La spirale - Tome 1 - David Sauvage - E-Book

La spirale - Tome 1 E-Book

David Sauvage

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Beschreibung

Trois coups de feu retentissent au milieu de la nuit. Un corps s’effondre. Une balle manque à l’inventaire. Marc Gérot, capitaine de la Brigade des Stupéfiants, témoin auditif du meurtre depuis les ombres, se voit confier l’affaire. Très vite, une question émerge : la victime était-elle simplement au mauvais endroit au mauvais moment ? Ce meurtre, d’apparence opportuniste, dissimule-t-il un crime bien plus complexe ? Entre suspense et émotion, "La spirale – Tome I – Balle perdue" vous entraîne dans un labyrinthe de péripéties où chaque piste dévoile de nouveaux mystères.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

David Sauvage explore divers supports tels que la nouvelle, le sketch et la chanson. Auteur de trois pièces de théâtre et d’un roman, il se distingue par sa passion pour la diversité des genres. Il a remporté le Prix du roman gay 2024 dans la catégorie « Carnet de Bord » avec son ouvrage "Page blanche – Polaroïd(e) sentimental", paru en 2023 aux éditions Le Lys Bleu. Avec "La spirale – Tome I – Balle perdue", il livre une intrigue saisissante, maintenant le suspense jusqu’à la dernière page.

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Seitenzahl: 220

Veröffentlichungsjahr: 2025

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David Sauvage

La spirale

Tome I

Balle perdue

Roman

© Lys Bleu Éditions – David Sauvage

ISBN : 979-10-422-5421-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Par cette dernière nuit de printemps, et malgré l’empreinte des lourdeurs estivales, la capitale se noie sous le chagrin des nuages. L’écho lointain du carillon de minuit s’y perd dans les impasses, comme le tonnerre se heurterait aux montagnes, déchirant le voile silencieux qui recouvre amèrement une ville aux airs endormis. Le royaume des cieux, tous feux éteints, semble comme reposer dans le vide, menaçant à tout moment de venir s’échouer sur le sol.

Jaillissant de ce morne paysage, une voiture défie les éléments déchaînés et s’élance dans un dédale de rues aussi vite qu’il lui est possible. Un taxi ! Rien de très inhabituel. Cependant, son passager semble ne pas se soucier des brusques méthodes de celui qui le mène à son but. Il est ailleurs. Peu lui importe les risques d’accident. Son malaise est bien plus grave, plus profond. La tête tenaillée entre ses mains tremblantes, il ne parvient pas à cacher sa douleur. Malgré ses cinquante-sept ans, malgré son apparence rustre forgée par une éducation d’après-guerre, il apparaît comme un enfant blessé et ne peut se résigner à se soumettre à la règle qui voudrait qu’un homme, ça ne pleure pas.

Qui, pourtant, pourrait bien lui tenir rigueur de s’abandonner ainsi à sa fragilité enfouie ? Qui pourrait venir l’en blâmer alors qu’il fait face à une épreuve que tout le monde redoute ?

Réveillé en sursaut par la sonnerie du téléphone, la voix de sa mère, avant même qu’elle ne dise quoi que ce soit, avait suffi à le faire vaciller. Son père se trouvait au bord de l’éternité. Chaque minute qui s’écoulait était un rocher qui se dérobait sous ses pieds. Il lui fallait aussi vite que possible se rendre à son chevet.

Sans prendre la peine de raccrocher le combiné, il avait sauté hors de son lit, enfilé un simple imperméable par-dessus son pyjama et avait couru, sous la pluie battante, jusqu’à sa voiture. Le sort s’acharnant contre lui, son véhicule avait refusé d’obéir à sa réquisition nocturne. Il s’était alors jeté devant le premier taxi ayant croisé son chemin, lui bloquant la route et, au terme d’une brève empoignade vocale, était parvenu à convaincre son passager de lui céder la place. Toute cette perte de temps, et son père à l’agonie, c’était trop, même pour ses larges épaules.

Le véhicule stoppa soudain. Le quartier semblait encore plus gris que les autres jours. L’homme balança une poignée de billets à son chauffeur, sans se soucier un instant du compte ! Il se jeta hors du véhicule pour courir jusqu’à cette maison qui l’avait vu grandir, mais sans y parvenir. Ses jambes le trahissaient et peinaient à le faire simplement marcher. À la fragilité de son cœur venait s’ajouter celle de son corps.

Enfin, il arriva devant cette porte maudite, qu’il fixa avec rage, derrière laquelle il savait que son père s’éteignait. Il hésita un instant et, se rendant compte que dans la précipitation il n’avait pas emporté les clés, souleva le heurtoir qui lui sembla peser une tonne, et le laissa retomber sur la plaque de bronze dans un tumulte qui lui perça les tympans. La faucheuse en emportant son père faisait s’envoler en même temps une bonne partie de lui-même.

Sa mère, une vieille femme flétrie par le poids du temps et par des années d’accompagnement de son mari à travers cette dévorante nécrose des poumons, lui ouvrit la porte en même temps que ses bras pour que son enfant vînt s’y émouvoir en silence. Un silence lourd. Un silence bavard. Un silence qu’elle s’efforça de ne pas trahir, afin de ne pas avoir à prononcer la fatale et douloureuse sentence. L’ultime moment était passé. L’homme arrivait trop tard. Trop tard pour des adieux. Trop tard pour un dernier baiser. Trop tard pour dire tout ce qu’il avait toujours gardé pour lui. Trop tard pour oser dire à quel point il « était fier de son père ».

Sa mère l’accompagna vers le lit où reposait la dépouille du vieil homme apaisé. Les yeux envahis de larmes, il se pencha et, d’une main délicate et fébrile, replaça une mèche des cheveux de son père, en guise d’adieu, et comme pour reproduire et conjurer le geste que ce dernier faisait pour taquiner son fils lorsqu’il lui prodiguait un shampooing à sec.

À mesure que les aiguilles couraient sur le cadran de la vieille horloge, il se laissait entraîner à de funestes sanglots. Mais il n’y pouvait plus rien ! D’ailleurs, il ne voulait en aucun cas les réfréner. Il pensait à sa mère, à sa douleur, à son épouse restée seule avec son plus jeune enfant… À quoi bon rester ? Il n’en avait pas la force. Et sa mère voulait elle aussi épancher seule son chagrin. Il était temps de partir. Sa mère attendit qu’il s’éloignât pour éclater en sanglots. Sa pudeur lui interdisait de faire la démonstration de son chagrin. Même à son fils. Surtout à son fils. Il montrait sa faiblesse, elle devait donc paraître deux fois plus forte. Après une dernière accolade, il sortit pour héler de nouveau un taxi. À peine la porte fut-elle refermée que sa mère se retrouva en pleurs à s’en assécher les yeux.

La pluie venait de cesser, comme si le sacrifice du vieil homme avait suffi à apaiser la colère divine. L’homme fit quelques pas en se perdant dans ses souvenirs pour tenter d’échapper à l’idée de la mort, mais la triste mine de la rue, l’éclairage défaillant, les murs gris et barbouillés, et le bitume humide de la chaussée contribuèrent à l’enfermer dans le macabre au beau milieu d’un environnement où, à cette heure de la nuit et par ce temps, la solitude imposait sa dictature.

***

Non loin de là, dans le même quartier lugubre, un homme s’appuie contre un mur, sous une porte cochère, l’air grave. De toute évidence, il attend quelqu’un, quelque chose. Le tableau ne jure pas dans ce quartier où dealers et prostitués de tous sexes ont établi un de leur quartier général.

Trois ou quatre mèches de ses cheveux blonds détrempées laissent s’écouler, le long de son visage aux traits encore juvéniles, des gouttelettes tombant de la pierre pour s’échouer sur la corniche de ses sourcils sous lesquels deux yeux d’un bleu profond et presque irréel ont trouvé refuge. Impossible de lui nier ce charme si particulier qui ne laisse pas les femmes, ni même les hommes, dans l’indifférence.

Voyou ? Maquereau, micheton ? Mauvais garçon ? Marginal ? Qui peut-il être ? Capitaine Marc Gérot, assumant sans entrain une mission de surveillance ; de pure routine, sans aucun intérêt autre que de faire croire au bon peuple que la police veille sur sa sécurité. Une de ces « planques » qui n’avaient bien souvent pour seul intérêt que de faire perdre une nuit de sommeil, ou de travail effectif, à des représentants de la force publique.

Sa mission ? Fureter, observer, traquer les déviances, écumer le quartier à l’heure où le malhonnête sort de sa tanière. Sous ces brusques giboulées intermittentes, le gibier se faisait rare, ou du moins, furtif. De toute façon, quoi qu’il se passe, en dépit des apparences que le Ministère souhaitait sauver, on laissait faire. La plupart du temps, on se contentait de prendre un ton paternel, avec une voix grave pour signifier que « la prochaine fois… ». Et pourtant, la fois suivante, rien n’avait changé. Les prétoires étaient encombrés de cancres qu’on punissait d’un bonnet d’âne et qui s’en servaient comme d’une marque de distinction auprès de leurs petits camarades.

Du fait de la réputation de l’endroit, le voisinage hésitait à s’aventurer dans la rue dès que l’obscurité imposait son règne. Seuls quelques vagabonds osaient encore traîner leur semelle sur le pavé ; non pas qu’ils fussent plus courageux que les autres, mais eux n’avaient tout simplement nulle part où se mettre à l’abri des violences dont ils étaient souvent les premières victimes. Il n’était pas rare d’en ramasser un dans un caniveau, au fond d’une impasse, baignant dans son sang, frappé à mort par des voyous en mal de distraction et sous l’emprise de psychotropes.

Gérot, qui commençait à sentir le poids des heures s’abattre sur ses paupières, décida qu’il était grand temps de mettre fin à cette farce. Il n’avait rien vu de la soirée, il ne verrait plus rien. Il faisait bien trop humide. Il posa le regard sur sa montre qui indiquait 1 h 05. Il regagna son véhicule qui, miraculeusement, avait gardé ses vitres et ses rétroviseurs intacts, preuve incontestable, s’il en était besoin, du calme surprenant de cette nuit.

Le moteur engourdi peinait à démarrer, Gérot dut faire longuement ronfler l’allumage pour convaincre la machine de se soumettre à ses ordres. Contrairement à son habitude, il roulait sans brusquer la mécanique. Il s’enfonçait dans la nuit que seul un réverbère, continuellement soumis aux lapidations, osait timidement défier, armé d’un mince faisceau que l’on pouvait à peine nommer lumière.

Les chats donnaient l’impression de comploter hors de leur gouttière contre celui qui osait venir perturber leur réunion nocturne.

Gérot roulait, soulagé d’en avoir enfin terminé de ces surveillances inutiles qu’on lui imposait malgré ses vives et répétitives protestations. Il se sentait libre à présent. Il n’avait plus qu’une obsession, s’enrouler dans ses draps pour y dormir, longtemps, tranquillement, paisiblement, et, s’il s’en sentait encore la force, et si elle en manifestait l’envie, faire l’amour à sa femme.

Chapitre 2

Un air de satisfaction se devinait sur le visage de Gérot. Le coin de ses lèvres dessinait d’ailleurs un léger indice d’apaisement. Il savait que son épouse n’aimait pas quand il devait travailler de nuit. Elle n’appréciait d’ailleurs guère, de manière plus générale, les risques liés à son travail et ses plannings changeants. Mais en disant « oui », elle avait choisi d’épouser la fonction en même temps que l’homme. Il lui fallait donc s’y résigner et faire une croix sur les reproches malvenus.

Marc, pour sa part, aurait bien aimé pouvoir lui consacrer davantage de temps, à elle, mais aussi à son petit « ouistiti » de trois ans qu’il avait à peine eu le temps de voir faire ses premiers pas. Il comptait bien se rattraper, d’ici à quelques semaines, au hasard des caprices de la nature, lorsqu’elle accoucherait du deuxième petit bonhomme qui avait élu domicile dans son giron quelques mois plus tôt. Cette naissance serait pour Marc l’accomplissement de toutes ses ambitions : une carrière qui le passionnait et une vie familiale riche et épanouie, la première devant toujours être mise au service de la seconde. Malheureusement, s’il était bien parvenu à remplir ces deux objectifs, c’était l’un aux dépens de l’autre.

Soudain, le rideau de ses rêveries se déchira violemment. La réalité le rattrapait et le frappait de plein fouet.

Trois claquements venaient de retentir qui s’évanouirent aussitôt. Des coups de feu. De surprise mêlée d’effroi, il sursauta, et son pied se crispa sur la pédale de frein. Très vite, il se ressaisit, empoigna le levier de vitesse, passa la quatrième et, le pied enfoncé sur l’accélérateur, il déboula furieusement dans la rue voisine d’où, pensait-il, provenaient les détonations.

Une masse informe se dessina alors dans la pénombre. À mesure qu’il avançait, ses phares venaient dévorer la forme pour en dessiner des contours de plus en plus précis. Un homme gisait sur la chaussée, inerte, recouvert d’un imperméable étalé comme un drap mortuaire.

À l’autre bout de la rue, un véhicule, tous feux éteints, démarra en trombes dans un crissement de pneus aigu et perçant. Gérot, qui n’avait pas eu le temps de descendre de sa voiture, se lança immédiatement à sa poursuite. L’aiguille du compteur fut prise d’une crise d’épilepsie. 80... 90… 100 kilomètres par heure en pleine capitale. Les bâtisses défilaient derrière les vitres, donnant l’impression de n’être qu’une seule et immense demeure. Le sol glissait sous les roues à toute allure et l’asphalte humide empêchait le chauffeur de négocier les virages sans risquer un retournement et trois tonneaux.

De sa main droite, il composa sur son portable le 112 pour que soient dépêchés sur place, aussi vite que possible, les secours, tant qu’il était encore temps.

— Capitaine Gérot, police nationale, je suis en chasse d’un véhicule en fuite. Un homme est blessé, envoyez rapidement les secours. Voici l’adresse…

Il talonnait les fuyards. Il était si près qu’il pouvait distinguer les chiffres de la plaque d’immatriculation de la Renault Scénic des fugitifs, mais à la faveur d’un taxi traversant devant lui, le véhicule disparut, et il évita de justesse l’accident. Il ne pouvait dès lors plus rien faire.

Il retourna alors sur les lieux du crime. Dès son arrivée, il s’extirpa de sa voiture et se jeta sur le corps pour vérifier s’il respirait encore. De toute évidence, il était trop tard. Il écarta les pans traînants de l’imperméable et découvrit un homme en pyjama. Il entreprit alors, non sans une certaine réticence teintée d’aversion, d’explorer les poches du défunt, ce qui s’apparentait pour lui à une forme de violation de sépulture. Il y découvrit un portefeuille de cuir fin, estampillé d’une grande marque experte dans l’art de la maroquinerie, qu’il saisit à l’aide d’un mouchoir sans s’en sentir le courage d’ouvrir. Qu’allait-il y découvrir ? Une photo de son épouse, de ses enfants, tout sourire ? C’était bien la dernière image qu’il avait envie de voir en cette triste nuit. Il rangea donc soigneusement l’objet dans une des poches de son blouson.

Il commença par ratisser les alentours, les poubelles se voyant accorder le privilège d’être les premières sur la liste des inspections. En effet, c’était bien souvent là que les criminels abandonnaient ce qui pouvait leur sembler compromettant, les laissant aux dépôts, aux éboueurs qui auraient pour charge de terminer d’effacer toute trace. Les conteneurs à ordures regorgeaient de détritus pas toujours hermétiquement emballés, du fait du manque d’intérêt pour l’hygiène de leurs producteurs, ou de celui de perquisitions félines. Gérot eut d’ailleurs une occasion supplémentaire de râler contre ces gens pas encore convertis aux joies pourtant si ludiques du tri. Non qu’il fût un intégriste de l’écologie, mais plutôt qu’il appréciât de ne pas plonger la main dans des déchets organiques alors qu’il s’attendait à ne soulever que du carton. Il vécut la tâche sous un jour d’autant plus contraignant qu’elle se révéla parfaitement vaine. Il ne trouva absolument rien. D’autant que le manque d’éclairage n’était pas pour lui faciliter sa quête d’indices, si maigres fussent-ils.

Par un heureux hasard cependant, s’il est toutefois permis d’user de cette formule en de telles circonstances, en longeant le trottoir, son pied heurta une masse lourde dans le caniveau. Il se baissa pour ramasser l’objet, mais se ravisa bien vite et s’empêcha de l’empoigner. Une arme à feu ! Il repartit à la recherche de ce mouchoir dont il ne se séparait jamais et qui n’avait jamais eu le bonheur de fréquenter ses narines, mais ayant déjà oublié qu’il en avait déjà empaqueté le portefeuille de la victime, faute de le trouver, en désespoir de cause se résigna à user d’une autre méthode. Doucement, il approcha sa main droite et saisit ce qu’il identifia comme un P.38 en glissant l’auriculaire dans le pontet. Il le porta jusqu’à sa voiture où il s’empressa de la faire tomber sur le siège avant, le poids de l’objet devenant insurmontable à supporter plus longtemps pour l’articulation d’un simple doigt, à plus forte raison du moins costaud de tous.

Il entendit alors surgir au loin la fanfare cacophonique des sirènes qui chantaient sur deux ou trois tonalités, selon que la musique était policière ou médicale. La lumière bleutée des gyrophares donnait une dimension irréelle aux rues nimbées par le flou de la nuit. Ces lumières tourbillonnantes jaillissaient de l’obscurité comme autant de phares pris dans les lames roulantes d’un océan déchaîné. Les flashes tournoyants se rapprochaient, les sirènes se faisaient plus stridentes. Dans quelques secondes, le spectacle son et lumière itinérant élirait domicile dans le théâtre du drame.

Le cortège se rangea derrière la Ford du capitaine. Les lueurs continuaient leur danse infernale, mais le silence qui s’imposait à nouveau leur donnait à présent des allures de spirales hypnotiques.

Un homme descendit alors d’une Citroën d’un gris brillant. À en juger par le respect qu’il donnait l’impression d’imposer, il ne pouvait s’agir que du commissaire. L’impression était exacte. L’homme portait sans aucune élégance l’embonpoint de ses cinquante-quatre ans, se tenant aussi droit qu’il le pouvait pour ne pas donner le sentiment que l’âge commençait à le tasser. Et grâce à l’aide précieuse que lui apportaient ses alliées talonnettes, sa silhouette dessinait une carrure bien plus grande que celle que Dame Nature avait eu la délicate attention de lui concéder. Il marchait à la manière d’un canard mécanique, comme ceux avec lesquels jouent les enfants dans leur bain. Non content de surélever sa personne par des artifices « orthopédiques », prétexte médical bien pratique qu’il opposait à tous ceux qui osaient lui en faire la remarque, il se perchait sur des semelles plus hautes qu’à l’accoutumée et trichait sur son gabarit au moyen de larges épaulettes cousues à ses vestes pour pallier son manque singulier d’envergure. Ses lèvres minuscules s’amusaient à jouer à cache-cache derrière une broussailleuse moustache brune où poussaient en force une multitude de poils blancs qui le réjouissaient d’autant moins qu’ils étaient distribués avec une harmonie toute relative. Cette large moustache, peu esthétique, bien qu’entretenue avec beaucoup de coquetterie, était tellement épaisse qu’elle faisait barrage à la petite voix fluette de son porteur, et les sons qui tentaient de sortir de sa bouche se retrouvaient presque immanquablement pris au piège de cette forêt sauvage. Mais l’habitude aidant, tout un chacun finissait par réussir à décoder ses propos. On devinait encore, grâce aux vestiges qu’il en restait, que dans son enfance, sa petite tête ronde avait été bien à l’abri sous une tignasse brune toujours en bataille.

Le commissaire Lefebvre était à l’image des huîtres. Sous des dehors disgracieux et une coquille épaisse, l’homme cachait une perle de grande valeur. Sous ses dehors austères et peu amènes, c’était un homme foncièrement bon, juste et moralement intègre.

Il rejoignit Gérot, qui, dès son entrée dans la police, avait su s’en attirer les bonnes grâces et en forcer la sympathie. Lefebvre le considérait d’ailleurs un peu comme le fils qu’il n’avait jamais eu, la nature, dans ses innombrables lubies, ne lui ayant donné que trois filles qui, fort heureusement, avaient tiré l’héritage génétique de leur mère, et qu’il chérissait de tout son cœur.

Pendant que ses hommes traçaient à la craie épaisse les contours de la victime et photographiaient les lieux du crime, et tandis que le SAMU s’apprêtait à lever le corps, il leur fit un signe de la main pour les prier de patienter un moment, et questionna Gérot.

— Qu’ché p’ché ? (Qu’est-ce qui s’est passé ?)

— Je n’en sais pas vraiment plus que toi. J’ai entendu des coups de feu, j’ai foncé, et en arrivant il était là, mort. J’ai essayé de poursuivre les agresseurs, mais ils m’ont filé entre les doigts, c’est tout ce que je peux te dire.

— Tu as trouvé quelque chose avant que l’équipe n’arrive ? dit-il, d’une manière toujours aussi peu compréhensible pour le lecteur profane dans ce dialecte très personnel.

— Oui, mais il faisait un peu trop noir. Et comme ma torche était HS, il vaudrait mieux que les gars repassent derrière moi… d’autant que pour ratisser un terrain, ils s’y connaissent mieux que moi.

Lefebvre donna instruction à ses hommes que tout soit, avec une minutieuse application, passé au peigne fin. Puis il revint vers Marc.

— Qu’ch’t’as tr-vé ? grommela-t-il encore.

Marc ne répondit pas immédiatement à sa question. Il se contenta de fouiller dans sa poche et tendit le portefeuille de la victime à Lefebvre.

— C’était sur le corps.

— Et alors ?

— Je ne l’ai pas encore ouvert.

Lefebvre déploya le triptyque de cuir et en vida chaque volet.

— Alors, qu’avons-nous là ? questionna-t-il avec toujours aussi peu de voyelles. Une carte d’identité au nom de Bravon Jacques, né le 26 février 1947 à Limonest… quoi d’autre ? Une carte… non, deux cartes de crédit et… 97 euros en liquide.

— C’est donc pas pour le détrousser qu’on l’a descendu.

— Et à part ce portefeuille, rien d’autre ?

— Oh que si !

Gérot demanda à Lefebvre de le suivre jusqu’à sa voiture. Il lui demanda un mouchoir que le commissaire lui tendit aussitôt, et qui, celui-ci, avait probablement déjà fréquenté les naseaux du commissaire, peut-être même d’ailleurs de fraîche date. Gérot attrapa le pistolet et le tendit à Lefebvre, lui présentant sur le plat de sa main.

— C’est sans doute l’arme du crime. Je l’ai trouvée bien trop loin du corps pour qu’il appartienne à la victime. Et puis j’imagine mal un type à moitié à poil se balader avec ce genre de choses sur lui.

Lefebvre, d’un hochement de tête, acquiesça au raisonnement de son subordonné.

— Rien de plus ?

— Je crois que si ! Viens voir…

Gérot fit faire un peu d’aérobic à son index pour inviter le commissaire à lui emboîter le pas en faisant la sienne par la même occasion. Il le traîna jusqu’à l’ambulance et demanda qu’on lui montrât le corps déjà bien empaqueté dans un sac de plastique noir. Il fit descendre la fermeture à glissière et montra le torse de la dépouille à son supérieur.

— Regarde, et dis-moi ce que tu vois.

— Deux blessures par balle ! Et alors ? Rien de plus normal pour un type qui s’est fait tirer dessus.

— Tu as raison, ça pourrait sembler anodin de prime abord. Mais toi tu n’étais pas dans le secteur lorsqu’on a tiré. Moi, si !

— Et alors, tu as remarqué quelque chose de particulier ?

— On a tiré trois fois. Trois, pas deux.

— Et ça nous mène où tout ça ?

— À chercher la troisième balle, pardi !

Lefebvre tourna la tête en direction de ses hommes et leur donna pour consigne, suivant en cela les conseils de Marc sans pour autant en comprendre les motivations, qu’on se mît en quête d’une hypothétique troisième balle qui se serait perdue alentour.

— Franchement, je ne vois pas ce que ça peut nous apporter, ânonna Lefebvre, perplexe.

— Pour être parfaitement honnête, moi non plus. Mais trois coups ont été tirés, deux ont fait mouche, et pas par hasard, alors pourquoi l’un d’eux aurait manqué sa cible ?

Le commissaire, toujours aussi peu convaincu du caractère déterminant de cette information, se lança dans quelques hypothèses susceptibles de désamorcer les obsessions du lieutenant.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Peut-être que deux balles se sont logées dans le même trou…

— C’est incohérent ! le coupa Gérot. Pour ça, l’assassin aurait dû prendre le temps d’ajuster son tir, non seulement je n’en vois pas vraiment l’intérêt, mais en plus, à supposer qu’il ait voulu s’amuser, je vois mal le mec se laisser allumer sans réagir, et puis il aurait fallu qu’il soit bien plus près pour être certain de réussir son coup compte tenu du fait qu’on n’y voit pas très clair.

Lefebvre, décidé à trouver une explication coûte que coûte, continua sur la même voie, mais cet entêté de lieutenant trouvait toujours le moyen de démonter ses extravagantes suppositions.

— Justement, pourquoi veux-tu qu’il se soit trouvé si loin ?

— Parce que la voiture dans laquelle il est monté se trouvait à cent cinquante ou deux cents mètres, et tu n’es sans doute pas sans savoir que le record olympique du cent mètres est de près de 10 secondes. Alors à moins de s’appeler Maurice Greene et d’être shooté à l’EPO, de porter des Air Max et d’avoir un vent favorable dans le dos, il n’a pas franchement eu le temps de revenir à sa bagnole, monter dedans, démarrer… tout ça, ça doit prendre une bonne minute. J’étais là dans les 30 secondes qui ont suivi le second coup de feu… À mon avis, il se trouvait à une cinquantaine de mètres de la victime, c’est d’ailleurs à peu près à cette distance que j’ai retrouvé l’arme.

Lefebvre ne disait pas un mot, il écoutait Marc lui exposer les faits qui ne supportaient aucune contradiction infondée et conclure :

— À moins qu’il ait eu le coup de chance du siècle !

La voix de Marc masquait à peine l’ironie de la formule. Le commissaire, s’il n’était pas vexé, ne releva toutefois pas et ne s’essaya pas à une nouvelle supputation. Après un long silence, il finit tout de même par approuver de sa voix la plus grave le discours de Gérot.

— De toute façon, le légiste nous dira de quoi il retourne, pas vrai ? lança-t-il pour mettre un point final, digne de son autorité légitime, à cette âpre discussion.

Un des enquêteurs vint alors interrompre le silence qu’ils gardaient tous deux depuis quelques minutes.

— On n’a rien trouvé, Commissaire. Pas de troisième balle. Mais on a bien tiré trois fois, du même endroit. Il y avait trois douilles par terre.

— Bien, vous pouvez disposer.

Lefebvre, d’un nouveau signe de la main, signifia aux ambulanciers qu’il n’avait plus besoin d’eux. Ils s’éclipsèrent, reprenant la route, dans un silence que l’absence d’urgence imposait à présent. Seuls restaient désormais le commissaire et son protégé, intrigués par cette question demeurée sans réponse.

— Robert, je reviendrai faire un petit tour demain matin, histoire de constater que, comme d’habitude, personne n’a rien vu et rien entendu…

— Tant mieux ! Comme ça, ça m’évitera de t’en donner l’ordre. Mais, avant… ah, je sais que tu n’aimes pas faire ce genre de choses, mais faut bien que quelqu’un s’y colle… j’aimerais que tu préviennes la famille.

Gérot eut bien du mal à dissimuler sa grimace. C’était pour lui un véritable calvaire de se faire le messager de la mort, apportant dans son sillage la peine et le désespoir. Toutefois, Lefebvre le lui avait demandé, et jusqu’alors il n’avait jamais cherché à contrer son autorité. Au pire, avait-il déjà manifesté des désaccords, sans que cela l’empêchât pour autant de plier et de s’exécuter.