LE CHASSEUR DE PLANTES - CAPTAIN MAYNE REID - E-Book

LE CHASSEUR DE PLANTES E-Book

Captain Mayne Reid

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Beschreibung

Thomas Mayne Reid (4 Avril 1818-22 Octobre 1883) est un romancier américain d'origine irlandaise. Un grand nombre de ses livres évoquent la vie en Amérique, par le biais des trappeurs, ou des chasseurs, les territoires sauvages, les indiens, où les propriétés coloniales vivant de l'exploitation des esclaves.

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Captain Mayne Reid

LE CHASSEUR DE

PLANTES

1857

Traduction : Mme Henriette LOREAU

Table des matières

I UN CHASSEUR DE PLANTES..............................................6

II KARL LINDEN....................................................................11

III GASPARD, OSSARO ET FRITZ ....................................... 15

IV EST-CE DU SANG ? .......................................................... 19

V LES OISEAUX PÊCHEURS ...............................................26

VI LE TÉRAÏ .......................................................................... 31

VII MISE EN PERCE DU PALMIER .....................................36

VIII LE SAMBOUR ............................................................... 40

IX UN MARAUDEUR NOCTURNE ......................................44

X QUELQUES MOTS SUR LES TIGRES ..............................50

XI UN TIGRE PRIS À LA GLU ..............................................53

XII UN RADEAU PEU COMMUN ........................................59

XIII LA PLUS GRANDE HERBE QU’IL Y AIT AU MONDE 65

XIV LES MANGEURS D’HOMMES ......................................70

XV ATTAQUE DU MANGEUR D’HOMMES ........................ 73

XVI AVENTURE DE KARL AVEC UN OURS AUX

GRANDES LÈVRES............................................................... 80

XVII OSSARO DANS UNE POSITION CRITIQUE ..............85

XVIII L’AXIS ET LA PANTHÈRE ........................................ 88

XIX LE FLÉAU DES TROPIQUES ........................................95

XX LE PORTE-MUSC..........................................................100

XXI LE GLACIER.................................................................104

XXII LE GLISSEMENT DU GLACIER................................ 110

XXIII LES TROIS CHASSEURS À LA RECHERCHE D’UN

PASSAGE ...............................................................................114

XXIV LA VALLÉE SOLITAIRE ........................................... 118

XXV LES VACHES GROGNANTES .................................... 122

XXVI LE YAK ....................................................................... 128

XXVII BOUCANAGE DE LA VIANDE ................................ 132

XXVIII LA SOURCE D’EAU CHAUDE ............................... 136

XXIX DÉCOUVERTE ALARMANTE ..................................140

XXX PROJET D’ÉVASION .................................................. 144

XXXI LA CREVASSE EST MESURÉE ................................ 148

XXXII LA CABANE.............................................................. 153

XXXIII LE CERF ABOYEUR ............................................... 157

XXXIV L’ARGUS ................................................................. 163

XXXV TOUJOURS À LA RECHERCHE DES YAKS ........... 166

XXXVI SUITE DE LA CHASSE DE GASPARD................... 170

XXXVII FACE À FACE AVEC UN TAUREAU FURIEUX... 174

XXXVIII SUITE DE L’AVENTURE DE GASPARD............. 179

XXXIX LE SÉROU ...............................................................186

XL OSSARO ATTAQUÉ PAR LES CHIENS SAUVAGES.....191

XLI VENGEANCE D’OSSARO ............................................ 197

– 3 –

XLII LA PASSERELLE ....................................................... 202

XLIII PASSAGE DE LA CREVASSE....................................207

XLIV NOUVELLES ESPÉRANCES ..................................... 212

XLV NOUVELLE INSPECTION DE LA FALAISE .............. 218

XLVI SUITE DE L’EXPLORATION DE KARL....................222

XLVII KARL SUR LE REBORD DU ROCHER ...................227

XLVIII L’OURS DU THIBET.............................................. 230

XLIX DESCENTE DE LA CORNICHE ................................233

L UN MONSTRE MYSTÉRIEUX........................................ 238

LI LE BANG ......................................................................... 241

LII LE FILET EST POSÉ......................................................246

LIII SUITE DE LA PÊCHE D’OSSARO ...............................250

LIV GASPARD ÉPROUVE LE BESOIN D’AVOIR DE LA

GRAISSE D’OURS ................................................................254

LV CHASSE À L’OURS ........................................................259

LVI COMBAT .......................................................................266

LVII AU MILIEU DES TÉNÈBRES .................................... 268

LVIII SÉJOUR DANS LA CAVERNE ..................................272

LIX EXPLORATION DE LA CAVERNE.............................. 275

LX CONSERVE DE VIANDE D’OURS ................................279

LXI RÊVE............................................................................ 283

LXII ESPÉRANCE .............................................................. 286

LXIII LUMIÈRES AU MILIEU DES TÉNÈBRES .............. 290

– 4 –

LXIV CONCLUSION............................................................295

– 5 –

I

UN CHASSEUR DE PLANTES

« Qu’est-ce qu’un chasseur de plantes ? Nous avons bien

entendu parler des chasseurs de lions, d’ours, de renards, de

buffles, de chasseurs d’enfants, mais jamais d’un chasseur de

plantes.

– Attendez-donc ! j’y suis : les truffes sont des végétaux, on

emploie des chiens pour les trouver, et celui qui les recueille

prend le nom de chasseur de truffes ; c’est peut-être cela que

veut dire le capitaine.

– Non, cher enfant, vous n’y êtes pas ; mon chasseur de

plantes n’a rien de commun avec celui qui fouille la terre pour y

chercher des truffes. Sa mission est plus noble que celle de

contribuer simplement à flatter les caprices de la gourmandise.

Toutes les nations civilisées tiennent du chasseur de plantes des

richesses et des bienfaits sans nombre : vous-mêmes, enfants,

vous lui devez bien des jouissances, et il a droit aux élans de vo-

tre gratitude. C’est grâce à lui que vos jardins offrent un aspect

si brillant et si varié ; la pivoine éclatante, les dahlias aux vives

couleurs qui composent les massifs, l’élégant camélia, que vous

admirez dans la serre, les rhododendrons, les géraniums, les

kalmias, les jasmins, les azalées, et mille autres fleurs qui déco-

rent vos parterres, vous ont été données par le chasseur de plan-

tes. C’est grâce à son courage et à sa persévérance que la froide

et brumeuse Albion possède aujourd’hui plus d’espèces de fleurs

que les contrées les plus favorisées du globe, et que les plantes

de ses collections nombreuses surpassent en beauté celles qui

– 6 –

font la gloire de la vallée de Cachemire. Une grande partie des

arbres qui embellissent le paysage, la plupart des arbustes qui

forment nos bosquets, et que nous regardons avec tant de plai-

sir de la fenêtre de nos maisons de campagne, nous ont été rap-

portés par le chasseur de plantes. Sans lui nous n’aurions jamais

goûté à la plupart des fruits et des légumes dont nos tables sont

couvertes et qu’il a rapprochés de nos lèvres ; ayons donc pour

ses travaux toute la reconnaissance qu’ils méritent.

« Et, maintenant, je vais vous dire ce que j’entends par un

chasseur de plantes : c’est un homme dont la profession

consiste à recueillir des fleurs et des plantes rares ; en un mot,

un homme qui consacre à cette occupation tout son temps et

toute son intelligence. Ce n’est pas ce qu’on appelle un botaniste

pur et simple, bien qu’il soit indispensable qu’il connaisse la

botanique. Jusqu’à présent, on l’a désigné sous le nom de bota-

niste collecteur. Mais, en dépit du rang modeste qu’il occupe

aux yeux du monde scientifique, et malgré la supériorité

qu’affecte à son égard le savant de cabinet, j’ose affirmer que le

plus humble de ces collecteurs de plantes a rendu plus de servi-

ces au genre humain que le grand Linnée lui-même. Ce sont des

botanistes d’une véritable valeur, ceux-là qui non-seulement

nous ont fait connaître les richesses du monde végétal, mais

encore nous en ont apporté les échantillons les plus rares et

nous ont fait respirer des fleurs qui, sans eux, seraient restées

inconnues et verseraient inutilement leurs parfums au désert.

« Ne croyez pas, toutefois, que je veuille rabaisser le mérite

incontestable des hommes éminents qui s’occupent de théorie

botanique ; je suis bien loin d’en avoir l’intention ; mais je dé-

sire mettre en lumière des services que le monde, suivant moi,

n’a pas suffisamment appréciés ; services que lui a rendus et que

lui rend encore chaque jour le collecteur botaniste, que nous

appelleronschasseur de plantes.

– 7 –

« Il est possible, même, que vous n’ayez jamais su qu’il

existât une pareille profession ; et pourtant il s’est trouvé des

hommes qui l’ont suivie, dès l’enfance des sociétés humaines.

Dans le siècle de Pline, il y avait de ces collecteurs qui enrichis-

saient les jardins d’Herculanum et de Pompéi. Les mandarins

chinois, les sybarites de Delhi et de Cachemire avaient à leur

service des chasseurs de plantes à une époque où nos ancêtres,

encore à demi barbares, se contentaient des fleurs sauvages de

leurs forêts natales. En Angleterre même, la profession de col-

lecteur de plantes est bien loin d’être nouvelle ; son origine re-

monte à la découverte de l’Amérique, et les Tradescant, les Bar-

tram, les Catesby, qui furent de véritables chasseurs de plantes,

occupent un rang vénéré dans les annales de la botanique. C’est

à eux que nous devons les tulipiers, les magnolias, les érables,

les platanes, les acacias, et une foule d’autres arbres que nous

admirons dans nos futaies et qui se partagent maintenant, avec

nos espèces indigènes, le droit d’occuper notre territoire.

« Mais à aucune époque le nombre des chasseurs de plan-

tes n’a été aussi grand qu’aujourd’hui. Croiriez-vous qu’il y a des

centaines d’individus qui, à l’heure où nous sommes, parcourent

le monde afin de remplir les devoirs de cette noble et utile car-

rière ? Toutes les nations de l’Europe sont représentées parmi

eux : les Allemands s’y trouvent en plus grand nombre ; mais on

y compte des Suédois aussi bien que des Russes, des Français,

des Danois, des Anglais, des Espagnols, des Portugais, des Suis-

ses, des Italiens. On les rencontre s’acquittant de leur mission,

dans tous les coins de la terre : au fond des gorges les plus dé-

sertes des montagnes Rocheuses, au milieu des prairies sans

limites, dans les vallées profondes des Cordillères, au sein des

forêts inextricables de l’Amazone et de l’Orénoque, dans les

steppes de la Sibérie, les jungles du Bengale, au versant glacé de

l’Himalaya ; enfin dans tous les lieux sauvages ou l’inconnu les

attire et où la solitude leur promet de nouvelles richesses végé-

tales, Errant sans cesse, le regard attaché sur chaque feuille,

examinant chaque plante, gravissant les montagnes, parcourant

– 8 –

les vallées, escaladant les rocs, traversant les marécages, pas-

sant à gué les torrents, se frayant un chemin au milieu des four-

rés épineux, dormant en plein air, souffrant de la faim, de la

soif, le chasseur de plantes ne brave pas seulement l’ardeur du

soleil ou l’âpreté de la bise, il expose sa vie au milieu des bêtes

féroces et des hommes, parfois plus cruels que les bêtes.

« Figurez-vous maintenant les obstacles qu’il surmonte et

les épreuves qu’il subit.

« Mais quel motif, me direz-vous, peut déterminer ces

hommes à choisir une profession qui offre à la fois tant de misè-

res et de périls ?

« Cela dépend ; les motifs sont variés : quelques-uns sont

entraînés par l’amour de la science, les autres par la passion des

voyages ; il en est qui sont envoyés au loin par de nobles patrons

ou de savants florimanes. Un grand nombre est chargé de faire

de nouvelles découvertes pour les jardins publics et royaux ;

enfin, quelques autres, d’un nom plus obscur ou possédant des

ressources plus limitées, sont aux gages de certains pépiniéris-

tes, et n’en ont pas moins de zèle pour leur profession chérie.

« Vous seriez-vous imaginé que cet homme grossièrement

vêtu, qui demeure au bout de la ville, dans une maison bien

noire et chez qui vous achetez vos oignons de tulipes et de jacin-

thes, vos griffes de renoncules et vos graines de reines-

marguerites, avait à sa solde un état-major de botanistes, oc-

cupés sans cesse à fouiller le monde dans tous les sens, afin de

découvrir un arbre ou une fleur qui puissent charmer nos yeux

ou accroître nos richesses ?

« Ai-je besoin de vous répéter que la vie de ces botanistes

est remplie d’aventures périlleuses ? Vous en jugerez vous-

mêmes lorsque vous aurez lu quelques-uns des chapitres sui-

vants, où vous trouverez une partie des dangers qui assaillirent

– 9 –

un jeune chasseur de plantes nommé Karl Linden, pendant une

expédition qu’il fit dans la chaîne gigantesque des monts Hima-

laya. »

– 10 –

II

KARL LINDEN

Notre chasseur de plantes était bavarois. Né sur les confins

de la haute Bavière et du Tyrol, Karl était loin d’avoir une illus-

tre origine, car son père était simplement jardinier ; mais il

avait été bien élevé et possédait une instruction profonde, ce

qui, à l’époque où nous vivons, a plus de valeur que tous les ti-

tres de noblesse. Le fils d’un jardinier, un jardinier lui-même,

1

peut être un gentleman , car ce titre, qui est parfois si mal porté,

a plusieurs acceptions, et Karl Linden se montrait gentleman

dans le véritable sens du mot : il était bon, généreux, plein de

délicatesse et d’honneur ; il possédait, malgré son humble nais-

sance, une éducation parfaite ; son père, qui ne savait même pas

lire, avait l’esprit ambitieux, il connaissait par expérience com-

bien il est fâcheux de ne rien savoir, et il avait résolu d’épargner

à son fils le malheur d’être ignorant.

L’instruction est considérée, dans la plus grande partie de

l’Allemagne, comme un bienfait inappréciable : on y recherche

avec ardeur tous les moyens d’apprendre qui sont mis généreu-

sement à la portée de tout le monde, et les Allemands sont peut-

être les hommes les plus instruits de l’univers. Ils joignent à un

savoir étendu l’énergie patiente et laborieuse du travailleur, et

1

Gentleman,qui littéralement signifie gentilhomme, ne désigne

pas seulement en Angleterre l’individu qui possède un titre ; on le donne

à tous ceux dont l’éducation a développé l’intelligence, élevé les senti-

ments, adouci les manières ; et son véritable équivalent en français est la

qualification d’homme distingué, comme il faut, instruit et bien élevé.

(Note du traducteur.)

– 11 –

c’est à cela qu’ils doivent la place qu’ils ont acquise dans les arts

et dans les sciences. Je ne veux pas dire que la nation allemande

soit la plus intelligente de toutes les nations de l’Europe, mais

seulement l’une des plus instruites.

Arrivé à l’âge de dix-neuf ans, Karl Linden trouva que son

pays ne jouissait pas d’une liberté suffisante. Il se jeta dans une

de ces conspirations enthousiastes et mal combinées qu’ourdis-

sent de temps à autre les étudiants allemands.

Bientôt exilé à Londres, ou plutôt réfugié, comme on dit

aujourd’hui, Karl Linden se demanda ce qu’il allait devenir ; sa

famille n’était pas assez riche pour lui envoyer de l’argent ;

d’ailleurs, son père n’approuvait pas sa conduite et le traitait de

rebelle. Karl n’avait donc rien à espérer des siens, du moins jus-

qu’à l’époque où la mauvaise humeur de son père serait complè-

tement apaisée.

Mais d’ici là comment faire ? Notre exilé trouvait

l’hospitalité anglaise un peu froide ; il était libre, mais cela si-

gnifiait qu’il pouvait se promener dans les rues et y mendier son

pain.

Heureusement qu’il s’avisa d’une ressource à laquelle tout

d’abord il n’avait pas songé. Il lui était arrivé plusieurs fois de

travailler au jardin avec son père ; il savait bêcher, planter, se-

mer, ratisser ; il connaissait la taille des arbres et la manière de

propager les fleurs, il était au courant de tous les soins qu’il faut

donner à l’orangerie, à la serre chaude, et entendait à merveille

la confection des couches ; il possédait en outre des connaissan-

ces très-étendues sur les plantes, dont il savait le nom, les carac-

tères, les propriétés : il avait eu l’occasion de s’en instruire de

très-bonne heure chez un homme fort riche, dont son père

cultivait les jardins ; et depuis lors, ayant pris goût à cette étude

attrayante, il était devenu un savant botaniste.

– 12 –

Il pensa donc qu’il pourrait trouver de l’ouvrage comme

garçon jardinier ; cela vaudrait toujours mieux que de vagabon-

der par les rues et de mourir de faim, au milieu des richesses

dont il était environné.

Bien résolu de mettre ce projet à exécution, notre jeune ré-

fugié alla frapper à la grille de l’un de ces magnifiques jardins-

pépinières qui sont si nombreux à Londres : il raconta son his-

toire, et fut immédiatement employé.

L’intelligent propriétaire du jardin où travaillait Karl ne fut

pas longtemps sans découvrir les connaissances que possédait le

jeune Bavarois ; il avait besoin d’un botaniste plein de zèle et de

savoir, et Karl était précisément l’individu qu’il lui fallait. De

nombreux chasseurs de plantes parcouraient pour son compte

l’Amérique du Nord et celle du Sud, l’Afrique et l’Australie ;

mais il désirait se procurer des fleurs de l’Himalaya, dont on se

préoccupait beaucoup, en raison des admirables végétaux que

venaient de découvrir, dans ces montagnes, les voyageurs Royle

et Hooker.

Depuis quelque temps on avait décrit les pins magnifiques,

les arums, les différentes espèces de bambous, les magnoliers et

les rhododendrons qui croissent dans les vallées de l’Himalaya ;

un certain nombre étaient déjà même parvenus en Europe ; ces

plantes faisaient fureur, et notre pépiniériste cherchait un jeune

homme instruit et courageux qu’il pût envoyer dans les Indes.

Ce qui rendait encore ces arbres splendides plus précieux

et plus intéressants pour tout le monde, c’est qu’originaires

d’une contrée qui, par reflet de son élévation, possède une tem-

pérature analogue à celle du nord de l’Angleterre, ils pouvaient

supporter facilement les intempéries de notre climat.

Plus d’un chasseur de plantes fut donc, à cette époque,

chargé d’explorer la chaîne des Alpes indiennes, qui, par son

– 13 –

étendue, offre un champ sans limites aux plus vastes découver-

tes ; et parmi ces chasseurs de plantes se trouvait Karl Linden,

le héros de notre histoire.

– 14 –

III

GASPARD, OSSARO ET FRITZ

Un navire anglais transporta notre chasseur de plantes à

Calcutta, d’où ses bonnes jambes le conduisirent au pied de

l’Himalaya. Il aurait pu employer, pour s’y rendre, une foule

d’autres moyens ; car je ne crois pas qu’il y ait de pays au monde

où l’on ait autant de manières différentes de voyager que dans

l’Inde ; mais les fonds dont Karl Linden pouvait disposer

n’étaient pas ceux du trésor public : c’était l’argent d’un particu-

lier, et ses appointements étaient assez minimes. Toutefois ce

n’était pas une raison pour que ses découvertes en fussent

moins importantes. Plus d’une expédition pompeusement orga-

nisée est revenue sans avoir fait autre chose que de gaspiller à

tort et à travers les sommes considérables qui lui avaient été

allouées, tandis que les voyages les plus remarquables, en fait de

découvertes, ceux qui ont le plus contribué aux progrès des

sciences et de la géographie, ont été faits avec la plus grande

simplicité de moyens ; l’exploration des côtes septentrionales de

l’Amérique, par exemple, après avoir coûté des sommes énor-

mes et la vie de tant de braves marins, ne s’est exécutée que par

la compagnie de la baie d’Hudson, qui, pour obtenir ce résultat,

n’a eu besoin que de l’équipage d’une barque, et a dépensé

moins d’argent pendant toute la durée du trajet, que nos vais-

seaux qui l’avaient précédée dans cette voie n’en absorbaient en

huit jours.

Notre chasseur de plantes voyage donc de la façon la plus

modeste ; pas d’équipement dispendieux, pas d’escorte inutile,

d’animaux ni de valets. Il se dirige à pied vers les monts de

– 15 –

l’Himalaya et compte bien les gravir et traverser leurs vallées

rocailleuses, sans avoir recours à d’autres porteurs que ses jam-

bes infatigables.

Cependant il n’est pas seul : Karl est accompagné de son

frère Gaspard, l’être qu’il aime le mieux au monde, de Gaspard

qui a été le rejoindre en exil, et qui partage maintenant ses tra-

vaux et ses dangers.

Il y a peu de différence entre eux sous le rapport de la taille,

bien que Gaspard ait deux années de moins que son frère ; mais

l’étude n’a pas entravé sa croissance ; il arrive de ses montagnes,

et son corps vigoureux, son teint frais et vermeil, contrastent

vivement avec la pâleur et les formes grêles du botaniste.

Le costume des deux frères est en rapport avec leurs habi-

tudes et leur physionomie. Karl est vêtu des couleurs sombres et

de l’habit du savant, tandis que sa tête est couverte du chapeau

des patriotes. La toilette de Gaspard est beaucoup moins sé-

rieuse ; il porte un frac vert, une casquette de la même nuance,

un pantalon de velours marron se boutonnant sur le côté, et des

bottes à la Blücher.

Tous les deux sont armés d’un fusil et pourvus de divers

objets qui forment l’équipement du chasseur. Le fusil de Gas-

pard est une canardière à deux coups ; celui du botaniste, une

longue carabine qui porte le nom deyagerouchasseur suisse.

Gaspard a passé sa vie à chasser. À peine sorti de l’enfance,

il a fréquemment suivi le chamois sur les cimes vertigineuses

des Alpes tyroliennes. Il est peu lettré, car il n’est pas resté long-

temps à l’école ; mais il serait difficile de rencontrer un tireur

plus habile. Joyeux et brave, Gaspard a la vue perçante, l’oreille

fine, le coup d’œil juste, le pied ferme, la jambe infatigable, et

Karl n’eût pas trouvé, du nord au sud de l’Inde, un meilleur

auxiliaire.

– 16 –

Mais ce n’est pas tout, un autre personnage accompagne

encore le botaniste. Il faudrait un chapitre pour vous dépeindre

Ossaro, que nos deux frères ont engagé comme guide, et Ossaro

a bien assez de valeur pour qu’on fasse son portrait d’une façon

détaillée ; mais nous laisserons à ses actes le soin de le faire

connaître. Qu’il me suffise de vous dire qu’Ossaro est un Hin-

dou aux proportions admirables, au teint brun, aux grands yeux

noirs, à la chevelure épaisse, qui caractérisent les hommes de sa

nation. Il appartient à la classe desShikarris,c’est-à-dire à celle

des chasseurs, et l’on ne trouverait pas, dans tout le Bengale, un

tueur de tigres plus courageux et surtout plus adroit. Sa re-

nommée s’étend au loin, car il possède un courage, une force et

une activité bien rares parmi ses indolents compatriotes : aussi

est-il vanté, glorifié par tout le monde ; c’est un véritable héros,

le Nemrod de sa province.

Son costume n’a rien de commun avec celui des deux frè-

res : il se compose d’une tunique de cotonnade blanche ; d’un

large pantalon serré à la taille par une écharpe écarlate, d’un

turban à carreaux et d’une paire de sandales. Quant à son équi-

pement de chasse, il ne diffère pas moins de celui de Gaspard

que son turban ne s’éloigne de la casquette du Bavarois. Le Shi-

karri tient une lance légère à la main, il porte sur le dos un arc

de bambou et un carquois rempli de flèches, un long couteau est

passé dans sa ceinture ; il a au côté un sac de cuir, et différents

objets, suspendus à son cou et retombant sur sa poitrine, com-

plètent son attirail.

Ossaro n’a jamais gravi les monts Himalaya ; il est né dans

la plaine, c’est un chasseur des jungles ; s’il a été engagé par no-

tre collecteur de plantes, ce n’est pas en qualité de guide pro-

prement dit, puisqu’il ne connaît pas la région qu’il s’agit d’ex-

plorer ; c’est comme ingénieux camarade, habitué à coucher en

plein air, connaissant mieux qu’un autre les difficultés et les

ressources de la vie errante au milieu des solitudes de l’Inde, et

– 17 –

pouvant, par cela même, être d’un grand secours à nos deux

voyageurs et les assister d’une manière efficace dans leur péril-

leuse entreprise.

Et puis cette expédition comble les vœux du Shikarri ; de la

plaine éloignée qu’il parcourait chaque jour, il regardait depuis

longtemps cette chaîne de l’Himalaya qui renferme les monta-

gnes les plus élevées du globe ; il contemplait ces dômes cou-

verts de neige, ces pics étincelants qui s’élèvent au-dessus des

nuages, et il avait rêvé plus d’une fois au bonheur d’y aller faire

une de ces belles parties de chasse qui durent toute une année ;

mais l’occasion ne s’était jamais présentée pour lui de parcourir

ces montagnes imposantes, et ce fut avec une joie bien vive qu’il

accepta les offres du jeune botaniste et, qu’il se joignit aux deux

frères pour les accompagner dans leur expédition.

Enfin, un quatrième individu, également de la race des

chasseurs, complète notre petite caravane ; il a autant de pas-

sion pour la chasse qu’Ossaro ou Gaspard : c’est un beau chien

de la taille d’un grand dogue, mais dont les oreilles pendantes et

la robe noire marquée de taches fauves annoncent que, loin

d’être de la famille des mâtins, il fait partie de celle des limiers ;

ses mâchoires puissantes ont étranglé plus d’un cerf et ont eu

raison de maint sanglier des forêts bavaroises. C’est un chien

valeureux que le bel et bon Fritz ; il appartient à Gaspard, qui

connaît son mérite et qui ne le donnerait pas pour le meilleur

éléphant des quatre présidences de l’Inde.

– 18 –

IV

EST-CE DU SANG ?

Karl avait terminé le jour même ses arrangements avec le

Shikarri, et c’était la première fois qu’ils voyageaient ensemble.

Nos trois compagnons avaient sur le dos leur havre-sac et leur

couverture ; et comme ils se servaient à eux-mêmes de domesti-

que et de bête de somme, ils n’emportaient, en fait de bagages,

que le strict nécessaire. L’Hindou marchait un peu en avant,

Karl et Gaspard cheminaient côte à côte, à moins que le sentier

ne fût trop étroit pour le permettre ; derrière eux trottinait Fritz

qui, néanmoins, de temps en temps, passait à l’avant-garde et

rejoignait Ossaro, comme si son instinct lui avait dit que c’était

un grand chasseur ; ils avaient eu, du reste, fait bientôt connais-

sance, et Fritz était déjà le favori du jeune Hindou.

Tandis qu’ils cheminaient gaiement, l’attention de Gaspard

fut attirée par quelques taches qui, à différents intervalles, rou-

gissaient la surface du sentier ; ces taches étaient humides, très-

apparentes sur l’herbe rase que foulaient nos voyageurs, et il y

avait, certes peu de temps qu’elles avaient été faites.

« C’est du sang, fit observer Karl, dont ces taches avaient

également frappé les yeux.

– Je n’en doute pas, répondit Gaspard ; mais je me de-

mande s’il vient d’un homme ou seulement d’un animal.

– Ce doit être celui d’une bête, et d’une bête assez volumi-

neuse, reprit le jeune botaniste, car il y a plus d’un mille que j’ai

– 19 –

remarqué la première de ces taches ; il faut que ce soit un élé-

phant qui ait été blessé ; il aurait été impossible à un homme de

supporter, sans s’évanouir, une pareille hémorragie.

– Mais nous verrions la piste de l’éléphant, répliqua Gas-

pard ; je n’en aperçois aucune, ou du moins je n’en vois pas qui

soit fraîche, et le sang qui nous occupe est nouvellement répan-

du.

– Tu as raison, Gaspard ; on ne voit aucune empreinte qui

annonce le passage d’un éléphant ou d’un chameau ; et pourtant

d’où viennent ces taches, évidemment sanglantes ? »

À cette question, les deux jeunes gens parcoururent du re-

gard le sentier qui se déployait devant eux, dans l’espoir d’y

trouver l’explication de l’énigme qu’ils cherchaient à compren-

dre. Ils ne découvrirent que l’Hindou, qui marchait avec aisance

et qui ne paraissait pas avoir la plus légère blessure. Ce n’était

point le sang du Shikarri, on ne pouvait en douter.

Cependant, comme les deux frères allaient détourner leurs

regards, qui s’étaient fixés sur le guide, ils virent Ossaro pencher

la tête et cracher sur l’herbe du sentier ; ils remarquèrent la

place où avait dû tomber la salive du chasseur, et quel ne fut pas

leur étonnement quand, arrivés à cet endroit, ils observèrent

une tache rouge exactement pareille à celles dont ils cherchaient

l’origine ! Cette découverte les fit, trembler pour l’existence de

leur guide ; on ne pouvait pas s’y méprendre, Ossaro crachait le

sang.

Voulant s’assurer du fait, Karl et Gaspard attendirent quel-

ques instants ; mais à peine avaient-ils fait cent pas, qu’ils virent

un nouveau crachat rouge s’élancer des lèvres du malheureux

jeune homme.

– 20 –

« Pauvre Ossaro ! s’écrièrent-ils ; sa mort est prochaine ;

comment pourrait-il vivre après avoir perdu tant de sang ! »

Et les deux frères coururent après leur guide en lui criant

de s’arrêter.

L’Hindou pirouetta sur ses talons et regarda les deux Bava-

rois avec un air de surprise ; il détacha son arc et posa une flè-

che sur la corde, s’imaginant qu’ils étaient poursuivis par un

ennemi quelconque. Fritz lui-même avait pris l’alarme en en-

tendant crier son maître, et l’avait rejoint immédiatement.

« Ossaro, mais qu’avez-vous ? s’écrièrent à la fois Karl et

Gaspard.

– Moi, Sahibs ! moi rien avoir, je vous assure.

– Mais qu’est-ce qui vous fait mal, à quel endroit souffrez-

vous ?

– Moi, pas souffrir ; moi, pas malade. Pourquoi, seigneurs,

demandez-cela ?

– Comment se fait-il que vous crachiez du sang ? » répon-

dit Karl en désignant les taches rouges que l’on voyait sur

l’herbe.

En entendant ces mots, l’Hindou éclata de rire, non pas

avec l’intention de manquer de respect aux jeunes Sahibs, mais

parce qu’il lui fut impossible de s’en empêcher, lorsqu’il vit la

méprise où les deux frères étaient tombés.

« Paunie, Sahibs, » dit-il en prenant dans l’espèce de car-

nier qu’il portait en bandoulière un petit rouleau pareil à une

carotte de tabac ; il coupa avec ses dents un petit morceau de

paunie, et le mâcha devant les deux Bavarois, pour leur montrer

– 21 –

que c’était cela qui donnait à sa salive la couleur rouge qui les

avait inquiétés.

Karl et Gaspard comprirent aussitôt la méprise qu’ils

avaient faite ; la substance que leur montrait le Shikarri était

tout simplement dubétel,et Ossaro n’avait d’autre infirmité que

d’être un mâcheur de paunie, comme il appelait sa chique ; in-

firmité qu’il partageait avec des millions de ses compatriotes et

avec la plupart des habitants du pays de Siam, de l’État

d’Assam, de la Chine, de la Cochinchine, de la presqu’île de Ma-

lacca, des Philippines et de presque tout l’archipel Indien.

Karl et Gaspard demandèrent alors au Shikarri quelques

détails sur le bétel, et celui-ci leur donna l’explication suivante :

Lebételoupaun,ainsi que le nomment les Hindous, est

composé d’une feuille, d’une noix et d’une petite quantité de

chaux vive. La feuille est cueillie sur un arbrisseau toujours vert,

que l’on cultive dans l’Inde, uniquement à l’intention des mâ-

cheurs de bétel, et qu’on place autant que possible à l’abri du

soleil ; on va même, en général, jusqu’à construire un hangar de

bambou au-dessus de l’endroit où il se trouve, et à l’entourer de

palissades très-élevées. Il demande beaucoup de chaleur, une

atmosphère humide, et non-seulement les rayons du soleil et les

vents secs en flétriraient les feuilles, mais ils leur feraient perdre

la saveur piquante qui fait tout leur mérite. La culture de cet

arbrisseau est des plus délicates : il faut chaque jour le nettoyer

avec soin, et, comme l’endroit où il pousse est un lieu de retraite

favori pour les serpents venimeux, il en résulte que cette visite

quotidienne est une opération qui n’est pas sans danger. Mais la

culture du bétel est si avantageuse, que le bénéfice de la récolte

fait oublier le travail et mépriser le péril. Ossaro avait par ha-

sard, dans son petit sac de cuir, quelques-unes de ces feuilles

qui n’avaient pas été préparées ; il les montra au botaniste en lui

disant : « Tenez, Sahib, voulez-vous voir les feuilles de paun ? »

Karl reconnut immédiatement qu’elles appartenaient à une

– 22 –

plante rare que, chez nous, on cultive en serre chaude, et qui est

unepipérinée,c’est-à-dire une plante de la famille des poivres.

Le bétel, effectivement, n’est pas autre chose qu’un poivrier.

Très-proche parent de l’arbrisseau sarmenteux qui donne le

poivre ordinaire, il a, comme celui-ci, des feuilles ovales, d’un

vert foncé, et qui se terminent par une pointe fort aiguë. Lesiri-

boa,une autre espèce de poivre, se cultive aussi dans l’Inde, où

l’on s’en sert également pour confectionner la chique orientale

dont Ossaro nous donne la composition, et qui se nommebétel,

du nom de la feuille de poivre qui est l’un de ses éléments.

« Regardez là-haut, Sahibs, continua le Shikarri, en dési-

gnant la cime d’un arbre, vous verrez la noix du paun. »

Les deux jeunes gens levèrent les yeux et aperçurent un

bouquet de palmiers dont chacun pouvait avoir seize ou dix-sept

mètres d’élévation ; leur tronc, ou plutôt leur stipe, car c’est ain-

si que l’on appelle la tige des palmiers, était uni et cylindrique,

et portait à son sommet une belle touffe de feuilles pinnées,

c’est-à-dire ayant la forme d’une plume ; chacune de ces feuilles

était longue de plusieurs mètres, et chacune des folioles dont

elles étaient composées avait elle-même à peu près un mètre de

longueur. Immédiatement au-dessous de l’endroit où ses pal-

mes s’échappaient du stipe, dont elles formaient le couronne-

ment, on voyait une grappe énorme de fruits d’une nuance au-

rore et de la grosseur d’un œuf de poule. C’étaient les fameuses

noix du bétel,dont il est question depuis si longtemps dans les

récits des voyageurs, et l’arbre qui les portait, et qui est l’un des

plus beaux palmiers de l’Inde, est connu sous le nom d’arecou

d’aréquier catéchou.

Il existe encore deux autres espèces d’aréquiers : l’une est

également originaire de l’Inde, et la seconde, qui croît en Amé-

rique, est encore plus célèbre que l’aréquier catéchou : c’est le

– 23 –

2

grand palmiste des Indes occidentales,l’arec oléracé ,qui,

n’ayant pas plus de cinquante à cinquante-cinq centimètres de

circonférence, atteint plus de soixante mètres de hauteur. On

abat souvent cette belle colonne pour se procurer les feuilles

naissantes qui forment le bourgeon terminal de la cime, et dont

vous avez entendu parler plus d’une fois sous la désignation de

chou-palmiste.

Mais revenons au bétel. À propos de la propriété qu’il a de

rougir la salive et de lui donner toutes les apparences du sang, le

Shikarri, pour montrer aux chasseurs de plantes que la méprise

où ils étaient tombés à son égard n’avait rien de surprenant, leur

conta l’anecdote suivante.

Un jeune docteur en médecine, tout nouvellement sorti de

l’école, venait de débarquer dans l’une des grandes villes de

l’Inde. Le lendemain de son arrivée, il se promenait sur la voie

publique aux environs d’un faubourg, lorsqu’il rencontra une

jeune Indienne qui lui parut cracher le sang. Il se détourna du

chemin qu’il voulait prendre afin de suivre cette jeune fille dont

la position l’intéressait, et qui, presque à chaque pas, rejetait un

crachat sanglant. De plus en plus alarmé de l’état de cette pau-

vre fille, il crut de son devoir de déclarer à ses parents que la

malade courait le plus grand danger, et que, d’après les symp-

tômes que le hasard venait de lui permettre d’observer, il était

probable qu’elle n’avait pas plus de quelques minutes à vivre. La

famille, dans son effroi, car elle ne doutait pas de l’habileté du

docteur, donna cours à ses lamentations, fit coucher la préten-

due agonisante et envoya chercher un prêtre qui arriva trop

tard : la jeune fille venait d’expirer lorsqu’il se rendit auprès

d’elle ; non pas qu’elle fût poitrinaire, comme le médecin l’avait

imaginé ; c’était de peur qu’elle était morte ; mais ni les parents,

ni le prêtre, ni le médecin lui-même ne s’en doutèrent. Le doc-

2

Qualification donnée aux végétaux herbacés que l’on emploie

comme aliments.

– 24 –

teur fut persuadé plus que jamais qu’elle avait succombé à un

affreux crachement de sang, et les autres restèrent dans

l’ignorance des symptômes qui lui avaient permis d’établir son

fâcheux pronostic.

Toutefois il avait eu raison, du moins en apparence ; la

nouvelle s’en répandit au loin, on ne parla plus que de l’habileté

du jeune docteur ; les malades accoururent en foule auprès de

lui, et sa fortune s’accroissait rapidement. Il n’avait pas tardé,

comme vous pensez bien, à découvrir la nature des symptômes

que lui avaient offerts la jeune fille, puisque la plupart des habi-

tants de la ville mâchaient également du bétel. Si, profitant de

cette découverte, il avait eu assez de discrétion pour n’en rien

dire, il aurait pu conserver sa clientèle et même se rendre digne

de la confiance qui lui était accordée, en cherchant à augmenter

son savoir par de nouvelles études. Malheureusement pour lui,

notre jeune homme était plus bavard que studieux ; il ne put pas

s’empêcher de raconter à ses camarades l’histoire de la jeune

fille : et comme la vie d’une Indienne est peu de chose, en géné-

ral, aux yeux des Européens, il osa plaisanter sur la singulière

méprise dont la malheureuse enfant avait été victime.

Mais l’aventure ne fut pas longtemps plaisante pour notre

joyeux docteur. Ses paroles circulèrent de bouche en bouche ;

elles revinrent aux oreilles des parents de la jeune fille, qui jurè-

rent de venger la pauvre défunte en proclamant l’ignorance et le

manque de cœur du médecin. Les clients s’éloignèrent aussi vite

qu’ils étaient accourus ; et le docteur, afin d’échapper au scan-

dale et aux mauvais traitements dont il était menacé, fut trop

heureux de s’embarquer sur le vaisseau qui l’avait amené d’Eu-

rope, et de retourner dans son pays, où nous espérons qu’il fut

plus sage.

– 25 –

V

LES OISEAUX PÊCHEURS

Nos voyageurs suivaient les bords d’une rivière qui, pre-

nant sa source dans la chaîne des monts Himalaya, se dirige

vers le sud et va se jeter dans le Burrampouter, auprès de l’en-

droit où ce fleuve commence à décrire son énorme circuit.

L’intention de notre chasseur de plantes était de pénétrer dans

la région montagneuse du Boutan ; cette contrée lui offrait

d’autant plus d’intérêt qu’aucun botaniste ne l’a encore parcou-

rue et qu’elle possède une flore aussi riche que variée. Quant à

présent, notre petite caravane traversait un pays habité, où l’on

cultive le riz, la canne à sucre, le bananier et différents palmiers,

les uns pour leurs noix, comme le cocotier et l’aréquier, les au-

tres tel que le caryota à grandes feuilles, pour le vin qu’ils pro-

duisent.

Ils voyaient encore, sur leur passage, de vastes champs de

pavots somnifères dont on extrait l’opium, des mangoustans,

des poivriers aux tiges sarmenteuses qui s’attachaient aux pal-

miers, des jacquiers aux fruits énormes, des figuiers, des mico-

couliers, des pins, des euphorbes et diverses espèces d’orangers.

Parmi les arbres et les plantes qu’il trouvait sur sa route,

notre jeune botaniste en reconnaissait un grand nombre qui

appartiennent à la flore chinoise ; et non-seulement les plantes,

mais la plupart des objets qui attiraient ses regards, lui rappe-

laient immédiatement tout ce qu’il avait lu sur la Chine. Il était

alors près de la frontière de l’État d’Assam ; et cette partie de

l’Inde en effet ressemble beaucoup à l’empire chinois, tant par

– 26 –

ses productions naturelles que par ses mœurs et ses coutumes.

Enfin, la culture du thé que l’on a depuis quelque temps intro-

duite dans cette province, où elle réussit à merveille, ajoute en-

core à la ressemblance dont Karl était frappé. L’étonnement du

jeune homme à cet égard augmentait à chaque pas, et la scène

dont il fut témoin, lorsqu’il eut pénétré un peu plus avant dans

le pays, lui fit croire un instant qu’il se trouvait en Chine.

Après avoir suivi la lisière d’un petit bois, nos voyageurs,

ayant fait un brusque détour, aperçurent un lac d’une moyenne

étendue. Il y avait sur ce lac, à peu de distance de la rive, un pe-

tit bateau fort léger dans lequel se trouvait un homme ; celui-ci

était debout et dirigeait son canot vers le milieu du lac au moyen

d’une longue perche qui lui servait de gaffe. Le bateau portait de

chaque côté de son bordage une rangée d’oiseaux à peu près de

la grosseur d’une oie ; ces oiseaux, dont la gorge et la poitrine

étaient blanches, le dos et les ailes tachetés d’un brun foncé,

avaient de longs cous, un large bec jaune et une grande queue

arrondie à son extrémité.

Bien que le batelier agitât sa longue perche et qu’il la plaçât

tantôt à gauche, tantôt à droite, en la passant par-dessus la tête

des oiseaux, ceux-ci ne bougeaient pas le moins du monde et ne

semblaient même pas faire attention aux manœuvres de leur

maître ; ils n’étaient pourtant point attachés sur le bord de

l’esquif, où ils perchaient librement. De temps à autre, ils allon-

geaient le cou pour regarder dans l’eau, tournaient la tête

comme s’ils avaient examiné quelque chose, et reprenaient leur

première attitude. Jamais on n’avait vu d’oiseaux qui fussent

aussi apprivoisés. Karl et Gaspard se retournèrent du côté d’Os-

saro pour lui demander l’explication de ce fait étrange.

« Il va pêcher, répondit le jeune Hindou.

– C’est un pêcheur ? s’écria le botaniste.

– 27 –

– Oui, Sahib vous bien voir tout à l’heure. »

Ces paroles suffisaient aux deux frères ; ils se souvenaient

maintenant d’avoir lu quelque part que les Chinois ont dressé

les cormorans à la pêche. Ceux-ci appartenaient à l’espèce que

l’on désigne sous le nom, passablement barbare, dephalacroco-

rax sinensis,et, bien qu’ils présentassent quelque différence

avec le cormoran ordinaire, ils possédaient tous les traits qui

caractérisent leur famille : un corps plat et allongé, la poitrine

saillante, le bec droit et recourbé vers la pointe, de manière à

former un crochet, et la queue large et arrondie.

Curieux d’assister à cette pêche, dont la singularité les inté-

ressait vivement, Karl et Gaspard se rapprochèrent du lac. Il

était évident que le pêcheur ne faisait que d’arriver et que son

opération n’était pas commencée.

Dès que l’Indien eut gagné le centre de la nappe d’eau, il

mit de côté sa perche de bambou et s’occupa des cormorans ; il

leur adressa la parole, absolument comme un chasseur le fait à

ses chiens pour les envoyer dans telle ou telle direction. Les oi-

seaux parurent l’écouter et le comprendre ; ils déployèrent leurs

grandes ailes, quittèrent le bord de l’esquif, volèrent pendant

quelques instants à la surface du lac, puis l’un d’eux s’abattit sur

l’eau et toute la bande ne tarda pas à l’imiter.

Une scène étrange se passa dès lors sous les yeux de nos

voyageurs. Ici l’un des oiseaux nageait en sondant du regard

l’eau transparente qui se trouvait au-dessous de lui ; un autre, à

demi-plongé dans le lac, ne montrait plus que sa large queue,

dressée verticalement au-dessus de l’eau ; un troisième avait

disparu un peu plus loin et ne révélait sa présence que par les

rides qu’il imprimait à la surface de l’onde ; un quatrième luttait

avec un gros poisson qui étincelait dans son bec ; un cinquième

s’élevait dans l’air avec sa proie, qu’il rapportait au batelier ;

enfin, les douze cormorans travaillaient avec une incroyable

– 28 –

activité. Le lac, dont les eaux tranquilles étaient tout à l’heure

unies comme un miroir, se trouvait maintenant couvert de ri-

des, de bulles d’air et d’écume, dans tous les endroits où les oi-

seaux nageaient, plongeaient, battaient des ailes en se précipi-

tant sur le poisson. En vain celui-ci cherchait-il à éviter l’ennemi

qui le poursuivait ; les pêcheurs s’élançaient avec la rapidité de

la flèche, et les cormorans ont la faculté de nager entre deux

eaux, tout aussi bien qu’à la surface ; leur poitrine, dont la

forme est semblable à la carène d’un navire, fend l’onde avec

aisance ; leurs ailes puissantes et leurs pieds palmés leur ser-

vent de rames ; leur grande queue fait l’office de gouvernail, et

leur permet de se tourner de côté et d’autre, ou de s’élancer en

avant avec une extrême vitesse.

Un fait singulier frappa nos voyageurs ; lorsque l’un des oi-

seaux avait saisi un poisson d’un volume qui dépassait la gros-

seur ordinaire, et qui ne lui permettait pas de le rapporter au

bateau, plusieurs de ses camarades se précipitaient vers lui, afin

de lui prêter assistance et de l’aider à transporter cette proie

énorme.

Vous vous demanderez comment il se fait que les cormo-

rans, qui sont destinés à manger du poisson, n’avalent pas celui

qu’ils prennent, et consentent à le rapporter à leur maître. En

effet, quand ils sont jeunes, ou lorsqu’ils n’ont pas été suffi-

samment dressés, il arrive que ces oiseaux dévorent le poisson

qu’ils ont trouvé ; mais, dans ces cas-là, on adopte à leur égard

une certaine mesure qui ne leur permet pas de commettre cette

infraction à la règle, et qui consiste à leur mettre un collier assez

étroit pour les empêcher d’avaler une proie quelconque, tout en

étant assez large pour ne pas les étrangler. Mais cette précau-

tion n’est pas nécessaire avec les vieux cormorans dont

l’éducation est achevée ; quelle que soit la faim qu’ils éprouvent,

ils n’en rapportent pas moins à leur maître la totalité de leur

pêche, et se contentent, pour toute récompense, du plus mince

et du plus mauvais de tous les poissons qu’ils ont pris.

– 29 –

Quelquefois l’un de ces oiseaux s’abandonne à la paresse et

vogue tranquillement sur le lac ou sur la rivière, sans faire au-

cun effort pour accomplir sa tâche ; en pareille occasion, le pê-

cheur fait approcher sa barque, il frappe avec sa perche un

grand coup dans l’eau, près de l’endroit où l’insolent se repose

et gronde le paresseux ; il est rare que cette semonce ne pro-

duise pas l’effet que le pêcheur en attend, et que l’oiseau, réveil-

lé tout à coup par la voix de son maître, ne se remette pas à la

besogne avec une nouvelle énergie.

Quand cette pêche a duré plusieurs heures, les cormorans

fatigués ont la permission de venir se reposer sur le bord du ba-

teau ; ceux qui ont des colliers en sont immédiatement délivrés,

et toute la bande est caressée par le maître, qui lui abandonne le

fretin pour la payer de son travail.

Nos chasseurs de plantes n’avaient pas attendu jusque-là

pour continuer leur voyage.

– 30 –

VI

LE TÉRAÏ

Lorsque, venant des bords de la mer, vous approchez des

grandes montagnes qui forment une chaîne importante, vous

avez à traverser une région plus ou moins étendue, composée de

hautes collines et de vallées étroites et profondes que sillonnent

de nombreux torrents et des rivières rapides ; cette région est

proportionnée à l’importance de la chaîne qu’elle avoisine, et,

quand il s’agit de montagnes de premier ordre, sa largeur est

ordinairement de quarante à quatre-vingts kilomètres. Il existe

une région de cette nature de chaque côté des Cordillères, dans

l’Amérique du Sud ; on en trouve une pareille aux abords des

montagnes Rocheuses et des monts Alléghanys, et celle des Al-

pes, que l’on rencontre en Italie, est bien connue sous le nom

significatif de Piémont.

La chaîne de l’Himalaya présente également cette particu-

larité géologique ; son versant méridional, celui qui regarde les

plaines de l’Hindoustan, est longé par une ceinture d’environ

quatre-vingts kilomètres de largeur, composée de rochers, de

montagnes abruptes, de ravines profondes, de torrents écu-

meux, de gorges et de défilés d’un accès difficile, et présente par

conséquent un aspect à la fois sauvage et pittoresque.

La partie inférieure de cette région, c’est-à-dire celle qui

touche aux plaines fertiles de l’Inde, est appeléeTéraïpar les

Européens. C’est une bande irrégulière, qui a parfois quarante-

cinq kilomètres de large, et parfois seulement une quinzaine ;

elle s’étend depuis la frontière du haut Assam jusqu’aux rives du

– 31 –

Sutledge, et ne ressemble ni aux plaines de l’Hindoustan ni aux

montagnes de l’Himalaya. Ses animaux et ses plantes diffèrent

essentiellement de la flore et de la faune des deux régions qui la

circonscrivent ; son climat est l’un des plus dangereux du globe,

d’où il résulte que le Téraï est presque entièrement désert ; on

n’y trouve qu’un petit nombre d’habitants à demi sauvages, dis-

persés de loin en loin, et qui portent le nom deMechs.

Toutefois, si le mauvais air qui fait du Téraï un séjour mor-

tel en a éloigné les hommes, il semble, au contraire, attirer les

bêtes féroces, qui ont choisi pour retraite favorite les forêts et

les jungles épaisses dont cette région est couverte. Le lion, le

tigre, la panthère, le léopard et divers autres félins de grande

3

espèce habitent ces halliers impénétrables ; l’éléphant, le gyal ,

le rhinocéros, vivent à l’ombre de ses forêts, et le sambour et

l’axis pâturent dans ses vallées herbeuses. On y trouve des ser-

pents sans nombre, d’affreux lézards, d’horribles chauves-

souris, mais en même temps de beaux papillons et d’admirables

oiseaux.

Quelques jours de marche suffirent à nos voyageurs pour

franchir la partie cultivée des Indes et pour arriver à la lisière

des jungles. Ils avaient pénétré dans la région que nous venons

de décrire, et, comme ils étaient partis de fort grand matin, le

soleil n’était pas couché lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit où ils

devaient camper. Il leur eût été facile de prolonger leur étape ;

mais, ravi des formes nouvelles que la végétation offrait partout

à ses regards, le jeune botaniste résolut de s’arrêter dans ces