Le département fantôme - Jean-Francois Chambon - E-Book

Le département fantôme E-Book

Jean-François Chambon

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Beschreibung

ALBAN ET MITCH

LE DÉPARTEMENT FANTÔME

« Les autorités s’intéressent trop à nos affaires. »

« Alors, on fait quoi ? »

« On nettoie nos opérations françaises. Comme le Titanic, mais sans les canots de sauvetage... »

Au cœur d’une multinationale de la finance, deux agents aux passés troubles, Alban et Mitch, sont réunis pour former une équipe peu conventionnelle. Chacun très indépendant, leur collaboration devient une exploration de leur dynamique unique et parfois explosive.

Assignés à une mission aux contours flous, ils évoluent au sein d’un « Département Fantôme », une section aussi efficace que mystérieuse, coupée de la maison mère. Alors que cette entité accumule les succès, une série d’incidents troublants commence à semer le doute et la méfiance parmi les employés.

Alban et Mitch doivent naviguer à travers les intrigues internes et affronter les spectres de leur propre passé. Vont-ils réussir à surmonter leurs différences et devenir une véritable équipe, pour dévoiler la conspiration qui se cache derrière les accidents mortels ?

Découvrez « Alban et Mitch et le Département Fantôme », un roman où chaque page dévoile un pan plus sombre de l’âme humaine et des machinations financières.

Attention, les cadavres s’accumulent plus vite que les bonus annuels.

Et cette fois, ce ne sont pas les stagiaires qui vont écoper.

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Seitenzahl: 364

Veröffentlichungsjahr: 2025

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© 2025, Jean-François ChambonISBN : 978-2-38625-601-1

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Page de titre

JEAN-FRANÇOIS M. CHAMBON

LE DÉPARTEMENT FANTÔME

Alban et Mitch

Sommaire

Avertissement
Dédicaces
Avant-propos
Prologue
Alban
Mitch
Gaston
Valentin
Bienvenue à… E74
Paris La Défense
La dernière acquisition
Londres, La City
Des journées comme les autres
Paris, novembre
Des vacances de rêve
Paris, décembre
Les Seychelles
Une mer d’huile
Un bel article
Gérôme
Elsa quitte Londres
Un ferry dans la nuit
La City, Londres
Coïncidences ?
Amanda
Paris, quartier de La Défense, dernier étage
Les remords d’Emily
Le chauffard
Vive les sports d’hiver !
Paris — Rive gauche
Amandine
En route pour le paradis
La mort de Mitch
Maria
Tina craque
Alban en danger
M. Morris
Edwige
Francis
Le grand nettoyage
Fin de mission
Épilogue — Paris
Épilogue — Londres
Remerciements
À propos de l’auteur
Du même auteur

Avertissement

Ceci est une œuvre de pure fiction. Tous les personnages, noms de personnages, noms de lieux et événements décrits dans ce livre sont le fruit de l’imagination de l’auteur et ne doivent être associés à aucune réalité. Ils ne correspondent à aucune personne vivante ou décédée, ni à aucun lieu ou situation réelle, existant ou ayant existé, et toute ressemblance serait purement fortuite. Les noms des personnages ont été sélectionnés de manière aléatoire et toute similitude avec des personnes réelles portant le même nom serait purement fortuite et sans lien avec elles. L’auteur décline toute responsabilité pour toute interprétation erronée ou toute coïncidence accidentelle avec des faits réels, des personnes ou des lieux. Cette œuvre a été créée dans un but de divertissement et ne vise en aucun cas à représenter la réalité.

Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée dans un système d’archivage, ou transmise sous quelque forme que ce soit, par quelque moyen que ce soit – électronique, mécanique, photocopie, enregistrement ou autre – sans l’autorisation écrite préalable de l’auteur, sauf dans le cadre de citations brèves dans des critiques. Toute reproduction non autorisée de cet ouvrage, en tout ou en partie, est strictement interdite et pourra donner lieu à des poursuites judiciaires conformément aux lois en vigueur sur le droit d’auteur.

En cas de violation des droits d’auteur établis dans ce livre, des mesures juridiques appropriées peuvent être prises à l’encontre des contrevenants. Cela peut inclure des demandes de dommages et intérêts ainsi que des poursuites civiles et/ou pénales selon la législation applicable sur le droit d’auteur. L’éditeur et l’auteur se réservent le droit de défendre et protéger activement leurs droits conformément à la loi.

Dédicaces

À Alban, qui, tel un grand cru, ne fait que se bonifier avec les années.

À papa, qui m’aurait bousculé pour écrire plus vite, creuser plus profond, rêver plus grand

Avant-propos

J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire cet ouvrage malgré une pression certaine, mais toujours mesurée et positive de la part de quelqu’un que j’aimerais qualifier de « vieil ami », car le temps s’enfuit bien rapidement. Ce premier livre, d’une série qui pourrait être longue, est attendu avec une impatience terrible par cette personne. Sa patience, déjà mise à rude épreuve, a été continuellement malmenée par une frustration persistante tout au long du processus d’écriture.

Les écrivains sont de drôles d’amis : ils distillent dans leur conversation des indices sur l’avancée d’un livre, augmentant d’autant la soif de tenir l’ouvrage finalisé entre les mains. Puis, perdus entre rêve et réalité, ils publient un autre ouvrage, non prévu, avant celui promis. Mais les amis ne se plaignent pas trop, ils savent bien que leur patience, si sollicitée soit-elle, n’est qu’une broutille par rapport à ce que vit l’épouse de l’écrivain au fil des jours.

Elle subit de plein fouet les allers-retours de son bien-aimé entre ses mondes imaginaires et le monde réel qui, pour l’artiste, n’est qu’un des univers parmi d’autres.

Régulièrement, l’écrivain perd tout sens du réel et s’installe totalement dans l’univers qu’il est en train de créer de toutes pièces, ce qui engendre parfois des situations pour le moins incongrues :

– Allô, tu es où ? demande un ami, un premier jour de week-end.

– À l’aéroport, j’attends mon fils et ma bien-aimée. On se parle plus tard ? Pour l’instant je suis en train de tuer Emily !

– Euh… O.K… À plus tard alors…

L’homme regarde un instant son téléphone, pensif.

– Alors, Alban, ton pote écrivain, il l’a terminé, ce bouquin, dont tu es le héros ?

– Je ne sais pas, il était occupé.

– À quoi faire ?

– Tu ne veux pas savoir, Elsa…

Si les amis les plus proches, déjà éprouvés par tant d’attente, s’effraient parfois de tels dialogues, ils sont fascinés, à la limite de l’inquiétude, devant la volonté farouche de l’écrivain de tout connaître de ses personnages.

– Tu ne te rends pas compte de ce qu’il a vécu dans son enfance ! Voilà pourquoi il réagit comme ça !

– Tu vas donner ces informations dans le livre que tu écris maintenant ?

– Je ne pense pas, répond le créateur, pensif. Mais peut-être que certains détails apparaîtront plus tard ! Dans le tome III ou IV de la série.

– Mais quand pourrais-je lire le tome I, celui que tu écris maintenant ? interroge notre futur lecteur, un peu désespéré de voir l’artiste s’éparpiller sans limites.

La réponse ne vient pas. L’écrivain griffonne quelques lignes sur un petit carnet qu’il transporte toujours avec lui, son esprit déjà loin de cette réalité…

Cet ouvrage est une œuvre de fiction, même si la réalité de ce monde me semble régulièrement plus proche d’un univers imaginaire terrible que d’un monde raisonnable et paisible.

Merci d’avoir choisi ce livre.

Merci de prendre le temps de le lire.

Je vais faire de mon mieux pour vous livrer une expérience meilleure la prochaine fois.

Merci à vous.

L’auteur.

Prologue

37e étage.

La pièce est plongée dans l’obscurité la plus totale. Seules les lumières des tours environnantes permettent de deviner, ici, un ordinateur, là, des fauteuils. Une ombre de forme humaine se détache dans ce décor froid. Immobile, la silhouette semble plaquée sur la baie vitrée.

Le long du couloir, des pas feutrés effleurent la moquette épaisse de l’étage de direction. Les fantômes pénètrent dans la pièce. Ils se rapprochent sans bruit de l’homme dont l’attention est absorbée par ces lucioles extérieures. Pourtant, sans se retourner, l’ombre se met à parler.

– Vous vous rendez compte que chaque point lumineux est une porte ouverte sur la vie d’une famille.

– …

– Vous êtes en retard, comme toujours.

– Mais…

– Asseyez-vous !

– …

– Les autorités s’intéressent d’un peu trop près à nos affaires.

– On fait comme d’hab’, chef ? On les paye et, s’ils ne veulent pas, on s’occupe d’eux ?

– Non, pas cette fois-ci.

– Bon, on fait quoi, alors ?

– On nettoie nos opérations françaises.

– On ferme tout ? Comme le Titanic ?

– Exactement comme le Titanic, mais sans les canots de sauvetage…

Alban

La voiture de sport détonne un peu à côté des véhicules tout-terrain couverts de boue. Le conducteur s’étire devant le bâtiment de la mairie. Si son allure générale reste détachée, sa mâchoire se crispe quand il se retourne. Son regard traverse la place principale du village, s’attache à une grande demeure, un manoir construit au siècle dernier par un riche banquier parisien. D’un pas assuré, il avance vers l’imposant portail qui ferme la propriété. Sa main gantée ignore la sonnette et saisit directement la poignée de fer forgé d’un autre âge.

– Ouvert, bien sûr ! Ils sont trop sûrs d’eux.

Au lieu de suivre le chemin de pierres blanches, il se lance à l’assaut du gazon, ou plutôt, de la boue parsemée ici et là de touffes vertes.

– Bon sang !

Un coup d’œil à ses chaussures lui confirme l’état déplorable du jardin. La pluie qui tombe depuis plusieurs jours a transformé la terre en un marécage gluant et ses pieds profitent d’un bain de boue régénérant, jusqu’à la cheville.

– Des mocassins presque neufs !

Les volets du premier étage sont tous fermés. En revanche, tout le rez-de-chaussée est illuminé et les abords de la maison s’en trouvent éclairés comme en plein jour. De la porte-fenêtre du salon s’échappent des éclats de voix.

– Tu aurais entendu le vieux ! Il tremblait tellement que j’entendais ses os s’entrechoquer !

– Plus ils sont riches, plus ils ont peur !

– C’est parce qu’ils ont plus à perdre que les autres !

– Pas comme nous !

– Peut-être que nous aussi, après ce coup-là.

– On reçoit quand le pognon ?

– L’argent arrive dans deux jours.

– Et la fille ?

– On l’élimine demain.

– Elle est plutôt mignonne, on peut en profiter un peu avant, quand même ?

– Bien sûr, comme d’habitude…

À l’extérieur, l’homme serre ses mâchoires à s’en faire mal. Sa main glisse sous sa veste pour caresser la crosse de l’arme qui ne le quitte jamais dans ce genre de mission. Après un instant d’hésitation, il pivote sur lui-même et s’éloigne des voix, contournant la demeure. L’arrière du bâtiment s’ouvre sur un parc qui s’étend à perte de vue.

– Pourquoi les voyous ont toujours les plus belles maisons ?

Prudemment, il jette des coups d’œil rapides à chacune des ouvertures.

– Une fenêtre qui n’est pas fermée… C’est presque trop facile ! Ils sont vraiment trop sûrs d’eux !

D’un bond, il est dans la pièce. Sa main glisse sur des pages de journaux dispersées sur un large bureau en chêne.

– Il manque des lettres sur plusieurs pages. C’est donc ici qu’ils ont rédigé leur demande de rançon…

Dans le couloir, un pas traînant approche. Alban se dissimule en hâte derrière la porte qui s’ouvre à la volée. Une voix irritée s’élève :

– Qu’est-ce qu’ils ont à toujours laisser les fenêtres ouvertes ?

L’individu fait quelques pas vers la fenêtre et se fige. Les yeux rivés sur le sol, il pointe du doigt des traces de chaussures boueuses.

– Qu’est-ce que… ?

Le son d’un sifflement de gaz qui s’échappe. L’apprenti cambrioleur retient la masse du ravisseur et le pousse dans un vieux fauteuil en cuir.

– Et d’un ! Drôlement efficaces, ces nouveaux vaporisateurs !

Fort de ce premier succès, la silhouette se glisse dans le couloir. L’homme avance lentement, les semelles de crêpe de ses chaussures étouffent le moindre bruit. Un son de chasse d’eau et un grognement précèdent l’ouverture de la porte des toilettes. L’individu n’a pas le temps d’émettre la moindre parole qu’un délicat nuage de gaz le paralyse aussitôt. En douceur, Alban le fait se rasseoir sur le trône.

Le brouhaha d’une discussion animée s’élève du salon, au bout du couloir.

– Inutile d’aller chercher les ennuis par là…

Aucune porte n’est verrouillée. La plupart donnent sur des pièces vidées de tout meuble quand…

– Enfin !

Un dos musclé est courbé sur le corps d’une jeune fille qui se débat.

– J’ai bien vu que tu essayais de défaire tes liens. Avec ça, impossible de bouger !

– Mmm !

– Non ! Je te laisse ton bâillon !

La petite matraque frappe l’homme juste derrière l’oreille. Il s’effondre sans un bruit. La fille pose un regard méfiant sur son sauveur, comme pour le jauger.

Derrière son bâillon, elle grommelle des paroles inintelligibles. Si Alban devine un « ami ou ennemi ? », il n’en montre rien et se concentre sur la corde qui entrave les jambes de la prisonnière. Son attention se porte ensuite sur les poignets attachés aux montants métalliques du lit. En quelques secondes, Alban la libère de ses liens d’acier.

Il pose un doigt sur ses lèvres pour lui demander le silence, puis lui tend la main pour l’aider à se lever. Loin de lui en être reconnaissante, la jeune fille lui adresse la parole d’un ton méprisant et hautain.

– Vous êtes qui, vous ?

– Chut, n’attirons pas l’attention de vos ravisseurs, vos parents m’ont envoyé pour vous sortir d’ici, murmure Alban avant de se diriger vers la fenêtre.

– Attendez ! Je ne vais pas vous suivre par-là ! Vous savez qui je suis ? Dans ma famille, personne ne fuit par les lucarnes, on n’emprunte que la porte principale.

– Oui, mais la situation est un peu spéciale…

– Jamais ! Plutôt rester prisonnière que…

Alban sourit en extirpant de sa veste son atomiseur de poche.

– Juste une petite touche…

La jeune fille sent un vertige l’envahir. Elle ne lutte pas quand une main l’entraîne fermement vers l’extérieur. Son corps ne lui obéit plus, elle vacille sous la poigne de cet inconnu qui la guide hors du domaine. Un faible grognement s’échappe de ses lèvres lorsqu’elle est poussée dans une voiture.

La jeune femme rassemble alors toute sa volonté pour sortir de l’état d’ivresse dans lequel elle est engluée.

– Ça ne va pas dans votre tête ?! Qu’est-ce que vous m’avez envoyé comme gaz ? Vous avez perdu l’esprit !

– Chut ! On peut encore nous entendre, votre voix porte assez loin.

– Comment osez-vous ! On ne traite pas de cette façon une Dellington !

– Mais je viens de vous tirer des griffes de…

Elle hurle maintenant.

– Vous allez me payer ça ! Quand mon père l’apprendra !

– Je vous en prie, c’est véritablement un plaisir de vous sauver la vie.

– Oh, vous allez entendre parler de moi, croyez-moi ! Mon père a des relations, vous allez le regretter !

– Silence ! On est encore trop près de… trop tard !

Alerté par la voix stridente, un gardien se précipite sur un bouton rouge et déclenche l’alarme dans toute la propriété. Alban démarre en trombe. Deux véhicules sombres le prennent aussitôt en chasse. Les cris de la jeune Dellington vrillent les tympans du sauveteur, couvrant même le rugissement du moteur.

Un instant, Alban se perd dans ses pensées…

– Où ai-je bien pu ranger ce vaporisateur… ? Ce truc est censé neutraliser des ennemis, pas apaiser une furie… Mais a-t-elle vraiment besoin de le savoir ?

Très vite, il se reconcentre sur la route qui file vers la ville

– Arrêtez cette voiture immédiatement !

– Mademoiselle Dellington, pourriez-vous cesser de crier quelques minutes ? Nous ne sommes pas encore sortis d’affaire.

– Je m’en moque ! Laissez-moi descendre !

– Je suis venu vous libérer, vous en avez conscience, au moins ?

– Les miens n’ont jamais eu besoin d’être sauvés par des mercenaires.

Les mains d’Alban se crispent sur le volant. Il pousse un long soupir exaspéré.

– Juste cinq minutes de silence ? Est-ce trop demander ?

– Donnez-moi votre nom, que mon père vous fasse jeter en prison ! Il connaît bien le ministre de la Justice, vous savez ?

– Jeune fille…

– Je suis une femme, espèce de… !

– … Oui, une « jeune femme » enlevée à la sortie de son cabinet d’avocat par une bande qui, historiquement, ne relâche jamais ses otages, même après le versement de la rançon.

Il marque une pause, son regard se durcit.

– Leurs cadavres finissent généralement par réapparaître quelques jours plus tard. Au fait, savez-vous que leurs victimes sont systématiquement abusées et torturées à mort ? Je vous en prie, ne me remerciez pas de vous avoir sorti d’une telle situation.

– Je m’en moque ! Vous n’avez aucune manière !

– …

– Ce n’est pas un sauvetage. C’est une humiliation.

Un premier coup de feu interrompt brutalement leur échange. Une balle des ravisseurs pulvérise le rétroviseur gauche. Alban sursaute.

– Ils ne respectent rien !

À l’entrée de la ville, les pneus crissent sur l’asphalte. Les deux véhicules lancés à leur poursuite pilent d’un coup avant de faire demi-tour. Alban expire lentement, libérant la pression qui lui enserrait la poitrine.

– Enfin… ils nous lâchent.

Un cri strident éclate sur le siège passager. Alban serre les dents.

– Silence !

– Arrêtez cette fichue voiture !

– Tu peux te calmer deux minutes ? Ne touche pas au volant !

D’une main ferme, il la repousse sur son siège.

– Bon sang, tu veux bien arrêter ? Je suis en train de te sauver !

Mais la voix, telle une sirène d’alerte, ne faiblit pas. Le véhicule s’engouffre à toute vitesse dans un parking souterrain. La barrière vole en éclats. Quand la voiture s’immobilise enfin, la jeune femme hurle toujours à plein poumons. Alban, impassible, sort du véhicule, calme, mais avec une lueur inquiétante dans le regard.

Quelques minutes plus tard, le moteur de la voiture ronronne doucement en remontant à la surface. Derrière le volant, le conducteur affiche un sourire apaisé tandis qu’un flot de musique classique s’envole par la vitre entrouverte.

Après une heure de route, l’environnement se transforme drastiquement à l’entrée dans les quartiers chics. Roulant au ralenti devant les propriétés aux jardins dignes des plus beaux parcs nationaux, Alban apprécie visiblement l’élégance de cette partie de la ville. C’est une belle journée, la mission est accomplie. Ses sourcils se froncent légèrement quand des bruits sourds se font entendre. Il hausse les épaules et, d’un doigt, monte le volume de la musique, l’habitacle s’emplit des Quatre Saisons de Vivaldi.

Le décor se fait encore plus cossu. Derrière de hauts murs de pierre, les demeures victoriennes disparaissent dans de vastes jardins ombragés.

Alban ralentit devant une grille surmontée de pointes dorées. Aussitôt, un gardien à la mine patibulaire s’avance.

– Vous n’avez pas à vous arrêter là ! Circulez !

– Monsieur Dellington m’attend, j’ai une livraison pour lui.

– Votre nom ?

– Alban.

– Alban, qui ?

– Simplement Alban.

En grommelant, l’homme se dirige vers une cabine sans quitter le véhicule des yeux. Quand il revient, l’air penaud, sa voix est plus douce :

– Pardonnez-moi, monsieur Alban, il y a tant de personnes qui…

– Ne vous inquiétez pas.

Le véhicule emprunte l’allée jusqu’à une petite cour pavée qui fait face à l’entrée de la demeure. Il s’immobilise aux pieds d’un majestueux escalier de marbre. Un homme aux tempes argentées, vêtu d’un costume trois-pièces impeccable, attend sur le seuil, incapable de masquer une certaine impatience.

– Bonjour, monsieur Dellington.

– Bonjour…

Dellington jette un regard anxieux à l’intérieur du véhicule avant de se tourner vers Alban.

– Ma fille ! Où est-elle ?

– Rassurez-vous, monsieur Dellington, tout s’est déroulé sans encombre.

– Où est Karen ?

– Ah oui… Elle n’arrêtait pas de crier pendant le trajet, alors je l’ai mise dans le coffre.

Dellington ouvre la bouche, mais aucun mot ne franchit ses lèvres. D’un geste tranquille, Alban ouvre le coffre, libérant une jeune fille en furie, qui déverse un flot d’insultes sans interruption.

– Monsieur Dellington, mission accomplie, je vous la rends saine et sauve.

– …

– Et bon courage !

** *

Le lendemain matin, Alban entre, le sourire aux lèvres, dans la cour d’un immeuble discret de l’impasse Férou.

– Bonjour, chef.

– Alban, asseyez-vous.

– Encore une mission accomplie !

– Alban, M. Dellington m’a contacté. Vous souvenez-vous de sa fonction ?

– Mmm… Un indice ?

– Ambassadeur des États-Unis d’Amérique !

– Ah oui, un beau métier. Il devait être content, non ?

– Était-il vraiment nécessaire de lui livrer sa fille enfermée dans le coffre, comme un vulgaire colis ?

– Là, chef, je vous arrête : ma voiture n’a jamais transporté quoi que ce soit de vulgaire.

– Dans le coffre, Alban ! Vous l’avez mise dans le coffre ! Mais qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?

– Avez-vous déjà essayé de conduire avec quelqu’un qui vous hurle dessus non-stop ?

– Je… Vous me fatiguez, Alban.

– …

– Une dernière chose à propos de cette mission, pourriez-vous m’expliquer ceci ?

Le responsable saisit une facture venant d’un célèbre bottier de Londres.

– Mais chef, c’est pour une nouvelle paire de chaussures. J’ai dû traverser un terrain terriblement accidenté qui a totalement ruiné les miennes ! Je venais de les cirer, en plus.

– Vous plaisantez ! Vous avez vu le prix ?!

– De bien beaux souliers, je m’y étais beaucoup attaché, vous savez ? Notez que je n’ai pas pris le modèle supérieur.

– Parce qu’il y a un modèle supérieur ? Avec cette somme, je peux me payer au moins trois costumes !

– Avec tout le respect que je vous dois, chef…

– Ne dites rien que vous pourriez regretter, Alban !

– … Ça se voit.

– Mais enfin, qu’est-ce que je viens de vous dire ?!

L’homme, son supérieur depuis plusieurs années déjà, le fixe, les lèvres pincées.

– Ça va, chef ? Je ne voulais pas vous vexer…

– Passons ! Votre prochaine mission…

– Mais non ! On avait convenu que je pourrais prendre des vacances après ça !

Le chef lève un sourcil, faussement surpris.

– Je n’ai absolument aucun souvenir d’une conversation de ce type !

– Mais…

– De toute façon, ce n’est plus entre mes mains…

– Comment ça, plus entre vos mains ?

– Alban, vous êtes dans mon service depuis…

– Un peu plus de dix ans, chef !

– Exactement ! Je m’en souviens comme si c’était hier… Vous étiez le meilleur pilote d’essai de notre armée, et votre chef d’escadrille ne me l’a jamais pardonné… Voilà pourquoi je suis un peu triste.

Alban se redresse sur sa chaise, méfiant.

– Chef… ?

– Vous avez déjà entendu parler des Corsaires ?

– Les marins d’autrefois qui…

– Non, quoique… Je parle d’une unité très spéciale, propre à notre pays.

– Les Corsaires… Le service qui n’existe pas, « pas de règles, pas de limites ». Une légende… N’est-ce pas chef ?

– Vous allez le découvrir par vous-même. Votre affectation prend effet immédiatement !

Alban sent son estomac se nouer.

– Mais chef, qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?

– Ne vous y trompez pas, Alban, c’est une promotion, et même un sacré bond en avant. Vous allez faire équipe avec…

– Mais j’ai l’habitude de travailler seul ! Je ne veux pas d’un bleu dans les pattes !

– Il fait partie de leurs meilleurs agents. Mitch, ça vous parle ?

Un silence. Alban se frotte la tempe, l’air contrarié.

– De réputation, patron. C’est ma punition pour avoir mis la fille dans le coffre ? Mitch… C’est bien le type un peu dingue ?

– Exactement, vous vous entendrez à merveille !

Le supérieur ouvre un tiroir, en sort une carte de visite qu’il pousse lentement devant lui.

– Présentez-vous à cette adresse dans deux jours.

** *

Mitch

Les deux hommes ne sont que des ombres. Tous deux font face à la ville, dont les lumières sont autant de lucioles défiant les ténèbres.

– Ton appartement est quand même drôlement bien situé, Valentin.

– Merci. Je te ressers ?

– Je suis incapable de refuser du Dom Pérignon, même après une première bouteille…

– À la tienne, Gaston !

– Santé !

Gaston trinque, puis fixe son vieux compagnon d’armes.

– Valentin, tu es sûr… ?

– Sûr de quoi, Gaston ?

– Mitch est disponible ?

– Depuis peu. Steve est allé le chercher à Saint-Malo, et je l’ai aussitôt envoyé en mission, en précisant que l’ordre venait de toi, bien sûr…

– Et ses entreprises ?

– Il en a revendu la majorité il y a deux mois.

– Et les hautes sphères, elles sont prêtes à accepter son retour ?

L’avantage avec les politiques, c’est qu’ils changent tout le temps. Cette vieille affaire est déjà oubliée !

** *

Un ronronnement sourd traverse le village et vient s’immobiliser devant la mairie. Le conducteur scrute les environs, visiblement en quête de quelque chose.

– Bonjour, monsieur. Je suis le maire de ce village. Comment puis-je vous aider ?

– Bonjour, monsieur le maire ! Je cherche une gentilhommière au toit rouge, au milieu d’un parc, avec un étang… Elle devrait se trouver dans les environs.

– Ah, le château ! Enfin, on l’appelle le château parce que c’est la plus grande maison du coin. Suivez cette route et, lorsque vous verrez un large portail sur votre droite, vous serez arrivé ! Vous ne pouvez pas la manquer.

– Merci, monsieur le maire.

** *

Adrien, le gardien, ne dissimule pas sa mauvaise humeur. D’un geste rageur, il saisit son fusil et le passe en bandoulière avant de décrocher une laisse et un collier, rapidement passé autour du cou épais d’un Boxer, un chien de taille massive.

– Allez, Éclair, on sort !

L’homme s’arrête sur le perron de la petite maison qu’il occupe, au fond d’un vaste parc. Plus loin, une demeure bicentenaire se dresse, majestueuse.

– Pourquoi faut faire des rondes toute la journée ? Surtout par ce froid ! De toute façon, il ne se passe jamais rien. Et puis… qu’est-ce qu’ils font, enfermés du matin au soir ? Les nouveaux proprios sont vraiment bizarres.

Ses yeux s’écarquillent à la vue d’une silhouette masculine qui se dessine près du mur, à l’intérieur du domaine.

– Encore un de ces touristes !

Sans lâcher le chien, Adrien marche d’un pas ferme vers l’intrus en maugréant.

– Toi, là-bas ! Qu’est-ce que tu fous ?

– Bonsoir, monsieur, je cherche une maison à acheter dans la région et…

– C’est une propriété privée ! Y’a rien à vendre ici, dégage !

– Oui, mais…

Le gardien redresse son fusil et le braque sur l’intrus.

– Tu dégages, ou je t’enterre ici !

– Bien, bien, je suis vraiment désolé de vous avoir importuné, monsieur…

Le jeune homme s’excuse encore avant de s’éloigner rapidement.

– Tu as vu ça, Éclair ? Quel minable ! Et pourquoi t’as rien dit, toi ? Allez, viens, on continue la ronde.

Adrien fait le tour de la propriété avant de revenir près du portail.

– Bon, Éclair, mission accomplie ! Prochaine patrouille dans une heure. En attendant, je me prendrais bien un petit grog, histoire de me réchauffer un peu.

Telle une goutte de rosée s’étirant sur le pétale d’une fleur, une silhouette glisse le long du mur. Adrien n’a pas le temps de se retourner. Un choc sourd trouble le murmure du vent dans les feuilles… Le gardien ouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Son corps s’affaisse lourdement. Éclair fixe l’agresseur qui s’approche. L’intrus s’accroupit, caresse la tête du Boxer et gratte son cou, pour le plus grand plaisir de l’animal.

– Désolé, le chien, il va falloir que j’y aille. Tu restes ici, veille bien sur ton maître. Il ne va pas se réveiller tout de suite.

D’un geste sûr, l’homme vérifie l’arme automatique glissée sous sa veste. Puis sa silhouette disparaît dans l’ombre du parc, se faufilant d’arbre en arbre, jusqu’à atteindre la maison principale.

Des voix fortes s’échappent d’une porte-fenêtre entrouverte.

– Alors, il paie le vieux ?

– Qu’est-ce que tu crois ? Il chialait au téléphone, mort de trouille à l’idée qu’on abîme sa gamine.

– Parfait ! On touche quand le pactole ?

– Demain matin. On lève le camp juste après.

– Et la gamine, on en fait quoi ? Comme d’habitude, on s’occupe d’elle juste avant de partir ?

– Non, tu t’en charges dès ce soir, et tu l’enterres dans la cave.

– Je fais ça après dîner. Elle ne va pas s’enfuir : je l’ai menottée au radiateur.

L’ombre se remet en mouvement et se dirige vers l’arrière de la maison. Une tête apparaît brièvement devant un carreau de la fenêtre, une fois, deux fois. Deux doigts extraient une bague d’une poche, l’appuient délicatement contre la vitre et dessinent un cercle parfait. Un coup léger détache le morceau de verre, qui vient s’écraser mollement sur la moquette. Une main glisse dans l’ouverture et déverrouille le loquet.

L’homme se faufile dans la pièce sous les yeux apeurés d’une fillette. Sa bouche est couverte par un mouchoir.

L’intrus porte un doigt à ses lèvres pour lui demander le silence. Quand un large couteau surgit de sa poche, le corps de l’enfant s’agite de tremblements incontrôlés. Dans ses yeux, la peur se mue en terreur.

– Tu es Julie, n’est-ce pas ? demande l’inconnu d’une voix douce.

Un simple hochement de tête de la prisonnière fait naître un sourire sur le visage de l’intrus.

– C’est ton papa et ta maman qui m’envoient. Nous allons quitter cette maison dans les dix prochaines minutes, mais il faut que tu restes parfaitement silencieuse, tu peux y arriver ?

La fillette hoche la tête à nouveau. Le couteau passe sous le bâillon et le coupe d’un coup sec. L’homme fait saillir les muscles de ses mâchoires quand il découvre les marques rouges, aux coins de la bouche de l’enfant.

– Ils ont trop serré ce foulard, tu as eu mal, hein ?

Malgré un ton de voix qui se veut léger, une nouvelle lueur de fureur contenue traverse le regard de l’homme à la vue des menottes qui enserrent le poignet minuscule. En quelques secondes, la voilà délivrée. Il tend son couteau, puis dépose à côté de la fillette un objet emballé dans du papier journal.

– Détache tes jambes, Julie. Je reviens te chercher plus tard. Toi, tu ne bouges pas de là. Et ça, dit l’homme en désignant le paquet, c’est du cake aux fruits. C’est moi qui l’ai fait, ajoute-t-il non sans une pointe de fierté.

– …

– Tu n’aimes pas le cake ?

– Si, monsieur…

– Bien. Tiens-toi prête à partir dès mon retour, d’accord ?

– Oui, monsieur.

– Et…

– Oui ?

– Garde-moi une part !

Julie tranche d’un geste maladroit les fines cordes qui maintiennent ses jambes prisonnières. Alors qu’elle goûte un premier morceau du gâteau, un coup sourd vient heurter l’autre côté de la cloison. Suivent de nombreux sons secs et étouffés. La porte de la chambre s’ouvre en grand. Le visage de l’homme est tendu, une fine traînée de sang glisse lentement sur son bras gauche.

– Combien ? Ils sont combien ?

– Six, ils sont six, monsieur.

– Mince, il m’en manque un… Les toilettes ! Où sont-elles ?

– Euh… au fond du couloir !

– Je reviens tout de suite !

Mitch se précipite et atteint la porte au moment où elle pivote lentement sur ses gonds. D’un pas traînant, un individu sort en finissant de boutonner son pantalon. Sa démarche nonchalante se fige quand il aperçoit le canon de l’arme braqué sur lui.

– Qu’est-ce que tu fais là, toi ?

– Je vous attendais. Je craignais tellement que vous manquiez notre petite fête…

La balle l’atteint en plein front. L’homme s’effondre, comme une marionnette dont on aurait tranché les fils.

Mitch abaisse son arme sans précipitation, puis tourne les talons. D’un pas mesuré, il remonte le couloir jusqu’à la pièce où Julie attend. Lorsqu’il passe la porte, son regard se fait plus doux.

– Julie, ça y est, le compte est bon. La voie est libre, on met les voiles ! Tu connais l’expression « mettre les voiles » ?

– Oui, monsieur. Ça veut dire « s’en aller » … Je crois.

– Tu crois bien Julie, bravo. Et arrête de m’appeler monsieur, c’est très gênant.

– Pourquoi ?

– Ça fait vieux ! Appelle-moi Mitch !

– Bien, monsieur Mitch.

Mitch pointe du doigt le reste du cake aux pieds de la jeune fille.

– N’oublie pas les provisions. Allez, viens !

Ils traversent rapidement le salon, les yeux de Julie glissent sur les corps allongés.

– Ils dorment ?

– On peut dire ça… Profondément.

Un des hommes grogne et jette un regard haineux vers Mitch.

– C’est lui !

– Lui qui, Julie ?

– Celui qui a voulu me faire des choses !

– Il a quoi ?!

– Il voulait m’emmener là-haut dans la chambre et…

Mitch, un instant figé sur place, expire doucement.

– C’est bon, Julie ! Avance !

– Mais… 

– Dépêche-toi ! On n’a pas le temps ! Ta maman et ton papa sont très impatients de te revoir.

– Moi aussi, monsieur.

C’est au pas de course qu’ils atteignent le portail.

– Dans la voiture Julie ! Non, pas de ce côté, c’est moi qui conduis !

Au lieu de s’éloigner, Mitch dirige le véhicule vers l’entrée principale du bâtiment.

– Mais, on ne s’en va pas ?

– Attends-moi une minute, Julie. J’ai oublié quelque chose.

Mitch marche rapidement vers le grand salon. Seul un gémissement brise le silence. Un des ravisseurs rampe sur la moquette en laissant une traînée de sang derrière lui. Sa main se tend vers le téléphone lorsqu’une ombre obscurcit les quelques centimètres qui lui restent à parcourir.

– Avant mon départ, j’aurais besoin d’une dernière information.

– …

– Les enfants que vous enlevez, vous les restituez bien à leurs familles, non ?

– Jamais ! Et on en profite tous un peu avant de les achever. Une sorte de coutume… Un rite initiatique avant leur voyage pour un monde meilleur.

Le ravisseur ne peut dissimuler un sourire malfaisant en prononçant ces paroles.

– Je vois…

L’homme à terre lève les yeux. L’arme pointée sur lui ne tremble pas.

– Tu as vraiment beaucoup de chance que je sois pressé aujourd’hui.

Deux détonations feutrées brisent le silence.

– Il est mort ?

– Qu’est-ce que tu fais là, toi ?

– J’étais sûre que tu allais le tuer.

– Ce n’est pas de ton âge, tu sais ?

– J’ai déjà vu ça plein de fois au cinéma !

– Ce n’est pas une raison.

– Ce n’est pas de mon âge de me faire enlever, aussi !

Mitch semble pensif quelques secondes.

– Tu n’as pas tort, Julie. Allez, viens, j’ai besoin d’un chocolat chaud, ça te dit ?

– Oh oui ! J’adore !

Quand la voiture démarre, un air de musique country envahit l’habitacle.

– J’aime bien cette musique.

– Merci, Julie.

– Je n’écoute que de la musique classique à la maison. Papa…

– J’aime bien le classique aussi…

– Papa n’apprécie que le classique…

– Et toi, tu aimes quoi d’autre ?

– J’aime bien aussi… Je sais pas trop, je n’ai pas l’habitude d’écouter autre chose.

– En parlant d’autre chose, tu connais le café qui s’appelle Les Fifties ?

– Oui, j’y vais avec maman quand on fait les courses !

– C’est sur le chemin. Je te propose un chocolat chaud et une maxiglace.

Puis un silence s’installe. Le reste du trajet se passe sans un mot. De temps à autre, Mitch jette un coup d’œil à l’enfant qui semble hypnotisée par la musique qui sort des haut-parleurs.

– On y est ! Le meilleur chocolat chaud de la ville !

La porte du café Les Fifties s’ouvre sur un carillon qui tinte joyeusement. À l’intérieur, l’ambiance ramène les clients dans les années cinquante. Sous les néons roses et bleus, les banquettes en skaï rouge s’alignent le long des murs, encadrant des tables chromées. Une grande fresque avec Marilyn Monroe et Elvis Presley domine le fond de la salle, tandis que le juke-box diffuse un air de rock.

Mitch jette un regard circulaire, un sourire en coin.

– Il y a des choses qui ne changent pas d’un pouce…

Julie, pour la première fois depuis sa libération, sourit à pleines dents.

– C’est comme dans les films que regarde maman !

– Installons-nous ici.

Une serveuse en robe à pois et tablier blanc s’approche d’un pas léger, un carnet à la main.

– Salut, Jennifer, Arthur est absent aujourd’hui ?

– Il a trop fait la fête hier soir, je le remplace. Qu’est-ce que je te sers ? Comme d’habitude ?

– Oui, s’il te plaît, deux chocolats chauds. Des spéciaux, hein ?

– Bien sûr, Mitch, « pas les mêmes que pour les autres clients ! », répond la jeune femme en imitant la voix de Mitch, ce qui fait rire Julie.

– Et ajoute aussi deux glaces, les plus grosses que tu as en réserve !

Tous deux dévorent en silence le banana-split dans lequel la serveuse semble avoir ajouté des portions supplémentaires de glace. Une fois l’assiette vide, Mitch qui s’inquiète du silence prolongé de Julie, lance :

– Heureusement qu’on a du chocolat chaud, cette glace m’a donné froid !

Julie ne répond pas tout de suite, puis demande d’une voix inquiète :

– Ils ne vont pas revenir, monsieur Mitch ?

– C’est fini tout ça maintenant, Julie. Tu ne les reverras plus jamais ! Tu vas devoir faire beaucoup d’efforts pour oublier tout ça.

– Je ne crois pas que je pourrai oublier…

Julie est immobile, les mains serrées sur ses genoux.

– C’est toi qui as raison. On n’oublie jamais… Tu es drôlement sage pour ton âge !

– J’ai un peu peur, quand même…

– C’est normal, peu à peu, tu vas apprendre à être plus forte que ces souvenirs.

Julie raconte alors combien elle aime l’école et la musique. Peu à peu, Mitch découvre le nom de ses peluches préférées, celles auxquelles elle se confie quand il pleut dans sa vie.

Un tintement discret les ramène à la réalité.

– Déjà cinq heures ? Julie, tu as des parents qui t’aiment beaucoup. Nous allons les retrouver maintenant, ils doivent être terriblement inquiets.

Quinze minutes plus tard, l’automobile franchit sans ralentir la porte cochère d’un immeuble luxueux. La cour intérieure, spacieuse, baigne dans la lumière tamisée de réverbères d’un autre âge.

– Toi aussi, tu as des parents qui t’aiment ?

– Ils m’ont beaucoup aimé, Julie… beaucoup.

Il immobilise la voiture.

– Nous voilà arrivés !

Devant l’entrée, un majordome se tient immobile, comme figé depuis des jours. Raide comme un mannequin de bois, il s’approche et ouvre la porte du véhicule. Sa main qui tremble et l’humidité qui voile ses yeux trahissent l’émotion qui l’envahit à la vue de la jeune fille.

– Alfred, je suis super contente !

– Moi aussi, mademoiselle Julie, je…

Un homme à la mise élégante et à l’allure sévère bouscule le domestique.

– Julie !

– Papa !

Un cri strident retentit, une femme s’élance vers la fillette en pleurant à chaudes larmes.

– Mon enfant ! Mon enfant !

– Maman !

L’homme au costume sombre s’approche de Mitch.

– Bonjour, monsieur Sandberg. Comme convenu, je vous ramène votre fille.

– Merci, monsieur… Je ne sais comment vous exprimer ma gratitude.

– Une poignée de main ?

– Serrons-nous la main, mais je n’oublierai jamais ce que vous avez fait aujourd’hui. Comment ça s’est passé ?

– Vous ne voulez pas savoir. Prenez soin de Julie. Il faut qu’elle parvienne à mettre toute cette horrible expérience derrière elle, le plus rapidement possible.

– Nous y veillerons.

Sans attendre davantage, le véhicule redémarre. Le silence dans la voiture est pesant. Un geste discret sur le volant lance une musique électronique.

** *

Paris. Une nouvelle journée morose. Une chape de plomb recouvre la ville depuis le début de la semaine. Pour compléter ce tableau lugubre, une fine bruine jette un rideau trouble depuis le petit matin. L’humidité s’infiltre partout.

– Si seulement j’avais une bonne nouvelle pour éclairer un peu cette journée, juste une…

Des voix s’élèvent dans le bureau de sa secrétaire.

– Qu’est-ce qui se passe encore ?

La porte s’ouvre avec fracas. Un jeune homme fait irruption comme s’il était chez lui.

– Bonjour, chef. C’est fait.

– Bravo, Mitch.

– Après avoir libéré l’otage, j’ai tout de suite transmis l’adresse à notre équipe scientifique… pour le nettoyage.

Le responsable fixe Mitch quelques instants, sans rien dire. L’appel reçu quelques minutes auparavant l’a laissé quelque peu perplexe.

– Oui, monsieur. Je vous confirme qu’il n’y a aucun survivant. Le chef de la bande qui, selon nous, est mort en dernier… Eh bien…

– Quoi, doc ?

– En fait, une première balle s’est logée dans sa poitrine et elle aurait fini par le tuer avant notre arrivée. Pourtant, quelques minutes après cette première blessure, deux balles lui ont été tirées dans la tête. Comme pour l’achever.

– Un tueur est passé après notre agent ?

– L’analyse nous le confirmera. Personnellement, je crois qu’il s’agit de la même arme.

– Bien. Tenez-moi au courant. Tout ceci reste entre nous, secret défense !

– Bien sûr, monsieur.

Le chef soupire avant de lancer :

– Ils m’ont appelé il y a quelques minutes, Mitch. Vraiment, vous étiez obligé de tous les tuer ?

– Ma mission est de protéger la cible.

– Certains ont été abattus comme des chiens !

– Chef, je ne tue jamais les animaux.

– Mitch, vous avez liquidé toute la bande !

– … Ce n’étaient pas des gens bien !

– Ce n’est pas tout, Mitch, il semblerait que le dernier ait été comme… achevé ? Vous n’avez pas oublié que nous sommes des agents de l’État, des agents de l’ombre certes, mais certainement pas des tueurs !

– Je pensais le laisser vivre, mais ces monstres ne se contentent pas d’enlever des enfants… ils leur font des choses !

– Des choses… ?

– Ils font des choses aux enfants ! C’est… je… Enfin… bon !

Le responsable fronce les sourcils un instant, tentant de deviner ce qui se cache derrière les paroles cryptiques de son agent, dont le visage s’est durci d’un seul coup. Sa dernière remarque lui rappelle quelque chose. Il ouvre le dossier devant lui. C’est bien ça, tous les gosses, ou plus exactement tous les corps retrouvés après des enlèvements similaires, montraient des traces d’abus sexuels…

– Mitch, nous ne sommes pas là pour rendre la justice nous-mêmes !

– Et en plus, ces hommes prévoyaient de l’éliminer avant la rançon !

Le chef soupire. Bien sûr qu’il est au courant de cette ignoble façon d’agir. Voilà des années que ce gang procède selon le même scénario. Ses doigts tapent sur le bureau, signe d’une irritation contenue. Ces derniers temps, sa propre frustration n’a cessé de croître.

Les politiciens, toujours à la veille d’un scrutin, souhaitent que les problèmes se règlent dans la plus grande douceur. Pour eux, la violence est surtout synonyme de perte de voix auprès des électeurs. Résultat : cette bande enchaîne ces opérations immondes, sans jamais être réellement inquiétée. Le chef tourne les pages du dossier épais. Depuis huit ans ! À ce jour, leur palmarès est de 17 enlèvements avec abus, suivis de l’assassinat des enfants après versement de la rançon. Et voilà que Mitch, pour cette première mission depuis son retour, met un point final à cette série sanglante.

– Voyons le bon côté des choses : cette fois-ci, c’en est terminé. Un dossier que nous pouvons refermer définitivement. Il suffira de passer sous silence l’épisode de l’exécution de la bande, marmonne le responsable à mi-voix.

– Chef ?

– Rien, Mitch, je me parlais à moi-même.

Derrière son bureau, l’homme à la tête du service des Corsaires regarde Mitch avec une lueur étrange dans les yeux.

– Bon, Mitch, pour votre prochaine mission…

– Euh… On n’avait pas dit que c’étaient les vacances là ?

– Je n’en ai aucun souvenir !

– Mais, chef, je…

Le regard de Mitch se tourne vers une jarre transparente.

– Alors, je peux avoir un cookie ?

– Allez-y, Mitch, de toute façon, vous vous débrouillez toujours pour m’en dérober en cachette !

– Moi ?

– Passons ! Vous verrez, une mission-vacances. C’est comme ça que je la qualifie, en plus, vous ferez équipe avec un excellent agent qui nous rejoint : Alban !

– Le meilleur conducteur des services secrets ? C’est trop cool !

– Je ne suis pas certain qu’il partage votre enthousiasme.

– C’est parce qu’il ne me connaît pas encore !

– Mmm…

Alors que Mitch sort du bureau, le chef de l’Organisation se passe la main dans les cheveux.

– Je me demande si c’est vraiment une bonne idée d’associer ces deux-là ensemble…

Derrière lui, le mur de la bibliothèque pivote sans bruit.

** *

Gaston

Un homme grand, tiré à quatre épingles, vient s’asseoir sans mot dire devant Gaston qui relit pour la troisième fois une lettre à l’en-tête du ministère.

– Valentin, je t’assure que le ministre était loin d’approuver.

– Les politiques ne connaissent rien au terrain.

– J’ai dû mettre tout mon poids dans la balance.

– Alban est le mieux placé pour veiller sur Mitch.

– Leurs caractères sont si différents !

– Justement, Gaston ! Je reste convaincu du succès de cette nouvelle équipe. Tous deux possèdent de nombreux points communs, la conduite, par exemple…

– Alban est un champion, il pilote avec élégance. Mitch privilégie… un certain type d’efficacité.

– Tu vois, ils sont complémentaires !

Valentin tapote du bout des doigts le bureau entre eux, comme pour marquer son point.

– Et les armes ?

– Voyons, Gaston, ils les maîtrisent tous les deux parfaitement…

– Mitch !

– Il va s’assagir grâce à Alban… De toute façon, Gaston, on a besoin de lui, il y a eu beaucoup trop de pertes dans nos services récemment. Nos ennemis sont de plus en plus violents. La situation évolue trop rapidement pour que des agents trop respectueux des règles s’en occupent…

Gaston secoue la tête, comme s’il pesait le pour et le contre, mais son expression trahit une certaine résignation.

– Tu es toujours si optimiste.

– C’est pour ça que je suis le chef !

– Un chef que personne ne connaît…

– C’est la force de notre organisation.

Gaston hésite, joue machinalement avec un stylo, avant de relever les yeux vers Valentin.

– Alban sera le supérieur de l’équipe ?

– Pas de leader dans cette équipe, Gaston.

– On va voir comment la mayonnaise prend. Leur première mission est une mise en bouche, un apprentissage pour ce qui les attend…

– Bien. Alban arrive, je te laisse.

** *

Devant un immeuble haussmannien comme les autres, Alban descend la vitre côté conducteur.

– On dirait le siège social d’une banque privée…

Un concierge s’approche de lui, l’air méfiant. L’homme sort une photo et la compare longuement avec l’homme devant lui avant d’approuver d’un mouvement sec du menton.

– Garez-vous à droite et présentez-vous à l’accueil.

Les sentiments d’Alban sont mitigés : il ne sait pas s’il doit être impressionné ou déçu.

– Une cour d’immeuble anonyme, comme il y en a des centaines à Paris…

Ce n’est pas l’image qu’il se faisait du siège du service le plus secret du pays. Une division qui, jusqu’à il y a quelques jours, n’était qu’une légende pour lui. Alban sursaute quand des coups frappés à la vitre du véhicule le font sortir de sa rêverie. Une montagne de muscles remplit l’espace. À chaque mouvement, les coutures de sa veste sont mises à rude épreuve, menaçant de lâcher sous la pression d’une carrure imposante. Un visage au sourire froid se penche vers lui.