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Dans un vaste monde appelé Terrae où les nations humaines règnent, les lycanthropes sont traqués, tués et exterminés, depuis des milliers d’années. Alors que cette civilisation semble immuable, les convictions se mettent à trembler. Une nouvelle ère se lève, conçue par Vergorance, par les légendes du passé et inspirée par les Révolutionnaires. Une nuit, Zoé, une trappeuse de Deviro, se retrouve acculée par une meute de loups déchaînés. Cet incident la conduira à croiser le chemin du Dixième Espion Personnel des Révolutionnaires : Loïc aux lames d’argent. Ce dernier l’entraînera dans une longue aventure où elle devra apprendre à se battre pour sa vie et ses valeurs. Aux confins de Terrae, tous deux s’allieront à une poignée de jeunes afin de survivre. Ensemble, ils feront face aux cauchemars de leur réalité, aux démons de leur monde et aux conséquences du passé.
A PROPOS DE L'AUTEURE
Pour
Amoriane Siméon, s’investir dans l’univers que l’on offre permet d’en savourer chaque ligne. Alors en 2016,
La Vague Grise a littéralement déferlé dans son esprit ainsi que le plaisir de partager cette aventure, d’en rire et d’en pleurer avec ses proches. Autrefois un petit projet, cet ouvrage est devenu presque une raison de vivre.
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Seitenzahl: 817
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Amoriane Siméon
La Vague Grise
Les enfants perdus
Roman
© Lys Bleu Éditions – Amoriane Siméon
ISBN : 979-10-377-5326-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Prologue
Les enfants perdus
Plongez-vous dans un autre univers, quelque part perdu dans une imagination naïve.
Sur une planète lointaine qui tourne autour d’un soleil avec son satellite, la lune. La nature de cette terre avait offert à une partie de sa population des pouvoirs censés stabiliser la Paix. La nature sous-estima la bêtise de ces créatures qu’étaient les Hommes, assoiffés par l’ambition. On tenta de sauver et protéger cette Paix et les mythes se créèrent, en vain. Il fut décidé de punir ceux déclarés perdants. Par des jeux d’oublis et de transmission, cette guerre devint légende où l’on ne retenait que les conséquences et non les causes. D’un côté, les Hommes victorieux et dominants, soutenus par les magiciens, détenant des pouvoirs uniques aux mille nuances et couleurs, chacun différent de l’autre. De l’autre les lycanthropes, les perdants, considérés comme un danger constant et que le nouveau Gouvernement ne parvenait pas à éradiquer.
Les loups-garous étaient divisés en cinq grandes Meutes bien distinctes.
La Meute Noire, menée par la famille Elo, composée d’êtres fraternels capables de se métamorphoser en loups noirs. La Meute Blanche, dirigée par les Tyra, formée par les individus les plus calmes et justes qui pouvaient prendre une apparence de loups blancs. La Meute Rousse, sous la direction des Odenval, regroupant les logiques et les intellectuels qui optaient pour la forme du loup roux. La Meute Brune, commandée par les Gon, où se réunissaient stratèges et fourbes, se transformant en loups bruns. Ces quatre Meutes avaient des forces équivalentes. La cinquième Meute était beaucoup plus puissante, plus forte, plus déterminée. Plus dangereuse. La Meute de Marbre, exilée sur une île où le marbre était en abondance : l’île de Marbre, avec à sa tête les redoutables Zon. Les loups-garous de cette Meute avaient un pelage bicolore, noir sur le dos, les oreilles, les yeux et les pattes, accompagné d’une teinte crème sur le reste du corps.
Après quelques siècles et millénaires, les mots changèrent et le langage évolua. Les magiciens devinrent des mages, les loups-garous devinrent loups. Les mages et les êtres humains sans pouvoir continuèrent de les persécuter, les exterminant sans parvenir à les faire disparaître. Ils étaient trop tenaces, avaient un sang trop résistant. Finalement, un Alpha de la Meute de Marbre, Zon Thomas, réclama un jour, la paix, les devoirs, les droits, la liberté pour les loups. Le Gouvernement observa ce geste pacifique avec méfiance et imposa des conditions impossibles à cette demande. Cependant, rien n’est impossible pour un loup de Marbre. En presque un siècle, la Meute de Marbre parvint à réunir ces conditions : les accords de tous les pays du globe. Or, le Gouvernement, fermement convaincu que les loups n’étaient qu’une espèce de vermine dangereuse et indésirable, des erreurs de la nature, empêcha le dernier souverain, Herko Grégor, roi du Pays de l’Est, le Roi Pacifique, de signer l’accord de paix, en l’écartant du trône pour y placer son frère cadet, Victor, avide de pouvoir et complètement manipulé par les belles paroles gouvernementales.
Le 13 juin 3598 fut le jour où les conséquences du passé devinrent les causes du futur, dessinant trois partis sur trois générations, deux Vagues, destinant les enfants perdus à se réveiller.
Juin 3598
Eviarn
Un jeune couple issu de la bourgeoisie locale marchait dans la belle nuit étoilée. C’était une chaude nuit d’été. Elle, Ludmyla, portait une robe de soie bleu givré dégradant sur un vert opaline, un léger gilet gris clair et de longs gants turquoise qui se terminaient en mitaine laissant ses fins doigts et ses ongles polis toucher le petit enfant qu’elle tenait dans ses bras. Elle avait des yeux vert kaki qui accompagnaient sa longue, très longue, chevelure blonde qui cascadait dans son dos. Lui, Claude, portait un costume gris et une chemise blanche. Il avait des yeux bruns et des cheveux blonds parfaitement coiffés. Le nourrisson, quant à lui, ne devait pas avoir plus de quelques jours. Il était enroulé dans un drap couleur noisette, s’accordant étrangement bien avec les tenues de ses parents.
Ils arrivèrent devant le grand manoir de marbre clair, appartenant à la riche et noble famille Lavitof. L’intérieur était éclairé de partout. Une affiche à gauche de l’imposante porte d’entrée énonçait : Bal d’Eviarn en lettres argentées. Deux gardes et un serveur accueillaient les invités au seuil des portes. La petite famille monta les marches et s’arrêta devant leurs trois hôtes. Le gouvernant plein de grâce, de politesse et de galanterie s’avança et déclara d’une voix chaleureuse :
Ils rentrèrent dans le vaste hall décoré d’un lustre majestueux et le servant se retourna, le visage dévoré par son enthousiasme.
Les voilà, quelques minutes plus tard, entourés par une centaine de femmes aux robes plus resplendissantes les unes que les autres et de leurs cavaliers, amants ou maris. Se faufilant parmi les convives de la réception, un grand homme, Lavitof Réon, avoisinant une cinquantaine d’années, vint à leur rencontre, accompagné d’un homme plus jeune et sa cavalière. Ils étaient tous deux très élégants, l’un dans son costume crème, la seconde dans sa jolie robe pourpre au corsage orné d’arabesques blanches s’ouvrant sur une incroyable cotte aux rubans ivoire et son gilet de fine dentelle opaline. À sa gorge, un magnifique collier d’or serti de perles, assorti à ses boucles d’oreilles pendantes qui suivaient délicatement les moindres mouvements de son mignon visage aux lèvres écarlates. Son parfait chignon brun laissait quelques mèches bouclées s’échapper sur ses joues. Elle en rendait jalouse plus d’une et attirait les regards envieux des hommes. Les jeunes parents sourirent immédiatement, mille éclats de joie dans leurs yeux. Le maître des lieux, Réon, apposa une main amicale sur l’épaule de Claude et s’exclama chaleureusement :
Réon se tourna vers le jeune homme et sa cavalière qui l’accompagnait.
Ludmyla illustra les propos de son mari avec une profonde révérence, son enfant dans les bras.
Elle termina ses paroles avec un regard chaleureux pour la jeune mère qui ne put que rougir et rendre un sourire timide.
Non loin de leur position, sur une estrade aux somptueux rideaux rouges, un petit garçon brun avec de grands yeux noirs courait maladroitement, tentant de poursuivre des monstres imaginaires.
Les deux jeunes femmes échangèrent un air complice, se comprenant parfaitement.
Le petit groupe rit aux éclats quelques instants.
Tous se rapprochèrent du petit Richard qui dormait paisiblement dans les bras délicats de sa tendre mère. Puis ils continuèrent à palabrer sur divers sujets toujours dans la chaleureuse paix qui enveloppait le manoir, la ville, le pays, le continent, le monde…
Charline se retira pour préparer son discours. Elle avait un don pour les mots depuis son plus jeune âge. Elle avait donc la joie et l’honneur de faire l’ouverture du fameux bal d’Eviarn. Quelques instants plus tard, elle monta sur la scène pour préparer les feuilles de son discours tandis que son fils de deux ans approchait avec un air penaud. L’assemblée se fit silencieuse même si elle ne prendrait pas la parole avant une dizaine de minutes. Réon resta près d’elle, tel un petit chat apeuré par tant de monde. Elle le regarda puis le prit dans ses bras et lui dit tendrement :
Elle sourit et l’embrassa sur la joue mais il resta avec son air si triste.
Le petit regarda de ses grands yeux noirs l’assemblée puis sa mère comme s’il cherchait un quelconque espoir. Charline se fit inquiète et pencha la tête. Son fils lui fit un câlin et lui dit à l’oreille :
Réon ouvrit de grands yeux noirs émerveillés, même s’il n’avait pas tout compris.
Charline sursauta en découvrant une femme vêtue d’une robe bleue impériale et de dentelle blanche. Elle expira enfin en reconnaissant son aimable gouvernante.
La gouvernante eut une révérence puis descendit dans la foule servir les convives. Ludmyla, inquiète, observait toujours Charline qui ouvrait l’enveloppe orientale et le petit Réon collé à sa robe pourpre.
Elle lui ébouriffa ses cheveux bruns.
La mère eut un triste sourire et se pinça les lèvres.
Charline ouvrit la lettre avec une noble délicatesse qui s’accordait à ses joyaux aux reflets étincelants.
Le beau visage de Charline perdit son éclat en lisant les premières lignes, se ternit en continuant. Sa main trembla, les larmes vinrent, elle se mordit la joue, son visage se tordit puis se décomposa. Le petit Réon vit la lettre flotter vers le sol, il saisit la lettre et tenta de déchiffrer ces arabesques encore inconnues à ses yeux. Ébranlée par la nouvelle, celle-ci se rua vers le pupitre de verre. Elle ferma les yeux, le visage torturé par la tristesse et le chagrin, la voix pleine de sanglots. Elle attrapa si fort son pupitre qu’on en fut étonné qu’il ne se brisât pas.
Le silence tomba d’un seul coup. Tous les regards, attentifs, la fixaient. La tension monta d’un cran, l’anxiété atteignit chaque cœur. Richard lâcha quelques larmes, Ludmyla le serra contre elle, comme si cela le protégerait de l’avenir criminel qu’il partagerait avec le petit Réon.
Tyravel
La nouvelle courut à travers les pays, par le murmure des rumeurs et les enveloppes officielles du Pays de l’Est.
Elle parvint au Royaume du Nord. Il n’y avait aucun bruit dans le palais de glace de Tyravel. Un silence de deuil régnait à la place du roi. Il était assis sur son trône de glace, seul. Une lettre orientale gisait sur le sol gelé juste devant le souverain accablé, Enjdiav Marien. Il avait la tête dans une main alors que l’autre tremblait encore d’avoir tenu cette terrible lettre. Le pire s’était produit, détruisant la Paix que son père et son grand-père avant lui avaient tenté d’établir. Cent ans d’efforts réduits à néant. Cent ans d’échanges avec les loups de Marbre. Cent ans pour instaurer une confiance avec les loups blancs et les Alphas Tyra qui se terraient dans les zones inaccessibles aux humains, derrière les hauts Monts Glacés du Royaume du Nord. Et ces cent ans de patience n’étaient désormais que poussière face à cette lettre. Face à cette annonce. Une lettre, une subtile déclaration de guerre : l’ouverture de la chasse aux loups.
Marien avait pensé pouvoir offrir une paix à ses futurs enfants. Mais désormais, les jeunes devaient à leur tour se battre pour celle-ci. Un fardeau qui se traînait depuis trois générations et qui perdurerait sur la quatrième. Un combat pour instaurer le modèle de la cité libre Vergorance dans toutes les contrées du monde. Vergorance, toute jeune ville de cent ans qui avait vu le jour en même temps que ses valeurs, où l’union entre les espèces, la justice et l’égalité régnaient librement.
Et le Pays de l’Est, sa capitale royale, Odenvalevia, venait de subir un coup d’État. Le jeune Roi Pacifique avait été assassiné avant d’avoir pu signer pour la paix, et son cadet prenait le trône en déclarant la guerre aux loups roux qui vivaient sur ses territoires. En leur déclarant la chasse. Proclamant l’extermination de la Meute Rousse et des Alphas Odenval.
Le fragile équilibre pacifique qu’ils avaient réussi à établir se fragmentait. La tension grimpait entre les êtres et la haine grandissait dans les cœurs. La diplomatie avait échoué, les jeunes la troqueraient pour les armes. Pour une guerre. À presque cent ans, les Temps Pacifistes mouraient avec Herko Grégor, Roi Pacifique du Pays de l’Est. Ce jeune souverain n’avait pas régné un an.
Alors, Enjdiav Marien, le souverain des territoires éternellement enneigés du Royaume du Nord, restait immobile sur son trône de glace dans son long vêtement gris, bordé d’hermine blanche. Sur sa tête grisonnante était posée une couronne aux motifs complexes de glace qui rappelait le cerf blanc ornant le blason hexagonal de la famille royale Enjdiav. Il ne mesurait plus le temps qu’il passait à méditer sur le sombre avenir qui attendait désormais ses enfants.
Sa femme, la reine Solène, à la chaude robe turquoise, se glissa devant la porte de la salle du trône et le regarda d’un air inquiet. Elle avait des cheveux châtain clair, des yeux vert-de-gris et un diadème bleu aux ramifications assorties à la couronne de son bien-aimé. Solène s’avança, mais elle s’arrêta un instant, hésitante, et se frotta les mains comme pour les réchauffer. Finalement, elle rejoignit l’homme qu’elle aimait, ramassa la lettre gisant sur le sol qu’elle plia et la fit disparaître dans les pans de sa robe. La reine s’agenouilla près du trône, posa une main sur l’épaule du roi et l’autre sur son bras. Elle le regarda tendrement.
Il releva ses yeux bleu clair vers sa femme, son regard décomposé sous le choc du chagrin qui le ravageait.
Elle baissa un regard désolé. Ils restèrent ainsi seuls dans le silence du royaume gelé. Si le père du Roi Pacifique, l’ancien roi du Pays de l’Est Herko Erwan, ne partageait pas les idéaux utopiques de son confrère nordique, les deux souverains avaient partagé une amitié sincère et profonde, forgée par les années de diplomatie et d’échanges. Sur son lit de mort, l’Occidental avait fait promettre au Nordique de veiller à ce que ses deux fils grandissent et vieillissent ensemble, sous le pavillon de la fraternité, de la Paix et du peuple. Hélas, Victor venait d’assassiner son aîné, Grégor, et prenait place sur le trône du Pays de l’Est tel un tyran. Ses actes tourmenteraient à jamais le roi du nord.
Vergorance
Deux amies regardaient le ciel gris, attendant la pluie, dans le parc Merice de Vergorance.
Julie, une louve de la Meute Rousse au teint ébène, aux yeux noirs et aux cheveux blond vénitien, hocha la tête d’un air désemparé et poursuivit :
Comme tous ses semblables, la louve rousse ne pouvait pas nier l’évidence, préférant le pragmatisme à l’optimisme. La pluie se mit à tomber.
Son amie louve lui lança un air interrogateur. Elle rajouta :
La mage baissa la tête.
Odenvalevia
Herko Victor était vêtu du vêtement noir du roi du Pays de l’Est. Frère cadet du Roi Pacifique, Herko Grégor, assassiné quelques jours plus tôt. Si Grégor semblait avoir été forgé dans l’altruisme, Victor, lui, avait toujours baigné dans l’idiotie et la soif de pouvoir.
Désormais, une longue cape de cuir traînait telle une ombre malfaisante derrière Victor. Il avait un nez bien trop pointu, des yeux bien trop noirs et des cheveux gras, noirs, mi-longs et couronnés d’un diadème aux arabesques ténébreuses, rappelant un arbre mort. Il était un peu jeune pour porter ce diadème, beaucoup trop jeune pour prendre le trône. La salle du trône était parfaitement accordée à son nouveau roi. Un lieu triste, mort et sombre où régnaient dangers, complots et profit. Il alla s’installer sur le trône et caressa les accoudoirs en marbre Zonialien encore une fois, de la couleur la plus lugubre. Un sourire.
Quelques minutes plus tard, une petite fille encadrée par une dizaine de gardes entra dans la salle. Ses cheveux noirs étaient parfaitement lissés et ses yeux marron brillaient d’insolence, de franchise et de malfaisance. Elle s’avança l’air hautain et planta son regard sûr dans celui du nouveau roi.
Évidemment, ça n’aurait pas réussi sans une intervention discrète de ma part, se flatta l’enfant en son for intérieur. Le roi Victor plissa les yeux, elle avait l’air suspecte.
Elle sourit davantage et se retint d’exploser de rire. Cela aurait été dommage de briser toute son ambition à cause d’un vulgaire fou rire, n’est-ce pas ? Ce roi était-il si idiot que cela ?
Sur ces paroles ponctuées d’un subtil ton menaçant, elle tourna les talons.
Du haut de ses sept ans, Div était déjà plus intelligente et stratège qu’un jeune roi inexpérimenté, et aussi vicieuse qu’un serpent en quête de proies. Elle tenait beaucoup à être reine et savait que les troupes de son père représentaient quasiment la moitié de l’armée royale du Pays de l’Est. Rompre leurs fiançailles revenait à rompre le contrat que leurs deux pères avaient mis en place quelques années en arrière. De plus, l’ambiance de ce château lui allait très bien. Ce palais possédait une immense bibliothèque de livres sur les guerres, les morts ou les différentes désolations que l’histoire avait subies. Cet endroit était un paradis pour elle. Hors de question de le quitter aussi simplement.
Grâce à cette menace sous-entendue, le roi Victor réalisa son erreur. En s’emparant du trône comme il l’avait fait et en ordonnant l’extermination des loups roux qui habitaient les territoires de son pays, il venait de se mettre à dos presque tous les États du globe, excepté le Gouvernement qui le soutenait. Cependant, il savait pertinemment que les loups de Marbre ne resteraient pas indifférents à la détresse de leurs cousins roux. Perdre la moitié de ses troupes simplement parce que sa promise était bien trop jeune était imbécile. Il fit la moue et l’arrêta :
Div se retourna toute contente, elle sautilla jusqu’au trône et rétorqua :
Elle sourit sereinement et assura de sa voix la plus douce :
Elle marqua une pause pour observer la mine déconfite de ce pauvre roi qu’elle s’amusait à manipuler comme une marionnette. Puis elle insista :
Le silence et l’expression complètement paniquée de Victor lui firent comprendre que tel était le cas.
Le roi est un idiot fini, ricana-t-elle intérieurement en souriant. Il est tellement jeune et manipulable... Je n’ai jamais vu autant de naïveté en une seule personne. Il va falloir que je le rende un peu plus intelligent pour pouvoir garder un maximum de dignité à ses côtés. Grégor, lui, n’était absolument pas dupe et a toujours vu très clair dans mon jeu… Ah ! Sacré Loup Brun, tu anticipais toutes mes stratégies, mais cela va changer maintenant !
Le roi de son côté n’avait pas bien le choix. Et puis finalement, avoir des enfants n’était pas une priorité, la guerre et les complots qui grondaient au fin fond de l’île de Marbre étaient sa préoccupation principale. La jeune Div deviendrait sûrement une belle femme plus tard, et son intelligence pourrait sans doute l’aider. Il ne voyait aucun inconvénient. Il accepta.
Les Temps Pacifistes avaient débuté autour de l’an 3500, à la suite de la proposition d’une Paix, idéalisée par l’Alpha de Marbre Zon Thomas. Les successeurs de ce dernier avaient rallié à leur cause la quasi-totalité du globe durant près d’un siècle. Mais l’assassinat du roi du Pays de l’Est, Herko Grégor, autrement appelé le Roi Pacifique mit un terme aux Temps Pacifistes le 13 juin 3598.
Herko Victor sur le trône, sous les conseils avisés de sa femme, organisa une violente répression sur les loups roux de son territoire. Mais ce n’était pas sans raison si les loups existaient toujours après plus de trois mille ans de persécution et de chasse… L’Alpha Rousse, Odenval Lou, défendit son immense Meute avec ferveur durant près de huit ans.
Cependant, en 3606, la Meute Rousse fut contrainte de quitter les terres de l’est pour la Région-Centre, territoire de cités libres, territoire du Gouvernement et de son président, où vivre pour un loup était un enfer.
Alors que la situation semblait perdue pour les loups roux, l’Alpha de Marbre Zon Eroc déclara la guerre au Gouvernement et au Pays de l’Est afin de les soutenir. La Meute de Marbre fut accompagnée par la Meute Noire et par le pays occidental : le Wesniat. La Meute Blanche resta en retrait même si cela n’empêcha pas certains loups blancs de participer à cette guerre. La Meute Brune prêta son intelligence et ses stratégies mais n’y mêla que très peu de troupes. Le pays commerçant du sud, le Sour, ne préféra pas s’investir dans une guerre où les Souriens, loin d’être des combattants, se feraient massacrer. Enfin, le Royaume du Nord sembla rester neutre dans ce conflit qui dura une décennie.
Cette première guerre fut appelée la Triste Guerre, elle se solda par la victoire du Gouvernement et du Pays de l’Est. L’île de Marbre fut détruite, les quatre Grands Alphas tués avec son annihilation, ne laissant qu’une poignée de loups de Marbre survivants dont les deux enfants de l’Alpha Zon.
Ce fut à la suite de cela, en 3616, que naquit la Vague Noire : une nouvelle vague de rebelles beaucoup plus nombreux, beaucoup plus déterminés et mêlant loups, mages et humains. Une Vague de jeunes qui troquèrent la diplomatie pour la violence. Elle rassemblait les enfants des victimes de la Triste Guerre, les tout jeunes Alphas des quatre Meutes et les survivants de l’île de Marbre. Des adolescents, orphelins, traumatisés par la fin de cette Triste Guerre, qui apprenaient à survivre, qui apprenaient à se battre. Parmi les rebelles, la propre héritière du président du Gouvernement.
Elle fit un scandale, trahissant le Gouvernement, son père, son éducation, et créa l’organisation des Révolutionnaires avec deux jeunes amis répondant au nom d’Argan Richard et de Lavitof Réon.
Mais de toute la Vague Noire, un individu écrasait les autres par sa puissance. Guillaume, un jeune hybride des quatre Grandes Meutes. Un loup noir, blanc, roux et brun, descendant illégitime des quatre familles Alphas du Grand Continent. La procréation entre Meutes était prohibée par les traditions car les enfants hybrides qui en naissaient devenaient bien trop souvent incontrôlables et beaucoup trop dangereux pour l’existence de l’humanité… Guillaume avait échappé aux traditions grâce à son ascendance. Fils des Quatre Terreurs. Alpha de l’Apocalypse. Plus fort encore qu’un Alpha de Marbre, le plus puissant des êtres existants. Guillaume prêta sa force aux Révolutionnaires, se battant à leurs côtés contre le Gouvernement et le Pays de l’Est qui commencèrent à s’épuiser face à cette nouvelle génération.
Jusqu’en 3633 où tout s’effondra.
Les Révolutionnaires commencèrent à perdre, comme leurs parents avaient perdu la Triste Guerre. Et, sans qu’aucun de ses alliés n’en comprît la raison, Guillaume les trahit, créant un nouveau parti. La Triple Union, exclusivement réservée aux loups. Avec pour seul objectif, l’anéantissement des humains et des mages. Cette nouvelle union rassembla le jeune Alpha de Marbre Zon Léo, une bonne partie de la Meute Rousse et tous les loups corrompus par ces idéaux radicaux.
La situation dégénéra davantage en 3641 pour les Révolutionnaires. Vergorance, la ville de la Paix, vestige des Temps Pacifistes, fut d’abord gazée le 21 juin par le Gouvernement. Le Gaz Gris rendit les yeux des Vergorançais gris. Cette caractéristique permit au Gouvernement de reconnaître les partisans de la Paix qui osaient quitter les portes de leur cité. Il les arrêtait, les soumettait à la question pour obtenir des indices sur la base des Révolutionnaires, réputée introuvable et leur chef Lavitof, réputé intuable. Puis, à la fin de cette même année, un 25 décembre, la Triple Union ne laissa rien de la ville. Ne laissa que des cendres et une poignée de malheureux survivants. Un coup fatal pour la Vague Noire et ses rebelles.
La Paix fut tuée dans le cœur des jeunes orphelins. De la destruction de Vergorance ne resta que la Vague Grise.
Novembre 3648
Deviro
Les premières neiges étaient tombées avec les vents hivernaux. Les ours blancs étaient rentrés en hibernation. Batiste et Fernand avaient parié. Quels trappeurs allaient se risquer à en ramener ?
Dans la boutique des deux taxidermistes, ce soir, seul le plus jeune, Batiste, était derrière le comptoir. La colère du vent s’était calmée avec le crépuscule. L’adolescent de quinze ans observait la trotteuse de la montre battre la seconde. 22 h 36. Quatre heures qu’il n’avait pas bougé. Il n’avait pas eu faim. Aucun trappeur n’était passé. Qui oserait sortir avec un temps pareil ? Il entendait l’octogénaire ronfler dans la chambre de l’arrière-boutique. Batiste n’avait pas sommeil. Il continua à suivre la course infernale de l’aiguille. Songeant encore. Songeant toujours. Sans un rictus ni une grimace. Il ne dormirait pas. Il pourrait sortir… même avec un temps pareil…
Une silhouette à l’extérieur attira son attention. Il rajusta sa gavroche grise. C’était Diane, l’une des trois trappeuses des environs et la plus jeune, aussi. Quatorze ans. D’aussi loin qu’il se souvînt, elle avait toujours été là. Elle s’était toujours débrouillée seule. Elle survivait seule. Comme tous les orphelins de cette époque. Elle logeait à l’auberge de Golfy, quelques rues plus loin et payait son loyer avec les prises qu’elle ramenait.
Diane poussa brusquement la porte du taxidermiste. Batiste ne fit que décaler son regard de la montre à la jeune fille. Il ne bougea pas plus. Elle avait toujours ses sourcils froncés et ses yeux azurins transcendants qui tuaient tout ce qu’elle toisait. Mais cela ne lui avait jamais fait le moindre effet. Ses cheveux châtains glissaient en une tresse à moitié défaite sur son épaule. Cette tresse lui avait toujours rappelé celles des guerrières du Royaume du Nord. Il n’aurait pas été étonné d’apprendre qu’elle était Nordique.
La jeune fille tirait derrière elle une espèce de traîneau sur lequel reposait le pelage d’un ours blanc. Batiste l’observa comme il avait observé la trotteuse tandis qu’elle poussait sa prise à l’intérieur de la boutique. Lorsqu’elle referma la porte, elle le toisa, toujours avec ce regard froid. Il considéra le pelage quelques instants puis il posa ses mains à plat sur le comptoir en soupirant. Il rajusta sa gavroche, se releva alors qu’elle approchât.
Il eut un léger rictus. Avec elle, la négociation était toujours un calvaire.
Diane plaqua ses mains sur le comptoir, agacée. Avec lui, la négociation était toujours un enfer.
Elle eut une moue irritée.
L’adolescente plissa les yeux.
Batiste roula des yeux et quitta le comptoir, las. Diane ne laissa rien paraître.
Le jeune homme laissa la place à l’ancien sans mot ni un regard, totalement désintéressé. Fernand ouvrit la caisse et fit rouler les Fenworks sur le comptoir. Diane étudia les pièces avant de les faire glisser dans sa besace.
Elle poussa le pelage sur le parquet, récupéra son traîneau et s’en fut sans même une hésitation, laissant une bourrasque glaciale s’engouffrer dans la boutique.
Janvier 3650
La Forêt Gelée
Huit ans que Vergorance était en cendres. Trente-quatre ans que l’île de Marbre avait été détruite. Cinquante-deux ans après la mort du Roi Pacifique. Cent cinquante après la naissance d’un idéal dans l’esprit d’un jeune loup de Marbre naïf.
À l’autre bout du globe, loin du Grand Continent, au sud de Lavergo, perchée sur la plus grosse branche d’un immense pin, Zoé guettait les environs, adossée contre le tronc. Autour, la forêt dégagée subissait les dégâts de l’hiver de plus en plus long et rude chaque année. Une couche de plusieurs mètres de neige recouvrait le sol, les arbres les plus fragiles pliaient sous son poids. Tout était si calme, tout était silencieux. Une tempête avait sévi la veille, ravageant la forêt. Une autre sévirait dans quelques jours. Le seul refuge des proies était la couche de neige ou les arbres. La vue dégagée qu’offrait la forêt laissait aux prédateurs, renards et rapaces, un large champ de vision et d’action.
Sur Lavergo, pas de loup. Sur ce petit continent, il n’y avait rien à voir, rien à faire, rien à revendiquer. Un petit continent de cités libres oubliées, perdues, qui peinaient à commercer avec le Grand Continent. À deux mois de navigation, Lavergo était loin de toute la tension de la guerre, de la menace de la Triple Union de Guillaume.
Oublié. Perdu. Lavergo couvait, protégeait en son sein huit enfants perdus qui survivaient péniblement, encore trop jeunes pour voir plus loin que le lendemain. Encore trop seuls pour s’imaginer être plusieurs à souffrir du même mal.
Sauf un. Loïc, un Occidental blond plein de ressources, venait de débarquer sur Lavergo pour tous les rassembler. Rassembler les gouttes de la nouvelle Vague. Loïc savait qu’il n’était pas seul. Il en était persuadé. Mais il ignorait combien il en trouverait. Alors, il suivit sa première piste jusqu’à Deviro. Dans la poche de son manteau se cachait la vieille photo d’une pauvre enfant aux courts cheveux châtains et blonds et aux yeux azurins. Et d’après ses sources, cette enfant était devenue une jeune fille et errait quelque part dans les rues de Deviro. Bien qu’elle ne fût pas sa priorité, il aurait aimé la retrouver.
Elle n’était pas si loin, à quelques kilomètres de la ville, enfoncée dans la forêt. Là, il neigeait faiblement et les flocons flottaient entre les pins blanchis par le gel. Le ciel n’indiquait que le jour et la nuit. Il était impossible de déterminer l’heure qu’il était. Dans ce dangereux paradis blanc, la jeune fille de bientôt seize ans piquait du nez à force d’attendre la proie, bercée par les flocons, le silence et le temps. Elle avait des mèches se rapprochant du blond de sa mère qui tranchaient sur la chevelure châtaine de son père. Ses cheveux tombaient sur ses épaules. Son teint pâle rappelait celui des Nordiques. Zoé était vêtue d’un long vêtement gris perle et de fines chaussures noires. À ses pieds siégeaient un arc et un carquois presque vide. C’était son septième hiver ici. Elle n’avait plus rien et ne souhaitait rien d’autre que rester là, à continuer d’ignorer les tourments de son enfance. À continuer de rejeter son instinct obstiné de nordique.
Un faible écho lointain remonta jusqu’à son oreille. Zoé ouvrit ses magnifiques yeux azurins avec un air sévère. Elle tourna la tête en direction du son mais le silence régnait déjà. Elle fronça les sourcils. Cet écho était tellement faible… Elle avait cru entendre un cri. Elle soupira, peut-être était-ce enfin la folie de la solitude qui venait la chercher ? Zoé reposa sa tête contre l’arbre et fixa le ciel presque blanc. Impossible de savoir combien de temps elle s’était assoupie. Des proies avaient dû lui passer sous le nez… Des prédateurs en profiteraient. Heureusement qu’il n’y avait pas pire carnivore que les ours paresseux ! Si les loups avaient eu l’idée de parcourir ces terres calmes et perdues, elle ne se serait pas bien sentie maligne.
De ce qu’elle savait, de ce qu’elle avait vu, les loups étaient des êtres dangereux et tuaient le moindre être-vivant qu’ils croisaient. Pour cette raison, ils étaient chassés, exécutés, mais le plus souvent, jetés dans les arènes car la torture et la mort n’étaient pas assez cruelles pour les punir. Zoé n’y avait jamais mis les pieds. Elle savait simplement que les loups captifs s’y affrontaient jusqu’à la mort et que l’entrée était réservée aux adultes : quinze ans pour les femmes, vingt ans pour les hommes.
Elle se souvenait pourtant en avoir visité une, lorsqu’elle vivait encore au Royaume du Nord. Elle n’avait pas sept ans, Vergorance resplendissait encore et l’arène de Tyravel était on ne peut plus déserte. Deux guerriers gardaient passablement l’entrée mais à l’intérieur, ni Chasseur, ni loup, simplement le silence nordique et le vent glaçant les couloirs. Dyclan, son père, lui avait expliqué pourquoi elle était aussi déserte. Deux raisons à cela.
La première était que les loups blancs se terraient dans les contrées plus au nord, invivables pour des humains, au-delà des Monts Glacées : les Zones Inhabitées du Royaume du Nord. La deuxième était que les Nordiques n’aimaient guère les Chasseurs orgueilleux venant du sud. De la Région Centre. Bien que les lois du Gouvernement aient dû s’appliquer à tous les pays du globe, chaque pays avait sa propre politique et interprétait les ordres du président à leur manière. Créer des arènes, les faire fonctionner avec des Chasseurs formés à Dénla en Région Centre et capturer tous les loups du territoire.
Étrangement, les loups blancs ne franchissaient jamais les Monts Glacés et les nombreuses équipes de Chasseurs parties les chercher dans les Zones Inhabitées n’en étaient jamais revenues. Les arènes restaient désertes. Fait tout aussi surprenant en Sour, le pays commerçant tout au sud du Grand Continent, les loups bruns étaient beaucoup trop malins pour les Chasseurs. Les arènes souriennes n’étaient pas bien remplies, d’autant plus que les loups de ces territoires étaient particulièrement manipulateurs et les hommes se faisaient si facilement corrompre que beaucoup de captifs s’évadaient miraculeusement. Et ces faits faisaient bien rire son paternel.
Un père qui lui manquait beaucoup. Un mage du froid très puissant et redouté par ses propres alliés. Par Réon et Guillaume lui-même. Il avait épousé une véritable Nordique au caractère enflammé par la guerre, Suzanne. Une humaine qui descendait d’une famille sachant lire dans les étoiles. Il se disait que ces astres nocturnes parlaient à certains descendants d’une veuve, qu’ils parlaient de l’avenir, du passé, du présent sous forme de poésie abstraite. C’était une légende âgée déjà de quelques millénaires.
Ses parents avaient toujours lutté avec ferveur aux côtés des Révolutionnaires et s’étaient forgé une réputation ainsi qu’une place dans l’organisation non négligeable. Ensemble, ils avaient eu deux filles dont l’aînée était Jeanne, une jolie enfant blonde aux grands yeux bleu foncé. De cette famille, Zoé était la dernière en vie. Elle n’avait plus rien et ils auraient été tous les trois déçus de constater qu’elle avait tout renié de son enfance.
Le Borgne lui avait tout pris. La Meute Rousse lui avait tout pris. Alors, elle avait appris seule à maudire les loups sans jamais en avoir croisé d’autres par la suite, protégée sur Lavergo. Le Borgne. Odenval Térence. Le souvenir qu’il lui avait laissé était celui d’un monstre immense, rugissant dans les flammes, le pelage roux luisant de sang, l’œil gauche déchiré par une lame d’argent et les crocs plus grands et plus aiguisés que des couteaux de boucherie. La dangereuse vengeance qui avait enflammé son esprit d’enfant n’était désormais qu’une froide tristesse, éteinte et haineuse.
Chaque nuit, elle croyait encore entendre les cris de Jeanne. Chaque nuit, elle se perdait encore dans la forêt nordique infestée de loups. Et après avoir enfin retrouvé le village le plus proche, elle se réveillait dans le présent.
Dans ce village, personne n’avait su reconnaître la cadette du riche manoir voisin. Sachant que le Borgne la poursuivait, elle avait grimpé dans une caravane de marchandises pour Gonvental. Le village où elle s’était réfugiée fut détruit par la colère de cet Alpha Roux. Mais jamais il ne la retrouva. Jamais elle ne revit le nord. Alors il reprit sa place auprès de Guillaume et elle dans l’oubli.
Zoé dut apprendre à survivre seule, parmi les Souriens, errant dans les rues sinueuses de Gonvental, se salissant les mains, battue par les orphelins plus vieux, mendiant son pain, volant aux étales, glissant ses petites mains dans les poches des passants. Jusqu’au jour où sa dextre fut saisie par un proxénète. Elle n’avait pas neuf ans quand elle fut enfermée en maison close, institut pourtant interdit par la présidence de Sour. Mais Zoé avait l’esprit libre, la vengeance aux tripes et l’instinct de survie dans le sang. Elle s’était enfuie avant que le proxénète n’eût pu retirer quelque chose d’elle. De nouveau traquée, elle s’était embarquée clandestinement à bord d’un navire pour Lavergo. Lorsque le capitaine du vaisseau la découvrit, il manqua de la jeter aux requins avant de décider d’en retirer quelques sous sur le petit continent.
Dès qu’elle accosta, elle fut vendue à Golfy, tenancier d’une modeste auberge de Deviro. Depuis, elle vivait des maigres marges qu’il lui laissait sur ses chasses et ses services. De quoi payer le loyer d’une chambre. De quoi se nourrir. Pas de quoi voyager. Pas de quoi retourner au nord. Sa seule source d’argent était l’auberge et le peu d’économie qu’elle avait disparaissait dans ses besoins primaires.
À présent, la nuit tombait, le froid avec. Elle ne rentrerait pas ce soir, préférant le silence de la Forêt Gelée au tintamarre constant de la ville, du monde, des morts. De la guerre, des loups, du Gouvernement. De la propagande, des rires gras. Des ivrognes. Des primes. De ses souvenirs… Zoé songea à se rendormir, cessant de penser à tout ça. Elle referma ses beaux yeux glacés.
Un hurlement, tout près, déchira le silence de la forêt. Cette fois-ci, l’adolescente sursauta. Par réflexe, elle encocha son arc et tira. D’éternelles minutes passèrent dans un calme dangereux. Rien. Sa flèche, perdue.
On ne surnommait pas la Forêt Gelée le désert blanc pour rien. De tels cris n’étaient pas communs. Seuls les trappeurs expérimentés osaient s’y aventurer et pour cause, en plus des ours blancs, il faisait si froid qu’il était compliqué d’y survivre. Un avantage pour Zoé. Nordique, elle ne craignait pas le froid et avait appris toute seule à chasser l’ours.
Un trappeur blessé ? Mais jamais un trappeur n’entrait dans la forêt seul, il n’y avait qu’elle pour s’y risquer. Il n’y avait eu qu’un cri. Un mauvais pressentiment lui hérissa les poils. Elle raffermit sa prise sur son arc. Perchée sur sa branche, elle n’esquissa pas le moindre geste. Qui osait affronter le froid en plein hiver ? Qui osait pénétrer le territoire de monstres blancs ?
D’autres monstres. Des loups. Cette idée lui semblait évidente pourtant, il n’y avait pas de loups sur Lavergo.
Il n’y avait pas de loups sur Lavergo. Ces lycanthropes n’osaient jamais prendre la mer à cause des pleines lunes qui les rendaient fous. Les nuits de pleine lune. Comme la nuit du massacre de Vergorance. Comme la nuit où Guillaume était devenu fou. Comme le jour où Zon Léo avait trahi à son tour les Révolutionnaires. Les dates les plus tragiques de l’histoire n’étaient que des jours de pleine lune. Les loups ne pouvaient pas quitter le Grand Continent pour Lavergo, il y avait deux mois de navigation. Deux pleines lunes à affronter, deux nuits où l’équipage se ferait dévorer. Aucune discrétion. Le Gouvernement recensait des massacres en mer par centaines chaque année et les coupables finissaient jetés aux arènes.
Alors, il n’y avait pas de loups sur Lavergo. Il y en avait au Royaume du Nord, en Sour, en Wesniat, au Pays de l’Est, en Région Centre. Il n’y avait pas de loups sur Lavergo. Elle fronça les sourcils, prise par de terribles doutes. Il y avait pourtant des arènes sur Lavergo. La nuit restait muette. Elle ravala sa salive.
Elle n’avait jamais croisé de loups. Il n’y avait pas de loups sur Lavergo. Ils ne pouvaient pas prendre la mer sans finir aux arènes. Elle abaissa son arc. Les flèches coûtaient cher. Elle devait aller chercher celle qu’elle venait de perdre. N’usant que de son habilité, Zoé descendit de son arbre avec la grâce d’une ombre meurtrière. Dans un silence parfait. Une fois les pieds dans la neige, alerte, elle fit le tour du tronc, scrutant l’obscurité. La lune croissante de cette nuit dégagée lui permettait de distinguer son environnement. La Nordique était sûre d’elle. Elle connaissait son territoire, elle connaissait la forêt, elle connaissait ses pièges, ses dangers. À pas prudents, elle s’éloigna du pin, n’omettant aucun point mort, n’omettant aucun bruissement.
N’omettant que la violence des loups.
Elle avança prudemment. Un frémissement. Elle se figea, le regard fixe vers les fourrés. Un grondement. Son souffle se coupa. Ce râle n’était pas celui d’un ours… Puis, d’un seul coup, débouchant des fourrés, une explosion de violence et d’aboiements guerriers. Chaque monstre était énorme, chacun dépassait la taille d’un cheval. Sous leurs poils maculés de neige, luisants de sueur, s’activaient de puissants muscles saillants, contractés sous la pression de leur rage. La lune aimait se refléter sur chaque rangée de crocs aiguisés que dévoilaient leurs babines retroussées. L’adolescente se laissa tomber à terre, poussée par la terreur de l’instant, lâchant son arme, reculant à quatre pattes jusqu’à ce que son dos heurtât le bois d’un tronc. Leur pelage, assombri par la nuit, était éclaboussé par le sang et cette odeur serra le cœur de la jeune fille. Ils se jetaient au sol, dans des ébats brutaux, à en faire frissonner la terre, retournant la poudreuse, la labourant jusqu’à la boue. Leurs yeux safran tranchaient l’obscurité telles des lames mortelles.
Zoé perdit son souffle. Des yeux safran… Seuls les loups roux possédaient de pareilles prunelles. Et sous leur œil droit se dessinait le tatouage de leur meute : des arabesques dorées qui formaient le croissant d’une lune crochue, griffée horizontalement par quatre nervures. La Meute Rousse. L’adolescente s’agrippa fermement à une racine, sentant les souvenirs lui grimper dans la gorge, briller à ses yeux.
Immense, au fond de la pièce, l’animal rugissait au milieu des flammes, l’œil gauche ravagé par une entaille sanglante qui laissait son pelage roux s’imprégner de pourpre. Sur sa poitrine, le croissant d’une lune dorée tranchée par quatre arabesques semblables à des griffures. Jeanne recula, muette, les larmes déferlant sur ses joues.
Près d’elle, du haut de ses huit ans, Zoé oubliait l’incendie, ignorait la Terreur au fond du bureau en flammes, son regard rivé sur ses parents. L’air irrespirable lui coupait l’envie de pleurer, la chaleur intenable faisait luire sa peau, tandis qu’elle cherchait vainement à comprendre pourquoi l’œil gris de sa mère la fixait sans âme ni amour, rougi par des pleurs qui glissaient encore sur la pierre ardente. Elle avait les mains sur un pommeau ciselé dans un métal blanc dont la lame perforait son sein, laissant une tache brunâtre s’épandre, et s’épandre encore, sur sa robe d’hiver bleu ciel, déjà sale d’un autre sang. Non loin du corps de leur mère, sa dague noire à la lame grise, enduite de sang, gisait inutilement.
Zoé ouvrit la bouche, prit une brève inspiration, le regard sur son père. Le plus grand des Nordiques à terre, les yeux clos, l’expression grave. Et toute la force qui avait fait de lui le plus redoutable des mages semblait avoir disparu dans l’immobilité de son cadavre, au torse troué par une blessure béante d’où l’écarlate avait fini de ruisseler.
Jeanne lui attrapa l’épaule, Zoé s’en défit, son expression obscurcie par la rage, la haine, par la vengeance. Sa grande sœur la saisit par les aisselles, l’obligeant à fuir la scène alors qu’elle se mettait à hurler, que les larmes jaillissaient enfin, que ses pupilles ne lâchaient pas le coupable, Odenval Térence. La Terreur. L’Alpha. Le Borgne.
L’adolescente souffla un grand coup, s’écrasant contre le tronc du sapin, se ressaisissant. Des prunelles jaunes la toisaient. La panique la gagna. Dérapant à moitié pour se redresser, elle fit le tour du tronc, espérant que les loups l’oublieraient ainsi.
Un museau sanglant, ridé de sauvagerie, grognait comme le glas de la fatalité devant elle. Lâchant un cri angoissé, elle recula instinctivement alors que la mâchoire claquait devant elle. Courir. Il était plus rapide ; elle le savait, il le savait. Et il était en meute. Elle ne s’en souvint que lorsqu’un autre grondement se fit entendre derrière elle. La Nordique eut le courage de se retourner lentement, tremblant d’effroi, ses grands yeux corrompus par la peur.
L’immense gueule du loup qui lui faisait face s’ouvrait déjà sur son crâne, ne lui laissant que le temps de hurler sa terreur et de s’aplatir. Son esprit nordique eut la ferveur de défendre son destin, de provoquer la providence. Ses yeux azurins virèrent au cyan le temps d’un instant, le temps d’une explosion.
Haletante, à demi couchée dans la neige, Zoé contemplait avec horreur sa victime. Son père avait été mage du froid, elle avait hérité de lui le pouvoir de maîtriser la glace. Était-ce son instinct ? Elle avait créé un oursin de glace au fond de la gueule de la bête. Elle s’extirpa de sa position en soulevant brutalement des monticules de poudreuse tandis que le loup, le crâne ouvert, se mettait à couiner plaintivement. Les épines de l’oursin de glace lui perforaient le palais, les orbites, les oreilles, le front, le paralysant de douleur. Il se contorsionna, se cabra, semblant perdre en vigueur sous la souffrance. Ses pattes avant se raccourcirent, ses coussinets s’étendirent, des mains encore griffues se posèrent sous les oreilles pointues qui s’arrondissaient et glissaient sur les côtés du crâne alors que la truffe s’écrasait avec les mâchoires sur un visage défiguré par la blessure. Il ne garda de son pelage que la teinte rousse de ses cheveux.
L’adolescente se plaqua contre le tronc. Difficile de croire pour elle que sous ce déguisement de monstre se cachait un jeune homme, vêtu d’un simple pantalon brun, hurlant sous la torture de son crâne troué par la glace. La glace. Sa glace. Son pouvoir. L’adolescente vit alors le sang visqueux qui gantait sa main droite et sentit la fatigue peser sur ses forces.
L’autre loup redevint précipitamment humain à son tour, laissant apparaître son apparence de quadragénaire roux. Les arabesques dorées restaient sous son œil droit. Il se jeta dans la poudreuse, tentant de soutenir son cadet. Il le prit par les épaules, l’air désemparé.
Mais Zoé vit bien, à la manière dont il avait de grimacer, impuissant, en étudiant le visage de son camarade, qu’il ne croyait pas à ses propres paroles. Le mourant, aveugle, bascula tragiquement dans les bras de son aîné. Son ultime souffle de chaleur s’éleva blanc dans le froid de cette nuit. L’autre se figea, ayant du mal à saisir l’instant, ne paraissant pas comprendre que son jeune compagnon venait de le quitter.
Préférant ne pas subir la vengeance du survivant, Zoé se releva et voulut prendre la fuite. Elle jeta un œil angoissé au reste de la meute qui ne l’avait pas encore remarquée. Et pour cause, ils s’acharnaient tous sur une autre proie : un loup tricolore. Elle pila net, éberluée.
La meute s’obstinait à briser les os d’un loup possédant un pelage de trois teintes différentes. Blanc, noir, brun. Elle secoua la tête, la vision lui semblant irréaliste. Noir, brun, blanc ou roux, les robes de ces animaux restaient unies, les mêmes, qu’importait la place qu’ils occupaient dans la hiérarchie de la meute. Il lui semblait que les loups s’interdisaient de concevoir des hybrides, surtout depuis l’exemple de Guillaume.
Ce spécimen-là avait les pattes blanches, bien qu’une petite chaussette noire remontât jusqu’au métacarpe arrière droit, et une brune le long de son talon gauche. Son thorax et la pointe de sa queue étaient blancs, tout comme sa gorge, son museau, ses joues, ses arcades et le pavillon intérieur de ses oreilles. Le brun se déployait depuis la truffe jusqu’au front, descendait jusqu’aux joues, ne laissant que de petites arcades blanches où brillaient ses yeux orangés. Le brun longeait toutes les frontières blanches des pattes, du thorax, du flanc jusqu’aux cuisses où son invasion se voyait stoppée par sa queue noire. Cette dernière couleur courait sur son dos, son cou, sa croupe, jusqu’à la pointe des oreilles pour grignoter sur le brun qui descendait à la truffe. Elle soulignait aussi ses babines, ses yeux, ses griffes.
L’hybride paraissait un peu plus grand que les autres sans pour autant faire le poids face au nombre qui l’acculait. Des entailles sanglantes lui parcouraient le corps, rajoutaient du pourpre à son pelage déjà tricolore, l’essoufflant, l’épuisant. Ses prunelles vacillèrent sous le poids du nombre.
Tous les loups se figèrent, tous les regards convergèrent vers elle. Des regards safran assoiffés de rage qui ne cherchaient que la vengeance.
Pétrifiée, ils la paralysaient par leurs seuls regards. Les prunelles orangées du loup tricolore virèrent à un vert vif étincelant. Saisi par un nouveau souffle d’énergie, il tenta de se dégager de son agresseur en ignorant la morsure de son épaule et la terrible entaille à son flan. Ce vert déterminé la délia étrangement de sa terreur. Elle n’était pas la seule proie ici.
Le quadragénaire, dénommé Triar, le jeune cadavre toujours dans les bras se raidit.
Les loups grondèrent.
L’instant suivant, le monstre roux se jetait sur elle, gueule ouverte, iris jaunes, flamboyants. Il était corrompu par la sauvagerie jusqu’à la moelle. Il allait retomber de tout son poids sur elle. Une lame de glace liée à sa main droite apparut, elle la fit fendre dans l’air tout en bondissant en arrière. Surpris par la défense improvisée de la jeune fille, le monstre écopa d’une profonde coupure au thorax. Méfiant, il resta campé sur place, les oreilles attentives, le museau plissé, grognant, menaçant, tandis que la blessure qu’elle lui avait faite se résorbait à vue d’œil.
Zoé déglutit, se rappelant que les loups ne craignaient que l’argent et le feu. Un regard au cadavre. Pourtant, elle l’avait bien tué celui-ci, en faisant germer un oursin de glace dans son palais, faisant exploser son crâne.
Le loup tenta plusieurs feintes, claquant des mâchoires sur la droite, sur la gauche, sautillant, agile sur ses pattes. La gorge serrée, elle suivait ses mouvements, de plus en plus angoissée. Soudain, par-derrière, la tête d’une autre bête apparut, ses crocs prêts à se refermer sur son bras gauche. Dans un réflexe meurtrier, l’adolescente planta violemment sa lame de glace dans l’œil jaune de la créature. La pointe glacée ressortit par l’oreille opposée. Il bascula lourdement sur la neige, sans même émettre une plainte, sans même un regard, la glace dans le crâne. Tué sur le coup.
Tremblante de fatigue et d’horreur, Zoé se laissa tomber dans la poudreuse, respirant difficilement, le sang tachant son manteau gris de la poitrine aux pieds. Elle en avait sur le front et quelques gouttes dégoulinaient sur sa joue. Elle n’eut pas le cœur d’essuyer son visage.
En face d’elle, son adversaire ne bronchait plus, son regard perplexe bloqué sur la deuxième victime de l’adolescente. Derrière lui, le courroux rongeait les rangs. Le loup tricolore arracha l’oreille de son agresseur, se dégageant enfin de la mêlée dans laquelle ils tentaient de l’emprisonner. Il bondit ensuite sur ses pattes, bien stable, bouscula brutalement le loup devant la Nordique, lui disloquant une épaule et d’un puissant coup de mâchoire, il attrapa la jeune fille par le col de son manteau. Dès lors, Sébastian ne cessa plus de galoper.
Le blessé à l’épaule luxée reprit la forme humaine et avisa les corps de ses semblables.
Yoras était le chef de leur équipe, un Zêta sous les ordres directs de Tomen, l’un des trois Bêtas du Grand Alpha Odenval Térence dit le Borgne. Ainsi était la hiérarchie naturelle des Grandes Meutes.
Un loup resté silencieux vint à ses côtés. Le quadragénaire reprit sa forme canine. Il reprit :