L'accident du grand
réservoir d'électricité N.—Un dégel factice.—Le grand Philox Lorris
expose à son fils son moyen pour combattre en lui un fâcheux
atavisme.—Admonestations téléphonoscopiques interrompues.
ANS l'après-midi du 12 décembre
1955, à la suite d'un petit accident dont la cause est restée
inconnue, une violente tempête électrique, une tournade, suivant le
terme consacré, se déchaîna sur tout l'Ouest de l'Europe et amena,
au milieu du trouble et des profondes perturbations à la vie
générale, bien de l'inattendu pour certaines personnes que nous
présenterons plus loin.
Des neiges étaient tombées en
grande quantité depuis deux semaines, recouvrant toute la France,
sauf une petite zone dans le Midi, d'un épais tapis blanc
magnifique, mais fort gênant. Suivant l'usage, le Ministère des
Voies et Communications aériennes et terriennes ordonna un dégel
factice et le poste du grand réservoir d'électricité N (de
l'Ardèche), chargé de l'opération, parvint, en moins de cinq
heures, à débarrasser tout le Nord-Ouest du continent de cette
neige, le deuil blanc de la nature que portaient tristement jadis,
pendant des semaines et des mois, les horizons déjà tant attristés
par les brumes livides de l'hiver.
La science moderne a mis tout
récemment aux mains de l'homme de puissants moyens d'action pour
l'aider dans sa lutte contre les éléments, contre la dure saison,
contre cet hiver dont il fallait naguère subir avec résignation
toutes les rigueurs, en se serrant et se calfeutrant chez soi, au
coin de son feu. Aujourd'hui, les Observatoires ne se contentent
plus d'enregistrer passivement les variations atmosphériques;
outillés pour la lutte contre les variations intempestives, ils
agissent et ils corrigent autant que faire se peut les désordres de
la nature.
Quand les aquilons farouches nous
soufflent le froid des banquises polaires, nos électriciens
dirigent contre les courants aériens du Nord des contre-courants
plus forts qui les englobent en un noyau de cyclone factice et les
emmènent se réchauffer au-dessus des Saharas d'Afrique ou d'Asie,
qu'ils fécondent en passant par des pluies torrentielles. Ainsi ont
été reconquis à l'agriculture les Saharas divers d'Afrique, d'Asie
et d'Océanie; ainsi ont été fécondés les sables de Nubie et les
brûlantes Arabies. De même, lorsque le soleil d'été surchauffe nos
plaines et fait bouillir douloureusement le sang et la cervelle des
pauvres humains, paysans ou citadins, des courants factices
viennent établir entre nous et les mers glaciales une circulation
atmosphérique rafraîchissante.
Les fantaisies de l'atmosphère,
si nuisibles ou si désastreuses parfois, l'homme ne les subit plus
comme une fatalité contre laquelle aucune lutte n'est possible.
L'homme n'est plus l'humble insecte, timide, effaré, sans défense
devant le déchaînement des forces brutales de la Nature, courbant
la tête sous le joug et supportant tristement aussi bien l'horreur
régulière des interminables hivers que les bouleversements
tempêtueux et les cyclones.
Les rôles sont renversés, c'est à
la Nature domptée aujourd'hui de se plier sous la volonté réfléchie
de l'homme, qui sait modifier à sa guise, suivant les nécessités,
l'éternel roulement des saisons et, selon les besoins divers des
contrées, donner à chaque région ce qu'elle demande, la portion de
chaleur qu'il lui faut, la part de fraîcheur après laquelle elle
soupire ou les ondées rafraîchissantes réclamées par un sol trop
desséché! L'homme ne veut plus grelotter sans nécessité ou cuire
dans son jus inutilement.
L'homme a régularisé aussi les
saisons et les a mieux distribuées. Il a capté les pluies au moyen
d'appareils électriques et recueilli pour ainsi dire à la main les
nuages chargés d'humidité, les ondées menaçantes qui s'en allaient
ici ruiner les moissons,—pour les conduire là-bas vers des contrées
où la terre calcinée, où l'agriculture altérée imploraient ces
pluies comme un bienfait.
Cette merveilleuse conquête de la
science moderne, vieille à peine d'une quinzaine d'années en 1953,
a déjà sur bien des points changé la face du globe; elle a rendu à
la vie des zones devenues presque inhabitables, des déserts de
roches effritées ou de sables arides, sur lesquels la créature
végétait misérablement entre la soif et la faim.
Allez voir renaître la vieille
Nubie ou les steppes brûlants de la Perse, semés de débris qui
furent des capitales de nations éteintes. Les mamelles naguère
desséchées de l'Asie, vénérable mère des peuples, redonnent du lait
aux fils de l'homme!
Les pluies régularisées.
Appareils de captation électrique
des courants atmosphériques.
C'est la conquête définitive de
l'Électricité, du moteur mystérieux des mondes qui a permis à
l'homme de changer ce qui paraissait immuable, de toucher à
l'antique ordre des choses, de reprendre en sous-œuvre la Création,
de modifier ce que l'on croyait devoir rester éternellement en
dehors et au-dessus de la Main humaine!
L'Électricité, c'est la Grande
Esclave. Respiration de l'univers, fluide courant à travers les
veines de la Terre, ou errant dans les espaces en fulgurants
zigzags rayant les immensités de l'éther, l'Électricité a été
saisie, enchaînée et domptée.
C'est elle maintenant qui fait ce
que lui ordonne l'homme, naguère terrifié devant les manifestations
de sa puissance incompréhensible; c'est elle qui va, humble et
soumise, où il lui commande d'aller; c'est elle qui travaille et
qui peine pour lui.
Elle est l'inépuisable foyer,
elle est la lumière et la force; sa puissance captive est employée
à faire marcher aussi bien l'énorme accumulation de machines
colosses de nos millions d'usines, que les plus délicats et subtils
mécanismes. Elle porte instantanément la voix d'un bout du monde à
l'autre, elle supprime les limites de la vision, elle véhicule dans
l'atmosphère l'homme, son maître, la lourde créature, jadis
ridiculement attachée au sol comme un insecte incomplet.
Enfin, si elle est outil,
flambeau, porte-voix intercontinental, interocéanique et bientôt
interastral, et mille choses encore, elle est arme aussi, arme
terrible, terrifiant engin de bataille...
Mais l'Esclave que nous avons su
forcer à nous rendre tant et de si variés services n'est pas si
bien domptée, si bien rivée à ses chaînes qu'elle n'ait encore
parfois ses révoltes. Avec elle, il faut veiller, toujours veiller,
car la moindre erreur, la plus petite négligence ou inattention
peut lui fournir l'occasion qu'elle ne laissera pas échapper d'une
sournoise attaque ou même d'un de ces brusques réveils qui font
éclater les catastrophes.
Précisément, en ce jour de
décembre, l'un de ces accidents, causé par un oubli, par une
seconde de distraction d'un employé quelconque, venait de se
produire malheureusement, dans l'opération de dégel menée avec tant
de rapidité par le poste central électrique 17; juste au moment où
tout était heureusement terminé, une fuite se produisit au grand
Réservoir avec une telle soudaineté que le personnel ne put
préserver que deux secteurs sur douze, et qu'une perte énorme, une
formidable déflagration s'ensuivit. C'était une tournade qui
commençait, une de ces tempêtes électriques à ravages terribles
comme il s'en déchaîne quelques-unes tous les ans dans les centres
électriques, déjouant toutes les prévoyances et toutes les
précautions.
Il faut bien nous y habituer,
ainsi qu'aux mille accidents graves ou minces auxquels nous sommes
exposés en évoluant à travers les extrêmes complications de notre
civilisation ultra-scientifique. La tournade fusant du poste 17
suivit d'abord une ligne capricieuse tout le long de laquelle un
certain nombre de personnes qui téléphonaient furent foudroyées ou
paralysées; puis, le courant fou, attirant à lui avec une force
irrésistible les électricités latentes, prit un rapide mouvement
giratoire à la manière des cyclones naturels, produisant encore
nombre d'accidents dans les régions par lui traversées et jetant
dans la vie générale une perturbation désastreuse, qui se fût
terminée bientôt par quelque violent petit cataclysme régional si,
dès la première minute, les appareils de captation des régions
menacées n'avaient été mis en batterie. Mais les électriciens
veillaient et, comme d'habitude, après quelques désastres plus ou
moins graves, la tournade devait avorter et le courant fou serait
capté et canalisé avant l'explosion finale.
A Paris, dans une somptueuse
demeure du XLIIe arrondissement, sur les hauteurs de Sannois, un
père était en train de sermonner véhémentement son fils lorsque
éclata la tournade. Ce père n'était rien moins que le fameux
Philoxène Lorris, le grand inventeur, l'illustre et universel
savant, le plus gros bonnet de tous les gros bonnets des industries
scientifiques.
Nous sommes, avec Philoxène
Lorris, bien loin de ce bon et timide savant à lunettes d'antan.
Grand, gros, rougeaud, barbu, Philoxène Lorris est un homme aux
allures décidées, au geste prompt et net, à la voix rude. Fils de
petits bourgeois vivotant ou plutôt végétant en paix de leurs
40,000 livres de rente, il s'est fait lui-même. Sorti premier de
l'École polytechnique d'abord et ensuite de International
scientific industrie Institut, il refusa d'accepter les offres d'un
groupe de financiers qui lui proposaient de l'entreprendre—suivant
le terme consacré—et se mit carrément de lui-même pour dix ans en
quatre mille actions de 5,000 francs chacune, lesquelles, sur sa
réputation, furent toutes enlevées le jour même de
l'émission.
Avec les quelques millions de la
Société, Philoxène Lorris fonda aussitôt une grande usine pour
l'exploitation d'une affaire importante étudiée et mijotée par lui
avec amour et dont les bénéfices furent si considérables que, sur
la grosse part qu'il s'était réservée par l'acte de fondation, il
fut à même de racheter toutes les actions de la commandite avant la
fin de la quatrième année. Ses affaires prirent dès lors un essor
prodigieux; il monta un laboratoire d'études, admirablement
organisé, s'entoura de collaborateurs de premier ordre et lança
coup sur coup une douzaine d'affaires énormes, basées sur ses
inventions et découvertes.
Honneurs, gloire, argent, tout
arrivait à la fois à l'heureux Philoxène Lorris. De l'argent, il en
fallait pour ses immenses entreprises, pour ses agences
innombrables, pour ses usines, ses laboratoires, ses observatoires,
ses établissements d'essais. Les entreprises en exploitation
fournissaient, et très largement, les fonds nécessaires pour les
entreprises à l'étude. Quant aux honneurs, Philoxène Lorris était
loin de les dédaigner; il fut bientôt membre de toutes les
Académies, de tous les Instituts, dignitaire de tous les ordres,
aussi bien de la vieille Europe, de la très mûre Amérique, que de
la jeune Océanie.
La grande entreprise des Tubes en
papier métallisé (Tubic-Pneumatic-Way) de Paris-Pékin valut à
Philoxène Lorris le titre de mandarin à bouton d'émeraude en Chine
et celui de duc de Tiflis en Transcaucasie. Il était déjà comte
Lorris dans la noblesse créée aux États-Unis d'Amérique, baron en
Danubie et autre chose encore ailleurs, et, bien qu'il fût surtout
fier d'être Philoxène Lorris, il n'oubliait jamais d'aligner, à
l'occasion, l'interminable série de ses titres, parce que cela
faisait admirablement sur les prospectus.
Bien que plongé jusqu'au cou dans
ses études et ses affaires, Philoxène Lorris, à force d'activité,
trouvait le temps de jouir de la vie et de donner à son exubérante
nature toutes les vraies satisfactions que l'existence peut offrir
à l'homme bien portant jouissant d'un corps sain, d'un cerveau
sagement équilibré. S'étant marié entre deux découvertes ou
inventions, il avait un fils, Georges Lorris, celui que, le jour de
la tournade, nous le trouvons en train de sermonner.
Georges Lorris est un beau garçon
de vingt-sept ou vingt-huit ans, grand et solide comme son père, à
la figure décidée, ayant comme signe particulier de fortes
moustaches blondes. Il arpente la chambre de long en large et
répond parfois d'une voix agréable et gaie aux admonestations de
son père.
Celui-ci n'est pas là de sa
personne, il est bien loin, à trois cents lieues, dans la maison de
l'ingénieur chef de ses Mines de vanadium des montagnes de la
Catalogne, mais il apparaît dans la plaque de cristal du
téléphonoscope, cette admirable invention, amélioration capitale du
simple téléphonographe, portée récemment au dernier degré de
perfection par Philoxène Lorris lui-même.
Cette invention permet non
seulement de converser à de longues distances, avec toute personne
reliée électriquement au réseau de fils courant le monde, mais
encore de voir cet interlocuteur dans son cadre particulier, dans
son home lointain. Heureuse suppression de l'absence, qui fait le
bonheur des familles souvent éparpillées par le monde, à notre
époque affairée, et cependant toujours réunies le soir au centre
commun, si elles veulent,—dînant ensemble à des tables différentes,
bien espacées, mais formant cependant presque une table de
famille.
Dans la plaque du télé,
abréviation habituelle du nom de l'instrument, Philoxène Lorris
apparaît, arpentant aussi sa chambre, un cigare aux dents et les
mains derrière le dos. Il parle.
«Mais enfin, mon cher, dit-il,
j'ai eu beau chauffer et surchauffer ton cerveau pour faire de toi
ce que moi, Philoxène Lorris, j'étais en droit d'attendre et de
réclamer, c'est-à-dire un produit de haute culture, un Lorris
supérieur, affiné, perfectionné, voilà tout ce que tu m'offres pour
fils à moi: un Georges Lorris, gentil garçon, j'en conviens,
intelligent, je ne dis pas le contraire, mais voilà tout... simple
lieutenant d'artillerie chimique à... Quel âge as-tu?
—Vingt-sept ans, hélas! répondit
Georges avec un sourire en se tournant vers la plaque du
téléphonoscope.
—Je ne ris pas, tâche un peu
d'être sérieux, fit avec vivacité Philoxène Lorris en tirant avec
énergie quelques bouffées de son cigare.
—Ton cigare est éteint, dit le
fils; je ne t'offre pas d'allumettes, tu es trop loin...
—Enfin, reprit le père, à ton
âge, j'avais déjà lancé mes premières grandes affaires, j'étais
déjà le fameux Philox Lorris, et toi, tu te contentes d'être un
fils à papa, tu te laisses tranquillement couler au fil de la
vie... Qu'es-tu par toi-même? Lauréat de rien du tout, sorti des
grandes écoles dans les numéros modestes et, pour le quart d'heure,
simple lieutenant dans l'artillerie chimique...
—Hélas! voilà tout, fit le jeune
homme, pendant que son père, dans la plaque du téléphonoscope,
tournait rageusement le dos et s'en allait au bout de sa chambre;
mais est-ce ma faute si tu as tout découvert ou inventé, et tout
arrangé?... je suis venu trop tard dans un monde trop bien outillé,
trop bien machiné, tu ne nous as rien laissé à trouver, à nous
autres!
—Allons donc! Nous n'en sommes
qu'aux premiers balbutiements de la science, le siècle prochain se
moquera de nous... Mais ne nous égarons pas... Georges, mon garçon,
j'en suis désolé, mais, tel que te voilà, tu ne me parais guère
préparé à reprendre, maintenant que tes années de service
obligatoire sont faites, la suite de mes travaux, c'est-à-dire à
diriger mon grand laboratoire, le laboratoire Philox Lorris, à la
réputation universelle, et les deux cents usines ou entreprises qui
exploitent mes découvertes.
—Veux-tu donc te retirer des
affaires?
—Jamais! s'écria le père avec
énergie, mais j'entendais t'associer sérieusement à mes travaux,
marcher avec toi à la découverte, chercher avec toi, creuser,
trouver... Qu'est-ce que j'ai fait auprès de ce que je voudrais
faire si j'avais deux moi pour penser et agir... Mais, mon bon ami,
tu ne peux pas être ce second moi... C'est déplorable!... Hélas! je
ne me suis pas préoccupé jadis des influences ataviques, je ne me
suis pas suffisamment renseigné jadis!... O jeunesse! Moi, no 1
d'International scientific industrie Institut, j'ai été léger! Car,
mon pauvre garçon, je suis obligé d'avouer que ce n'est pas tout à
fait ta faute si tu n'as point la cervelle suffisamment
scientifique; c'est parbleu bien la faute de ta mère... ou plutôt
d'un ancêtre de ta mère... J'ai fait mon enquête un peu tard, j'en
conviens, et c'est là que je suis coupable. J'ai fait mon enquête
et j'ai découvert dans la famille de ta mère...
—Quoi donc? dit Georges Lorris
intrigué.
—A trois générations seulement en
arrière... une mauvaise note, un vice, une tare...
—Une tare?
—Oui, son arrière-grand-père,
c'est-à-dire ton trisaïeul à toi, fut, il y a 115 ans, vers 1840,
un...
—Un quoi? Que vas-tu m'apprendre?
Tu me fais peur!
—Un artiste!» fit piteusement
Philox Lorris en tombant dans un fauteuil.
Georges Lorris ne put s'empêcher
de rire avec irrévérence, et, devant ce rire, son père bondit
furieusement dans le téléphonoscope.
«Oui! un artiste! s'écria-t-il,
et encore un artiste idéaliste, nébuleux, romantique, comme ils
disaient alors, un rêveur, un futiliste, un éplucheur de
fadaises!... Tu penses bien que je me suis renseigné... Pour
connaître toute l'étendue de mon malheur, j'ai consulté nos grands
artistes actuels, les photo-peintres de l'Institut... Je sais ce
qu'il était, ton trisaïeul! N'aie pas peur, il n'aurait pas inventé
la trigonométrie, ton trisaïeul!... Il n'eut à sa disposition
qu'une cervelle légère et vaporeuse évidemment, comme la tienne,
dépourvue des circonvolutions sérieuses, comme la tienne, car c'est
de lui que tu tiens cette inaptitude aux sciences positives que je
te reproche. O atavisme! voilà de tes coups! Comment annihiler
l'influence de ce trisaïeul qui revit en toi? Comment le tuer, ce
scélérat? Car tu penses bien que je vais lutter et le tuer...
—Comment tuer un trisaïeul mort
depuis plus de cent ans? fit Georges Lorris en souriant; tu sais
que je vais défendre mon ancêtre, pour lequel je ne professe pas le
même superbe dédain que toi...
—Je veux le détruire, moralement
bien entendu, puisque le scélérat qui vient ruiner mes plans est
hors de ma portée; mais je veux combattre son influence malheureuse
et la dominer... Tu penses bien, mon garçon, que je ne vais pas
t'abandonner, pauvre enfant plus malchanceux que coupable,
abandonner ma race!... Certes non!... Je ne puis pas te refaire,
hélas! je ne peux pas te remettre, comme j'y avais songé, pour cinq
ou six ans, à Intensive scientific Institut...
—Merci, fit Georges avec effroi,
j'aime mieux autre chose...
—J'ai autre chose, et mieux, car
tu ne sortirais pas beaucoup plus fort...
—Voyons ce meilleur plan?
—Voici! Je te marie! Je nous
sauve par le mariage!
—Le mariage! s'écria Georges
stupéfait.
—Attends! un mariage étudié,
raisonné, où j'aurai mis toutes les chances de notre côté! Il me
faut quatre petits-enfants, de sexe quelconque—garçons si possible,
j'aimerais mieux—enfin, quatre rejetons de l'arbre Philox-Lorris:
un chimiste, un naturaliste, un médecin, un mécanicien, qui se
compléteront l'un par l'autre et perpétueront la dynastie
scientifique Philox-Lorris... Je considère la génération
intermédiaire comme ratée...
—Merci!
—Absolument ratée! C'est une
non-valeur, un resté pour compte. Je laisse donc de côté cette
génération intermédiaire, et je m'arrange pour durer jusqu'au
moment de passer la main à mes petits-enfants. Voilà mon plan! Je
vais donc te marier...
—Peut-on savoir avec qui?
—Ça ne te regarde pas. Je ne sais
pas encore moi-même. Il me faut une vraie cervelle scientifique,
assez mûre, autant que possible, pour avoir la tête débarrassée de
toute idée futile!...»
Georges se disposait à répondre
lorsque se produisit la première secousse électrique due à
l'accident du réservoir 17. Georges tomba dans son fauteuil et leva
vivement les jambes pour éviter le contact du plancher qui
transmettait de nouvelles secousses. Son père n'avait pas
bronché.
«Écervelé! lui cria-t-il, tu n'as
pas tes semelles isolatrices et tu évolues comme cela dans une
maison où l'électricité court partout dans un réseau de fils
entre-croisés et circule comme le sang dans les veines d'un
homme!... Mets-les donc et fais attention. C'est une fuite qui
vient de se produire quelque part, et l'on ne sait pas jusqu'où
peuvent aller les accidents... Allons, je n'ai pas le temps, je te
laisse; d'ailleurs, voilà nos communications embrouillées...»
En effet, l'image très nette dans
la plaque du Télé s'affaiblissait soudain, ses contours se
perdaient dans le vague, et bientôt ce ne fut plus qu'une série de
taches tremblotantes et confuses.