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S'aventurer dans "Le Château de Kafka", c’est plonger dans un univers aussi implacable et déstabilisant que l’Enfer de Dante. Le lecteur se trouve perdu dans une forêt noire et touffue, où il doit se frayer un chemin à travers des personnages énigmatiques, issus d’une administration omniprésente et étouffante. Dans ce monde labyrinthique, aucune Béatrice ne vient tendre la main au héros, K., pour l’orienter. L’absurde, ici, devient un jeu d’ombres et de silence, où, au cœur même de l’obscurité, se cache une lueur fragile. C’est cette lueur que l’auteure a cherché à faire surgir.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Après avoir œuvré dans le domaine sanitaire et social,
Nicole Arnould a orienté sa passion vers l’illustration numérique, donnant vie à des œuvres majeures telles que "l'Apocalypse", "La Divine Comédie de Dante Alighieri" – en français et en italien – et "Le Golem" inspiré par Gustav Meyrink. Poussée par une irrésistible tentation d’écrire, elle a d’abord exploré l’univers des nouvelles, avant de se passionner pour le personnage et l’œuvre de Kafka.
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Seitenzahl: 168
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Nicole Arnould
Le château de Kafka
Roman
© Lys Bleu Éditions – Nicole Arnould
ISBN : 979-10-422-6995-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Franz Kafka et à Max Brod
Entrer dans le roman de Kafka « Le Château », c’est comme entrer dans l’Enfer de Dante. Après avoir lu quelques pages, le lecteur se retrouve dans une forêt dense, ténébreuse, où il lui faut se frayer un chemin au travers de situations absurdes, où les fauves sont remplacés par les personnages déconcertants d’une administration étouffante, une forêt où n’apparaît aucune Béatrice pour guider le héros, K.
K. ? Difficile de ne pas lui donner le visage de Kafka !
Commencé le 22 janvier 1922, le roman s’arrête en septembre, au milieu d’une phrase. Après un long récit, plein de tribulations qui prêteraient à rire (il paraît que Kafka lui-même en riait en lisant des passages du roman à ses amis) si on ne trouvait présentes, en arrière-plan, une détresse latente et une respiration haletante.
Et quand, parvenu à la dernière page, le lecteur tombe sur cette phrase inachevée :
… et ce qu’elle disait
cette impression de cœur qui s’arrête de battre !
Que disait-elle, la Mère ?
Max Brod devait brûler le manuscrit : il ne l’a pas fait. Nombreuses sont les hypothèses qui ont été émises sur cet arrêt brutal. J’ose formuler la mienne : Kafka a lancé un défi à ses lecteurs : achever le roman.
C’EST CE QUE J’AI ESSAYÉ DE FAIRE.
N.A.
Dans la maison basse de Gerstäcker, la salle était faiblement éclairée par le foyer et par un reste de bougie, à la lueur de laquelle quelqu’un lisait un livre, penché dans un recoin sous les solives qui pointaient en biais. C’était la mère de Gerstäcker. Elle tendit vers K. sa main tremblante et le fit asseoir près d’elle, elle parlait avec peine, on avait du mal à la comprendre, mais ce qu’elle disait apporta à K. le réconfort dont il avait besoin en cet état d’épuisement qui le terrassait.
Stimulée par la venue de K. et retrouvant ses forces, elle parla en ces termes :
— Vous vivez des moments difficiles, mon garçon. Mon fils m’a appris comment vous étiez arrivé dans ce pauvre village pour y être embauché comme géomètre par le comte West West. Vous y avez été mal accueilli, en effet, l’hospitalité n’existe pas ici. On vous a d’abord accusé d’être un escroc et vous vous heurtez à présent à l’administration dévorante du comte.
Elle s’interrompit soudain et posa sa main gauche sur l’épaule de K.
— Mais je vois que vous tremblez de froid et peut-être de faim. Prenez la couverture qui se trouve sur la chaise, là-bas dans le coin, enroulez-vous dedans et installez-vous à la table près de ce poêle. Il reste un peu de soupe du dîner, je vais la faire réchauffer.
Elle posa son livre et, se levant péniblement, mit la casserole de soupe sur un réchaud à pétrole dont la flamme grésilla. Une odeur de bouillon remplit aussitôt la pièce et réjouit les narines de K. Il entoura ses épaules de la couverture à carreaux multicolores jadis tricotée par la Mère et prit place sur un siège en bois de hêtre sur lequel se trouvait un vieux coussin roussâtre tout usé. Quand la casserole fut bouillante, la Mère lui apporta un grand bol de soupe et mit sur une assiette une grosse tranche de pain et un bon morceau de fromage couleur ivoire, veiné de bleu qui brillait à la lumière de la bougie.
K. avait si grand faim qu’il faillit se brûler avec la première cuillerée de soupe. Il entama donc le pain et le fromage. Jamais un repas ne lui avait paru aussi délicieux. Le pain et le fromage furent engloutis aussitôt et il attendit que la soupe refroidisse. La Mère lui apporta aussi un verre de vin rouge comme du sang de taureau, âpre mais réconfortant.
Quand ce fut fini, il voulut la remercier mais l’émotion l’en empêcha. Il saisit donc la main tremblante et la baisa. La Mère eut un demi-sourire ; elle retira sa main et la passa dans les cheveux de K. Ce fut elle qui prit la parole :
— Demain, nous continuerons à parler mais là vous êtes trop épuisé. Allez chercher la paillasse et le drap qui se trouvent dans la chambre à côté, mettez-là près du poêle et faites un bon somme. Demain, il fera jour.
Elle le regarda s’installer puis elle s’en alla lentement après avoir éteint la bougie.
K. s’endormit lourdement, et sa nuit fut peuplée de rêves étranges et rythmée par les quintes de toux de Gerstäcker qui dormait dans la chambre à côté.
Un pâle rayon de soleil filtrant au travers des vitres d’une propreté douteuse et l’odeur accrocheuse du café le réveillèrent. Il était tôt encore et l’on entendait Gerstäcker s’agiter dans sa chambre, probablement occupé à sa toilette et toujours toussant. La Mère allait et venait à pas menus, remuant doucement une casserole ou posant un objet d’un meuble sur un autre. Elle paraissait avoir repris de la vigueur.
K., ragaillardi par sa nuit de sommeil, se leva de sa paillasse et alla saluer la Mère en s’inclinant légèrement avec respect.
— Ah ! Vous voilà réveillé, dit-elle. Remettez la couverture et la paillasse en place et venez déjeuner. Mon fils va nous rejoindre.
Elle déposa sur la table trois bols ébréchés en porcelaine ornée de bluets, une petite motte de beurre et une miche de pain qu’on venait de lui livrer. Gerstäcker sortit de sa chambre, la tignasse poivre et sel ébouriffée et la moustache en bataille. Il avait une sale tête. Il émit un grognement en guise de bonjour. La Mère lui jeta un regard soucieux. Elle apporta la cafetière turque et remplit les bols. Le café fumant acheva de revigorer K. mais n’eut pas le même effet sur son fils qui s’assit pesamment en face de lui.
Le déjeuner terminé en silence, Gerstäcker prit enfin la parole d’une voix caverneuse :
— Il est l’heure d’aller soigner les chevaux et nettoyer l’écurie, monsieur le Géomètre. Avez-vous déjà effectué ce travail ?
— Oui, répondit K. avec empressement. Un de mes oncles avait une écurie et plusieurs chevaux.
— Ici il y en a quatre. Vérifiez bien les sabots, étrillez-les, remplissez les râteliers. Je m’en vais signaler à l’Administration que je vous ai embauché pour ce travail et que vous m’êtes indispensable pour transporter messieurs les fonctionnaires entre le Château et l’Auberge des Messieurs.
Il se gratta la tête et ajouta abruptement :
— Je ne pense pas qu’elle s’y oppose car Monsieur l’Instituteur ne demandait qu’à se débarrasser de vous.
Il accompagna K. à l’écurie attenante à la maison, lui présenta les quatre chevaux assez bien portants et lui montra les outils nécessaires à l’entretien de l’écurie et des animaux ainsi que la réserve de foin et d’avoine. Puis il s’éloigna tout emmitouflé vers l’Auberge des Messieurs.
Lorsque K. eut fini son travail qui lui rappela les bons souvenirs de son adolescence, il retourna voir la Mère assise sur le banc près du poêle.
— Venez, mon garçon.
Elle avait étalé sur une chaise des vêtements d’homme quasiment neufs : linge de corps, pantalons, chemise, veste, etc.
— Je vous ai préparé la chambre qui se trouve après celle de mon fils. Ces vêtements appartenaient à mon fils cadet, Jonas, mort quand il avait votre âge et votre carrure. Habillez-vous convenablement car, tel que vous êtes, vous avez l’air d’un gueux. Vous trouverez une grande armoire, pleine de ses habits. Ils vous appartiennent désormais.
Cette attitude bienfaisante lui noua la gorge d’émotion.
— Pourquoi tant de sollicitude à mon égard ? Vous ne me connaissez même pas ?
— Vous ressemblez à mon fils Jonas.
Elle se tut ; une larme roula sur sa joue ridée et atterrit sur son châle de laine grise. K. garda avec elle un moment de silence. Elle le rompit et lui dit d’un ton pressant :
— Allez vous débarbouiller, maintenant, et revenez vous asseoir près de moi. Nous avons à parler.
K. obéit promptement, il regagna sa nouvelle chambre et trouva tout ce qu’il fallait pour sa toilette. Il se lava et se rasa avec soin et enfila une chemise blanche et un costume gris qui semblaient avoir été faits pour lui. Il rejoignit la Mère qui l’attendait en tricotant un cache-nez.
Elle cessa de tricoter et regarda K. attentivement :
— Ainsi vous êtes géomètre ? Et vous avez reçu une convocation pour venir travailler au Château. Les gens de l’extérieur parviennent difficilement à y pénétrer. Ma longue expérience de vie m’a permis d’observer que l’on n’y était pas facilement admis, même après une convocation. Il faut pendant un temps assez long être soumis à des évènements absurdes, à des tracasseries sans fin, à des rejets, bref à un cheminement tortueux, douloureux, qui pousse certains à abandonner et à retourner chez eux pour une vie confortable. Vous, vous ne vous laissez pas rebuter. Vous faites preuve d’opiniâtreté, de courage. Vous êtes comme un taureau devant le chiffon rouge d’un matador. Et vous êtes arrogant, intrigant, manipulateur, versatile. Prêt à tout pour être reçu au Château. Vous avez essayé de tirer profit de Frieda, cette pauvre serveuse de l’Auberge des Messieurs qui tire son prestige de la réputation qu’elle s’est faite d’être la Maîtresse du haut fonctionnaire Klamm. Elle a tout lâché pour vous suivre, pensant que vous l’aimiez et quand vous avez compris qu’elle ne vous obtiendrait pas une entrevue avec lui, vous avez essayé d’autres moyens et vous l’avez négligée. Elle a elle-même compris qu’elle n’était pour vous qu’un moyen pour réussir dans votre entreprise, elle vous a donc abandonné pour retourner travailler à l’Auberge des Messieurs, ce qui a dû être dur pour votre amour-propre. Est-ce que je me trompe ?
— Ce que vous me dites-là est un jugement très sévère, Madame.
— Préférez-vous que je vous passe de la pommade dans le dos ou que je vous assène quelques vérités ? Prenez le temps de réfléchir sur votre vraie nature et travaillez avec droiture et honnêteté. Continuez les démarches auprès de l’Administration sans manigances. Votre plus grand ennemi est en vous. Prenez-en conscience et vous en obtiendrez un grand bénéfice.
K. voulut répliquer, mais un sentiment confus le retint. Qu’y avait-il de vrai dans le discours de la Mère ? Fallait-il le rejeter ou y réfléchir vraiment ? Il baissa la tête et se tut.
La Mère garda elle aussi le silence, mais reprit ensuite :
— Que comptez-vous faire avec les membres de la famille de Barnabas que l’Administration traite en paria ? Vous voici confronté à une apparente injustice : Amalia, victime du misérable fonctionnaire Sortini qui voulait la mettre dans son lit, victime qui a fièrement résisté, mais a attiré l’opprobre de l’Administration puis du Village tout entier. Olga qui est obligée de vendre ses charmes à l’Auberge des Messieurs et Barnabas lui-même qui, entre courage et dépression, est un messager du Château sans l’être vraiment puisque vous êtes son seul destinataire, vous le géomètre sans emploi convoqué par l’Administration pour un poste où l’on ne vous emploie pas. Allez-vous désormais les ignorer pour vous donner une chance de plus d’avancer dans vos démarches ?
K. leva la tête fièrement, les yeux brillants :
— J’ai toujours jusqu’ici combattu pour la justice qui est la vertu d’un homme droit, ce que je veux être. J’agirai en homme droit en ce qui concerne les autres et moi-même. Si l’administration n’accepte pas cette vertu de ses employés et d’un futur géomètre, alors je n’ai rien à faire ici. Mes manigances, comme vous les appelez, ne me sont pas coutumières mais les erreurs d’un homme désorienté.
La Mère le regarda avec une espèce de tendresse et posa la main sur son bras :
— Tout doux, mon garçon ! Ce que vous avez entrepris pour aboutir nécessite de la persévérance. Même si les chances d’aboutir semblent sans espoir. Persévérez donc.
D’après les bruits qui me sont parvenus, il semblerait que Sortini soit de plus en plus en disgrâce dans la Haute Administration du Château, car il n’en serait pas à sa première vilenie et à sa première victime. Il n’est pas impossible qu’il soit un jour jugé et exclu par l’autorité qui l’emploie. Observons, patientons, espérons.
Ces paroles mirent un peu de baume au cœur de K. et lui redonnèrent courage.
Il regarda la Mère avec reconnaissance. Celle-ci ajouta en jetant sur lui un regard perçant :
— Que comptez-vous faire avec Frieda ? Cette femme est rusée, manipulatrice. Elle utilise divers stratagèmes pour compenser son manque de charme et se faire respecter et obéir. Elle vous a peut-être suivi par intérêt mais vous avez fait de même avec elle. Elle vous a peut-être aimé et vous aussi, en retour. Chacun n’est jamais tout blanc ou tout noir et les sentiments humains sont souvent contradictoires.
Le mieux ne serait-ce pas une rupture nette, franche et dans le respect mutuel ?
— Je vais m’y employer.
Il se leva et alla jusqu’au bûcher afin de ramener une provision de bois pour le poêle. Il se sentait plus léger.
Gerstäcker revint tandis que K. achevait de recharger le poêle. Il se gratta la gorge, retira son épais cache-nez de laine brune, son bonnet de fourrure et sa lourde pelisse. Il prit le siège vide près du poêle, s’assit lourdement en geignant un peu et tendit les mains vers la chaleur bienfaisante. La Mère et K. le regardaient interrogativement en attente de sa parole. Comme il ne disait toujours rien, la Mère l’interpella :
— Alors, fils, comment s’est passée ta démarche ?
— C’est bon, Mère. Je suis allé directement chez Monsieur l’Instituteur et je lui ai parlé tout aussi directement de mon souhait d’embaucher Monsieur le Géomètre. Il a poussé un grand soupir de soulagement, s’est essuyé le front avec un grand mouchoir à carreaux, comme si on venait de lui enlever une lourde charge et après moult récriminations a proposé de saisir directement l’Administration pour ce transfert de poste. Comme il est facilement écouté par Klamm, j’ai aussitôt accepté et nous sommes quittés bons amis.
Mais, que diable lui avez-vous fait pour qu’il ait une telle animosité contre vous ?
Et comme K. ne répondait pas, il ajouta :
— Je vois ! Vous avez dû le tarabuster avec votre insistance pleine de morgue pour rencontrer Klamm qui n’en a pas le moindre désir de son côté. Mettons-nous bien d’accord : moi aussi j’ai le même problème pour voir Klamm, car je veux m’assurer auprès de ce fonctionnaire que ma charge de voiturier va bien être reconduite. Le premier de nous deux qui aura l’oreille de Klamm aidera l’autre dans sa propre démarche. Ça vous va ? Vous êtes d’une incroyable persévérance, moi aussi et c’est la raison pour laquelle je vous fais cette proposi…
La suite de la phrase se perdit dans une quinte de toux déchirante. Quand il eut fini de tousser, il ajouta :
— Par ailleurs, j’ai insisté auprès de Monsieur l’Instituteur pour que dans le contrat qui nous liera vous puissiez assurer mon remplacement auprès de ces Messieurs en cas de besoin. Je ne me sens pas très bien ces temps-ci et le service doit être assuré coûte que coûte.
Mais j’exige de vous un service impeccable tant auprès de l’entretien des chevaux que d’un éventuel accompagnement de ces Messieurs dans leur déplacement entre le Château et le village. Et de la modération dans vos propos. Vous ne toucherez pas un gros salaire, je n’ai pas les moyens de vous payer grassement, mais vous serez nourri et logé et l’on s’occupera de votre blanchissage si la Mère est d’accord. Ça vous va ?
K. acquiesça avec empressement et remercia vivement.
La Mère acquiesça de même et adressa même un demi-sourire à K. Elle était heureuse, en son for intérieur, car elle s’inquiétait beaucoup à propos de la santé de son fils qui l’aidait de moins en moins. Confiante, elle comptait sur K. pour la soutenir et effectuer les travaux domestiques qu’elle avait de plus en plus de mal à accomplir en avançant en âge.
Il commençait à faire nuit. Gerstäcker retourna dans sa chambre pour faire un petit somme avant le dîner. La Mère se leva pour préparer le repas et K. se tint à ses côtés pour l’aider. Ils échangèrent un long regard, sans mot dire. Mais ils se comprenaient.
K. rajouta des bûches dans le poêle pendant que la Mère épluchait les légumes pour la soupe. Elle les coupa en morceaux et les mit dans une casserole, posée sur la flamme de la cuisinière, où bouillonnait de l’eau salée. Elle ajouta un bon morceau de lard et mit le couvercle, puis réduisit un peu l’ardeur de la flamme. Elle s’assit près du poêle et continua la lecture du livre qu’elle lisait lors de l’arrivée de K. après l’avoir invité à faire de même en lui montrant une douzaine de livres qui se trouvaient sur une étagère.
Sur une rangée de 2 mètres environ, il y avait plusieurs ouvrages poussiéreux. Des romans pour la plupart. K. ne lisait pas de romans ; il pencha plutôt vers un petit livre à la reliure fanée sur lequel on lisait en caractères or légèrement effacés : PARACELSE TRAITÉ DES TROIS ESSENCES PREMIÈRES, et s’en saisit. K. ne connaissait Paracelse que par ouï-dire ou par article lu rapidement dans quelque journal à prétention scientifique.
La Mère le regardait faire. Il se tourna vers elle, interrogateur.
Elle devança sa question :
— Ce livre a appartenu à mon Jonas. Il avait fait ses études hors du village dans la Grande Ville. Il me parlait de choses inconnues : alchimie, kabbale… Je l’écoutais sans comprendre mais sa ferveur me touchait et j’étais très fière de son savoir. Lisez donc ce livre et vous me direz ce que vous y avez trouvé.
K. prit place à côté d’elle et ouvrit le livre. Il tomba sur un portrait du célèbre médecin moyenâgeux et le regarda longuement. C’était l’œuvre du peintre, Quentin Matsys (1493-1541), disait la légende. Il l’avait représenté avec un visage débonnaire et sérieux à la fois, légèrement éclairé de rouge, tout en rondeur de bon vivant, le regard droit, énigmatique, de celui qui observe quelque chose de précis, au loin. Des lèvres minces, légèrement entr’ouvertes, apportaient une certaine douceur à un menton autoritaire, proéminent, sur un double menton prolongé par un cou très large et très charnu. Une sorte de toque-béret rouge, peut-être garnie de fourrure, recouvrait le haut d’une chevelure auburn mi-longue et bouclée. Sa main droite, posée sur la main gauche, tenait un petit livre entr’ouvert.
K. sauta la préface d’un certain G. B. et entama le premier chapitre qui débutait ainsi :
Toute chose, engendrée et produite par ses éléments constitutifs, peut se décomposer en trois éléments : en Sel, en Soufre et en Mercure.
Au-dessous figuraient trois symboles géométriques, inconnus de lui.
K. s’efforça de lire les deux pages du premier chapitre, ce qui lui demanda un effort particulier : il ne comprenait absolument rien ! Il survola quelques pages suivantes : intrigué et lassé, il interrompit sa lecture, referma le livre et, après avoir salué la Mère, il se retira dans sa chambre.
S’asseyant sur le rebord du lit, il se prit la tête entre les deux mains et entama une longue réflexion.