Le Caméléon parmi les naïfs - Clara Bottero - E-Book

Le Caméléon parmi les naïfs E-Book

Clara Bottero

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Beschreibung

« Pensez-vous pouvoir attraper le bonheur de vos mains ? Ces lucioles s’envolent souvent bien haut. Qui brille se brûle et défie le soleil. Je parcourais mon désert, mes idées ainsi que mes désirs et luttais contre les ombres violettes de mon plus grand obstacle. Les lambdas mouraient et les heureux respiraient l’odeur du bonheur. Enchaînée par ce que je créais, j’imaginais un devenir plus radieux, mais croître dans le juste est bien difficile. »


À PROPOS DE L'AUTEURE


La littérature regorge de secrets dont le seul moyen de les connaître est de plonger dans les lignes révélatrices. Clara Bottero, par sa sensibilité, explore les mots de la même manière qu’un peintre explore les couleurs. Le Caméléon parmi les naïfs traduit une continuité de sa vie, un moyen d’imaginer un futur heureux.

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Seitenzahl: 355

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Clara Bottero

Le Caméléon parmi les naïfs

Roman

© Lys Bleu Éditions – Clara Bottero

ISBN : 979-10-377-6541-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

J’engage les images et les métaphores au service des plus grandes révélations de ce texte.

Prologue

Il est des pays où l’on ne souffre pas. Des pays où l’intelligence ne surpasse l’imagination. Des pays dans lesquels animaux perspicaces, personnages féeriques, dieux et éléments vivent en harmonie dans une immense cage. Là-bas, la fraternité cohabite avec l’individualisme, la passion avec la destruction, le progrès avec l’excès, l’espoir avec l’échec permanent. On raconte que certains attendent le train éternellement, d’autres construisent leurs propres rails. Certains parviennent jusqu’au bonheur à pied, d’autres ne l’atteignent jamais. C’est ainsi que l’équilibre naît, il crée la justesse par cette injustice, l’acceptation d’un autre plus habile. Les êtres créent, et ne se débattent qu’avec leurs propres lacunes, qu’ils considèrent comme telles lorsqu’elles les retardent. C’est pourquoi les illettrés défient les lois les plus fondées de la nature pour les détruire par la suite. Quant aux penseurs, ils forgent leurs outils pour créer ces fameux trains. Tout n’est que surpassement. Chaque être devenant sa propre construction.

Il est des pays où tout semble plus simple, où la joie peut panser l’endroit où le cœur est meurtri, où la pitié n’est que peu comprise. Ici, les séquelles demeurent infimes. La danse ravive les flammes et le repos n’est que superficiel. Tout est réajusté, remplacé, deviné, réglé avant même que l’on ne puisse se remercier.

Les plus grands envient ce monde. Ils prendront armes et catapultes, trahiront leurs frères pour apporter ce bonheur. Construire cette maison, en omettant les premières pierres, l’améliorer, en vanter le mérite puis la détruire.

C’est ici que la figure du caméléon prend vie, dans un monde pseudo-parfait où l’amour des naïfs rancuniers vaut mieux que celui d’un corps éreinté. Elle prend vie dans nos têtes, là où tout semble possible, là où la seule limite qui s’impose est notre imagination ou notre propre égoïsme.

Je me devais de convenablement mener une vie. Les petits grains soupiraient sous mes pieds comme s’ils avaient pu savoir l’issue de ce chemin. Peut-être le savaient-ils ? En effet, tous avaient pu vivre ici comme ailleurs, se laissant transporter au gré du vent. Nous l’avions tous fait. Leur souffle, exténué, se faisait sentir, alors je pris soin de couvrir ma main de certains d’entre eux. Si la chaleur humaine avait ce don de réconfort, parfois, il fallait se laisser séduire par quelque chose de plus grand. Le premier pas dans ma vie future ; j’avais retiré le costume, les couleurs qui envisageaient à ma place. Désormais, je n’étais que nue de toute emprise. S’ils savaient, je n’avais jamais vu l’imposante gare que dans ma tête. Seulement, même les détails les plus fins ne remplaceraient sans aucun doute jamais l’odeur ou le toucher du bonheur. Un Graal personnel, mais pourtant commun. Ici, chaque homme labourait ses rêves, si bien qu’aucun n’y parviendrait. La terre mise en amas par le râteau imaginaire suppliait de l’attention. Étant digne de reconnaissance, elle mesurait son importance mieux que quiconque. Alors je repris une poignée du sable épuisé et y approchai ma bouche. M’auriez-vous prise pour dérangée ? Voici le monde parfait, qui laissait les enfants éveillés, perplexes de ne connaître que la joie. Comme si leurs entrailles criaient, elles aussi, à la supercherie de ce spectacle. Croyez-vous, le monde est bien coordonné, nous laissant le choix d’une liberté conditionnée. Si je voulais choisir le bleu plutôt que le noir, l’on m’aurait dit que celui-ci n’apportait que naïveté, mais si le noir avait été mon envie, il aurait été bien trop sombre. Quelqu’un finissait par choisir le jaune et par dépit, tous collaient à son courage. Se réclamant de nature humaine, ils voyaient en l’autre ce qu’ils ne pouvaient eux-mêmes entreprendre. Mon voisin, plus remarquable par tant d’aspects, se jouait du rôle qu’il représentait. Cruauté mêlait désir de ce qu’on ne pouvait oser. Désir de voir en l’autre un Moi rêvé. Mais les hommes n’étaient pas les seuls à vivre, chaque perspective parlait, chaque construction livrait des secrets. Les murs écoutaient les passants, les éléments régnaient en maître. Le vent nous caressait, l’eau nous soulageait et le feu ravivait nos vies endormies. Et lorsque les montagnes s’élevaient, nous ne pouvions plus les surpasser seuls. De ma bouche entrouverte, je soufflais, voulant revigorer les étroites pensées de ces bouts de rien. Les minuscules cailloux dorés suivaient la courbure de ma lèvre supérieure, tant ils ne voulaient se détacher de mon attention et du confort que celle-ci leur apportait. Non loin de les abandonner, je fis fonctionner mes membres inférieurs afin de reprendre une marche qui s’avérait lente et qui déterminerait la suite de mes choix, de mes obstacles, du monde entier, réel ou non, de ma condition et de mes envies (entrant dans le monde que j’avais choisi, créant mes propres décors de spectacle), car nos propres convictions nous menaient.

Chapitre 1

Le chemin auparavant plutôt large et dégagé rétrécissait ses bords. Je n’avais plus affaire à la marche détendue que j’avais coutume de pratiquer, mais à une autre, aguerrie, qui me permettrait d’éviter au mieux les nombreux obstacles se dessinant parmi les objets de mon paysage. Alors je mis mon esprit en alerte, prête à faire face aux dangers, à continuer ma route sans encombre.

Seulement, à mesure que j’évitais les branches, une sensation de fourmillement apparut le long de mon corps, comme si ce fût une colonie d’insectes prenant pour habitat fixe mes membres. Il s’agissait dès lors, du début d’une série croissante de manifestations lugubres et éprouvantes, puisque peu de temps après, un deuxième incident eut lieu : ma peau perdait de son duvet naturel et était remplacée par une couverture dure, rugueuse et inégalement bossue.

Je semblais être à l’aube d’un changement profond de ma condition, une transformation de l’être que j’étais, tandis que les ombres presque noires m’encerclaient davantage. L’adolescence en était plausiblement la coupable. Les mots manquaient, ainsi que le souffle qui se perdait petit à petit parmi un panel d’odeurs nouvelles qui se mélangeaient à la pureté de la brise extérieure. Mon corps réclamait des soins, je devais m’asseoir, arrêter la randonnée, mais l’engourdissement rageant empêchait toute action rapide et efficace. S’installait alors dans mon esprit cette émotion, que l’on ne pouvait nommer sans en ressentir les souvenirs de ses effets particulièrement marquants, qui vaguait autour de nous à l’affût de la moindre occasion pour s’immiscer dans nos pores et gâcher le peu de lucidité qu’il pouvait nous rester. Il s’agissait de cette angoisse pesante qui prenait ma gorge en otage tandis que les parfums alentour m’asphyxiaient à mesure que je les sentais prendre le dessus sur la part d’oxygène présente dans l’air. Il s’agissait de cette terrible peur, qui paralysait – ou c’étaient les fourmillements – mon corps et mon esprit. La boule au ventre roulait, semblant percer ma peau tant son impact était démesuré ; la sensation était telle que je pouvais sentir des mains agripper des bouts de mes organes vitaux pour les sortir de mon corps. Je tournai la tête rapidement pour trouver de l’aide, avant qu’elle ne tourne par elle-même. Près de moi apparaissaient des êtres dont j’appelais le nom et le secours. Ceux-ci se retournèrent sans me regarder, trouvant sur leur route des objets contondants qu’ils me lançaient sans hésitation. Je me mis à courir comme je pus, mes « à l’aide » se perdant dans l’immensité de cet espace sombre.

Pourtant, au loin, j’aperçus une bâtisse abritant l’ordre public. Je plissai les yeux pour être sûre de ne pas subir un mirage nocturne. Un soulagement s’empara de mon corps lorsque je compris que ce n’était pas le cas. Il ne me fallait que quelques pas pour atteindre le refuge. En même temps que j’avançais, mon angoisse diminuait et alors même que je pensais être libérée de ces douleurs au ventre, j’endurai des élancements à de nombreux points précis, comme s’il eût été rempli d’objets toxiques.

Lorsque j’ouvris la porte du bâtiment, deux policiers me faisaient face. Je me précipitai vers le premier, tentant d’expliquer au mieux la situation. Il hochait la tête, l’air semi-compréhensif.

— J’entends votre problème, mais calmez-vous Mademoiselle. Voulez-vous que j’appelle le SAMU ? Qui étaient ces personnes qui vous voulaient du mal ? Pouvez-vous me les décrire ?

L’autre homme « bleu » se retourna, semblant tout à coup plus intéressé par la présente discussion. Mes membres tremblaient désormais, je ne savais dire si j’avais froid ou chaud tant les deux ressentis alternaient. Ma perception des choses devait être fortement altérée, me faisant presque perdre la raison. Je suffoquais, mais ayant pris de façon inconsciente l’habitude, je ne remarquais même plus à quel point il m’était difficile de reprendre mon souffle. Lorsqu’enfin, je recouvrai mes esprits, m’apprêtant à répondre au policier, le deuxième homme sortit son arme de service et la pointa dans ma direction.

— Si personne ne veut te sauver Gaïa, pourquoi le ferions-nous ?

Il avait prononcé ces mots avec tant de désinvolture que mon effroi refit surface instantanément. Par ailleurs, je ne lisais dans le regard de mon ancien sauveur, plus que de la pitié et de la désolation. Pire, ses yeux m’accompagnaient déjà à la porte. Chaque pas devenait un supplice. Une fois hors de ce lieu sinistre et menaçant, une grande lumière perça tout à coup ma rétine, m’aveuglant et me faisant perdre l’équilibre.

Je décelais dans mon mal-être encore la force de me remettre sur mes jambes et de parcourir quelques mètres. Néanmoins, plus je me mouvais, plus mon état se détériorait. Des formes, des objets, ou peut-être même des insectes, dessinaient des cercles autour de mon corps dans une épaisse brume, perturbant ma marche, sans que je puisse les chasser. Si les grelottements secouaient mon être quelques minutes plus tôt, des brûlures surgissaient dorénavant sur mon bras gauche et ma jambe droite. Dans un dernier élan, par désespoir, ma bouche expulsa une plainte, tandis que mon corps se dirigea vers le sol.

J’avais soif.

Un faisceau de lumière paraissait me maintenir au centre de l’attention de centaines d’hommes qui se regroupaient petit à petit autour de ce que j’étais devenue. Des larmes dégringolaient de mes joues. Qu’elle était douce la terre battue face à l’acidité de mes pleurs, que j’aurais voulu l’utiliser comme pommade ! Qu’ils étaient lisses les cailloux face à la rugosité de ma peau cabossée. J’aurais voulu la polir. Lorsque mes yeux se fermèrent, mes oreilles s’ouvrirent et j’entendis au loin un écho sourd de cris coordonnés plus ou moins aigus. Une femme s’avança vers ma tête, probablement donnerait-elle le coup de grâce.

Quand je me réveillai, l’herbe autour de moi était verte. Peut-être était-ce celle-ci qui avait aspiré toutes mes douleurs. Ma main massa mon crâne. Je parvenais difficilement à discerner si je goûtais à la réalité ou si je demeurais encore plongée dans ce rêve déroutant. Cependant, je voyais devant moi défiler les mêmes centaines d’hommes tenant des banderoles et criant dans ces outils que l’on utilisait pour se faire entendre. Une adolescente de mon âge aux cheveux courts se trouvait face à moi, une pancarte à la main, l’air déterminée.

— Alors, toi non plus, tu ne veux pas sauver Gaïa ?

Tandis que des paroles nouvelles abritaient mon corps, le monde continuait de vivre. Qu’avais-je créé cette fois ? L’herbe verte assurait de belles perspectives, sous les applaudissements de ceux qui s’insurgeaient contre ce monde perfectible. Ce que je connaissais, faute d’y avoir goûté la fragilité. Le caméléon ne vivait qu’à travers les murs, ces mêmes empilements de béton qui emmagasinaient tant d’informations pouvant détruire non des situations heureuses, mais plutôt le meilleur des cœurs. L’organe qui répandait la vie, souffrant d’une agilité trop évidente. Nous n’étions pas tous le cœur, même si eux aussi déraillaient. Les trains ne menant pas nécessairement au futur que nous attendions et ce monde que j’aimais le moins le savait par histoire. Il n’était pas toujours à l’heure, voilà pourquoi aucun précepte ne devait nous tenir en confiance. Puis, dans un mouvement de faiblesse soudaine, nous pouvions courir après sans jamais pouvoir le rattraper, car les trains ne ramenaient que les heureux. Mais quels heureux ? Je ne pouvais aucunement apprécier le monde perfectible des heureux. Les autres se tapissaient entre les dimensions, condamnés à voyager jusqu’à trouver leur but. « Pouvoir sauver nos martyrs » était le mot de ces révolutionnaires sur pieds. Leurs poings dégoulinant d’une espèce de substance verte si épaisse que je n’étais pas assez imposante pour la mesurer. S’enfouissant sous ces épais liquides, des milliers d’yeux se tournèrent vers moi. Pourtant, les corps de ce type n’attiraient que les insensibles. Et de ces yeux pleuraient désormais de jolies mélodies que l’on pouvait toucher tant elles étaient palpables. Je plongeai sous cette lumière froide d’espoir chantant et chantant, pourvoyant mes rêves devenus choix. Gagnait une pousse ou deux si je ne faisais qu’écouter des airs silencieux. C’était la clef de leur succès, les écouter et leur donner l’attention que ce monde naturel vivant méritait. Alors que les cris d’agonies auparavant mélodieux me quittaient, je ne cessais d’interroger mon esprit sur la raison de ma présence soudaine en ce lieu. Un parc et bien quoi ?

— Ou peut-être, juste peut-être…

Je n’en voulais pas, mais à mesure que mon souffle s’accélérait, elle grandissait en moi.

— Tu me connais déjà, n’est-ce pas ? Celui qui s’insère dans tes pores à chaque moment de doutes. Lorsque, éprise, tu pris cent fois de trop une réalité qui ne viendra te sauver. Quelle est ton excuse ? Tu es celle que tu as bien voulu te faire. Et toutes les scènes possibles et imaginables ne te feront jamais réaliser que le problème te ronge. Il a grandi en toi à peine étais-tu sortie de ceux qui t’ont créée. Lorsque tu en avais 10, il avançait deux fois plus vite que toi, étant déjà respecté par ton entourage. Peut-être que tu es juste ce que tu détesterais que l’autre soit : naïve et perdue. Sous des airs prétentieux, les chanceux ne réalisent leur chance qu’au cachot de leur propre vantardise. Icare volait trop près du soleil, mais toi, tu brûles déjà sans le savoir. Ignorante de n’être pas plus intéressante que tes observations. Mais tu oublies qu’une âme entre deux mondes ne survit que par désespoir. Pouvoir dépasser cette limite fait de toi ce que tu n’es pas. Tout le monde regarderait, réaliserait que tu n’es pas plus que la petite fille apeurée que tu aimais exposer aux yeux des épuisés. Tandis que le problème gagnait en âge et en maturité, tu restais mauvaise et moindre. Aujourd’hui, toi et lui vous confondez, nous nous confondons. Ta vie n’est qu’une méprise ici. Tu es impertinente de vie et tu gâches la simplicité des choses. Je te condamne à l’exil, petit être, à la chaleur ardente et au doute incessant. Je te condamne à perdre tes couleurs et à vivre de ton infâme sottise et naïveté. Car étant le P, je ne peux que te donner la place que tu mérites réellement.

Et c’était le nouveau déclenchement de ma propre perte tandis que son rire résonnait déjà dans les tréfonds de mon sommeil perdu. Le P était là. Et à mesure que l’aiguille avançait, mon temps reculait, car chaque minute était devenue perte. Ce fut ce chaos que retrouvait mon être au milieu de ces nouveaux protagonistes. Je n’avais qu’à choisir parmi ce panel de magie. Cependant, je savais déjà pertinemment que ma survie ne résidait dans aucune de ces ancres. Révolte et détermination devenaient indispensables pour mener une vie libérée. Car tel était le but, n’est-ce pas ? Le but de tout ceci, de cette grande mascarade. Mais la malédiction s’abattit, et de tout ce que je voyais, le monde s’effaça. Il s’effaça quant à sa subsistance : les routes, les manifestants, les objets de conscience et les yeux qui me regardaient. Puis il s’effaça quant à sa connaissance : il ne restait rien de ce monde et de la vie que j’avais pu consommer là-bas ; il semblait n’être qu’un rêve lointain que je ne pouvais qu’admirer avant que son souvenir ne s’essouffle doucement au petit matin. La chaleur humaine avait laissé place à la grande chaleur du désert de sable. Et ma conscience perdit son identité. Étourdie de me trouver en ce lieu si aride, je pensais pourtant y avoir rencontré tous mes âges. Je devais alors connaître l’autre monde, le rejoindre, car ce but hantait désormais mon esprit. Les heureux y vivaient, je n’étais pas heureuse.

Même si les minutes devenaient perte, le temps avait passé. J’avais acquis une familiarité singulière avec ces petits grains que je devais prendre pour l’or du monde. Mais le ressentiment rongeait mes os. Il fallait croire que mon être voulait connaître autre chose que l’aridité. Mon paysage n’avait jamais changé, et pourtant mon âme crevait d’envie de prendre de la hauteur.

Prendre les armes fut une décision trop hâtive, mais le Caméléon ne le savait pas. Regardant mon propre corps se diriger vers les arnaques des hommes qui demeuraient au loin tels des objets salutaires que se devait d’attraper le banni du monde. Deux ou trois fois plus grandes qu’elle, elle n’avait aucune chance, la petite fille.

Alors ils eurent le réflexe d’éliminer ce danger telle une bestiole encombrante. Collants, mes pas ne se turent pour si peu, et sentant mon âme tremblante, je pris mon épée et tranchai la fine peau de mon corps afin d’en retirer la peureuse. Ils sifflaient au loin, ceux qui osaient détruire les hommes. Leurs écailles et poils laissaient apparaître des couleurs que l’on n’aurait jamais permis d’exister dans ce qui pouvait être appelé le monde réel. Mais la réalité, étant trop altérée par ces belles histoires racontées, ne pouvait encore résider dans nos esprits déjà trop habités par des illusions exténuées d’être ce qu’il ne fallait montrer. Alors que je demeurais légère de raison, mes voisins terrifiants, terriblement ennuyés de ma démonstration puérile, commencèrent à s’en aller. Et ce fut ainsi que mes futurs compagnons désertèrent le champ de bataille. Ce n’était pas aujourd’hui que mon âme perdrait le chemin qui ne voulait toujours pas se tracer.

Quelque temps auparavant, Hermès aurait fait face, foudroyant du regard cette facilité que j’avais à fournir et à franchir moi-même les limites imposées aux autres naïfs. Crachant sur tant de haine qui lui demeurait incomprise, criant que ma perte était proche si je ne décidais pas la justice souple. À la croisée des chemins entre soumission et décision. Et le héron passant par-là aurait acquiescé une telle philosophie de vie. Mais l’espace demeurait vide et de mes pieds se traçait un sentier que seule la personne que j’étais pouvait créer. Un bout de bois creusait alors le sable dont tous les grains se détachaient les uns des autres sous la pression d’un géant venant perturber leur tranquillité. « Au secours », ils criaient, mais c’était moi et je ne pouvais m’arrêter à tous les désespoirs malheureusement. Alors l’illusion de mon manque d’altruisme passé, je pris la marche pour acquise, pensant soulager mes envies de voyages. Les rails se dessinaient déjà au loin, longeant les désirs des plus honnêtes personnages. Les trains n’amenaient que les heureux, ce qui était connu de ma personne. Ma marche s’accéléra, mon souffle haletant, fournissant l’oxygène, manquait de se perdre et la peur de ne réussir ce que j’avais toujours échoué grandissait. La grande héroïne débarquait et l’image de la puissante personne portée par ses prouesses paraissait probable dans les promesses que je m’étais faites. Le Caméléon muterait devenant dragon et terrassant ceux qui couraient à ma perte. Il était à quai. Encore vide et mon esprit supposait qu’il attendrait les voyageurs puis partirait dans quelques minutes. J’étais l’un d’eux. Un de ces candidats au bonheur, comme si j’avais gagné un jeu télévisé ou comme si j’atteignais la majorité nécessaire pour être heureuse. De ma main, je pouvais toucher la porte de mon sauveur, de l’être qui me souriait déjà. J’étais plaisante, nous ne pouvions que m’aimer. Cependant, d’un trait de caractère fort, le P tira mon poignet de sorte que mes doigts ne pouvaient même plus effleurer le Graal. Souriant avec sa gueule d’ange, il jouissait du plaisir de pouvoir empêcher la satisfaction ultime. Et tandis que sa force grandissait à mesure que je me débattais, les débris d’échos renvoyaient la scène aux souvenirs que je n’avais jamais vécus. D’un autre que moi passant par cette porte magique. Vêtu de bleu, c’était le grand soir ou le grand moment, fut-il un temps d’été ou de printemps. Les détails futiles n’apparaissaient qu’aux protagonistes de l’histoire. Porté par sa véhémence, il passait les portes du royaume avec tant de grâce que sa propre puissance en aurait été jalouse. Mais le P ne lâchait rien. Un halo de lumière entourait son être comme s’il fut l’élu de ces mêmes élus déjà bien chanceux d’avoir pu entrer sans tickets. Mon corps déambulait, tiraillé entre sa force et mon espoir. Son or s’intensifiait, animé par son sort et son ivoire. Nous fûmes mélangés alors que son succès ne pouvait se taire. Ma défaite, elle, hurlait.

Le train démarra et partit tôt. Bien trop tôt pour les affamés comme moi. La cause des malheurs, se trouvant à ma droite, souriait aussitôt. Une course désespérée tentait de rejoindre un royaume qui possédait trop de rois.

Et ce fut ainsi que mon esprit ébranlé prit congé et trouva autour de lui un autre inassouvi qui déambulait dans les couloirs des mal-aimés. En effet, parmi une foule d’hommes et de femmes aux couleurs tombantes, j’avais repéré celui-ci. Il était grand de son âme et petit de sa condition, comme nous tous dans ce néant beige. Les yeux au ciel, il implorait une autorité. Une de celles qui placent en l’homme une facilité de vivre pour peur qu’il oublie comment on y parvient. Mais l’homme, triste de ne pas voir l’horizon des possibles, et de ne suivre aucun commandement précis, sentit qu’il ne connaissait plus sa volonté. Face à cette vérité glaciale. Il était désemparé, désarmé, condamné, enterré. Le train demeurait encore un espoir qui s’effondrait sous ses yeux. C’en était fini pour lui. Il commença alors à reculer, physiquement parlant, refusant de se plier à la marche universelle : un pas devant l’autre, menant vers un futur obligatoire. Il aimait à penser, n’étant pas pour autant un adepte de la magie, que par un quelconque pouvoir le temps finirait lui-même par suivre son sens de marche. S’élevant ainsi à un rang d’être supérieur, il suggérait que par son action, le 21 mars suivrait le 22. Chaque moment de la veille s’effaçait à mesure que les secondes s’annulaient. Laissant un vide béant prendre place au creux de ce qu’était auparavant sa vie. Il en était pourtant fier et heureux. Qui n’avait jamais souhaité tout recommencer à zéro ? Sa vie pouvait être refaçonnée à l’image d’une vie dite parfaite, constituée de rêves éveillés et de réussites incroyables. Le processus fonctionnait à tel point que, regardant ses mains, l’homme pu distinguer des rajeunissements distincts de la peau, pu voir disparaître sous ses yeux toutes ses taches brunâtres qui s’étaient pourtant nichées partout sur ses bras jusqu’au 22. Chaque rosée matinale lui faisait l’effet d’un soulagement, le soulagement tant attendu. Les souvenirs les plus douloureux, il ne les revivait plus que par le désir du changement. Les mains sur les yeux chantant la belle mélodie du déni : « Tout était enfin fini, la vie deviendrait si belle à présent ». Vivant dans une ignorance extrême des choses réelles, devenant convaincu que justice était rendue et que sa peau devenue tirée et douce en demeurait la preuve. À chaque pas en arrière, il emmagasinait encore plus de force pour faire face à un nouveau futur qui semblait toujours plus lointain. Hélas, c’était pourtant la vérité, car il ne le remarquait pas, mais toutes les profondeurs de l’âme se fanaient à mesure que la maturité et l’expérience déclinaient. Et malheureusement, désormais, il se sentait comme une sorte de dieu libéré, riant des propres passages de sa vie, d’un compte rendu pas si désastreux finalement, mais qui, selon lui, ne pouvait être qu’amélioré par cet être doté d’un tel pouvoir qu’il était devenu. Il était en capacité de rire de sa propre découverte, mais surtout, il ne pleurait plus, car, que risquait-il à présent ?

Les dernières années de sa vie, les plus douces et les plus belles années de sa vie, flottaient dans l’air que respirait cet enfant inconscient des choses l’entourant. Qui dans les bras d’une mère aimante avait alors oublié de reculer, ou même oublié comment marchait-on. Sans aucun projet, aucun souvenir de ce futur révolu. L’homme, ou le bébé qui, fermant les yeux, avait atteint l’apaisement final, le dernier souffle de la vie dans ce souvenir qu’il avait choisi instinctivement afin de se laisser aller à ce relâchement du corps et de l’esprit. Il s’endormait. Et ainsi, cinquante ans plus tard, dirons-nous, ou bien seulement le 24 mars, le nom de l’homme lambda pouvait être apposé ici. Parmi une multitude de noms. À cet endroit même où, agenouillée, la mère aimante déposait alors la dernière rose, éprouvant, les yeux fermés, le premier souvenir, qui avait pourtant été son dernier. L’homme lambda qui regardait cette scène sans pouvoir agir n’avait pas prévu de reculer aussi loin, dans son avenir.

Ayant assisté à cette décadence du corps, j’eus peine à voir qu’aucune sépulture ne s’efforcerait de tenir dans un sol si mouvant. Nous étions dans le désert et malgré les efforts de la femme, aucun lambda n’avait de valeur ici ou ailleurs. Ceux qui mourraient dans ce désert étaient en nombre incalculable. J’avais alors prié pour que l’exemple ne puisse altérer les désirs de mon destin. Car à la mort, j’attachais une pancarte négative. Ô mon bonheur, lui qui devait subsister sans frein. Je ne pouvais faire partie de ces âmes en peine sans connaître les journées les plus vives. Ces trajets seraient miens, mon futur serait, de manière évidente, parfait. Et l’eau coulerait sur mes pores, si bien que je ne pourrais m’empêcher de goûter sa fraîcheur. Ni le P ni les autres n’auront la chance de connaître ce qu’étaient la vie et ses vérités. Seule à nouveau et affranchie de leurs emprises, je ne connaîtrais plus la peur.

Mon âme touchée et émotive tressaillait. Et bientôt, le ciel tomberait sur ma tête tellement ma grandeur l’aurait déstabilisé. Ce seraient d’abord les oiseaux qui, sans soutenir leur poids et sous l’effet de la gravité terrestre, ne sauraient plus comment sillonner les airs. Ils tomberaient telles des pierres lourdes que les grenouilles ne sauraient concurrencer, ces pauvres bêtes. Gisants sur le sol, leurs cadavres dépravés passeraient pour des mets non pas raffinés, mais disgracieux et mortuaires. Puis, petit à petit, probablement perturbés par cette perte de vie aérienne et pressés par le poids de leur nouvelle couverture, les pins, les tilleuls et les pommiers courberaient l’échine, pensant peut-être promouvoir l’arrivée de nobles, mais présomptueuse, l’apocalypse les accueillerait. Une rangée n’en pourrait soutenir leur solitude soudaine face à cette sagesse forcée et peu soutenante. Ceux qui n’auraient encore levé les yeux ne seraient que peu peureux à l’idée d’une pareille destinée. Tout irait bien, sans cette chaleur tournante, le bien s’exécuterait tant qu’il ne tomberait pas jusqu’aux plantes. Cependant, suite à notre vieille nature, pierres et bétons n’échapperaient à la jouissance d’une même faille. Tel un étau, les constructions se presseraient et s’écraseraient, donnant à ma vue l’un des plus beaux spectacles que ma carrure n’aurait pu effectuer seule. Toitures extrêmes, solides autant que l’on leur donne, l’on montrerait l’inutilité de ce loisir pourtant lisse comme des rails. Arabesques et dessins réduits en poussière tandis que le Caméléon statuerait sur la démarche à suivre afin de contredire un passé plus récent que nos aïeuls. Les bras levés, ma force deviendrait bientôt le seul rempart à la mort, me rapprochant ainsi des derniers espoirs emplissant mon esprit. Et pourtant, je n’avais pas perdu, je ne perdais pas, moi. Même six pieds sous le sol, enfouie par le ciel de verre qui voulait ma mort, je donnerais toujours plus que ce que l’on m’avait pris. Qu’importent vos beaux discours et vos âmes farouchement hostiles, le Caméléon possédait l’entrée que tous rêvaient d’avoir pour ce mois.

Mais cette apocalypse soudaine ne fut que le fruit de ma terrible imagination qui pensait pouvoir recréer le monde avec ses mains de déesses. Malheureusement, l’orage en moi continuait de ternir cette chaleur. Cette douceur dansant dans les directions censées deviner mon destin pour ce jour dualiste. Devais-je renoncer ? Alors que cette clef était la mienne ? Alors que ces trains roulaient pour moi ?

La réalité n’était que peu joueuse et ne voulait pas gagner ma confiance. Il fallait alors que je m’en refaçonne une. Une dans laquelle je possédais le droit de me tourner vers le monde des heureux pour prier. Mais, un flash parvint à mon esprit et m’emporta dans les tréfonds d’un souvenir peureux.

Depuis cet événement-là, tout était entravé, rebroussé, rien n’avait plus de sens et tous le savaient sans le voir. Il aurait suffi qu’un d’entre eux m’aide pour lever l’arme plus haut, afin de ne plus me tromper de cible. Lui qui avait profité de mes organes pendant tant de temps. Lui qui avait, année après année, englouti plus de mon corps que je n’avais pu avaler de nourriture. Il rongeait les os, s’empiffrait de tout ce qu’il pouvait trouver, buvait mon sang. Il parut alors sa naissance et les milliers de poignards qui m’avaient traversé le ventre. Il fallait pousser, pousser afin de mieux le faire comprendre aux autres. Feindre l’évanouissement pour éveiller et garder la tête froide pour qu’aucun être n’y entre. Et tout ce sang, l’on avait cru que l’hémorragie approchait, mais elle avait laissé place à celui que je semblais attendre comme s’il fut un apôtre. Venu délivrer le mal, à peine était-il sorti de mon ventre qu’il chuchotait dans mes oreilles. Et tous, émus, pleuraient à la joie d’un nouveau-né. Pendant que je craignais d’entendre la voix de celui qui ne pouvait pas encore parler. Les douleurs atroces me faisaient déjà regretter. On voyait le sang couler. Qu’il était beau le bébé ! Que sa peau était fine et potelée ! Que ses yeux étaient grands et étonnés ! Mais il n’avait rien, et de ses yeux clairs, il me fixait, le bébé. Puis des lueurs violettes s’échappèrent de ses yeux. Ce fut assez succinct pour que personne ne le remarque à part moi. « Il faut pousser, ce n’est pas fini » je l’avais entendu à travers les applaudissements. Et la salle d’accouchement s’était transformée en scène. Devant tous les naïfs, je demeurais nue et accompagnée. Je voyais ces nuées de sable qui emplissaient les salles comme si ce souvenir avait été mélangé à un autre. Ce fut une image telle que mon cerveau voulut la changer pour mieux m’en faire sortir les effets. Je n’avais qu’au cœur, ce fameux désert dont la forme changeait, cependant, au gré des imaginations puisqu’il contenait notre entendement et nos désirs. Le bébé qui avait quelques heures était déjà en capacité de marcher, il pouvait tenir un discours de 10 min et entamait son doctorat en psychologie. Il brillait et tous l’acclamaient. Qu’il était beau comme bébé. Qu’il était beau, mon bébé. Exposé aux yeux de tous, les tourments prenaient forme, forme humaine. Le P exista. Et l’ombre insidieuse se déplaçait de son corps, grandissant jusqu’au mien, afin que les autres ne voient plus que lui. Surprenant d’être dépassée par sa propre création. Tel un savon glissant qui s’échappait à peine tentions-nous de l’agripper. Une fois dans le ventre, le problème est couvé, il est réchauffé, mais peu visible. Puis nous poussâmes, criant à l’aide à ceux qui voulurent bien entendre. La transpiration dégoulinante servait de filtre à cette colère injuste. Chaque goutte demeurait courageuse d’être exposée si proche de l’être violet. Bientôt, mes cris furent transmis par une magie embêtante à la bouche du P. Il criait et frappait de sorte que plusieurs mains appuyaient ma bouche jusqu’à ce qu’aucun son ne puisse sortir de celle-ci. Ils ondulaient tout autour de moi, 5, 8, 10 bras dansant comme des tentacules. De ceux-ci s’échappaient des fumées dont les différents contrastes dus à la lumière attiraient inlassablement mon regard qui semblait danser lui aussi. Puis ce fut mon corps qui se souleva telles les magnifiques ombres. Les muscles se détendirent de sorte que je ne pouvais exécuter d’autres mouvements que ceux qui suivaient les bras hypnotisants. Nous dansâmes. Une belle coordination ressortait de cet affrontement et tous effleuraient mon corps à mesure que mon angoisse partit. Partant de ma bouche, les mains descendirent, laissant des traces toutes plus foncées sur ma peau blanchâtre. Ils me coloriaient, faisaient de moi les leurs. Ils élevaient mon être dans une dimension qui fut mienne, mais ma transpiration osait s’opposer à la nouvelle teinte de mes pores. Elle combattait, lavant cette peinture déjà très ancrée à l’image d’un tatouage définitif. Elle s’extirpa de son état afin de prendre armes et de battre le mal. Bientôt, son poids doublait puis triplait et moi qui luisais d’un ton rosé devins blanche à nouveau. Les pistolets et armes à feu en tout genre travaillaient à rendre le problème moins prenant tandis que mes bras agrippaient ses voisins, ne voulant perdre un lien social si agréable. Un par un, ils tombèrent et disparurent dans l’ombre de la salle d’accouchement. Je pus cependant garder une paire contre moi. Le Caméléon était bicolore de ne pas échapper à sa propre naïveté. Le propre de l’humanité de ne croire que d'honnêtes personnes puissent agir de façon manipulatrice. De ne croire que leur propre égoïsme les empêche de comprendre que cette règle s’appliquait à tous sans condition d’intelligence, sans déterminisme moral.

La pression que j’exerçais sur ces tentacules violets se transforma en étreinte douce et rassurante. Et sa main prit la mienne afin de m’arracher à cette salle maudite. Ce fut la fin de ce souvenir.

Chapitre 2

Ainsi, jusqu’à ce jour où le P m’avait empêché de poursuivre mon rêve, nous traversâmes monts et marées d’un coup d’œil. Nous marchâmes sur les émotions et sentiments de nos semblables et trouvions la pratique amusante. Une armée violette avançait telle une vague paradisiaque. Puis, moi aussi, je reculai, à l’image de l’homme lambda, ma silhouette se détacha de mon corps pour effectuer de nouveau ma vie tandis que je voyais s’éloigner ce corps joyeux. Puis d’un coup, la silhouette prit la force de mes muscles et dit stop à cette marche forcée. Moi qui reculais jadis, je m’arrêtai et ma copie qui avançait se tourna vers le ravin avoisinant. Elle avait gardé le souffle que je voulais retrouver, et quelque part, l’âme qui était mienne. Et je voyais les bras qui enveloppaient son corps chétif, elle était prisonnière.

L’air était si frais qu’elle voulait s’y plonger. Au-dessus du ravin, l’air était si frais, ravivant ses derniers rêves.

Juste un instant d’optimisme dirions-nous. Tout y était réuni afin que ses pensées, non loin de divaguer, retenaient le chemin par cœur, apprenant face à la douceur de l’enchantement de son esprit. Son enchanteur. Il existait bel et bien, la regardait avec des yeux foncés, hypnotisants, de sorte que pour lui, elle aurait pu sauter et s’extraire au monde. Mais le fallait-il ? Le reste de l’armée lui aurait confié ne pas avoir le courage de franchir le pas. Pourtant, elle demeurait la plus téméraire d’entre eux. Mais loin d’y penser, elle préférait sourire face à la profondeur du précipice et rire face au vide de sa vie. Cependant, lui ne riait pas. Il était juste là, derrière elle, il pouvait attendre des heures, toujours aussi doux et bienveillant. Il colorait l’air environnant, elle était tapie dans l’ombre violette enfumée. Après tout, il était la seule chose qu’elle désirait dans ce monde ; elle n’avait plus besoin de rien, ne comptait plus ses jours et n’éprouvait plus jamais de peine. Elle attrapait l’air avec ses mains, le capturant. Se remémorant les nombreux jours et nuits de son renouveau. C’était ainsi qu’elle devait se comporter puisque le malheur était banni ici. Elle ne connaissait plus les sentiments négatifs, tout avait été calculé, un algorithme du bonheur. Mais devait-elle réellement passer à la prochaine étape ? Leur apogée du bien-être, de l’absence de souffrance. Car avant d’enfermer ce mot dans un recoin sombre de son cerveau, il en avait la place centrale, contrôlant ses moindres gestes. Contrôlant la haine de sa progéniture. Désormais, c’était l’enchanteur qui détenait ce pouvoir et ni rien ni personne ne pouvait le détrôner à ses yeux. La perfection s’établissait selon ses lignes conductrices, et même si elle avait pu s’en détourner, aujourd’hui, elle ne commettait aucun écart de trajectoire. Les faibles d’esprit ne comprendraient pas un mot, mais sa réflexion ou plutôt la sienne poussait cet être à l’excellence. Mais à quels yeux ? Elle détourna le regard du vide, venant le suspendre aux yeux rosés du demi-dieu. Elle ne savait plus ce qu’il attendait d’elle. Comme le jour où il l’avait trouvée fixant le sang, tant de sang. Et cette douleur. Plus de deuxième plan, il fallait se plier ou se tuer. Son choix, une évidence, l’avait conduite à vivre sa plus belle vie. Comment détester la sérénité ? Détester ne faisait plus partie de son vocabulaire.

Sa main vint lui entourer le poignet, fermement, une tendre autorité. Un réflexe de recul survint. Elle ne pouvait plus supporter la vue de ce désastre, le déferlement de rouge sur le sol qu’avait accompagné sa naissance. Elle ne retirait pas la main qui la serrait désormais. Se dégoûtant d’elle-même, comment faisait-il pour la toucher avec tant de tendresse ? Il détenait toutes les solutions pour elle, toutes écrites, sacrées. Il avait guidé sa frustration, la transformant en confiance. Plus de culpabilité, plus de tâches, plus de preuves. Il ne restait dorénavant que la confiance. Seulement, il ne pouvait l’aimer comme l’aurait fait son alter ego. Il remplissait son devoir et tirait profit de l’affaire comme l’auraient fait la plupart des témoins. Après tout, elle lui devait la vie, elle existait grâce à lui. Le demi-dieu possédait tous les droits sur ce pantin. Elle n’aurait pas nié. Mais sans être un acte violent, ce geste la dérangeait. Fixant le poignet meurtri, devenant plus rouge qu’il n’avait pu l’être. Attendant que cette même teinte vire au violet. Le beau violet que l’on choyait. Tous l’avaient accueilli avec joie et bienveillance, seules émotions dans leur répertoire personnel. Néanmoins, la douleur s’éveilla, et sans retenue, sans calcul, elle laissa échapper le négatif de ses souvenirs. Ce fut ma silhouette qui se mit en mouvement pour venir jusqu’à elle. Mais il ne rendit pas son jouet paisible, non, car lorsqu’elle avait levé ses yeux, le regard transcendant découlait d’une haine toute naissante. Mais d’une haine dont on pouvait deviner la force rien qu’en lui faisant face. Puisque tout était échec, et rien n’était doré dans cette prison, la force poussa son corps vers l’apogée de son destin. Alors lui aussi, il la laissait tomber ? Il l’avait pourtant poussée à suivre le chemin prédestiné à son bonheur.

L’air était si frais qu’elle s’y était plongée. Au fond du ravin, l’air était si frais, éteignant ses derniers rêves.

L’ombre cria de toutes ses forces. J’avais perdu le rythme, perdu la vision de mon domaine. Et maintenant, je fis effort, contrant la nouvelle ligne du temps, je penchais en avant mon torse. Des milliers de fils invisibles se dessinaient derrière mes bras, s’implantant dans des accroches noires, ce qui, pénibles, me donnait beaucoup de peine. La silhouette agitait les bras afin de se défaire des fils fantaisistes, frôlant l’image d’un pantin désarticulé et feignant de franchir avec succès le but visé. Mais ils furent toujours accrochés à moi. Je décidai tout de même de partir à la poursuite de mon corps, à terre, affaissé. Mes jambes ombrées s’étiraient afin de rejoindre le bord, mais à mesure que l’écart entre elle et moi, entre moi et moi diminuait, mon être ralentissait comme s’il fut en bois. Un bois lourd, rendant gestes et accommodations plus complexes que jamais. Je fus une véritable marionnette. Bientôt, sur mon visage, fut dessiné un immense sourire rouge, et un corps violet avait remplacé l’ombre de ma silhouette. Tout ceci en bois travaillé. Mes membres se soulevèrent sans que je décide de leur trajectoire. Et je voulais pleurer, mais à la place ma mâchoire contractée tirait un superbe sourire. Il me guidait sur le chemin de ma prédécesseuse, comme si que de la voir, n’avait pas suffi. Je craignais de perdre mon étui, mon abri, ma personne, qu’elle s’enfuie désormais, ou bien pire…