seront toujours une oreille tendue ne vous jugeant point. Et pour cause est-elle dotée d’un mutisme inviolable. C’est dans le calme qu’on viendra agir de manière non provoquée. Qu’on produira l’unique, l’original, le jamais vu. C’est heureux qu’on livre le meilleur de nous-mêmes.
Bref, la voiture m’a fait traverser la campagne.
Les routes sont sinueuses, dégradées, je suis un peu secoué même si le fiacre dispose de sièges d’un confort exquis. Durant cette promenade, pourtant, tout me semble parfait. Le cheval blanc paraît également en profiter.
Contrairement aux chevaux des omnibus, celui-ci ne gémit pas. Je ne m’inquiétai point qu’il s’arrête quelques fois se restaurer de foin frais bordant les routes. Cela fait selon moi partie intégrante de la balade. Dans les grandes villes, cela exaspère les gens, ils n’ont aucune compassion pour cet animal qui doit traîner presque une tonne de charges toute la journée, et parfois la nuit.
À quoi s’attendent-ils ? à ce qu’on aille encore plus vite ? sans limites, sans repos et sans que la bête ne s’alimente ? Comment diable pourrions-nous ?
Ces individus m’insupportent et me font ressentir tant de haine. S’ils avaient vécu un demi-millénaire auparavant, ils auraient été ravis de pouvoir être déplacés sans effort, eux et leurs bagages. Ils en auraient rêvé même.
Les voitures ne sont apparues qu’au XVIe siècle, déjà en réponse aux requêtes de la population ne trouvant les trains et coches d’eau suffisamment pratiques. Puisqu’ils ne permettaient point d’atteindre leur destination sans haltes. Et voilà que la population d’aujourd’hui s’en plaint.
C’est un fait observé, l’appel aux services externes l’emporte sur l’autonomie. Plus personne ne cherche à se débrouiller. Quelle génération.
Je ne suis pas très sociable, au fait. La moindre extravagance me surprend. Le moindre éternuement me dégoûte, m’irrite. J’ai parfois l’impression d’être le seul individu doté de courtoisie, de politesse et de bonne tenue en public.
C’est une des raisons pour laquelle je me tiens souvent seul et n’ai un cercle de proches que très restreint.
Il se pourrait que certains moments uniques de ce fait m’échappent. Moments de partage, moments réels de fraternité, de complicité me soient soustraits. Mais je m’en contente bien, c’est cet isolement et ce temps rien que pour moi qui font mon bonheur.
Du moins, pour l’instant.
J’approche d’un village ; rien n’est indiqué mais je déduis cela grâce au moulin, à la cloche nous regardant de haut et aux individus marchant dans les ruelles. Cela rajoute de l’animation à ma promenade, il en fallait bien.
Cela me distrait également, puisque je les observe ; ils semblent tous aller quelque part, mais où ? Je trouve cela amusant d’imaginer un tant soit peu leur vie, leur fonction, leurs caractéristiques. Je suis imaginatif, j’ai l’esprit créatif, paraît-il.
Je ne saurai jamais si mes hypothèses sont correctes, mais moi, j’y crois. Ça m’épanouit.
Ce passage au sein du village me permet également de constater l’industrialisation qui apparaît de manière évolutive.
Tandis que, plus tôt, c’était l’installation des chemins de fer, l’apparition des trains à vapeur, les premiers navires flottant sur nos canaux et les hippomobiles qui marquaient une certaine césure temporelle, aujourd’hui – jouxtant nos toutes nouvelles routes habillées de réverbères créant un style à l’anglaise –, c’est l’arrivée des commerces comme les cordonneries, les magasins de tissus après les premières productions en usines textiles qui marquent le renouveau.
Ici surtout, à Quenast, l’activité faisant la renommée de la région est l’extraction de porphyre dans les carrières. Le porphyre est ce matériau formant les pavés de nos routes, de nos trottoirs.
En effet, le chemin pavé sur lequel vous marchez quotidiennement est certainement fait de porphyre provenant de Quenast, où que vous soyez en Belgique ou dans le monde.
Je trouve cela abasourdissant, je suis fasciné après que mon cocher m’eut conté ce fait.
Je n’aurais jamais cru qu’une telle activité puisse se produire dans un village si petit, si doux. Dans la vie, jamais, je ne cesserai d’être surpris.
Ma promenade se poursuit.
Longeant maintenant un couloir d’arbres, je me vois approcher un autre village, une autre civilisation, peut-être même une ville. Cela m’a finalement été contredit par mon chauffeur, qui m’informe que ce lieu se trouve être le village de Rebecq.
Ce que j’en vois pour l’instant ne sont que quelques habitations, deux ou trois commerces et un imposant moulin.
Lui connaît parfaitement les environs, il y passe souvent pour ses courses. Il me conte alors des anecdotes, puisqu’il me sait très intéressé, très à l’écoute, attentif au moindre fait divers pouvant m’enrichir de quelconque manière.
Moi, je suis comme cela car je sais, à coup sûr, que ces renseignements me serviront un jour.
Je résume alors ce qu’il m’a partagé :
Rebecq détient également de l’histoire, puisqu’elle est le lieu de naissance d’Ernest Solvay. Depuis 1863, celui-ci construit un véritable empire de la chimie. Il a découvert un procédé permettant la production du carbonate de sodium en industrie. Production industrialisée, puisque cette matière fut trop rare à l’état naturel.
Il fait breveter son invention en 1861, puis commence à connaître le succès. Le carbonate de sodium est un produit très recherché puisqu’il permet la production de verre notamment. Son importance s’étant considérablement étendue depuis la révolution industrielle.
Dans l’optique d’exploitation donc, il ouvre son entreprise et sa première usine en 1863.
C’est ainsi qu’au bout de sa quatrième année d’usinage, ce ne sont pas moins de 3 tonnes de soude qui sont produites. Son entreprise devient une référence mondiale de l’industrie chimique.
Il parle de s’exporter, lui qui à coup sûr subira une renommée internationale. Puisque, petit à petit, c’est son procédé qui devient la principale méthode de fabrication de la soude. Que son usine tourne à plein régime et que, d’ores et déjà, il génère des centaines de milliers de francs.
Ce village est également connu pour, plus tôt, avoir appartenu à la famille d’Arenberg. Cela n’a pas eu de grandes incidences, outre le fait qu’ils aient donné leur nom au grand moulin écrasant sans arrêt le blé pour former la farine.
Je le connais très bien, ce moulin, puisqu’il nous fournissait lorsque je préparais le pain, il y a encore peu.
En dehors de tous ces faits historiques, Rebecq se révèle être un havre de paix, du moins, je l’observe.
Puisqu’il est vrai qu’à l’heure où j’y circule, la population est déjà en pleine besogne ou est en chemin vers son lieu de travail. Ici, soit au moulin, soit à la gare, soit à l’usine textile, ou bien allant épauler les maraîchers ou encore les cordonniers.
À tous les coups, mon cocher saluera encore quelques autres chauffeurs de fiacres, déambulant partout au sein du village.
C’est l’esprit songeur mais en paix que je poursuis ma virée quand, de nulle part, mon regard vient croiser celui d’une dame occupant alors tout à coup tout l’espace.
Elle est de ce phénomène inexpliqué qui parvint à nous faire placer le regard sur l’endroit à voir, instinctivement tenu fixé, quelques secondes avant que se produise une catastrophe naturelle. Et celle-ci en est la plus surprenante. Celle que je n’aurais voulu rater pour rien au monde. Alors, je ne rate aucun évènement. Si j’étais sensé, en cet instant, j’aurais demandé au cocher de ralentir ou bien, carrément, de s’arrêter. Pour moi, mieux vaut pouvoir investiguer. Mais je suis paralysé, accablé d’émotion, pris de court, pris de surprise, de joie, de stupeur et d’impossibilité. Elle est de cet ordre à m’avoir fait perdre mes moyens, tous mes moyens. Sans m’avoir touché, elle m’a atteint. Sans m’avoir regardé, elle m’a affaibli. Ne me rendant plus capable de la moindre mise en action, m’ayant intégralement avachi.
C’est une jeune femme à l’aura écrasante que j’aperçois dès lors. Puis qui me capte tout entier. Je ne vois qu’elle, déambulant le long de ce trottoir. Le pas un peu pressé, tenant quelques affaires dans ses bras. Ses bras nus, ses mains certainement faites pour l’or pourtant plutôt faites d’argent. Comme l’est tout son corps d’ailleurs.
Elle est d’une pâleur mise en lumière par ses cheveux, ses sourcils foncés, presque noirs, provoquant un contraste exquis. Une peau blanche faisant d’elle une femme sublime, pure, propre.
Elle a un teint rayonnant. Mon Dieu que le soleil lui va bien également !
Elle porte une toilette couleur lilas. Cette couleur est rare, où a-t-elle bien pu se la procurer ?
Elle met si bien son accoutrement en valeur.
Cette robe ne faisant qu’un avec sa chair marqua, même vu de loin, tout le dessin de son corps. Libérant sa silhouette.
Elle est fine et petite, si mignonne !
Là encore, un contraste surprenant puisqu’elle rejette un charisme accablant.
Elle est d’une finesse témoignant d’une vie saine, d’une corpulence marquée, prouvant une robustesse insoupçonnable.
Elle est somptueuse. Elle est de celles qu’il faudrait peindre, ou qui aurait pu être peinte, tant elle est originale, marquante.
C’est une de ces femmes à chérir sans modération.
Elle est unique.
Elle est de celles qu’il faudrait préserver en l’état. La protéger pour que jamais elle ne soit égratignée. Jamais qu’elle ne fasse face à la brutalité du monde, la violence des individus, des évènements, de la faune et de son hasard.
Elle est de celles qu’on abstiendrait de tout effort, de tout emploi, de toute misère.
C’est une paysanne, j’en suis certain ! Les femmes haut placées ne sont jamais si jolies.
Elle, est dotée d’une simplicité. D’un charme tout naturel, un charme éclatant. Un charme pouvant faire virevolter la tête des hommes. M’ayant fait virevolter la tête.
Les femmes sont une préciosité, un cadeau de Dieu. Et elle en est certainement la représentante la plus valeureuse.
Si elle n’avait existé, il aurait fallu la créer. Pour que je puisse venir combler son cœur, répondre à ses requêtes, puis assoupir ses désirs.
Comment est-ce que, d’un seul aperçu, cette dame a bien pu me charmer de la sorte ?
Jamais n’ai-je ressenti cela et ce ressenti reste marqué quand bien même a-t-elle déjà disparu dans la campagne, derrière je ne sais quel bâtiment.
À vrai dire, je ne l’ai même pas vu, le paysage. Elle a capté toute mon attention. Quand bien même n’y étais-je préparé, ne savais ni où placer le regard.
Pourtant, je l’ai vue. Jamais plus je ne saurai effacer cette vision de mon esprit.
Le 3 mars 1883, je l’ai rencontrée.
Pendant l’entièreté du chemin me restant encore à parcourir, cet instant me resta ancré. Il n’en est de quelque chose que l’on se doit de retenir, mais de quelque chose qu’on a retenu. Qu’on retiendra à vie.
Un fait seul et unique me contrarie dans cette rencontre, elle marchait aux côtés d’un homme. Un homme de son âge avec qui elle semblait partager une certaine complicité. Si ce n’est de l’amour, serait-ce un type d’attachement, un lien non rompu. J’ose espérer qu’elle n’est éprise. Le fait qu’elle eut les mains tant encombrées qu’elle n’eut pu montrer rien de physique me tient optimiste. Il est probable que je me sois même trompé sur leur lien et qu’ils forment de parfaits inconnus. L’homme serait tout simplement venu lui demander son chemin, ou bien même l’heure, s’il ne possédait de gousset. Ou ce fut certainement un collègue de travail habitant non loin de chez elle avec qui elle fait le chemin pour se sentir moins seule. Ou qu’il se sente moins seul.
Cela doit être ça.
De toute manière, qu’il fasse partie de sa vie ou pas, je compte bien l’en extraire. Faire en sorte qu’elle soit mienne à jamais.
Plus tard, dès que je serai retourné dans ma chambre, j’initierai mes recherches. Je listerai chaque point m’étant à confirmer pour ainsi me rapprocher au plus près de ce qui est factuel, parmi tout cet abstrait.
Que j’aurais aimé me retrouver plus près d’elle et humer son parfum. Sentir la chaleur de son corps. Que j’aurais aimé contempler ses traits de manière plus définie. La proportion, la disposition de ses organes formant son visage pour mieux me les remémorer.
La proximité m’aurait tant aidé à la retrouver plus facilement, plus rapidement. Cela m’aurait également permis d’entendre le son de sa voix, son débit, son intonation, qu’ils me demeurent en tête tels une douce mélodie ou bien le rythme de ma chanson préférée. Que j’aurais voulu essayer de percevoir son accent, son habileté linguistique. En déduire sa provenance, en comprendre son statut.
Cela me torture à présent, l’instant de bonheur d’il y a peu me fait horriblement mal et, pour l’instant, je ne peux y remédier.
Cela relèverait du miracle de la recroiser durant le chemin terminant ma promenade. Cela est même physiquement impossible mais diable que cela me ferait du bien.
Je ne dois pas me raccrocher à cette idée qui ne se produira de toute manière jamais. Je dois garder mon énergie afin de pouvoir la revoir un jour. Transformer cette frustration en motivation. En détermination prête à surmonter tout obstacle, tout échec, toute épreuve. C’est de patience qu’il faudra m’armer.
Beaucoup de patience.
Mon chauffeur m’a raccompagné chez moi tandis que le cheval blanc semble me remercier.
Qui sait ? lui aussi a peut-être rencontré l’homme ou la femme de ses rêves durant cette promenade. Je m’en réjouis à imaginer cela probable.
Je remonte, le concierge me distribue un courrier que je ne lis point ; je m’empresse de rendre mes recherches effectives. Pour cela, je me débarrasse, je vais prendre un bain. Où mes songes perdurent en éveil.
En habits de nuit, je me place à mon bureau, ressaisis ma plume, mon encrier et j’écris :
Mais qui est cette femme, où allait-elle ?
Par chance, elle m’a laissé quelques indices. M’a avoué certains traits de son identité et m’a laissé des pistes. Comme si elle avait voulu que je la retrouve. Que je la piste. Que je vienne la chercher. L’extirper de sa situation.
Ne serait-ce que mirages ou bien puis-je en déduire qu’elle m’a perçu.
Qu’elle eut créé le jeu dont j’aurai à constituer les règles. Qu’elle m’en eut donné les cartes. Et que j’ai désormais à deviner le cheminement de cette partie pour l’initier et un jour en connaître l’issue.
Elle est une énigme que je veux résoudre.
Elle est une douceur que je veux ressentir.
Elle est une femme que je veux chérir.
Elle est une lueur que je veux dissoudre.
« Avant tout, elle est un ange que je veux à mes côtés. »
Tout est mystère, finalement. Mais j’en suis quasi certain, au vu de l’heure et de son empressement, qu’elle alla se rendre au travail. Il faudra que je la suive, un jour, pour en avoir le cœur net.
De par son lieu de travail, je pourrai recevoir son identité, ses informations, peut-être l’adresse de son domicile. De sa résidence ! Ainsi, je pourrai la contacter, l’inviter, qu’on fasse connaissance !
Que j’en rêve, que j’en suis enthousiaste ! Je me sens comme un aveugle ayant retrouvé la vue. Comme un enfant à qui on offre le jouet dont il a tant rêvé. Je me sens comme un fan qui rencontre son idole. Cela fait des lustres que je ne me suis plus senti si gai !
Que cela rend fou, l’amour !
C’est décidé, demain, je tenterai de la retrouver. Je la suivrai, sans lui faire peur, je l’espère.
Je n’ai ni le courage d’aller directement l’aborder ni d’autres moyens d’y parvenir… Puis, ne la brusquerai-je pas en osant m’introduire ? Je ne peux prendre de risque.
Trouver le sommeil se révéla être une grande épreuve tant l’excitation de la revoir le lendemain fut conséquente.
Tant je l’attends.
Je le jure que si j’avais pu donner de l’argent pour faire s’écouler le temps plus rapidement, je l’aurais fait sans hésiter. Mais rien ne fait passer le temps plus vite que tomber dans les bras de Morphée. Je tentai donc de ne plus penser à rien. J’écoutai la douce mélodie des battements de mon cœur, un rythme régulier au bruit sourd, apaisant et soporifique…
Le lendemain, à 7 h 30, j’appelai à nouveau mon fiacre pour un départ à 8 heures. Entretemps, je pris une douche, me brossai les dents, scrutai le moindre défaut dans mon reflet, me fis beau. Me faisant paraître sous mon meilleur jour pour, je l’espérais, la séduire. Qu’elle me voie comme je l’avais vue. Qu’elle ne puisse plus détourner le regard de moi. Que je la capte, que je l’intéresse, que je la freine dans sa course.
Il est l’heure, la voiture m’attend, attelée maintenant de deux chevaux pour atteindre la destination au plus vite. En moins de trois quarts d’heures logiquement.
Je commandai au cocher de m’amener le plus rapidement possible à Rebecq. Sans émettre aucune justification au préalable.
— Je suis navré, chevaux, une balade n’est point au programme, aujourd’hui –
C’est le moment tant attendu, la voiture initie ses premiers tours de roue.
Malgré ce mouvement, ces êtres en activité à proximité, je me retrouve seul avec moi-même. C’est un sentiment rare qui me traverse alors.
Je ressens en moi une pression lourde, m’envahissant. Cela m’angoisse finalement. Je n’ai point pour habitude de sortir de ma zone de confort. Je ne l’ai jamais fait, pour être tout à fait honnête. Mais jamais je ne renoncerai. Dès lors, je tentai de transformer cette appréhension en enthousiasme, en excitation.
Le chemin me paraît long, très long, plus long que lorsque je me promenais, la veille. Or j’y circulais certainement deux fois moins vite. Mon impatience n’est plus soutenable. Je veux la voir, produire de nouveaux souvenirs, enregistrer en mon esprit de nouvelles images sur lesquelles je pourrai me reposer. Donner matière à former des mirages en moi allant me porter réconfort lorsque je me sentirai incapable. Allant me redonner la force, comme si cette dame me soutenait déjà, m’épaulant.
Plus que tout, je veux me rapprocher d’elle, jusqu’à ce qu’il n’y ait, entre elle et moi, plus de frontière aucune. Que je puisse l’aborder sans gêne et qu’elle me réponde tendrement. Que lorsqu’elle me mentionnera, j’accourrai gaiement la rejoindre.
Que l’on puisse former nos premiers moments ensemble, proches.
Mais pour cela, il faut que je surmonte les obstacles, que j’évite toutes les embûches allant obstruer mon chemin. Que je ne fasse preuve d’impatience, puisque je me créerai une pression qui me vouerait à un échec certain.
Arrivé sur les lieux, je demandai au cocher de se stationner, lui dis qu’il pouvait aller se rafraîchir en allant boire un bock ou deux à la terrasse du restaurant non loin, tout en lui tendant un billet de 200 francs.
J’insistai en lui disant que les chevaux, eux aussi, eurent droit à du repos.
Mes propos furent appuyés par ma culpabilité de les avoir pressés de la sorte.
Il me demanda tout de même la raison de ce congé ; je lui répondis, de manière ferme, attendre quelqu’un qui n’arriverait que bien plus tard. Puisque nous nous entretiendrons dans le cadre d’une réunion au sujet confidentiel, intime. Que je n’eus que pour une heure et demie, tout au plus. Que je ne pus en dire plus. Qu’il devrait attendre mon signal afin qu’il me rejoigne et qu’on puisse s’en aller. Qu’on aurait à raccompagner cette personne chez elle avant de regagner le chemin de mon appartement.
Une fois prêt à partir, je lui mentirai en disant que la personne m’a fait faux bond.