Le courant inverse - Jean-Luc Noémi - E-Book

Le courant inverse E-Book

Jean-Luc Noémi

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Beschreibung

Il y a longtemps, sur un monde pas si lointain, coexistaient douze peuples. Quand Le courant inverse, un fléau que l’on pensait disparu depuis des siècles, réapparaît, leur survie est en jeu. Des messagers sont envoyés pour lancer l’alerte, et au milieu des conflits, ils cherchent une solution…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Jean-Luc Noémi est l’auteur de six romans, dont quatre policiers et deux d’aventure. Pour écrire "Le courant inverse", il trouve l’inspiration qu’il mûrira pendant de nombreuses années, après avoir obtenu la deuxième place dans la catégorie senior lors du Championnat de France de Jeux de Rôles en 1990.

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Ähnliche


Jean-Luc Noémi

Le Courant Inverse

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Luc Noémi

ISBN : 979-10-422-1310-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

– Le séraphin, Éditions Thot, 2002 ;

– Le mode négatif, Sokrys Éditions, 2012 ;

– Cauchemar en Champsaur, Sokrys Éditions, 2013 ;

– L’affaire du Chapeau de Napoléon, Éditions des Hautes-Alpes, 2016 ;

– Les réfugiés du Gioberney, Éditions des Hautes-Alpes, 2020 ;

– Étrange affaire dans les Alpes du sud, Éditions des Hautes-Alpes, 2022.

Livre I

La gangrène mauve

Prologue

— Vous m’avez demandé, Honorable ?

— Oui, Sewmon. Approche.

L’élu-né du peuple de l’Océan effectua les quelques pas le séparant du Sage, assis derrière le vieux bureau en bois de Chêne qui avait servi à plusieurs générations de Grand Enseignant Universel.

— Que puis-je faire pour vous ? s’enquit l’arrivant.

— J’ai une nouvelle mission à te confier.

— Je vous écoute, Honorable.

— Tu vas retourner quelque temps de l’autre côté.

— De l’autre côté, Honorable ! Je vous avoue ma surprise !

— Un événement survenu récemment dans l’Océan sans Fin m’a été rapporté. Il a trait au Courant Inverse.

— Vous avez dit… au Courant Inverse ?

— Précisément.

— Mais… voilà belle lurette qu’il n’existe plus.

— Ordinairement, ce devrait être le cas.

— Que voulez-vous dire ?

— Il faut que tu ailles vérifier.

— Prétendez-vous qu’il soit de retour ?

— Je ne rejette pas l’hypothèse. C’est pourquoi tu vas te rendre là-bas et observer durant trente jours l’Océan sans Fin. Si rien d’anormal ne s’y produit durant ce temps, tu m’en verras soulagé. Mais si tu t’aperçois de quoi que ce soit d’insolite, reviens me rendre compte. Selon ce que tu me rapporteras, je devrai t’envoyer dans les Montagnes Goliath pour une seconde mission ou conclure à une fausse alerte. Nous sommes les gardiens des Douze Peuples, ne l’oublie pas. Va maintenant…

I

Alarme au pays des Eaux Mortes

En ce treizième jour du mois de mai, Scort le Vif se frayait un passage à travers l’épaisse Jungle en périphérie du Pays Des Eaux Mortes. Grâce à un coussinet d’un seul tenant disposé sous chacune de ses plantes de pied, il se déplaçait à travers la végétation luxuriante avec la souplesse du Grumph, un félin du nord. Ses yeux, petits mais dotés d’une pupille développée, repéraient et identifiaient chaque obstacle, lui permettant de progresser dans cet environnement en enchaînant à une vitesse époustouflante les gestes justes. Ainsi, ses bras allongés, terminés par une main munie d’un genre de palmature, écartaient avec une grande dextérité les végétaux placés en travers de son chemin sans les abîmer.

La nuit était déjà tombée deux fois depuis qu’il s’était mis en route. Il devait se dépêcher de rejoindre Aqua, sa ville natale, pour communiquer une inquiétante nouvelle : le Corps des Anciens allait sûrement devoir se réunir.

Voilà deux jours, alors qu’il pêchait le Ranog dans les eaux du lac Catarachne, un frémissement inhabituel à sa surface, distant d’une centaine de mètres, avait attiré son attention. L’onde en résultant était venue s’écraser le long de la berge sur laquelle il se tenait. D’ordinaire, ces eaux stagnantes ne sont agitées d’aucun remous et la vibration perçue ne ressemblait à aucune de celles émises par l’une ou l’autre espèce de la faune de ce lac.

Intrigué, il s’était dévêtu, ne conservant qu’un sous-vêtement de tissu imperméable, puis il s’était immergé et avait nagé silencieusement en direction de la zone suspecte. Parvenu à la verticale de l’endroit, il avait sondé.

Sur le fond, il n’avait d’abord rien constaté d’anormal puis son regard avait accroché des empreintes de pas résiduelles similaires à celles laissées par ses semblables. Bien que tous ceux de son peuple respirassent sous l’eau comme sur la terre, il s’était interrogé sur la raison de la présence de ces traces en cet endroit isolé. Aucun autre pêcheur que lui n’œuvrait généralement dans le coin.

C’est alors qu’au détour d’un monticule vaseux, il avait aperçu, à proximité d’un bouquet d’algues, deux silhouettes présentant les traits de congénères se diriger vers la rive opposée en marchant sur le fond. Mais ceux-là étaient sombres comme la nuit autant qu’il était clair comme la Brillante qui se lève dans le ciel la journée terminée. Bien que n’ayant jamais eu l’occasion d’en croiser, il les avait identifiés comme étant au premier abord des Inversés.

Sa surprise passée, il s’était ressaisi et embusqué derrière un bouquet d’herbes hautes pour éviter d’être aperçu car il se rappelait avoir lu qu’ils étaient des êtres cruels capables, pour peu qu’ils soient mal disposés, de tuer pour le plaisir.

Pareille rencontre était bien plus qu’improbable. Il était de notoriété que les Inversés avaient tous été exterminés voilà près de deux mille ans, lors de sanglantes représailles dans la Plaine du Pélévent. Les livres d’histoire désignaient l’événement du nom de Grande Punition. Il en avait vu des représentations artistiques dans un ouvrage très ancien à la bibliothèque d’Aqua.

Un petit moment s’était écoulé avant qu’il ne se résolve à quitter sa cache pour aller inspecter de plus près les quelques empreintes visibles. Il fallait vérifier pour être sûr. Ses pupilles, adaptées aux eaux tourbeuses, avaient repéré près de l’une des traces un curieux fragment rigide violacé. Après l’avoir ramassé, il avait constaté que c’était une rognure d’ongle mauve. Cette fois, le doute était moins permis. C’étaient véritablement des Inversés, si incroyable que cela puisse paraître. Il avait alors rapidement regagné l’emplacement où avaient été abandonnés lance à pêche et vêtements. De retour au milieu des roseaux, son regard s’était instinctivement reporté vers la berge d’en face pour en épier les abords. Les Inversés, émergeant à cet instant, lui étaient apparus quelques secondes avant de se fondre dans le marécage. Leur peau était bien mauve elle aussi. La confirmation étant faite, après s’être rhabillé et avoir ramassé promptement ses affaires, il avait jeté un œil au grand soleil jaune positionné au zénith avant de s’enfoncer résolument sous les Macrophytes Géants.

Le lendemain, en fin de matinée, Scort parvint enfin à la lisière de la Jungle frontalière. Le temps de récupérer un peu, il contempla les collines se profilant à l’est. Au pied de ces dernières, des fumées s’élevaient en spirales pour se perdre dans le bleu du ciel. C’étaient celles des cheminées d’Aqua, capitale du pays des Eaux Mortes, lui indiquant que le repas de midi était en cours de préparation dans de nombreux foyers.

— J’y serai avant le crépuscule, pensa-t-il avant de se remettre en route.

L’après-midi touchait à sa fin lorsqu’il se présenta en vue des premiers Galdocs, habitations carrées à un étage, équipées d’une terrasse placée en encorbellement au-dessus de la rue. Il était l’heure de quitter le travail pour un grand nombre de masculins dont plus de la moitié occupaient une activité en rapport avec la pisciculture ou l’ostréiculture.

Aux abords de la ville, de jeunes enfants des premiers quartiers pataugeaient dans une petite rivière. Le plus âgé d’entre eux ne devait pas avoir connu plus de huit fois la saison des arbres fleuris. L’un des petits, se détournant vers la plaine, s’écria soudain :

— Scort ! C’est Scort ! Tout le monde à la rencontre de Scort le Vif ! Il revient de la pêche aux Ranogs !

Alertés par les éclats de voix, quelques adultes en grande conversation à l’entrée ouest de la cité se déplacèrent jusqu’à la rivière afin de voir de quoi il retournait. En apercevant au loin la silhouette de Scort le Vif, Baran le Vieux, chef du Corps des Anciens, fronça les sourcils et se passa sous le menton l’une de ses mains dont les doigts fourragèrent dans les poils de sa barbe grise. Il fit part de son étonnement à ceux qui l’encadraient :

— Mmmm… Il revient bien tôt ! Ordinairement, il ne reparaît qu’après deux bons mois, et encore, seulement lorsqu’il a réussi à attraper sa trentaine de Ranogs habituels. Se pourrait-il qu’il ait réalisé la prouesse d’atteindre ce nombre de prises en une dizaine de jours seulement ? Il m’étonnerait pourtant qu’il soit subitement devenu aisé de pêcher un animal aussi futé.

Il extirpa d’une poche de sa vareuse une friandise qu’il porta à sa bouche.

— Mmmm ! Attendons-le ici et voyons de quoi il retourne.

Il faut dire que Scort était le meilleur pêcheur de Ranogs de tout le pays et que son record était de vingt-huit prises en vingt-cinq jours de pêche, record qu’il estimait lui-même vraiment difficile à battre. C’est pourquoi il semblait hautement improbable au vieux Sage que la performance ait été proprement pulvérisée.

Lorsqu’il fut à portée de voix, Baran le Vieux le héla :

— Ohé, Scort ! Déjà de retour ! Les Ranogs auraient-ils décidé de sauter eux-mêmes dans ton filet ou bien auraient-ils perdu toute leur ruse ?

— Rien de tout cela, vénérable Baran !

— Alors comment se fait-il que Scort le Vif soit à nouveau parmi nous s’il ne rapporte rien ? dit Baran en réalisant qu’aucun animal ne pendait à la ceinture du pêcheur.

Parvenu à la hauteur du chef, celui-ci reprit son souffle quelques instants, puis s’avançant au-devant, il entama son rapport :

— Vous n’allez pas me croire, vénérable Baran. Je suis porteur d’une grave nouvelle pour notre peuple. J’ai vu dans les eaux du lac Catarachne deux Inversés.

À ces mots, l’Ancien tressaillit. Gardant cependant toute sa contenance, il invita le pêcheur à poursuivre.

— C’est la vérité, vénérable Baran, je suis sûr de ne pas m’être trompé. Une trentaine de pas seulement me séparaient d’eux mais comme ils me tournaient le dos, je n’ai pas été remarqué. Ils étaient d’un mauve très sombre et je ne sais pas ce qu’ils fabriquaient là, mais je présage que ce ne doit pas être bon pour l’avenir, n’est-ce pas ?

— Assurément, ça ne l’est point si tel est bien ce que tu as vu. C’est même un drame. Viens avec moi par ici.

Ils s’écartèrent de l’attroupement.

— Mmmm… Ce mode du vivant a été supprimé de la Grande Terre, tu le sais aussi bien que moi.

— Je sais, mais j’ai vu leur peau. Elle est mauve.

— Mauve, dis-tu ? Mmmm… Décris-moi ces Inversés un peu mieux.

Scort s’empressa d’obéir. Il effectuait de grands gestes tout en parlant à voix basse et Baran l’écoutait attentivement. Pour parachever son récit, il montra la rognure d’ongle qu’il avait trouvée. Le visage de l’Ancien blêmit.

— Je croyais que les Inversés avaient été anéantis par nos ancêtres il y a longtemps de cela, s’étonna Scort.

— Moi également, se reprit Baran. Il semble que tu aies réellement rencontré des Inversés. Suis-moi ! Il faut que tu m’aides à actionner le Tocsin. Il n’a pas retenti depuis des lustres mais devrait néanmoins être en mesure de résonner avec la même énergie qu’autrefois.

Ils rentrèrent en ville suivis de près par les jeunes qui jouaient autour d’eux, essayant de se faire tomber. Sur leur passage, les gens stoppaient toute occupation pour saluer le vénérable Baran qui leur répondait d’un geste de la main.

Un peu plus tard, tous deux gravissaient en silence les marches d’une vieille tour carrée, stoppant par moment pour laisser souffler le vieux Baran. Ils débouchèrent dans une grande salle de forme ovale au centre de laquelle pendait une imposante corde tressée avec du poil de Strables.

— Ouf ! souffla Baran. Nous y voici enfin. Cela fait une éternité que je n’étais pas venu dans cette pièce. La corde que tu vois tomber en son milieu fait se balancer le Tocsin qui se trouve là-haut, à dix mètres au-dessus de nos têtes.

Scort leva la sienne et avisa une énorme cloche de métal qui devait bien atteindre trois mètres de diamètre.

— Viens ! lui intima Baran. Nous ne serons pas trop de deux à nous y pendre.

Durant un long moment, ils firent résonner l’alarme avant de se laisser tomber à terre, éreintés par leurs efforts.

— Voilà un exercice superbement accompli ! se félicita Baran. Mais ne perdons pas de temps, nous allons nous rendre sur la grande place pour informer la population du danger.

Dans les rues, ils croisèrent beaucoup de monde se rendant au ralliement, et, proches de la place, ils durent se frayer un chemin jusqu’à l’autel des grandes cérémonies. Glopal et Vervin étaient parmi les premiers et tandis que la foule grossissait encore, ils échangèrent leur point de vue sur la situation :

— Que penses-tu de tout ce tintouin, toi, Vervin ?

— Je ne sais pas trop, peut-être une maladie mortelle s’est-elle répandue, ravageant la faune des lacs et nous condamnant à terme à la famine.

— Non ! Tu exagères ! rétorqua Glopal. Il doit s’agir de tout autre chose. Si une épidémie sévissait quelque part, des rumeurs nous seraient déjà parvenues.

— Certes ! Mais toi, as-tu une idée sur la question ?

— Je n’ai rien de plausible en tête, mais Baran le Vieux va nous renseigner, il arrive !

Autour d’eux régnait le tumulte de la foule. On pouvait entendre plusieurs versions concernant ce grand rassemblement : une grave maladie très contagieuse comme le suggéraient Vervin ou d’invraisemblables histoires telles que l’assèchement des lacs, l’empoisonnement de l’air dû à une plante indestructible, ou bien encore la fin de la Jungle frontalière du pays dévorée par des Limaces Géantes.

L’agitation s’amenuisa et un grand calme lui succéda. Baran le Vieux venait d’apparaître à la tribune du grand autel flanqué de Scort le Vif.

Le premier nommé prit place devant un grand tube, se racla la gorge et sa voix vibra alors amplifiée :

— Gens d’Aqua, peuple des Eaux Mortes, force m’a été donnée aujourd’hui de vous réunir en urgence pour une affaire que je qualifierai de très grave et qui nous concerne tous. Je ne vous cacherai pas qu’il peut y aller non seulement de la survie de notre peuple, mais également de celle de tous les autres qui partagent leur existence sur la Grande Terre.

Un mélange de crainte et de curiosité se matérialisa un instant dans l’air puis la voix du chef du Corps des Anciens reprit :

— Venons-en aux faits. Il est de mon devoir de vous apprendre que deux Inversés ont été identifiés dans les eaux du lac Catarachne.

Un moment de stupeur figea l’assistance. Baran poursuivit :

— C’est Scort le Vif, ici présent, qui les a découverts lors de sa partie de pêche aux Ranogs. Il est rentré directement nous informer du péril. Il me les a décrits avec tant de précisions qu’il ne peut exister le moindre doute quant à la véracité de ses propos.

Un brouhaha général s’ensuivit.

— Silence, s’il vous plaît, mes amis ! Écoutez mes recommandations ! Pour l’instant, il n’y a pas lieu de s’inquiéter plus que nécessaire. C’est le moment de montrer notre sang-froid. Dans les jours prochains, chacun vaquera à ses occupations habituelles. Néanmoins, un poste de surveillance prendra place dans l’ancienne Tour de Guet. Je m’adresse à présent aux membres du Corps des Anciens : réunion demain soir au coucher du petit soleil. Scort y participera exceptionnellement. Que les coureurs de service partent sur le champ colporter la nouvelle et convoquer les Anciens des autres bourgades à venir débattre dans le grand Galdoc. Gens d’Aqua, vous serez informés en détail des décisions issues de nos délibérations dans deux jours, à midi, sur cette même place.

Le vieux Sage redescendit l’escalier de l’autel et disparut dans la foule.

Peu à peu, un murmure s’éleva puis gonfla et bientôt, se mua en un grondement qui alla encore en s’amplifiant.

— Mince alors ! s’étonna Glopal. Il y aurait du danger ! Mais qu’est-ce donc que cette histoire d’Inversés ? Je croyais que ce mode du vivant avait été anéanti !

— J’en étais également persuadé, lui répondit Vervin, mais il faut admettre qu’il n’en est pas ainsi, d’après le vénérable Baran.

— Mettrais-tu en doute la parole du plus ancien des Anciens ?

— Certes pas, en revanche, je me demande si Scort le Vif n’aurait point reçu l’esquisse d’un rayon de soleil sur le coin de la tête !

— Arrête, vois le tumulte qui règne, s’ils disent que des Inversés sont réapparus, c’est que des Inversés il y a.

— Je veux bien adhérer, mais avoue que c’est vraiment très surprenant.

— Je suis pris au dépourvu autant que toi et comme tout le monde ici d’ailleurs.

Autour d’eux, on pouvait en effet voir de nombreux petits groupes accaparés par le même sujet tandis que sur les visages se lisait une perplexité identique.

— Allez, viens, ami Vervin ! Je t’invite à boire un jus de pomme dans mon Galdoc.

Ils quittèrent la grande place par la rue principale pour se diriger au nord-est de la capitale.

II

Le Conseil des Anciens

Ils étaient trente des Eaux Mortes, tous d’un âge certain, assis et silencieux autour de la grande table de pierre du Corps des Anciens. Des torches avaient été allumées, accrochées aux murs de l’immense salle. Par les ouvertures du grand Galdoc, on discernait les lueurs mauves du premier soleil couchant s’amenuiser au-dessus de la Jungle lointaine. Il ne manquait plus que Baran.

À peine les derniers rayons s’étaient-ils évanouis qu’il fit son entrée. Il était vêtu de sa grande toge en écailles d’Amniblettes et sur sa tête reposait, brillant et étincelant, le cercle en arbal, distinction suprême désignant le dirigeant du peuple des Eaux Mortes. Le précieux couvre-chef avait été forgé dans les mines du volcan Kérabrago, voilà plus de trois mille ans. Un petit Scorpion rouge y avait été gravé.

Derrière lui suivait Scort le Vif, meilleur pêcheur de Ranogs de ces huit dernières saisons, qui s’était paré de ses plus beaux habits. À sa taille pendait son inséparable coutelas sculpté dans de l’os de Grumph.

Il n’était pas difficile de deviner quelle angoisse étreignait l’assemblée dont émanait pourtant une volonté implacable.

L’Ancien s’installa dans un fauteuil en bout de table et le pêcheur se plaça légèrement en retrait sur un côté. Baran prit immédiatement l’initiative de la parole :

— Membres du conseil, fils des Eaux Mortes, le moment est grave. Hier dans la matinée, comme vous le savez maintenant, deux Inversés ont été repérés sur les fonds du lac Catarachne par Scort le Vif ici présent. N’ayant certainement pas la vue affectée en raison de son jeune âge, nous devons admettre qu’il n’a pas pu confondre ce qu’il a vu avec quoi que ce soit. En conséquence, nous devons prendre son rapport très au sérieux. Bien sûr, ces Inversés n’étaient que deux, mais la probabilité que plusieurs individus errent actuellement au sein de notre Jungle est à envisager très sérieusement. Sans doute n’avons-nous pas affaire à plus d’une poignée, mais possible également qu’il en rôde des centaines, voire des milliers, même s’il paraît incroyable qu’un si grand nombre ait pu passer inaperçu jusqu’ici. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas disposé à écarter cette dernière hypothèse car si elle se vérifiait, nous serions tous menacés par le plus effroyable des fléaux : la gangrène mauve.

De plus, il se pourrait que, parallèlement à celles qui sévissent chez nous, se soient développées d’autres altérations comme des Inversés de la Braise, des Inversés de la Flamme ou bien encore des Inversés Agricoles. À ma connaissance, jusqu’à aujourd’hui, aucune nouvelle d’une agression dans nos campagnes ne nous est parvenue, pas plus d’ailleurs chez nos voisins. Pour cette raison, je veux bien croire que le Courant Inverse n’est réapparu que chez nous mais la prudence s’impose. Pour ne pas risquer de connaître une mauvaise surprise, il faut agir à mon sens comme si le pire était envisageable. Occupons-nous donc du problème comme si l’urgence l’exigeait et adoptons immédiatement des dispositions pour parer au plus pressé. C’est de tout cela que nous allons débattre sans tarder. Fils des Eaux Mortes, j’écoute vos suggestions.

Une longue concertation entre Sages s’ensuivit, au terme de laquelle l’un d’eux demanda à parler :

— La parole à Salach ! tonna l’Ancien.

— Je te remercie, vénérable Baran. Tout d’abord, nous voudrions que Scort nous fasse une description détaillée de ce qu’il a vu. Non que nous le prenions pour un fabulateur, mais nous aimerions à notre tour être tout à fait sûrs de l’exactitude des faits rapportés. Tant de choses dans la nature demeurent encore inconnues et peut-être Scort n’a-t-il rencontré que des créatures ressemblant fortement à des Inversés alors qu’il n’en était rien.

— Je m’attendais à cette demande, répondit l’intéressé. Je vais vous renseigner plus en détail.

Le pêcheur de Ranogs s’exécuta. Lorsqu’il eut achevé son récit, il présenta la rognure d’ongle de couleur mauve et dit :

— Qu’en pensent les Sages des Eaux Mortes ?

Ébahis pour le coup, ceux-ci se concertèrent à nouveau quelques minutes. Astel, l’un des plus anciens, se manifesta alors :

— La parole à Astel !

— Merci, vénérable Baran… Dès lors, aucun doute ne peut être permis, Scort a bel et bien croisé des Inversés. C’est assurément l’événement le plus grave qu’il m’ait été donné d’écouter depuis que je siège à la table du Corps des Anciens.

Le silence suivit cette déclaration puis, peu à peu, l’assemblée s’anima et les intervenants oublièrent bientôt de se plier au protocole.

— Il faut prendre des décisions tout de suite ! s’écria Udoc. Envoyons quelques coureurs dans les pays voisins afin de les mettre sur leurs gardes ! Il faut qu’ils parent au plus vite à l’éventualité de voir se développer des Inversés chez eux !

— Une garde à la vieille Tour de Guet n’est pas suffisante ! lança dans la foulée Afnür. Il faut organiser des patrouilles à travers le pays ! Surveillons prioritairement la lisière intérieure de notre Jungle !

— Je propose d’envoyer nos messagers dès la fin de cette réunion ! renchérit Luback.

— Il est nécessaire de réunir la Haute Sagesse des Douze Peuples à la Cabane des Guérisseurs ! ajouta Paluban. D’après les livres d’histoire les plus anciens, les Inversés d’antan ont toujours craint la forêt où elle a été construite. Je ne vois pas de raison pour qu’il en soit autrement de nos jours. En conséquence, la réunir là-bas présenterait l’avantage de pouvoir nous organiser en toute discrétion. Il ne saurait en être de même si tous les représentants des Douze Peuples se rassemblaient par exemple à Aqua.

Plus aucune proposition n’étant émise, Baran reprit la parole :

— Nous allons immédiatement satisfaire la demande de Luback. Que l’on aille chercher onze volontaires parmi les coureurs de service pour prévenir nos voisins.

— Non ! Allez seulement en mander dix ! vénérable Baran, je suis votre onzième volontaire !

Scort venait d’intervenir.

Plus tard, on ramenait devant le conseil dix masculins du pays. En fait, presque tous les coureurs avertis s’étaient portés volontaires et il avait été décidé de les choisir au sein des célibataires les plus expérimentés. Deux coureurs parmi les plus intrépides qui soient, Tonga et Bolbos, se trouvaient avec eux. Les onze se tenaient debout, alignés en un ordre parfait devant l’assemblée. Ils furent rapidement mis au courant de leur mission puis sur l’invitation de Baran, Scort vint prendre place à côté de ses compagnons d’aventure.

— Fils des Eaux Mortes, commença Baran, soyez remerciés pour votre dévouement. Chacun d’entre vous va partir seul pour un des pays de la Grande Terre ; nous finissons vos feuilles de route. Baran montrait du doigt un groupe d’Anciens penchés sur des cartes. L’un d’eux griffonnait sur du papier les suggestions qu’indiquaient les autres.

— Évidemment, par manque de temps, tout cela est quelque peu improvisé. Si par malchance, votre mission vous amenait à la frontière d’un pays visiblement gangrené par le Courant Inverse, rentrez impérativement en rendre compte. J’ose croire que ce ne sera point le cas. Tout récemment encore, le commerce avec nos voisins se déroulait normalement. Nous n’avons pas reçu de caravanes étrangères depuis deux jours. La toute dernière venait du pays de la Braise et transportait du soufre ; elle est repartie avec un chargement de paniers en poil de Strables pour nos amis du feu. Nous-mêmes avons à cet instant quatre caravanes sur les chemins. Si vous en croisez, qu’elles soient de chez nous ou d’ailleurs, mettez les marchands au courant de la situation et recommandez-leur un prompt retour dans leur foyer.

La finalité pour chacun de vous est la même : rencontrer la plus haute autorité du pays. Faites savoir que je serai le sept juin à midi dans la Forêt des Guérisseurs, plus exactement à la Cabane des Guérisseurs, avec deux membres du Corps des Anciens des Eaux Mortes. Dites encore qu’à cette date, le conseil de la Haute Sagesse des Douze Peuples est invité à s’y réunir à notre demande. Vous reviendrez ensuite nous informer des mesures prises par les diverses assemblées. Je me mettrai en route d’ici le premier juin. Ceux qui seront de retour à Aqua à cette date repartiront avec moi car j’aurai encore besoin de vous là-bas. Bien entendu, la distance qui sépare notre capitale de votre destination finale est des plus variables. Les durées de vos voyages vont forcément différer, indépendamment des obstacles qui pourraient se dresser devant vous. Ceux qui ne pourraient revenir à temps ici se rendront directement à la Cabane des Guérisseurs pour m’entretenir de leur rapport. Selon les aléas de votre parcours, je vous laisse toute latitude de voir si vous pensez être en mesure d’effectuer votre retour avant le premier juin ou si vous devrez accompagner les délégations au rendez-vous fixé.

S’adressant alors à Scort, il ajouta :

— Cette dernière remarque ne te concerne pas, je tiens à ce que tu reviennes au plus tôt car je compte sur toi pour être mon éclaireur sur le chemin de la Forêt des Guérisseurs. C’est pour cette raison que ta destination est un pays très proche.

Baran se tut. Les Anciens occupés à définir les parcours des volontaires en profitèrent pour lui annoncer qu’ils en avaient terminé. Il déclara alors la fin de la réunion et le Corps des Anciens prit congé après avoir salué.

Chaque membre sortit en silence de la salle. Ceux des bourgades voisines prirent immédiatement la route du retour tandis que leurs collègues d’Aqua rejoignaient leur Galdoc respectif. Ne restaient plus que Baran, Scort et ses dix compagnons volontaires.

— Scort, rajouta l’Ancien, comme je te le disais avant la réunion, l’envoi de messagers était hautement probable. Il y a des équipements au sous-sol entièrement réalisés par nos féminins et conçus pour des voyageurs n’empruntant pas les routes. Je les ai fait ressortir du grenier avant de venir, il suffira de les dépoussiérer. Je pense n’avoir rien oublié. Il me reste à vous souhaiter bonne chance à tous. Tous ceux de la Grande Terre comptent sur vous.

Il sortit à son tour. Dix paires d’yeux se tournèrent alors vers Scort qui s’empressa de donner les détails de leur expédition :

— Compagnons, fils des Eaux Mortes ! Le moment est venu de porter à votre connaissance la direction que vous allez prendre. Il importe que vous parveniez à destination dans de très brefs délais. Nous allons descendre au sous-sol afin de percevoir l’équipement correspondant à l’itinéraire de chacun. Suivez-moi !

Au fond de la salle, il ouvrit une trappe masquant un escalier de pierre. Le groupe déboucha à l’intérieur d’une vaste cave où reposait sur le sol une énorme table sculptée dans le tronc d’un chêne. Onze équipements différents étaient juxtaposés dans un alignement parfait.

— La nuit est à présent bien avancée. Vous partirez toutes les deux minutes par mesure de discrétion. Mahar, tu es le premier.

Et désignant la table, il ajouta :

— Voici ta feuille de route. Tu n’as pas besoin de la consulter avant d’être parvenu au pied du volcan Kérabrago. Gagne celui-ci par le plus court chemin mais évite de courir, il vaut mieux que tu te déplaces avec le plus de discrétion possible. Quand tu l’auras rejoint, observe bien le parcours tracé par les Sages et n’en dévie qu’en cas d’extrême urgence. Maintenant, prends l’équipement qui contient des chaussures qui t’isoleront de la chaleur du sol du pays de la Flamme. Bonne chance !

Le coureur grimpa à l’échelle et sortit du grand Galdoc. Il gagna très vite la sortie de la ville et sa silhouette s’évanouit dans la nuit. Exactement deux minutes plus tard, un deuxième messager s’en allait à son tour et prenait la direction du pays de la Braise.

À ce rythme régulier, les autres coureurs suivirent. Bolbos partait pour le pays des Vents Contraires, un de ses compagnons pour celui de l’Équilibre, un autre pour celui des Terres Minérales, un sixième pour celui de l’Étincelle. Tonga s’en fut vers les Rivages de la Mer avant que l’un de ses camarades ne s’oriente vers le pays du Grand Souffle. Le neuvième s’éloigna en direction des Terres Glacées et le dixième vers le pays des Eaux Vives. Le dernier, Scort, se dirigea vers le pays des Campagnes Agricoles.

Les indicateurs du cadran aux étoiles de la place centrale n’allaient pas tarder à indiquer minuit. Tout était silence dans Aqua.

III

La Pinède aux Oiseaux

Le grand soleil se levait lorsque Tonga parvint en bordure du Petit Marais, encore recouvert d’une légère brume se dissipant lentement.

S’asseyant dans l’herbe, il posa son sac puis sa besace et déplia sa feuille de route, laquelle stipulait :

« Longer le Petit Marais par l’ouest en suivant la lisière de la Jungle avant d’y pénétrer ; rejoindre le lac et le traverser ainsi que les Grands Marécages qui lui succèdent ; prendre à travers les Terres Vierges, de nuit de préférence, sans emprunter la route ; une fois réfugié dans les Hautes Herbes, se diriger droit au sud pour gagner la Pinède aux Oiseaux ; à partir de là, itinéraire libre jusqu’aux Rivages de la Mer. »

— Belle balade, songea-t-il, en attendant, je vais manger un morceau.

Il hésita avant d’opter pour une ration de potée d’Élavins. Puis il ramassa ses affaires et c’est d’un pas déterminé qu’il se remit en marche. Comme prévu, il longea le Marais avant de s’enfoncer dans la Jungle. Il progressait d’un pas rapide sans le moindre bruit grâce à ses deux coussinets.

Aux alentours, la végétation, luxuriante toute l’année, conservait en permanence un fort taux d’humidité. Toute autre personne qu’un représentant des Eaux Mortes aurait progressé péniblement sous cette chaleur moite. Palmiers, bambous et fougères arborescentes formaient la strate inférieure de la Jungle. Une semi-obscurité régnait sous les arbres qui atteignaient en moyenne quarante mètres de haut et certains spécimens parvenaient jusqu’aux soixante-cinq mètres. C’est d’ailleurs dans la partie supérieure que vivaient la plupart des espèces animales alors que le sol, astreint à une intense humidification et parfois tourbeux, appartenait au règne des Myrmécéennes. Ces étranges insectes habitaient en colonies à l’intérieur d’immenses nids creusés à même la terre. Invertébrés au corps chitineux, ils comptaient de nombreuses cités souterraines qui avaient coutume de déménager tous les trois ou quatre mois, de sorte que le sol était régulièrement nettoyé, la prolifération des parasites s’en trouvant fortement limitée. Les Anciens les appelaient très respectueusement les Nettoyeuses. Tout ce qui avait le malheur de se trouver sur leur passage était dévoré sur place. Tonga en croisa trois larges colonnes qu’il s’empressa de contourner à chaque fois.

Il lui fallut près de trois jours pour traverser la forêt mais c’est sans encombre qu’il parvint à la lisière des grands arbres. Là, il s’embusqua pour observer la surface du lac Catarachne. Il le savait, c’était dans ses eaux que Sort le Vif avait aperçu des Inversés et il se méfiait d’autant plus que la nuit n’était pas encore tombée. Au crépuscule, ne décelant finalement rien de suspect, il s’extirpa de sa cachette pour se glisser dans l’eau, non sans avoir pris soin de mettre ses rations, sa feuille de route et son sac renfermant ses vêtements à l’abri dans sa grande besace imperméable.

Il marchait à présent sur le fond vaseux, ayant rejeté l’option d’une traversée à la nage. C’eût été trop dangereux. Il ne fit aucune mauvaise rencontre et atteignit la rive opposée. Il faisait à présent nuit noire. Un dernier regard en arrière pour s’assurer que rien ne bougeait et il s’enfonça dans les Grands Marécages en direction du sud. Il progressait aussi rapidement qu’il l’aurait fait en plein jour, ses pupilles déjà importantes s’étant dilatées pour s’accoutumer à l’obscurité à l’instar de tous les siens et comme le font les yeux des Grumphs.

Les Grands Marécages abritent une faune aquatique innombrable et diversifiée. Aussi ne s’ennuya-t-il pas une seconde. Il ne devait toutefois pas trop se laisser divertir et demeurer prudent. Si ses dons naturels pour le déplacement ne risquaient pas d’alerter un quelconque ennemi, sa venue ne pouvait pour autant passer totalement inaperçue. Les innombrables petits yeux des créatures nocturnes des Marécages l’observaient sûrement et il ne fallait pas les effrayer sous peine de déclencher un véritable tapage. Chemin faisant, il croisa une escouade de Lentibules Sauteurs et aperçut un gros Ponchadole qui le fixait de ses énormes yeux montés sur pédoncules. Plus loin, c’est un Chibichi qui s’enfonça furtivement dans la vase en l’apercevant et encore plus loin, un vol de Nouillayas vint à sa rencontre et l’escorta quelques minutes avant de l’abandonner et de s’éloigner dans une autre direction. Il marcha toute la nuit et, de rencontre en rencontre, il parvint enfin à la frontière sud des Grands Marécages. Préférant ne pas s’exposer, il se cacha derrière de grosses plantes pour y passer la journée. Il n’oubliait pas que pour sa sécurité, sa feuille de route lui recommandait de traverser de nuit les inquiétantes Terres Vierges qui s’ouvraient devant. Il s’assit donc pour se ravitailler puis s’endormit.

Lorsque Tonga se réveilla, cela faisait déjà quatre jours qu’il avait quitté le grand Galdoc. Le petit soleil violet ayant achevé sa course dans le ciel, le grand jaune n’allait pas tarder à l’imiter.

Au moment où ses derniers rayons s’évanouirent à l’horizon, il quitta sa cachette. Après toute une journée passée à dormir, son ventre sonnait creux ; aussi se restaura-t-il tout en marchant. En ce début de soirée du dix-neuf mai, la saison fraîche touchait à sa fin et l’on se dirigeait vers les jours de grand beau temps. La température de l’air était agréable et Tonga s’en réjouit. Au moins ce voyage ne tombait pas en plein hiver car alors, les conditions climatiques auraient été épouvantables.

La nuit était maintenant très avancée et Tonga se hâtait car les Terres Vierges ne lui inspiraient vraiment aucune confiance. Il savait que ces landes désolées abritaient encore des formes vivantes étonnantes qui pouvaient toujours se montrer hostiles, même s’il y avait bien longtemps que cela ne s’était plus produit. Il n’était d’ailleurs pas né la dernière fois que des créatures de cette contrée s’en étaient prises à un convoi commercial. Les caravanes qui s’aventuraient dans la zone ne s’y risquaient plus que de jour et pour une traversée des plus rapides. Si les temps présents paraissaient plus cléments pour le voyageur, les caravaniers de tous les peuples de la Grande Terre, obligés de transiter par cette région pour gagner un temps précieux, avaient de plus conservé l’habitude d’être armés.

Il escalada un monticule et se jeta au sol à peine parvenu à son sommet. En contrebas, une forme sombre accourait par le nord-ouest. Était-ce un simple animal, une de ces fâcheuses bizarreries de la nature inhérentes à l’endroit, ou pire, un Inversé ? Il frémit à cette dernière pensée. Aplati contre le sol, il attendit. Quelques dizaines de secondes plus tard, la forme passa juste au bas de la position qu’il occupait. Écarquillant les yeux, il étouffa alors à moitié un cri de surprise… C’était Bolbos !

— Mais que peut-il bien faire par ici ? se demanda-t-il. Normalement, il devrait se trouver plus à l’ouest en train de rallier le pays des Vents Contraires.

Il dévala la pente à la rencontre de son compagnon et força l’allure parvenu sur le plat car celui-ci continuait sa course droit vers le sud. Dès qu’il fut à portée de voix, il lança, parfaitement imité, le cri du grand Aigle. Bolbos s’arrêta net, se retourna et son visage s’éclaira en reconnaissant Tonga qui ne tarda pas à le rejoindre.

— Grande est ma joie de te rencontrer ! commenta Bolbos.

— Grande également est la mienne, mais je ne comprends pas la raison de ta présence dans ces landes, si loin de ta destination.

— Nous ne disposons pas d’assez de temps pour des explications immédiates. Trouvons d’abord un endroit bien caché, là, je te ferai part de ce qui m’est arrivé. Décampons sans plus tarder, je les ai semés momentanément mais ils sont toujours à mes trousses.

— Qui donc ?

— Une bande de quarante ou cinquante Inversés des Vents Contraires.

— Quoi ? Vite ! Filons nous réfugier dans la Plaine des Hautes Herbes. C’est tout proche !

Ils se précipitèrent en direction du sud-est et atteignirent bientôt la vaste étendue. Sans perdre de temps, ils s’engagèrent au milieu des Graminées Géantes. Ce n’est qu’à l’aube que, se jugeant hors d’atteinte, ils se cachèrent à l’intérieur de l’un des nombreux fourrés qui parsemaient la prairie.

Assis sur un tapis de mousse, Tonga entama la conversation :

— Nous avons mis suffisamment de distance entre eux et nous. Le temps qu’ils parviennent jusqu’ici, il y aura belle lurette que nous serons repartis. Avant cela, tu vas me résumer ton histoire.

— Tout cela à cause d’un maudit champignon siffleur, grommela Bolbos.

— Tu as mis le pied sur un champignon siffleur ?

— Précisément. Alors que je traversais les Marécages de notre pays, j’ai perçu sur ma gauche, à une distance toute proche, le son d’un vol de Nouillayas se déplaçant à grande vitesse. Ils sont passés au-dessus de ma tête en vrombissant avant que leurs battements d’ailes ne perdent en intensité en s’éloignant rapidement sur ma droite. J’étais fortement intrigué, seule une présence inhospitalière pouvait les avoir mis dans cet état. La suite m’a donné raison car dans la minute, tous les marécages alentour se sont soudainement animés bruyamment. J’ai décidé d’aller voir quel était le responsable de tout ce remue-ménage et c’est ainsi que j’ai fait couiner cette saleté de champignon musical.

— Ils ont l’ouïe fine pour avoir discerné un sifflement au milieu du tapage produit par la faune aquatique. Tu t’es donc retrouvé nez à nez avec ce groupe d’Inversés des Vents Contraires alertés par ta maladresse…

— Pas exactement ! l’interrompit Bolbos. Prévenus, ils se sont embusqués dans les roseaux et ils ont bien failli me surprendre. Heureusement qu’un Sligadil Pêcheur m’a averti du danger en s’envolant précipitamment. Instinctivement, je me suis jeté sur le côté et plusieurs lances, jaillies d’un bouquet d’algues, m’ont raté de peu.

— Et comment t’en es-tu tiré ? questionna Tonga, excité par le récit que lui faisait Bolbos.

— Prestement, j’ai plongé dans l’eau bourbeuse et nagé en rasant le fond, écartant les herbes des mains.

— Je vois cela, tu es couvert de vase séchée.

— Certes ! Mais écoute donc plutôt la suite : j’ai pénétré à l’intérieur d’une zone plus touffue et refait surface. Prenant pied sur la terre ferme, je me suis enfui à toutes jambes. Il n’était pas question de retourner au pays par le même itinéraire qu’à l’aller, aussi ai-je décidé d’effectuer un long détour dans l’espoir qu’ils perdent ma trace. Et depuis, je cours, ne stoppant que par intermittence. Je les distance à chaque course mais ils regagnent le terrain perdu lors de mes haltes, pourtant très brèves je te le garantis. C’est à croire qu’ils ne se fatiguent jamais. Tu connais le reste, ce n’est qu’en entendant le cri de l’Aigle que je me suis à nouveau arrêté.

— Eh oui, soupira Tonga, à cet instant, je crains bien que nos amis des Vents Contraires ne soient déjà plongés dans ce que nous redoutions tous : la gangrène mauve.

— Hélas, j’en ai bien peur moi aussi. J’ai pris ma décision quant à la marche à suivre, pour ce qui me concerne.

— Je vois qu’il n’est plus question de ton voyage au pays des Vents Contraires. Tu rentres à Aqua, mon cher Bolbos, afin d’avertir le Corps des Anciens de ce brutal changement. Ce sont, du reste, les consignes du vénérable Baran.

— C’est bien évidemment mon intention, mais je pense qu’il est préférable que nous cheminions ensemble un moment encore, après quoi, nous nous quitterons. Quel est ton itinéraire futur ?

— Ma mission tient toujours, enfin j’espère ne pas connaître semblable mésaventure. Je dois rejoindre à présent la Pinède aux Oiseaux.

— Fort bien, je t’accompagne jusque-là ; ensuite, je bifurquerai vers l’est pour rejoindre les Monts Nus. De là, j’entamerai ma remontée vers le nord. Pourvu que durant notre absence, le pays n’ait pas été lui aussi gagné par la gangrène.

— Tais-toi donc ! protesta Tonga. Nous n’allons pas attendre plus longtemps. Partons vite.

— Je suis d’accord.

Ils poursuivirent donc vers le sud. Ils marchèrent toute la journée et poursuivirent jusqu’au milieu de la nuit avant de s’accorder un petit somme chacun leur tour puis reprirent leur route au lever du petit soleil. Ce n’est que la nuit suivante qu’ils s’accordèrent un vrai repos. Cachés dans un bosquet, ils improvisèrent un campement où ils s’effondrèrent de fatigue. Ils repartirent le lendemain avant l’apparition des deux soleils et rejoignirent la route de la Mer menant au pont permettant de traverser à pied sec la Rivière Rouge. Ils ne tardèrent pas à découvrir ensuite, du sommet d’une colline, un rideau de pins se profilant d’est en ouest.

— La Pinède aux Oiseaux ! s’exclama Tonga. Enfin, nous y sommes.

— Merveilleux ! Le paysage est absolument merveilleux et fantastique ! s’enthousiasma pour sa part Bolbos.

— Je te crois, mais il risque de nous servir de tombe, s’alarma Tonga qui venait de se retourner. Regarde là-bas ce qui nous arrive.

Bolbos écarquilla les yeux et son visage se crispa soudain.

— Les Inversés ! Ils n’ont pas perdu notre trace et, bon sang, ils sont même sur le point de nous rattraper !

— Décampons ! l’enjoignit Tonga.

Et ils dévalèrent le versant opposé.

Lorsqu’ils s’arrêtèrent à l’orée des pins, l’astre jaune dardait ses premiers rayons à l’est. Ils se retournèrent afin de juger de leur avance. Au sommet de la colline d’où ils avaient rapidement admiré le paysage apparut une forme mauve puis dix, vingt, trente et bientôt, pas moins d’une centaine d’Inversés des Vents Contraires surgirent dans la lueur du grand soleil levant. Ils stoppèrent en apercevant les deux compagnons. Une clameur s’éleva alors de la horde puis un long cri haineux déchira l’air. Dans un grondement de tonnerre, la meute se mit aussitôt en branle.

— Dans les pins ! hurla Bolbos. Malheur à la gangrène mauve !

Et il s’enfonça sous la couverture végétale.

— Ils sont bien plus nombreux que tu ne le pensais ! cria Tonga disparaissant à la suite de son compagnon. Heureusement que les ailes des Inversés sont atrophiées !

La remarque de Tonga rassura quelque peu Bolbos. En effet, le pays des Vents Contraires est peuplé de charmants êtres possédant des ailes multicolores qui leur poussent dans le dos dès leur première année d’existence. Celles-ci leur permettent de virevolter des heures durant au gré des tourbillons d’air ascendants et descendants qui dominent dans les hautes couches de l’atmosphère chahutée.

À l’intérieur de la Pinède, le sol était recouvert d’une épaisse mousse jaunâtre au sein de laquelle apparaissaient çà et là de petits terriers creusés verticalement, insondables à l’œil nu. Chacun d’eux se trouvait être l’une des nombreuses voies d’accès utilisées régulièrement par une colonie d’Ulsonos, petits mammifères fouisseurs se nourrissant essentiellement des pommes de pin tombées. L’ensemble de leurs galeries formait un immense labyrinthe courant sous toute la surface du bois.

Tout à coup, un sifflement retentit en provenance de la cime des arbres, bientôt rejoint par d’autres dans une sorte de concert très mélodieux.

— Les Oiseaux ! Hourra ! Les Oiseaux chantent ! s’exclama Bolbos.

— Et alors ? s’irrita Tonga.

— Stoppons là, tu vas comprendre !

— Comment cela ? Tu as perdu la tête, mon vieux !

— Non, non, attends que je t’explique. Un jour, le vénérable Baran m’a raconté une fabuleuse histoire au sujet de cet endroit.

— Et puis après…

— Attends, te dis-je ! Dans cette histoire, lorsque les Oiseaux de la Pinède chantent, il est dit que tout ce qui relève du Courant Inverse plonge aussitôt dans une sorte de sommeil profond.

— Mais alors ! reprit Tonga. Nous sommes sauvés !

— Momentanément seulement. Suis-moi.

Revenant sur leurs pas, ils ne tardèrent pas à tomber sur leurs poursuivants, étendus sur l’épais tapis d’aiguilles de pin et de mousse jaunâtre. Entre cent à cent cinquante Inversés des Vents Contraires gisaient éparpillés sur un vaste périmètre. Leurs tailles avoisinaient bien les deux mètres. Tonga se pencha sur le plus proche de lui. De chaque côté d’un large front protubérant couraient des cheveux en broussaille enduits d’une matière pâteuse bleu sombre. Les bras et les jambes étaient démesurément allongés alors que chacune des mains portait quatre doigts noueux. Une pince dont la base était garnie de longs poils d’un brun roux faisait office de cinquième appendice.

— Bah ! Quelle vilaine bobine, dites-moi ! Et quel phénomène étrange que cette soudaine léthargie ! Quoi qu’il en soit, voilà un bien heureux événement.

— Ne nous réjouissons pas si vite ! tempéra Bolbos. Voyons un peu, d’après ce que je sais, ce sommeil est provoqué par le chant des Oiseaux…

Tout là-haut, dans les branches supérieures, le concert se poursuivait.

— Mais il y a quelque chose que j’oublie, je le sens. Ah ça ! Quel détail m’échappe ?

— Est-ce un détail qui a son importance ? demanda Tonga.

— Il me semble bien, oui. Mais je ne me rappelle plus…

Levant la tête comme pour chercher l’inspiration, son regard se perdit dans les hauteurs, et c’est alors qu’une lueur traversa son esprit et illumina son visage.

— J’y suis ! Les Oiseaux chantent !

— Dis, on le sait déjà, rétorqua Tonga.

— Oui, mais, ils ne vont pas chanter éternellement.

— Eh bien…

— Eh bien, j’espère que leur sérénade va durer encore longtemps car dès qu’ils se tairont, ce sera le réveil de tous ces Inversés.

— Si nous reprenions notre chemin, suggéra Tonga.

— Tu as raison, filons.

Ils s’élancèrent sans plus attendre en direction du sud.

Le midi du huitième jour de leur périple, Bolbos et Tonga atteignirent la lisière de la Pinède aux Oiseaux. Après une rapide restauration, ils s’apprêtaient à quitter les lieux quand, brusquement, Bolbos tressaillit :

— Tonga ! Les Oiseaux ont cessé leur chant !

— C’est seulement maintenant que tu le remarques ! Ils se sont tus hier soir lorsque les soleils se sont couchés mais n’ont pas repris ce matin. Hâtons-nous !

— Attends ! Nous ne continuons plus ensemble car le moment est venu de faire diverger nos routes. Je vais suivre cette lisière pour rejoindre les contreforts des Montagnes Goliath avant de prolonger jusqu’aux Monts Nus.

— Entendu. J’ai le cœur gros de te quitter à nouveau mais je te souhaite bonne chance, cher Bolbos. Prends soin de toi.

— Ne te fais pas de mouron. D’ici aux Monts Nus, le parcours est assez accidenté et les cachettes ne manquent pas. Par contre, je ne peux en dire autant de ton itinéraire et ce serait plutôt à moi de te souhaiter bonne chance.

Ils rirent de bon cœur malgré la situation puis se séparèrent après s’être étreints.

 

 

 

 

 

IV

Le pays de l’Océan

 

 

 

En cette fin de journée du vingt-quatre mai, Tonga cheminait à travers les immenses étendues de la Grande Prairie, couverte de fleurs de toutes sortes, plus belles les unes que les autres. L’air ambiant était chargé d’effluves parfumés et des Papillons bariolés de couleurs chatoyantes voletaient, passant de corolle en pétale, s’enivrant de nectar. Tout en cheminant, il pensait aux événements survenus depuis sa rencontre avec Bolbos.

— Tout de même, se disait-il, si le pays des Vents Contraires est contaminé à ce point, pourquoi nous autres des Eaux Mortes n’en avons-nous pas eu d’échos plus tôt ? Il a fallu que Scort le Vif croise des Inversés, sinon nous n’aurions rien soupçonné. Voilà un mystère que je ne me sens pas vraiment capable d’éclaircir vu le peu d’informations dont je dispose. Il faut que je réfléchisse. Voyons ! La dernière caravane en provenance des Vents Contraires était conduite par le vieil Amstrüt. Cet événement remonte à la veille du retour de Scort à Aqua. Elle est repartie ensuite pour le pays de la Flamme. Par conséquent, la contamination n’a pu se produire qu’après la sortie d’Amstrüt de son pays, sinon, nous l’aurions su d’une manière ou d’une autre. Première évidence : le fléau n’a pu qu’être fulgurant… Ce qui m’amène à la conclusion suivante : il ne faut pas écarter la possibilité que les miens se soient fait gangrener tout aussi rapidement durant mon absence.

Il frémit à cette pensée.

— Pourtant, non ! corrigea-t-il. Nous sommes en alerte et donc prêts à nous défendre. Il est évident que ceux des Vents Contraires n’ont rien vu venir, sans quoi, ils auraient pris des mesures pour protéger leurs propres frontières et de toute manière, ils auraient résisté longtemps.

Son esprit demeura dans le vague quelques secondes puis ses pensées défilèrent à nouveau :

— Qui plus est, c’est un peuple de Volants, ce qui leur permet de voir de loin tout danger en approche. Dotés d’un pareil avantage, comment auraient-ils pu se faire surprendre ? Décidément, tout cela est bien compliqué.

Il lui vint à l’idée que ceux de la Mer étaient peut-être également contaminés.

— Ah ! Il faudrait songer à avancer un peu plus prudemment, mon cher.

 

À cet instant, le vent tourna au sud et un parfum inhabituel lui chatouilla les narines.

— L’odeur du sel. Le vénérable Baran dit que lorsque le vent apporte cette senteur, c’est que la Mer n’est pas loin et d’ailleurs, j’aperçois d’ici les dunes de sable délimitant la frontière du pays de la Mer.

Les sens en alerte, il se dirigea vers ces dernières.

 

Il progressait depuis un moment sur le sable quand le grand soleil se coucha, ce qui arrangea bien ses affaires, craignant par-dessus tout la réverbération. Depuis sa plus tendre enfance, il était en effet fragile des yeux. Une fois, et bien que ce soit insolite, la neige était tombée en abondance sur le territoire des Eaux Mortes et il avait été contraint de s’enfermer chez lui durant une quinzaine de jours.

– Tic-Tic-Tic, Tic-Tic-Tic.

Autour de lui, la vie nocturne s’éveillait peu à peu et un petit Croucaille passa à sa gauche en faisant claquer ses pinces à qui mieux mieux.

— Tic-Tic-Tic.

— Marrant comme animal, pensa-t-il. Baran le Vieux raconte que les habitants de ce pays en apprivoisent. S’il dit vrai, il faut m’attendre à en rencontrer de drôles.

 

Il en était là de ses réflexions lorsqu’une voix le héla :

— Halte-là, mon garçon !

Il tourna vivement la tête dans la direction d’où provenait l’ordre mais ne vit rien. Les paroles semblaient avoir surgi du néant.

— Qui a parlé ? interrogea-t-il tout timoré.

— Eh bien, moi, voyons !

— Mais, mais… je ne vous vois pas !

— Ah oui, je… Hem ! Évidemment, où avais-je l’esprit ?

À quelques mètres de lui, une petite bosse sablonneuse se souleva. De la gangue meuble s’extirpa un petit bonhomme dont la tête était recouverte d’écailles de poisson et dont les doigts étaient reliés entre eux par une fine membrane de peau. Il tenait dans sa main droite un genre de harpon et dans la gauche un petit tube en forme de cône très allongé. À son cou pendait un sifflet sculpté dans une grosse arête.

— Excuse cet accueil un peu brutal, reprit l’apparition. D’ordinaire, les gens de mon peuple ont le sens de l’hospitalité mais nous sommes confrontés depuis peu à des difficultés susceptibles de compromettre la tranquillité du pays et nous gardons sévèrement nos frontières terrestres aussi bien que marines. Nous sommes moins nombreux de ce côté-ci car nous avons surtout renforcé celles de l’est, notamment le long du fleuve Ili. Mais que viens-tu faire seul dans le pays, fils des Eaux Mortes ?