Le crime de la tour K - Franck Linol - E-Book

Le crime de la tour K E-Book

Franck Linol

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Beschreibung

Une nouvelle enquête pour l'inspeteur Dumontel !

Christelle Farges, dont la fille, Marion, a été sauvagement assassinée, est jugée aux assises pour meurtre. Elle est accusée d’avoir tué Tony, un jeune marginal, persuadée qu’il était le coupable de la mort de Marion. Dans le même temps, on découvre, dans un hall d’immeuble du quartier de Beauval, le cadavre du jeune Khaled Boukhari, mort d’une balle dans la tête. Et sa sœur, Chaïma, a disparu depuis une semaine...
Voici le 10e opus de la série « Dumontel » !
Un polar résolument urbain, où le célèbre inspecteur Dumontel se retrouve immergé dans l’un de ces « territoires oubliés de la République ».

Une enquête haletante sur fond de trafic de drogue et d’islamisme radical, dans un monde « hors limite », dur, âpre, violent, où se croisent des personnages à la fois désespérés et attachants.

EXTRAIT

Dumontel décida de ne pas assister aux débats de l’après-midi.
Il eut envie de flâner dans les rues – loisir qu’il ne s’était pas offert depuis une éternité – mais au bout d’un petit quart d’heure il ressentit une sensation de temps bêtement perdu.
C’était stupide, d’autant qu’aucun dossier urgent ne l’attendait sur son bureau.
Il interrompit son errance, retrouva sa voiture et prit la direction de l’Hôtel de police.
Il pourrait relever son courrier, consulter ses mails et donner quelques consignes sur les affaires en cours.
En longeant le couloir qui menait à son bureau, il croisa Rudnick, le commissaire divisionnaire qui avait remplacé Mangeard depuis maintenant plusieurs mois.
Ils échangèrent un bref salut mais Rudnick ne chercha pas à afficher une posture de petit chef à l’encontre de Dumontel. Le divisionnaire avait abandonné son style de manager ultra-autoritaire. Après le drame de Buissière qui s’était soldé par la mort de quatre personnes, alors que Dumontel était toujours sous le coup d’une suspension, le « patron » avait changé d’attitude.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Franck Linol est né à Limoges. Il vit dans sa région du Limousin dont il reste éperdument amoureux.
Son maître est le grand écrivain suédois, récemment disparu, Henning Mankell. Mais il est aussi influencé par l’œuvre de Jean-Claude Izzo et de René Frégni.
Il s’est lancé dans l’écriture pour simplement raconter des histoires, donner le plaisir de la lecture et aussi témoigner des dérives d’une société qui entrave de plus en plus les libertés de chacun.

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Franck Linol

le crime de la tour k

Ce roman est une œuvre de fiction. Les personnages, les lieux, les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des personnes réelles serait pure coïncidence.

Collection dirigée par Thierry Lucas

© – 2018 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

« Quand on regarde quelqu’un, on n’en voit que la moitié. »

Proverbe cité dans La Discrète (Christian Vincent, 1990)

Du même auteur

Chez Geste éditions

Dans la série Meurtres en Limousin :

La Cinquième Victime (2010)

Rendez-vous avec le tueur (2011)

La Morsure du silence (2012) - prix Lempzour

Lune de miel à la morgue (2013)

Le Vol de l’ange (2013)

Matin de cendre (2014) - prix de la Briance 2015 et prix Panazô lycéens 2016

La Onzième Carcasse (2015)

Yellow Cake (2016)

Le Souffle de la mandragore (2017)

Roman noir :

Carole, je vais te tuer (2012)

Beaux-livres :

Le Limousin photographié du ciel (2011, en collaboration avec Francis Gardeur)

Oradour, le dernier tram (2014, en collaboration avec Hélène Delarbre)

Jeunesse :

Je découvre le Limousin (2014, en collaboration avec Luc Turlan)

Nouvelles :

7 – Le Cercle noir (2015 et 2017, ouvrages collectifs)

Noir-express (2014, ouvrage collectif)

Terminus la gare en noir (2017, ouvrage collectif)

Le personnage de Chaïma est librement inspiré du livre de Djénane Kareh Tager, Sous mon niqab (Plon, 2010)

Franck Linol, janvier 2017

I

Debout devant les lourdes portes de la cour d’assises du Palais de justice de Limoges, l’air sévère, l’huissier égrenait les noms des jurés qui, un à un, après avoir répondu « présent », pénétraient tête basse dans l’enceinte du tribunal.

Puis ce fut le tour des témoins.

— Avancez, s’il vous plaît !

La voix de l’huissier résonna sous les voûtes du vieux tribunal de la place d’Aine.

Au même moment, le commissaire Dumontel gara sa Golf sur le petit parking situé face au Bistrot Gourmand. En attendant que le feu du boulevard Victor-Hugo passe au vert, le flic regarda la place en se remémorant l’époque où, de ce lieu, avec ses arbres et ses bouquinistes, émanaient un charme feutré, une élégance simple, qui donnaient envie d’y flâner. Une place où Antoine Doinel, le héros de la série culte de Truffaut, se serait trouvé bien. Mais le charme est une notion étrangère aux urbanistes. La place avait été livrée aux technocrates des espaces urbains – mobiliers en toc, fontaines inspirées d’urinoirs – et aux experts en politique sécuritaire spécialistes du mobilier anti-SDF, dont la finalité est de « rendre inconfortable l’occupation prolongée d’un espace ».

Le feu passa au vert.

Dumontel traversa la rue Turgot, longea la véranda du Versailles et aperçut l’imposante architecture néoclassique du Palais avec sa colonnade gréco-romaine surmontée d’un fronton, symboles d’un pouvoir inébranlable, celui de la justice.

Mais le tribunal historique, lui aussi, devait abdiquer.

Rue de la Mauvendière, à quelques pas de la prison, une nouvelle cité judiciaire aux lignes contemporaines était sur le point d’être inaugurée. Restait à détruire l’ancienne habitation d’un industriel de la porcelaine : l’immeuble Faure. Une imposante demeure de la fin du xixe, recelant de magnifiques vitraux du maître Chigot. Ce qui suscitait la colère de l’association Renaissance du Vieux Limoges. Mais durant des décennies, à Limoges, on avait détruit… et, semblait-il, on continuerait.

Lorsque Dumontel monta le monumental escalier qui menait à la salle des pas perdus, il fut giflé par une bourrasque de pluie fine. Il pensa que même ce mois de juin manquait de charme.

Il salua deux policiers en uniforme et, discrètement, prit place au fond de la salle d’audience. Un nombreux public papotait comme au théâtre avant le lever de rideau.

Une sonnerie retentit. L’huissier se leva et annonça :

— La cour !

Robe rouge, col et bas des manches en soie noire, cravate en dentelle blanche, le président du tribunal, un volumineux dossier dans les mains, pénétra sur l’estrade, escorté par deux magistrates assesseurs en toge noire, tenant chacune un code pénal rouge.

Le petit homme s’assit, ajusta ses lunettes et dit :

— L’audience est ouverte, veuillez vous asseoir.

À cet instant, par une petite porte dérobée, une femme menottée et suivie par deux policiers se plaça dans le box des accusés. La femme baissait la tête. Vêtue d’un strict tailleur jupe bleu marine, les cheveux relevés en chignon, elle n’arborait aucun bijou. Le visage fermé, le teint pâle, elle semblait très fatiguée.

On lui enleva ses menottes.

C’est là que Dumontel aperçut Lily qui, du banc des avocats de la défense, se leva, se retourna et prit les mains de l’accusée dans les siennes.

Le flic avait connu la jeune femme dans des circonstances inhabituelles : il y avait maintenant trois ans, Lily s’était retrouvée en garde à vue pour vol, outrage et rébellion1.

Après bien des allers-retours entre Limoges et Paris, l’ancienne squatteuse, accompagnée de ses deux enfants, Léo et Léa, avait fini par s’installer à Limoges dans un appartement de la rue Adrien-Tarrade, à proximité du quartier Carnot, à quelques minutes à pied de celui de Dumontel.

Bardée de diplômes, juriste de formation, elle avait, sans difficultés particulières, bénéficié des dispositions dérogatoires et était désormais inscrite au barreau de Limoges, travaillant comme salariée pour un cabinet d’avocats de l’avenue de la Libération. C’était sa première affaire aux assises.

Sa relation avec Dumontel était tout sauf un long fleuve tranquille.

Lily Heinman, Berlinoise d’origine, était dotée d’un caractère bien trempé. Elle avait horreur d’être contredite, surtout par Dumontel, ce qui pouvait la conduire parfois sur les pistes sinueuses de la mauvaise foi. Très sûre d’elle, du moins en apparence et malgré ses dénégations, un ego assez bien dimensionné, elle affichait une personnalité de leader. Lily avait toutes les qualités pour être une bonne avocate. Moins en revanche pour être une bonne compagne. Lily affichait rarement ses émotions et ses sentiments amoureux envers le flic, ce qui le laissait perplexe…

Dumontel cherchait des réponses quant à la nature de leur relation.

— Lily, dis-moi, je suis qui pour toi exactement ?

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ben, tu éprouves quoi pour moi ?

— Arrête de me faire chier avec tes problèmes existentiels ! Je suis avec toi, et voilà. Les choses sont simples.

— Non, Lily, l’amour n’est jamais simple.

— Pour moi, si ! Je n’ai pas envie de me prendre la tête, alors on parle d’autre chose.

Dumontel revenait parfois à la charge. Lorsque la jeune femme était à Paris depuis quelques semaines, le flic, au téléphone, cherchait à savoir comment elle vivait ces séparations.

— Comment va ta vie sentimentale ? questionnait-il.

— Je ne comprends pas ta question.

— Cela fait trois semaines qu’on ne s’est pas vus…

— Et alors ?

— Je ne sais pas… je te manque un peu ?

— Non, tu ne me manques pas. J’ai décidé une fois pour toutes que je ne souffrirais pas pour un mec.

Lily faisait tout ce qui était possible pour montrer à Dumontel qu’elle n’avait pas besoin de lui.

Bien sûr, il en était affecté. Et il avait besoin d’être rassuré, même si, au fond de lui, il savait que cette attitude était une posture. Celle d’une femme qui s’est construit un bouclier et pour qui le challenge de la vie est de s’interdire toute fêlure. Dumontel composait avec cette situation étrange car il tenait beaucoup à elle. Mais jusqu’à quand ?

En voyant Lily attraper les mains de l’accusée, le flic ressentit à la fois un vif émoi et une inquiétude sourde : quel était l’avenir de leur aventure ?

Lily habitait à Limoges depuis six mois. Mais cela n’avait pas pour autant donné de réponses aux questions de Dumontel. Et il n’aurait pas parié gros sur la destinée de leur histoire…

— Veuillez parler près du micro, dit le président.

Après quelques questions de routine, on apprit que l’accusée se nommait Christelle Farges, qu’elle était âgée de 46 ans, qu’elle exerçait le métier d’infirmière libérale, qu’elle était mariée à Paul Farges, actuellement en prison pour avoir tenté de tuer un homme en incendiant sa caravane, et qu’elle était mère d’une fille, Marion Farges, morte sauvagement assassinée à l’âge de 16 ans, en novembre 2015.

On procéda au tirage au sort des jurés. Comme pour un loto, mais dans un silence pesant, le président sortit d’une urne six jetons numérotés. Un à un, les jurés désignés par le sort se levèrent et se rendirent à la tribune, aux côtés des trois magistrats professionnels, pour y prendre place.

On demanda à l’avocate ainsi qu’au procureur s’ils souhaitaient récuser certains jurés.

— Non, monsieur le président.

Dumontel nota que sur les six jurés il y avait quatre femmes.

Un bon point pour Lily.

Après lecture du serment, « Levez la main droite et dites : “Je le jure !” », le président déclara le jury constitué.

— Les débats sont ouverts.

Le président se saisit alors d’un feuillet et se mit à lire l’ordonnance de mise en accusation de Christelle Farges.

Le regard perdu, la femme semblait absente.

1. Matin de cendre (2014).

II

— Madame, veuillez vous lever.

Le ton du président était bienveillant et respectueux.

Christelle Farges se leva et, pour la première fois depuis son entrée dans la salle d’audience, regarda vers la tribune.

— Madame Farges, vous êtes accusée d’avoir le 19 novembre 2015, vers 8 heures du matin, assassiné Tony Ralier d’un coup de fusil de chasse sur le lieu-dit de la butte de Frochet, commune de Buissière2. Vous vous êtes rendue de votre plein gré à l’Hôtel de police de Limoges et avez, dans votre déposition, reconnu être l’auteur des faits. L’arme appartenait à votre père et vous avez prétendu l’avoir récupérée la veille du meurtre au matin alors que votre père était absent. Vous reconnaissez avoir jeté ensuite celle-ci dans un étang. Vous avez déclaré que vous étiez convaincue que Tony Ralier était l’assassin de votre fille Marion et que votre geste prémédité constituait une vengeance…

Assis au premier rang du public, un dessinateur croquait les silhouettes des principaux acteurs. Des journalistes prenaient des notes.

La lecture de l’ordonnance de mise en accusation dura une quinzaine de minutes.

— L’audience est suspendue, elle reprendra dans vingt minutes, annonça le président.

Aussitôt un brouhaha bon enfant se répandit dans la salle.

Christelle Farges fut évacuée pour être conduite dans une geôle située au sous-sol.

Dumontel vit passer Lily qui ne se rendit pas compte de sa présence. Il lui avait promis de ne pas être dans la salle durant l’audience.

— Je ne veux pas que tu sois là. J’ai peur que ta présence me perturbe. Tu comprends ?

— Dommage, j’aurais pourtant bien aimé…

— Écoute, ne le prends pas mal. C’est ma première affaire aux assises. J’ai besoin de rester concentrée.

Sous sa robe noire, elle était vêtue d’un jean et de bottines qui claquaient sur le parquet en chêne.

Dumontel eut alors une interrogation fugace qu’il tenta de chasser de son esprit : Lily portait-elle sa culotte rose avec fleurs et dentelles ? Pourquoi cette question lui traversa-t-elle l’esprit dans ce lieu empreint de gravité et de solennité ? Il remarqua que le président, derrière ses lunettes, observait Lily qui marchait vers la sortie. Et si le magistrat se posait la même question ? Non, c’était inconcevable.

Le flic se leva à son tour et vit la jeune avocate se diriger vers un distributeur à café.

Elle préleva deux gobelets et, d’un pas rapide, repartit vers le couloir qui menait aux geôles.

Dumontel sortit du tribunal. Il ne voulait pas prendre le risque d’être repéré à la reprise de l’audience.

Il était 11 heures et il était convenu qu’il devait retrouver Lily vers 12 h 30 dans un restaurant du quartier.

Il s’installa à la terrasse d’un bar et commanda un café.

Ce mois de juin, comme l’avait été le mois de mai, semblait désespérer les passants qui, la mine renfrognée, accéléraient le pas lorsqu’un coup de vent bruineux balayait la rue.

Un exemplaire du Populaire du jour traînait sur une table. Le flic s’en empara. Un article annonçait l’ouverture du procès de Christelle Farges en rappelant les faits. À la page suivante, le procureur de la République et le divisionnaire Rudnick faisaient le point sur une bagarre qui avait opposé deux bandes rivales, l’une du Val de l’Aurence, l’autre de la Bastide.

Dumontel avait suivi cette affaire de loin. C’était surtout ses collègues de la sécurité publique qui avaient été en charge des opérations. En pleine journée, dans les rues du centre-ville, les échauffourées avaient envoyé au CHU deux jeunes blessés à l’arme blanche. Des douilles avaient été retrouvées sur un trottoir.

Règlement de comptes à OK Corral !

Il continua à feuilleter le quotidien. Il tomba sur un article qui détaillait le programme du premier festival rock, Lost in Limoges, qui aurait lieu dans quelques jours sur l’ancien terrain militaire du Mas de l’Âge.

Iggy Pop à Couzeix !

Dumontel fredonna « I’m sick of you » : No way. No way. No way for our love…

Il se sentit ridicule. Les morceaux de Iggy ne se fredonnent pas, ils se hurlent !

L’Iguane, l’ancien punk, à la démarche atypique avec sa chaussure droite compensée, qui sur scène montre son cul, se lacère, vomit sur son public, l’inventeur du « slam » qui consiste à se jeter dans le public et à se laisser porter par lui, le complice de David Bowie… à Couzeix !

Un gag ?

Comme si on apprenait que le festival de Cannes était transféré à Limoges !

Il faudrait qu’il pense à acheter un billet.

Lily arriva à l’heure. Elle déposa sa robe noire et son cartable en cuir sur la banquette du restaurant.

L’Idée Halles était une table de caractère qui proposait un méli-mélo entre campagne limousine et iode de l’Atlantique. Des légumes de jardin adaptés aux saisons. Et un couple attachant aux manettes.

Lily semblait soucieuse.

— Alors ?

— C’est parti… Il y a quatre femmes dans le jury. Des mères de famille qui ont des enfants.

Elle commanda un « bock pêche » alors que Dumontel attaquait son deuxième verre de blanc, un classique Tariquet , bel assemblage de chenin et de chardonnay.

— Comment va-t-elle ?

— Christelle ? Totalement fermée. Elle n’a pas envie de se battre. C’est inquiétant.

— Finalement tu plaides quoi ?

— Coupable. Elle maintient qu’elle est l’assassin de Tony. Mais je vais plaider les circonstances atténuantes : femme battue et traumatisée par la mort horrible de sa fille.

— Pénalement irresponsable ?

— Non, les experts ne suivront pas.

Lily commanda une salade Caesar. Dumontel hésita, puis il dit à Rachel : « la même chose ».

— Pourtant… commença Dumontel.

— Oui, je sais, on en a déjà parlé. Est-elle vraiment coupable ?

— Oui.

— Je sais. Mais elle continue à affirmer que c’est elle qui a tiré.

— La reconstitution judiciaire n’a pas été concluante.

— Je sais, Dumontel. Il y a beaucoup de zones d’ombre. Mais que veux-tu que je fasse ?

— Plaider non coupable en dépit des affirmations de Farges.

Lily ne répondit pas.

Rachel apporta les plats. Lily chipotait ses morceaux de poulet.

— On n’a pas retrouvé l’arme du crime, il n’y a pas de témoins, enfin on n’a rien ! Aucun élément ! dit Dumontel.

— Ses aveux spontanés.

— Ce ne serait pas la première fois qu’une personne s’accuse d’un crime qu’elle n’a pas commis.

— Mais les aveux n’ont pas été extorqués.

— Elle pense peut-être qu’elle est réellement coupable ? Des aveux intériorisés ?

— Mais, Dumontel, elle est peut-être coupable !

— Je n’y ai jamais cru.

— En tout cas, je n’ai pas le choix. À moi d’être bonne et de limiter la casse.

— Dix ans ?

— J’espère la moitié !

Dumontel aurait bien pris un dessert : une brioche perdue et sa glace au caramel beurre salé.

Préoccupée, Lily regardait sa montre. Ils commandèrent un café.

— I’m sick of you, dit le flic en plantant ses yeux dans ceux de l’avocate.

— S’il te plaît, c’est pas le moment !

— Quoi ? C’est du Iggy Pop ! Je te prends un billet pour le concert ?

Elle ignora la question.

— Bon, il faut que j’y aille. Tu pourras prendre les enfants à la sortie de l’école ?

— Pas de problème. Lily ?

— Oui.

— Je suis avec toi.

— Merci.

Elle se leva, attrapa ses affaires et, d’un pas énergique, fila vers le Palais de justice.

Dumontel l’observa qui s’éloignait, avec un sentiment compliqué où se mêlaient affection, attachement et perplexité.

2. Voir Le Souffle de la Mandragore (2017).

III

Dumontel décida de ne pas assister aux débats de l’après-midi.

Il eut envie de flâner dans les rues – loisir qu’il ne s’était pas offert depuis une éternité – mais au bout d’un petit quart d’heure il ressentit une sensation de temps bêtement perdu.

C’était stupide, d’autant qu’aucun dossier urgent ne l’attendait sur son bureau.

Il interrompit son errance, retrouva sa voiture et prit la direction de l’Hôtel de police.

Il pourrait relever son courrier, consulter ses mails et donner quelques consignes sur les affaires en cours.

En longeant le couloir qui menait à son bureau, il croisa Rudnick, le commissaire divisionnaire qui avait remplacé Mangeard depuis maintenant plusieurs mois.

Ils échangèrent un bref salut mais Rudnick ne chercha pas à afficher une posture de petit chef à l’encontre de Dumontel. Le divisionnaire avait abandonné son style de manager ultra-autoritaire. Après le drame de Buissière qui s’était soldé par la mort de quatre personnes, alors que Dumontel était toujours sous le coup d’une suspension, le « patron » avait changé d’attitude. Il pouvait montrer de la considération pour le vieux flic, d’autant que celui-ci avait décidé de ne plus répondre aux provocations de son supérieur. Étonné par cette soudaine palinodie, Dumontel avait voulu en savoir plus auprès de ses contacts parisiens. Son ancien collègue et ami, à l’époque l’inspecteur Demaison, avait, depuis, fait une belle carrière à Paris qu’il terminait sous les ors de l’Hôtel de Beauvau.

Demaison lui expliqua que Rudnick attendait un poste important mais que, malgré son zèle intempestif, un type qui disposait de meilleurs réseaux l’avait coiffé sur le poteau.

Rudnick resterait à Limoges.

Ceci expliquait probablement cela…

Vers 17 heures, il quitta le commissariat pour se rendre aux sorties respectives du collège et du lycée afin de récupérer Léo et Léa, les enfants de Lily.

Durant le trajet jusqu’à l’appartement, le flic posa les questions d’usage sur le déroulement de leur journée de cours. Une sorte de débriefing improvisé.

Léo raconta qu’à la question de la prof de français : « Quel est le futur de Je bâille ? », il avait répondu : « Je dors ! » Léo était surdoué et, ce qui ne gâtait rien, pouvait avoir beaucoup d’humour.

Léa n’était pas en reste. Elle avait l’habitude de chambrer le flic au sujet de son amour immodéré pour le vin. Alors qu’ils atteignaient l’appartement de la rue Adrien-Tarrade et que la jeune lycéenne bougonnait, il l’entendit dire :

— Tu sais, Dumontel, moi aussi y’a un truc qui me saoule, mais c’est pas le vin, c’est le lycée !

Lily arriva vers 19 heures. Elle était épuisée. Elle prit ses deux enfants dans ses bras – « ça va, mes chéris ? » – et s’affala sur le canapé.

Un verre de bière blanche à la main, elle raconta l’après-midi.

Le lieutenant de police Gisèle Mathieu, qui faisait partie de l’équipe de Dumontel, avait témoigné à la barre. C’est elle qui avait entendu Christelle Farges lorsque celle-ci s’était présentée à l’Hôtel de police pour avouer le meurtre du jeune marginal, Tony.

— Dans quel état psychologique avez-vous trouvé l’accusée ? avait demandé le président.

— Madame Farges semblait accablée mais sereine.

— Vous a-t-elle dit pourquoi elle avait souhaité se livrer ?

— Oui. Elle m’a dit vouloir soulager sa conscience lorsqu’elle a appris que Tony n’était pas le meurtrier de Marion.

— Vous a-t-elle dit avoir regretté son acte ?

— Non, elle ne me l’a pas dit.

— Après les aveux spontanés de l’accusée, qu’avez-vous pensé dans l’instant ?

Gisèle avait réfléchi, regardé l’accusée et répondu :

— Je n’y ai pas cru, monsieur le président. Il m’était impossible d’imaginer la femme que j’avais devant moi tenir un fusil de chasse et tirer. Mais je vous livre des impressions…

— Bien entendu. La Cour notera que ce ne sont pas des faits. S’il vous plaît, lieutenant, pouvez-vous lire votre PV après cette audition ?

Gisèle s’était exécutée.

— Lieutenant, pouvez-vous expliquer à la cour pour quelles raisons Mme Farges était convaincue que Tony était le coupable ?

— La rumeur…

— L’orientation de l’enquête policière aurait-elle pu entretenir la rumeur ?

— Je ne sais pas, monsieur le président… Peut-être.

— Lieutenant, comment l’accusée aurait-elle été en présence de la victime sur la butte de Frochet ?

— Elle lui avait donné rendez-vous.

— Comment ?

— Par téléphone.

— Quelle preuve avez-vous ?

— Euhhh… aucune. C’est l’accusée qui nous l’a dit.

— Avez-vous vérifié sur le portable de l’accusée ?

— Oui.

— Et alors ?

— Il n’y avait pas de trace de cet appel. Mais Mme Farges nous a précisé qu’elle l’avait effacé.

— Avez-vous vérifié auprès de l’opérateur ?

Gisèle était déstabilisée.

— Je ne crois pas, monsieur le président, faudrait que je vérifie.

Ensuite, en qualité de représentante de la police sur cette affaire, elle avait poursuivi sa déposition en montrant les photos du dossier technique, la synthèse des rapports de l’identité judiciaire ainsi que les expertises balistiques qui attestaient que l’arme qui avait donné la mort était du même calibre que le fusil possédé par le père de l’accusée.

Enfin, Gisèle aborda la question de la reconstitution du crime.

— Lieutenant, avez-vous assisté à cette reconstitution ?

— Oui, monsieur le président.

— Qu’avez-vous observé ?

— Mais, monsieur le président, si je peux me permettre, mon opinion importe peu. J’ai sous les yeux le rapport circonstancié de la reconstitution.

— Nous l’avons nous aussi. Vous en ferez part à la cour ensuite. Mais j’aimerais avoir votre opinion.

Lily dégustait sa bière. Attentifs, ses enfants étaient assis à côté d’elle et Dumontel s’était servi un chenin de Michel Breuil, un vigneron corrézien plein de talent de la région de Voutezac.

— À ce moment, je me suis dit que quelque chose clochait, dit Lily.

À deux reprises, le président avait mis en lumière les fragilités du dossier. Primo, il avait fait dire à Gisèle Mathieu qu’elle n’avait pas cru aux aveux ; deuxio, il lui avait demandé son avis personnel sur la reconstitution ; tertio, il lui avait lancé un regard encourageant.

— Il t’a draguée ! fit Dumontel.

— Non. Il voulait m’encourager.

— À quoi ?

— Je ne sais pas. J’ai senti qu’il voulait me dire quelque chose, du genre : « Je suis avec vous, foncez. »

Gisèle répondit que, malgré sa bonne volonté et les efforts qu’elle avait fournis au cours de la reconstitution, l’accusée n’avait manifestement jamais tenu un fusil de sa vie et que la distance à laquelle elle prétendait avoir tiré, soit une centaine de mètres, nécessitait des talents de tireur d’élite, surtout pour un tir sans lunette.

Le président avait esquissé un sourire discret et malicieux.

— Et toi ? demanda Dumontel.

— Moi ? je n’ai pas eu le choix. J’ai interrogé à mon tour Christelle. Bien entendu, j’ai appuyé là où ça faisait mal. Christelle paraissait décontenancée. Ensuite, j’ai indiqué que j’abandonnais ma ligne de défense… Et j’ai annoncé que désormais je plaidais non coupable. Le procureur sembla satisfait, même si pour la forme il montra un air stupéfait.

— Tu as fait ça ?

Dumontel écarquillait les yeux.

Lily se contenta de lâcher un rire effronté.

— Et Christelle t’a récusée ?

— Bien sûr que non ! Cette femme est étrange. Comme si elle était encore en état de choc après le meurtre de sa fille. Elle semble évoluer dans un autre monde. Après mon annonce, je me suis tournée vers le box, je me suis approchée d’elle, elle s’est penchée vers moi et je lui ai dit : « Christelle, faites-moi confiance. »

— Ensuite ?

— Le président a enchaîné avec le passage au crible de la personnalité de l’accusée. Son enfance, ses relations avec ses parents, sa scolarité, son métier, etc. J’ai fait citer des témoins de moralité. Pendant cette analyse, Christelle regardait par les grandes fenêtres pour apercevoir un pâle rayon de soleil s’insinuer dans la cour intérieure du Palais. Absente, c’est le mot. Comme si on parlait d’une autre personne. Les deux policiers chargés de sa surveillance somnolaient.

Lily avait terminé sa bière.

— On a abordé les relations avec son mari. C’est un alcoolique. Elle a reconnu qu’il la battait. Et il a tenté de tuer Tony…

— Oui, mais Farges était en garde à vue lorsque Tony a été tué.

— Je sais.

— Tu l’as vue après l’audience ?

— Oui, dans la geôle du tribunal, avant qu’elle ne parte pour la prison.

— Christelle, vous n’avez pas commis ce meurtre !

— Si, c’est moi qui ai tué Tony.

— Non, vous croyez que vous l’avez fait, mais ce n’est pas vous ! Vous avez eu l’intention de tuer Tony, mais, Christelle, vous êtes incapable de commettre un tel acte, et vous le savez ! Alors pourquoi cet acharnement à vous accuser ? De quoi voulez-vous vous punir ? Vous devez être rongée par la culpabilité à cause de la mort de Marion. Mais vous n’y êtes pour rien, vous n’êtes coupable de rien. Vous devez vivre.

— Non, maître, je suis une femme morte.

— Christelle, regardez-moi. Dites-moi la vérité. Qui a tué Tony ? Vous le savez et vous protégez cette personne.

— Tout cela n’est plus important. Marion n’est plus là et personne ne me la rendra. Tout cela m’est égal : pourrir en prison, mourir…

— Non, vous êtes jeune, vous avez une autre vie à construire.

— Une autre vie ?

Christelle avait éclaté en sanglots.

Lily avait passé son bras autour des épaules de la femme.

— Je vais plaider non coupable. Je vais vous sortir de là. Mais il va falloir m’aider, Christelle. Seule, je ne peux rien.

IV

Vers 0 h 30, le téléphone de Dumontel sonna.

Étonnamment, la veille, il s’était vite endormi.

Il était allé acheter des pizzas et après le repas il avait laissé Lily avec ses enfants.

Flag, le chat roux, dormait au milieu du canapé. Dumontel s’était glissé entre la bête et l’accoudoir puis il avait regardé une chaîne d’informations en continu.

Flag était devenu un gros chat oisif qui régnait en maître sur son territoire. La racaille de gouttière blessée et chétive que le flic avait recueillie était devenue comme ces gangsters qui décident de se ranger des voitures. Des êtres qui profitent des charmes de la vie, confortablement assis sur leur butin avec la « titine » à portée de main.

Dumontel était pour lui un substitut nourricier, un remplisseur de gamelle à croquettes. Et en hiver, accessoirement, une douce bouillotte. Le chat était manifestement conscient que sa présence adoucissait l’humeur maussade de son maître. C’était du donnant-donnant. Une sorte de contrat à l’ancienne fondé sur la loyauté et la confiance.

Assez vite, Flag avait fait savoir à Dumontel que l’homme vivait désormais chez lui et non l’inverse.

Le chat ouvrit un œil lorsque l’assise du canapé tangua sous le poids du flic. Mais il eut simplement l’air reconnaissant que son compagnon lui ait donné l’occasion de se rendormir.

Les informations égrenaient les douceurs du monde : attentats islamistes, migrants noyés en Méditerranée, inondations, vague de réfugiés en Europe. En France, les mobilisations contre la loi « Travail » ne s’érodaient pas. Le gouvernement de gauche venait d’adopter à coups de 49.3 une loi qui cassait un siècle de droit du travail. « Insensé ! », pensa Dumontel.

— Allo ?

— Commissaire, on a un mort dans le quartier de Beauval.

— Un mort ? Homicide ?

— Arme de poing…

— J’arrive.

Construite à la fin des années soixante, située à la porte d’entrée ouest, la ZUP de Beauval était une des trois « zones sensibles » de la ville. Le quartier cumulait tous les facteurs de ces nouveaux ghettos de pauvreté : chômage, illettrisme, communautarisme ethnique et religieux, radicalisation islamique, violence à fleur de peau, trafics et conditions de vie précaires, et s’enfonçait dans une forme d’apartheid territorial aux frontières invisibles. Certes, le quartier n’était pas encore devenu une zone de non-droit, mais les caillassages étaient monnaie courante.

Gyrophares bleus en action, trois voitures de police stationnaient au milieu de la rue Pénicaud, au pied de la tour K. Autour de l’entrée du hall, une rubalise jaune avait été placée, délimitant un périmètre afin de geler les lieux. Non loin, un attroupement de jeunes encapuchonnés.

Dumontel se gara à côté d’une Peugeot 308 de fonction.

Il regarda autour de lui.

Un décor loin du carton-pâte. Un univers de grandes barres d’immeubles gris avec des fenêtres de prison dont certaines diffusaient une lumière jaune pâle.

Le flic releva le col de son blouson, fit quelques pas, passa sous le ruban, salua un brigadier en tenue.

Dès qu’il entra dans le hall, il prit de plein fouet des effluves d’urine et de crasse.

Le capitaine Maillet était accroupi près du corps d’un homme qui gisait au milieu des crachats et d’une mare de sang noire.

— Salut, Maillet. Alors ?

— Il est encore tiède.

— Et ?

— Mort. Une balle dans la tête. Du 9 mm. Je l’ai fouillé. Aucune pièce d’identité. Mais j’ai trouvé ça dans sa sacoche.

Maillet montrait un petit sac de congélation avec quelques barrettes de résine de cannabis.

— Je vois. Du fric ?

— Non. Regarde sa montre… une Armani. Et trois douilles sur le sol, lâcha Maillet en se relevant avec peine.

Debout, les mains dans son blouson, Dumontel observait la victime. Il éprouvait une sorte d’accablement, mais il ne le montra pas.

Faciès maghrébin, l’homme devait avoir dans les vingt ans, guère plus. Bonnet-cagoule qui protège le visage et le cou, survêt et baskets Nike.

— Son portable ?

— Non, pas de portable.

— Bon. Le légiste ?

— Prévenu, et le proc aussi. D’ailleurs, quand on parle du loup…

Un homme, la cinquantaine, le visage rond, des lunettes rondes aussi, montait les marches.

— Commissaire, bonsoir.

— Monsieur le procureur, salua Dumontel.

Le procureur Arbois avait été nommé depuis peu au tribunal de Limoges. Mais il avait su gagner rapidement le respect des flics.

— Alors ? demanda-t-il.

— Assassinat, une balle dans la tête. À première vue, il s’agit d’un dealer.

Dumontel résuma la situation.

Le visage du procureur se fronça mais il ne répondit rien dans l’instant.

Puis il demanda si le légiste était passé.