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Avez-vous peur des fantômes et de vivre dans un lieu isolé? Et en amour êtes vous désespérée de trouver l'âme soeur? Moi, c'est Alice, catholique, et je m'installe dans le château familial en pleine forêt ! Avec stupeur et amusement, je découvre deux occupants dans le château de Cerville : Louise et Julien. Leur particularité ? Ce sont des fantômes. Et ils ont besoin de mon aide pour comprendre leurs morts. Afin de résoudre ces meurtres, je vais devoir me plonger dans de sombres histoire du passé. Qui m'aidera à résoudre ces énigmes ? Le sympathique Pierre ? l'étrange Roméo ? ou le mystérieux Alexandre ? Mon coeur bat fort pour l'un des trois... Mais est-ce que cet amour est réciproque? Laissez vous tenter par cette nouvelle romance urbain fantaisie !
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Seitenzahl: 232
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Prélude
Chapitre 1 : Au commencement
Chapitre 2 : Louise et Julien
Chapitre 3 : Week-end en famille
Chapitre 4 : Mystères en série
Chapitre 5 : La Mère Sordide
Chapitre 6 : Noël en Suisse
Chapitre 7 : Janvier
Chapitre 8 : Le retour d’Alexandre
Chapitre 9 : Des amants diaboliques
Chapitre 10 : Le pavillon
Épilogue
Pour aller plus loin
Biographie de l’auteure
13 juin 1792
Marie-Louise Jahan de Cerville déambule dans le château familial. Elle est effrayée. Son père et son frère sont encore à Paris. Les nouvelles ne semblent pas très bonnes. Ici, tous les domestiques sont retournés dans leurs familles. Seuls la gouvernante et l’intendant sont restés au domaine ainsi que de très vieux serviteurs.
— Mademoiselle, avez-vous besoin de quelque chose ? demande la gouvernante, madame Vermont.
— Où sont mon cousin et mon fiancé ?
— Je pense qu’ils sont partis à Orléans pour acheter un troisième cheval pour le voyage. Si j’ai bien compris, vous avez être obligée de voyager à cheval et non en carrosse.
— J’en ai bien peur. Je vous remercie, madame Vermont. J’aimerais être seule.
Louise décide d’aller marcher dans les bois. Elle est angoissée. Elle n’a jamais connu sa mère : Charlotte-Philippe d’Illiers, morte en la mettant au monde, elle et son frère. Son père, Louis-Joseph-Charles Jahan de Cerville, est le cinquième comte du château de Cerville. Il n’a jamais souhaité se remarier au décès de sa femme, fait extrêmement rare à l’époque. Louise se souvient que c’est sa grand-mère paternelle qui l’a élevée avec Louis-Charles, son jumeau. À la mort de sa grand-mère, Marie-Louise a dû intégrer le pensionnat des Visitandines1 d’Orléans.
Le père de Louise n’est pas forcément le plus fortuné de la noblesse. Sa fille s’est fait un réseau d’amies dans la noblesse et bourgeoisie pendant ses études en pensionnat. Louis-Charles a poursuivi son apprentissage auprès de ses cousins d’Illiers. Depuis mille sept cent quatre-vingt-neuf, un vent de violence et de panique souffle sur le Royaume de France. Ces amies, sa famille sont soit décédées soit parties en exil. Louise est fiancée depuis juin mille sept cent quatre-vingt-onze au marquis Victor de Possy, qui possède un domaine en Savoie2 . Il est l’un des messagers de la famille de Savoie qui ont deux filles, bellessœurs du roi Louis, seizième du nom. C’est lors d’un passage du Marquis à Versailles que le comte Jahan de Cerville a pensé marier sa fille avec le marquis. Pour plusieurs raisons, le mariage n’a pas encore été célébré. La cérémonie aura lieu sur les terres du marquis cet été. En temps normal, le mariage se fait chez la mariée. Louise est contente et rassurée que son cousin l’accompagne, car elle l’apprécie beaucoup et à totalement confiance en lui.
Louise poursuit sa marche dans le parc du domaine. Elle a hâte d’être en Savoie, pays inconnu pour elle et peut-être un jour retrouvé son père et son frère.
Madame Vermont appelle inlassablement mademoiselle Marie-Louise Jahan de Cerville.
13 juin 1944
Julien Ballas de Cerville déambule dans le château de Cerville, angoissé. Il sait via le réseau de résistance locale que les alliés ont débarqué, il y a une semaine, sur les côtes normandes. Il espère une victoire et surtout une paix pour bientôt. Il a hâte de retrouver son frère jumeau, Antoine qui vit en Suisse. Ils ne se sont pas vus depuis le début de la guerre, juste quelques lettres. Au loin une horloge sonne trois coups. Il doit aller au village apporter son aide à madame Moulard et sa fille pour rentrer du foin.
— Monsieur, que voulez-vous manger ce soir ? Serez-vous seul ou mademoiselle Nonet sera-t-elle présente ? demande madame Gast, la gouvernante.
— Je serai seul, madame Gast, répond Julien. Ne vous faites pas trop de soucis pour mon repas. Faites ce qui vous arrange. Je reviendrai peut-être avec quelques légumes. À tout à l’heure.
— À ce soir, Monsieur. Je voulais juste vous dire que ce château est hanté, j’en suis sûr. Je ne retrouve pas mon nécessaire à couture et quelques femmes de chambre me rapportent que leurs affaires de ménage disparaissent ou sont rangées différemment.
— Madame Gast, je vous en prie, ne croyez pas tout cela. Promis, demain, je fais une inspection.
La gouvernante se dirige vers les cuisines qui se trouvent au sous-sol. Julien aime ce château qui appartient à sa famille depuis le Premier Empire. Après la Révolution française, la famille de Jahan de Cerville a disparu. Une vieille tante légua au début du dix-neuvième siècle son château à son neveu préféré, le père de son arrière-grand-père. La vie de Julien n’a pas été très facile avec son frère Antoine, ils n’ont jamais connu leur mère morte en les mettant au monde. Ils ont été élevés par leur père et leurs deux tantes : tante Germaine, sœur de son père et tante Yvonne, sœur de sa mère qui s’est mariée sur le tard avec un Suisse germanophone Herr Von Schiers. Ce dernier a deux enfants d’une précédente union. Antoine a accompagné sa tante en Suisse où il travaille dans la banque Von Schiers. Julien sourit, les quelques lettres de son frère évoquent la fille de leur oncle Von Schiers : Julia comme une belle personne et avec de très nombreuses qualités. Julien espère voir bientôt cette perle rare et pense très fortement que son frère va se marier avec elle. Lui-même est fiancé avec Paulette Nonet, une fille du village, secrétaire. Julien respire à pleins poumons la forêt environnante.
Madame Gast attend désespérément monsieur Julien Ballas de Cerville.
1 Visitandines : Ordre fondé en 1610 par François de Salles et Françoise de Chantal (la grand-mère de Mme de Sévigné) en Savoie puis implanté rapidement en France. Principalement réservé aux femmes à la santé fragile pour avoir un apport financier, les sœurs ouvrent des petits pensionnats pour l’éducation des jeunes filles. Certaines passent directement du pensionnat au noviciat (début de la formation pour être religieuse). Ces pensionnats ont totalement disparu depuis la Révolution française.
2 La Savoie intégrera la France en 1860 sous le Second Empire. Au moment de la Révolution française, la Savoie était un royaume indépendant qui comprenait nos deux départements actuels de la Savoie et une partie du nord de l’Italie dont Milan qui en était la capitale.
Septembre 2019
Je vois au loin la voiture de mes parents partir. Ah, les parents ! C’est cool, mais compliqué. Ils nous aiment, nous protègent et parfois nous tapent sur le système ! Je respire un bon coup. Mon âme est en paix. J’ai pris la décision de venir vivre dans le château de Cerville que mon grand-père Leclerc a acheté à Antoine Ballas de Cerville dans les années soixante. Le plus drôle est que mon père a épousé la petite-fille d’Antoine Ballas de Cerville. Elle a vécu avec son jumeau en Suisse et donc elle est bilingue français/allemand. Son père s’est retrouvé veuf rapidement. Opa3, s’est remarié en mille neuf cent quatre-vingt-neuf avec la meilleure amie de maman : Elizabeth Possenhait. Avec mon grand frère, nous avons donc joué avec nos oncles comme avec des cousins : Hans-Josef et Jacob. Papi Robert Leclerc a régulièrement invité Opa pendant les vacances. Nous avons souvent passé de bons moments en famille à Cerville.
Mon grand rêve depuis toujours : faire découvrir le château de Cerville. J’ai passé un BTS de tourisme et poursuivi mon cursus avec une licence professionnelle sur le patrimoine. Je suis titulaire de la carte de guide conférencière depuis deux mille douze. J’ai longtemps travaillé au château de Nantes. J’ai décidé de stopper cette activité pour me consacrer à ce grand projet. Ma tante, sœur de Papa, n’y voit pas d’inconvénient. Mes cousins, Amélya et Jonathan, n’ont aucune objection. Ils ont par leur père un château plus au sud, dans la Sologne, le Domaine de Belle-Rose.
Pendant la première semaine de mon installation, je prends mes marques à Cerville. J’ai rencontré différents artisans secondés par monsieur Alin, un ami architecte de Papa. L’idée est d’ouvrir le château au public, de célébrer des mariages dans l’ancienne orangerie, de transformer les anciennes écuries en chambres pour les invités des mariés et de proposer de loger des personnes sur le domaine. Au fond du parc, il y a un vieux pavillon presque en ruine. Il ferait un excellent gîte. Au bout de quinze jours, je me rends dans la bibliothèque. Je constate que malgré sa grandeur, elle n’est pas très poussiéreuse, ce qui m’étonne, car mes grands-parents n’avaient, à mon avis, pas fait faire un grand ménage dans cette pièce. Je suis étonnée par la propreté des lieux.
Normalement, il devrait y avoir des toiles d’araignées, de la poussière… Un dimanche soir, j’appelle mes parents, Jean-Baptiste avec sa femme Delphine sont présents. Ma mère me met sur haut-parleur :
— Papa, est-ce que le ménage a été fait du temps de papi ?
— Je crois que ton grand-père avait fait venir une entreprise spécialisée en mille neuf cent soixante puis tous les dix ans donc la dernière fois, c’était en deux mille dix. Mais je sais qu’à cette période, il n’avait fait faire que la salle à manger, les trois salons, les chambres du premier, le boudoir et peut-être le billard.
— Je trouve le château très propre, remarqué-je.
— Oh !
— Tu as peut-être un fantôme qui te fait le ménage, ironise mon frère.
— Ah ! Oui, les fantômes ! Tu as raison. Sûrement, dis-je en riant, mais je doute qu’une fille de comte et un comte fassent le ménage. À ce moment-là, l’histoire des deux morts mystérieux du château me revient avec les noms de Marie-Louise Jahan de Cerville et de Julien Ballas de Cerville.
— Quand as-tu rendez-vous auprès de la chambre de commerce ? m’interroge mon père.
— Mardi à dix heures à Orléans.
— Très bien. J’ai oublié de te dire que fin août Les Laloup, les propriétaires de la maison des gardiens sont morts dans un accident d’avion. Philippe Lamaison, notaire à La Ferté-Saint Aubin et Olivet, cherche leur héritier. Les Laloup n’ont pas d’enfants, ni de neveux et de nièces. Philippe est secondé par Pierre Pouplard. Il veillera à s’assurer que cet héritier est bien.
— Je vois que je suis surveillée.
— Alice, tu es seule dans ce grand château et il faut que celui qui possède la maison des gardiens soit quelqu’un de sûr, car tu n’as pas de voisins proches à part cette maison, m’explique mon père.
— Alice, es-tu allée jusqu’au pavillon ? s’inquiète ma mère
— Oui, mais je le ferai restaurer plus tard, dans cinq ans au moins.
— Alice, marie-toi avec ce maître Pouplard ! Il rassurera les parents, me taquine mon frère.
— Alice, ta mère a raison. Je parle du pavillon. Est-ce que le mur est encore debout ?
— Oui, c’est bon. Avec monsieur Alin, nous avons demandé à une entreprise de venir consolider le portail du fond et de renforcer la clôture avec du grillage. Je réfléchirai pour plus tard afin de refaire intégralement le mur de clôture avec des pierres. L’idéal, c’est d’enlever ces barrières afin de permettre aux animaux de bien circuler.
— Avant, épouse Pierre ! me dit Jean-Baptiste.
— Est-il vraiment intéressé ? demandé-je.
— Fais attention à toi. Bonne nuit et tiens-moi au courant de tes démarches de mardi.
— Bonne soirée à tous, leur souhaité-je en raccrochant.
Je me prépare à manger. Pour une fois, je ne fais pas ma vaisselle et retourne dans le boudoir pour regarder quelques papiers. Je laisse sur le bureau mon mug vide. Je me mets au piano qui, à mon grand étonnement, semble sonner juste, mais après tout je ne suis pas assez musicienne. Je monte dans ma chambre et me plonge dans un de mes romans préférés : Orgueil et Préjugés de Jane Austen. Je l’ai lu et relu… Le lendemain matin, je crois devenir folle… La cuisine est rangée et brille… Je constate que la tasse d’hier soir est là aussi. En prenant mon déjeuner, je me dis : y a-t-il un ou plusieurs fantômes ? Ce que j’aurais vu enfant et que les adultes ont pris pour un rêve serait peut-être vrai. Cela ne me gêne pas si ce sont des fantômes maniaques du rangement et du ménage : c’est plutôt cool. Je passe la journée avec des jardiniers venus rendre aux extérieurs leur état d’origine. Le soir, j’ose mettre un mot sur mon bureau à côté de ma tasse sale :
Un grand Merci pour la vaisselle, le rangement et le ménage. Je serai ravie de vous connaître si vous le souhaitez. Bien à vous.
Alice Leclerc.
Je mets aussi une note sur le dossier dont j’ai besoin demain pour la chambre du commerce. Afin que si fantôme il y a, il n’ait pas envie de le ranger.
3 Opa : Papi en allemand !
Je me réveille en sursaut le lendemain matin. Mon téléphone n’a pas sonné. Il est huit heures quinze. Juste le temps de m’habiller, de prendre un petit-déjeuner rapide, de me brosser les dents et de monter dans ma voiture. Je m’empare du dossier se trouvant sur une console dans l’entrée du château et à neuf heures cinq je suis dans ma voiture afin d’être à l’heure pour mon rendez-vous à la Chambre de Commerce d’Orléans. Il faut quarante-cinq minutes pour y aller. Vers onze heures quinze, je sors de la CCI,4 contente des réponses données ainsi que des conseils avisés transmis. Les deux personnes qui m’ont reçue sont optimistes que le château puisse être ouvert à Pâques prochain. Le château doit être aux normes et passer le contrôle de sécurité. Mais d’ici fin mars, j’ai le temps de m’organiser. Je profite d’être dans l’agglomération orléanaise pour aller voir le département du Loiret et surtout le pôle tourisme qui ne répond à aucun mail. Je remonte donc dans ma voiture et me dirige vers les boulevards. Je trouve une place près du parc Pasteur. L’agent d’accueil me dit de contacter telle ou telle personne. Je sens que la communication avec le département du Loiret va être compliquée.
Je décide d’aller faire un tour en ville. Je me dirige vers la cathédrale où je me pose dans une des chapelles rayonnantes. Le silence est apaisant malgré quelques visiteurs. Je récite quelques « Notre Père » et « Je vous salue, Marie ». Je prends connaissance des lectures du jour, puis mon estomac me rappelle à l’ordre : j’ai faim ! Je décide de m’arrêter dans une crêperie rue de Bourgogne. J’ai un livre pour m’occuper. À la sortie du restaurant, je me dirige vers la rue de la République :
— Alice ?
Je me retourne. Un homme, d’une trentaine d’années, brun et bien charpenté que je reconnais comme étant Roméo Maréchal, un ami de mon frère que je n’apprécie pas beaucoup.
— Mon amour ! Comment vas-tu ? continue-t-il.
— Bonjour, Roméo.
— Tu es bien froide. Je t’invite à manger quelque chose ?
— J’ai déjà mangé et je dois y aller.
— Alice, reste avec moi, mon cœur. Je ne sais pas ce que tu deviens. Je travaille dans un cabinet en centre-ville. Mais je vais intégrer le cabinet médical de La Ferté Saint-Aubin. J’aurais une permanence deux fois par semaine à Menestreau.
Mon instinct me dit de rester vague. Il me fait un peu peur. Sans prévenir et sans que je lui aie répondu, il me prend par la taille et tente de m’embrasser. Je le repousse.
— Roméo ! Lâche-moi ! hurlé-je presque dans la rue remplie de monde.
— Tout va bien, mademoiselle, me demande quelqu’un.
— Alice, Roméo ! s’exclame une voix presque familière.
— Pierre, dis-je presque soulagée devant ce troisième personnage.
Pierre Pouplard est le neveu du notaire du village Maître Lamaison, il est plus vieux que Roméo.
— Pierre, comment vas-tu ? Je discute avec ma fiancée.
— Roméo, laisse-la tranquille, lâche brutalement Pierre.
Roméo se sent obligé de me lâcher. Il me dépose un bisou dans le cou. J’ai failli le gifler, mais Pierre retient ma main et me dit tout bas :
— Ne fais pas ça. Il pourrait le retourner contre toi.
— Au revoir, Alice. Quand passes-tu à Cerville ? Bonjour à tes parents quand tu les verras ce soir.
Roméo s’éloigne et Pierre me tire en direction de la place du Matroi.
— Je sais que tu ne bois pas de café. Je t’offre un verre. Il faut qu’on parle.
Pierre ne m’a toujours pas présenté son ami. Mais plus je le regarde, plus des sentiments contradictoires se font en moi. Nous nous asseyons à la terrasse d’un café. Pierre commande deux cafés et un diabolo citron pour moi.
— Je te présente Alexandre Lubin. Il est un cousin éloigné des Laloup, mais le seul héritier. Alexandre, voici mademoiselle Alice Leclerc. Sa famille est propriétaire du château de Cerville. Alice, ton projet d’ouvrir le château tient toujours ? Si mes souvenirs sont bons, tu souhaites une saison touristique de Pâques à la Toussaint.
Je lui fais oui de la tête et il continue :
— Les Laloup étaient d’accord pour cette ouverture. Maintenant, à toi de nous dire si elle peut continuer le projet.
En entendant Pierre ajouter cette phrase, je comprends l’importance, peut-être, de devenir propriétaire de la maison des gardiens.
— Bonjour, Alice, dit Alexandre d’une voix extrêmement douce.
Il est brun, coupé, très court. Il a une longue barbe. Il a des yeux bleus très clair qui vous disent que vous êtes unique.
— Bonjour, Alexandre. Pensez-vous vous installer dans la maison des gardiens de Cerville ?
— Peut-être à la fin du mois pour faire du tri dans les affaires de mes cousins. La maison n’a pas été rangée ni occupée depuis juin dernier.
— Très bien, acquiescé-je.
Un silence s’établit. J’aimerais poser des questions à Alexandre, mais je ne sais pas par où commencer.
— Alice, j’ai été contente de te revoir. Voici mon numéro si tu as besoin de quelque chose ou si Roméo vient d’embêter. J’habite maintenant une maison à Olivet, près de ton cousin Jonathan. Fais attention à toi. Tu viens, Alexandre. Nous sommes attendus.
Pierre se lève, je fais de même. Nous nous embrassons. Alexandre me serre la main. Ce geste presque froid me surprend.
— Au revoir, Alice.
— Au revoir, Pierre, Alexandre.
Je me rassois pour finir mon diabolo. Je sais que Pierre est attiré par les hommes, mais il n’arrive pas à se l’avouer. Grosse pression socioculturelle qui ne l’aide pas. Il est vraiment très gentil.
Ces rencontres m’ont complètement chamboulée. Je décide donc de rentrer, mais avant je dois faire des emplettes pour remplir mon frigo et mes placards. J’arrive chez moi vers seize heures. La cuisine se trouve à l’extrémité droite avec un accès pour livrer la marchandise datant de la construction du château, donc décharger les courses est pratique. Tout en rangeant mes denrées, je suis surprise de constater que ma vaisselle du petit-déjeuner est faite et rangée. Soudain, je me rappelle que le dossier pour la CCI était censé être dans le boudoir et non dans l’entrée. Je me souviens du mot laissé hier soir. Je remonte vite au rez-de-chaussée et cours vers le boudoir où une note m’attend :
Mademoiselle Leclerc,
Je suis enchantée de votre venue dans mon château. J’espère vous revoir ce midi si votre rendez-vous est fini.
Sinon, je passerai dans l’après-midi.
Bien à vous,
Marie-Louise Jahan de Cerville
Je tombe sur le sofa datant du Second Empire.
— Mademoiselle Leclerc, murmure une voix.
Je redresse la tête et vois devant moi une jeune fille de dix-huit ou vingt ans, habillée à la mode de la fin dix-huitième siècle. J’ai l’impression de la connaître… Ah ! Oui le tableau du Salon Rouge
— Mademoiselle Jahan de Cerville ? fais-je en écho.
Elle me sourit et s’approche de moi :
— Vous ressemblez étrangement à ma mère et à moi, remarque-t-elle.
Elle me prend la main, la sienne est glacée, et me conduit vers un miroir. La ressemblance est frappante.
— Comme deux sœurs, dit une voix masculine.
Je sursaute. Un homme habillé comme dans les années mille neuf cent quarante, qui lui aussi me dit quelque chose, est là.
— Enchanté de vous connaître, monsieur Julien Ballas de Cerville.
Je me laisse tomber dans l’ottomane. Beaucoup de questions se bousculent dans ma tête, mais Louise prend les devants :
— D’abord, nous allons nous appeler par nos prénoms c’est comme ça qu’on fait maintenant. Tu es la première vivante à qui nous parlons. Depuis que tu es petite, nous avons vu que tu me ressemblais beaucoup. Je n’ai pas connu ma mère, mais deux portraits ont été faits. Un a disparu au cours du dix-neuvième siècle. La famille Ballas de Cerville l’a emmené dans leur hôtel particulier à Paris. L’autre est dans une chambre au second.
— Vous pourrez me le montrer.
— Oui ! Commençons par te raconter notre histoire et ce que nous savons de notre mort. Nous n’avons pas la mémoire de tout.
Elle marque une pause, puis reprend :
— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ce treize juin mille sept cent quatre-vingt-douze, mon seul souvenir est l’arrivée de mon cousin d’Illiers, fils d’un frère de Maman. Il avait plus de dix ans de plus que nous avec mon frère. Donc je sais que lui et mon fiancé, le marquis de Possy, sont venus. Lorsque j’ai repris « conscience », le domaine était occupé par la vieille tante Victoire. La tante de Papa, avec mon frère, nous ne l’aimions pas beaucoup. Elle avait une vie assez dissolue. Elle fut veuve à vingt-deux ans et son mari lui a légué une fortune considérable. Ce fut pour elle la clef de sa libération du joug des hommes, à croire que Choderlos de Laclos5 évoquait cette tante dans ses liaisons dangereuses. Elle a eu le mérite de sauver le château et le légua à son petit Alphonse. Il est son petit-neveu, soit le petit-fils de sa belle-sœur, sœur de son défunt mari, le vicomte de Maunoir. Sa sœur avait épousé monsieur Ballas qui gérait une vinaigrerie à Orléans. Ils eurent deux garçons : le père d’Alphonse reprit l’exploitation du vinaigre et le cadet choisit l’exil. Il émigra au Canada avec une fille… Alphonse avait un frère et une sœur. Le frère trouva la mort dans un duel vers mille huit cent quinze et sa sœur s’éteignit en mettant au monde son premier enfant. J’ai suivi avec attention les différents travaux d’aménagement du château. J’observais les domestiques : coudre, cuisiner, astiquer… Bref, l’hiver, lorsque les Ballas partaient à Paris, je m’arrangeais pour effrayer suffisamment les quelques domestiques qui restaient afin de rester seule. Que de fêtes, de réceptions, le château était magnifique dès la présence de la famille. Les hommes Ballas avaient de la prestance. Puis la Première Guerre mondiale éclata. J’ai vécu avec douleur les disparitions de trois fils Ballas. J’ai assisté au mariage des parents de Julien. J’ai suivi son enfance difficile qu’il partageait avec son frère. Je n’ai pas vu sa mort.
Je regarde alors Julien, car il ressemble à son frère, au vu des photos que j’ai pu apercevoir de mon arrière-grand-père. Mais il a des cheveux mi-longs, ce qui est assez original vu l’époque de la Seconde Guerre mondiale.
— Donc, vous êtes mon arrière-grand-oncle, lui dis-je.
— Oui. Ce qui est étrange en toi c’est certes que tu ressembles à Louise, mais à moi aussi. Tes yeux sont les nôtres à Antoine et à moi.
— Ce qui est vraiment étrange, c’est que ni moi ni mon frère n’avons eu d’enfants étant morts jeunes. Et tu es trop proche de ma mère et de mon père. Mais on en rediscutera plus tard. Vasy, Julien, parle-lui un peu de toi. Elle est avant tout ton arrièrepetite-nièce.
— Moi aussi, je ne me rappelle pas ma mort. Tout ce que je me souviens, c’est d’avoir échangé avec la gouvernante, madame Gast, et me diriger vers le village où j’étais attendu. C’était le treize juin mille neuf cent quarante-quatre. J’ai pris conscience quelques jours plus tard. Le plus dur était de voir mon frère dans ce château. Il a fait le choix de vendre. Je lui avais suggéré dans son sommeil… C’est donc ton grand-père paternel qui l’a acheté. Nous avons regardé l’enfance de ton père et de sa sœur. Le mariage de ton père eut lieu ici et j’ai revu mon frère et appris son décès en mille neuf cent quatre-vingt-quatorze. Ton frère, puis toi, vous êtes nés. Nous vous avons vu grandir lors de vos vacances. Mais toi ! Nous avions envie d’apprendre à te connaître et que tu nous aides à comprendre notre mort ainsi que de chercher la raison de ta ressemblance avec Louise.
— Peut-être que le mot ADN ne vous parle pas, mais sachez que malgré le génie et l’inventivité de Dieu : il existe des sosies… à travers le temps…
— Peut-être, mais Alice, promets-nous de chercher.
— OK !
Dix-sept heures sonnent à l’horloge du salon rouge, lorsqu’on passe devant afin d’aller contempler le tableau de la comtesse Charlotte-Philippine Jahan de Cerville. Louise m’avoue que pour s’occuper elle aime faire le ménage. Elle souhaite prendre soin de mon intérieur : entretien de la maison, cuisine et lessive. Elle a observé ma grand-mère utiliser four, lave-linge et fer à repasser électrique. Cependant, elle se sert encore des vieilles machines à coudre afin de confectionner ses tenues et celles de Julien qui lui aussi aimerait se mettre à la couture, mais préfère écrire et composer des chansons.
Nous arrivons dans la chambre dite Charlotte, car cette chambre fut celle de Charlotte-Philippine Jahan puis de Charlotte-Victoire et ensuite de sa fille. Le portrait de Charlotte-Philippine est de taille modeste. On la voit de face. À l’arrière, on devine le château à l’époque de la fin du dix-huitième siècle.
— Il a été peint après sa mort. Seul le visage est véritable. Papa l’avait commandé à un peintre versaillais.
Oui, le portrait me ressemble, mais je pense que cela n’est pas flagrant.
Je passe le reste de la semaine à travailler pour le domaine : surveiller les ouvriers, me plonger plus en profondeur dans l’histoire du château. Il faut aussi que je m’initie au monde digital : site internet et réseaux sociaux. Lorsque le soir, je me retrouve seule, Louise et Julien viennent me tenir compagnie. Les deux fantômes ne dorment jamais. Ils peuvent aller dans toute la propriété même jusqu’au pavillon et à la maison des gardiens. Un soir, Julien me raconte comment ils ont effrayé des jeunes en exploration dans le pavillon.
— C’était il y a deux ans, au printemps. Nous étions Louise et moi à l’entrée du château. Louise a particulièrement bien astiqué les livres et les étagères de la bibliothèque.
— L’avantage d’être fantôme, c’est que nous n’avons pas besoin d’échelle ou d’escabeau : nous flottons, complète Louise.
— Donc, nous étions dans le salon du pavillon. Je voulais ouvrir le piano droit qu’il y a là-bas. Louise passe environ deux nuits par semaine à nettoyer le pavillon. Le hic, c’est la toiture : là nous ne pouvons rien faire… Alors ce soir-là, trois jeunes arrivèrent avec des caméras et lampes de poche. Enfin, grâce aux magazines que vous laissez, nous avons compris que maintenant le téléphone est plus qu’un téléphone et un appareil photo se tient dans une poche : incroyable ! Bref, ces jeunes ont fait le tour de la propriété. Nous avons trouvé qu’ils s’éternisaient même si on sentait qu’ils ne voulaient rien voler. Alors, nous leur avons fait peur. D’abord reprendre un corps plus consistant comme en ce moment puis marcher violemment. Puis courir : ils se trouvaient à ce moment-là au rez-de-chaussée, nous au premier. Lorsque je fais le pitre, Louise éclate de rire. Puis nous avons fermé des portes assez brutalement… Deux fantômes en colère, ça peut impressionner. Nous avons juste besoin d’être tranquilles. C’est notre demeure familiale, après tout.