La vie en Rosie - Cécile Blachon - E-Book

La vie en Rosie E-Book

Cécile Blachon

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Beschreibung

Rosamonde dite "Rosie" et Lucien s'aiment depuis bientôt cinquante ans et travaillent ensemble jusqu'à leur retraite. Leur petite vie tranquille est bouleversée par la pandémie du covid19 qui laisse à Lucien d'importantes séquelles. L'arrivée d'un voisinage inattendu, sous les traits de sa plus proche voisine, Anaïs Vanpeck, va mettre un terme à leur bonheur. Cette dernière n'a qu'une intention, nuire à Rosie. Pourquoi cette jeune femme s'acharne-t-elle ainsi ? Rosie acceptera-t-elle l'inacceptable ? Quelle est cette force surnaturelle qui semble pousser Rosamonde à reprendre les commandes de sa vie ? Un roman psychologique, addictif où l'on assiste, impuissant, au duel entre la jeunesse et la vieillesse. Ou comment une jeune femme, bien sous tous rapports, peut-elle profiter de la faiblesse d'une vieille dame pour mener à bien ses projets? Après votre lecture, vous en sortirez changé. Et peut-être ne regarderez-vous plus votre entourage de la même façon. Une histoire qui fait réfléchir sur le temps qui passe inexorablement.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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DE LA MEME AUTRICE :

Echange Bonheur contre nouvelle Vie

Roman écrit et signé sous le nom de plume Cj.Claynne

Paru en 2023

« J'aurais pu dire : Vieillir, c'est désolant, c'est insupportable, C'est douloureux, c'est horrible, C'est déprimant, c'est mortel. Mais j'ai préféré « chiant » Parce que c'est un adjectif vigoureux

Qui ne fait pas triste. Vieillir, c'est chiant parce qu'on ne sait pas quand ça a commencé et l'on sait encore moins quand ça finira. Non, ce n'est pas vrai qu'on vieillit dès notre naissance. On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant. On était bien dans sa peau.

On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante ans, c'était encore très bien…Même à soixante.

Si, si, je vous assure, j'étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme. Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j'ai vu le regard des jeunes… Des hommes et des femmes dans la force de l'âge qui ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge.

J'ai lu dans leurs yeux qu'ils n'auraient plus jamais d'indulgence à mon égard. Qu'ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables. Sans m'en rendre compte, j'étais entré dans l'apartheid de l'âge. »

Bernard Pivot Extrait de son livre : Les mots de ma vie

« Tout ce qui a un commencement a une fin.

Sois en paix avec cette vérité et tout ira bien. »

Bouddha

A mon père, à son esprit qui nous quitte jour après jour.

Je t’aime papa.

Sommaire

DE LA MEME AUTRICE

LA RETRAITE

NOËL

C’EST PARTI

DRÔLES DE CHAMPIGNONS

LA GUERRE EST DÉCLARÉE

ANAÏS VANPECK

L’ARRIVÉE DE COLINE

LA RENCONTRE

VOUS PRENDREZ BIEN UN PEU DE DESSERT ?

CE N’ÉTAIT QU’UNE BATAILLE

LA RÉVÉLATION

LA RUMEUR

LUCIEN

LE DENI

LE COMPLOT

SOUVENIRS

LE RENDEZ-VOUS

LOUISE VARTINA

LA FÊTE DES VOISINS

RETOUR DE BÂTONS

LA RÉVÉLATION

RETROUVAILLES

ESPOIR

LE MEILLEUR AMI DE L’HOMME

LA DERNIÈRE SIGNATURE

MENSONGE

L’ENVOL

ÉPILOGUE

Le COVID19

LA RETRAITE

Rosamonde et Lucien forment un couple heureux depuis bientôt cinquante ans. Ils sont propriétaires de deux gîtes bâtis sur un grand terrain jouxtant leur maison. Une jolie demeure d’ailleurs, si l’on se base aux années soixante-dix. Les deux gîtes sur le terrain d’à côté surplombent un charmant bois de feuillus où hêtres, frênes, chênes et châtaigniers se côtoient et rivalisent de beauté. Cette belle forêt, point de départ de nombreux chemins de randonnée, est souvent témoin de l’amusement des arbres, jouant de leurs racines et causant parfois de légères chutes aux marcheurs non aguerris.

Rosie, comme elle aime se faire surnommer, a construit et ouvert ces gîtes avec Lucien. Elle a alors vingt-cinq ans et lui vingt-sept : un coup de foudre amoureux suivi d’un coup de cœur touristique. Grâce à leur travail acharné et leur amour inconditionnel l’un envers l’autre, ils ont réussi à monter une affaire florissante jusqu’à leur retraite.

Tous deux en ont fait un endroit simple, où tout est organisé pour que les visiteurs d’un soir ou de plusieurs nuitées se sentent « comme chez eux ». C’est d’ailleurs pour cela qu’ils les ont baptisés « Le logis » et « le foyer ».

Les gîtes de « Rosie et Lulu », comme certains les appellent, proposent le couvert. Tout est fait maison grâce aux beaux légumes cultivés par Lucien. C’est leur concept « comme à la maison », de l’assiette à la literie, quand on arrive chez Rosie et Lucien, on n’a plus envie d’en repartir.

Ils ont toujours été inséparables et cultivent leurs petites habitudes. Rosie s’occupe d’accueillir et préparer le repas pour les hôtes ainsi que de nettoyer les intérieurs. Lucien, quant à lui, se soucie de tout l’extérieur et notamment de son jardin pour apporter à son épouse de bons produits locaux pour ses préparations culinaires.

Ces habitudes-là ne sont pas nées d’hier. Il y a longtemps, quand les rhumatismes n’étaient que l’affaire de leurs parents respectifs, Lucien et Rosie habitaient avec leurs trois enfants, Amélie, Téo et Coline. Leur demeure vivait au rythme du chahut des petits, de leur vie de parents et de la gestion des gîtes.

Ô combien de promenade, chasse au trésor ou bien cabane de ses enfants, cette forêt a été le témoin privilégié. Quand Rosie avait une quarantaine d’années, elle aimait prendre soin d’elle et partait marcher se ressourcer et parfois même se prenait à faire quelques foulées le long du chemin qui bordait la maison. Mais ce qu’elle préférait c’est quand ils allaient se promener tous les cinq dans les bois, Coline dans le portebébé. Ils emportaient le pique-nique même si la résidence finalement n’était qu’à quelques mètres. C’était une belle aventure à chaque fois pour leurs deux ainés et surtout de beaux partages en famille.

Rosie aimait s’occuper de ses gîtes, cela lui permettait d’être présente pour élever ses enfants. « J’en profite » disait-elle souvent.

« Travailler de la maison peut parfois être compliqué, mais c’est une chance pour une maman de pouvoir être toujours là pour sa progéniture ! Et puis ils poussent en un instant », s’amusait-elle à répéter.

C’est certain, ils grandissent inexorablement.

Aujourd’hui Rosie ne regrette rien… enfin si…que les années soient si vite passées.

Téo, leur cadet âgé de trente-sept ans, a emménagé depuis dix ans à l’autre bout de la France, au Havre plus exactement. Carriériste à souhait, il n’a pas pris le temps de fonder un foyer. Directeur d’une multinationale, il passe le plus clair de son temps sur son téléphone ou en réunion.

Amélie, sa sœur de deux ans, son ainée est partie la même année et s’est expatriée au Japon où elle a suivi son mari. Cette dernière s’est même découvert une passion pour l’art japonais où elle excelle et commence à bien gagner sa vie. Elle a donné naissance, au mois de mai 2021, à une petite fille qui répond au doux prénom de Constance.

Coline la benjamine a déménagé quelques mois après la naissance de sa nièce. Ce fut le départ le plus difficile pour Rosie, c’est sa plus jeune, sa petite protégée. Il paraissait bien loin pour Rosie le temps où sa petite dernière viendrait à quitter le nid familial. Cela dit, Coline a pris son temps. En étude de journalisme, ce n’est qu’à l’aube de ses vingt-huit ans, quand elle a été contactée par le New York Times, qu’elle a sauté sur l’occasion pour prendre son envol.

C’est en 2020 que Rosie et Lucien ont réalisé qu’il allait être difficile de continuer à gérer leur projet pourtant si prospère.

Le covid est arrivé en apportant dans sa valise une multitude de nouvelles procédures à mettre en place (si vous avez eu la chance de ne pas connaitre cette pandémie, je vous propose de vous rendre, chers lecteurs, à la fin du livre pour en savoir plus sur ce virus appelé plus communément le Covid19).

Toutes ces nouvelles règles ont eu raison de leur activité. Jamais Rosamonde et Lucien n’ont pensé une seule seconde prendre leur retraite. Ils se sont toujours imaginés terminer leurs vieux jours à aider leurs enfants, qui auraient repris avec ferveur le flambeau de leur projet de vie. Mais le destin en a décidé autrement, et parfois notre existence ne prend pas la direction que l’on souhaite lui donner.

Lucien, contaminé par le Covid, s’est retrouvé en réanimation durant deux longs mois sous oxygène, Rosie à son chevet, priant que sa douce moitié lui revienne. Ce dernier s’est réveillé en début d’année 2021. Le plus difficile à accepter pour l’un comme pour l’autre, fut l’aphasie de Lucien. Rosie aimait tant écouter les conseils de son mari qui, avec sa voix grave et posée, trouvait toujours les mots justes pour la rassurer. Atteint également de fatigue chronique et d’une atrophie des muscles, le Covid a laissé à Lucien d’importantes séquelles.

C’est ainsi qu’en début d’année 2021 le couperet est tombé et ils ont fermé définitivement les portes du « Logis » et du « Foyer ».

L’investissement affectif et financier de Lucien et Rosamonde était si conséquent que vendre leur paraissait impensable. C’est ainsi que les gîtes se sont progressivement vidés et les chambres sont restées closes.

Le passe-temps de Rosie : continuer d’aérer les pièces, il est hors de question pour cette dernière que la poussière s’amoncelle. Mais, au-delà de la propreté, c’est plus une thérapie, car après avoir travaillé pendant cinquante ans de sa vie sur un projet, le quitter c’est comme faire un deuil et Rosie ne s’y est jamais préparé.

Si Lucien et Rosie regardent dans le rétroviseur, ils se rendent compte que leurs enfants ont bien réussi et ils en sont fiers. Seulement, ils regrettent qu’aucun n’ait souhaité suivre leurs traces.

L’été 2021 s’achève.

— Mon Lucien, soupire Rosie, en admirant au loin son mari assis sur le banc à côté du jardin.

L’amour de Rosie est si fort qu’elle peut ressentir à travers son propre corps sa déception et sa douleur. Elle le contemple, la tête basse, assis sur le vieux siège en bois, sa main reposant péniblement sur sa canne. Son mari, si fort et si dynamique, a souvent les yeux emplis de nostalgie envers tout ce qu’il ne peut plus, physiquement, exercer aujourd’hui.

Rosie, postée devant sa fenêtre à contempler Lucien, savoure tout de même ce moment de bonheur. Même si le jardin n’est plus qu’à l’état de friche, son mari est bien là, bien vivant et c’est ce qui compte à ses yeux. Elle apprend à savourer ce bonheur même si aujourd’hui il est bien différent.

Rosie se remet aux fourneaux et regarde son chien, son fidèle compagnon à quatre pattes, installé confortablement dans son panier.

— Vaillant, va chercher ton patron, il est dix-neuf heures, le journal va commencer et la soupe va refroidir.

— Ha, décidément, mon Lucien, pense Rosie, il devient sourd avec l’âge, je jurerais que si toutes les saisons le permettaient, il passerait ses journées dans le jardin.

Rosie apprête sa table pour deux couverts. Lucien face à la télévision, Rosie se place à sa gauche. Parfois, ça l’agace de tourner la tête tout en mangeant, mais cette place c’est la sienne depuis quarante ans.

Amélie était à sa droite et Coline devant elle. Téo, à l’instar de son patriarche, mangeait avec le petit écran directement dans son champ de vision. Mais aujourd’hui les chaises sont vides. Vaillant sait quelle est sa place, sa patronne prenant toujours soin de lui glisser un petit bout de pain accompagné d’un morceau de fromage. Il s’installe, ainsi, comme à chaque fois au pied de Rosie, se réjouissant, lui aussi, dans la perspective d’un bon repas.

Celui-ci pris tranquillement par Rosie et Lucien devant la télévision est interrompu par un coup de téléphone.

— Oh ce n’est pas possible, qui vient nous déranger à l’heure du souper ? marmonne Rosie.

Elle regarde Lucien qui ne lève pas le nez de son assiette comme si ce dernier n’avait même pas entendu la sonnerie.

— Dis donc mon Lucien, tu as peut-être perdu la parole, mais tu n’es pas encore sourd ! Puis si c’étaient les enfants…

Alors que Rosie décroche le combiné, une voix aigüe résonne à l’autre bout du fil :

— Maman, c’est moi comment vas-tu ?

— Oh, ma coco, ma chérie, tu m’appelles en plein repas, c’est urgent ?

— Mince désolée, petite maman, avec le décalage horaire, j’ai parfois du mal à anticiper l’heure à laquelle je te téléphone. Il est 14h chez nous et je commence le boulot dans trente minutes, je voulais en profiter pour savoir comment tu allais.

— Je vais bien… je vais bien, ton père aussi d’ailleurs.

— ….

— Et toi ? Toujours contente de ton nouveau travail ?

— Awesome !!

— Awequoi ?

— Oh excuse-moi, une expression new-yorkaise, je voulais dire super ! Je suis bien heureuse et tout se passe bien maman.

— Ha et bien tant mieux.

— Et toi, maman, ça va ? Tu as pris contact avec l’association du village d’à côté pour te soulager un peu.

— Voyons, Coline, je m’en sors très bien. De quoi veux-tu que je me soulage ? Tu sais, on n’est plus que deux, c’est facile, je n’ai plus de repas gargantuesque à préparer et la maison n’est plus en désordre comme autrefois.

— Tu devrais peut-être chercher quelqu’un pour s’occuper des extérieurs ?

— Je ne pense pas que ton père serait d’accord.

— …Ok....bon … écoute… je vais devoir te laisser. Prends soin de toi ma petite maman et j’essaie de te rappeler très vite.

Rosie raccroche le téléphone et retourne à sa soupe. Lucien a, quant à lui, terminé son dîner et ronfle déjà devant la télévision sur le canapé.

— C’était Coline, ça me fait tellement plaisir quand elle nous appelle. Tout se passe bien à New York, son travail a l’air de lui convenir et je commence à douter qu’elle revienne de l’autre côté de l’océan.

Rosie continue à remuer sa soupe, celle-ci a complètement refroidi. Ce ne sont pas les gouttelettes supplémentaires qui se mettent à faire des cercles sur son breuvage qui vont arranger les dégâts.

Rosie pleure en silence et laisse couler quelques larmes. Parler avec ses enfants au téléphone lui est encore si difficile. Pourtant, elle devrait être heureuse pour eux. Mais quand Coline est partie, c’est une page qui s’est tournée.

L’automne est la saison préférée de Rosie, celle où les chanterelles, morilles, mousserons ou autres petits pieds à chapeau se côtoient au milieu des bois. La forêt qui entoure la maison de Rosie ne lui appartient pas, mais c’est tout comme. Elle connait les endroits les plus prolifiques et fait toujours en sorte que personne ne repère ses coins préférés. La récolte de l’automne est sacrée et ceci depuis de longues années.

Lucien n’accompagne plus Rosie dans ses sorties pédestres, préférant se délecter des champignons une fois ceux-ci dorés dans son assiette. Cette année, seul Téo devrait être des leurs pour Noël. Mais Rosie n’en tient pas rigueur à ses filles, le Japon ou New York, ce n’est pas la porte à côté.

Souvent, elle pense à Constance, sa première et unique petite fille âgée de six mois. Si cette dernière n’était pas si loin, elle pourrait tant la gâter.

Ce sera Noël dans quelques mois. Quand elle ramasse ses fabuleux trésors des sous-bois, Rosie sait déjà sous quelles formes elle va les présenter dans de bons petits plats de fêtes.

— Regarde mon Lucien, la récolte a été belle ce matin, nous allons nous régaler avec Téo pour Noël.

Vaillant renifle le panier de la grand-mère, mais n’y trouve rien d’intéressant et repart se coucher sur son coussin.

— Eh bien mon chien, tu commences à démériter ton nom, tu aurais pu venir avec moi. Allez, prends un petit os, mon Vaillounet, je pense que tu t’attendais à quelque chose de plus ragoûtant dans mon joli cabas.

Rosie s’attable dès son arrivée. Elle prend son couteau à champignon offert par ses enfants à Noël dernier et entame le tri de son butin.

— Ha j’ai beau avoir un joli couteau, rien ne vaut les bons vieux tranchants de notre époque, pas vrai mon Lucien ? dit Rosie en échangeant son couteau contre son opinel, qui porte les stigmates d’une dure vie de labeur de ramasseur, nettoyeur et mangeur de champignons en tout genre.

NOËL

Nous sommes le 24 décembre, Téo est descendu du nord de la France pour passer les fêtes dans sa maison de famille. Rosie a tout préparé minutieusement. Elle a pris soin d’aérer la chambre de Téo qui est toujours intacte depuis son départ.

— Comme je suis heureuse de te voir mon Téo, alors comment ça se passe dans ton travail ?

— Très bien maman, très bien. Je ne resterai pas trop longtemps finalement, j’ai des potes qui organisent le réveillon du jour de l’an et on pensait partir sur la semaine au ski.

Rosie regarde son fils.

« Il n’est même pas encore arrivé, qu’il pense déjà à repartir », songe-t-elle.

Rosie a conservé les chambres de ses trois enfants en l’état. Elle accorde du temps, chaque matin, pour vérifier si tout est à sa place, elle y fait un petit brin de poussière et regarde parfois, songeuse, certains objets qui lui rappellent ces belles années. Elle va également, de temps en temps, jeter un petit coup d’œil dans ses gîtes, mais petit à petit elle s’en détache doucement.

— Et donc, quand repars-tu ?

— Eh bien, disons qu’on pensait se retrouver juste après les fêtes, avec les potes, à mi-chemin de la station le 26 aprèsmidi.

— Je comprends.

— Mais ma petite mamounette ne sois pas triste, je suis là, c’est ce qui compte, on va fêter Noël tranquillement. On ira même se balader dans la forêt si tu veux, comme il n’y a pas trop de neige cette année.

— Oui ce serait bien. Et tes amis je les connais ?

— Non, je t’en ai peut-être déjà parlé, mais ce sont des collègues de travail pour la plupart, je suis même le responsable de certains, mais c’est cool.

— Et ils sont seuls eux aussi ?

— Ils sont seuls oui maman, comme tu dis, mais moi je dirais plutôt qu’ils n’ont pas de fil à la patte, pas d’attache. Et puis on sort souvent, nous partageons les mêmes centres d’intérêt.

— Tu approches la quarantaine mon Téo, tu ne penses pas à nous ramener une petite copine ?

— Maman, je ne suis pas comme toi et papa. Je ne veux pas d’une modeste vie pépère dans une maison avec des enfants et un chien, à travailler à côté de chez moi, sans découvrir le monde. La vie est différente aujourd’hui, et ce n’est pas, parce qu’à bientôt quarante ans je ne suis pas casé, que j’ai raté ma vie.

— Mais je n’ai pas dit que tu avais raté ta vie, mon chéri. C’est juste que je me dis que si tu avais des enfants, j’en profiterais peut-être plus que ceux de ta sœur Amélie.

— Que je sois au Nord de la France ou au Japon comme Amélie ou à New York pour Coline, je ne suis pas sûr que tu viendrais me voir plus souvent.

— Oui, mais toi si, peut-être ?

Téo ne prend pas la peine de répondre à sa mère et va chercher son sac dans la voiture.

— Je m’installe dans ma chambre, maman ?

— Bien entendu mon chéri, j’ai changé les draps, ils sont tout propres.

— Ce n’était pas nécessaire, maman, ils ne se salissent pas en mon absence, lance Téo en grimpant deux à deux les escaliers.

Téo n’a jamais eu une relation fusionnelle avec Rosie. Cette relation, il l’a toujours eue avec son père, qu’enviait en silence Rosie. Mais avec ses filles cela a souvent été différent et Lucien ne lui en a jamais tenu rigueur.

— Tu sais, ton père était bien triste de devoir rester plusieurs jours à l’hôpital alors que tu venais à la maison.

— Ha…

— Ils étudient cette perte de la parole.

— Hum hum…

— Si ce n’était pas si loin, nous aurions pu passer le voir un moment. Il est si fatigué.

— Maman…

— Oui mon chéri, qu’y a-t-il ?

— Je…

— C’est une bonne idée, qu’en penses-tu ?

— Oui…enfin…mais…j’y suis passé en venant…

— Ha très bien, il devait être si heureux. Ce sont les fêtes de Noël tout de même ! Nous pourrions y retourner tous les deux ?

— Je…je suis désolé, je ne pense pas avoir le temps.

— Ce n’est pas grave, mon chéri, papa rentre le vingt-sept. Si tu y es passé, c’est ce qui compte.

Rosie est fatiguée, mais pas de temps à perdre, ce soir c’est le réveillon de Noël, il faut que tout soit parfait ainsi que pour le lendemain. Alors que cette dernière peaufine les ultimes préparatifs, Téo redescend de sa chambre en reniflant l’air ambiant.

— Hum, j’aime cette bonne odeur de champignon, on va se régaler !

Cette remarque redonne du baume au cœur à Rosie et la met en joie.

— Dis-moi Téo, tu pourrais aller chercher le pain à l’épicerie, j’ai fait mettre de côté du pain complet et deux baguettes.

— Le boulanger ne passe plus ?

— Non pas en cette période, mais l’épicerie se charge de faire dépôt de pain pour les fêtes.

— J’y vais, je prends Vaillant avec moi, ça le changera.

— Fais attention, tu sais il n’est plus tout jeune, il se déplace doucement maintenant.

— Mais oui, ne t’inquiète pas.

Téo attrape la laisse et s’engage dans le chemin face à la maison qui rejoint la route descendant sur le village. Rosie le regarde partir par la fenêtre, nostalgique.

Du haut de ses 72 ans, Rosie ne se voit pas vieillir, toujours dans sa jolie maison, construite il y a plus de quarante ans avec Lucien. Rien n’a changé. La vieille femme n’est pas ce que l’on pourrait appeler une personne âgée habillée tristement. Rosie aime prendre soin d’elle, elle relève, chaque matin, ses cheveux qui lui arrivent aux épaules avec une petite pince. Pendant longtemps Rosie faisait des teintures, mais une remarque de Lucien l’avait fait changer d’avis. Ce dernier lui avait simplement dit l’aimer au naturel alors depuis ce jour-là, elle avait arrêté de se les colorer. Il y a maintenant quinze ans que sa chevelure arbore des reflets poivre et sel… tendant à devenir avec les années plus salés que poivrés.

La soirée du réveillon fut calme et gourmande. Le lendemain, pour le jour de Noël, Rosie avait remis les petits plats dans les grands. Quand Téo et Rosie partirent se promener dans la forêt pour digérer leur bon repas de midi, Téo semblait songeur.

Rosie se demande si la tristesse de Téo tient au fait que son père soit si malade. Eux qui ont toujours été si proches.

— Téo, tout va bien ? Tu as l’air contrarié ?

Téo regarde sa mère, celle qui l’a tant couvé, choyé et qui maintenant parait si frêle. Quand il est parti chercher le pain à l’épicerie, ce dernier a rencontré un ami venu également rendre visite à son père pour les fêtes de Noël.

— J’ai revu Bastien, le fils des Martinez.

— Ha, que devient-il ce brave garçon ?

— Il est marié et a deux petits. Mais tu ne revois pas son père, vous étiez bien amis avant ?

— Oui, enfin tu sais, j’étais surtout amie avec sa maman. C’est différent depuis qu’il est veuf.

— Justement cela devrait vous rapprocher. C’est que vous êtes finalement les plus anciens résidents. C’est d’ailleurs étonnant que la plupart des parents de mes amis d’enfance soient partis du village. J’ai trouvé que la population avait rajeuni et je ne connais plus grand monde.

— Oui, une vraie cité dortoir notre village ! Oh et puis tu sais moi je suis bien ici, nous sommes tranquilles dans notre maison à l’écart de toute l’agitation des quelques mondanités du village.

— Nous ? Je ne suis pas sûr que Vaillant t’en tienne rigueur si tu venais à rendre visite ou inviter Monsieur Martinez.

— Mais enfin Téo ? Que dirait ton père ?

— Maman… tu…

— D’ailleurs c’est ce garçon qui t’a mis dans cet état, pourquoi es-tu si ennuyé ?

— J’ai croisé Martin Vartina également.

— Ha Monsieur le Maire, et ?

— Eh bien …il te passe le bonjour.

— Martin depuis qu’il est Maire de la commune, il se sent si puissant. Il faudrait parfois lui rappeler d’où il vient. En tout cas, ça fait bien longtemps que nous ne nous sommes pas entretenus.

— Il m’a parlé de quelques projets sur la commune.

— Pfff, il n’a que ce mot à la bouche, mais en tout cas, il n’a rien fait pour nous aider quand nous avons dû fermer nos gîtes.

— Maman, tu ne vas pas remettre ça sur le tapis…

— Et quels sont ses fameux projets ?

— Eh bien…

— Oui ?

— Non…rien d’important, maman.

— Alors pourquoi es-tu contrarié ? C’est Martin ?

Téo hésite à avouer à sa mère la cause de sa contrariété.

— Non, non pas du tout, mais je me dis parfois, enfin, je trouve que tu es peut-être un peu trop isolée et que si tu avais quelques voisins je serais peut-être plus rassuré.

— Rassuré ? Que veux-tu que je craigne ? Ton père me protègera, même s’il est fatigué, je suis certaine qu’il ne se défend encore pas trop mal. Et puis j’ai Vaillant qui veille sur moi.

Téo se sent lâche, il regarde sa maman, il n’avait jamais remarqué comme elle avait vieilli depuis quelques mois. Mais que faire, et si vivre dans le déni l’aidait à surmonter sa peine… Puis, il se dit finalement que sa mère sera bien vite au courant et que de toute façon, rien ne pourra être changé alors autant attendre que les choses se fassent. Téo passe son bras sur les épaules de Rosie et l’invite à rentrer se mettre au chaud pour manger un petit morceau de bûche qu’ils n’ont pas réussi à avaler à la fin du diner.

Les fêtes sont passées à une allure vertigineuse. Téo est reparti dès le lendemain en laissant une maison bien vide. Amélie et Coline ont pris soin d’appeler leur maman pour le Nouvel An et ont promis de faire leur possible pour venir en France cette année.

Rosie comprend bien que le départ de Coline n’est pas si ancien et ce n’est pas chose aisée de revenir comme elle le souhaiterait. Mais Rosie aimerait tant revoir sa petite fille Constance. Elle lui a acheté en cadeau un joli doudou qu’elle a pris soin de plier et ranger sur le lit de sa maman.

« Je lui donnerai quand vous viendrez me rendre visite ! » avait-elle dit à Amélie, se rassurant peut-être et espérant aussi que cela motiverait sa fille à rejoindre la France plus rapidement.

C’EST PARTI

Nous sommes le lundi 27 mars, deux jours après le changement d’heure. Rosie aime bien ce nouvel horaire et le préfère à l’heure d’hiver. Les soirées sont plus longues et les matins, en bonne retraitée qui se respecte, elle n’a aucunement besoin de mettre une alarme.

Mais ce matin, Rosie est réveillée malgré elle par un bruit assourdissant. Comme si la maison était victime d’un tremblement de terre. Vaillant, non habitué également à être éveillé par un tel vacarme, aboie en direction de la porte d’entrée. Rosie ouvre ses volets, stupéfaite. Elle n’en croit pas ses yeux et ses oreilles.

Sa belle forêt, son antre, son refuge, son abri à champignon anéanti par une pelleteuse en train d’abattre les arbres en contrebas de sa propriété.

La sonnerie de recul des engins et la voix forte des ouvriers au sol qui s’élève afin de se faire entendre, lui résonnent dans la tête.

Rosie est en plein cauchemar, elle décide de refermer ses volets et se réfugie sous les couvertures, se disant que ce cauchemar à la limite du réalisme cessera quand elle se réveillera véritablement.

Mais ce n’est pas l’épaisseur de la couette qui va changer quoi que ce soit, ce bruit est bien réel et les aboiements incessants de Vaillant confirment la triste vérité.

— Lucien, réveille-toi ! Ce n’est pas possible, tu ne vas jamais me croire !

Rosie enfile sa robe de chambre et descend ouvrir la porte à Vaillant. Le chien s’empresse de courir le long de la clôture aboyer sur les engins en train de démolir toute une forêt de souvenirs.

Rosie est effarée et reste béate devant tout ce remue-ménage. Il est vrai que depuis que sa dernière est partie, elle a beaucoup moins de nouvelles du village, peut-être aurait-elle été au courant si elle y avait mis les pieds parfois.

Quand les gîtes étaient encore ouverts, Lucien avait ses habitudes et allait chercher son journal tous les matins à l’épicerie du bourg. Il en profitait à chaque fois pour ramener du bon pain frais aux vacanciers, mais également à sa femme et ses enfants. Mais, à la suite du déclin de leur activité et sa santé fragilisée, il s’était lassé et avait espacé ses excursions, puis les avait complètement arrêtées.

Rosie s’assoit et prend sa tête dans ses mains. Elle ne comprend pas. Elle regarde son mari et lui lance :

— Et toi ? Tu en penses quoi de tout ça ? Tu te rends compte, ils sont en train de détruire notre belle forêt !!! Ha, c’est sûr, ils ne sont pas en train de détruire ton jardin… Ce n’est pas toi qui vas ramasser les champignons tous les automnes, qui promènes Vaillant et qui t’amuses à lui lancer des bouts de bois en arpentant les chemins sinueux de la forêt.

Rosie plonge son regard dans celui de Lucien, comme si tout ceci était sa faute, comme s’il fallait un coupable. (Et ne dit-on pas que, quand on est énervé, ce sont toujours les personnes les plus proches qui récoltent notre colère ?)

Mais Rosie ne va pas se laisser faire. Elle a sans cesse été une mère attentionnée pour ses enfants, elle a systématiquement fait les choses dans les règles. A toujours respecté les reproches de professeurs sur sa progéniture et fait le nécessaire pour que ces derniers acceptent et se plient aux exigences scolaires. Elle a travaillé dur pour que leurs gîtes rencontrent le succès, elle a toujours été accueillante et bienveillante. Elle n’a jamais fait de vagues, a toujours été dynamique et souriante. Rosie n’a jamais fait part de ses doutes, de sa fatigue. Rosie c’est l’amie que l’on aime avoir près de soi. C’est la mère que tous les enfants auraient souhaité avoir, droite, mais affectueuse et protectrice. D’ailleurs, elle serait une si bonne grand-mère si ses enfants lui en laissaient l’opportunité, mais là n’est pas la question.

Rosie a soixante-douze ans et aujourd’hui c’est décidé, elle va se faire entendre et au moins comprendre le pourquoi de tout ce remue-ménage.

Elle choisit de s’habiller et met son pantalon vert qu’elle aimait porter pour sortir en ville avec Coline. Elle l’assortit avec une petite chemise blanche sous un lainage beige. Même si le printemps a débuté, nous sommes encore au mois de mars et l’air est tout de même frais. Elle passe par la salle de bain, se regarde dans le miroir et ramasse ses longs cheveux gris avec une pince. Elle rapproche son visage et promène ses doigts sur ses rides. Habituellement, elle se sourit et se dit qu’à soixante-douze ans elle n’est pas si mal. Mais là, l’entrain n'y est pas, peut-être devrait-elle se pomponner un peu ? Cela fait tellement longtemps qu’elle n’a pas effectué son apparition au village. Mais qu’importe, à ce moment précis elle est en colère et souhaite des réponses et ce n’est pas un peu de fard à joues et du mascara qui vont l’aider à parler à Monsieur le Maire.

Elle redescend et met ses petites bottines. Vaillant tourne autour de Rosie comme un ressort, se réjouissant à l’idée d’aller se promener.

— Reste là mon Vaillant, veille sur ton maitre, je vais au village et n’en ai pas pour longtemps. Les chiens ne sont pas admis dans les locaux de la mairie, tu seras beaucoup mieux ici.

Vaillant regarde sa patronne, mais ne bouge pas quand cette dernière ouvre la porte et la referme devant lui, comme s’il avait compris.

Rosie ne daigne pas lever les yeux sur les engins qui travaillent sans relâche pour détruire le bois et emprunte le chemin qui rejoint le centre du village. Elle arrive devant les portes de la mairie et les ouvre énergiquement.

— Madame, je peux vous aider ?

Rosie dévisage la jeune femme à l’accueil, qui pourrait bien avoir l’âge d’être sa fille voire sa petite fille.

— Je souhaiterais m’entretenir avec Monsieur Le Maire.

— Vous avez rendez-vous ?

— Je ne pense pas que cela soit utile. A-t-il autant d’obligations dans un village de notre envergure ?

La secrétaire regarde Rosie, mais continue, tel un robot, son discours d’agent d’accueil.

— Madame, si vous n’avez pas rendez-vous, je peux vous en proposer un.

— Mais s’il n’est pas là, vous ne pouvez pas simplement l’appeler ? C’est urgent !

Rosie s’impatiente, mais elle n’est pas du genre à faire des esclandres. Alors qu’elle commence à capituler en baissant la tête pour demander une date d’entrevue, la porte extérieure s’ouvre. Un petit bonhomme ventru apparait et contemple Rosie en souriant.