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Dans un monde où un étrange virus a presque anéanti la race humaine, Antoine vit isolé sur une montagne avec son chien, Fidèle, comme seule compagnie. Un jour, il rencontre deux enfants en détresse et entreprend de les aider à survivre jusqu’à leur destination. Débutera alors un voyage qui le mènera sur un chemin entre passé et présent, à la redécouverte de sa propre humanité. Seulement, cela ne se fera pas sans sacrifices, mais lesquels ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Grâce à la lecture et, plus encore, à l’écriture,
Quentin Gasnot arrive à s’évader, à surmonter ses peines, à s’ouvrir au monde et à vivre d’autres expériences. Il vous invite à découvrir
Le chemin de l’humanité, une œuvre dont la réalisation lui procure un sentiment unique.
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Seitenzahl: 382
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Quentin Gasnot
Le chemin de l’humanité
Roman
© Lys Bleu Éditions – Quentin Gasnot
ISBN : 979-10-377-7917-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Le vent soufflait avec une force déchirante cet après-midi. Antoine le savait, celui-ci pourrait trahir sa présence dans la forêt si ce souffle de la nature portait son odeur jusque vers une potentielle proie. C’était pour cette raison qu’il avait décidé d’aller vers l’Ouest, à contresens du vent. Cela avait l’avantage de cacher son odeur ainsi que le bruit de ses pas et de ceux de son chien. Fidèle le suivait comme un véritable garde du corps, la truffe au sol, à la recherche de la moindre trace d’un animal sauvage.
Fusil sur l’épaule, habillé d’une veste de camouflage couleur kaki et d’une casquette noire, Antoine avançait lentement. Chacun de ses pas aussi léger qu’une plume, aussi silencieux qu’un murmure. Ses yeux étaient devenus de véritables traqueurs de proie, des missiles autoguidés calibrés pour se braquer sur les moindres mouvements suspects détectables entre les arbres. Cela faisait presque dix ans qu’il errait dans ces bois. Les débuts avaient été compliqués, sans GPS, car plus de satellites fonctionnels, il se perdait souvent. Il avait même, une fois, passé deux nuits à dormir entre les arbres et sous la lune glacée, avant de retrouver sa maison isolée au cœur de la montagne. Bien sûr, ce n’était pas sa maison.
Du moins pas avant la nouvelle peste.
Maintenant si, il se l’était appropriée. Un jour, elle avait appartenu à quelqu’un. Sans doute un vieillard grincheux qui préférait s’isoler plutôt que de vivre dans une société qui ne lui convenait pas. Mais Antoine avait simplement passé le pas de la porte un jour et s’y était installé. S’approprier tout ce qu’il croisait sur son chemin, c’était la seule chose qu’il pouvait désormais faire.
La seule chose que les humains pouvaient désormais faire.
Fidèle aussi avait pris l’habitude de partir chasser. Après cinq ans d’adoption et d’entraînement, il était devenu un véritable atout pour traquer une proie. Il s’agissait d’un Boerboel de cinq ans au pelage brun. Le meilleur ami d’Antoine depuis qu’il l’avait trouvé en ville et adopté. Ils étaient une famille.
L’homme avança entre les sapins épineux qui grimpaient au ciel comme d’immenses tours naturelles. Les fougères sur le sol voletaient à chacun de ses pas et les feuilles mortes craquaient légèrement sous ses semelles. Mais il avançait, sereinement. Il savait qu’il trouverait quelque chose. Depuis la nouvelle peste, la nature avait repris ses droits.
Et les animaux reconquirent leurs territoires. Ils étaient bien plus nombreux que les humains désormais, et n’en avaient absolument plus peur. Car comment et pourquoi avoir peur d’une espèce en voie de disparition ?
Quelle ironie du sort…
Antoine continua d’avancer lorsque, soudain, il s’arrêta, de marbre comme une statue, réflexe de chasseur aguerri.
Antoine fixa un point au loin, au-delà des quelques arbustes qui trônaient devant lui et semblaient danser sous le vent frais. Sa main vint attraper son fusil, fit glisser la bandoulière le long de son épaule puis de son bras. Il s’agenouilla très lentement, tout en fixant toujours le même point, puis s’allongea sur la terre trempée. Fidèle fit de même, à un mètre de lui, pointa son museau dans la même direction.
À quelques dizaines de mètres de là se tenait un cerf en train de déguster son repas dans des fourrées de fougères. Aussi tranquillement que l’auraient fait les Hommes dans un restaurant à l’époque où il y en avait encore.
Il se plaça en position adéquate, son fusil pointa vers l’animal et Antoine présenta son œil couleur noisette à la lunette de son arme.
Sa cible se tenait juste là ! Sa fourrure brune, un peu plus foncée que celle de Fidèle, flottait au vent. Ses cornes de bois majestueuses qui dominaient sa tête à la manière d’une couronne. Après tout, il était le roi de la forêt ! L’Homme n’était plus roi sur ces terres.
Il ne l’était plus nulle part !
Antoine inspira un bon coup puis retint sa respiration. Son chien sembla faire de même. Il laissa ses sens obstruer toute intervention parasite provenant de l’extérieur. Ses oreilles saisirent tous les bruits qui crépitèrent autour de lui. Le bruissement des feuilles au gré du vent, la respiration de Fidèle à ses côtés. L’odeur de la terre humide et de la végétation en décomposition. Il était prêt.
Son doigt effleura la gâchette en métal, froide, du fusil. Son index commença à la pousser vers l’arrière. La crosse était calée contre son épaule, comme il avait appris à le faire suite à une blessure survenue à ses débuts de chasseur solitaire, du au recul de son arme.
Il s’apprêta à tirer lorsque quelque chose le fit hésiter. Son doigt glissa pour se retirer lentement de la gâchette et son œil quitta la lunette. Il fit pivoter son cou à gauche pour faire face à Fidèle qui le regardait dans les yeux.
L’animal l’observait avec grande attention, comme intrigué. Un regard presque accusateur.
Le chien continua de le fixer comme s’il était capable d’une communication par télépathie.
Après quelques secondes, Antoine tourna la tête et lâcha un soupir comme s’il acceptait sa défaite contre son meilleur ami.
Il se releva brusquement ce qui fit soudainement fuir l’animal sauvage. Le cerf disparut d’un bond entre deux arbres avant de quitter totalement les lieux. Fidèle se mit à aboyer comme pour crier au monde sa victoire contre son maître.
Au fond de lui le montagnard solitaire savait que Fidèle avait raison.
Tuer un si gros animal ?
Il y aurait de la viande pour de très longues semaines, certes ! Mais pas de quoi la stocker. Plus d’électricité, donc plus de congélateur. Cela valait-il vraiment la peine de sacrifier un si gros animal au monde pour l’abandonner à un tel gâchis ?
Non. Bien sûr que non ! Fidèle avait raison. Et il le savait.
Si la nature avait appris une chose à Antoine Malcrot, c’était qu’il ne fallait pas jouer avec elle. Car tôt ou tard elle se retournerait contre vous et, à coup sûr, gagnerait la bataille sans le moindre mal.
La maison apparut alors que les deux compagnons se tenaient à une bonne trentaine de mètres de celle-ci. Pas très visible à cette distance, encerclée par les sapins de la forêt, remparts naturels. Une véritable muraille la cachant aux yeux du reste du monde. Le chalet en bois se camouflait parfaitement dans le paysage, et c’était très bien ainsi.
Ils passèrent entre les dernières rangées de troncs puis s’engouffrèrent dans la petite maison de bois. Le chien sauta directement dans son panier, posé juste sous la cheminée de pierre dont les braises crépitaient encore. Antoine posa son fusil sur le bord pierreux de celle-ci et se dirigea vers un vieux placard en chêne dont les portes battantes semblaient vouloir se faire la malle. Il l’ouvrit et découvrit ce qu’il savait déjà se trouver à l’intérieur. Sa réserve de nourriture.
Sa très maigre réserve.
Deux boîtes de thon, une boîte de haricots en conserve et de la farine. Le paquet de farine était là depuis un long moment et Antoine se le réservait pour le jour où il aurait l’occasion de se faire une bonne pizza, avec de vrais ingrédients.
Il souffla presque de désespoir avant de refermer les portes comme pour ignorer ce qui était une évidence.
Cette vie était ennuyeuse et le vieillissait plus qu’il n’aurait voulu l’admettre un jour. Pas d’eau courante, pas d’électricité, pas d’internet, pas de nourriture. La nouvelle peste n’avait pas fait que dévorer les corps humains, elle dévorait lentement leurs âmes jusqu’à les rendre irrémédiablement fous.
Antoine tourna les talons pour faire face à son chien, déjà endormi, dont le dos se gonflait au rythme de ses respirations paisibles.
Il quitta le devant de son placard pour aller dans une pièce adjacente. Une ancienne salle de bain où erraient comme des fantômes une baignoire blanche, un lavabo et des toilettes non fonctionnelles. Le solitaire se plaça devant l’évier délabré par le temps pour faire face au miroir brisé qui trônait au-dessus. Au-delà de son visage balafré par la vitre fissurée, il s’ausculta longtemps. Ses yeux marrons étaient creusés par des cernes sombres, sa barbe épaisse et grisonnante était en désordre et ses cheveux mi-longs poivre et sel le vieillissaient. Il n’avait que cinquante-et-un ans et en faisait bientôt soixante. Cette vie allait l’achever plus vite que prévu.
Enfin bon, il était déjà assez satisfait de ne pas avoir été touché par la nouvelle peste, au contraire des quatre-vingt-dix pour cent de la population qui avaient péri en seulement quelques années, laissant le monde à l’abandon.
Un véritable champ de ruines à l’échelle de la Terre.
Antoine Malcrot vint s’asseoir à son bureau de bois. Juste devant se tenait une fenêtre rendue opaque par la poussière. Au-delà de celle-ci la forêt et la montagne se montraient comme de véritables paradis paisibles, lesquels il évitait de quitter. Il savait que vivre dans ce coin, isolé des villes et leurs habitations abandonnées, était bien plus sûr. Ici, il était en sécurité. Il n’y avait personne à des kilomètres à la ronde et, depuis maintenant bientôt dix ans, cette vie lui allait très bien.
Loin du danger, car loin de tout. Car oui, aujourd’hui absolument tout était synonyme de danger désormais.
Il soupira un long coup avant de se retourner vers Fidèle. Ses yeux trahissaient presque de la peur. Malgré la présence d’animaux tout autour de lui il n’arrivait plus à ramener la moindre prise ces derniers temps, ou seulement des petites. Pas suffisantes pour nourrir sa bouche et la gueule de son ami.
Il se demandait si le fait d’avoir passé ces dix dernières années à chasser n’avait pas fait fuir les animaux qui, il n’y avait pas si longtemps, abondaient juste au-delà des murs de cette maison. Peut-être avaient-ils compris que dans cette forêt un humain vivait encore. Et bien que les humains ne soient désormais plus la plus grosse menace de cette petite planète, un humain avec un fusil pouvait toujours faire beaucoup de dégâts. Alors les animaux évitaient de traîner trop près de chez lui. Sans doute.
L’ermite savait très bien quelle décision prendre. Son potager n’offrait plus de légumes non plus, au contraire d’autrefois où les végétaux poussaient chez lui comme de véritables fourmis sorties de terre. Sûrement parce qu’il s’en occupait moins. Chaque jour passé l’entérinait un peu plus dans cette idée qu’il n’avait rien à faire dans cette vie. Plus maintenant. Alors il se laissait aller, n’avait plus vraiment la motivation de se battre pour survivre. Les jours passaient avec une lenteur infernale et chaque jour il se levait sans but, se demandant s’il n’était pas temps d’en finir. De poser délicatement le canon de son fusil contre son cœur et de presser la détente. Cela lui ferait moins mal que cette vie sans sens qui le détruisait lentement comme un faible feu qui ne s’éteindrait jamais et qui continuerait de la consumer jusqu’à ce que son cœur s’arrête.
Mais il y avait Fidèle. Son loyal compagnon qui l’avait sorti de situations complexes bien nombre de fois. Il ne pouvait pas le laisser mourir de faim. Et il n’y avait qu’un seul endroit où il pouvait se procurer de quoi le nourrir. Alors il l’observa dormir avant de laisser s’échapper quelques volutes de paroles.
Ils avaient pénétré dans la ville juste après le lever du soleil. Étaient partis à cinq heures du matin et avaient marché cinq kilomètres à travers la montagne avant d’arriver dans ce lieu qui, autrefois, était rempli d’âmes humaines, dans des corps vivants.
Ils avaient passé le panneau d’entrée de la commune depuis plusieurs minutes, sur lequel était inscrit VALLERAUGE, une petite ville dans le parc national des Cévennes, dans le sud de la France. Antoine avait déjà passé cette ville en revue mais il n’avait pas d’autre choix que de ratisser encore une fois les maisons abandonnées en quête de nourriture.
Ici les habitations désormais vides étaient toutes collées les unes aux autres, créant une grande densité de logements insérée au cœur des montagnes. Un étau morbide. Il savait que si quelqu’un l’attaquait ici, il serait pris au piège comme un rat. Sans plus aucun entretien de la part des mains humaines les façades blanches des habitations, désormais ruines, étaient devenues ternes. Les murs et les toitures disparaissaient lentement sous les couches de mousse et de végétation qui reprenaient leur territoire et se répandaient comme un virus. Petit à petit, la nature dévorait tout ce que l’Homme lui avait arraché au fil des siècles.
Somme toute un juste retour des choses.
Le village, comme tous les villages du monde, était devenu un véritable décor de film postapocalyptique. Pas âme qui vive, pas un seul bruit de fond. Des corps que le temps avait rongés décoraient les ruelles et les maisons. Spectacle particulier qu’Antoine avait pris l’habitude d’affronter de face, à force de descendre de sa montagne pour récolter des biens et les rapporter chez lui. Des membres en décomposition, rongés par les insectes au fil du temps. Des bras à moitié dénudés de leur peau. De vieilles taches de sang sombres et séchées exposées sur le sol. Certains cadavres étaient presque à nu, presque plus que le squelette comme signe de leur passage sur la Terre. L’odeur demeurait insoutenable, comme si la nature avait décidé de la laisser suspendue dans le temps pour que ceux encore vivants se remémorent leurs erreurs. Mais il y avait pire. Antoine s’était toujours demandé sur quel spectacle il pourrait tomber s’il mettait les pieds dans une grande métropole. Les cadavres s’entasseraient sûrement les uns sur les autres, formant des murs de fortification humaine. Des milliers d’orbites creuses au milieu des crânes décomposés, l’observant pour lui donner un avertissement.
Son fusil reposait dans ses deux mains, devant lui, prêt à faire feu si quelque chose faisait brusquement irruption dans un coin de sa vision. Sa casquette vissée sur la tête lui brouillait en revanche la vision sur les fenêtres en hauteur. Mais il aimait sa casquette, ne voulait pas la quitter, comme un véritable porte-bonheur.
Son animal le regarda, tourna la tête vers la maison, puis de nouveau vers lui, comme pour lui montrer une affirmation.
Le chien se mit à courir vers l’habitation dont la porte était entrouverte et passa le premier à l’intérieur. Antoine le suivait de près, la crosse de son fusil désormais plaquée contre son épaule et canon droit devant, avançant stratégiquement comme un véritable militaire surentraîné.
Lorsqu’il entra, une odeur de moisi et de chaire décomposée s’en prit à la sensibilité de ses narines. Il ne bronchait pas, ne devait pas se laisser déstabiliser. La menace pouvait être très proche. Il commença par fouiller la cuisine mais de toute évidence ne trouva rien d’utile. Les placards étaient vides ou alors remplis d’aliments périmés et immangeables. Il passa ensuite à la salle à manger, puis au salon, toujours rien !
L’endroit n’était plus rien. Une maison digne d’un film d’horreur, abandonnée depuis des années. Les couches de poussière recouvrant absolument tous les coins. De vieux objets laissés à l’abandon, rouillés et abîmés. Une table sur le point de s’effondrer, des cadres tombés au sol, de la vaisselle brisée. Le décor idéal pour tourner un épisode de The Walking Dead. La seule différence avec la vie d’aujourd’hui était l’absence de zombies. Les zombies, eux, pouvaient vivre. Le nouvelle peste ne laissait pas à ses cibles cette chance. Elle les rongeait lentement et finissait le travail en les exterminant à tout jamais.
S’avançant au travers de la pièce principale il se dirigea vers un meuble qui devait autrefois servir à ranger la vaisselle. Dessus un cadre en bois était allongé. Il l’attrapa et le leva à hauteur de ses yeux. Essuya la couche de poussière sur la vitre balafrée pour laisser apparaître la photographie. Deux hommes d’une trentaine d’années avec de grands sourires brillants. Un petit garçon et une petite fille se tenaient entre eux, tout aussi sourire. Il s’interrogea subitement sur le temps qui était passé depuis la dernière fois qu’il avait lui-même souri de la sorte. Peut-être des années. Il n’en savait rien. Ses yeux collaient la photographie en songeant à ce que faisait cette famille à l’époque d’avant. Car il y avait bien un avant, et un après. Peut-être que les deux hommes avaient fait appel à une mère porteuse. Ou bien avaient adopté. Peut-être que ces deux enfants étaient la plus belle chose qu’ils aient eue dans leur vie. Et à en croire la photographie aux couleurs délavées ces deux gamins semblaient particulièrement heureux. Peut-être qu’elle aurait travaillé dans la menuiserie et lui dans une banque. Peut-être que l’un des deux pères aurait démissionné pour s’occuper des deux enfants à la maison. Peut-être bien qu’ils auraient tout quitté pour faire le tour du monde tous les quatre. L’avenir avait tellement de possibilités auparavant.
Et maintenant ?
Maintenant que restait-il ?
Rien. Rien du tout. La nouvelle peste avait pris tout espoir. Et cette famille, qui souriait devant ses yeux, était morte aujourd’hui. Antoine reposa le cadre pour s’éviter trop de souffrance, bien qu’en apparence il ne semblait jamais souffrir, comme si cette nouvelle vie lui avait ôté toute émotion. Personne ne pourrait changer le passé, alors il fallait avancer.
Il s’apprêta à entrer dans une pièce encore inconnue lorsque Fidèle se mit à aboyer. Comme par instinct, par automatisme, il se retourna avec l’agilité d’un gymnaste du Cirque du Soleil et se rua vers le salon. Son chien était là, assis devant un mur.
Il s’approcha et se rendit compte qu’il ne s’agissait pas d’un mur, mais d’une porte.
Les deux se regardèrent et il comprit que son chien avait senti quelque chose.
Bon ou mauvais ? Il ne le saurait qu’en passant la porte fissurée et moisie.
Il la fit tourner autour de ses gonds en la poussant de la bouche du canon de son fusil et découvrit une dizaine de marches en béton s’engouffrant dans les entrailles de la Terre. Tout en gardant son arme braquée vers le bas il fouilla dans la poche de sa veste d’hiver bleue et en sortit une vieille lampe de poche. Son pouce tira le bouton vers l’arrière et un faisceau de lumière en jaillit, illuminant l’escalier jusqu’au bas. Il descendit, suivi de Fidèle et tomba sur une immense pièce presque vide. Un vieux lave-linge rouillé, des cartons remplis de dossiers, des outils rongés par le temps et l’humidité, et un vieux placard. Après inspection des lieux, il laissa reposer son arme sur son épaule et se dirigea immédiatement vers le placard en question. Il posa ses mains sur les poignées froides en métal et les tira. Les portes s’ouvrirent dans un grincement insoutenable et l’une d’elles tomba même sur le sol, s’arrachant de ses gonds oxydés.
Le placard contenait une dizaine de boîtes de conserve. Raviolis, langues de bœuf, champignons, flageolets, macédoine et carottes. Le pactole !
Mais Fidèle n’apprécia son geste que quelques secondes. Il tourna subitement la gueule vers l’escalier et se mit à grogner en se dressant sur ses pattes ! Les yeux de son maître suivirent les siens dans un silence impénétrable.
Plusieurs secondes silencieuses passèrent.
Le chien continua ses grognements ininterrompus quand subitement un grincement se fit entendre, provenant des lames de parquet, juste au-dessus de leurs têtes.
Des pas ! Des pas lourds !
Quelqu’un était entré dans la maison.
Antoine posa son index sur ses lèvres et fit signe à Fidèle de se taire, ce qu’il fit aussitôt. Les animaux étaient parfois moins compliqués que les humains. Et moins bornés.
Il se redressa lentement, reprit son fusil en main et commença à se diriger vers l’escalier. Ses pieds grimpèrent les marches de béton très lentement, comme si elles pouvaient grincer elles aussi, puis il ouvrit la porte avec délicatesse. Il ausculta toutes les pièces visitées, en vain. Il n’en restait qu’une, celle qu’il s’apprêtait à ouvrir avant de descendre à la cave. Il se posta devant la porte, fusil braqué devant lui, doigt sur la gâchette. Son cerveau se mit en ébullition, son cœur commença à tambouriner à tel point qu’il sentit le sang chaud affluer à toute vitesse dans ses veines. Sa respiration s’accéléra soudainement sous l’effet de l’adrénaline.
Il s’avança d’un pas et d’un seul coup de pied il enfonça la porte qui s’ouvrit et percuta le mur intérieur de la pièce dans un fracas monumental !
Il se stoppa lorsqu’il vit une silhouette à terre juste devant lui, à deux mètres. Son fusil la pointa avec précision. Mais il savait qu’il ne risquait rien. La femme allongée devant lui le regardait avec des yeux luisants, le t-shirt ensanglanté et la respiration difficile, saccadée. Elle était blessée, et ça lui allait très bien.
Mais tout à coup quelque chose surgit de sa gauche, avec la rapidité d’un félin qui bondit sur sa proie ! Il sentit un coup heurter son épaule avec violence, qui lui fit la sensation de mille aiguilles lui transperçant la peau. Il vit une seconde silhouette armée d’une barre de fer. Elle tenta de frapper Antoine au visage mais, malgré son âge légèrement avancé, il réussit à esquiver dans un mouvement presque gracieux. Le temps que son agresseur se restabilise après son coup dans le vent, il arma sa jambe et lui envoya un lourd coup de pied au niveau du bassin. La silhouette poussa un cri de douleur et fut expulsée en arrière contre le mur de gauche. Le corps s’écrasa contre le béton froid dans un léger craquement d’os.
Fidèle bondit soudainement de derrière son maître, gueule ouverte, avec une impulsion généreuse, s’apprêtant à attaquer leur ennemi.
Ses yeux s’écarquillèrent et son fusil pointa son nez vers le sol.
Impossible…
Un gamin !
C’était un gamin ! La silhouette qui l’avait attaqué était un gamin ! Son cœur bondit soudainement avec plus de force dans sa poitrine. Les idées se mirent en place dans son esprit. Sa mère était blessée, et ce gosse avait tenté de la protéger d’un éventuel agresseur.
Leurs regards se croisèrent et il comprit alors qu’il ne devait pas lui faire de mal. Pas à un enfant.
Toucher à un enfant serait un sacrilège !
Le jeune homme avait posé une main sur son ventre, là où Antoine avait judicieusement frappé, et son visage grimaçait de douleur. Ses yeux brillants et écarquillés accusaient sa peur.
Mais quelque chose détourna son attention. Plus loin dans la pièce, sous une chaise des gémissements retentirent. Antoine s’approcha lentement tandis que Fidèle resta à son poste, à surveiller le gamin toujours allongé sur le sol. Il se baissa avec délicatesse et son visage se peignit d’un masque figé. Il resta bouche bée plusieurs secondes avant de réellement comprendre ce qu’il avait sous les yeux.
Les gémissements étaient des pleurs.
Et leur provenance une autre gamine, plus jeune.
Comment était-ce possible ?
Se retrouver dans une pièce avec deux enfants encore en vie.
La mère des deux enfants, du nom de Sarah Charterelle reposait désormais dans le lit d’Antoine, dans sa vieille cabane où la chaleur était agréable et où les murs de bois semblaient rassurer les deux gamins.
Après sa rencontre inattendue avec cette famille, il avait décidé de les ramener chez lui. Il n’aurait pas pu laisser deux enfants dans la nature, à la merci du premier sauvage venu.
Que leur auraient fait des humains, s’ils les avaient croisés là, dans cette maison ?
Ils auraient tué leur mère déjà blessée, kidnappé les deux enfants et les auraient gardés captifs pour toujours. Ils auraient violé la plus jeune, pour l’obliger à porter un enfant et permettre la postérité leur communauté. Ou ils les auraient vendus à une colonie en échange de denrées désormais rares.
Antoine n’avait pas pu s’y résigner. Jamais ils ne les auraient laissés sans défense. Il avait alors pris la décision, avec l’approbation de Fidèle, de les ramener chez lui le temps que Sarah se rétablisse de sa blessure. Non pas sans peur. Les enfants étaient la plus rare des choses sur la planète ! Plus ils passeraient de temps ici plus ils mettraient Antoine en danger, lui donneraient le rôle de la proie de certains individus qui les auraient peut-être croisés en chemin et les chercheraient à cette heure-ci.
Elle devait se rétablir, et vite !
Antoine l’avait aidé à marcher, non pas sans difficulté, sur près de trois kilomètres. Puis elle s’était subitement évanouie, fichant la peur de sa vie à la gamine qui avait crié pour que sa mère se réveille. Antoine n’avait pas cherché à la rassurer. Il n’était pas fait pour ça, pour discuter avec des gosses. Ça lui était égal. Il ne voulait pas sympathiser, voulait simplement alléger sa conscience.
Alors il l’avait porté sur les deux derniers kilomètres, pendant un temps qui lui avait semblé être une éternité. Son dos lui faisait maintenant payer son sacrifice. Durant la montée du flanc de la montagne, le gamin qui l’avait attaqué avait tenté de faire la conversation. Pour se sentir moins seul, ou peut-être pour sonder l’inconnu qui leur avait proposé de se reposer chez eux. Antoine avait apprécié cela, le fait de voir un gamin de son âge aussi prudent avec les inconnus. Il s’était rappelé à une époque bien lointaine où les enfants, trop attirés par des conneries, se seraient volontiers fait kidnapper pour de la nourriture sucrée, ou une console de jeux.
Le garçon lui avait également expliqué qu’ils étaient partis de chez eux depuis longtemps, il n’avait su dire combien de jours, pour un long voyage. Un périple, selon ses propres mots. Leur mère leur racontait qu’ils allaient dans l’Est, qu’ils devaient absolument s’y rendre. Et, près de Vallergaure, elle avait fait une chute d’une falaise puis s’était blessée. Ils s’étaient donc rendus dans le petit village en quête de fournitures de soins, en vain, évidemment.
Alors que la nuit tombait au-delà des fenêtres sombres de la maison, que les animaux nocturnes commençaient à communiquer et que la lune dominait la forêt, la transperçant de grandes épées de lumière, Antoine se rendit dans sa propre chambre. Il prit le soin de fermer la porte pour que les enfants ne voient pas Sarah dans un état presque végétatif. Elle dormait encore. Ses yeux étaient fermés mais sa respiration était régulière. L’homme avait peur qu’elle ne s’éteigne à n’importe quel moment. Comme si elle était en équilibre sur un fil de fer et que son corps penchait dangereusement de gauche à droite au-dessus d’un précipice sombre. Il releva la couette à carreaux avec délicatesse et souleva le pull en laine qu’il lui avait enfilé. Les soins de fortune qu’il lui avait donnés n’étaient pas extraordinaires. Il avait désinfecté la plaie sale, tenté de la refermer avec du fil de cuisine, et avait bandé tout son abdomen. Mais le sang coulait, en faible quantité, et imprégnait les bandages blancs d’une auréole marron.
Il tourna les talons et quitta la pièce pour rejoindre les deux enfants qui siégeaient déjà à table.
Depuis combien de temps n’avaient-ils pas mangé ?
Antoine se saisit de la casserole en fonte qu’il avait mise à chauffer sur les braises de sa cheminée et la porta jusqu’à la vieille table en bois. Deux boîtes de flageolets vidées. Il n’en dit rien, mais cela lui faisait terriblement mal d’avoir déjà éliminé quatre rations, pour des inconnus.
Il alla en verser deux louches dans la gamelle de Fidèle qui se jeta dessus, puis se servit avant de remettre la louche dedans et de manger.
Les deux enfants se dévisagèrent, dans l’attente, puis le garçon prit l’initiative de servir sa sœur, comprenant que leur hôte ne le ferait pas à leur place.
Ils dînèrent dans un silence de cimetière. Les frère et sœur se lançaient régulièrement des regards gênés ne sachant que faire ou que dire. Du coin de l’œil, la fillette aperçut Fidèle couché dans son panier, sur sa couverture verte. Elle aimait les animaux. Sa mère lui avait appris à apprécier toute vie, car toutes étaient précieuses dans ce monde.
L’homme leva légèrement les yeux sous sa casquette pour la regarder d’un air presque détaché. Puis il retourna à son assiette.
Mais il n’en fit rien. Il l’ignora.
Les enfants étaient une véritable bénédiction, ce serait un sacrilège de les laisser mourir là, dehors. Mais ils n’étaient pas ses enfants, et cela faisait une très grande différence. Les protègerait-il si un groupe d’humains armés débarquait en lui demandant de leur laisser les gamins ? Rien n’était moins sûr. Ils étaient une menace, pour lui et Fidèle. À choisir entre eux et son chien, il n’hésiterait pas. Il ouvrirait la porte, jetterait les enfants dans les bras des brigands et retournerait à sa vie habituelle. Il s’en voudrait pendant longtemps, mais se réconforterait en se mettant dans le crâne que ce n’était pas de sa faute. Que le monde avait mal tourné et qu’il n’était qu’une victime comme chaque humain vivant sur cette planète. Peut-être plus une victime que tous ceux morts de la maladie, car eux au moins n’avaient pas à subir l’effondrement de ce monde et la vie difficile que cela leur infligeait aujourd’hui.
Antoine la regarda de nouveau en soufflant d’agacement. Il se plongea dans ses yeux verts et reconnut aussitôt l’âme innocente d’un enfant. Innocente, et naïve. Il remarqua pour la première fois que ses cheveux noirs et lisses lui tombaient parfaitement sur les épaules. Ils brillaient et n’étaient pas emmêlés. Cela en disait long sur leur mère qui, même dans un contexte sordide comme celui dans lequel ils étaient plongés, tenait à ce que ses enfants prennent soin d’eux.
L’homme se leva en poussant sa chaise vers l’arrière, laquelle crissa sur le sol de vieux bois, et sortit de la maison à pas rapides.
Il fit plusieurs mètres avec Fidèle qui partit en courant faire ses besoins dans la forêt. Une chouette hululait non loin de là, tandis que les arbres demeuraient silencieux. La forêt sombre se présentait devant lui, calme, fraîche. La lune formait des ombres avec les troncs qui étaient plantés devant lui comme une armée de lances pointant leur fer vers le ciel étoilé.
Il ne se souvenait pas vraiment de l’homme qu’il était avant tout cela. Avant la nouvelle peste. Cette époque lui semblait maintenant si éloignée, si différente. Il était peut-être gentil, empathique. Mais ce monde l’avait changé. Ce monde avait fait de lui un homme arrogant, égoïste et sans émotion. Il le savait. Et cette personnalité lui allait parfaitement. Car qui pourrait survivre dans ce monde sans être devenu un gros con ?
Deux jours. Deux jours que sa maison était envahie de paroles infantiles et futiles. Voilà que les deux gosses avaient pris son territoire pour en faire un terrain de jeu. La petite Amandine rigolait sans cesse et semblait aimer la vie sans se soucier de tout ce qu’il y avait autour. Comme si tout ce bordel n’était qu’un simple jeu. Au contraire, son grand frère feignait cette réalité, la masquant derrière le même sourire jovial. Mais au fond, il savait. Et Antoine savait que ce garçon n’était pas bête du tout, qu’il voulait simplement préserver sa sœur de la triste vérité. Bientôt, ils allaient repartir sur la route. Et ils n’auraient plus de chalet pour les protéger. Plus d’hectares de forêts autour d’eux pour les cacher des yeux des prédateurs humains. Et un jour, il en était sûr, la petite ouvrirait subitement les yeux sur cette réalité et cela l’anéantirait. Il avait déjà vu cela depuis le début de la nouvelle peste. Des personnes, des amis, qu’il pensait indestructibles et qui, face au déclin de ce monde, avaient simplement mis fin à leurs jours pour éviter d’avoir à l’affronter. C’était vrai au début de la peste, c’était encore plus vrai aujourd’hui…
Durant ces deux jours, Antoine ne leur avait pas lâché le moindre mot, les évitant au maximum, mis à part leur avoir dévoilé son prénom pour qu’ils arrêtent de l’appeler monsieur. Eux s’étaient finalement livrés, avaient eu besoin de parler à un adulte bien que celui-ci n’ait aucun répondant en retour.
Amandine avait dix ans et son frère seize. Si bien que lui avait un peu connu le monde d’avant et elle non. Maxime avait les mêmes yeux verts que sa petite sœur et, à l’époque, rêvait de devenir ingénieur aérospatial. Métier aujourd’hui oublié, comme tous. Et techniquement impossible à réaliser de toute façon. La petite ne savait même pas ce qu’était un métier. Ils étaient français mais d’origine éthiopienne du côté de leur mère. Chose que Antoine n’eut pas de difficulté à deviner à la teinte de leur couleur de peau.
C’était ce qui le réconfortait dans les moments les plus compliqués. Toutes ces choses inutiles que les Hommes avaient créées et qui avaient mené à une destruction plus sournoise jadis. Le racisme, l’inégalité, la différence. Aujourd’hui, tout ceci n’existait plus. Puisque les gens n’avaient plus la tête à entretenir ces vices au service de leur colère ou d’une pensée administrée par d’autres. La vie était devenue trop dure pour avoir à penser à ce genre de choses, et c’était tant mieux !
Antoine s’était vite rendu compte que la gamine était d’une naïveté presque marrante. Logique, puisqu’il ne s’agissait que d’une enfant après tout. Mais il avait oublié ce qu’était réellement un enfant. Depuis longtemps.
Maxime quant à lui était un gamin sympathique, prêt à aider, mais capable de s’affirmer lorsqu’il s’agissait de protéger sa famille. Parce que sa mère leur avait appris que rien n’était plus important.
L’hôte se dirigea à la hâte vers celle-ci, entrouverte, et y pénétra. Maxime était assis sur le lit, tenant au creux de sa main celle de sa mère ; réveillée.
Il sentit un soulagement profond l’envahir. Elle le fixa avec un sourire qui signifia bien plus qu’un merci.
Il plongea ses yeux vers son abdomen caché par la couverture.
Elle laissa ses pensées divaguer avant de rejeter ses yeux verts sur lui.
Antoine regarda Maxime, puis elle, et acquiesça sans dire un mot.
Enfin elle était réveillée. Cela signifiait qu’ils allaient bientôt partir et qu’il pourrait reprendre sa vie de solitaire, paisible.
Tous les quatre étaient réunis autour de la table. La plaie de Sarah la faisait grimaçait lorsqu’elle bougeait, quelque chose de tout à fait normal selon elle. Il lui faudrait encore un peu de temps avant de quitter les lieux. Ils partagèrent une boîte de haricots verts et deux boîtes de thon, les dernières. Encore une fois, cela fit mal au cœur à Antoine de donner sa nourriture, comme s’il était un donateur au service d’une œuvre de charité. Mais une fois partis, il pourrait retourner en ville fouiller. Ou même chasser. Cette fois, même un cerf ferait l’affaire. La nature l’excuserait pour une fois de gâcher de la viande. Ces trois individus étaient apparus tout à coup pour lui dévaliser ses placards. Mère nature comprendrait sans doute.
Quelque chose avait taraudé l’homme tout au long du repas. Sa gorge se nouait sans cesse, comme si des mots cherchaient à sortir de sa bouche sans qu’ils n’y parviennent. Parce qu’il les retenait de son plein gré. Mais il ne put cacher plus longtemps ce qu’il avait à dire. Alors que les effluves du plat s’évaporaient et que les enfants terminaient leurs assiettes presque vides, il cibla les pupilles de Sarah.
Les enfants, même Amandine, s’arrêtèrent de manger et devinrent immobiles. Les trois paires d’yeux étrangères le dévisagèrent. Celui de la mère avec plus d’amertume qu’il n’avait jamais décelé chez quelqu’un. Mais c’était la vérité, aussi difficile à accepter qu’elle soit !
Le regard soudainement haineux de la mère de famille se brisa pour laisser place à un visage réconfortant. Pour ses enfants. Ils reprirent leur dîner sans le moindre mot, juste avant qu’Antoine sorte de sa maison pour laisser son chien gambader. L’air était froid et l’herbe sèche. Ces montagnes donnaient l’impression d’être toujours en hiver. L’altitude. Et le fait que le réchauffement climatique ait été stoppé depuis maintenant dix années. Antoine s’assit sur un rocher un peu plus loin, entre deux arbres et suivit Fidèle du regard qui, comme à son habitude, disparut entre les sapins.
Il se retourna et vit la mère de famille avancer lentement, une main sur son abdomen. Les grimaces continuaient de tirailler son visage.
Ses yeux exorbités ne laissaient aucune place au doute. Antoine connaissait ce regard. Celui d’une lionne prête à se sacrifier pour protéger ces petits.
Les larmes commencèrent à perler au bout des cils de Sarah, dont les yeux visaient maintenant le sol. Antoine continua comme s’il n’avait rien vu.
Sarah pleurait désormais, à chaudes larmes. Elle savait qu’il disait vrai. Mais elle était une mère qui voulait simplement le meilleur pour ces deux enfants. Était-ce quelque chose de mauvais ? Avait-elle mal fait les choses ?
Elle s’essuya les larmes du revers de la manche du pull.
Le regard d’Antoine devint soudain interrogateur, voire intrigué.
Les yeux marrons de l’homme se perdirent vers la maison par-dessus l’épaule de Sarah. Maison dans laquelle deux enfants jouissaient actuellement de la vie. Peut-être pour pas très longtemps vu le périple que s’apprêtait à réaliser cette mère de famille.
Antoine vit son chien revenir à ses côtés comme par magie. Sa queue remuait en balayant le sol de terre et d’herbe couchée. Il le regardait, sa langue pendue et la gueule ouverte. Il se mit soudainement à aboyer. Un coup, un seul. Antoine dévissa ses yeux de son meilleur ami pour les coller à ceux de Sarah.
Il acquiesça d’un mouvement de tête.
Les réjouissances dues au réveil de Sarah s’étaient vite estompées. L’ambiance dans le petit chalet était devenue terne, sinistre. Même Amandine semblait avoir perdu sa joie de vivre pourtant si visible jusqu’ici. Depuis trois jours Sarah était couchée au lit. Grimaces et grognements de douleur répondaient à l’appel. La plaie de cette dernière ne se refermait pas, pire, semblait s’être ouverte plus encore. Les bandages étaient changés régulièrement par les soins d’Antoine, qui les réalisait plus dans l’espoir d’abréger leur séjour ici que de l’aider. Mais rien n’y faisait. Autrefois il aurait suffi de l’amener dans un hôpital, et en un coup de vent elle aurait été soignée. Mais pas ici. Pas avec le peu de fournitures à leur disposition. Antoine avait lu de nombreux bouquins de médecine depuis sa vie d’ermite et il était maintenant capable de soigner beaucoup de maux. Mais pas cela. Pas une blessure aussi importante. Les herbes médicinales ne seraient d’aucun secours. Ils n’étaient pas dans un foutu conte de fées !
Maxime sortit de la chambre avec un regard totalement perdu. Ses yeux luisaient. Il se planta devant Antoine, assis sur une chaise et en train de lire une vieille bande dessinée qu’il avait ramenée de ses expéditions en ville. C’était le seul média qu’il lui restait. Sans téléphone, sans télévision. Pas de réseau social. Il s’était vite rendu compte qu’à une époque l’humanité avait laissé l’essentiel de côté pour se diriger vers des futilités. Passer des heures sur Facebook ou Twitter à lire des débilités. Les gens qui criaient derrière leurs écrans les problèmes de leurs vies. Ceux qui publiaient des vidéos en espérant qu’elle plaise suffisamment pour dépasser un certain nombre de vues, et donc empocher un pactole. À quel moment, se demandait-il désormais, ils avaient perdu la raison jusqu’à se laisser contrôler par les écrans ? Ce livre, il l’aimait. Même s’il l’avait lu des dizaines de fois et le connaissait par cœur. Il ne s’en lassait pas, jamais !