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22 auteurs marseillais de romans noirs et de romans ainsi que 4 photographes livrent une vision de Marseille liée au roman noir. Parfois historique, parfois flirtant avec l'imaginaire, parfois quasi-gore, d'autre fois drôle, il y a de tout dans ces pages, même des textes qui ne parlent pas du tout de Marseille... Et qui forment ce nouveau "Cercle".
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Seitenzahl: 327
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Avant que vous ne commenciez la lecture de ce recueil, deux mots pour vous dire comment il est né. Dans le courant de l’année 2022, soutenu par mes camarades Bruno Richard et François Thomazeau, m’est venue l’idée de réunir de temps à autre, autour d’une table, des auteurs marseillais ou des environs pratiquant l’écriture de romans noirs, de romans policiers, de thrillers et autres textes de la même eau. Le désir de réunir des individus amoureux d’un même objet a toujours été présent dans ma manière d’aborder les mondes artistiques. Ce fut une asso de critiques de rock du temps où je l’étais vaguement, c’était le lancement d’un fanzine (le « Fun TV Club ») sur les séries et feuilletons télévisés, dans les années 1990, pour regrouper les fans lors de fêtes nocturnes (au Trolleybus) avant que la mode des séries ne devienne envahissante, c’était – avec François Thomazeau et Michel Martin-Roland – la volonté de créer avec la maison d’édition L’écailler une « famille » d’auteurs, dans les années 2000. C’est aussi, avec le même François Thomazeau – et Olivier Descosse – la création d’une association marseillaise des auteurs, plus formelle que le « Cercle des Polardeux », qui réunit aussi autour d’une table des écrivaines et écrivains marseillais, une fois par mois, avant de passer à d’autres projets plus consistants.
Mais revenons à ce projet-ci. En France, pays des « banquets républicains », nés sous la Révolution, c’est à table que se dessinent les actions futures et que se formalisent les désirs inconscients. Ainsi, dans le courant de l’année 2022, à plusieurs reprises, une quinzaine de convives ont croisé la fourchette, avalé moult pizzas et bouteilles de vins (le plus souvent à la pizzeria Chez Noël, en haut de la Canebière), en parlant de la vie, du polar et de leurs avenirs respectifs.
Et puis un jour, songeant à l’activité de la maison d’édition associative Melmac, que j’ai portée sur les fonds baptismaux au tout début des années 2020, j’ai ressenti la nécessité de donner à ces « banquets polardeux » une prolongation : un recueil de nouvelles. Sitôt évoquée, l’idée fut acceptée (merci à l’enthousiasme de certains de ces auteurs, qui m’a permis de tenir bon).
Tout le monde n’est pas présent dans les pages de cet ouvrage, car Marseille compte aujourd’hui des dizaines d’écrivains, publiés avec succès ou plus modestement connus, œuvrant pour des labels renommés ou de manière plus discrète, mais la volonté ici était de faire participer toutes les « plumes » désireuses d’en être, tous logés à la même enseigne, celle d’une œuvre collective, pour le fun et le plaisir de nourrir les prochains banquets de souvenirs communs d’écriture. Celles et ceux qui ne sont pas là dans cette « saison 1 » écriront peut-être une nouvelle dans la saison 2, ou 3, si le succès est suffisant pour que ce livre s’autofinance et puisse donner naissance à des petits.
Dernière note à vous préciser, quand les textes ont commencé à arriver dans ma boîte mail et que le livre a commencé à prendre tournure, une nouvelle évidence a émergé : il fallait des photos pour donner à l’ensemble une complétude formelle. Merci donc aux photographes qui à leur tour ont joué le jeu, avec eux aussi pour mission de livrer des images qui renvoient, avec la subjectivité propre de chacun, à une Marseille de polar ou de roman noir.
Au hasard des textes de ce recueil, vous baladerez dans le temps et dans la géographie marseillaise, avec deux-trois exceptions qui confirment la règle en ne se passant pas du tout à Marseille. Mais c’est aussi paraît-il la vocation de cette ville : être ici et maintenant un lien avec le reste du monde.
Dont acte.
Bonne lecture.
Et rendez-vous saison 2.
Patrick Coulomble 18 février 2023.
La dame de carreau
,
Alexandre Clément
Un 51 pour l’huissier !
,
René Frégni
Le Manurhin
,
Paul Pisapia
Gnummareddi
,
Thierry Aguila
Un plan simple
,
Mathieu Croizet
La femme invisible
,
Bruno Richard
Timone Breakdown
,
Martine Plaucheur
Old Punks Never Die
,
Patrick Coulomb
Melmac the Fiddler
,
Pierre Luciani
La cible humaine
,
Jean-Claude Roméra
L’échange
,
Vincent Crouzet
Peintures au couteau
,
Bernard Vitiello
La grotte
,
David Humbert
Mira veille
,
Marie Van Mœre
IZO, International Zumba Organisation
,
Ellen Coulomb
Une semaine à l’Alcazar
,
Catherine Pasquet
Mimi les bons tuyaux
,
Sylvain Dunevon
L’impasse d’Endoume
,
François Tonneau
Le Vieux Motard Javanais
,
Guillaume Chérel
Noir pèlerine
,
Adriel Nera
Le banquet en votre honneur
,
Henri-Frédéric Blanc
L‘Îlot Sports
,
Flora del Sol
et les photos de Claude Almodovar, François Mouren-Provensal, Guillaume Origoni, Patrick Coulomb, Serge Assier.
Que ce recueil soit aussi un hommage à Philippe Carrese, auteur, cinéaste, dessinateur et musicien marseillais, disparu bien trop tôt le 5 mai 2019, à l’âge de 63 ans.
photo Claude Almodovar
Il faisait encore très chaud, et j’avais laissé les fenêtres ouvertes sur les bruits de la rue. Le regard au plafond, j’attendais sur mon lit en fumant une Gitane dans cette chambre d’hôtel où je n’avais pas encore pris mes habitudes. Je pensais qu’Aline me ferait appeler au téléphone par le réceptionniste. Du moins c’est ce qu’elle m’avait dit, qu’elle arrangerait tout avant la fin de la journée. Je lui faisais confiance, elle connaissait tout le monde dans le quartier. Ça tardait pourtant et cette attente me froissait les nerfs. Mes méditations moroses étaient interrompues régulièrement par les allées et venues de la pute d’à côté, une Corse grande et massive, sévère et reteinte, qui tapinait du matin jusqu’au soir au coin de la rue Saint-Saëns pour un petit vieux qui l’attendait sagement dans son meublé de la rue Paradis où ils vivaient avec leur fils encore écolier. Le sommier fatigué chantait toujours la même chanson. Mais dans les autres étages, c’était aussi un peu pareil. Nous étions très peu de vrais clients, le reste c’était des passes.
Aline c’est ma copine depuis qu’on est petit et qu’on voisinait aux Chartreux. Je l’avais connue sur le chemin des écoliers et elle m’avait tout de suite plu. Elle avait des parents un peu spéciaux, le père c’était un pied de vigne, un jour sur deux au chômage, le reste du temps à cuver son vin, la mère, une gueularde qui était connue dans tout le quartier, qui se battait comme un homme. Elle est morte depuis à force d’avoir pondu trop de mouflets. Mais Aline était belle et plutôt rigolote. On a le même âge, on n’a jamais rien eu à se cacher et puis j’aimais faire l’amour avec elle bien plus qu’avec n’importe qui. Vous dire comment et pourquoi elle s’est mise elle aussi à tapiner, je n’en sais rien, ça m’échappe, faudrait remonter trop loin. Peut-être que je ne ramassais pas assez de monnaie avec mes combines scabreuses ? Elle était aussi portée sur le sexe, c’est certain, et elle aimait allumer tout ce qui porte un pantalon. Je n’étais pas jaloux, d’ailleurs, c’est moi qui lui avais trouvé son morceau de trottoir à l’Opéra, je préférais qu’elle bosse là plutôt qu’au Prado, il y avait moins de risques. Elle se défendait bien, et on se payait pas mal de bon temps. Toutes les semaines elle était chez le coiffeur et se faisait faire les ongles autant de fois que ça lui plaisait. J’étais vêtu comme un milord, chemise en soie et costard Prince de Galles l’hiver. Et on faisait tout le temps la fête. Au fil des jours elle connaissait tout le monde et savait se faire apprécier des autres putes, des macs et des voyous de la place.
Toute ma vie je suis tombé dans des embrouilles stupides, mais jusqu’ici je ne m’en étais pas trop mal sorti, même si j’ai fait quelques mois aux Baumettes, comme tout le monde. Dehors Aline m’attendait toujours, mais cette fois, c’était un peu différent. Il y a un mois environ, je m’étais pris de bec dans une partie de poker dans un hôtel de la rue Breteuil. L’Hôtel Moderne ça s’appelait. Moderne il ne l’était pas tant que ça, c’était plutôt un garni miteux, avec une clientèle clairsemée. François s’était occupé de louer la chambre pour la nuit, mais on pourrait rester plus tard si on voulait. Ça limitait les frais. On avait mis une couverture sur le miroir de l’armoire, poussé le lit contre le mur, et pris des chaises en bas chez le réceptionniste. On avait mis les billets dans une boîte à biscuits en fer blanc, et on avait distribué les jetons. Ça ne flambait pas trop, c’était même plutôt mou. François gagnait comme d’habitude, moi je ne perdais pas, mais je ne prenais rien non plus. On était cinq autour de la table ronde, à fumailler, à picoler un peu. Y’avait François, Laplantine, un intellectuel, et aussi le Grec. Et puis un Noir, un mec des îles qui se tenait raide comme un piquet et qu’on connaissait à peine depuis quelques mois. Sans trop savoir comment, je me suis retrouvé avec trois dames, il ne me manquait que la dame de carreau. C’était moi qui faisais la donne. Le pot est monté assez vite, et en face de moi il ne restait plus que ce Noir justement. On a tiré chacun une carte, je l’ai regardée en plissant les yeux sur la fumée de la cigarette qui occupait mes lèvres. Il a relancé et j’ai suivi de mon tapis. Il souriait en montrant de grandes dents blanches luisantes. Il a étalé quatre valets, en faisant comme un geste pour aller ramasser les jetons, mais je l’ai dissuadé d’aller plus loin en montrant les quatre pouffiasses. Il est resté quelques secondes sans bouger, comme une statue, puis il s’est énervé, m’accusant d’avoir triché, comme quoi j’aurais sorti la dame de carreau de dessous le paquet. François a tenté de le calmer, mais c’était un sanguin, il n’écoutait que sa colère, quand il est venu sur moi, je lui ai donné un coup de tête un peu violent qui l’a envoyé en arrière. Il a renversé son siège, et puis il est tombé à la renverse ; son crâne a cogné le marbre de la cheminée. On a d’abord cru qu’il était mort. C’était plein de sang, mais il respirait encore. On n’a pourtant pas perdu de temps. Le Grec est allé chercher sa voiture, une 404 beige. Et on a évacué le gars vers l’hôpital de la Conception. Il paraissait tout maigre, mais il pesait une tonne dans les escaliers. Il n’y avait personne dans les rues. Toujours inconscient, on l’a laissé devant le grand portail de la rue Saint-Pierre, puis on a regagné le quartier de l’Opéra et François a été téléphoner au service de garde, des fois qu’on pourrait le sauver. On l’a oublié, mais il a été remis sur pied assez vite, d’après ce qu’on a compris. Un peu après les flics lui sont tombés dessus, sans doute avertis par un urgentiste qui avait trouvé ce curieux paquet devant la porte de l’hôpital. Apparemment, il avait la langue bien pendue, sans doute qu’il avait des bricoles à se reprocher et aussi qu’il m’en voulait. Il m’a balancé.
Les flics m’avaient ramassé et embarqué à l’Evêché. Ils m’avaient bousculé plutôt salement. Je ne suis pas une petite nature, je sais encaisser, j’ai fait de la boxe assez longtemps pour ça. Mais là, ça durait un peu trop et puis j’avais sommeil. Je gardais aussi le souvenir de Paulo qui s’était fait embarquer par les cognes une nuit au Péano et qu’on avait retrouvé deux jours après aux Pierres Plates, le crâne fendu sur les rochers. Le Noir leur avait raconté que j’étais impliqué dans un casse sur le boulevard Périer, dans le quartier chic des consulats, un coup qui ne m’avait pas rapporté des masses. L’histoire avait fait le tour du quartier, parce que Francis avec qui j’étais monté sur l’affaire avait raconté comment on était passé par la fenêtre en escaladant la façade. C’est ce jour-là que j’ai lâché le nom du Grand, presque sans le faire exprès. Dans ce milieu, c’est tout le monde qui balance tout le monde. Je leur ai raconté ce que je savais d’une livraison de morphine qui venait de Turquie par le bateau et qu’ensuite on transformerait en héroïne dans un laboratoire à l’Estaque. Les flics étaient contents et ils m’ont relâché, pensant qu’ils allaient faire un gros coup et que pour mon casse de toute façon ils n’avaient pas de preuves. Et de fait, grâce à mes renseignements, ils ont pu coincer quelques jours plus tard deux mectons à la Joliette, en flagrant délit, avec le produit dans les poches. C’était juste des seconds couteaux qui étaient allé chercher le colibar. Des types qu’on connaissait dans le quartier, dont un nommé Raymond qui était toujours chargé, on le disait tueur à gages, mais allez savoir ! Ils n’ont pas dit un mot, et donc le Grand n’a pas été inquiété. Rapidement il a su, probablement parce qu’il avait des antennes à l’Évêché, que j’avais raconté le peu que je savais et donc ils se sont mis en route pour me rencontrer. C’est ce qu’ils ont fait dire un peu partout dans le quartier. J’ai essayé de joindre des connaissances pour comprendre ce qui se passait. François n’était au courant de rien. Je suis monté voir le vieux Chabaud aux Danaïdes, je lui ai expliqué le quiproquo sans trop rentrer dans des détails dont je n'étais pas fier. II a joué les ignorants comme s’il ne savait pas de quoi je lui parlais.
– Ça va se tasser, m’a-t-il dit, comme si je l’emmerdais avec mes histoires, et qu’il avait hâte que je le lâche.
Tout de même je me méfiais, je préférais rester un peu loin. J’ai récupéré mon flingue chez moi que j’ai glissé sous ma chemise. Puis je me suis pris une autre chambre dans un quartier où je n’allais jamais, à la Belle de Mai, derrière la manufacture des tabacs. Je n’avais rien dit à personne, même pas à Aline. Je devenais un peu parano. J’étais tranquille, le matin j’allais boire mon café en terrasse, à côté de l’église de la rue Loubon en lisant Le Provençal, et je regardais les prolos qui allaient au chagrin, la musette sur le dos, à peine réveillés, mais déjà en bleu de travail plus ou moins douteux.
J’aurais pu rester comme ça encore un petit peu, mais je n’avais plus beaucoup de monnaie devant moi, et puis je m’ennuyais un peu du monde de la nuit. J’ai donc téléphoné à Aline. Ç’a été la galère pour la joindre, je l’ai chopée finalement chez Menconi où elle trinquait avec ses copines. Elle a été étonnée.
– Où tu étais passé ? Tout le monde te cherche partout…
Je lui ai expliqué longuement l’embrouille avec les flics, et comme quoi je craignais pour ma peau. Je n’ai pas dit que j’avais balancé, juste que les flics m’avaient piégé. Elle ne m’a pas coupé, juste elle faisait des « ah », des « merde ». Quand j’ai fini elle m’a demandé ce que j’allais faire. Je n’en savais rien.
– En plus, j’ai dit, j’ai pas un rond… Même pas de quoi prendre un billet de train pour Paris…
On a discuté un petit moment comme ça, sans plus avancer. Elle savait que c’était grave. Elle m’a dit de ne pas m’en faire, que cela allait s’arranger, qu’elle allait réfléchir. Je devais la rappeler le lendemain à la même heure toujours chez Menconi. De lui avoir parlé m’avait fait du bien, comme si elle allait tout remettre d’équerre. C’était l’heure de l’apéro, des mecs, des prolos, qui parlaient fort dans le bistrot tout en se remouillant la meule. Je me suis envoyé un pastis bien tassé, je savais que la nuit serait longue.
Mais tout passe, même le temps. J’ai dormi un petit peu d’un mauvais sommeil entrecoupé de mauvais rêves. J’ai patienté, je n’avais pas trop envie de manger, mais je fumais, beaucoup, beaucoup trop. Je me suis mis à tousser. J’ai traîné comme ça dans le quartier, jusqu’à descendre à Plombières où il y avait cette odeur si particulière de la fabrique de pâtes alimentaires. Le boulevard était encombré comme à l’ordinaire, mais ça m’a fait une distraction de contempler ces embarras de la rue. Je suis allé ensuite me manger un pain bagnat que je ne suis pas arrivé à finir, j’ai bu une bière et je suis retourné dans la ma chambre pour attendre l’heure de téléphoner à Aline. Malgré la tension que je ressentais dans la poitrine, je me suis tout de même endormi. Quand je me suis réveillé, j’avais le corps en sueur et mal à la tête. La lumière basculait légèrement vers des tonalités violines. Je suis rapidement retourné au bistrot de la place. J’ai téléphoné directement depuis le bout du comptoir. J’ai eu Aline assez vite, mais j’entendais mal, il y avait beaucoup trop de bruit autour de moi.
– J’ai vu Fiori, m’a-t-elle dit…
C’était un mec un peu solide, de l’Estaque, un casseur, assez proche du Grand à ce qui se disait. Je savais qui il était, je ne le connaissais pas vraiment, bien que je l’aie croisé quelquefois aux hasards de mes nuits.
– Je lui ai expliqué ton embrouille… Il m’a dit qu’on pouvait discuter.
– On peut lui faire confiance ?
– Oui, je crois, il m’a dit que ce n’était pas trop grave vu que le Grand ne craignait rien pour lui-même…
– Qu’est-ce qu’on fait ?
– Ecoute, tu vas venir à mon hôtel de la rue de la Tour, personne ne saura que tu es avec moi. Tant pis, je n’irai pas travailler. Et demain soir on ira le voir pour régler ces affaires. On se donnera rencart dans un bistrot ouvert où il y a du monde qui passe, tu vois par exemple le bar Pierre, quelque chose comme ça.
C’était la voix de la sagesse. J’ai dit d’accord, tout ce qu’elle voulait. Je suis descendu sur l’Opéra à pied. Je me suis farci la rue de Belle de Mai, le boulevard National et la Canebière qui restait encore très animée. Je suis passée la prendre Chez Elle. Aline s’était perchée sur le tabouret et fumait une Pall Mall en sirotant une Suze. A cette heure, il n’y avait personne, juste le barman, Bernard, qui préparait sa nuit et que j’ai salué. Mais on ne s’est pas attardé. J’avais faim, et puis je ne voulais pas faire des mauvaises rencontres. On est parti sur le port et on a mangé au Cintra où il y avait encore pas mal de monde. J’ai commandé un gros steak et plein de frites. Aline a pris une salade avec des croûtons et des champignons, elle l’a à peine touchée. Elle préférait fumer. Elle m’a regardé de traviole en hochant la tête.
– Comment tu as fait pour te mettre encore dans une merde pareille ?
Qu’est-ce que j’en savais ? C’était bien une question de hasard, si je n’avais pas tiré cette dame de carreau, si le noir ne m’avait pas cherché, s’il ne s’était pas fracassé sur la cheminée. Mais avec des si on referait le monde… J’ai préféré rigoler que me lancer dans des vaines polémiques. Ce n’était pas le moment de s’écharper, j’avais trop besoin d’Aline, et puis quelque part elle n’avait pas tout à fait tort. Je me sentais bien avec elle, même si elle tirait un peu la gueule. Je me disais que j’avais les moyens de la dérider. Même quand elle fronçait les sourcils je la trouvais belle ! Elle a payé l’addition, puis on est remonté rue de la Tour, à son hôtel. Ce n’était pas très coquet, un peu misérable même, mais je me disais que c’était du provisoire, le temps qu’on règle nos petites histoires. Je crois qu’elle m’aimait encore, on a fait l’amour un peu comme des sauvages, assez longtemps malgré la chaleur et nos corps moites et le sommier qui grinçait. C’était là qu’on était le mieux.
Ça faisait des jours que je n’avais pas si bien dormi. On s’est levé assez tard, pour aller prendre le café chez le juif de la place de la Bourse. En grignotant des croissants, on a fait des plans, elle irait téléphoner à Fiori et on le rencontrerait le soir-même. D’abord il fallait que je me change. Aline devait aller chez moi me chercher une chemise et du linge propre. Je lui ai donné les clés et j’ai été me faire raser chez le coiffeur de la rue Haxo, à côté de l’Académie de billard. Je me sentais mieux sous le rasoir expert d’Alfred. J’aimais ses gestes précis, c’était à peine une caresse. Il m’a passé une lotion rafraîchissante sur le visage, ça m’a donné un coup de jeune. Quand je me faisais la barbe j’étais le plus souvent irrité. J’ai ensuite retrouvé Aline à La Samaritaine, je ne comprenais pas pourquoi elle s’était déplacée aussi loin. Elle m’a dit que je l’attende dans la chambre rue de la Tour, le temps qu’elle fixe un rendez-vous. Elle ne s’est pas attardée.
– Je te fais appeler dès que j’ai quelque chose. Ce ne sera pas très long. En attendant tu vas te reposer un peu…
Elle me disait tout ça comme si elle était ma mère. Elle m’a donné mon linge et mes clés, au moins je pourrais me changer. J’ai fait comme elle a dit, je n’avais plus le choix. La chambre retenait les odeurs de la nuit et des draps froissés par nos ébats, malgré les fenêtres ouvertes. Je me suis débarbouillé sur le lavabo avec un vieux morceau de savon qui traînait, j’ai changé de chemise et j’ai balancé mes affaires sales dans un coin de la pièce. Puis je me suis allongé en regardant le plafond, et en fumant des Gitanes. Le temps passait comme ça, rien ne venait. Je commençais à me poser des questions, mais je les étouffais aussitôt qu’elles me traversaient l’esprit, en me rabâchant qu’Aline ne m’avait jamais lâché. Rien n’y faisait, je me sentais comme un vieux paquet abandonné à la consigne. Je me suis assoupi un instant.
C’est un bruit un peu inhabituel qui m’a réveillé. Je les ai entendu monter, des pas lourds sur l’escalier de bois. Ils parlaient bas, mais sans se dissimuler complètement. J’ai compris qu’Aline était avec eux à cause du bruit de ses talons, et que c’est elle qui les avait guidés. J’avais mon flingue sur le dessus de la table de nuit, mais j’étais fatigué, et je me suis dit que ça n’en valait plus la peine.
« Dans la nuit du 12 au 13 juillet, le cadavre d’un homme âgé de vingt-cinq ans a été trouvé dans une chambre d’hôtel de la rue de la Tour. L’homme, bien connu des services de police, a été apparemment étranglé dans son sommeil. Personne n’a rien vu, ni rien entendu. L’enquête se poursuit. »
Le Provençal, 14 juillet 1967
Diego Buenavista accompagna sa fille Camille à l’école du quartier où elle achevait son CP et tranquillement, comme chaque matin, il alla s’installer à la terrasse de La Samaritaine qui regarde la rue de la République se jeter dans le Vieux-Port.
Le plus grand plaisir de sa journée, lorsqu’il était de repos, consistait à boire à petites gorgées son premier café en lisant dans La Provence d’abord la page « Société », les faits divers, se réservant comme un dessert celle entièrement consacrée à l’OM. Le championnat touchant à sa fin et les Marseillais étant seconds à un point seulement de Metz, le suspense devenait vertigineux. Le moindre petit ligament douloureux le long de la jambe d’un joueur devenait un événement. Un mois plus tôt le genou de Laurent Blanc, le capitaine, avait coupé la respiration de toute la ville durant une semaine avant la rencontre au Vélodrome contre Bastia.
Diego Buenavista apprit ce jour-là dans le journal que le lendemain samedi les Marseillais seraient au grand complet pour affronter l’équipe du show-biz, c’est à dire Paris.
Aucune menace de suspension et autres déchirures musculaires ou élongations ; il poussa un long soupir de soulagement, avala la dernière goutte de son café et regarda en souriant les dix mille barques blanches et bleues danser dolemment au soleil. Marseille à neuf heures du matin sur le Vieux-Port, à la veille du plus fracassant choc de l’année était de loin la plus belle ville du monde. Blonde, excessive, passionnée.
Depuis que sa femme était morte sans prévenir, trois ans plus tôt, Diego Buenavista habitait seul avec sa fille. Dans cette ville où il avait grandi, hormis une poignée de cousins dispersés aux quatre coins des banlieues, cet homme de quarante neuf ans, timide et doux, ne vivait que pour elle, Camille, qu’il trouvait plus belle et malicieuse que le jour et la nuit réunis.
Ils faisaient tout ensemble comme deux amoureux. Ils allaient au cinéma et au restaurant en se tenant par la main, au stade dans le virage Nord et l’été à la plage des Catalans ou sur les pierres plates du Fort Saint-Jean. Elle grimpait sur son dos, s’agrippait à son cou et pendant des heures ils nageaient ainsi, Diego était aux anges, sa fille sur son dos il se sentait d’atteindre la Corse. Elle le faisait rire aux éclats et il buvait l’eau épaisse de la passe, comme il l’avait fait enfant dès les premières tiédeurs d’avril, chaque jour au lieu d’aller à l’école.
Toute la ville les voyait passer ainsi, lui toujours un peu courbé vers elle, attentif à ses moindres frayeurs, ses moindres désirs. Lorsqu’ils traversaient une rue il serrait un peu plus fort la main de la fillette, jetant de noirs regards aux motos rugissantes.
La sensation de bonheur que venait de provoquer au plus profond de son corps la page du journal, le parfum du café et la pureté matinale du soleil fit surgir en lui le souvenir d’un autre instant inoubliable : l’un des premiers dimanches du printemps ils étaient partis tous les deux en voiture sillonner l’arrière-pays. A midi ils avaient pique-niqué contre le mur tiède d’un petit cimetière perdu dans les derniers champs de lavande qui montent vers le Contadour.
Camille s’était ensuite amusée à lire à haute voix les noms gravés sur chaque plaque de marbre à côté des regrets. Elle avait aperçu au fond du cimetière une pierre tombale rongée de mousse et d’herbes folles, depuis longtemps abandonnée. Elle était allée choisir une rose rouge devant un tombeau de marbre noir flambant de fleurs fraîches. Attendri, Diego l’observait.
La petite fille avait déposé la rose sur la tombe oubliée et revenue vers son père lui avait demandé :
« Papa, pourquoi c’est si beau une rose ? »
Il n’avait su que répondre. Alors l’enfant avait ajouté :
« C’est parce que tu existes papa. »
Les larmes lui étaient montées aux yeux.
Diego Buenavista fit signe au garçon, régla son café et s’éloigna le cœur empli de bonheur triste et la gorge serrée. Il se languissait déjà cinq heures moins le quart où il pourrait enfin la serrer dans ses bras à la sortie de l’école et la ramener à la maison pour goûter les yeux dans les yeux.
Comme chaque fois qu’il avait un peu de temps, il flâna le long des barques, salua quelques vieux marins au visage brûlé qui l’avaient vu grandir, se laissa griser par une odeur de goudron, d’iode et de peinture, tourna juste avant la mairie vers l’Hôtel-Dieu.
Il emprunta l’escalier des Accoules et comme toujours s’arrêta un instant devant le n°13. La maison de son enfance était maintenant ocre rose. Pendant vingt ans il l’avait connue noire. Par la rue du Poirier il regagna le passage de Lorette, acheta deux tranches de foie de veau pour le soir, traversa la rue de la République et monta chez lui, au 13.
« Je suis l’homme du 13, songea-t-il pour la centième fois, il ne faut pas que nous déménagions, ce chiffre nous porte bonheur. »
Il ne pensait jamais « je », il pensait « nous ». Le jour où sa fille quitterait la maison n’existait pas ; il n’avait qu’une angoisse, mourir avant qu’elle ne soit grande.
Un homme était immobile devant sa porte, en costume cravate. Son teint de lys éclairait presque l’obscurité du couloir.
- Monsieur Buenavista ?
- Oui.
- Monsieur Trille, huissier du Trésor, je vous attendais.
- Moi ?
L’homme au teint de lys ouvrit un attaché-case de cuir noir.
- Je ne vous apprendrai rien en vous disant que vous devez la somme de cinquante huit mille francs à la maison de retraite dans laquelle votre père est resté six ans.
Le sang quitta le visage de Diego Buenavista ainsi que les chaudes premières couleurs du printemps.
- Cinquante huit.......
- Oui, votre père est décédé il y a deux ans et vous n’avez toujours pas réglé ce qu’il devait à la maison de retraite, soit la somme de...
- Mais puisqu’il est mort ! le coupa Buenavista qui n’avait aucune envie d’entendre une seconde fois ce chiffre assourdissant.
- Cela ne change rien à la dette, lorsque les parents ne sont pas en mesure de payer ce devoir incombe aux enfants. Je n’y suis pour rien Monsieur, c’est la loi. Cela s’appelle le droit aux aliments.
- Le droit aux aliments... bredouilla Diego. Et ma fille qui doit grandir, c’est vous qui allez les payer ses aliments ?
En prononçant ces paroles Buenavista s’effara lui-même. Cet homme en costume cravate était venu pour affamer non pas ce qu’il avait de plus cher, mais la seule chose au monde qui lui restât.
Sa vue se brouilla.
L’huissier lui tendit un imprimé.
- Si vous voulez bien signer ici.
- Et si je ne signe pas ? articula difficilement Buenavista.
- Je me verrais dans l’obligation de bloquer immédiatement votre compte en banque.
Cette fois c’est tout le cerveau du brave homme qui se brouilla. Ses mains se mirent à vibrer.
L’huissier lui proposa un stylo.
Buenavista le considéra un instant et une rage immense, bestiale, dévastatrice submergea tout son corps, chacun de ses muscles jusqu'à la plus infime de ses cellules. Jamais depuis qu’il était né Diego Buenavista n’avait été envahi par une quantité aussi colossale de haine. Avait-il une seule fois connu la haine ? Chaque habitant du quartier pouvait témoigner de l’infinie tendresse avec laquelle il élevait sa fille, il ne manquait pas non plus une occasion de rendre service, aidant tel épicier à rentrer ses cageots le soir et ses voisines, jeunes ou âgées, à monter leur cabas. Non, la haine n’était pas dans le corps de cet homme ou alors elle était tapie en chacun de nous. Comment parler alors des bons et des méchants ?
« Il veut me tuer ma fille », pensa-t-il. Mais il prononça :
« Je vais chercher mon stylo, je préfère. »
Il entra dans son appartement, vagua dans les trois pièces modestes sans savoir ce qu’il cherchait, ouvrit plusieurs tiroirs, fut soudain ébloui par la lame de son couteau à découper le rôti. Ses doigts se refermèrent sur le manche noir.
La main derrière le dos il ressortit. L’huissier n’avait pas bougé, il tenait sur son bras gauche l’attaché-case ouvert, dans sa main droite l’imprimé condamnant la petite à la famine.
Si Diego Buenavista n’était pas revenu dans le contre jour que créaient dans son dos les fenêtres de son appartement, l’huissier du Trésor aurait certainement vu la folie danser dans ses yeux. Il ne vit rien danser, c’est ce qui le perdit.
Avec toute la force de son amour pour Camille, Diego Buenavista plongea la lame dans le nombril de l’huissier, jusqu'à la garde. Avec tout le poids de son amour il pesa sur le manche. La lame de dix-huit centimètres se dressa vers le sternum, tranchant net l’aorte.
L’huissier ouvrit une ronde bouche, rota, abandonna l’idée de faire signer quoi que ce soit, fut parcouru de soubresauts respiratoires et tomba dans les pommes avec mallette et imprimé. Trente secondes plus tard il n’était plus de ce monde.
Diego Buenavista ne prit pas le temps de tendre l’oreille vers les profondeurs de l’immeuble, il agrippa l’huissier par le col du veston et le traîna jusque dans sa cuisine. Après avoir refermé la porte à clé, il le retourna sur le dos et retira le couteau. Une fleur de sang explosa sur la chemise du mort et s’y épanouit.
Le père de Camille était si secoué qu’il prit dans le placard une bouteille de 51. Celle-ci n’était même pas entamée, depuis la mort de sa femme il n’avait plus bu une seule goutte d’alcool, uniquement de l’eau et du Coca avec sa fille.
Il avale d’un coup trois pastis devant le robinet de l’évier. Alors seulement il put réfléchir un instant.
« Il est dix heures, se dit-il, il faut qu’à cinq heures moins le quart ce type soit sorti de la maison, la petite arrive. »
Il se servit un quatrième pastis et alla chercher sa boîte à outils. Il déshabilla complètement l’huissier. Le corps glabre ne trahissait pas ce teint frais de jeune fille. Avec le couteau-scie il s’attaqua au bras. L’humérus résista . Il résista moins avec la scie à métaux dont les dents plus fines glissaient dans l’os.
Tout en sciant il parlait à haute voix pour s’entendre :
« Il faut que je te sorte en petits morceaux et que je t’emporte à Dache. Tu vois, tu m’impressionnes pas. Je perds pas mon sang-froid moi ! »
Le bras céda. Il coupa au couteau tous les ligaments de l’articulation du coude et la cassa sur son genou avec un bruit de branche. Il pensa aux flambées de l’automne. Pour sectionner le poignet il saisit carrément sa petite hache.
A chaque tronçon il buvait un pastis. Brusquement, tenant la bouteille dans sa main poisseuse de sang il eut une idée: « Je vais boire cinquante et un verres de 51 et je ferai 51 morceaux. »
Cette pensée l’illumina. « Et un 51 pour l’huissier, un ! » lança-t-il.
Sa crise de folie était maintenant bien épaulée par l’alcool.
Il s’attaqua à l’autre bras. Il prenait l’habitude.
Dans la cheville il fit un véritable carnage à la hache. Il reprit la scie à métaux et coupa le tibia. Il fit ensuite péter la rotule au ciseau à bois car celle-ci roulait sous les dents. Puisqu’il y était il entreprit directement l’autre rotule.
« Tu pourras peut-être pas jouer demain soir contre l’OM, ricana-t-il, petit problème de ligaments... »
Le liquide synovial se répandit.
Diego Buenavista glissa et s’étala sur le dos.
« Putain d’huissier ! » lâcha-t-il. Il se redressa trempé de sang et se resservit deux pastis, un pour chaque rotule.
En haut de la cuisse il sectionna les adducteurs. Tenant à pleins bras cette cuisse il l’écarta du corps et déboîta l’articulation de la hanche. Il découpa ensuite les muscles de la fesse et jeta sous la table ce lourd tronçon. Il répéta l’opération sur l’autre cuisse.
Maintenant Buenavista était tout à fait ivre. Il ne pouvait pas faire un pas sans glisser dans le liquide articulaire et le sang. Il avala sans eau son vingtième pastis avant de s’acharner sur le cou. Tous les outils y passèrent : hache, scie, couteau. Il s’aida pour les vertèbres du tournevis et du marteau. Lorsqu’il coupa la trachée l’huissier émit un râle épouvantable suivi d’un jet d’écume blanche. Le sang jaillit de la carotide. Enfin la tête céda.
Buenavista shoota dans ce ballon. La tête de l’huissier alla s’encastrer sous le buffet.
« Droit au but ! » hurla-t-il, comme il l’avait fait des centaines de fois avec sa fille dans le virage nord.
« OM un, PSG zéro ! »
Il aiguisa son couteau à l’aide du fusil et trancha sexe et bourses en trois parties. Il s’envoya trois pastis au goulot.
« A la santé de ta femme, con de Parisien ! »
Et il explosa de rire. Il lança le sexe de l’huissier à travers la cuisine. Celui-ci vint frapper le Brésil sur le globe terrestre de sa fille posé sur le frigo et retomba mollement sur les tomettes.
Il ouvrit alors le ventre de l’homme de loi, du pubis au sternum et en sortit à pleine mains les paquets de viscères. Les intestins lui filèrent dans les doigts pareils à de longs poissons noirs et se répandirent autour de lui.
Il arracha en plein délire le foie et la rate, scia le sternum et écarta les côtes.
« Puisque tu as pas de cœur, lui dit-il, pas la peine que je cherche. »
Il sectionna les vaisseaux qui pissèrent comme des tuyaux d’arrosage.
Diego Buenavista dégoulinait de sang. Pour enlever la sueur qui brûlait ses yeux il passait le revers de ses mains sans cesse sur son visage vermeil. Le goût fade du sang se mêlait dans sa bouche à celui de l’anis.
Il alla récupérer la tête sous le buffet, shoota une nouvelle fois en dansant « Ce soir je te fous le feu ! ». Rouge des pieds aux cheveux il riait comme un dément dans un ballet macabre.
A l’aide d’une petite cuillère il fit sauter les yeux de leur orbite et joua un instant aux billes à quatre pattes sous la table.
Lui qui avait été le plus doux des pères, le meilleur des hommes venait en quelques instants de se métamorphoser en créature effrayante. Le délire d’alcool et de sang atteignait son paroxysme. Il trancha une oreille, la plaqua sur sa bouche.
« Tu commences à te faire du mauvais sang hein... Je signerai pas, tu m’entends ! Je signerai rien du tout ! »
Il tenta de déchirer l’oreille avec ses dents. Il n’était plus qu’un monstre de sang, glissant dans une mare de viande et de viscères.
Il aperçut la bouteille de 51, se l’enfonça dans la gorge et la vida d’un trait.
Quelques instants plus tard Diego Buenavista s’abattit sur son carnage, sombra dans un coma éthylique et mourut une heure plus tard.
* * *
A cinq heures moins le quart la petite Camille colla son front contre la grille du portail de l’école, fut étonnée de ne pas apercevoir son papa qui arrivait toujours dix minutes en avance. Lentement le flot d’enfants s’écoula, se dispersa joyeusement dans la ville. Quelque chose de violent traversa son cœur et elle commença à attendre.