Le Cri - Francis Elhringer - E-Book

Le Cri E-Book

Francis Elhringer

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Beschreibung

Tout commence par un cri et nous sommes tous liés à trois femmes. Sans le vouloir Vega vient d'arrêter sa fuite en avant. Dans ce moment de lucidité, son cri s'est emparé de sa mémoire en écho à celui de trois femmes, sa mère et ses deux grands-mères. Il a envahi son coeur à rebours de son histoire pour essayer de comprendre le "je" qui est en lui, mais c'est comme vouloir se tenir au plus près de la vérité des siens, au beau milieu d'une farce outrancière et mensongère qu'est la vie.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Sommaire

Avant-propos

– Premier volet -

- Deuxième volet -

– Nuit de résonance -

– Dans sa maison, place des Dames -

-Fernie-

-La fin prématurée d’une enfance-

- Le journal de guerre -

-Ma propre mobilisation-

– La tombe (2018) –

– La lettre –

– La guerre vécue -

– Un autre jour -

– Ma première communion -

– Après la vie, l’autre vie –

- À mes petits-enfants -

– Hors champ -

– Troisième volet -

– Nuit de délivrance –

-1955 1975-

- Raymond –

- Ce que je sais de toi -

– Sauve qui peut ! 13 juin 1940 –

– Sauve qui peut ! 13 juin 1940 -

– Sauve qui peut ! 14 juin 1940 -

- Sauve qui peut ! 17 juin 1940 -

- Captivité -

-Jeanne-

– Quatrième volet -

qui continue de soit pas la même –

– Une famille française –

– La table -

– Les trois moments de Jeanne –

– Les choses –

– La machine à coudre –

– Le canapé vert aux clous argentés -

- Le cubilot –

– Le vase de nuit –

– Les voitures –

Après la mort de mon père

– Cinquième volet -

– Un bonheur de Rouille –

- Elle venait d’avoir dix-huit ans –

– Le syndrome de Noé -

– L’enfant dissimulé -

-Comment as-tu pu laisser faire ça -

– Tu en as cassé ? Dis-le que tu en as cassé –

- Épilogue -

– Toulouse le 30/04/2021 -

– Toulouse le 14/05/2021 -

– Il est temps -

– Sources -

Avant- propos

J’ai écrit comme ça vient

En balançant les mots

Ponctués ou non comme pour respirer

Souvent projetés comme des couteaux

Pour ne rien n’oublier

Pourtant rien n’est satisfaisant

Ça sort de mes tripes. Mais rien

Je le vois bien les mains la bouche les yeux les jambes

Je cherche, j’avance, je viens, je pars, je sors, je rentre,

Je ressors, j’entre à nouveau,

En haut en bas j’efface, je recommence. Rien ne va

Où est le sens

Je relis ça coule cette fois

Ça y est c’est fluide le sens est là

Je le tiens il vient de l’intérieur de mon corps

Jusque dans ma bouche

Il glisse sur mes mains le long de mes jambes

Envahit mon cœur

C’est lourd

Lourd de toutes ces années

C’est une masse du début à la fin

Désordonnée

Fragmentée en plus

Pour causer plus de mal à la tête

À ma tête

C’est pour ça que j’écris

Quand on dit de vous, que vous êtes une « mauvaise graine » cela signifie :

« Celui-là on n’en fera jamais rien, de qui peut-il bien tenir pour être comme ça, de son grand-père ? »

C’est aussi un cri que l’on porte en soi, en écho à celui de la naissance, qui se prolonge par le regard que l’on porte sur chaque chose, chaque personne, dont ses parents et la parole suit ; et tant pis pour le désordre du récit qui en résulte ; le cri en référence au tableau d’Edvard Munch, qui n’est ni linéaire, ni constant, comme la chronologie d’une vie humaine, qui n’a rien de linéaire.

Soudain les mots jaillissent à la surface d’un vaste fond de silence, comme une rumeur montée des confins du passé pour comprendre le présent. Il suffit pour cela d’avoir les mots, mais pas seulement, encore faut-il, que sur le chemin des mots, on rencontre d’autres mots, des mots qui tissent la parole et que cette parole se libère.

À Arlette ma mère

À Fernande et Jeanne mes grands-mères

À la mémoire de mes trois femmes de cœur

Toute mon affection

À Evelyne Ghyslaine et Béatrice mes tantes

À mes oncles Patrick, Gilles et Jean-Roger

À la mémoire de Lionel, Alain, Michel, Raymond

À mon père Jacques, à mon frère Éric

À notre jeunesse partagée

– Premier volet -

- Le cri, comme un frisson qui parcourt la peau.

Il noue la gorge, l’estomac, cogne à la tempe sans pouvoir le retenir-

La scène se passe dans l’appartement de Vega ;

Véga est resté un moment avec ses pensées, emmêlées dans sa tête

Vega :les lunettes en sautoir feuilletant l’album de famille après la disparition de son père.

Déjà que la probabilité de naître, en soi, est une allégorie, dans le jeu de l’amour et du hasard j’étais un problème, un malentendu entre eux, une chose, une graine, un grain de sable, qui a conditionné leur vie et la mienne forcément.

Après un temps en examinant la photo de lui enfant

Je ne sais pas comment j’ai pu arriver jusque-là, sans trop de casse.

Avoir fait ce que j’ai fait

Pas terrible, pas le fils à son père, celui qui réussit……

Dans l’esprit de mon père c’était,

Ne plus les regarder

Oublier d’où tu viens

Le privilège de la haute fonction.

Mais cette litanie répétitive n’a pas eu l’effet escompté.

Il s’ensuivit des reproches du genre :

« Qu’allons-nous faire de toi ta mère et moi !

Qu’avons -nous fait au bon Dieu pour avoir un fils pareil !

Il préfère traîner dans la rue avec les autres (sous-entendu les bons à rien du quartier) plutôt que d’étudier »

Je crois que ça partait d’un bon sentiment mais je les dérangeais dans leur avenir proche Je n’étais pas prévu si tôt comme pour beaucoup de couples à l’époque. Un enfant trop vite là donne un coup d’arrêt à l’avenir prometteur qu’ils envisagent….

Il faut donc faire avec, alors pourquoi pas en faire un chien savant.

Désormais mon fils, tu seras le meilleur ! Le premier !

Avant même le cours préparatoire je savais lire et écrire. Je devais être le meilleur en tout. Une obsession qui se poursuivra durant toute ma scolarité et qui sanctionnera mes échecs avec de la peur au ventre….

Je me souviens de mon premier échec comme si c’était hier ; une incompréhension totale pour un enfant de mon âge. J’étais en cours préparatoire, la classe comptait une trentaine d’élèves et l'institutrice établissait un classement trimestriel pour chaque élève.

Mon premier bulletin troisième de la classe à cause de l’écriture.

En rentrant à la maison ce jour-là je ne savais pas ce qui m’attendait.

C’est arrivé de tous les côtés….

La déception de mon père s’est traduite par une avalanche de reproches relayées par ma mère ; l’événement prit des proportions démesurées ; j’étais le déshonneur de la famille, le ton de la colère montait….

J’essayais de me protéger des baffes qui m’arrivaient de tout coté…

Secoué par le paletot, je n’ai pas pu éviter un coup dans l’œil, mais l’avantage, c’est que tout s’est arrêté net ; je retournais en classe avec un œil au beurre noir.

Véga pose la photo se lève et reste figé l’esprit ailleurs

Une voix l’interpelle, c’est sa pensée qui s’exprime

Tout au long de la pièce on assistera à une conversation avec lui-même.

La voix :

Si tu résumes la situation, ta vie vient de changer

Pas seulement du fait d’être à la retraite

Pas seulement d’avoir perdu ton père en juin et ta mère il y a deux ans

Pas seulement d’avoir ce différend avec ton frère qui a profité depuis toujours de la faiblesse du père

Pas seulement ça, mais encore….

Vega : (Véga lutte contre cette voix qu’il ne veut plus entendre et crie pour l’interrompre) Mais encore ! Rien ! ça ne sert à rien de ressasser, ce qui est fait et fait.

La voix :

Non, il faut aller au bout des choses si tu veux en sortir, donc !

Pour avoir remis en cause tout ce que tu as construit jusque-là

Pour avoir un autre devenir avant de disparaître

Afin d’exister dans ta chair et dans ta tête

Et sentir l’amour t’envahir encore ! Et encore !

Vega :(voulant se convaincre qu’il a pris la bonne décision ; il s’active sue scène à différentes tâches) Oser changer de vie ! C’est une satisfaction. C’est difficile, c’est vrai, mais je l’ai fait, parce que...

À trop tergiverser comme l’a fait mon père durant toute sa vie, on ne fait rien….

Quand il s’est retrouvé veuf, il a encore rétréci l’horizon, comme il sait le faire...

Il ne sortait quasiment plus, à part pour se rendre au cimetière et au super marché une fois par semaine….

Il passait le reste de son temps entre sa chambre, sa cuisine et sa télé qui fonctionnait nuit et jour….

Elle était devenue sa seconde femme à tel point qu’il lui parlait, l’engueulait parfois, à travers des émissions de jeux, traitant les candidats de “ oh ! quel con !”

quand ils ne trouvaient pas la réponse ou, « la vache ! » quand ils étaient incollables. Il y avait pour tout le monde « abruti ! », « fumier ! », ça c’était réservé à la politique, des réactions d’extrême droite, quelque peu racistes, alors qu’il ne votait plus depuis longtemps ; il aimait à revoir certains classiques du cinéma ” la septième compagnie, la traversée de Paris avec le célèbre “Jambier” de Gabin ; ça le faisait toujours marrer.

Ce qui m’a marqué surtout, c’est son rituel chaque matin ; rasé de près, sentant la douceur mentholée, dans son costume de ville, je le trouvais assis dans la cuisine, son bol de café fumant sur la table, juste éclairé par la lueur du jour naissant, le regard tourné vers la fenêtre, prêt à se rendre à son travail ; il semblait absent, s’inter-rogeant sur ce qu’avait été sa vie, sinon le souvenir de parfums difficiles à définir, à peine sentis qu’ils disparaissent, laissant leurs effluves comme des rêves inachevés ; comment les retenir, quand ils sont désormais derrière soi, juste l’amertume de n’avoir pas su en profiter davantage . Et moi, je veux en profiter jusqu’à mon dernier souffle.

La voix :

Tu veux te persuader que tu existes encore, mais tu dois te l’avouer, tu n’es plus rien sans ton travail.

Quand tu le quittes, c’est fini... Si tu restes, c’est pire…. Ta présence est juste supportable….

À un moment donné, on a plus besoin de toi, tu le sais bien et si tu ne le sais pas, on fait en sorte de te le rappeler. Tu lui as tout sacrifié pour rien.

Vega :

La plus grande découverte que j’ai faite quand je suis arrivé à la retraite, c’est que je ne veux plus perdre de temps à faire, ce que je n’ai pas envie de faire.

La voix :

Qui es-tu ? …tu n’es plus personne tu ressasses tes vieux démons.

Ta démence héroïque est stérile, personne ne t’attend…….

Vega :

Peut-être, mais je ne me laisserai pas dire, que sans mon travail je ne suis rien ; Aujourd’hui, je me dois de faire, ce que je suis en droit de ne pas faire je suis libre !

La voix :

Liberté ! Liberté ! Qu’est-ce que tu veux dire quand tu parles de liberté !

D’accord, tu as quitté ta femme et alors ! Es-tu plus libre pour autant ? C’est une réalité toute relative……

Vega :

La liberté est un travail qui se pose toute sa vie ; nous ne sommes pas nés, libres ; on m’organise mon corps, ma vie,

Ma façon de consommer, parce que la liberté, c’est trop compliqué.

La voix :

Ta décision te coûte cher !

Vega :

La vie n’est, ni un film, ni un roman ; j’ai le droit d’échouer, de me tromper…

Parce qu’il est osé de courir vers son risque

Parce que j’ai en moi, la conviction d’avoir choisi de m’écouter.

La voix :

Tu ne vis pas dans le présent, tu as toujours été comme ça...

Tu te rappelles l’appréciation de ton prof de langue : « vis dans l’euphorie »….

On voit où ça t’a mené !

Vega :Vega manifeste son exaspération d’un geste de la main, comme pour dissiper toute mauvaise pensée. Il se sert un café.

Partir, c’est le début de l’avenir ; c’est devenir soi, quand on a plus besoin de l’autre. La conséquence de nos actes est disséminée à travers le temps. Pour chaque crime ou bonne action, nous formons notre avenir. Les croyances, la peur, l’amour, le tragique existentiel, doivent être abordés avec l’incertitude.

C’est normal que je doute, mes actes, eux, sont des forces émergées en moi qui agissent sur ma destinée.

J’ai choisi la rupture ; c’est une fuite, face à l’angoisse d’être confronté à un face à face silencieux et stérile, pour le temps qu’il me reste à vivre.

Imaginez que vous vous noyez, vous descendez inexorablement dans les profondeurs de l’abîme, vous êtes angoissé au milieu du froid et des ténèbres et vous êtes conscient de votre fin crépusculaire.

Véga marque un temps

Rompre le lien ! Je l’ai fait. On peut dire ce que l’on veut mais j’ai choisi de quitter mon épouse parce que….

Parce que nous nous sommes perdus de vue. C’est l’apanage de beaucoup de couples...

Rester l’un à l’autre, l’un à côté de l’autre, pour des tas de raisons qui ne sont pas………de bonnes raisons.

D’ailleurs la plupart des couples les pensent sans les dire…ils s’en accommodent par lâcheté, par confort, Par peur de l’inconnu, par fatalité, par résignation………...

La mort avant l’heure, c’est aussi un choix. Bon Dieu ! Qu’ils sont nombreux !

La voix :

Tu as passé de belles années avec elle, tu te souviens en arrivant dans le pays, tu étais déjà éprouvé par une rupture, la mère de tes enfants ; tu arrivais dans une région que tu ne connaissais pas, au mois de novembre et en pleine montagne.

Même si les paysages sont magnifiques, l’austérité de l’endroit ne favorise pas le moral, c’est le moins que l’on puisse dire... Je me trompe ?

Vega :Véga cherche le livre de Kundera et s’installe dans son fauteuil L’insoutenable légèreté de l’être et sa pesanteur en fin de compte.

Nous sommes tous confrontés à la peur de voir notre vie s’enliser et se répéter quoiqu’on fasse.

C’est un bonheur immense que de connaître l’amour, seulement il ne suffit pas d’ai-mer, il faut vivre après.

Kundera dit dans son livre : « que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même. »

J’ai des torts, mais pas tous les torts et je ne cherche pas à me disculper en disant cela……Nous avançons ensemble, et un beau jour les chemins divergent……….

Ça peut paraître cruel en disant les choses de cette façon, mais c’est mieux que d’at-tendre la mort dans cette vie-là.

Véga pose le livre, se lève et se lance dans un plaidoyer face au public.

Je me souviens, ce matin-là je venais de rompre avec tout ce qui conditionnait ma vie. Ce n’était pas un jour particulièrement triste, mais cela lui donnait une certaine solennité. J’avais mis quelques bouteilles au frais, histoire de fêter mon départ à la retraite. Tout le monde était là, j’avais atteint tous mes sommets, je discutais avec les uns et les autres de cette liberté que j’allais mettre au service d’une passion : le théâtre. Et dans la seconde qui suivit, je ne le savais pas encore, le processus de mon agonie s’est déclenché.

Véga se rassoit.

Voyez-vous, il y a des moments où l’on sait qu’on a traversé un pont qui nous séparera à jamais de notre ancienne vie…….

J’avais envie de marcher, de digérer, de gérer, de bouger. Je venais de traverser.

Il était temps que je me retrousse les sens, la vieillesse ne serait jamais pour moi.

La voix :

Tu sais que le choix est difficile

Une nouvelle vie, c’est renoncer…renoncer à la propriété, ton train de vie, ton confort et tant de choses accumulées…

C’est faire face au regard des biens pensants

Ceux-là mêmes qui auraient voulu le faire, mais qui n’ont pas osé

Comme le disait Brassens “ les gens honnêtes”.

Vega :Vega prenant le jugement de divorce dans le dossier posé sur la table de salon.

Tout est écrit, comme on dit.

À chacun sa destinée.

Et quelle que soit la tournure que prennent les événements, ils ne constituent pas une fatalité.

Comme César j’ai franchi le Rubicon, mais j’aurai pu tout aussi bien ne pas le faire.

Je ne dépendais pas de ma décision, de quitter ou de ne pas quitter ma femme, mais de cette peur panique que constitue la routine dans une vie de couple.

(À ce moment-là Véga se regarde dans le miroir de l’appartement, satisfait, mais à la fin de sa tirade il fait en sorte que la voix qui répond provienne du reflet)

L’usure du couple……….

Ne plus faire attention à l’autre

Le désir perdu, ne plus voir ce qui vous a fait craquer la première fois

Ne plus réinventer la magie de la passion

Faire la place à l’indifférence, parfois même au dégoût de l’autre

Le réveil brutal du constat d’échec

Toutes ces questions existentielles……………

Mon action donc, ne dépendait pas de ma seule initiative, elle était porteuse d’une signification bien plus large, que celle que je pouvais lui prêter personnellement.

En fait, j’avais un désagréable pressentiment de mort latente, comme si je devenais asexué, avec cette horrible pensée de ne plus avoir accès à cette sensation de chaleur jouissive que procure la passion amoureuse… en fait je me sentais mourir.

Alors j’ai choisi de vivre encore.

La voix :

Nietzsche affirme : « le désir sexuel est dans le fond, le désir d’une domination complète sur le corps et l’esprit de l’autre ». Il est ta propre domination, ta propre perte, ton mal être ; juste un besoin énorme d’amour, comme si tu en avais toujours manqué.

Vega : (toujours face à son miroir)

C’est indéfendable Monsieur le Président !

J’en suis conscient, mais il faut ce courage qui repose sur des choix.

« l’esprit de l’homme repose sur ses choix »……… j’ai donc choisi.

L’homme par nature est davantage coupable.

Je suis coupable pour n’avoir pas su renoncer à l’amour, c’est ainsi…

Coupable parce que, autrement.

(Face au public)

D’ailleurs, coupable d’être juif, coupable par la couleur de peau, coupable par croyance, coupable d’être pauvre comme d’être riche, coupable d’être parti, aussi bien que d’être resté, finalement coupable, parce qu’il faut un coupable.

Vega regarde l’heure et se dirige vers la chaise où se trouvent ses vêtements, il s’habille.

Vega :

(Vega tient son pantalon devant lui prêt à l’enfiler)

Tout reste confus dans ma tête, en suspens.

Les mots ne se détachent pas, dans l’imbroglio de mes pensées.

(Une jambe enfilée, un temps de réflexion)

Juste l’obsession de m’être trompé….

(Deuxième jambe, une pause, convaincu)

Ou d’instinct…voilà le mot ! le désir de vivre.

(Il boucle sa ceinture)

Force de caractère……...

(Il enfile son pull et regarde ses chaussures avant de les mettre)

Repartir à zéro, c’est toujours la plus grande difficulté.

(Tout en laçant ses chaussures)

Juste de temps en temps, une friandise, ce n’est pas possible ! Si rare ! Si peu !

Vaut mieux plus y penser…SDF de l’amour...les restos du cœur finalement.

(Après avoir lacé ses chaussures, Vega se redresse en marquant une douleur.)

Vega :

Mes cervicales me jouent des tours

C’est de plus en plus fréquent

Sensations désagréables de perte d’équilibre

De nausée, de troubles de la vision

Sensations de lourdeur et d’extrême fatigue

Je tourne en moi comme dans un manège

Trois petits tours et puis s’en vont……

Tout se déforme autour de moi

Perception étrange de la réalité

Comme distendue, appesantie par des visions surréalistes….

(Vega improvise une danse insolite, en transformant son corps et son visage.

Il utilise ses vêtements qu’il allonge ou retrousse à son gré, et des masques différents, qu’il met sur sa figure.)

Chorégraphie accompagnée de la musique les demoiselles de Rochefort)

J’aspire à m’envoler, à me déformer

Chaque partie de mon corps semble s’allonger…se rétrécir à chaque mouvement de tête. Je me « Dalise » par la pensée, sans pour autant, projeter cette créativité qui tarde à naître.

Où sont rhinocéros et autres pachydermes

Où sont les éléphants à grandes pattes….

Seules les montres molles, symbole dérisoire de la rigidité du temps qui passe, me rappellent l’angoisse de l’attente de l’éclosion…….

(Vega s’arrête et la musique aussi, il regarde autour de lui, il a le masque des mauvais jours.)

Plus que jamais, l’immobilité m’envahit, maintenant que je ne travaille plus.

Mes pensées se perdent dans des silences convulsifs, où les idées les visages se mêlent, se pressent sans pour autant se rationaliser. Comme des bulles de savon elles montent et éclatent avant même d’exister.

(Vega regarde son reflet dans la glace et à nouveau la voix intervient semblant provenir du miroir)

Je suis en train de mourir, sinon de muer en insecte immonde, cloporte inutile, scarabée doré tapis à jamais dans le réduit obscur de mon cerveau.

C’est le temps de l’hiver et de la nuit, nuit humide et sans espoir. Je ne suis plus qu’un cafard dans son trou.

La voix :

Où es-tu, toi l’enfant de l’amour

Cet enfant né trop vite, trop tôt

Tes vieux démons sont prêts à sortir

Pour nourrir ce que tu es au plus profond de ton être

Mille et un personnages affublés des souvenirs qui peuplent ta conscience

Ils t’appellent pour naître à l’écriture

En mouvement dans l’espace

Une éclosion fantastique de tes émotions fiévreuses qui te hantent

Exorcisées enfin dans un clair-obscur.

Vega:( assis dans son fauteuil)

Pour l’instant je suis au point mort

On a beau se convaincre qu’on va rebondir

On reste englué dans la vie d’avant.

Je fais l’erreur de croire qu’il faut continuer avec le passé

Je me rends compte que c’est illusoire

Je dois faire table rase.

La voix :

Et si tu arrêtais de t’apitoyer ! Respire à fond !

Vega :

Je respire

La voix :

Bien ! tu es vivant...

Vega :

Je suis vivant

La voix :

Tes organes ne sont donc pas morts !

Vega :

On peut le dire comme ça, le processus vital n’est pas engagé

La voix :

Alors rebondis !

Vega :

Côté souplesse, ce n’est pas gagné et si à cinquante ans ne t’as pas une rolex.

La voix :

Tu as des rêves, optimise, encore vingt ans devant toi

C’est plus qu’il n’en faut, alors bouge-toi !

Vega :

Mais je n’arrête pas de bouger !

Je bouge à l’intérieur

Mon sang circule mon cœur s’emballe

Enfin pas trop, on ne sait jamais !

Je remue avec mon corps

Parfois il ondule encore

Je bouge avec les yeux

Ils clignent sur elle c’est bon signe

Je bouge ! Oui ! je bouge !

Ma peau frissonne

Ses mains sur moi

Alors toucher c’est bouger

Et moi je glisse et m’agrippe

À son corps magique

Alors je suis touché au cœur

Qui s’active qui s’emballe

Je chante je danse je suis vivant.

(Vega revient à une réalité plus terre à terre)

Je me surprends d’être dans cette sensation incroyable de vouloir tout recommencer avec la perspective, d’aborder les choses sans ressentiment.

Prendre conscience des heures de la vie, qui la rendent à la fois inestimable et insurmontable, avec la beauté déchirante de l’éphémère et le tragique de l’existence.

Je suis en devenir d’être ce vieux clown retraité des chapiteaux qui résiste à la vie ordinaire.

Voici la métaphore délirante d’une fable, celle d’un commencement qui suit une fin ou celle d’une fin qui crée un commencement.

J’entends cette petite voix qui m’inonde sans que je ne lui demande rien.

Elle n’obéit à aucun ordre et certainement pas à celui du genre « tais-toi ».

- Deuxième volet -

J’ai balancé le revers de ma main en avant, comme si je voulais chasser une mouche devant moi et le rideau s’est levé.

Quand les yeux crient sans couler derrière les paupières, ce que la bouche rêve de dire. Vega est affublé d’oripeaux ravaudés, faisant comme des écailles d’un lézard des murailles.

La nuit qui, par le cri de ma mère, un soir de janvier, s’empara de mon enfance, venait d’infiniment plus loin ; il remontait du fond du temps, en cents échos de cris d’amour étouffés par trois guerres.

Vega :(en avant-scène)

Tout commence par un cri et des pleurs, les mots et la parole viennent ensuite.

Tout est écrit dans le livre de la création de l’enfant. Au début, les parents de l’homme s’accouplent. Cela crée une goutte dans laquelle Dieu introduit l’esprit de l’homme. Ensuite l’ange conduit la goutte le matin au paradis, et le soir en enfer, puis il lui montre où elle vivra sur terre et où elle sera enterrée lorsque Dieu rappellera l’esprit qu’il y a mis. Ensuite il est écrit ceci : Mais l’ange ramène toujours la goutte dans le corps de la mère et le saint, loué soit-il, ferme derrière, les portes et les verrous. Et le saint, loué soit-il, lui dit : « tu iras jusque-là, et pas plus loin ». Et l’enfant reste dans les flancs de sa mère pendant neuf mois. Et ensuite : « Malgré toi, tu as été formé dans le corps de ta mère, et malgré toi, tu es né pour venir au monde ».

Aussitôt l’enfant se met à pleurer. Et pourquoi pleure-t-il ? Penser à la folie que c’est de sortir quelqu’un d’une éternité paisible pour le rendre conscient de la prochaine, même si l’ange répond à l’enfant : le monde dans lequel je t’amène est beau Que lui reste-t-il ? L’enfant oublie tout ce qu’il a vu et passe son temps à ne pas comprendre pourquoi il est au monde et pourquoi il tient tant à la vie.

– Nuit de résonance -

1936 : Quelque part à Nancy le 02 novembre

Vega :

Si le monde était plein d’espoir cette année-là celui de Fernande venait de s’effon-drer pour la seconde fois. Elle venait d’entrer en guerre, sa guerre, celle d’une jeune femme devenue veuve à 29 ans, avec trois enfants en bas âge.

Fernande :

Je connais ce moment précis, où la panique se lit sur les visages, cette maladie du désespoir dans les yeux des gens. J’avais sept ans le 03 septembre 1914 ; je sentais cette peur d’adulte sans bien la comprendre, forte de l’insouciance de l’enfant que j’étais. C’était ma première guerre, celle de la folie des hommes.

1969 : Dans sa maison “Place des Dames”

Vega :

Fernande s’apprête à passer à table ; elle se trouve dans sa salle à manger en arrêt devant son buffet, la main droite levée, prête à saisir le tiroir qui se trouve devant elle ; tout est calme ; il n’y a pas de temps à perdre ; elle reprend son travail à treize heures trente. Cependant il vient de se passer quelque chose…

Fernande :

Je connais bien ce moment précis, où le temps n’a plus d’emprise sur moi, où chaque douleur, chaque plaisir, chaque pensée, chaque soupir, et tout ce qui a dans ma vie, d’indiciblement petit ou grand, revient ; ça m’arrive souvent maintenant ; je ne pourrais dire combien de fois et pendant combien de temps, mais c’est comme si j’avais retiré mes mains de sur une source qui demandait qu’à jaillir ; quelque chose s’est libéré en moi, quelque chose que j’ai envie de vivre dans ma tête comme ça me vient, je décide.

Vega :

La soixantaine passée, Fernande est une dame soignée, coquette, toujours souriante, d’une douceur et d’une gentillesse qui fait d’elle une personne plutôt soumise aux aléas de la vie ; sa condition de jeune veuve ne lui a pas laissé d’autre choix que de vivre chez sa mère et d’accepter le travail qui se présentait pour élever ses enfants et aider ses parents.

Actuellement elle travaille à la confection de chemises dans l’usine de textile de la ville ; elle fait le trajet à pied, environ deux kilomètres, quatre fois par jour ; Fernande ne se plaint pas, toujours disponible, chaque soir elle rend visite à sa mère âgée de 90 ans à l’hospice qui se trouve rue du canal située en bas de la place des Dames.

Et puis, j’entends ta voix entrer par mon oreille et traîner dans ma tête.

Fernande :

Je t’entends Charles, j’aime quand tu me murmures « Fernande » à l’oreille ; j’avoue, il n’y a que toi et papa pour le prononcer avec infiniment de douceur ; ma mère, ce n’est pas pareil, tu la connais, toujours autoritaire, toujours à vouloir en découdre, comme si elle en voulait à la terre entière, et puis les enfants, maintenant qu’ils sont adultes, avec leurs propres enfants et leurs préoccupations, ils n’ont pas le temps de s’apitoyer sur une pauvre vieille comme moi.

Encore ! Charles, s’il te plait ! J’en ai besoin pour supporter ton absence qui me fait si mal.

Fernande ! Fernande ! ma douce Fernande !

Pas trop fort Charles ! On pourrait t’entendre, tu sais……...

Tu ne seras jamais vieille pour moi !

C’est vrai, notre Amour s’est figé à notre jeunesse et la destinée nous l’a repris, si prématurément, si brutalement, si injustement, si… Que nous en sommes à jamais insatisfaits.

Vega :

Combien de temps déjà ; ça continue dans sa tête, de plus en plus vite et au bout d’un moment, elle se surprend à répéter « Fernande » à haute voix.

Fernande :

Il faut que je me surveille, sinon…. D’ailleurs, c’est arrivé au travail, ce matin ; j’étais en train de surpiquer un col de chemise, quand l’aiguille s’est cassée ; j’étais là, à fixer cette aiguille et hop ! comme par enchantement, je t’ai senti tout près de moi et j’ai pensé : « Charles ! Tu es là, mon Charles, tu vois, la surpiqûre d’un col de chemise, ce n’est pas si simple ; J’ai dû le penser à haute voix, parce que Germaine ma camarade, qui est à côté de moi dans la chaîne de confection m’a tiré par le bras en me disant : Fernande ! Qu’est-ce qui t’arrive ! Tu parles toute seule maintenant ! »

J’étais si bien, j’en voulais à cette voix si lointaine qui voulait m’arracher à toi. Je me suis sentie gênée et un peu vexée d’avoir été confondue.

Fernande :

Je me souviens de tout, Charles !

Le seul moyen que j’ai trouvé pour m’évader du quotidien, c’est mes souvenirs. Les enfants interprètent mes absences comme des troubles du comportement et s’imagi-nent que…. Si je reste plantée là, perdue dans mes pensées, il vaut mieux pour moi, que j’entre en maison de retraite ; c’est pour les rassurer “eux”, c’est pour leur tranquillité, mais, fini la mienne de tranquillité ! Tu sais comment ça se passe Charles ?

Tu ne peux pas faire un pas sans que quelqu’un te demande où tu vas.

Tu n’as plus d’intimité, déjà qu’on est deux par chambre, on entre comme dans un moulin, ici, à peine si on frappe à ta porte ; le personnel de l’établissement ne se préoccupe pas de savoir si tu peux être visible ou non, c’est très désagréable ; en plus, il repasse derrière toi, comme si c’était mal rangé, toujours à replacer le couvre-lit, comme si tu l’avais mal tiré ; je suis assez grande pour m’occuper de mon lit, tout de même ; c’est comme la douche, il faut que la femme de chambre m’accompagne, je ne peux plus la prendre seule, sous prétexte que j’ai glissé l’autre jour ; je n’ai pas l’habitude de me plaindre Charles, mais c’est infantilisant à la fin.

On m’enlève un peu de ma dignité.

Je me suis accommodée de tout dans ma vie et tout au long de celle-ci, je me suis réajustée, réorganisée, j’ai fait sans, je suis passée outre et finalement je pensais n’avoir plus rien à perdre, mais je me trompais, puisqu’en vieillissant j’ai appris à perdre davantage : mes repères, l’équilibre, la vue, l’ouïe, les mots, la mémoire, la boule ; à l’époque je n’attendais plus rien de la vie.

Un matin, comme à mon habitude j’ai quitté la maison de retraite par le chemin des écoliers, mais cette fois je ne suis pas revenue, trop occupée à taire les mots et laisser venir.

Aujourd’hui je suis contente de les avoir retrouvés, ceux, pour me raconter mon histoire, mais une histoire composée d’omissions, de petits arrangements, telle que la mémoire des uns et des autres, invente……

Normal ! Pour une personne comme moi qui n’a plus toute sa tête parait-il !!

J’ai pris des mots qui sont des habits de tous les jours, qui s’endimanchent parfois pour raconter mon histoire ;« ça fait longtemps que je ne me racontais plus d’his-toire »

– Dans sa maison, place des Dames -

(Fernande est en compagnie de son petit-fils)

Vega :

Mémère ! Oh ! Mémère ! Je suis là ! Tu m’entends ! À quoi penses-tu ? Hou ! Hou ! Je suis là…….

Qu’est-ce que tu regardes ? Tu as oublié quelque chose ? Veux-tu que je t’aide ?

Qu’est-ce qu’elle a la nappe ?

Fernande : (elle regarde la table en tapotant la nappe avec sa main droite, comme s’il y avait une tache)

Oh ! Oh ! Oui ! Je suis là, on n’est pas aux pièces ! Arrête de tourner autour de moi comme ça, la nappe n’a rien. J’étais dans mes pensées. Bon ! T’as mis la table ! et le pain ! – va chercher le pain ! il est sur la table de la cuisine. Ah ! tu vas être content, je t’ai pris une tranche de gruyère, avec pleins de trous, celui-là, comme tu l’aimes.

(Elle sautille et fait claquer son dentier ; elle sourit, puis ouvre le buffet pour sortir le fromage)

Vega :

Merci ! Mémère, mais dis-moi, à quoi penses-tu si souvent ?

C’est vrai, chaque fois que je viens te voir, tu me fais le coup de l’absence ; on est en train de se parler et hop !

Tout à coup, ton esprit est ailleurs ; c’est, comme tout de suite, tu étais où ? et ce sourire que tu me fais à chaque fois.

Fernande :(le morceau de fromage dans les mains)

C’est bien de rêver, tu ne trouves pas ! Va me chercher une assiette pour le fromage ; regarde, il est comme tu l’aimes ; je lui ai dit au père Martin, une tranche avec beaucoup de trous, c’est pour mon petit-fils, il vient manger avec moi ce midi ; il aime le gruyère comme ça.

Vega :

Voilà l’assiette ; bon ! Mémère, tu me dis à qui tu penses quand ton esprit s’envole.

Fernande :

D’abord, je fais cuire les beefsteaks et les haricots verts et on se met à table ; en attendant sers-nous les deux tranches de jambon et coupe le pain. Tu peux te servir un petit verre de vin cuit, si tu veux…tu sais où est la bouteille !

Vega :

Oui ! Dans l’entrée de la cave ; tu veux un peu de vin cuit toi aussi ?

Fernande :

Je prendrai un peu de guignolet…

Au fait ! C’est quoi un biotique……c'est bien ça que tu m’as dit ; tu sais je ne suis pas malade, alors biotique !

Antibiotique ! Il faut que tu m’expliques…...

Vega :

Rassure-toi, Mémère, d’abord, ce n’est pas biotique, mais biopic ; c’est un mot employé dans le jargon cinématographique pour parler d’un film, qui raconte la vie d’une personne célèbre ; d’une façon générale, aujourd’hui on utilise le mot quand on raconte l’histoire de la vie de quelqu’un, peu importe le support, un film, un roman, ou une pièce de théâtre.

Fernande :

Tu crois que c’est bien raisonnable de parler d’une pauvre vieille comme moi ; ma vie ce n’est pas grand-chose, et puis elle est banale ; qui veux-tu que ça intéresse ; je suis déjà finie puisque je suis morte ; on connaît ma fin, une fin sans ma tête d’abord, puis sans mon corps après.

Vega :

Je pense au contraire qu’elle mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour les générations qui suivent et pour nous qui t’avons connu, mais pas suffisamment bien.