La sororité des royaumes - Tome 1 - Virginie Longo - E-Book

La sororité des royaumes - Tome 1 E-Book

Virginie Longo

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Beschreibung

Caelia, l’unique héritière du puissant Baron de Barinon, se trouve plongée dans un tourbillon d’événements qui ébranlent profondément sa vie dès le retour de son père de la guerre. Des conflits familiaux éclatent, des fiançailles sont arrangées, des désirs de vengeance surgissent et des batailles épiques se profilent à l’horizon. Pourtant, son destin ne cesse de se métamorphoser, car les machinations politiques des royaumes entrent en scène, tissant un réseau complexe d’intrigues et de manipulations qui laissera une empreinte indélébile sur son existence. Plongez dans un récit riche en rebondissements et en mystères, où les enjeux élevés de la politique royale s’entremêlent avec la vie personnelle de Caelia pour créer une histoire envoûtante et captivante.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Virginie Longo, ayant grandi dans les Monts du Lyonnais, a trouvé l’inspiration nécessaire pour créer des univers fantastiques. "La sororité des royaumes", en la reconnectant à l’écriture, constitue le premier tome d’une grande aventure littéraire.





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Virginie Longo

La sororité des royaumes

Tome I

La harpie d’Oqadale

Roman

© Lys Bleu Éditions – Virginie Longo

ISBN : 979-10-422-1512-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Les trois Royaumes

Partie 1

Chapitre 1

Lettre inattendue

Cachée derrière la charrette, la jeune fille attendait serrant son bâton fortement, attentive au moindre bruit. Depuis quelques minutes le convoi de marchands n’avançait plus. Un marchand plus tatillon que les autres était en train de critiquer la hausse du péage pour passer l’unique pont qui relie l’est à l’ouest du lac Barinon. C’est vrai que les taxes étaient plus nombreuses et plus hautes que d’habitude. Caelia avait entendu les paysans s’en plaindre plus souvent que d’accoutumé.

Le braiement d’un âne sur sa droite la ramena à l’instant présent. Une ombre furtive venait de se faufiler entre un des deux chariots plus loin derrière elle. Caelia se mit en route pour chercher une nouvelle cachette où elle pourrait surprendre le jeune garçon de l’ombre. Furtivement, elle se faufila vers les marchands suivants, ayant même l’audace de se cacher dans une charrette de blé. Le propriétaire était trop occupé à parler avec un de ses congénères pour la remarquer.

— … n’est pas revenu, ça n’en finit plus…

— Deux iozas le passage alors que le printemps dernier c’était un ioza et trente uctos…

— Si ça continue de grimper, bientôt, ils vont nous demander un oquad !

Les deux hommes éclatèrent de rire et la jeune fille put voir l’ombre se déplacer d’un point à l’autre, cherchant sans fin.

— Il n’empêche que si la taxe continue à augmenter je vais devoir éviter le pont et faire le tour du lac…

— Tu vas perdre plusieurs jours… tes fruits seront encore frais pour aller livrer la cour de Cliabelan ?

— À c’est sûr que si j’avais du blé comme toi… Bah, je serais obligé de m’arrêter à Icerion, ils m’en prennent toujours un peu quand…

L’ombre s’approcha du chariot et en fit le tour lentement, la jeune fille prépara son bâton, prête à frapper sur la tête du jeune homme. En effectuant ces mouvements, le blé bougea en effectuant un petit bruit de roulis qui mit la puce à l’oreille du garçon. Alors que Caelia abattait son épée en bois improvisée, le jeune homme se retourna et para à l’aide de la sienne. Un sourire illumina le visage de Baldric qui contre-attaqua, le bruit des bâtons s’entrechoqua et fit tourner tous les visages vers eux. Les deux jeunes enfants ne virent pas les expressions furieuses des marchands qui s’approchaient, et c’est seulement lorsque l’un d’eux prit Baldric par le col que Caelia se rendit compte de leur mauvaise posture.

Un « GAAAAAAARDE », puis deux furent criés par un marchand, Caelia descendit du chariot en évitant les autres marchands qui tentaient de l’attraper. Elle fondit par dessous les chariots et quelques secondes plus tard Baldric était sur ses talons. Il avait réussi à s’échapper, mais de cela elle n’en avait douté. Et alors que les gardes du pont de Barinon avaient quitté leur poste au point de péage pour se rendre sur le lieu du grabuge, ils passèrent juste à côté des enfants qui continuaient d’avancer sous les chariots, invisibles aux yeux adultes.

Arrivés au bout de la file de marchands, ils se jetèrent sous la barrière de bois qui bloquait la sortie du pont et se ruèrent dans la rue menant au manoir, puis traversèrent la cour pour se rendre au petit parc attenant. Là, ils se posèrent près du lac, s’assirent et d’un échange de regard explosèrent de rire.

— Je crois qu’on va avoir des ennuis encore Baldric ! dit-elle en souriant et en tentant de reprendre une respiration normale.

— De très gros ennuis Caelia… lui répondit-il en sortant de sa chemise deux fruits bien mûrs, il n’y a pas mieux que les beaux fruits des vergers d’Azupia !

Les yeux de Caelia s’agrandirent devant la chair juteuse et elle s’en empara d’un geste avide. Les enfants rigolèrent et oublièrent les remontrances qu’ils allaient avoir en rentrant au manoir. Le jus des fruits dégoulinait de la bouche jusqu’au menton avant d’être essuyé d’un geste rapide du bras. Rapidement les manches de leurs chemises devinrent mouillées et collantes. Ils restèrent là encore quelque temps à rigoler du visage étonné des marchands qui ne les avaient pas vus si près d’eux, et encore plus quand Baldric raconta comment il s’était tortillé dans tous les sens avant que le marchand de blé ne finisse par le lâcher, impuissant. Le soleil poursuivait sa rotation dans le ciel et commença sa descente vers la forêt d’Ivomund que l’on pouvait apercevoir les jours de beau temps.

— Bon et bien je crois qu’il est temps Baldric de rentrer et de faire face aux punitions que nous allons avoir…

Baldric se leva et fit une courbette des plus protocolaires et prit la voix de l’intendant.

— Si mademoiselle la Baronne veut bien se donner la peine de se lever, je vais vous donner votre punition… et bien… vous me recopierez une centaine de fois la phrase suivante : Je ne dois m’encanailler avec la petite piétaille. Et pour que cela vous serve de leçon, vous me l’écrirez également une centaine de fois en Okorenien et en Étecien !

Caelia explosa de rire en se tenant les côtes et roulant sur le côté. Il est vrai que l’Intendant n’appréciait pas son amitié avec Baldric qu’il jugeait beau parleur et de compagnie peu convenable pour son titre de Baronne. Caelia avait cependant beau regarder son ami et ne parvenait pas à comprendre comment on ne pouvait pas l’apprécier. L’enfant en face d’elle, mince, nerveux, avec de hautes pommettes sur son visage toujours coloré de rose transpirait de tous ses pores, la gaieté, la générosité et l’enthousiasme. Ce que Caelia aimait par-dessus tout c’est que Baldric avait toujours une bonne blague ou une bonne histoire à lui raconter et ses mots étaient toujours assortis de mouvements de mains pour illustrer ses paroles.

— Allez, Caelia, il est l’heure de rentrer, dit-il en souriant.

— Mais techniquement je suis déjà rentrée étant donné que je suis dans l’enceinte du manoir… répondit-elle sur le ton du défi.

— Allez, tu sais bien que je vais être plus sévèrement puni que toi ! Allons-y, je commence à avoir faim en plus !

— Parce qu’il y a des moments où tu n’as pas faim ?

— … Eh bien je dirais que la dernière fois que tu as voulu cuire le poisson que l’on avait pêché… il y avait de quoi couper la faim de n’importe qui ! À l’idée du joli poisson qui avait fini tout noirci, Caelia grimaça.

La jeune fille grommela un « Bon d’accord, allons-y… », se leva et suivit son seul ami emprunter la route du manoir.

Une fois dans la cour, une agitation peu commune semblait parcourir la foule de domestiques qui s’activait. Enguerrand, qui était plus âgé d’une paire d’années et qui avait dû commencer à travailler cette année-là, passa au milieu des deux complices en jouant des épaules pour tenter de les déstabiliser. Il lâcha au passage « Tu dois être contente l’orpheline ! ».

L’orpheline. C’était ainsi que lui et sa bande du même âge l’appelait depuis qu’elle avait perdu sa mère quelques années plus tôt du grand froid qui avait frappé les terres d’Oqadale. La mère de Baldric qui était à l’époque la femme de chambre de la Baronne Aenor l’avait suivi quelque temps après dans la mort. Son père quant à lui était parti une dizaine d’années plus tôt à la guerre qui opposait leur royaume au royaume d’Okorene. Caelia était alors trop petite pour garder ne serait-ce qu’un souvenir de lui. De toute façon, mondain et coquet comme il était, il n’était pas souvent présent au manoir. L’Intendant parfois en parlait comme d’un homme perspicace et déterminé, qui savait mettre en place les règles essentielles à la vie de tous dans la baronnie de Barinon. Mais Caelia savait qu’il avait des travers et des défauts, elle avait entendu les domestiques parler de lui comme d’un séducteur et écouté également que sa mère en avait beaucoup souffert. D’autres le disaient autoritaire et certains avaient même dit dans un murmure à peine audible pour la jeune fille qu’il faisait en sorte que tous ne vivent que pour son bon plaisir… Même si ses parents n’étaient plus là, la jeune fille considérait le manoir comme sa maison. Une maison où il fait bon vivre, car le manoir transpirait le goût sûr des belles choses. Que ses parents aient été amoureux ou non, le manoir en tout cas reflétait une sensibilité à la beauté à travers ses tapisseries, ses peintures sur poutres et ses meubles raffinés. Et puisque tout avait été laissé à l’identique lors de la disparition de sa mère, Caelia s’imaginait parfois déambuler de pièce en pièce et surprendre ses parents en pleine conversation dans l’une d’elles.

Un coup de coude de Baldric la ramena à la réalité.

— Tu sais de quoi il parle toi ? Pourquoi tu serais contente ? À mon avis ça ne sent pas bon tout ça, on devrait se presser…

Baldric avait raison, entre l’agitation des serviteurs et les paroles d’Enguerrand, il se tramait quelque chose au sein du manoir…

Acquiesçant d’un signe du menton, les deux amis prirent le chemin de la cuisine, lieu où ils pourraient sûrement se cacher quelques minutes de plus en profitant d’un petit en-cas donné généreusement par le marmiton. Mais leur plan ne se déroula pas comme prévu, car à peine eurent-ils mis un pied dans la cuisine qu’Alos le cuisinier se rua sur la jeune fille.

— Caelia, l’Intendant te cherche. Tu dois vite aller le retrouver dans le bureau de ton père. Dépêche-toi, c’est urgent ! dit-il en la poussant hors de la cuisine.

En regardant en arrière pour voir son ami, elle vit que Baldric lui fit un signe de la main en souriant, un bout de saucisson déjà dans les doigts.

Soufflant, elle alla vers le bureau de son père en traînant des pieds. À l’intérieur du manoir l’agitation était encore plus palpable, les tapis et tapisseries avaient été nettoyés durant l’après-midi et des bouquets de fleurs trônaient ici et là sur des tables et des cheminées. À la place de l’odeur de renfermé, on pouvait sentir la bonne odeur des fleurs : lys, lilas ou fleurs des champs selon les pièces. Il ne fit plus aucun doute pour Caelia qu’ils allaient recevoir la visite d’une personne importante sous peu, mais qui ?

Arrivée devant la porte du bureau de son père, qui servait désormais de bureau à l’Intendant, Caelia frappa quelques coups brefs à la porte pour avertir de son arrivée, puis entra sans plus de cérémonie. L’Intendant Gaheris releva sa tête d’une lettre lorsqu’elle entra dans la pièce et la regarda avec un air désapprobateur qui ne la gêna pas le moins du monde. Elle se permit même un sourire en coin.

Gaheris se leva, visiblement très énervé, ce qui ne lui ressemblait point, du moins pas autant.

— Caelia, regarde-toi ! Crois-tu vraiment qu’une Baronne se comporte ainsi ? Tu es tellement sale qu’on ne ferait même pas la différence avec une servante ! Et je te passe l’épisode que les gardes m’ont raconté concernant votre petite bataille avec Baldric sur le pont ! Sa dernière phrase finit dans les aigus, ce qui montrait que Gaheris était bien plus fâché que d’habitude. C’est sûr, cette fois-ci Caelia ne s’en sortirait pas avec juste quelques lignes à recopier…

Gaheris prit la lettre qu’il tenait déjà lorsqu’elle était entrée dans la pièce et s’avança vers elle en secouant le papier dans tous les sens. Puis, il continua à parler d’une voix haute perchée.

— Il est temps que tu grandisses Caelia, et le plus tôt sera le mieux, car ton père arrive. Il est en chemin, et il est certain que s’il te voit ainsi cela ne va pas lui plaire ! dit-il d’un air renfrogné.

Caelia qui s’attendait à recevoir sa punition accusa le choc. Elle regarda interdite Gaheris lui tendre la lettre et posa les yeux sur une écriture qui lui était inconnue, mais dont la signature était quant à elle bien reconnaissable.

Chapitre 2

Retour du héros de guerre

Intendant Gaheris,

Nous avons gagné la guerre au prix d’un grand effort humain et financier. Cela fait déjà de nombreux mois que je suis resté à la cour du Roi afin d’aider à la reprise économique du Royaume et il est désormais temps que je rentre afin de constater dans quel état sont les finances de la baronnie. Je compte d’ailleurs sur vous afin de placer le livre des comptes sur mon bureau afin que je puisse le consulter à mon retour. Je suis d’ores et déjà sur le chemin, j’accompagne le Vicomte jusque sur ses terres et prendrais ensuite le chemin du manoir. Veillez à ce que tout soit prêt et en ordre d’ici là.

Le Baron Eudes de Barinon

Aucun doute n’était permis à la lecture de cette lettre et Caelia la reposa après l’avoir lue de nombreuses fois. Elle était prise dans une tornade de sentiments où ses émotions tournaient à toute vitesse, tellement rapide qu’elle ne pouvait les identifier.

À la première lecture de la lettre remise par Gaheris, tout avait changé autour d’elle. Elle entendait Gaheris lui faire son sermon, sans parvenir toutefois à saisir une seule de ses paroles. Ses yeux étaient rivés sur la lettre et ses petites mains tremblaient tout en la tenant fermement. La jeune fille était restée de longues minutes interdite dans cette position, ayant au fond d’elle la certitude que si elle levait les yeux, ceci n’aurait été que le fruit de son imagination et non pas la vérité. Finalement, l’Intendant finit par s’inquiéter de son état et appela Rowena, la domestique qui s’occupait toujours d’elle, afin de la ramener dans sa chambre. Lorsqu’elle fut enfin seule, après que Rowena lût aidé à se préparer pour la nuit, elle essaya de remettre de l’ordre dans ses pensées.

Tout d’abord, son père annonçait son retour, ce qu’elle n’arrivait pas à réaliser… Elle s’était toujours imaginé que son père était mort au combat, tout comme la plupart du personnel de maison d’ailleurs. Cela faisait tellement longtemps qu’il était parti… et de nombreux chevaliers étaient déjà revenus du champ de bataille il y a plusieurs mois, voire plusieurs années de cela.

Elle l’avait imaginé tel un grand chevalier sur son cheval, un héros de guerre qui avait défait les ennemis quasiment tout seul. Des scènes chevaleresques, Caelia en avait lu de nombreuses dans la bibliothèque de ses parents, et chaque chevalier de ces romans historiques avait le visage de son père tel qu’il était peint en haut des escaliers de l’entrée principale.

Elle relut une fois de plus la lettre. « Cela fait déjà de nombreux mois que je suis resté à la cour du Roi ». Ainsi, son père était resté à la cour du Roi et n’était pas revenu directement au manoir. Caelia était déçue, car même si elle savait que son père avait des responsabilités, il aurait quand même pu donner de ses nouvelles à sa fille plus tôt… Elle, sa fille, qui n’était d’ailleurs pas mentionnée une seule fois dans la lettre. Son père avait évoqué les finances du royaume, les finances de la baronnie, mais pas une seule fois il n’avait parlé d’elle. Peut-être était-ce parce que la lettre était adressée à Gaheris et non à elle-même ? Peut-être que son père lui avait écrit une lettre qui s’était perdue ? Caelia décida de croire à cette hypothèse et s’y accrocha de tout cœur, tout comme elle s’agrippa à la lettre en s’endormant.

La nuit fut particulièrement agitée pour Caelia. Elle fit des cauchemars où elle annonçait à toutes les personnes du manoir que son père revenait de guerre, mais aucun d’eux ne la crut, pas même Baldric, ce qui la peinait énormément. Le lendemain matin, elle se réveilla la lettre posée à ses côtés, froissée par ses mouvements durant la nuit.

Les jours se succédèrent sans ressembler à ce qu’ils étaient auparavant. Les domestiques continuaient à mettre de l’ordre dans le manoir, l’Intendant mettait le livre de comptabilité en ordre pour le retour du Baron, et les gardes du péage tentaient tant bien que mal de mettre de l’ordre dans la colonne de marchands qui rouspétaient encore de la dernière augmentation de la taxe de passage du pont.

Caelia n’avait pu parler à Baldric depuis leur dernière escapade, car elle avait été punie, et devait rester dans la bibliothèque pour lire des livres tous plus ennuyants les uns que les autres. Elle devait également en faire des résumés à l’Intendant. Elle se sentait emprisonnée, mais endura tout cela en silence, car sa punition n’était rien comparé à celle de son ami. De son côté, Baldric devait faire le ménage en cuisine. Depuis plusieurs jours, Caelia le croisait de temps en temps, lorsqu’il allait chercher de l’eau au puits afin de récurer les casseroles, matin, après-midi et soir. Il récurait sans compter les heures. Les punitions avaient été plus sévères qu’habituellement et il était certain que l’arrivée du Baron y était pour quelque chose.

Puis, le jour tant attendu arriva. Enguerrand, qui était avec les gardes sur le pont, couru en direction du manoir en criant dès qu’il croisait quelqu’un : « La Baron arrive ! ». Tous les domestiques se hâtèrent de ranger les dernières affaires puis allèrent s’installer en rang devant la porte d’entrée du manoir.

Caelia, soucieuse de faire bonne impression à ce père qu’elle n’avait jamais vu, s’habillait tous les jours de ses plus belles robes. Elle laissait même Rowena la laver, l’habiller et la coiffer. Tout cela ne lui plaisait guère, car ce n’était pas trop dans ses habitudes, mais Gaheris avait laissé entendre que son père pourrait apprécier…

Ses escapades avec Baldric lui manquaient affreusement, mais elle était prête à les mettre de côté quelque temps pour rencontrer et apprendre à connaître son père. Elle descendit les escaliers du hall d’entrée en faisant attention de ne pas se prendre les pieds dans sa robe, puis, une fois dehors, se plaça à côté de l’Intendant Gaheris.

Caelia était anxieuse, et les murmures des domestiques dans la cour ainsi que quelques regards en coin ne l’aidaient pas à se détendre. Elle tourna la tête pour jeter un coup d’œil à l’Intendant qui semblait trop préoccupé à réfléchir si tout avait été préparé dans les temps, puis un bruit de sabot commença à résonner, devenant de plus en plus fort.

La jeune fille se dit que son cœur devait battre aussi fort que le choc des sabots sur les pavés du chemin menant au manoir de Barinon. Caelia cru également un instant que ses jambes allaient céder sous son poids, mais elles tinrent bon, tout comme son cœur, lorsqu’une ombre se forma à la porte suivie de près par un homme à cheval.

Lorsque Caelia vit l’homme, elle pensa d’abord que c’était une autre personne et chercha l’homme qui devait être son père derrière. Mais il n’y avait bien qu’un seul homme sur la route et elle fut choquée de voir que c’était celui-ci. Partout dans les romans historiques qu’elle avait lus, on décrivait les chevaliers comme des personnages humbles, discrets et même plutôt austères. Son père était tout l’inverse. Sa tenue était tellement bariolée qu’on aurait pu le voir à plus d’un kilomètre de distance.

Eudes de Barinon entra sur son cheval d’un noir sobre qui contrastait avec ses collants jaunes, sa culotte bouffante vert olive et son pourpoint pourpre.

Son regard d’une grande détermination ne laissait aucun doute sur les responsabilités de commandement qu’il avait pu avoir durant la guerre. Ce visage ne souffrait aucune objection, aucun désaccord et encore moins de remise en question.

Il arrêta son destrier et le confia au palefrenier. Puis regarda toutes les personnes de la maison. Si le Baron était habillé luxueusement et à la mode de la cour du Roi, ici dans la cour du manoir, il ne semblait pas du tout dans son élément au milieu de tous les serviteurs habillés en marron, noir, beige et autres couleurs ternes. Et pourtant, on voyait à sa prestance qu’il était le chef de famille et maître des lieux. Il toisa chacun des domestiques présents dans la cour en silence, Caelia y comprit, et lorsqu’il fit face à Gaheris, son expression se fit plus dure. Il prit enfin la parole.

— Bonjour Intendant Gaheris, lança-t-il d’une voix grave et profonde.

— Bon retour chez vous, Monsieur le Baron, dit ce dernier en se courbant légèrement.

— Montons dans mon bureau.

— Bien sûr, Monsieur le Baron, je vous suis.

Ils entrèrent tous les deux dans le manoir par l’entrée principale et dès qu’ils eurent monté les escaliers, les domestiques se relâchèrent d’un seul souffle commun.

Caelia de son côté était totalement confuse. Elle ne s’attendait pas du tout à avoir un père comme celui-ci. Il était vêtu de couleurs chatoyantes et en même temps, tout n’était chez lui que froideur.

Le choc passé et après un instant d’hésitation, Caelia monta en direction du bureau de son père. La porte était fermée cependant l’on pouvait entendre quelques bribes de la conversation et en collant une oreille contre la porte, la petite put écouter toute la conversation.

— … ma fille froquée ainsi ? C’est une honte ! Elle est la future baronne de Barinon et ses vêtements sont de qualité à peine meilleure que les servantes du manoir ! cria-t-il furieux d’une voix qui n’avait plus rien de celle d’un chanteur à la voix grave et posée.

— C’est que, Monsieur le Baron, les finances du manoir ne sont pas au beau fixe avec les perceptions du Roi pour subvenir à la guerre…

— Alors dans ce cas, comment cela se fait-il que tes habits soient de meilleure facture que les siens ? Tu as peut-être cru que tu étais le seigneur du domaine en mon absence ?

— Non, Monsieur le Baron, jamais je n’oserais…

— Et la gouvernante de ma fille où est-elle ? Pourquoi ne s’est-elle pas présentée ? demanda-t-il d’un ton cassant.

Seul un silence pesant régna dans le bureau, et au fur et à mesure de la conversation, Caelia comprit qu’elle avait pu bénéficier d’une très grande liberté, puisqu’apparemment l’Intendant s’était avant tout soucié de son propre bien-être. Caelia comprit donc sa réaction hystérique lors de la réception de la lettre et pourquoi il gardait le silence à l’arrivée du Baron. Cependant, elle n’en demeurait pas moins blessée des paroles de son père. Elle n’avait jamais vu de honte à s’habiller de la même façon que les servantes du manoir, mais apparemment son père ne voyait pas les choses de la même façon qu’elle.

Un bruit lourd, comme un poing frappant fortement une surface en bois, se répercuta dans le manoir, faisant sursauter la petite espionne, et la ramena à la conversation des deux hommes…

— Et comment vais-je bien pouvoir la marier si elle n’a aucune conversation, aucune culture, aucun maintien en société ? Quel âge a-t-elle ? Douze ? Treize ans ?

— Quatorze, Monsieur le Baron… souffla-t-il tellement doucement que Caelia ne l’entendit à peine.

— Quatorze ans ? QUATORZE ANS ? répéta-t-il en hurlant. Et comment comptes-tu t’y prendre pour rattraper des années d’apprentissage ? Comment comptes-tu t’y prendre pour faire de ma fille une des jeunes filles les plus convoitées à marier ? On ne peut même pas compter sur son physique tellement son teint est hâlé comme les paysans !

— Votre fille, Monsieur le Baron sait faire preuve d’une très grande intelligence. Elle est…

— Espérons pour toi qu’elle apprenne vite en effet, le coupa-t-il, car sinon je ne donne pas cher de ta peau…

— Je lui trouverais une très bonne gouvernante, monsieur le Baron.

— Tu as plutôt intérêt Gaheris ! J’espère également pour toi que les comptes sont impeccables et que je ne vais pas avoir de mauvaises surprises.

— Non, monsieur le Baron, les comptes sont exemplaires, je vous l’assure.

— C’est moi qui en jugerais. Tu peux disposer.

— Oui, monsieur le Baron, dit l’Intendant Gaheris.

Des bruits de pas se déplacèrent en direction de la porte de Caelia, celle-ci alla vite s’enfermer dans sa chambre située non loin. La jeune fille referma la porte en même temps que l’Intendant ouvrit la sienne, écoutant ensuite les pas de l’Intendant descendre au rez-de-chaussée. Caelia savait qu’avec l’arrivée de son père sa vie allait changer, mais elle ne s’était pas imaginé à quel point le cours de sa vie allait être l’opposé de ce qu’elle avait vécu jusqu’à présent.

 

 

 

 

 

Chapitre 3

Une éducation rigoureuse

 

 

 

La vieille fille frustrée continuait de tourner autour de la jeunette avec calme et méfiance. Longue et élancée, vêtue d’une robe noire qui semblait avoir été faite pour elle, tellement la morosité et la monotonie lui collaient à la peau, la gouvernante continuait à marcher encore et encore autour de Caelia. La longue tige qu’elle tenait dans ses mains était une branche de noisetier dont la mégère avait ôté les feuilles pour n’en faire plus qu’une baguette destinée à frapper.

 

— Habillement ? demanda-t-elle.

— Une dame doit toujours porter des robes riches et de bonne qualité… car elle peut ainsi attirer les regards… et s’attirer les regards, c’est aussi s’attirer les conversations. Nul ne souhaite être vu en mauvaise compagnie.

 

Récita par cœur la jeune fille, mains levées devant elle et paumes offertes au ciel et à la tige punisseuse. L’intérieur de ses mains était encore vif des semaines précédentes alors qu’elle n’avait pas encore mémorisé toutes ses leçons.

— Comment sont les jeunes femmes de bonne renommée ?

— Les femmes qui ont la plus grande renommée sont celles qui travaillent à entretenir leur corps et leur honneur. Elles refusent de passer leur jeunesse dans des activités de plaisir et de débauche dont elles pourraient être blâmées tôt ou tard. Caelia se tut et réfléchit à la suite.

D’un coup, la mégère se tourna et frappa sèchement sur les paumes. Caelia retint un petit cri.

 

— Vous n’avez pas précisé ce qu’il advenait des mauvaises filles, petite baronne… dit-elle d’un sourire mauvais.

— C’est que vous ne m’en avez pas laisser l’opportunité, gouvernante Rotrude, répliqua sèchement Caelia, ce qui lui valut un deuxième coup de baguette.

— L’orgueil et la fierté vous perdront jeune fille ! Eh bien, dans ce cas, précisez donc ce que deviennent les filles de basse renommée et parlez-moi ensuite de l’orgueil.

Puis, la mégère reprit sa marche, que seul un coup de branche punitive sur les paumes pouvait stopper.

 

Caelia avait rencontré sa gouvernante pour la première fois il y a environ deux mois. L’Intendant l’avait choisi, car elle ne refusait pas l’effort, s’étant elle-même présentée comme persévérante. Elle était également silencieuse et austère.

Elle connaissait par cœur les usages de la cour et Caelia savait qu’un échec sentimental l’avait rendue pessimiste et à la rancune tenace. Du moins, c’est ce qu’elle pensait autrefois avec une certaine bienveillance. Aujourd’hui, avec la sensation de chaleur et de douleur due à la baguette sur ses mains, elle pensait simplement que cette femme était une vieille gorgone autoritaire. Mais de tout cela, elle n’en dirait rien, pour sûr. Elle reprit donc sa récitation, ravalant cette haine grandissante de jour en jour.