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Le château des Épines n’était qu’une grande et vieille maison, dans une situation pittoresque, sur un coteau qui domine la jolie rivière le Loiret et faisant partie autrefois d’un vaste domaine, divisé depuis cent ans.
Le nom de château lui avait été décerné au dix-huitième siècle, quand on l’avait séparée du château véritable, dont elle formait le bâtiment principal des communs.
Elle ne justifiait cet apanage honorifique par aucun luxe ; mais elle l’expliquait par son attitude fière, par cet air d’orgueil que les valets perpétuent, quand les maîtres se sont vulgarisés.
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Veröffentlichungsjahr: 2020
LE CHATEAU
DES ÉPINES
PAR
LOUIS ULBACH
© 2020 Librorium Editions
Tous Droits Réservés
LE CHATEAU DES ÉPINES
I - L'AFFUT
II - CÉLINE
III - LA SÉPARATION
IV - ROLAND D'AMBREVILLE
V - JULIE
VI - CHARLES DONTILLY
VII - LE REMORDS
VIII - LE RETOUR DU MARI
IX - LA MAISON DU GARDE
X - LE COUP DE SANG
XI - L'INTERROGATOIRE
XII - LA DEMANDE EN MARIAGE
XIII - LA CRISE
XIV - COMPLICATION
XV - MADAME DE MARVAL
XVI - L'ARTICLE 767
XVII - LE DÉPART
Notes
LE
CHATEAU DES ÉPINES
I
L’AFFUT
Le château des Épines n’était qu’une grande et vieille maison, dans une situation pittoresque, sur un coteau qui domine la jolie rivière le Loiret et faisant partie autrefois d’un vaste domaine, divisé depuis cent ans.
Le nom de château lui avait été décerné au dix-huitième siècle, quand on l’avait séparée du château véritable, dont elle formait le bâtiment principal des communs.
Elle ne justifiait cet apanage honorifique par aucun luxe ; mais elle l’expliquait par son attitude fière, par cet air d’orgueil que les valets perpétuent, quand les maîtres se sont vulgarisés.
Le Château, qui s’appelait le château des Rosiers, était devenu une jolie maison de campagne bourgeoise, malgré les chiffres de ses grilles et les écussons de sa façade. La Maison, qu’on avait détachée et qui des rosiers n’avait gardé que les épines, restait seule un témoin solennel du passé, avec les deux étages de terrasses qui l’exhaussaient et en faisaient une grande tour carrée, avec les formidables contreforts qui soutenaient la terrasse supérieure plantée de tilleuls, du côté de la route, avec les grands arbres et les pelouses moussues de son jardin vallonné, avec cette lèpre des années sur les murs, qu’on avait dédaigné de gratter.
Vers dix heures du soir, dans l’été de 1869, deux hommes, après avoir traversé avec précaution la terrasse supérieure, en sortant du logement du jardinier, situé sur un des côtés de cette terrasse, étaient descendus doucement dans le jardin, s’avançant comme des voleurs, se retournant pour s’assurer qu’on ne les écoutait pas, ni qu’on ne cherchait pas à les voir d’une fenêtre ouverte et éclairée, au premier étage.
Quand ils furent au bas de l’escalier des deux terrasses, sous l’ombre noire des arbres, que la lune ne pouvait pénétrer, un des deux hommes dit à l’autre, d’une voix qui vibrait entre ses dents serrées :
– Tu m’as compris ?
– Oui, monsieur le comte.
– Pas un mot ! Un coup de fusil, et c’est tout.
L’homme qui recevait ce conseil ou plutôt cet ordre parut hésiter ; il se gratta l’oreille, secoua la tête et murmura :
– Cependant, il faudrait savoir…
– J’en sais assez.
– Tuer un homme !
– As-tu peur ?
– Peur de lâcher un coup de fusil ? Mon colonel sait bien que non ; mais avons-nous le droit ?.
– Je l’ai, moi. je te le donne.
– On entendra tirer !
– Je veux qu’on entende ! D’ailleurs ce n’est pas la première fois que tu vas à l’affût.
– A l’affût ?
– Oui. Ce soir, je te donne à tirer le gros gibier, une bête fauve ; le bruit sera le même que si tu tirais un lapin.
Ce raisonnement avait-il paru concluant à celui qu’il devait persuader ? Il ne fit plus d’objections.
Les deux hommes avaient à franchir un espace découvert, un sentier contournant une pelouse. Ils s’avancèrent en se courbant, en étouffant leurs pas dans le sable.. Le clair de lune les intimidait.
Quand ils furent rentrés dans l’obscurité d’une allée, le comte reprit d’un ton brusque :
– Tu as raison, Martial, ce n’est pas à toi à tirer.
– Pourtant, si mon colonel le commande…
– Tu le manquerais ; donne-moi ton fusil !
Il étendit la main.
– Ah çà, tu ne l’as pas ? où est-il ?
– Là, dans la serre.
– Va le chercher.
La serre était à dix pas. Martial obéit.
En revenant, il dissimulait mal un tremblement qui n’était peut-être, après tout, qu’une affectation de fausse sensibilité.
– Poltron ! lui dit le comte en lui prenant vivement le fusil.
Ils marchèrent encore. Le jardin, qui n’avait pas eu la même fortune que la maison, et qui n’avait pas usurpé le nom de parc, comme celle-là avait pris le nom de château, était grand ; il aboutissait à cette jolie rivière du Loiret, si courte, qu’elle n’a pas le temps d’avoir une histoire.
Une haie d’épines servait de clôture au jardin ; au delà, un petit sentier bordant la rivière, qui coulait avec un scintillement sonore, tant les paillettes semées par la lune rythmaient le bruit de l’eau sur les cailloux et à travers les roseaux de la rive.
Ce chemin mobile, tout bleu, lamé d’argent, invitait si fort à la rêverie tendre, que ces deux hommes, dont l’un était un rustre et l’autre un furieux, se sentirent inquiétés.
La nature, quoi qu’on fasse, est toujours un miroir qui attire. Les uns y reflètent la poésie d’un rêve ; les autres y cherchent la vision pressentie d’un remords.
– Il y a trop de lune, soupira Martial.
Il voulait faire croire que la clarté nuisait au guet-apens ; mais peut-être qu’à son insu il pensait que le guet-apens profanait la clarté.
– Je voudrais qu’il fit jour, grommela le comte.
Ils restèrent pendant quelques minutes immobiles, . muets, avec ce frisson intérieur qui précède ou qui suit une œuvre hardie. Ils n’avaient plus rien à se communiquer ; ils attendaient.
Le comte se lassa d’attendre.
– S’il ne venait pas ! dit-il avec un geste de menace.
– Martial se retourna, et sans faire d’autre signe, par ce simple mouvement, désignait une fenêtre ouverte dans la façade du château.
Au loin, à travers les arbres, on voyait la lumière d’une lampe placée près du balcon de cette fenêtre, et l’exhaussement singulier que les deux étages de terrasses donnaient à la maison faisait de cette lampe un fanal au sommet d’une tour.
Le comte comprit.
– Oui, on l’attend. Pourquoi ne l’as-tu pas tué, la première fois qu’il est venu ?
– Je n’avais pas d’ordre.
– Tu as la consigne de garder mon bien : tout homme qui vient la nuit par ce chemin est un malfaiteur.
– Une autre fois !…
– Il ne reviendra pas, une autre fois... Tu as bien fait, après tout, de me réserver ce coup-là.
Ramenant ses yeux ardents sur le Loiret, de plus en plus scintillant, et qu’il paraissait allumer lui-même par la traînée de ses regards, le comte murmura :
– Viens donc ! viens donc ! Lâche ! il hésite peut-être à s’aventurer par une nuit pareille ! Ce n’est pas commode pour les voleurs ; mais c’est si agréable pour les amoureux !… Oui, voilà une belle nuit pour la mort.
Ce dernier mot n’était pas seulement une menace. Au souffle qui le faisait vibrer, on eût senti un regret, un vœu.
Le comte s’appuya sur le fusil, avec un air de lassitude.
– Quelle dérision d’être ici, après ce que j’ai fait pour elle ! Si je le manque, je ne me manquerai pas.
– Y pensez-vous, mon colonel ?
– Oui, j’y pense. Je les gêne ! Mort ou vivant, je les gênerai toujours. Si je les tue, ce sont eux qui me gêneront.
– Ah ! mon colonel !
– Tais-toi donc, imbécile, avec ton titre de colonel. Parce que je vais tuer, est-ce que je fais un métier de soldat ? Je fais un métier de mari trompé, ridicule ; ne me donne pas de nom, je n’en ai plus. S’il pouvait se défendre ! Crois-tu qu’il soit armé ?
– Je n’en sais rien.
– Je voudrais me battre ! j’aimerais mieux cela. Il peut tirer le premier. S’il me tue, tu le dénonceras comme un assassin.
– Je le tuerai !
– Mais non, va, ne me venge pas, si je ne me suis pas vengé !
– Pendant un court silence qui suivit ces paroles, on entendit un léger bruit sur la rivière.
– N’est-ce pas lui qui vient là-bas ?
Le comte étendit la main au-dessus de la haie.
Une barque venait de l’autre rive, coupant le fil de l’eau, en faisant frissonner les bandes d’argent de la rivière à chaque coup d’aviron.
Martial regarda à son tour :
– Oui, c’est lui.
Le comte souleva lentement le fusil et engagea le canon dans les branches d’épines. Martial osa poser la main sur le bras de son colonel et lui souffler :
– Laissez-le entrer !
Le comte haussa les épaules, mais suivit le conseil ; il retira le fusil de la haie, et, pâle, rigide, attirant des yeux sa victime, il attendit encore.
Le rameur atteignit le bord, se baissa dans les roseaux pour trouver le moyen d’y retenir la barque, mit pied à terre, et marcha vers une petite porte à claire-voie dans la haie, tout à côté de l’endroit où les deux hommes étaient postés.
Il l’ouvrit ; mais, à peine avait-il fait un pas, que le comte se planta devant lui.
– Qui êtes-vous ?
Le rameur tressaillit, recula sur le chemin étroit qui bordait l’eau et ne répondit pas.
– Je vous ai demandé votre nom, reprit le comte.
L’homme resta immobile, silencieux.
– Moi, je suis le comte de Sabaillan.
L’homme s’inclina avec respect.
– J’ai le droit de vous tuer comme un voleur.
Je vous surprends chez moi. Qui êtes-vous ?
L’inconnu se croisa les bras, mais ne proféra pas une parole.
– Misérable ! tu ne veux pas répondre ? Je te forcerai bien, si tu n’es pas le dernier des lâches, à te nommer !
Le comte, exaspéré, leva la main et fit la menace d’un soufflet. L’homme recula de deux pas ; il était sur le bord de la rivière ; son pied, mal affermi, glissa dans les touffes d’herbes ; il fit un effort pour reprendre son aplomb ; la terre s’effondra sous son pied ; il battit l’air de ses deux bras et chancela.
Le comte avait eu le temps de remettre son fusil à l’épaule ; et, quand l’homme se renversa en arrière, un coup de feu retentit.
Martial, qui regardait avec des yeux avides de terreur, vit la rivière s’ouvrir, un homme s’y enfoncer, puis des cercles concentriques se former, s’élargir et venir remuer les herbes du rivage. La barque oscilla en faisant clapoter l’eau contre les avirons ; puis la lune effaça sous un nouveau galon d’argent le sillage de l’embarcation, avec la trace de l’homme englouti.
Le comte avait laissé tomber son fusil. Il regardait devant lui, désappointé d’avoir fini si vite, stupéfait d’un meurtre qui lui avait coûté si peu, attendant l’éveil d’une joie sauvage ou d’un deuil, redevenu de sang-froid, faute d’une colère à exercer encore, ou d’un remords à subir.
Quand la rivière eut repris son doux aplanissement, il s’éloigna de quelques pas, se mit dans une obscurité absolue, attendit Martial qui avait ramassé l’arme, avant de le rejoindre, et lui dit tout bas :
– Sais-tu son nom ?
La question était singulière.
– Non, monsieur le comte.
– Après tout, que m’importe ! je le saurai si j’ai besoin de le savoir. Tu es bien sûr que c’était lui ?
– Oui, monsieur le comte.
– Tout est dit ! Demain tu viendras avec moi à la mairie. Je ne veux pas qu’on soupçonne un innocent.
Martial soupira.
– Sois tranquille, reprit M. de Sabaillan avec une douceur glaciale ; on ne t’inquiétera pas, et je les défie bien de faire de moi un assassin. Tu as rempli ton devoir de bon serviteur. Moi, je n’ai pas fini celui de maître et de justicier.
Il parut se ranimer lui-même par ces dernières paroles. Sa colère, un instant interdite et assouplie, se releva et s’arma de nouveau.
Ils reprirent le chemin de la maison, sans se parler, en marchant avec moins de précautions qu’au départ.
Au bas de l’escalier de la première terrasse, le comte s’arrêta pour regarder la fenêtre du premier étage. Elle était toujours béante. La lampe était toujours posée au bord pour un signal ; mais on eût dit que sa flamme palpitait sous un courant d’air plus vif, comme si une porte de l’intérieur s’était brusquement ouverte.
– On a entendu, murmura-t-il.
Il gravit, à demi caché par de grands vases de géraniums qui bordaient l’escalier, les dix marches qui conduisaient à cette terrasse plantée de fleurs.
Une ombre, ou plutôt une femme, en peignoir blanc, était penchée sur la balustrade de la terrasse supérieure. En entendant monter, elle dit d’une voix inquiète :
– Ne montez pas ! je descends.
Mais le comte, se redressant, se grandissant, continua de monter. Ne redoutant plus le bruit, ne craignant pas d’être reconnu, puisqu’il avait été vu, il marquait fortement le pas, et ses pieds frappaient la pierre comme des pieds de marbre ; il montait, rigide, implacable, vers celle qui descendait vers lui.
La lune lui mettait au visage un masque de statue troué par deux étincelles, et comme il avançait, livide au-devant de la clarté, laissant son ombre derrière lui, on eût dit que c’était lui qui blanchissait l’air dans lequel il se mouvait.
La jeune femme avait descendu deux marches, sans lever la tête. A la troisième, elle regarda, reconnut M. de Sabaillan, fit un geste d’épouvante, étouffa le cri qui lui venait aux lèvres, voulut se raidir contre cette apparition et, montant à reculons les marches descendues, alla ainsi jusqu’au terre-plein de la terrasse, ses yeux grands ouverts, fixés sur les prunelles flamboyantes du comte.
Il y eut un silence terrible. Aucun des deux ne savait comment le rompre. Ce fut elle qui eut le courage de parler, d’interroger :
– D’où venez-vous ?
– Du rendez-vous où vous alliez.
Elle fut saisie, d’une anxiété nouvelle ; mais, sans honte, et osant plonger ses regards, menaçants à leur tour, dans les regards du comte de Sabaillan :
– Alors, dit-elle lentement, la bouche frémissante, ce çoup de fusil ?…
– C’est moi qui l’ai tiré.
Elle poussa un cri ; mais aussitôt, voulant ressaisir un peu de sang-froid et lutter contre la réalité :
– Il vous a échappé ?
– Je ne crois pas.
– Mort ?
– Oui.
– Ce n’est pas vrai. Vous ne l’avez pas tué.
– Demandez à Martial.
Le comte se tourna à demi, montra le jardinier qui l’avait suivi et qui essayait de se dissimuler dans la partie ombreuse de la terrasse, baissant la tête, tenant encore à la main le fusil qui venait de servir au meurtre.
La jeune femme alla droit à Martial, le questionnant du geste. Il s’inclina.
– Misérable, reprit-elle d’une voix sourde, c’est toi qui es cause de ce crime ! Tu me hais donc bien ?...
– Il m’aime ! répondit le comte.
– – Je vous dis que c’est un crime ! repartit la jeune femme avec énergie, un crime abominable.
– C’est le commencement d’une œuvre de justice, répliqua M. de Sabaillan.
– Si vous saviez !. ohh ! vous ne saurez jamais à quel point cet homme vous a trompé !... Vous voulez me tuer ? Vous aurez alors deux assassinats au lieu d’un. Recharge ton fusil, Martial… Monsieur, je ne vous demande ni grâce ni pitié… Je vous avertis seulement que vous serez bien cruellement puni. Où est-il ?... Je veux le voir.
– Vous le pleurerez, sans le voir.
– Avant de le pleurer, je veux être confrontée avec lui, mort ou vivant. S’il survit à votre guet-apens, il vous dira comme moi que votre fureur a été injuste, et, s’il est mort, je veux que vous ayez plus peur que moi d’affronter sa vue.
– C’est de l’audace !
– Non, c’est de l’innocence !
– Il était votre amant !
– Je n’ai pas eu d’amant, et je suis désormais plus digne que vous de porter le nom de Sabaillan.
– Vous mentez !
– Je ne mens pas plus que le jour où j’ai promis d’être une mère pour votre fille, une femme honnête et fidèle pour vous.
L’assurance extraordinaire de madame de Sabaillan imposait à son mari.
– Mais cet homme ? dit-il.
– Il fallait l’interroger avant de le tuer.
– Ainsi vous niez ?
– Faites de moi ce qu’il vous plaira, monsieur ; je ne répondrai plus que devant votre victime.
Le comte était frappé de cette attitude qui n’était ni le désespoir d’une femme dont on vient de tuer l’amant, ni la confusion d’une adultère. Il fallait croire à cette sincérité visible, ou supposer une hypocrisie telle qu’on devait écraser un pareil monstre, sans lui laisser une heure de répit, qui serait une heure d’embûche, de séduction.
Mais quel monstre que cette jeune femme, dont la figure douce n’avait rien perdu de sa limpidité dans la transfiguration de sa colère !
M. de Sabaillan passa à deux reprises la main sur son front. La fièvre, contenue jusque-là par sa volonté, bourdonnait dans sa tête, faisait battre son cœur avec violence, le menaçait de vertige.
– Antonie ! balbutia-t-il.
La jeune femme sentit son avantage. Comme son devoir était d’en profiter, elle regarda de nouveau Martial, lui montra le fond du jardin, et dit avec autorité :
– Va !
Martial hésitait.
– C’est inutile, reprit M. de Sabaillan ; la rivière.
Un geste compléta la réponse.
– Assassins ! murmura la jeune femme avec une douleur si pure et si vraie, qu’elle défiait toute calomnie et qu’elle touchait les meurtriers comme d’une compassion profonde.
Elle leva les yeux au ciel et se retourna pour rentrer au château, laissant derrière elle un homme armé qui pouvait la frapper, un homme pris de vertige qu’elle venait de braver.
Elle allait doucement, simplement, sans peur, pour mieux montrer qu’elle était sans reproche. Elle atteignit la porte de la maison, mit pendant une seconde une lueur blanche dans le noir opaque du vestibule, s’engagea dans l’escalier et monta du même pas tranquille.
Quand elle fut dans sa chambre, elle tomba à genoux sur le seuil, et, joignant les mains :
– Mon Dieu ! dit-elle, donnez-moi la force de faire mon devoir !
Elle se releva par un effort, comprima les sanglots qui soulevaient sa poitrine, et se dirigea vers la fenêtre ouverte.
– Que faut-il faire ? se demanda-t-elle ; me défendre, ou m’immoler ?
Elle prit la lampe qui avait servi de signal et la déposa sur une table, au milieu de la chambre.
– Pauvre ami ! se dit-elle, en ne retenant plus ses larmes. Se peut-il qu’ils l’aient tué ?
Son immense douleur la glaçait d’un sang-froid terrible. Non seulement elle cherchait à évoquer, à se représenter la scène qui venait d’avoir lieu, mais encore elle pensait, avec une lucidité merveilleuse, aux causes de cette catastrophe.
– Ce Martial ! j’aurais dû m’en méfier ; c’est lui qui a averti le comte. Que dirai-je demain ? Que faire, si la justice s’en mêle ?
Elle ferma la fenêtre, fit plusieurs tours dans sa chambre, et finit par s’asseoir, joignant les mains, écoutant vaguement, avec une crainte qui n’était pas celle de la mort, si les pas du comte de Sabaillan se faisaient entendre dans l’escalier ou dans le couloir, comme elle les avait entendus retentir sur les marches de pierre de la terrasse.
Elle avait laissé la porte ouverte, ou par oubli, ou par dédain, ou par bravade, ou par sou mission à un châtiment immérité.
II
CÉLINE
Les deux meurtriers étaient restés sur la terrasse, le comte embarrassé de sa colère, Martial embarrassé de son fusil.
Il avait suffi de quelques paroles, ou plutôt de la seule apparition de la femme qu’il croyait coupable, pour réveiller dans la conscience de M. de Sabaillan, en même temps qu’un remords subit et confus, les protestations d’un amour et d’un respect dont il ne s’était pas déshabitué.
Il se sentait pris au piège de ce meurtre rapide, sans explication préalable. Il ne savait pas même le nom de sa victime. Les apparences l’excusaient ; les rapports de Martial le justifiaient ; mais l’indignation de sa femme l’accusait.
Quand elle fut rentrée, il eut un dernier spasme de fureur. Ce départ simple et fier l’insultait, et. s’il avait eu tort, il voulait être plaint, mais non pas insulté.
– Ah ! dit-il en crispant ses poings, j’ai peur de devenir fou !
La présence d’un témoin, d’un complice, l’exaspéra encore ; il regarda Martial.
– Toi, si tu m’as trompé, je te tuerai.
– J’ai dit ce que j’ai vu.
– Pourquoi l’as-tu dit ? Te l’avais-je demandé ?
– Vous me rendiez plus de justice, il y a un quart d’heure, monsieur le comte.
– Je ne me souvenais que de ton amitié. Je me souviens maintenant de ta haine pour la comtesse. Tu la hais trop pour ne pas me haïr.
Il semblait interroger si nettement Martial que celui-ci ne put s’empêcher de répondre avec franchise :
– C’est vrai, je n’aime que vous et mademoiselle au château ; mais je vous aime assez tous les deux pour me charger d’un crime, s’il le fallait. Seulement, je suis incapable de mentir pour vous prouver mon dévouement. Ce que j’ai vu, je l’ai rapporté. S’il en résulte un malheur, est-ce ma faute ?
Le ton de soumission de ces paroles troubla de nouveau le comte ; il baissa la tête, fit quelques pas sur la terrasse, regarda la fenêtre fermée et, entraînant Martial par un geste de commandement :
– Viens voir s’il est mort… Elle veut être confrontée avec lui. Faisons ce qu’elle veut.
Ils redescendirent de nouveau les escaliers, d’un pas lourd, et s’engagèrent dans le jardin.
Qu’était-ce que ce M. de Sabaillan, dont la présentation a été faite d’une façon si brutale au lecteur ?
Une sorte de Barbe-Bleue ? de phénomène féodal ? Non, mais un homme violent, un vieillard entêté de jeunesse, qui pouvait être foudroyé par l’âge, sans l’avoir jamais senti venir, et qui, noble de race, roturier d’habitudes, ayant été soldat, portait haut l’honneur de son nom, et prétendait le défendre, comme on défend un drapeau, les armes à la main.
A soixante ans, après avoir pérdu une femme qu’il négligeait beaucoup, il s’était remarié à l’ancienne institutrice de sa fille, qu’il estimait, pour n’avoir jamais pu la séduire, mais qu’il eût tuée, comme il avait trouvé tout simple de tuer son amant supposé ; comme il avait fait tuer des insurgés, dans quelques algarades de guerre civile.
Bon, malgré sa violence, faible, ainsi que l’est souvent un tyran, il avait un orgueil qui le préservait des vilenies, mais qui ne l’eût pas empêché de commettre un crime.
Le souvenir d’une jeunesse emportée donnait à M. de Sabaillan un scepticisme qu’il prenait pour de la sagesse et de la prudence.
Il avait enlevé sa première femme à sa famille. Il admettait très facilement qu’on songeât à lui prendre sa seconde femme, plus jeune que lui de trente ans, jolie, intelligente, tendre, qu’il aimait, sans être absolument sûr d’en être aimé.
Il avait pris sa retraite, avec le grade de colonel, un peu malgré lui, après une dispute, dans un souper, chez une danseuse où il avait failli souffleter son général.
L’empereur Napoléon III, par respect pour la réputation de la danseuse qu’il connaissait, avait bien vite étouffé l’affaire : un peu de baume pris dans sa cassette avait guéri la vanité du général. Une semonce paternelle à Sabaillan avait satisfait la morale.
Seulement, le colonel, auquel le Sénat était promis comme un encouragement, s’il redevenait sage, avait été contraint de donner sa démission et de se retirer dans son château des Épines.
M. de Sabaillan dépensa sa mauvaise humeur de disgracié en exercices violents, en chasses continues ; puis, devenu veuf, n’ayant plus personne à trahir, il s’ennuya, et s’avisa d’aimer pour tout de bon, d’aimer pour en faire sa femme mademoiselle Antonie Dubois, l’institutrice de sa fille, dont il n’avait pu faire sa maîtresse.
Antonie était une orpheline, pauvre, intelligente, qui fut touchée de la demande de M. de Sabaillan, sans en être séduite. Elle aimait son élève, mademoiselle Céline, comme une petite sœu ; elle voulut l’aimer comme son enfant.
L’ambition de la maternité l’avait sollicitée parfois. Elle la tenta tout à fait, beaucoup plus que la protestation d’amour du comte, qui l’avait alarmée d’abord.
Elle eut l’éblouissement d’une vision de famille. Elle avait été l’amie de madame de Sabaillan, qui lui avait pour ainsi dire légué sa fille dans un baiser d’adieu ; elle accepta, comme une bénédiction de la morte, la tâche difficile et délicate de lui succéder.
Le comte ne s’avouait pas qu’il se remariait aussi pour que son château ne fût jamais vide et pour que sa fille ne l’embarrassât pas en grandissant. Il eut une flambée d’enthousiasme ; il fut reconnaissant pendant six mois, resta galant et courtois envers la nouvelle comtesse, dont l’esprit Le charmait, mais se crut autorisé, par ce mariage qui lui donnait une châtelaine, à quitter souvent le château, pour de grandes parties de chasse, pour des voyages à travers la France, pour des visites à d’anciens camarades du régiment revenant, après chaque absence, plus jeune et plus amoureux ; comme si cette gymnastique eût été un calcul de son amour autant qu’elle était un besoin de son tempérament.
Il était remarié depuis cinq ans, lorsqu’il avait été rappelé du fond des Ardennes, où il chassait, par une lettre de Martial, son vieux soldat d’ordonnance, devenu jardinier, régisseur, factotum du château des Épines.
Martial était incapable de mentir ; mais le moindre indice accusateur qui lui permettait de satisfaire son antipathie contre la nouvelle comtesse était bien reçu.
La domesticité, jalouse par essence des situations intermédiaires entre le maître et le valet, ne pardonne pas les mésalliances, même, sinon surtout, celles qui descendent presque jusqu’à l’office.
Dieu merci, la fierté du colonel, comte de Sabaillan, n’était pas descendue jusque-là ; mais c’était déjà trop pour la fierté aristocratique de l’ancien brosseur du comte que cet honneur fait à une institutrice pauvre, qui avait le tort d’être jolie. Ne pouvant en vouloir sérieusement à son colonel, le soldat s’en était donné à cœur-joie de détester, d’espionner, de dénoncer madame de Sabaillan.
Nous l’avons vu hésiter à tirer sur un inconnu.
Il était fort possible qu’au fond de cette pusillanimité il y eût le regret, à demi inconscient, de n’avoir pas reçu le commandement de tirer d’abord sur la comtesse.
L’amant était pour lui une autre victime des roueries de la femme qui avait englué son maître, et il était presque tenté de plaindre ce complice.
Pendant que M. de Sabaillan et Martial se dirigeaient vers la rivière, Antonie gardait la même attitude, priant, pleurant, réfléchissant, écoutant tout à la fois.
Une heure se passa.
La comtesse entendit fermer les portes du rez-de-chaussée. Les meurtriers étaient revenus. Mais, à ce bruit, succéda tout à coup un silence si profond et si prolongé, que la malheureuse femme comprit que, du moins pour le restant de la nuit, toute tentative d’interrogatoire avait cessé. Elle était libre dans sa prison. Elle avait le loisir de combiner un plan de défense.
Dans la torture de cette veillée, à travers son deuil et ses alarmes, madame de Sabaillan ressentait de la pitié pour le comte.
– Comme il doit souffrir ! se dit-elle à plusieurs reprises.
Quand elle fut assurée que personne ne monterait par le grand escalier du château, et que c’était inutilement qu’elle avait laissé la porte de sa chambre ouverte à son juge, elle se leva pour aller s’enfermer ; mais elle hésita, s’arrêta, posa son front dans sa main, et médita pendant quelques minutes sur une idée qui venait de surgir tout à coup.
Les larmes s’étaient séchées dans ses beaux yeux, accoutumés à la tristesse et au courage. Elle rajusta ses cheveux pour donner à sa figure une correction décente, qui ne trahît, au besoin, aucune des angoisses qu’elle venait de traverser.
Elle alla prendre sur la cheminée un flambeau qu’elle alluma, se regarda dans la glace pour s’exhorter d’un coup d’œil et sortit doucement.
Le château était divisé par un large couloir sur lequel s’ouvraient toutes les chambres. Antonie s’arrêta à la porte de l’une d’elles. La clef était à la serrure ; en la faisant tourner avec précaution, la jeune femme était très pâle ; un faible sourire, douloureux comme un sanglot, mettait une lueur sur sa bouche.
Elle entra.
La chambre était petite, élégante, tendue d’étoffes, embaumée, et avait un aspect de boudoir, à première vue.
Madame de Sabaillan referma la porte derrière elle en ayant bien soin de ne faire aucun bruit, et, voilant La flamme de la bougie de sa main tremblante, elle s’approcha de l’alcôve où dormait mademoiselle Céline de Sabaillan.
Le sommeil de la jeune fille n’avait été troublé ni par les détonations, ni par le bruit des voix dans le jardin. Si Céline rêvait, le rêve était doux, car le souffle de sa poitrine, entrouvrant ses lèvres, y faisait vibrer un beau sourire.
Elle reposait dans l’abandon d’une ingénuité hautaine, qui ne redoute aucune surprise, Son bras nu était relevé sous sa tête ; ses cheveux noirs, sortis de la résille mal nouée qui les enfermait pour la nuit, s’étaient répandus sur son oreiller ; une de ses jambes, dégagée du drap, pendait hors du lit, et le pied blanc touchait presque la pantoufle, qui semblait l’attirer, sur Le tapis.
Céline paraissait avoir été surprise par un brusque sommeil, avant d’avoir fini de s’installer dans son élégante couchette.
Si madame de Sabaillan n’avait eu d’autre intention que de s’assurer de la parfaite quiétude de ce sommeil, elle pouvait se retirer, rassurée au moins sur ce point. Le drame qui s’était joué, ou le prologue du drame qui avait commencé au dehors, n’avait pas eu d’écho dans cette chambre coquette.
Mais l’inquiétude d’Antonie de Sabaillan ne tenait sans doute pas uniquement à la crainte de trouver mademoiselle Céline éveillée, car elle devint plus triste, plus pensive devant ce tableau gracieux, dont un peintre et un poète eussent été éblouis.
Les vêtements de jour retirés avec insouciance, et tous à la fois, gardaient dans leur affaissement sur un fauteuil et sur le parquet une vague empreinte du corps qu’ils avaient contenu. Les bijoux, la montre, des bagues s’éparpillaient sur une petite table en bois de rose, à travers des rubans et des fleurs fanées. Le corset, détaché le dernier, avait sans doute été jeté avec impatience sur une chaise basse, placée près du lit ; le lacet serpentait jusqu’à la pantoufle, commençant une petite ligne blanche qui grandissait avec le pied et la jambe, pour s’épanouir dans cette sorte de voie lactée, teintée de rose, que formaient la poitrine et tout le corps, sous les transparences et les intermittences des draps.
Une bougie, qu’on avait oublié d’éteindre, s’était consumée jusqu’à la fin, dans un petit flambeau bas, en vieux saxe, posé sur un guéridon.
Céline avait eu hâte de se coucher, de s’endormir, sous l’accablement de la chaleur du jour, de l’ennui et de ses vingt ans.
A en juger par cette jambe de Diane chasseresse, par ce bras d’un modelé fin, par cette bouche empourprée, par ces abondants cheveux noirs, la dormeuse devait être grande, souple, tour à tour active et nonchalante, une statue de la Renaissance plutôt qu’une statue antique.
L’activité s’affirmait par un chapeau d’amazone avec un voile vert accroché à la saillie d’un miroir de Venise penché au-dessus de la. toilette, par une cravache jetée sur un fauteuil. La nonchalance se dénonçait par le désordre de la chambre. Sur une toilette-pompadour, garnie d’étoffes et de dentelles défraîchies, une boîte de poudre de riz ouverte à côté de sa houppe, un flacon débouché, un éventail dont la première lame était brisée, toutes sortes de brosses, un bracelet sur une lime à ongles, témoignaient de l’insouciance de cette grande et belle jeune fille.
Une étagère faite pour des livres supportait de petites porcelaines chinoises ou saxonnes, dont quelques-unes étaient ébréchées.
On eût cherché vainement un travail commencé et la place où, dans sa chambre, Céline s’asseyait et s’installait, sinon pour travailler, du moins pour réfléchir et se recueillir.
Madame de Sabaillan, l’ancienne institutrice, devenue la mère de Céline, était-elle responsable, pour tout ou pour partie seulement, de ce désordre ? Faillait-il attribuer au repentir de sa faiblesse sa contemplation pensive, attristée, et le soupir qu’elle poussa en regardant cette grande jeune fille endormie dont la quasi-nudité s’ajoutait au scandale de cette atmosphère profane ?
Elle posa la bougie sur la toilette, et, s’approchant de Céline, elle l’éveilla doucement en lui prenant la main enfouie dans sa chevelure.
Céline ouvrit les yeux, rapprocha instinctivement les sourcils, mécontente d’être arrachée à un rêve dont le miel dorait ses lèvres, et, après quelques battements des longs cils noirs qui éclaircirent son regard, reconnaissant sa belle-mère :
– Tiens, c’est toi ! lui dit-elle. Qu’y a-t-il ? Serais-tu malade ? Comme tu es pâle !
Madame de Sabaillan, par un geste d’autorité maternelle et caressante, obligea Céline à rentrer la jambe sous la couverture, et prenant une chaise qu’elle approcha du lit :
– Ton père est revenu, dit-elle d’une voix grave.
– Ah ! depuis quand ?
– Il est revenu ce soir, mystérieusement, rappelé par une lettre de Martial.
Une ombre rapide passa sur le visage de Céline.
– Qu’est-ce que Martial a pu lui écrire ?
– Je présume, continua lentement mais fermement madame de Sabaillan, que ton père aura été prévenu des visites de M. Dontilly.
– Ah ! dit vivement Céline en s’asseyant tout à fait et en regardant sa belle-mère avec des yeux inquiets. Papa a des soupçons ?
– Oui, sur moi.
– Pauvre maman ! soupira la jeune fille avec un air de compassion. Je t’avais avertie ; tu t’exposais.
Le reproche était sans doute bien étrange de la part de Céline, car il fit tressaillir madame de Sabaillan, et la jeune fille se crut obligée de reprendre bien vite, pour en corriger l’effet :
– Tu nous exposais.
– Il ne s’agit plus de savoir si j’ai eu tort ou si j’ai eu raison, reprit madame de Sabaillan. Ton père me soupçonnait. Il a attendu M. Dontilly dans le jardin, près de la rivière, et quand celui-ci était près d’entrer…
Céline sortit entièrement de son lit, se dressa toute droite, épouvantée, et saisissant avec violence la main d’Antonie :
– M. Dontilly a parlé ?
Avant de répondre, madame de Sabaillan regarda Céline avec tristesse :
– Non, dit-elle lentement, il n’a rien dit.
Céline eut un soupir d’allégement.
– Alors, pourquoi as-tu peur ?
– Tu n’as pas entendu un coup de fusil ?
Les yeux de mademoiselle de Sabaillan s’agrandirent et s’arrondirent ; elle devint pâle, puis d’une voix qu’elle voulait affermir, mais basse pourtant :
– Il l’a tué ?
Antonie ne répondit pas ; mais ses yeux, qui s’élevèrent douloureusement au plafond, répondaient pour elle.
Céline parut plus stupéfaite qu’effrayée et surtout que consternée de ce malheur.
– Tué ! murmura-t-elle, en pesant ce mot pour lui demander ce qu’il contenait de menace. Est-ce bien sûr qu’il l’ait tué ? reprit-elle doucement.
– Je le crois.
Céline essaya de sourire.
– Oh ! si tu le crois seulement !
– Il paraît que le corps est tombé dans la rivière.
Céline ferma les yeux pour effacer et dissiper la vision que sa belle-mère évoquait. Après deux secondes de silence :
– Ainsi mon père n’a rien appris ? demanda-t-elle timidement.
– Je te le répète, rien.
Céline, qui n’avait pu dissimuler un léger frisson, releva, de ses mains, le bord de sa chemise sur ses épaules :
– C’est un grand malheur, dit-elle, mais que crains-tu ?
– Pour moi, rien.
Ces trois mots furent prononcés avec une douceur et en même temps une fierté qui les rendaient sublimes. Mademoiselle de Sabaillan en fut blessée.
– Si tu ne crains rien pour toi, laisse-moi faire !
Antonie à son tour ferma à demi les yeux pour voiler un éclair de reproche ou de douleur. Elle dit : –
– Je ne sais ce que ton père aura décidé demain. Il voudra m’interroger encore.
– Ah !
– Je ne répondrai pas plus demain que je n’ai répondu ce soir : alors !…
– Alors ?