Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Dans le royaume de Verna, la pratique de la magie est désormais interdite par la loi. Les mages sont traqués puis exécutés. Pour Morana, une sorcière crainte par les Verniliens, impossible de rester. Elle doit fuir le pays et retourner auprès des siens loin au sud. La route est longue mais un soutien inattendu vient lui donner de l’espoir alors qu’elle est pourchassée par la milice royale…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Fasciné par les univers de l'imaginaire,
Maxime Degrolard est un adepte de lecture et d'écriture. Les mots lui permettent de créer son propre monde.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 263
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Maxime Degrolard
La sorcière de Verna
Roman
© Lys Bleu Éditions – Maxime Degrolard
ISBN : 979-10-377-7821-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les cloches retentirent dans toute la vallée. Dix coups furent frappés à intervalles réguliers et résonnèrent dans un profond écho interminable. La mélodie sinistre fit vibrer la cime des arbres et annonça le danger imminent. La nuit installée depuis plusieurs heures déjà, la cité commença à s’agiter. Les Corbeaux étaient lâchés.
Au milieu des bois, Morana fut réveillée en sursaut par ces cloches si lointaines et si proches à la fois. Son cœur palpita et son souffle s’accéléra. Des sueurs froides longèrent son échine. À peine réveillée qu’Anne pénétra dans la cabane.
— Dépêche-toi, il faut partir, ordonna-t-elle.
Morana repoussa la peau de bête qui lui servait de couverture, bondit hors du lit puis enfila rapidement sa robe tout en s'assurant de la présence de l’améthyste sertie à son col. Une fois prête, la jeune femme suivit sa mère à l’extérieur. Les sorcières s’activèrent dans le hameau. Toutes vêtues de cette robe ornée d’une pierre précieuse, elles comptaient bien riposter. Les plus âgées s’enfonçaient entre les pins et proclamaient d’étranges incantations dans une langue inconnue. Certaines s’étaient mises en cercle et communiquaient avec le monde des morts. En guise de réponse, des bras rachitiques et décharnés jaillirent du sol. Une autre amena une chèvre au milieu d’un cercle de pierres maculées de sang avant de l’égorger sans une once d’hésitation. Les bêlements d’agonie se transformèrent lentement en cris rauques et monstrueux tandis que l’animal se noyait dans un brouillard de ténèbres sorti du sol.
Morana regardait avec inquiétude ses consœurs se préparer pour la bataille. Jamais elle ne les avait vues ainsi. Le regard sombre, chaque sorcière s’attelait à la plus macabre des magies dans l’espoir de repousser l’ennemi et n’hésitait pas à transgresser les règles pour promouvoir leur survie. Plusieurs même se précipitèrent à la fosse remplie de cadavres et se transpercèrent le sternum avec des os, rite pourtant interdit en temps normal mais la situation l’exigeait. Du sang noir en trop grande quantité se mit alors à couler jusqu’à recouvrir l’allée. À genoux dans la marée noire, les sorcières plongèrent leurs doigts puis réalisèrent un maquillage de sang sur leurs visages. Devenir des Messagères d’Eresh aussi promptement impliquait une situation bien pire qu'anticipée. Les évènements avaient si vite tourné au cauchemar.
— Regardez ! Ils arrivent !
Un coup d’œil en direction de la ville donnait une vision des trois immenses dirigeables mettant le cap sur le hameau. Même de si loin, leurs tailles obstruaient les lumières de la ville. Des monstres gigantesques capables de se déplacer dans les airs et par-dessus les cités, le fleuron du Royaume de Verna, aussi impressionnant que terrifiant. Morana les avait toujours vus flotter tels des gardiens suprêmes et se demandait même comment de si larges bâtiments pouvaient se mouvoir. Mais en cette nuit, alors qu’ils approchaient, la jeune sorcière n’eut plus aucun doute : les dirigeables se déplaçaient vite.
Les chevaux ne cachèrent pas leur agitation malgré les tentatives d'apaisement des plus jeunes sorcières. Anne rassembla brusquement les trois enfants en plus de sa fille alors âgée de dix-neuf ans. Comme toutes les sorcières depuis leur premier sort de magie noire, Anne distinguait parfaitement les silhouettes au milieu de la nuit, leur nyctalopie étant caractérisée par des yeux violets. Son cœur se déchira devant ces quatre jeunes femmes terrifiées et perdues. Anne agrippa fermement les épaules de sa fille.
— Écoutez-moi bien. Vous allez prendre les chevaux et partir. Nous allons être séparées pendant un certain temps. Vous serez seules. Fuyez vers le sud, rejoignez les Gorges de Médisse et franchissez la frontière !
Les jeunes sorcières parurent choquées.
— La frontière ? répéta Morana. C’est à des semaines même à cheval.
Anne resserra son emprise sans cacher sa détresse.
— Je sais, mais nous ne pouvons plus rester en Verna. Fuyez aussi vite que vous le pouvez, évitez les contacts avec les verniliens et surtout, ne vous faites plus voir aux abords des cités ! C’est compris ?
— Mais…
Anne la secoua.
— C’est compris ?
Les sorcières acquiescèrent d’un hochement de tête, les visages crispés par la peur.
— Nous essayerons de vous y rejoindre.
Anne plaça de force les enfants sur les chevaux. L’une d’elles pleurait mais Anne fit fi de ses émotions. En sauver quelques-unes serait considéré comme une victoire car elles doutaient de pouvoir arrêter les Corbeaux avec une quinzaine de mages seulement. Anne s’accrocha à la selle du cheval de sa fille et embrassa sa main.
— Vous écouterez Morana, c’est bien clair ? (Elle attendit leurs réponses avant de reprendre plus doucement.) Cours aussi vite que tu peux, ne te retourne jamais, tu m’entends ?
— Viens avec nous ! J’ai peur.
Mère et fille partagèrent une embrassade emplie de tristesse.
— Je ne peux pas, je vais vous faire gagner du temps. Tu vas y arriver, j’ai confiance en toi. Allez, partez maintenant !
De sa main enflammée, Anne claqua la croupe du cheval qui partit au galop dans un hennissement de douleur. Les autres étalons suivirent. La sorcière inspira profondément et reprit la direction du hameau à grandes enjambées. À son tour, elle s’enfonça un os dans la poitrine et comme les autres, du sang noir s’écoula à ses pieds. Anne trembla en gardant le fémur cassé entre ses seins. Elle maudissait ce pouvoir de tout son être, mais la protection de sa fille passait avant tout, quitte à devenir une Messagère d’Eresh. Le visage désormais peint de la couleur des Abysses, Anne embrassa pleinement sa magie.
Le premier canon retentit et, quelques secondes plus tard, le projectile s’écrasa sur une cabane qui vola en éclat. Les sorcières se hâtèrent alors que les canons tonnèrent les uns après les autres. Les troncs d’arbres explosaient à l’impact, le sol grondait, le vent sifflait, mais rien pour les déstabiliser véritablement. Les dirigeables approchaient.
Des sorcières se tinrent les mains en cercle. De leurs bouches jaillit d’abord une faible buée qui se transforma en un nuage opaque. Ce dernier grossit et grossit encore jusqu’à envelopper le cercle de femmes, le hameau puis une partie de la forêt.
Sur le pont du dirigeable principal, Eldric regarda le nuage engloutir la région. Sa réaction fut pour le moins anodine contrairement à d’autres soldats, notamment les plus jeunes, observant le phénomène avec un certain entrain et inquiétude. Comme tous les Corbeaux, il portait l’uniforme militaire noir aux boutons et épaulettes dorés, de même que ses deux chaînes autour du cou. À ses pieds, son magnifique doberman, immobile telle une statue.
Un Corbeau s’approcha, le pas pressant, et le salua. Il portait le même uniforme, une chaîne en moins.
— Capitaine, devons-nous continuer à tirer ?
— N’arrêtez pas. Nous devons les faire sortir de leur cachette. Chargez vos fusils et vos pistolets, nous allons descendre.
Le soldat parut déconcerté.
— Dans cette purée de pois ?
— Non, le nuage n’est qu’une diversion. Certaines vont en profiter pour s’enfuir. Nous allons nous mettre en chasse tandis que l’amiral s’occupera du gros des sorcières. Préparez également deux petits dirigeables, nous allons faire deux groupes de trois.
— À vos ordres, capitaine !
Eldric traversa le pont pour rejoindre son supérieur, trois chaînes autour du cou. Le dirigeable était conçu pour transporter une centaine de soldats, chacun s’attelant à une tâche spécifique. Au-delà de son agencement simpliste, le pont disposait de tout un arsenal pour participer aux batailles, d’immenses harpons, mais surtout de nombreux canons sur tous les bords. Un immense navire volant à la puissance dévastatrice qui propulsa le royaume parmi les plus puissants pays du continent. Eldric se rappelait très bien de sa première utilisation lors de la Guerre d’Indépendance. Il avait assisté au bombardement de l’ancienne capitale Duruman avec une force si incroyable que le siège n’avait duré que quelques heures. Appelé après coup le Tempête, le dirigeable devint l’emblème du nouveau royaume que portait fièrement le capitaine sur son col.
— Amiral, dit-il accompagné d’un salut, je suspecte des fuyardes. Permission de prendre des aéronefs pour les traquer ?
Son supérieur resta concentré sur les canons et ne daigna pas se retourner pour lui faire face.
— Combien d’hommes comptez-vous prendre ?
— Six dont moi-même.
— C’est peu. Et si elles sont plus nombreuses que prévu ?
La cadence de tirs s’intensifia et Eldric dut élever la voix.
— J’en doute fort. Les sorcières savent très bien qu’il est impossible de distancer le Tempête. Elles pourraient également s’enfuir dans plusieurs directions, mais nos dirigeables les rattraperaient. Je pense qu’elles vont rester ici en protégeant la fuite de certaines.
— Bien. Je vous offre un soutien, l’un des dirigeables va rester en retrait si nécessaire.
— Merci amiral.
Eldric rejoignit l’entrepôt pour récupérer son fusil et des balles au milieu des centaines d’armes et de munitions prêtes à l'emploi. Il vérifia que son pistolet à six coups était bien chargé puis partit dans la section des canidés à la recherche des extensions mécaniques. Une fois trouvées, il accrocha le harnais à son chien, le dotant de quatre pattes mécaniques supplémentaires.
Les soldats l’attendaient auprès de versions miniatures du Tempête sans canon. Eldric abrégea en quelques mots ce qu’il attendait d’eux. Chaque seconde comptait, ils ne pouvaient se permettre de perdre trop de temps. Même si de nouvelles recrues étaient présentes, ils restaient des Corbeaux, l’élite du royaume et se devaient d’être capables d’agir en conséquence. Sans attendre, les deux groupes décollèrent et s’écartèrent légèrement de l’immense dirigeable tandis qu’il encaissait ses premières attaques. Des boules de feu et des éclairs voltigèrent et s’écrasèrent sur l’armature solide du Tempête. Vacillant à peine, les canons continuaient de ravager la région. Les Corbeaux avaient suffisamment de boulets pour tenir jusqu’au petit matin, méthode envisagée pour épuiser les sorcières, car ils savaient bien que, même en étant plus d’une centaine, la bataille serait éprouvante et les morts se compteraient par dizaines.
Le groupe d’Eldric aperçut finalement les fuyardes et la traque fut lancée.
Galopant à toute vitesse, les jeunes sorcières venaient de quitter le brouillard et pensaient être en sécurité, mais c’était sous-estimer le flair des chiens à sentir la magie. Un aboiement vint du ciel et obligea Morana à jeter un coup d'œil. La panique l’envahit lorsqu’elle aperçut entre les branches deux monstres volants talonner son destrier. Espérant échapper ou tromper les chiens, l'une d'elles posa sa main sur le crâne du cheval et incanta une formule aux mots fourchus et étranges. Elle se taillada ensuite une veine du bras et laissa couler le sang sur sa monture. La jeune fille monta ensuite derrière une consœur. Son ancienne monture quant à elle vira à droite et s’enfonça dans la forêt.
Désormais, suffisamment imprégné de magie pour faire croire d’être plusieurs, le cheval eut l’utilité d’attirer un dirigeable, mais l’autre continuait sa course et les rattrapait. Désormais assez proches, les premiers coups de feu, nets et puissants, fusèrent entre les arbres. Les tirs se succédèrent en ne laissant aucun répit aux sorcières, à slalomer entre les arbres pour ne pas se faire toucher. Mais les balles se firent de plus en plus précises et les chevaux paniquèrent.
Les sorcières essayèrent de se défendre à l’aide de pyromancie, mais impossible de bien viser dans de telles conditions. Alors elles brûlèrent la forêt dans l’espoir de tromper le nez des chiens, une dernière tentative désespérée qui profita aux Corbeaux.
Désormais au-dessus des jeunes filles, Eldric ne rata pas sa cible et la balle vint traverser la croupe du cheval. Morana chuta et roula sur plusieurs mètres. La sorcière se redressa vite dans l’espoir de repartir, mais le cheval resta à terre à gémir de douleur. Les autres galopèrent toujours sans regarder en arrière. Croyant pouvoir gagner du temps, Morana regarda impuissante le dirigeable continuer sa route.
Accompagné de son chien, Eldric descendit le long d’une corde et fit face à la sorcière. Morana trembla de tout son être. On lui avait toujours expliqué que les Corbeaux n’étaient pas que de simples soldats et se montraient particulièrement performants contre les utilisateurs de magie. Leur efficacité n’était plus à prouver dans le conflit qui les opposait à l’empire de Zen.
Le masque à gaz qu’il portait l’inquiétait. C’était la première fois qu’elle voyait un tel accoutrement. Sans un seul bout de peau visible, il ressemblait plus à un mannequin.
À peine les pattes posées que le doberman chargea. Ses extensions mécaniques lui permirent de combler la distance en quelques foulées à une vitesse folle sans réaction rapide de sa cible. Le chien attrapa un bras et la fit tomber en arrière. Les canines s’enfoncèrent dans la chair jusqu’à frotter l’os, elle poussa un cri horrible. La douleur l’empêcha de tomber dans les vapes mais Morana sembla défaillir. Dans un moment de lucidité, elle essaya d’incanter un sort avec sa main libre. Le doberman fut plus rapide et s’attaqua à son deuxième membre.
Dans un cri strident retentissant dans toute la forêt, Anne jaillit du brouillard. Ses ongles se transformèrent en de véritables lames et la sorcière manqua de peu le cou de la bête plus agile. Sa mère continua sa course et provoqua une vague de flammes en direction du Corbeau. Eldric esquiva en se cachant derrière un arbre. Il plongea immédiatement sur le côté et évita de ce fait l’attaque de la sorcière apparue devant lui. Un genou à terre, il tira et fit mouche en pleine épaule, Anne laissa échapper un cri étouffé.
Elle flottait désormais au-dessus du sol tel un fantôme, sa robe poisseuse de sang. Son apparence terrifiante laissait croire à un monstre déchaîné ayant abandonné toute humanité. L’aura dégagée était malsaine et palpable. Eldric sentait ses poils se hérisser sous son uniforme.
Il abandonna son fusil trop long à recharger et dégaina sa rapière et son pistolet.
— Vous ne pouvez plus vous cacher, déclara-t-il.
Le visage d’Anne se crispa sous la colère mais ne répondit pas. Elle comprima le vent en rejoignant ses mains. Un poing d’air accompagné d’un bruit sourd dévasta tout en ligne droite. Les feuilles mortes volèrent et l’arbre en fin de course se brisa en deux. Eldric, qui avait sauté derrière un autre tronc, riposta avec un tir en pleine poitrine. Anne hurla de douleur alors que le doberman se jeta sur elle. La sorcière le repoussa d’un revers de la main et un couinement survint lorsqu’il s’écrasa contre un rocher. Anne se rapprocha de la cachette du Corbeau qui attaqua le premier avec un coup d’estoc qu’elle évita par instinct. La sorcière riposta. Ses griffes arrachèrent le masque à gaz et lui charcutèrent le visage. Le chien revint à la charge et attrapa son bras avant tout autre incantation. Eldric en profita et lui tira une balle entre les deux yeux. Anne s’effondra comme un pantin désarticulé.
— Mère !
Morana essaya de se redresser, mais le chien avait rendu ses bras amorphes. Il lui fallait attendre plusieurs heures avant de reprendre la pleine possession de ses membres.
L’imposant Corbeau s’approcha et agrippa Morana par les cheveux qui ne put s’empêcher de pousser un cri.
— Tu la reverras bientôt. Virion !
Le chien plaça le cou d’Anne entre ses mâchoires et serra légèrement. Au moindre mouvement ou au premier ordre, il n’hésiterait pas à lui broyer la gorge. Eldric rapprocha la jeune femme et tous deux regardèrent la blessure par balle se cicatriser. La poitrine de la sorcière se remit à monter et descendre lentement. Ses yeux se rouvrirent, Anne battit des paupières. À la première gesticulation, Virion appuya sur sa trachée et avant de pouvoir tenter une quelconque manœuvre, Eldric prit la parole :
— Je te déconseille de faire le moindre geste, sorcière. (Il arma son pistolet et le posa sur la tempe de Morana.) À la moindre tentative, j’explose la tête de ta fille et t’obligerai à la regarder mourir encore et encore. Est-ce bien clair ?
Anne reposa lentement les bras sur le parterre de feuilles mortes.
— Laissez ma fille partir, s’il vous plaît. Faites ce que vous voulez de moi, mais ma fille n’est pas un danger pour vous.
— Dès aujourd’hui, tout mage, qu’importe sa race, représente un danger pour le Royaume de Verna. Grâce à la clémence du roi Robur le Libérateur, le châtiment du bûcher peut être remplacé par celui de l’esclavage, les sorcières pouvant purger leurs méfaits en offrant corps et âme à la patrie. Il n’y a pas d’exception. Le feu s’étend dans la forêt. Vous pouvez faire votre choix dès maintenant.
Le visage en sang d’Eldric restait de marbre et ne montrait aucune émotion, à croire que la blessure – pourtant grave – semblait bénigne. Il savait bien comment fonctionnaient les sorcières et même s’il la regardait, il ne croisait pas son regard, car Anne pouvait encore l’ensorceler. Elle prit le temps de réfléchir quelques secondes. Aucune échappatoire n’était possible. Le chien lui briserait le cou et Morana prendrait une balle. La seule issue résidait en la victoire de leurs consœurs, mais c’était peine perdue.
— Je vous en prie, dit-elle. Juste ma fille…
— Prier vos soi-disant Dieux. N’espérez rien de moi. Vous êtes, en ce jour, condamnées pour usage de magie dans le pays de Verna. Votre sentence sera l’esclavage ou la mort.
— C’est avec tristesse que nous t’enterrons Rilan. Tu as fait partie de ceux qui se sont rebellés contre l’oppression, tu t’es vaillamment battu durant toute ta vie que tu as vécue sans regret. Mais c’est finalement la maladie qui t’a emporté. Nous nous souvenons tous de la force dont tu faisais preuve…
La cérémonie venait de débuter. Quelques proches du défunt s’étaient rassemblés dans la clairière transformée en fosse commune. La guerre étant, l’on ne pouvait donner d’obsèques convenables, car bien trop longues à préparer pour des milliers de personnes. Quant à l’utilisation du feu, la fumée informait le reste du monde de leur présence, une situation que la plupart des habitants souhaitaient éviter. Chaque village avait alors sa propre fosse que les villageois remplissaient au fur et à mesure que le conflit s’enlisait. Les enterrer avait aussi l’avantage de ne pas attirer les démons des steppes près des villages. En outre, des encens recouvraient quelque peu l’odeur immonde de la décomposition.
Le fils de Rilan abrégea son discours. La nuit approchait avec ses horreurs. Inutile de s’attarder pour un homme vite oublié. Comme tous ceux dans cette fosse. Ils se contentèrent de jeter le cadavre puis le recouvrirent de terre.
— Puisses-tu reposer en paix.
Puis, le fils s’en alla sans jeter un dernier regard à son père.
La clairière redevint silencieuse alors que le ciel virait à l’orange. Les oiseaux commençaient à se taire et l’absence de bruit provoquait un étrange malaise. Les arbres ternes bloquaient les rayons du soleil et plongeaient la forêt dans une obscure et froide ambiance. Ces odeurs d’encens et de décomposition se mélangeaient pour créer un nouveau parfum, une émanation infecte à retourner l’estomac similaire à la dégustation d’un poisson plus frais depuis des heures.
Mais Nicolash était habitué à cet environnement malsain. Les cadavres ne le dérangeaient plus depuis bien longtemps. Caché dans les fourrés à regarder le ciel, il ne pouvait s’empêcher de penser à la douceur et les couleurs chaleureuses de la Mer Douce dont les habitants de la capitale vantaient tant. Jamais n’avait-il pu en profiter malgré ses nombreuses itinérances non loin des côtes. Il se contentait du climat froid et humide de la région.
Une demi-heure après l’inhumation du pauvre Rilan, Nicolash décida de sortir la tête des buissons. L’oreille tendue et le regard scrutateur, il vérifia que personne ne se trouvait dans les parages. Il resta tout de même prudent. Le foulard devant la bouche et le nez, il se mit à ramper en direction de la fosse. Les rares bruits le figeaient sur place et l’obligeaient à surveiller les environs. Se rappeler des combats pour survivre contre des soldats ou des chacals le traumatisait assez pour éviter de refaire les mêmes erreurs.
Plus de peur que de mal, il descendit dans l’immense dépotoir et rejoignit l’emplacement du dernier cadavre en se frayant un passage entre les nuées de mouches. Nicolash détacha la pelle de son dos et commença à creuser. La terre était censée recouvrir les corps, mais il n’était pas le seul à se servir ici. Des traces de pattes se dessinaient dans la boue, des animaux qui comme lui déterraient les défunts. Des cadavres dévoilaient leurs poitrines désormais vides. Les bêtes ne laissaient rien, pas même un bout de chair sur les côtes. Tout avait été dévoré et les rats et les mouches festoyaient des rares restes. Quelques allers-retours suffirent pour tirer Rilan de sa tombe.
— Puisses-tu reposer en paix. Pas cette fois-ci, Rilan.
Nicolash ne comptait plus le nombre de fois où il avait entendu cette phrase. Des années à écouter ces cérémonies qu’il était capable d’en dresser un modèle typique. Les gens n’avaient aucune inspiration et se contentaient de répéter des mots déjà entendus. Non pas que Nicolash s’attendait à un discours larmoyant, mais voir ce fils enterrer son père en proclamant un discours sans émotion était ridicule. Il y eut autrefois plus de considération pour les morts chez le peuple vernilien. À croire que la Guerre d’Indépendance les avait rendus apathiques. Tant mieux pour Nicolash qui travaillait plus.
Il s’empressa de reboucher le trou en rajoutant de la terre pour faire passer sa disparition inaperçue, bien qu’inutile. Le soulever se révéla plus compliqué que prévu. Le bougre pesait son poids. Le pillard dut s’y reprendre plusieurs fois pour lui faire quitter cet endroit. Les mouches tournoyant comme de petites tornades et la fosse commune creusée verticalement, Nicolash n’eut d’autre choix que de le mettre sur ses épaules et de grimper à la force de ses bras.
Toujours les sens à l’affût, il s’enfonça ensuite dans les bois et retrouva son cheval. Il sortit de la sacoche une couverture et enroula le cadavre à l’intérieur puis l’accrocha sur le destrier. Sur le chemin du retour, son ventre lui rappela qu’il n’avait pas mangé de la journée. En constant mouvement depuis l’aube, le calme ambiant l’affaiblit d’un coup. S’il s’écoutait, il prendrait un petit bout de Rilan, juste de quoi se sustenter jusqu’au dîner. Mais interdiction de toucher à une commande. Sa journée n’était pas encore terminée. La dégustation du lapin allait devoir attendre.
Au bord d’un cours d’eau se trouvait un minuscule village. La nuit approchant, tout le monde était déjà chez soi, portes et fenêtres barricadées. À part quelques chats et souris dans les ruelles, le village semblait abandonné. Ce ne fut pas pour autant qu’il le traversa. Nicolash devait rester le plus discret possible jusqu’à la fin. Il entreprit de le contourner et se faufila à travers les arbres pour arriver à la maison désignée. Il attacha le cheval à un tronc, récupéra le cadavre puis longea le muret accroupi. Les fenêtres étaient toutes fermées, impossible de le voir, mais on pouvait l’entendre. Comme prévu, la barrière en bois était ouverte. Une fois à l’intérieur, il traversa toujours aussi discrètement le petit jardin dont les plants de tomates et de pommes de terre dépérissaient. Nicolash se releva une fois arrivé à la porte et toqua. Une femme lui ouvrit et vérifia les alentours. Elle en parut soulagée.
— J’ai cru que vous ne viendrez jamais, chuchota-t-elle.
— Je vous ai dit que je serais là avant la nuit, répondit-il sans émotion. Il est là.
Nicolash le posa sur le pan de la porte et la jeune vernilienne le tira. Depuis qu’on avait essayé de le piéger, Nicolash n’entrait plus dans les maisons et n’aidait plus ses clients une fois la marchandise livrée. Il la regarda alors se démener avec ce poids mort difficile à tirer pour sa stature rachitique. Elle le déballa comme un cadeau et contempla son visage après avoir ôté la terre.
— C’est triste qu’il soit mort, dit-elle en redonnant la couverture à Nicolash qu’il s’empressa de rouler. Je le connaissais un peu. (Elle haussa les épaules.) Mais bon, au moins, il est gras. J’aurai de quoi tenir pour plusieurs jours.
Elle lui donna ses deux pièces d’argent.
— Merci à vous. La nourriture est devenue si chère. Vous n’imaginez même pas le prix d’une grappe de tomates. Le saviez-vous ? Désormais, les marchands sont accompagnés de gardes où qu’ils aillent, car on a rapporté des vols et des meurtres.
— Ça ne m’étonne pas, une charrette remplie de nourritures sans défense et si proche des champs de bataille ? C’est un cadeau. N’importe qui se jetterait dessus à la première occasion.
— En tout cas, je suis heureuse que vous soyez là. J’ai si faim… J’ai déjà pensé à tuer le vieil homme dans la maison d’à côté. Je m’en veux.
— Vous n’avez pas à l’être. On fait ce qu’on peut pour survivre. Bon courage pour la suite et restez forte.
Ils se séparèrent et Nicolash retourna à son cheval. Il repartit comme il était arrivé, aussi silencieusement qu’une ombre, et se contenta de suivre le cours d’eau en amont. La forêt devenait plus touffue et le chemin disparaissait lentement, la nature reprenait ses droits là où la civilisation n’avait pas sa place. Encore un peu et il ne restait qu’une forêt sauvage et indomptée. Les herbes caressant le ventre du cheval le rendaient nerveux. Des serpents s’y cachaient, les morsures avaient déjà rendu le destrier inapte des jours entiers et Nicolash avait besoin de lui pour travailler. Il talonna ses hanches pour accélérer.
Le pillard arriva dans un petit hameau avec quatre maisons en pierre plus ou moins en ruines dont les trous avaient été rebouchés avec des planches de fortune. Si le village en aval semblait abandonné, le hameau était une anomalie. Les maisons étaient anciennes, visibles de par leur forme pyramidale, un style vernilien éphémère qui datait de la période postérieure à l’effondrement de l’empire d’ÄË des siècles plus tôt. Ces maisons restaient coincées à une époque différente, ce petit recoin fut oublié lorsque le monde évolua. Hormis le village en contrebas, personne ne savait qu’il existait. Une aubaine pour Nicolash qui préférait le calme et la discrétion.
— Te voilà enfin.
Il fut rejoint par Wilfried, aussi massif que lui et aux nombreux tics. Il se frottait toujours les mains s’il ne se grattait pas le cou et ses yeux regardaient souvent en arrière, comme si des fantômes le poursuivaient.
— La bataille doit être finie désormais, les cadavres nous attendent.
Wilfried ne lui demandait jamais comment se passait une commande, une règle d’or imposée afin d’éviter les conversations monotone. Nicolash déposa l’argent dans sa maison à l’étrange forme, une simple pièce confortable avec des peaux de bêtes pour dormir d’un côté et quelques vêtements et outils posés sur une table de l’autre. Un étroit espace parfaitement utilisé. Il gardait tout le nécessaire sur lui et ne s’en séparait jamais. Nicolash souleva une pierre et y sortit une petite boîte contenant toute sa fortune pour y rajouter les deux pièces gagnées. Il reposa le coffre et rejoignit Wilfried.
— Si tout se passe bien, on sera revenus dans une heure, juste après la tombée de la nuit, déclara-t-il.
— Alors, ne perdons pas de temps.
Ils traversèrent le col au galop et continuèrent ainsi sur une dizaine de kilomètres. Depuis les hauteurs, il leur était possible d'apercevoir l’immense champ de bataille qui s’étendait jusqu’à l’horizon. L’empire de Zen s’enfonçait toujours plus dans les terres de Verna. On aurait pu croire que la technologie développée par les verniliens suffirait pour détruire une fois pour toutes son ancien occupant, mais c’était sans compter ses ressources innombrables. Zen n’hésitait pas à lancer des centaines de milliers de soldats et d’esclaves pour combattre le royaume. De ce fait, les trop nombreux sacrifices leur permettaient de lourdes victoires.
Cachés au milieu des broussailles, ils contemplaient les soldats à la recherche des derniers blessés éparpillés dans cet océan morbide dont le vent emportait avec lui cette odeur de sang et d'acier. La bataille avait été brutale, car Nicolash sentit cette lourdeur dans l’air que provoquait l’utilisation de magie. Il était rare de voir l’empire de Zen sacrifier ses mages, peut-être imaginaient-ils remporter une bataille décisive. Toutefois, les bannières de Verna flottaient toujours, mais combien de personnes avaient péri ? Ce champ de bataille était immense, le plus grand que Nicolash avait vu de sa vie. Un véritable carnage où des montagnes de cadavres s’entassaient.
Les Vautours qu'ils s'appelaient. Tels des rapaces, ils attendaient patiemment leur tour pour se servir, à la recherche des corps les moins abîmés pour les revendre aux nécessiteux. Le royaume abhorrait leur existence et faisait de son mieux pour les empêcher de piller les champs de bataille et les cimetières. Pendant quelques temps, les soldats tentèrent de brûler les corps afin d’éradiquer ce commerce, mais cela se révéla n’être qu’une perte de temps – surtout sur des champs de bataille où des milliers tombaient –, en outre, les verniliens refusaient de s’occuper des cadavres de l’ennemi. Le feu fut remplacé par du poison, très vite arrêté aussi à cause du gâchis des maigres réserves. L’une comme l’autre, les deux idées devinrent obsolètes, car trop longues à appliquer et les soldats fuyaient à la nuit venue lorsque les démons des steppes jaillissaient de terre.
Les verniliens achevèrent les derniers soldats ennemis avant de quitter les plaines macabres. Les Vautours attendirent sans prononcer un mot, les yeux rivés sur le champ de bataille à la recherche de soldats encore vivants. Ils prenaient cet exercice très à cœur, car se faire voir par des soldats impliquait une fouille de la région de fond en comble, la dernière chose qu'ils souhaitaient, eux comme les villageois. Dans le meilleur des cas, les Vautours parvenaient à s’enfuir et trouver une autre planque, sinon, ils étaient capturés puis exécutés. Hormis les affamés et les anthropophages, tout le monde les détestait.
Nicolash attacha le cheval à un arbre puis ajusta le foulard sur son visage. Il boutonna son grand manteau et suivit Wilfried. La recherche débuta. Les premiers pas étaient toujours les plus difficiles. S’obliger à marcher sur les corps, traverser des rivières rouges et écouter malgré eux les os se briser sous leurs bottes rendait la recherche éprouvante. Avec de la malchance, ils entendaient parfois les derniers râles et les appels au secours de soldats désespérés. Nicolash s’obligeait à fermer son esprit pour ne pas ressentir cette peine. Lorsqu’il croisait le regard d’un de ces pauvres condamnés, il l’achevait rapidement avec un coup de couteau dans le cœur.
Le soleil touchait l’horizon et aveuglait le pillard. Il fallait se dépêcher. La nuit venue, il serait déjà trop tard. Il commença à soupeser les cadavres plus ou moins intacts. Avec le temps, le Vautour avait appris à calculer le poids avec ou sans armure. Lorsqu’on lui demandait un poids précis, il ramenait ce montant à plus ou moins cinq kilogrammes. Ses premières commandes avaient été désastreuses puisqu’il ramenait toujours des corps plus malingres que prévu. À force de travail, il reconnaissait même les différentes armures et leurs poids.