La Souffleuse de coeur - Aurélie Caruso - E-Book

La Souffleuse de coeur E-Book

Aurélie Caruso

0,0

Beschreibung

Romane 40 ans est avocate à l'ONU. Passionnée par son travail à Genève, elle passe ses journées à soutenir la cause des femmes. Mais au cours d'une conférence, elle perd pied. Le diagnostic tombe: burn-out. Entre Genève et le Mexique, en passant par l'éco-village de la Drôme, elle va se laisser embarquer par Rachèle, son amie de toujours, yogi écolo légèrement excentrique, sur les chemins de la reconnexion à soi. Ses rencontres avec le peu conventionnel Dr Bichat et la thérapie assistée par psychédéliques viennent éveiller ses sens. Et si la vie était bien plus large que ce que lui laissait croire son esprit rationnel? Et si son travail, qu'elle avait mis sur un piedestal, ne comblait plus ses manques? Et si elle découvrait ses forces intérieures? Au delà des limitations du mental, elle expérimente le voyage chamanique, bouscule ses croyances et découvre l'énergie du coeur dans des relations puissantes et profondes qui l'emmènent à la rencontre d'elle même.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 258

Veröffentlichungsjahr: 2024

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


« Si vous voulez connaitre les secrets de l’univers, pensez en termes d’énergie, de fréquence, de vibration ».

Nikola Tesla

Sommaire

Avant-propos

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Épilogue

Avant-propos

Chères lectrices, chers lecteurs,

L’histoire que vous allez découvrir est le fruit d’une intense période créative, guidée par l’envie profonde d’aborder des thématiques qui me sont chères : la conscience et la connaissance de soi. Tous les personnages de ce roman se sont imposés à moi. Certains, au tout début du projet, alors que l’envie irrépressible d’écrire a jailli, d’autres sont arrivés au fil du temps.

Si j’ai souhaité placer une partie de l’histoire dans un lieu réel, emblème international des droits humains, je tiens à préciser que toute ressemblance avec des personnes existantes ne serait que fortuite. Il était important de situer le commencement des aventures de Romane ici, à Genève, vous comprendrez pourquoi à la lecture.

Le cheminement de certains personnages les amène à faire usage de substances psychédéliques, aujourd’hui interdites dans la plupart des états européens. Je n’invite aucunement mes lecteurs à outrepasser la loi. Cependant, je tiens à informer que de nombreux essais sont en cours dans différents pays, et que des protocoles réglementés auprès de patients souffrant de dépression, d’addiction ou de trouble de stress post-traumatique sont déjà une réalité. Il y a toute une littérature sur ce sujet passionnant et ces prochaines années marqueront une grande avancée dans ce domaine.

Enfin, le chamanisme que je décris ici ne dépeint qu’une infime partie de ces pratiques ancestrales, si riches et variées, à travers le monde. Je vous invite, si le cœur vous en dit, à trouver parmi les nombreux enseignants compétents, celles ou ceux qui faciliteront vos explorations.

J’ai une immense gratitude pour toutes les personnes rencontrées sur mon chemin, les lectures, stages et voyages qui ont pu inspirer la création de cette histoire. J’ai pris un plaisir fou à me laisser guider par mes intuitions et ma créativité, l’aventure fut riche, et j’espère qu’elle le sera pour vous aussi. Je vous souhaite un bon voyage en compagnie de Romane, Rachèle, Mathilde et les autres…

1

L’hiver est bien avancé, les jours ont commencé à rallonger, les températures augmentent doucement. Un forsythia précoce a débuté sa floraison sur la terrasse de l’appartement. Son jaune éclatant contraste avec la grisaille du ciel de février. Les prémices d’un printemps qui s’annonce toujours plus tôt dans cette région lémanique.

Niché au dernier étage d’un immeuble de standing, avec code et concierge à l’entrée, dans une petite rue du centre-ville, l’endroit est privilégié. Depuis la grande baie vitrée du salon, la vue se projette dans le lac Léman aux couleurs bleues grisées. Romane est assise en tailleur sur son canapé. Enveloppée dans son plaid préféré, l’ordinateur portable sur les jambes, elle tapote sur son clavier à l’allure d’un TGV. Derrière de grandes lunettes noires dernier cri qui lui mangent le visage, cachés sous une frange assumée, on distingue des yeux vifs et concentrés.

Pas de temps à perdre, un rapport à rendre pour le lendemain, Romane sait que le temps est compté et que toute l’équipe a besoin d’elle. Tellement de dossiers à avancer, tellement de travail à accomplir. Elle s’arrêtera juste pour dîner, un plat préparé par le traiteur en bas de la rue, et ce sera reparti. C’est devenu une habitude. Depuis quelque temps, elle ne cuisine plus, pas plus qu’elle ne profite de la vue depuis sa terrasse. En ce début de soirée, sa tête bouillonne, ses doigts font de leur mieux pour suivre toutes ses idées.

Elle a appris à penser, réfléchir, trouver des solutions, argumenter, développer. Comme toujours, elle se doit d’être performante.

Son métier, elle l’aime et l’a choisi pour servir cette grande cause. Comme elle l’a promis à sa grand-mère, quand, enfant déjà, elle pleurait devant tant d’injustice. Militer pour le droit des femmes, voilà ce qui la faisait se lever le matin !

Elle avait fait des études de droit et était devenue avocate pour protéger, défendre et rendre le monde meilleur. Après quelques années en tant que stagiaire, elle avait eu l’opportunité d’entrer à l’ONU. Le comité du droit des femmes lui avait ouvert ses portes, ils recherchaient une avocate, elle avait accepté le challenge. C’était il y a dix ans, les années étaient vite passées. Une vie à cent à l’heure, entre réunions, déplacements, déjeuners professionnels et soirées arrosées.

À Genève, elle avait trouvé un lieu idéal, au cœur de l’humanitaire dans un cocon doré. Être dans l’action était galvanisant. Au début, elle remerciait chaque jour la vie pour cette opportunité d’être là. Elle avait rencontré des femmes du monde entier et se sentait chanceuse d’occuper un poste aussi privilégié. Ici, son rêve se réalisait. Elle s’en était donné les moyens et elle avait réussi.

22 h 30. Une assiette à moitié terminée, encore quelques emails à envoyer. Les yeux la piquent déjà. Romane sait qu’elle ne s’endormira pas immédiatement. Malgré la fatigue du corps, elle ne lâchera pas prise. Son cerveau continuera de bouillir et même une douche chaude n’y fera pas. Alors elle continue, encore, jusque tard dans la nuit. Elle peaufine son discours, vérifie ses sources et enfin, après un dernier email à Marc, elle ferme l’ordinateur.

Poustache est là, couché dans son coussin mœlleux, il ne l’a pas attendue.

Elle se baisse pour lui donner une caresse, puis comme elle aime tant le faire, elle enfouit son visage dans son pelage roux et lui gratte tendrement la tête. Ces instants de douceur sont précieux, donner de la tendresse à cette boule de poils lui procure chaque fois un sentiment d’apaisement.

Direction la salle de bain, elle se déshabille, enfile son pyjama molletonné, attrape la brosse à dents électrique, qui parait-il fait gagner un certain temps de brossage, puis déambule vers la chambre. Sur la table de nuit, un pot de gélules. Elle en avale une avec une grande gorgée d’eau. Ainsi, elle s’endormira plus vite.

La couette est encore de rigueur, chaude et mœlleuse, de qualité, comme tout ce que Romane possède. Elle se glisse dans ce grand lit vide, deux places pour elle toute seule. Elle cale l’oreiller à mémoire de forme sous sa tête et remonte la couette jusqu’au nez.

Encore deux ou trois dossiers qui défilent dans son esprit, quelques recommandations pour sa réunion de demain. Un changement de position, à plat ventre, puis sur le dos. Ses paupières s’alourdissent, elle ne résiste plus à la chimie. Ses yeux se ferment, elle s’endort enfin.

6 h 30 le réveil sonne. De la main, Romane presse le timer, les yeux encore clos. Encore un petit quart d’heure.

6 h 45, Poustache grimpe sur le lit, vient placer son museau tout contre le visage de sa maîtresse. Romane sourit. Elle aime tellement ses réveils doux. Elle s’étire, les bras derrière elle, se grandit, se retourne, se courbe, dos creux, dos rond puis une torsion. Elle a appris cela au cours de yoga. L’instant du matin, la mise en route, elle le sait, vont être déterminants pour la suite de sa journée. Alors elle joue le jeu, elle réveille ce corps encore engourdi par la nuit. Les deux pieds au sol, d’un seul geste, elle se redresse.

Poustache l’a devancée, il attend sa gamelle dans la cuisine. Romane lui sert ses croquettes et plonge sa tête dans le réfrigérateur. Quelques fruits, un yaourt sans lactose et du miel de montagne. La théière commence son vrombissement, qui s’accélère à mesure de la montée en température. Le son devient gênant, Poustache se cache, il n’aime pas quand Romane utilise cet engin de torture sonore.

— Oui, mais c’est rapide, lance-t-elle. On n’a rien trouvé de mieux à l’heure actuelle alors il faudra t’y faire mon Poustache, car sans mon thé du matin, rien de bon ne sortira de ce corps.

Elle sourit, le regard attendri par cette boule de poils qui l’accompagne depuis une année. Elle s’assoit sur le tabouret de la cuisine, plonge ses lèvres dans la tasse de thé vert encore fumante et avale son petit déjeuner en un rien de temps. Pressée par le temps, elle emporte la tasse jusque dans la salle de bain pour une ou deux gorgées alors qu’elle prend sa douche, puis revient dans le salon rassembler ses affaires pour son départ au bureau. Comme d’habitude, elle laisse toujours un petit fond. Elle câline Poustache, vérifie sa gamelle d’eau, et ses croquettes, emporte un gros manteau et fait claquer la lourde porte de l’appartement. En bas des escaliers, elle croise le gardien, le salue et file à l’arrêt de bus.

2

Il est 8 heures quand Romane arrive devant le Palais Wilson. Majestueuse, cette bâtisse de la fin du XIXe siècle abrite le siège du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Cet ancien Hôtel National, de nombreuses fois rénové, trône sur la rive droite de Genève et offre une vue imprenable sur le lac. Les nombreux véhicules qui circulent sur le quai du même nom, bordant le Léman, n’y gâchent rien. L’endroit reste exceptionnel.

Mais pour Romane, c’est la routine, elle contourne le bâtiment par le chemin qui se dessine sur la gauche, longe les hautes grilles agrémentées de haies de buis puis s’arrête devant le portail sécurisé. Elle sort son badge, le scanne devant la borne et passe le ruban autour de son cou. Ce rectangle bleu et blanc, c’est son sésame pour circuler dans tous les bâtiments de l’ONU. Depuis quelque temps, elle ne prête plus attention à la beauté des lieux, comme elle le faisait les premières années où l’émerveillement était quotidien. Désormais, elle passe machinalement, salue le gardien à l’entrée puis se dirige vers le porche au toit de verre. Elle entre par la grande porte puis grimpe les larges escaliers pour rejoindre son bureau du deuxième étage. Elle les monte généralement d’une traite, mais depuis quelques semaines, elle sent une légère fatigue qui la fait ralentir. Il est vrai qu’elle a beaucoup de travail ces derniers temps, et que le manque de soleil de l’hiver n’aide pas. Elle se dit qu’elle aura plus d’énergie au printemps, que c’est normal et que ça passera…

Arrivée dans l’entrebâillement de la porte, ses yeux butent sur la pile de dossiers à traiter qui s’amoncèlent sur le bureau. Il lui semble qu’elle est chaque jour un peu plus haute. Aujourd’hui, elle doit se concentrer sur les derniers préparatifs de la conférence qu’elle donnera en fin de journée. Elle se laisse tomber dans le fauteuil puis se reprend. Ne pas trop s’écouter, toujours avancer…

Elle ouvre son ordinateur portable et se plonge dans le PowerPoint de la conférence. Elle n’en animera qu’une partie, mais se doit d’être convaincante. Son équipe compte sur elle. Plusieurs mois ont été nécessaires pour monter ce dossier, d’interminables heures de préparation, avec des collègues de divers services pour apporter des éléments incontestables auprès de l’assemblée qui l’écoutera ce soir. Défendre le droit des femmes dans le monde, c’est à cette cause qu’elle travaille la majorité de son temps. Et plus encore depuis quelques mois.

Il est 13 heures déjà, quand Romane lève le nez de son écran. Son chef Marc passe par là et lui rappelle le déjeuner dans la brasserie d’à côté. Un repas entre collègues pour relâcher un peu la pression avant la séance.

— Allez Romane, sort de ta bulle, viens avec nous au café, les autres nous attendent. C’est toujours bon de décrocher avant un colloque et tu sais très bien que ce n’est pas dans les dernières heures que l’on modifie sa présentation.

— J’arrive, encore une dernière vérification… et je suis à vous.

— La sagesse me dit de ne pas te laisser t’enfermer… je t’attends là, et on y va ensemble.

Visiblement il ne va pas être possible de contourner ce déjeuner. Devant l’insistance de son supérieur et ami, elle se résigne. Elle fait une dernière sauvegarde puis ferme l’ordinateur.

Un soupir.

Marc la regarde.

Elle sent un questionnement, une inquiétude de sa part.

« Ne pas flancher, toujours avancer ».

Elle affiche sur son visage fatigué un sourire forcé puis d’un pas décidé, passe son bras autour de celui de Marc, et lui lance un regard déterminé pour effacer toute trace de vulnérabilité. Tous deux partent déjeuner.

Au café, une partie de l’équipe est déjà attablée. L’eau est de rigueur, l’alcool est réservé pour la fin de la soirée, lorsque tout le monde pourra se féliciter du travail accompli. Romane sent la pression monter, son appétit est minime, mais elle va se forcer.

Les discussions tournent autour de l’évènement de ce soir, qui réunira une centaine de personnes. Ce colloque n’est pas le premier, mais il a une importance particulière. La période est délicate et, plus que jamais, les droits des femmes doivent être défendus. Au sein du comité l’ambiance est bonne, mais la charge de travail est intense et même avec la plus grande volonté du monde, il est de plus en plus difficile pour tous de tenir le rythme.

Après le dessert, tous se remettent en chemin pour le bureau. Romane hésite un instant puis s’éclipse. Elle prend sur la droite et rejoint une ruelle qui mène au lac. Un besoin de sentir l’air humide. Elle n’avait pas fait cela depuis longtemps. Mais cet après-midi elle en ressent la nécessité. Elle se dirige vers les quais et s’installe sur le premier banc qu’elle rencontre. En cette saison, la plupart d’entre eux sont libres. Dans quelques semaines, ils se rempliront de nombreux passants venus de près ou de loin, pour le plaisir ou pour affaires, admirer la beauté du lac.

La fraicheur du bois sur lequel elle est assise est palpable, la légère bise aussi, mais Romane s’évade dans ses pensées. Le regard vague, elle ne voit pas au loin le bateau Le Savoie en provenance de l’autre rive qui vient déposer ses passagers. Certains arrivent de Lausanne ou de Montreux et se laissent porter pour une croisière d’une journée sur le plus grand lac d’Europe. Romane n’est plus vraiment là, elle est comme bercée par les vagues, l’esprit dilué dans un espace-temps un peu flou qui pourtant l’apaise. Comme lorsqu’elle était enfant et qu’elle contemplait les nuages dans le ciel, allongée dans l’herbe.

Le cri d’une mouette la fait revenir brutalement. Elle se ressaisit et ressent maintenant le froid traverser son pantalon. Les cuisses fraîches, et le bout du nez rougi, elle se met en route pour le bureau. Plus que quelques heures avant la conférence. Une dernière réunion pour se coordonner aura lieu en milieu d’aprèsmidi et il sera l’heure de se rendre aux Nations.

17 h, le tram dépose toute l’équipe devant le Palais des Nations, siège de l’ONU. L’entrée est majestueuse. Sur l’esplanade, des centaines de jets d’eau jaillissent du sol, pour le plus grand plaisir des touristes lors des chaudes journées d’été. Tout au bout, la « Broken chair », immense chaise en bois sur trois pieds, dénonce le refus des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions. Les drapeaux de dizaines de nations trônent de chaque côté du parvis. Romane marche avec le reste de l’équipe, d’un pas quasi solennel, en direction du bâtiment principal. Chaque fois, elle ressent toute la puissance de ce lieu de pouvoir qui voit se tenir des centaines de rencontres engagées par des représentants de toutes les nationalités. Une richesse infinie pour elle.

Un léger frisson parcourt son dos. Elle se sent portée par l’importance de cette mission que son comité et elle-même ont à cœur de diriger. Elle veut tellement être actrice du changement, qu’aujourd’hui, pour ce discours qu’elle va donner, elle sera en lien avec les femmes du monde entier. Elle portera la voix de celles qui ne sont pas entendues, elle soulèvera les injustices du patriarcat. La tâche est immense et Romane le sait. Elle doit accepter les petits pas, comme n’ont cessé de le lui répéter les plus anciens du comité :» avance dans ta direction, accepte ce que tu ne peux changer, et félicite-toi de ce que tu as accompli… le monde est plus grand que toi ». Mais Romane, elle, recherche toujours plus loin.

Marc est déjà sur place, il les accueille au pied du bâtiment E et tous ensemble accèdent à la salle de conférence. La pièce est imposante, pas immense, mais suffisamment grande pour accueillir quelques centaines d’invités. Romane franchit le seuil de la porte avec une légère appréhension, sa gorge se resserre quasi imperceptiblement, ses mains deviennent moites. Elle ressent cette pression qui ne la quittait pas enfant lorsqu’elle était interrogée devant toute la classe. Ces dizaines d’yeux braqués sur elle, cette tension intérieure qui montait au fur et à mesure qu’elle parlait, et ses joues qui s’empourpraient. Elle en avait de si mauvais souvenirs qu’elle avait décidé de ne plus avoir à se mettre face à un public, à ne plus s’exprimer face à la foule. Mais le destin en avait décidé autrement, elle avait une vocation, devenir avocate et elle devrait dépasser ses angoisses. S’exprimer devant une cour, elle apprendrait. Pour cela, elle avait très tôt, au début de ses études, rencontré un coach vocal. Avec lui, elle avait travaillé sa posture, sa voix, ses angoisses. Cela avait couté à ses parents une jolie somme, mais elle était parvenue à dépasser ses limites en appliquant des stratégies.

Quelques réglages de son plus tard, les premiers visiteurs font leur entrée. La salle se remplit peu à peu. À cinq minutes de l’allocution, les derniers retardataires s’introduisent discrètement, souvent encombrés d’un café dans une main, le portable dans l’autre. Tous les collègues de Romane sont là, les délégués des comités arménien, finlandais, jamaïquain, gambien… Chacun d’entre eux a travaillé de longs mois pour établir son rapport sur les discriminations à l’égard des femmes dans son pays. Aujourd’hui, ils prennent la parole devant l’assemblée.

Le représentant finlandais passe, succédé par la représentante gambienne qui, quelques minutes plus tard, clôt son discours et cède la place à Romane.

Une profonde expiration pour vider le trop-plein, puis une grande inspiration pour se donner de l’élan. Un sourire discret, Romane se lance. Elle entame son allocution avec un certain automatisme. Le ton est professionnel, elle entre dans le sujet, détaille son rapport avec une apparente aisance puis, après une dizaine de minutes, amorce sa conclusion. « Plus que quelques secondes » se dit-elle, « quelques lignes, les dernières, c’est presque fait, tiens bon… ».

Elle avait ressenti une sécheresse dans la bouche, une petite tension dans la gorge, ses mots avaient commencé à s’écorcher imperceptiblement.

L’air était devenu moins présent, elle sentait sa tête tourner, les visages de l’assemblée étaient un peu flous par moment.

Garder le cap… ne pas flancher…

Une bouffée de chaleur partie de sa poitrine venait d’envahir ses joues.

Elle s’arrête un instant, ferme les yeux, les ouvre. Elle voit trouble, les mots qui s’affichent sur son écran ne sont plus que des amas de noir. Elle a chaud. Elle sent ses jambes se dérober. Elle ne va pas tenir…

Elle cherche le regard de Marc, sur sa gauche, il est prêt à intervenir. Tout comme ses collègues, il a perçu son mal-être. Il parvient rapidement auprès d’elle, glisse son bras autour de sa taille et la soutient fermement pour l’emmener jusqu’aux coulisses. Appuyée sur l’épaule de son ami, elle amorce quelques pas et, arrivée à la première chaise, elle s’effondre.

Sa respiration est de plus en plus saccadée, elle a l’impression de ne plus réussir à faire entrer l’air dans ses poumons. Sa cage thoracique la serre, elle sent un poids qui l’oppresse et lui compresse la poitrine. Elle a peur. Peur que son cœur lâche. Peur que sa tête explose.

Une enfilade d’idées noires se succède dans son esprit, elle a mal au crâne, trop de pression, elle n’arrive plus à raisonner. L’angoisse monte plus encore, elle a les bras qui la picotent et les jambes en coton. Elle ne ressent plus ses pieds. Elle a l’impression de n’être plus qu’une tête au bord de l’explosion.

Marc reste auprès d’elle, il sait ce qu’elle vit. Il reconnait les signes de la crise d’angoisse, il les a vécus lui aussi. Il pose sa main sur son épaule et lui murmure de respirer calmement.

— Mets les mains sur ton ventre, inspire… Laisse entrer l’air dans tes narines et envoie-le doucement jusque dans ton ventre, là, sous tes doigts… C’est bien Romane… Maintenant, expire longuement… vide l’air par tes narines tranquillement… À nouveau, inspire calmement… expire profondément… Continue ainsi…

Romane entre dans le rythme mené par Marc. Il la regarde, ne la lâche pas. Il respire avec elle. Il sait que dans ces moments-là, la présence d’une personne de confiance est un ancrage. Il maintient la main sur son épaule, comme pour dire « c’est OK, tu es entourée, je suis là ». Car dans ces états où tout vacille, c’est d’un espace de sécurité dont on a besoin. Atterrir de ce voyage intérieur explosif qui fait se sentir si vulnérable, et tellement proche de la mort.

L’un des médecins de l’ONU vient en renfort. Romane va déjà un peu mieux, la pression est en train de retomber. Cherchant à être sécurisée, elle balbutie :

— Est-ce que je suis en train de faire une crise cardiaque ? Qu’est-ce qui ne va pas dans mon corps ?

Il effectue les premiers contrôles, prend son pouls, teste ses réflexes et quelques comptes plus tard, la rassure.

— Tout va bien, votre rythme cardiaque est normal. Vous avez fait une crise d’angoisse, mademoiselle. C’est très intense physiquement, mais vous n’êtes pas en danger. Votre cœur va bien, vos réflexes sont corrects. Vous allez vous remettre doucement, prenez tout votre temps, nous restons avec vous.

Rassurée sur son état physique, Romane continue de reprendre ses esprits. Sa respiration s’amplifie, elle entre dans la phase de retour, celle qui lui fait ressentir l’intensité de la décharge qu’elle vient de subir. Elle a des courbatures partout, tout son corps est endolori, elle se sent épuisée. Mais l’angoisse est partie. Son esprit est plus clair. La phase de danger est passée. Elle va enfin pouvoir se reposer.

3

10 h 30. Le réveil a sonné une dizaine de fois déjà. Romane n’a rien entendu. Après l’évènement d’hier soir, elle s’est écroulée de fatigue. Marc et une collègue l’ont raccompagnée, veillée jusqu’à deux heures du matin puis s’en sont allés.

Derrière la porte de l’appartement de Romane, longue chevelure rousse bouclée et sandales malgré un temps hivernal, Rachèle attend. Elle a tenté plusieurs coups de sonnette, sans succès. Alors, avec son calme légendaire, elle s’est installée dans l’escalier. Un bouquin de philo à la main, elle patiente le temps que son amie daigne se réveiller et enfin allumer son téléphone. Elle tombera peut-être sur les dix appels en absence et les trois messages vocaux laissés hier soir tard, lui annonçant sa venue.

Rachèle est une amie fidèle, le genre de personne qui saute dans le premier train pour venir secourir une amie en détresse. Elle sentait bien que Romane n’allait pas bien ces derniers temps. Elle avait de nombreuses fois voulu la mettre en garde, la rendre vigilante à son état de fatigue, mais elle savait que lorsque l’on n’est pas prêt à entendre, il ne sert à rien de s’époumoner. Elle avait tout de même essayé de la convaincre de lever le pied, de prendre quelques jours de congé et d’aller se mettre au vert. Mais Romane avait balayé d’un revers de main ses propositions. Aujourd’hui, son corps s’était chargé de le lui rappeler. Rachèle avait immédiatement fait ses bagages, réservé le premier train au départ de la Drôme.

Un énième coup de sonnette, et cinq minutes plus tard, c’est une Romane à moitié réveillée qui vient ouvrir. Rachèle se jette sur elle et l’étreint puissamment, dans un élan de joie mêlé de soulagement. Elle la serre si fort que Romane se retrouve en apnée. La gardant fermement tout contre son buste, elle la sermonne :

— Tu m’as fait tellement peur ! Tu te rends compte de l’angoisse que j’ai eue ? Une crise… en pleine conférence en plus ! Et Marc qui m’appelle en pleine nuit pour me prévenir… Impossible pour moi de rester en place, tu penses bien ! J’ai retourné le problème dans tous les sens. Et ce matin, j’étais sur le quai aux aurores. J’espérais tellement que tu ailles bien, enfin je veux dire que tu sois là devant moi, debout. Je t’ai imaginée t’écrouler sur scène, en plein discours… Non, mais quelle frayeur !

Elle reprend son souffle et poursuit, délaissant son ton virulent :

— Enfin, tu es là, vivante, c’est le principal ! Je vais m’occuper de toi. Tu vas prendre quelques jours de repos pour te remettre, bien manger, bien dormir, bien respirer aussi… te vider un peu la tête de tous ces soucis du boulot… ce n’est pas possible d’en faire autant.

Soulagée d’avoir vidé son sac, elle relâche quelque peu sa pression et Romane respire enfin. Rachèle fait un petit mouvement de tête vers l’arrière, puis plante ses énormes yeux verts dans ceux de Romane. Peur et amour s’entremêlent. Le message est passé. Romane n’a rien à dire, aucune résistance à opposer. Elle n’en a de toute façon pas la force. Et puis, derrière l’énergie de ce petit bout de femme, se cache un cœur immense qui ne saura que l’aider.

— C’est d’accord ? demande Rachèle

Romane acquiesce en clignant des yeux.

— Parfait, laisse-moi entrer, poser tout mon bazar. Je m’installe avec toi autant que nécessaire. Dis-moi où je peux mettre tout ça ?

Romane sent que l’aventure ne fait que commencer, que le petit épisode de la veille ne va pas rester vain. Si Rachèle est là, c’est que l’heure est grave. Elle pointe du doigt la porte du fond et marmonne :

— Dépose tes sacs dans le bureau, on verra plus tard. Rachèle merci pour ce que tu fais pour moi, mais ne sois pas si inquiète, c’est un petit incident… Ça va passer, je vais déjà mieux ce matin.

Rachèle plante une nouvelle fois son regard profond dans celui de son amie :

— Arrête de te mentir Romane. Tu y gagneras plus de temps que tu ne le penses. Lâche les armes pour une fois et accepte que la crise d’angoisse d’hier soit le symptôme de ce qui ne va pas depuis des mois. Tu es épuisée et tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Tu as tenu jusque-là, mais maintenant c’est trop !

Le regard baissé Romane soupire. Elle, si forte d’habitude, sent une vague de vulnérabilité l’envahir. Ça part du cœur et ça descend jusque dans les jambes. Pour la soutenir face à cette déflagration impulsée par l’intensité des mots posés par son amie, Poustache vient se loger aux pieds de sa maîtresse.

Le téléphone de Romane sonne.

La voix de Marc.

Elle met le haut-parleur.

— Romane, comment vas-tu ce matin ?

— Je vais bien… je vais mieux… J’ai ma baby-sitter avec moi, Rachèle vient d’arriver.

— Ah je suis rassuré, tu es donc entre de bonnes mains.

On perçoit le soulagement de Marc au son de sa voix. Il poursuit :

— Ça a été très violent hier, on s’est tous inquiétés de te voir vaciller comme ça.

Il marque un soupir et reprend :

— Je comprends, la pression, le boulot, en ce moment c’est beaucoup. On devrait songer à revoir notre organisation, car si toi tu as craqué d’autres le feront aussi… Ce matin, avec l’équipe, on s’est réuni et on a commencé à y réfléchir. Mais parlons de toi, quand vas-tu voir le médecin ?

— Euh… je n’ai pas réfléchi à ça… Un jour ou deux de repos suffiront…

Rachèle lève les yeux au ciel. Marc continue :

— Ça me semble un peu court, tu ne crois pas ? Promets-moi de ne pas revenir au bureau avant la semaine prochaine. Tu as besoin de repos, on a trop forcé ces derniers mois et je ne veux pas que tu y laisses ta santé. Ce qui s’est passé hier nous a tous perturbés. Il est évident que la charge que l’on s’impose est trop grande. Romane, ce n’est pas dans tes habitudes de flancher ainsi, et si cette… cette crise… s’est produite, c’est que c’était trop (le son de sa voix diminue laissant percevoir quelques bribes de culpabilité puis il se reprend, endossant par là son rôle de manager) : rappelle-moi à quand remontent tes dernières vacances ?

— Ok Marc… Si toi aussi tu entres en coalition avec Rachèle, je lâche les armes. Vous êtes têtus, les amis. J’irai voir mon médecin demain.

— Sage décision, je préviens l’équipe, ils te remplaceront ces quelques jours. Et interdiction de toucher à ton ordinateur durant ce temps, ni dossiers ni boîte mail. Tu te RE-PO-SES.

— Ordre reçu. Je te laisse, j’ai ma deuxième mère qui jubile à côté. Elle va s’occuper de moi toute la journée. Et à son air, je pressens un programme des plus réjouissants…

Rachèle lance un clin d’œil au téléphone, comme si Marc pouvait la voir. Ils n’étaient pas trop de deux pour la convaincre. Satisfaite, elle commence sa mission :

— Ta baby-sitter est prête, mets une veste et prépare-toi, je t’emmène dehors, respirer l’air frais !

Romane acquiesce, elle passe le premier pull chaud qu’elle trouve sans se soucier s’il est coordonné avec son pantalon. Elle a dormi tout habillée. Elle enfile une paire de baskets et son gros manteau. Ce style est pour le moins inhabituel chez elle.

Elles laissent claquer la porte et un Poustache en sursaut à l’intérieur. Romane prend les escaliers, mais ses jambes sont encore faibles. Arrivée en bas, elle sent que la balade va être difficile. Elle prend appui sur l’épaule de son amie qui, malgré sa positivité, ne peut que ressentir sa souffrance. Quelques pas, une route à traverser, un banc face au lac. C’est là qu’elles s’arrêtent. Pas plus loin, c’est déjà bien assez pour Romane.

Rachèle l’a compris. Elle se baisse en maintenant la taille de son amie. Romane s’assoit lentement, elle dépose son dos tout contre le dossier du banc froid. Elle relève la tête et plonge son regard dans le lac, laissant s’échapper un torrent de larmes.

4

Dans le cabinet médical, assise face à ce docteur qu’elle connait bien, Romane continue de pleurer. Depuis hier, les larmes n’ont cessé de couler. La nuit entière. Elle a les yeux bouffis, ses grandes lunettes ne peuvent plus rien cacher.