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Löwen est l’héritier d’une lignée matriarcale de chasseuses de Loup noir, un descendant du tout premier Petit Chaperon Rouge. Le titre de Chaperon et la cape rouge se transmettent habituellement de mère en fille, mais à la mort de sa sœur, Löwen devient le dernier espoir de sa famille. Il est ainsi le premier homme à revêtir la légendaire cape rouge. Cependant, le village de Rotholzdorf reste en proie à la terreur du Loup noir qui défie la mort depuis des générations. Löwen parviendra-t-il à assumer sa destinée ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Ambre Boisvert-Girardin aspire à partager les mondes qu’elle crée dans ses écrits pour offrir aux lecteurs le même réconfort et la même joie qu’elle trouve dans la lecture. Malgré la difficulté de se concentrer sur un seul projet parmi ses nombreuses idées, elle désire permettre à d’autres de s’immerger pleinement dans ses histoires, car elle considère que se perdre dans une œuvre est une expérience gratifiante.
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Veröffentlichungsjahr: 2024
Ambre Boisvert-Girardin
Le dernier Chaperon Rouge
Roman
© Lys Bleu Éditions – Ambre Boisvert-Girardin
ISBN : 979-10-422-1618-4
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Pour mes parents, qui ne savent que me soutenir,
Pour mes sœurs, qui font leur part sans le savoir,
Pour mes amies et amis, un peu partout maintenant,
Mais surtout, pour la moi d’il y a dix ans, qui aurait bien besoin de savoir qui elle va devenir,
Et à cette opportunité qui m’a été donnée,
Merci
Mais hélas !
Qui ne sait que ces loups doucereux
De tous les loups sont les plus dangereux.
Charles Perrault
Il était une fois…
Les histoires qui commencent ainsi se finissent souvent par : ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants, n’est-ce pas ? Pas celle-là. Elle ne commence ni ne se finit bien. Parce que cette histoire n’est pas un conte de fées…
Le conte du Petit Chaperon Rouge est l’un des contes les plus populaires, ayant été réadapté nombre de fois. En adaptation animée, filmique, littéraire ; beaucoup se sont inspirés du conte des Frères Grimm pour imaginer leur propre version. Depuis longtemps, ce conte m’obsède. Je ne sais pas exactement pourquoi ; cela peut venir de mon amour pour les loups, tout autant que cette idée que la ligne séparant le Chaperon Rouge et le Grand Méchant Loup est plus fine qu’on ne l’imagine. Ce concept que le Chaperon et le Loup sont deux faces d’une même pièce est plutôt populaire.
Pour écrire ma version du conte, j’ai choisi de reprendre la base, différente de celle des Frères Grimm, inspirée de celle de Charles Perrault écrite en 1697. Dans cette version-là, il n’y a pas de chasseur. La grand-mère et le Chaperon Rouge sont mangées par le loup, fin de l’histoire. Perrault souhaitait faire passer une morale sur la responsabilité de la charge mentale de la mère du Chaperon Rouge, la blâmant pour ce qui était arrivé à sa fille ; métaphoriquement, c’était une manière pour lui de critiquer les jeunes filles qui « laissaient » les hommes s’approcher d’elles sans sembler savoir quel danger ils pouvaient représenter.
Les premières traces du mythe du Chaperon Rouge proviennent de la campagne française, datées environ du XIVe siècle, que les paysans racontaient sûrement aux enfants pour qu’ils ne se baladent pas seuls en forêt. Bien avant les adaptations médiatiques, d’autres adaptations littéraires plus intéressantes dans leur réalisation peuvent être observées ; celle qui m’a inspirée le plus est la version italienne, La Finta Nonna (La Fausse Grand-mère), dans laquelle le Chaperon réussit à se débarrasser seule du loup, sans l’aide d’un homme, ou d’une femme plus âgée.
En voulant réunir les différents esprits de toutes ces versions, j’en suis venue à cet héritage matriarcal laissé par la première Petit Chaperon Rouge – celle des contes, finalement – installée dans les paysages d’Allemagne du Nord, plus intéressants pour moi que ceux de la campagne française du XIVe siècle, l’époque du Dernier Chaperon Rouge. Certaines adaptations modernes de contes en général, comme le « Chaperon Rouge » de Catherine Hardwicke, et l’adaptation d’Hansel & Gretel de Tommy Wirkola, ont également influencé l’esthétique de ce livre, dans ses paysages et ses habits, entre autres.
Quant à mes personnages, eux ne viennent que de mon imagination. Löwen et Rosenn, contrairement à ce que beaucoup penseront, représentent justement ces deux facettes d’une même pièce. Leur relation a été énormément influencée par leur position respective dans leur famille, et c’est sans mentir que je garantis qu’elle serait assez différente si leur rôle était inversé. Les intentions de Rosenn peuvent paraître égoïstes, mais elles traduisent réellement une grande loyauté pour sa famille, chose qui vient avec moins d’aisance pour Löwen. Au vu de ses responsabilités envers cette famille, il voit les choses très différemment, et sait que sa position est délicate, car inédite. Ce sexisme inversé dont il souffre, qui n’a de « légitimité » qu’à travers la « tradition de passer la cape de mère en fille » sera, je l’espère, une manière de montrer à quel point certains idéaux ridicules bloqués dans l’histoire et les traditions empêchent l’ouverture d’esprit et de s’ouvrir vers le futur.
En parallèle, très ironiquement, Dhea, la seule femme du village dotée de capacités particulières, doit se battre pour rester dans un village qui ne veut pas d’elle, simplement à cause de cette différence. Érick, le Chef du village, s’acharne sur elle pour deux raisons : la première, parce qu’elle est une étrangère, et la deuxième, parce que, contrairement aux Chasseuses et au Chaperon avec qui il peut négocier le partage de pouvoir, voire en récupérer la majorité, il voit une menace en Dhea qu’il ne peut contrôler. Et cela le dérange.
Le pauvre Lukas se retrouve au milieu de tout ça, partagé d’un côté entre sa « famille », et son père, aux idéaux et valeurs opposées. Son rôle n’est pas celui de médiateur, du moins pas entièrement, car il a sa propre trame à suivre, bien qu’elle dépende fortement de celles de Löwen et Dhea.
Au final, tous les personnages nommés dans ce livre ont un rôle à jouer à un moment ou à un autre, aussi mineur soit-il.
Il était une fois…
Les histoires qui commencent ainsi se finissent souvent par : ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants, n’est-ce pas ? Pas celle-là. Elle ne commence ni se finit bien. Parce que cette histoire n’est pas un conte de fées.
Il était une fois donc…
Dans un petit village perdu au milieu des paysages d’Allemagne, un garçon était en deuil. Il n’avait que dix ans, mais pour la deuxième fois de sa vie, il observait les Chasseuses de son village rentrer couvertes de blessures et de sang, la tête basse, et sa tante, s’avancer vers lui, une cape rouge sang entre les mains. Celle qui la possédait n’était pas avec eux. Le garçon la chercha parmi les Chasseuses, s’attendit à la voir sortir de la foule d’hommes et de femmes aux capes noires. Cela n’arriva pas. Quand, pour la deuxième fois de sa vie, sa tante s’agenouilla devant lui, et lui tendit la cape rouge pliée soigneusement malgré son état, il comprit. Son père pleurait silencieusement, une main sur son épaule, l’autre devant sa bouche pour étouffer ses sanglots. Les yeux du garçon se remplissaient de larmes, mais il se sentait vide. D’abord sa mère, maintenant sa grande sœur ; le Loup noir lui avait tout pris, à l’exception de son père.
Sa tante le prit dans ses bras et lui murmura quatre mots qui changèrent sa vie :
« C’est à toi maintenant. »
*
Des centaines d’années de cela, la première Chaperon Rouge était née. Appelée ainsi de par la cape rouge qui la couvrait constamment, cadeau de sa Mère-Grand, elle fut la première à tuer un Loup noir. Elle bâtit de ses propres mains un village, à distance égale entre son lieu de naissance et la hutte de sa Mère-Grand, et s’y installa avec une poignée de chasseurs et des voyageurs. N’importe qui de perdu dans la forêt et à la recherche d’un abri était le bienvenu. C’est ainsi que fut créé Rotholzdorf, au milieu de la forêt hercynienne. En grandissant et vieillissant, le Chaperon créa également une unité de Chasseuses dans le village, pour le protéger, et en prendre la tête si besoin. Son pouvoir n’était pas supérieur à celui du Bürgermeister, le Chef du village, mais elle pouvait l’être si elle l’estimait nécessaire pour protéger les villageois. Le village était protégé par une épaisse et haute muraille de bois qui l’entourait de toute part. À quelques kilomètres, au Nord-Est, se trouvait l’autel construit par leurs ancêtres pour tenter de communiquer avec le Loup noir, via des sacrifices d’animaux en Son honneur, et des prières. Le Ritchenberger See, un lac proche du village, à l’Est de l’autel, était la seule source d’approvisionnement en eau potable, partagé entre le territoire du Loup noir et le reste de la forêt.
Mais Rotholzdorf ne vit pas un nouveau Loup noir avant la mort du premier Chaperon Rouge.
Dans sa longue vie, elle s’était mariée, et donna naissance à une petite fille. C’est ainsi que son héritage débuta. Chaque génération, une femme naquit, donna naissance à une fille, qui elle-même donna naissance à une fille et ainsi de suite. De mère en fille se passa la cape rouge qui symbolisait le commandement des Chasseuses, et incombait la responsabilité de protection du village, ainsi que celle de tuer le Loup noir qui continuait de menacer le village, tuer leurs bêtes, et faisait régner un climat de peur. Jamais un autre Loup noir ne fut tué.
Il n’était pas le premier garçon à naître en tant qu’héritier direct du Chaperon Rouge. C’était déjà arrivé par le passé, mais le garçon était le cadet. On ne lui avait donc pas donné la responsabilité de la cape. De lui était née la deuxième branche de la famille, celle qui remplissait les rangs des Chasseuses, les capes noires, qui au fil des années, devinrent mixtes, bien que restant majoritairement composés de femmes.
Il était cependant le premier homme à reprendre le flambeau. Sa mère avait été tuée quand il avait sept ans, et sa sœur, de huit ans son aînée, avait également disparu lorsqu’il avait dix ans. En tant qu’héritier direct, il fut forcé de porter la cape. Il avait dix-neuf ans, et plus de cicatrices qu’il n’aurait dû en avoir. Entraîné par la deuxième branche de la famille, il devint ce qu’on attendait de lui : le meilleur chasseur, le meilleur commandant, et le chef de famille.
C’était une lourde responsabilité à placer sur les épaules frêles d’un enfant, mais ses choix étaient limités, alors il fit de son mieux et donna le meilleur de lui-même. Les villageois comptaient sur ses directives et sur les Chasseuses pour maintenir la sécurité de Rotholzdorf. Les enfants grandissaient en sachant qu’ils pouvaient lui faire confiance, et les adultes tentaient toujours de maintenir en vie cette petite étincelle d’enfance en lui. Il n’avait jamais osé leur dire qu’elle était morte avec sa sœur.
« Löwen ! »
« Toujours au lit ? Je sais que tu vis surtout la nuit, mais tu dois quand même donner un coup de main dans le village ! »
Le jeune homme grogna au son de la voix forte de son père.
« Je descends dans une minute Papa, ne rentre pas ! »
Il soupira. Il s’était endormi avec de nombreux livres ouverts tout autour de lui, mais le poids autour de sa taille était définitivement plus lourd qu’un livre. Il baissa le regard et sourit en voyant le visage apaiser de son amant. Il semblait si détendu, ce qui n’était pas forcément son cas, lorsqu’éveillé. Le fils du Bürgermeister, héritier de cette position à la tête du village, passait ses nuits dans le lit du Chaperon Rouge. Quel scandale ça serait si les gens l’apprenaient. Personne n’était au courant, pas même leur famille ou amis. La chambre de Löwen, au premier étage, possédait une fenêtre qui donnait sur la muraille, appui qu’utilisait Lukas pour y monter.
« Lukas, lève-toi, mon père vient d’appeler et ton père se demandera bientôt où tu es. »
L’appelé grogna de protestation et enfonça la tête dans son oreiller. Ses cheveux blond vénitien étaient étalés autour de sa tête telle une auréole. Il ne pouvait pas être plus différent de Löwen. De par sa place dans le village, il n’avait pas beaucoup d’amis, et en tant que Chasseur, il passait son temps à chercher de nouveau moyen de coincer le Loup noir qui leur donnait du fil à retordre depuis des siècles. Il avait à ses côtés une Louve blanche, autre particularité héritée de sa famille. Associé à cette présence canine son manque d’entrain, à cause des horreurs qu’il avait été donné de voir dans sa courte vie, il souriait rarement et les enfants n’étaient pas très enclin à venir lui parler. De toute façon, il se rendit vite compte que des distractions enfantines lui étaient inutiles.
En tant que prochain Chef, Lukas était plus approchable. Il était de nature amicale, à s’inquiéter de la plus petite âme de Rotholzdorf et tenait à prendre des nouvelles de tout le monde, aussi souvent que possible. Son père l’avait aimé et élevé, et jamais il ne sentit le manque de sa mère. Son sourire naïf et ses yeux noisette chaleureux portaient toujours du réconfort en eux pour qui avait besoin.
Ce que les deux jeunes amants avaient cependant en commun, était leur forme physique : tous deux durs travailleurs dans le village, chasseur et fermier, ils partageaient leurs épaules larges et les cales sous leurs doigts, mains habituées à manipuler de lourdes armes ou de lourds outils.
« Mon père n’a pas que ça à faire, Löwen.
— Tu n’es pas censé aider les Schimdt avec la barrière du cheval aujourd’hui ? Il s’est enfui hier, c’est la troisième fois cette semaine. »
Lukas ouvrit finalement les yeux, et fronça les sourcils en voyant l’air malin sur le visage de Löwen.
« Tu essayes de te débarrasser de moi.
— J’essaye de garder notre secret, secret. Tu rends la tâche plus dure chaque matin. »
Sans attendre de réponse, il se leva et s’habilla. Son pantalon avait de nombreuses sangles qui lui servaient à ranger différents couteaux de différentes tailles. Il enfila une chemise blanche simple qu’il coinça dans son pantalon, serra son corset en cuir marron, ajusta son collier, un rubis sur corde noir qui lui collait au cou, et enfila une veste chaude sans manches avant d’enfin prendre la fameuse cape.
« J’ai toujours trouvé que la couleur allait particulièrement bien avec tes cheveux. » Löwen se tourna vers son amant à moitié habillé, et très proche de lui. Il avait pris une des mèches tressées brunes de sa chevelure et la colla au tissu rouge pour prouver son argument. Lukas ne portait que son pantalon, et Löwen souffla à contrecœur.
« Si quelqu’un venait ouvrir ma porte, nous aurions du mal à nous expliquer.
— Personne n’ouvre jamais ta porte.
— Lukas. Une seule fois est suffisante pour ruiner tout ce qu’on a construit avec attention jusque-là. N’agis pas comme si j’étais le seul inquiet que ça arrive, je sais que tu le sais aussi.
— Tu as eu un autre cauchemar ? » Lukas ignora totalement ce qu’il avait dit précédemment.
« Je t’ai senti t’agiter.
— Rien d’inhabituel » depuis qu’il avait passé la Cape, ses nuits étaient hantées par les morts causées par le Loup noir, par ceux qu’il n’avait pu sauver, ceux qu’il avait vu se faire massacrer devant ses yeux.
Se cacher était un poids qu’ils avaient accepté de partager ensemble depuis leur premier baiser dans les écuries. Depuis, leur relation n’était que des rencontres rapides dans la grange, des baisers volés quand personne ne regardait, et des rendez-vous hors du village derrière la muraille. C’était risqué, et leurs positions respectives ne faisaient rien pour arranger les choses.
« Un jour, promit Löwen, une main sur la joue sur Lukas, avant de poser ses lèvres sur les siennes.
— Un jour », approuva l’autre. Il mit le reste de ses vêtements et sortit par la fenêtre.
Un bâillement animal attira l’attention de Löwen qui s’agenouilla au niveau de sa louve. Elle était l’alpha de la meute, mais ressemblait toujours à un louveteau. Elle n’aimait pas vraiment Lukas, mais en réalité, les Loups blancs n’aimaient personne d’autre que la famille à laquelle ils étaient liés, et ce depuis la naissance : Löwen avait Freyja. Elle était devenue l’alpha après la mort de son frère, Freyr, qui était lié à la sœur de Löwen, Tilda.
S’agenouiller n’avait pas beaucoup de sens, puisqu’il dut lever la tête dès que Freyja s’assit. Debout, elle était presque aussi grande qu’un cheval.
« Viens, le village a besoin de nous. » Il la caressa, profitant de son épaisse fourrure bien entretenue. Ils ne pouvaient pas réellement communiquer, mais ils savaient toujours ce que pensait l’autre. Il y avait une sorte de lien immuable et automatique entre un chasseur et son loup.
Son père était déjà sorti, il arriva donc dans un salon vide en descendant, seulement accueilli par la chaleur du feu dans la cheminée. Il remarqua que la rune gravée dans le foyer commençait à disparaître, et se fit la réflexion qu’il devrait rendre visite à la sorcière. Il prit rapidement son petit-déjeuner, nourrit Freyja, et sortit sans accorder un regard à son arbalète, posée sur la table basse du salon. Il la connaissait par cœur, après avoir passé des heures à s’entraîner avec, jusqu’à ce que ses mains et ses bras le fassent souffrir ; il pouvait atteindre sa cible les yeux fermés maintenant.
Dès qu’il quitta la chaleur de sa hutte, Löwen referma la cape autour de lui. Le temps se rafraîchissait rapidement, déjà du givre rendait la terre glissante et teintait les cultures d’une couche transparente et brillante. Bientôt, la neige suivrait et la forêt serait recouverte de son manteau blanc annuel. L’hiver était proche.
« Enfin, il daigne se montrer. Être le Chaperon ne te donne pas le droit de faire la grasse matinée ! »
Le jeune homme ne prit même pas la peine de répondre. Il savait qui venait de parler. Il savait aussi que la mère de la jeune femme viendrait maudire son manque d’éducation qui n’était pourtant pas de sa faute.
« Rosenn ! Au lieu d’ennuyer ton cousin va aider Lukas chez les Schimdt ! Prends Sköll avec toi ! Ce maudit managarm mal tenu fait peur aux enfants ! »
Rosenn était sa chère cousine. Née dans la deuxième branche de la famille et seulement sa cadette de quelques mois, elle s’était toujours vue comme étant l’héritière du Chaperon, et ne digérait pas que Löwen lui soit passé devant. Elle n’aurait jamais pu être l’héritière directe, car la première branche aurait toujours prévalu sur elle, et cette règle la rendait folle. Le fait qu’elle soit une femme était pour elle la seule raison qui justifier qu’elle devienne l’héritière principale. Heureusement, ses parents ne semblaient pas avoir le même avis que leur fille sur la question, bien qu’ils comprennent sa frustration. Sköll, son Loup blanc, était à l’image de sa maîtresse, têtu et hargneux. Les Loups blancs, ou managarm, étaient, au même titre que les Chasseuses et la cape rouge, une constante de Rotholzdorf. Personne ne savait d’où ils venaient, mais la meute était là depuis les premiers jours du village, et à travers l’histoire, les villageois avaient fini par les considérer comme des cadeaux des Dieux. Tous avaient leur personnalité, leurs petits attraits qui permettaient aux Chasseuses de les différencier. Freyja avait les yeux verrons, et en tant qu’alpha, était la plus grosse de la meute.
« Löwen ! »
Son père, Jakob, encore très jeune et vigoureux pour son âge et le temps qu’il faisait, avait déjà les bras remplis de bûches. Une autre pile aussi grosse attendait à ses pieds, et Löwen comprit vite que c’était à lui de la prendre. Pendant la nuit, les Chasseuses chassaient, mais la journée, ils aidaient dans le village pour différente tâche du quotidien que les cultivateurs et fermiers ne pouvaient pas forcément réaliser seuls. Livrer du bois, remplir les garde-manger et aider à la confection de fourrures pour se préparer au froid en faisait partie.
« Pour qui est-ce aujourd’hui ?
— Le côté est du village. N’oublie pas d’en donner un peu plus aux Feld. Ils ont des veaux à faire survivre cette année. »
Löwen acquiesça et se mit en route, Freyja sur les talons, traînant dans sa gueule un sac de bûches que son maître ne pouvait pas porter. Il prit un moment pour fermer les yeux, et écouter les bruits de Rotholzdorf. Les derniers oiseaux piaillaient sur les murs, certains enfants qui criaient dans le côté Sud pouvaient être entendus du Nord, les Chasseuses nettoyaient leurs armes et leurs loups respectifs jappaient en se courant après, tels des gros chiens. Rotholzdorf avait le potentiel d’être un village paisible, si ce n’était pour la menace silencieuse du Loup noir.
Freyja lui donna un petit coup de museau dans le bas du dos pour l’inciter à avancer, ce qui le fit sourire.
« Allons-y, allons-y. Tu as hâte de dire bonjour à tout le monde toi. »
Freyja répondit du mieux qu’elle put avec le sac dans la gueule. Löwen resta l’observer en souriant ; ils se connaissaient depuis leur naissance, ils partageaient leur âge, leur vie, et elle était ce qui se rapprochait le plus d’une sœur pour lui. Pourtant il la voyait comme plus que cela ; elle était carrément une autre part de lui-même.
« Très bien, après vous ma chère. »
Il suivit son sillage quand elle bondit en avant, mordillant comme elle le pouvait le bout de la queue des loups de sa meute pour les saluer quand ils en croisaient. Löwen se contentait d’un sourire et d’un hochement de tête pour saluer les Chasseuses. Quand il arriva au niveau de la Taverne, sa pile avait diminué de trois quarts.
Le village était divisé en deux parties, l’est et l’ouest, avec une grande route qui reliait l’entrée nord à l’entrée sud. Près du nord, à l’est, se trouvait une partie des chasseurs de la deuxième branche, les écuries, et la cabane d’armements. Près de l’entrée sud, les maisons des villageois étaient réparties équitablement entre est et ouest, avec assez de place pour avoir des potagers et des carrés de céréales. Au milieu du village, à l’ouest, se trouvait la taverne, seul lieu commun du village, ainsi que la hutte du Bürgermeister. La première branche des Chasseuses vivait avec Löwen et son père au nord-ouest du village.
Il ne fut pas surpris de croiser Érick, le Bürgermeister, accompagné de Lukas, qui s’était couvert d’une épaisse veste en maille marron et d’un gilet en fourrure sans manche, l’habit des bûcherons en cette saison.
« Bonjour Löwen ! Comment s’est passée la nuit dernière ? » le Chef était un homme sympathique, à première vue. Il avait une personnalité plus brute que son fils, sûrement dû à ses nombreuses années passées à diriger le village. Lukas n’était en rien son portrait, son père ayant les cheveux foncés et les yeux marron, mais tous savaient que le fils tenait plus de sa mère. Érick n’avait qu’une obsession : les chasses. La nuit dernière, comme toutes les nuits, les Chasseuses avaient suivi la trace du Loup noir, sans pour autant Le trouver Lui où l’endroit qu’Il avait choisi comme tanière. C’était un combat sans fin, des courses longues et fatigantes à travers l’immense forêt qui les entourait. Ils n’attrapaient jamais le Loup, le blessaient rarement, mais revenaient souvent avec quelques cicatrices dans le meilleur des cas, des membres cassés voire des mortes dans le pire. Les Chasseuses étaient donc prisonnières de ce cercle vicieux qui semblait ne jamais pouvoir se briser même d’une génération à l’autre.
« Bonjour Érick. Il n’y a rien de particulier à signaler. Il ne S’est pas montré hier soir. Peut-être a-t-Il commencé à chercher du gibier et à construire son nid pour l’hiver », répondit Löwen, conscient que le Loup n’était pas connu pour hiberner non plus.
Il se tourna ensuite vers Lukas et le salua comme s’il le voyait pour la première fois de la journée.
« Bonjour Lukas. J’espère que nous n’avons pas été trop bruyants en rentrant ?
— Non, je n’ai rien entendu, je dors généralement à poings fermés, sourit le jeune homme.
— Chez qui vas-tu avec tout ce bois ? demanda Érick.
— Les Fed. Ils en ont besoin pour les veaux nés il y a quelques jours. Je vais visiter Dhea à suivre. La rune de notre cheminée commence à s’effacer et avec le froid imminent, je préfère la faire refaire vite. »
Le Chef serra visiblement des dents, mais son sourire ne bougea pas d’un iota. Dhea était… différente. Elle était la sorcière, et elle n’était pas née à Rotholzdorf. Sa mère s’était enfuie avec elle de leur petit village du nord, pour trouver refuge plus au sud, chez eux. Le père d’Érick, Bürgermeister à l’époque, les avait accueillis à bras ouverts. Ils savaient seulement que Dhea était la fille d’un soldat, un Chef de Tribu puissant, mais aussi un homme rempli de haine. Sa mère était couverte de blessures lorsqu’elle était arrivée il y a presque vingt ans, avec sa fille d’à peine un an dans les bras, vêtus de fourrures épaisses et de tissus inconnus à Rotholzdorf. Leur apparence ne les avait pas aidés à s’intégrer et elles avaient été pointées du doigt comme étrangères dès le premier jour. Personne n’avait été aussi chaleureux que le Chef avec les deux femmes. Quand Érick avait repris le flambeau de son père, son amour-propre et son respect l’avaient empêché de les jeter dehors, même s’il était évidant que Dhea, désormais seule, devrait vivre aussi discrètement que possible si elle voulait éviter les ennuis.
Ce qu’elle fit, en proposant son aide à ceux qui l’acceptaient, et en laissant la porte de sa petite hutte ouverte à qui voulait. Cela faisait presque six ans qu’elle vivait ainsi.
« Passe-lui mon bonjour, je viendrai peut-être la voir plus tard dans la journée », intervint Lukas, ignorant l’air désapprobateur de son père, qui resta cependant silencieux.
Löwen sourit et reprit sa route. Les Fed eurent effectivement besoin de plus de bois, car un nouveau veau venait de naître la nuit dernière, le troisième en un mois et demi. Il resta parler avec la petite famille pour prendre des nouvelles des veaux, et s’en alla pour rendre visite à son amie.
Dhea était d’un an son aînée, et de trois celle de Lukas, le plus jeune de leur petit trio. Lui et Löwen avaient été les seuls assez intelligents pour ne pas avoir peur d’elle et depuis, elle leur avait toujours réservé un amour un peu spécial. Elle se souciait grandement d’eux, et eux d’elle en retour.
Ce qu’il aimait le plus dans le sud du village était sa hutte. Les petits potagers et carrés de céréales en face des maisons des fermiers étaient tous identiques, de même que les maisons, en pierre, avec des toits bas, des petites fenêtres et seule la couleur des portes pour les distinguer. Dans le sud du village, elles étaient bleues, sauf celle de Dhea qui était verte. Au nord, celle de Löwen était rouge, tandis que les autres Chasseuses en avaient des bordeaux. Les écuries et étables marron, la hutte du Chef grise et la porte de la Taverne violette. Non pas que cette dernière soit difficile à rater ; elle se tenait au centre du village, avait trois étages, d’énormes piliers pour la structure et était assez grande pour accueillir tous les villageois.
Il atteignit enfin la hutte de la Dhea, plus petite, mais bien plus large que les autres, et frappa à l’épaisse porte en bois sombre, montée d’une rune de protection sur la porte. Freyja secouait la queue avec vigueur. Il n’y avait qu’une personne en dehors des Chasseuses qui pouvait s’approcher de la meute des managarm, et c’était Dhea. Beaucoup soupçonnaient que c’était parce qu’elle était une sorcière, et pouvait parler aux animaux. Lui savait que cela n’avait rien à voir : elle ne cachait jamais ce qu’elle pensait ou ressentait, et n’avait jamais craint les Loups blancs. Les animaux en général même, tous l’approchaient sans peur lorsqu’elle était seule. Les villageois trouvaient toujours des renards nichés, hibernant derrière sa hutte lorsque le printemps arrivait. Il avait fini par se dire que les Loups pouvaient sentir cette confiance, et que la plupart des villageois émanaient trop de peur pour mettre les managarm à l’aise.
« Entrez ! »
Freyja prit Löwen par surprise et fit irruption dans la pièce violemment, utilisant toute sa force et son corps puissant pour ouvrir la porte d’un coup.
« J’apporte du bois, et j’ai besoin d’une faveur. »
S’il n’avait pas déjà été éperdument amoureux de Lukas, Löwen savait qu’il aurait peut-être cédé aux charmes de Dhea. Elle était magnifique, peu importe que cela vienne de ses origines du nord, sa magie, ou son héritage familial. Beaucoup pensaient le contraire, mais leur désaccord venait principalement de leur crainte de ses pouvoirs.
Elle n’avait pas perdu l’habitude de tresser ses cheveux, mais contrairement aux autres femmes du village, elle ne gardait pas la tresse en chignon, mais plutôt comme un rideau sur ses épaules et son dos, assez long pour atteindre ses hanches, pourtant tressés en nombreuses mèches autour de la couronne de sa tête. La plupart des tresses se rencontraient sur l’arrière de son crâne en nœuds compliqués, donnant presque l’impression que ses cheveux étaient rasés sur les côtés tellement ils étaient serrés. Il s’émerveillait toujours qu’elle puisse faire tout ça elle-même. Elle avait souvent sur le dos de longues robes traînantes, peu pratique pour travailler dans les champs et la forêt, sombre et serrées jusqu’à sa taille grâce à des ornements dorés sur des ceintures en cuire. Ses avant-bras en étaient également couverts des poignets jusqu’aux coudes. En automne et hiver, s’ajoutaient des capes faites d’une laine qu’ils ne possédaient pas aux alentours, et parfois lors de grands froids, des fourrures. Habituellement, elles étaient plus souvent accrochées aux murs, ou étalées à même le sol pour garder la chaleur humaine dans les habitations, de même que des couvertures, tapis ou tapisserie. Dhea couvrait elle ses murs de cuir.
Sa hutte était plus en longueur que les autres, et emplie d’étagères qui peinaient à tenir sous le poids de tous ses livres. Ses tables étaient couvertes d’herbes en tout genre, de sacs de graines et d’os de petits animaux. Une fumée légère flottait dans l’air, sans danger, assurait-elle, avec une fine odeur de lavande et de thym. Le médaillon argenté de sa mère avait trouvé place sur sa poitrine à sa mort. Tout ce qu’elle possédait lui venait d’ailleurs de cette dernière.
Dhea était la fille d’une völva – wala à Rotholzdorf – une prêtresse et prophétesse du nord. Elle était trop jeune et trop loin pour en devenir une elle-même, mais ça ne l’empêchait pas d’utiliser le peu qu’elle avait appris avec sa mère. Le manque de confiance qu’Erick envers elle était incompréhensible, mais Löwen n’en disait rien.
« Laisse-moi deviner, la rune s’efface ? » Ses lèvres pâles donnaient à son visage une apparence mystique. Elle était si blonde que ses cheveux en paraissaient blancs, et ses sourcils et cils de même couleur rendaient ses yeux gris très texturés. Un paradoxe intéressant selon Löwen. Il acquiesça.
« Le foyer est encore chaud et ne semble pas prêt à s’éteindre, mais tu m’as dit de t’en parler lorsqu’elle commencerait à disparaître.
— Effectivement, merci. Je suis toujours plus occupée en automne, tout le monde me demande.
— Tu ne te fatigues pas de donner sans rien recevoir en retour ? Pas même de la gratitude ?
— Ils me laissent rester ici, me nourrissent et me protègent… Ils ne me traitent peut-être pas aussi justement qu’ils devraient, mais aucun n’a jamais levé la main sur moi, ou ne m’a insultée. S’il ne s’agit que de regards noirs et de crachats sur mon passage. Ne t’en fais pas. »
Il fronça les sourcils : ça n’avait rien d’équitable, mais elle avait raison. Au moins, ils la traitaient décemment.
« Ton vingtième hiver arrive bientôt, dit-elle pour changer de sujet, se déplaçant d’une table à l’autre avec fluidité pour mélanger ses herbes et allumer des bougies.
— Et avec lui, le dixième hiver de la mort de ma sœur.
— C’est triste que ton anniversaire ait été terni par cette tragédie.
— J’ai appris à vivre avec. »
Elle sourit, compatissante. Ce qui était bien avec Dhea, c’est qu’elle ne perdait pas son temps en paroles inutiles, en faux réconforts et en fausse sympathie. Elle n’essayait pas de couvrir les choses avec une fausse bienséance sociale qui insupportait Löwen. Il savait très bien qu’à la mort de sa mère, les villageois avaient été plus inquiets pour leur sécurité que désolés pour la perte du garçon et des Chasseuses.
Dhea se tourna vers Freyja, qui se remit sur ses pattes, heureuse d’avoir enfin l’attention de la sorcière.
« Et toi alors ? Ça sera ton vingtième hiver à toi aussi ! Quelle grande louve tu fais ! Si féroce ! » devant l’incrédulité dissimulée de son chasseur, Freyja remua la queue et jappa comme un louveteau. Elle agissait toujours comme ça autour de la sorcière, mais si lui essayait de l’infantiliser, elle donnait des coups de dents dans sa direction. « J’espère qu’elle est gentille avec toi, reprit Dhea.
— Elle l’est toujours, mais elle a été un peu agitée cette nuit, et m’a privée d’une ou deux heures de sommeil. »
À cela, la louve se retourna vers lui sèchement, oreilles dressées, outrée des fausses accusations. Elle avait l’habitude, ce n’était pas la première fois qu’elle servait de couverture à la présence de Lukas. Löwen cacha son rire derrière une toux et se débarrassa de sa cape pour en enlever les poussières et flocons. Elle était aussi grande que lui si ce n’est plus, et flottait de manière dramatique dans le vent à chaque pas qu’il faisait. Malgré tout ce qu’elle représentait, il l’aimait bien, cette cape.
« J’aurai également besoin de quelque chose pour des douleurs dans le bas du dos.
— Pour le bas du dos ? Qu’est-ce que tu as bien pu faire qui demande un tel traitement ? »
Les joues de Löwen s’empourprèrent. Il le mit sur le compte du froid.
« Lukas. Tu l’as dit toi-même l’hiver arrive bientôt à nos portes et ses activités autour du village ne font que se multiplier.
— Ah, c’est toujours pareil chaque année… Si seulement il pouvait faire plus attention et se ménager un peu. »
Il ne pouvait qu’approuver. Le traitement n’était pas pour Lukas, mais pour lui. Même avec ses missions, il ne s’était jamais blessé de manière à demander des soins pour le dos. Lui et Lukas s’étaient donc mis d’accord pour utiliser le fils du Chef comme excuse.
« Voilà, donne-lui ces herbes. Il devra les brasser sous forme de thé deux fois par jour, et les boire gorgée par gorgée. Cela devrait soulager la douleur progressivement jusqu’à ce que le sachet soit vide. Dis-lui de venir me voir de temps en temps, cela fait longtemps depuis la dernière fois. »
Il la remercia et sourit chaleureusement à la jeune fille qu’il avait fini par considérer comme une sœur. Elle n’avait jamais eu la prétention de remplacer Tilda, et il ne la voyait pas ainsi non plus ; Dhea était comme une autre sœur. Il savait que Lukas, en tant qu’enfant unique et de trois ans son cadet à elle, cherchait souvent du réconfort auprès d’elle.
Il fit ses au revoir et quitta le logement, accueillant l’air froid avec une grande inspiration. Pendant qu’il rentrait chez lui, il put voir les familles se mouvoir dans le village, lui donnant vie, pour préparer ce qu’ils considéraient être la plus grosse fête de leur modeste village : Tag des Wolfes, le jour du Loup. Cette tradition centenaire voulait que, chaque hiver, un jour entier était dédié au Loup noir qui menaçait leur vie et les massacrait telles des proies. Ils priaient que malgré la saison à venir, le Loup leur laisse suffisamment de nourriture pour réussir à traverser le froid, et ne fasse rien pour attaquer le village au moins jusqu’à l’été.
Certains pourraient trouver ça stupide, de prier un ennemi récurrent de leur laisser eau et nourritures. Mais si le Loup voulait continuer de se nourrir au village, il fallait bien qu’il y ait un village pour commencer. Jusqu’à présent, jamais un hiver n’avait été impardonnable. Des aînés avaient succombé, oui, des nouveau-nés n’avaient pas survécu aux températures extrêmement basses non plus. Cependant, les Chasseuses trouvaient toujours de quoi chasser pour nourrir tout le monde. Chaque été, le village stockait de bonnes quantités de vivres, et de fourrures pour couvrir des habitations entières du sol au plafond en comptant les étages. Donc chaque année, ils continuaient de prier.
Rotholzdorf était depuis longtemps un village de tradition. En dehors des murs du village, au nord-est, se dressait un autel en l’honneur du premier Chaperon Rouge. Chaque mois lors de la pleine lune, un mouton, un lapin ou une vache y était attaché et sacrifié au Loup noir. Cela n’était pas sans utilité non plus, malgré les attaques incessantes de la bête, ils réussissaient ainsi à garder le Loup loin du village pendant la période la plus dangereuse du mois.
Löwen soupira en y pensant, et suivit par Freyja, reprit son chemin vers son coin de village. Demain serait un grand jour, et il y avait encore nombre de choses à faire aujourd’hui. La journée passa sans que rien de marquant n’arrive, mais au soir, le Chaperon alla se coucher avec angoisse : il sentait que la journée de fête du lendemain serait différente cette année. Il n’était pas sûr de vouloir savoir pourquoi.
Il se leva le jour d’après, un mauvais pressentiment logé dans l’estomac.
Aujourd’hui était le jour de Tag Des Wolfes, et pour la première fois depuis qu’il était assez vieux pour comprendre la signification de cette journée, il sentait que quelque chose de terrible allait se produire. Ses yeux se posèrent sur Freyja, déjà debout et aux aguets, et il sut immédiatement qu’il lui faudrait garder l’œil ouvert toute la journée.
Il s’habilla en vitesse et dévala l’escalier jusqu’au salon où se trouvait son père, occupé à nourrir la cheminée de bois.
« Bonjour Sohn. Prêt pour aujourd’hui ?
— J’ai un mauvais pressentiment », répondit-ilsans préambule.
Son père le regarda, inquiet, et son visage sembla contrarié quand il vit Freyja s’agiter aux côtés de son fils. Son propre loup, Jörd, agita la queue, affecté par l’humeur de son alpha.
« Rien n’est jamais arrivé, rappela-t-il avec prudence.
— Je sais. Je sais aussi qu’aujourd’hui ne sera pas aussi tranquille et paisible que les autres années.
— Tu devrais peut-être en parler avec ta tante. Préparer les Chasseuses à plus d’action. »
Il y avait déjà pensé. Son cœur battait fort dans sa poitrine lorsqu’il sortit dans le froid. Une bonne partie du village était déjà massée devant les portes nord, des expressions de joie au visage. Les enfants couraient librement entre les jambes des adultes en attendant de devoir rester en ligne pendant le trajet jusqu’à l’autel. Il trouva sa tante très rapidement, la grande femme dépassant d’une bonne tête la foule ; elle était déjà en train d’organiser la formation des Chasseuses.
« Katarina ! »
Sa tante était une femme impitoyable et acharnée quand elle le voulait, comme toutes les femmes du village. Même les villageois avaient dans leurs yeux cette attente, cette méfiance et cette sauvagerie contenue, prêts à riposter à n’importe quelle attaque, hommes et femmes se battant côte à côte comme ils l’avaient fait plusieurs fois par le passé.
« Nous devons réunir toutes les Chasseuses. N’en laisse que dix sur place, je veux chaque Loup sellé pour une chasse.
— Il y a un problème ? demanda Rosenn, sortie de la foule.
— Je la sens mal cette année, ça ne va pas être comme d’habitude, se contenta de répondre son cousin.
— Tu nous demandes de laisser le village pratiquement sans défense juste parce que tu la sens mal ? Tu réalises la dangerosité de ta demande ?
— Dans ce cas, je te laisse derrière, comme ça je suis sûr qu’une des meilleures Chasseuses de la famille est au village. »
Ses yeux lui lançaient des flammes, mais il l’ignora. Il n’avait pas le temps pour les pitreries de la jeune femme.
« La meilleure Chasseuse tout court », cracha-t-elle en retour, partant en faisant tournoyer sa cape noire derrière elle.
Sa tante voulut s’excuser après le départ de sa fille, mais il la coupa.
« Je n’ai pas le temps pour ça. Où est Érick ?
— Près des portes, comme toujours. »
Il la remercia et se fraya un chemin à travers l’amas de villageois, qui libéra facilement un chemin pour le laisser passer. Il répondit timidement aux sourires qui l’accueillaient en répondant avec son propre rictus coincé, ne soufflant de soulagement que lorsqu’il put discerner le Bürgermeister. Il lui résuma rapidement la situation, mais l’inquiétude ne sembla pas frapper l’homme.
« C’est le jour du Loup. Rien ne se passera. Il n’y a aucune trace dans les annales d’une attaque du Loup noir pendant cette journée, pourquoi cela serait-il différent cette année ?
— S’il vous plaît. Nous devons prendre plus de Chasseuses avec nous. Tout ne se passe pas pareil d’une année à l’autre.
— C’est un jour de paix, je ne veux voir aucune d’entre vous munie d’armes. Ça va à l’inverse de ce que Tag des Wolfes représente.
— Sauf votre respect…
— Löwen. Ma décision est prise. »
Le garçon se mordit la langue pour s’empêcher de cracher son venin, mais son regard s’assombrit autant que celui d’Érick. Depuis qu’il était devenu Chef, il s’était assuré de laisser les Chasseuses savoir qu’il les soutenait, mais ne se privait pas non plus de leur rappeler qui possédait la vraie autorité du village. Plus d’une fois Löwen avait retenu ses cris de frustration face aux décisions de l’homme. Rien de grave ne s’étant produit pendant ces dernières années, il ne put qu’obtempérer avec raideur. Il échangea un regard rapide avec Lukas le temps de la saluer, puis fit chemin inverse. Il entendit Freyja gronder derrière elle et siffla pour la rappeler à lui. La dernière chose dont il avait besoin était qu’elle cause des problèmes, bien que cela parte d’une bonne intention.
« J’en conclus que tout ne s’est passé comme tu voulais, remarqua immédiatement sa tante devant son air grave.
— Il ne nous veut pas armées. On peut quand même gonfler les rangs.
— Plus de Chasseuses ne servira à rien si nous sommes nues, trancha Rosenn.
— Plus de Chasseuses signifie plus de protection entre le village et une possible menace. Ce qui est notre devoir. Protéger les villageois, les défendre, et en dernière nécessité seulement, attaquer.
— N’est-ce que pas ce que l’ont fait toutes les deux nuits pourtant ? Attaquer ?
— C’est de la défense. Si nous ne poursuivons pas le Loup, c’est lui qui viendra à nous. Que chacune porte quand même ses dagues, peu importe ce qu’en dit Érick.
— Et s’il le découvre ? Les Chasseuses risquent gros à cause de toi », attaqua Rosenn.
Sa pauvre mère semblait se retenir d’envoyer sa fille dans les roses, mais elle savait que cela serait un manque de respect envers l’autorité de Löwen, alors elle ne dit rien et le laissa faire.
« Si ça arrive, et nous allons nous assurer que ça n’arrive pas », ses yeux plongèrent dans ceux de Rosenn, la mettant au défi de le contredire une nouvelle fois. « J’en prendrai la responsabilité. Je suis le chef de famille. »
Parler avec sa cousine se révélait toujours être un très bon, mais très fatigant exercice de contrôle de soi. Avec personne d’autre qu’elle ne contrôlait-il sa colère, son impatience et son manque d’amabilité lorsqu’elle remettait constamment son autorité en question. Elle jouait avec ses nerfs comme un chat avec une pelote de laine.
« Est-ce que c’est compris ? ajouta-t-il pour faire bonne mesure.
— Oui, Alpha. »
Il la suivit d’un regard, voyant avec satisfaction qu’elle relayait son ordre à travers les Chasseuses. Cette appellation particulière qui désignait le chef des Chasseuses n’était normalement pas utilisée hors de la cérémonie qui les faisait Chaperon Rouge. Rosenn adorait l’utiliser dès qu’elle voulait faire comprendre à Löwen qu’elle n’appréciait pas ses ordres.
« Assure-toi qu’elle ne déforme pas mespropos, je n’ai pas besoin de plus de problèmes à régler », se reprit-il en parlant à sa tante, lanotifiant d’un signe de tête à son départ. Elle fut immédiatement remplacée par Dhea. La sorcière ne s’était jamais rendue à l’autel, en partie parce qu’elle ne croyait pas en sacrifice de quoique que ce soit pour le Loup noir, et en partie parce qu’étant étrangère au village et à ses coutumes – bien qu’elle les connaisse depuis – elle ne voyait pas comment ses prières pourraient la protéger. Elle croyait en beaucoup de choses, et honorait son propre panthéon de divinités, mais ce culte de la peur pour le Loup noir, elle ne l’avait jamais compris. C’était peut-être une des autres raisons de l’apathie d’Érick envers elle.
« La journée semble bien commencer », nota-t-elle avec sarcasme. Sa cape de fourrure était posée de manière négligée sur ses épaules, les laissant apparentes et victimes du temps. Elle caressait distraitement Freyja, son regard fixé sur le Chef.
« Comment se fait-il que tu sois là ? »
Dhea restait généralement chez elle, ne s’embêtant pas à saluer tout le village ou leur souhaiter bonne chance en ce jour. La voir ici, à cet endroit précis du village, était surprenant.
« J’ai eu une prémonition… étrange. Suivie de nombreux signes qui m’encourageaient à te mettre en garde », déclara-t-elle, sa voix perdue dans le vent.
Löwen sentait ses nerfs s’agiter à cette nouvelle information qui ne faisait que soupçonner ce qu’il craignait.
« Me mettre en garde contre quoi ?
— Une tempête. Je n’ai aucune idée de la forme qu’elle prendra, mais quelque chose va se passer de travers pendant la cérémonie. Je sens que tu n’avais pas besoin de moi, ton instinct semble déjà t’avoir prévenu.
— Oui, je ne sais pas ce que ça sera non plus, mais je vais être agité. Le Loup noir va se montrer.
— C’est ce que je crois aussi. »
Elle posa délicatement une main baguée sur son épaule et la pressa doucement.
« Sois prudent là-bas. Et garde un œil sur Lukas. » Son regard semblait porter une vérité dont elle seule connaissait la nature.
Je garde toujours un œil sur lui, d’une manière ou d’une autre, voulut-il lui dire. À la place, il couvrit sa main avec la sienne et la serra en retour.
L’autel se trouvait à quelques minutes de marcheà travers la forêt hercynienne, heureusement éclairée par le soleil matinal, bas dans le ciel en cette saison. Cette partie de la forêt n’était pas la plus sombre, et ne se trouvait pas non plus dans le territoire du Loup noir, et pour cela les villageois et Chasseuses se sentaient relativement saufs. Ils n’avaient aucune raison d’être attaqués maintenant, mais par expérience, ils gardaient un œil attentif à leur entourage. Les Chasseuses montaient toutes leur loup respectif et telle une armée, dressaient un mur autour des rangées de villageois. Löwen en particulier, n’avait pas défroncé les sourcils depuis qu’ils étaient entrés dans la forêt, et était toujours en mouvement, le regard en périphérique de manière à tout contrôler, tandis que Freyja roulait des épaules sous lui. Il agrippait sa fourrure d’une main légère, mais ferme, prêt à la faire changer de direction en vitesse si besoin. Le vert de la forêt n’était pas encore noyé par le blanc de la neige, mais le gel parsemait déjà les arbres et herbes hautes. Si les villageois étaient trop légers pour laisser des empreintes dans la poudreuse fragile, les managarm eux pouvaient être suivis à la patte.
Löwen était à la tête du cortège, Katarina à sa gauche, Érick et Lukas derrière lui, suivit par le reste. Il tendit l’oreille quand des pas lui parvinrent d’entre lui et sa tante, mais se détendit en reconnaissant ceux de Lukas. Il baissa la tête vers le regard inquiet du blond.
« Bonjour Chasseur.
— Bonjour villageois. »
Il se prêta au jeu.
« Je t’ai vu parler à mon père ce matin. Y a-t-il quoique ce soit que je devrais savoir ? »
Löwen tourna la tête, à moitié caché derrière sa capuche, et tomba sur le regard déjà posé sur lui d’Érick, rempli d’avertissements.
« Rien qui ne devrait t’inquiéter », mentit-il. Il détestait le faire. Lukas ne le retenait jamais contre lui, mais c’était pour le principe.
« Tu sais, je serais Bürgermeister un jour, il n’est pas trop tôt pour commencer à me parler de ce qui me concernera », tenta le plus jeune, conscient qu’il y avait anguille sous roche, et bien plus que ce que ne laissait apparaître Löwen.
« Malheureusement, tu ne l’es pas encore, et c’est ton père qui a le mot final. » Il vit Lukas jeter un coup d’œil à ce dernier, et comprendre pourquoi le Chasseur était si silencieux.
« Je vois. S’il n’a pas jugé nécessaire de m’en informer, c’est que ça ne doit pas être trop sérieux.
— C’est ce qu’on pourrait se dire. »
Ils partagèrent un sourire tendu et Lukas ralentit pour retomber au rythme de son père. Les deux hommes ne dirent pas un mot, mais la tension était si épaisse qu’une lame aurait pu la traverser. Très vite, l’autel apparut à l’horizon. À distance égale entre Rotholzdorf et le territoire interdit, il était également à une distance raisonnable de la Richtenberger See, où les villageois remplissaient leur réservoir d’eau chaque semaine. Aujourd’hui ne serait pas différent, et Löwen préparait déjà une petite division de Chasseuses pour les accompagner après les prières.
L’autel avait été construit sur un ensemble de pierres circulaires, de bois sombres et de feuilles dorées, tombées des arbres il y a peu. Même leur homme le plus grand n’atteignait pas la hauteur du foyer. Il y avait une table, qui ressemblait plus à un autel sacrificiel, ainsi qu’une arche en bois, gravée pour représenter toutes celles qui avaient porté la cape rouge à ce jour. Au centre de la gravure, on pouvait voir la fondatrice du village, le premier Chaperon Rouge, représentée dans une scène de guerre contre le Loup noir. Des feuilles d’or tapissaient cette scène en particulier, tout comme les arches qui descendaient de chaque côté pour rejoindre la table, maintenue par des piliers de pierres inégales. Des crochets avaient été mis en place pour suspendre les lampes à huile, et c’est ce que fit Érick aussitôt qu’ils arrivèrent. Un cheval et un mouton furent attachés aux autres piliers qui faisaient le tour du cercle de pierre, tandis que les villageois se séparaient entre les différentes tables pour y déposer leurs offrandes. Au moins, un membre par famille avait fait le déplacement, ne pouvant demander la protection de leur foyer que par eux-mêmes. Les Chasseuses se contentaient d’allumer des bougies et de prier, mais n’apportaient rien ; cela semblait déplacé de le faire, alors que la nuit d’après, elles seraient de nouveau à la poursuite de la créature. Cette fois-ci, Löwen descendit de Freyja, et se dirigea vers l’élément central de l’autel, celui avec la gravure. Juste en dessous, gravées dans la pierre, étaient quelques phrases qui, à chaque lecture, étaient plus douloureuses et réelles qu’à la précédente.
Sie wird bis zur letzten Stunde kämpfen,
Bis sein Chaperon und sein Herz
Vom Feind
Angenommen werden.
Elle se battra jusqu’à la dernière heure,
Jusqu’à ce que son Chaperon ainsi que son cœur,
Par l’ennemi
Soient pris.
Ce sermon s’était malheureusement prouvé vrai pour toutes les femmes de la première branche de la famille, sans exception. Il ne savait si ce elle deviendrait un jour il, seul le temps en serait témoin, mais jamais auparavant n’avait-il autant ressenti le besoin de briser cette tradition familiale funeste qu’en ce jour. Silencieusement, pour sa sœur, et sa mère, plus que pour lui ou le village, il s’agenouilla sur la pierre froide et humide de neige, joignit ses mains, et imita la dizaine de villageois présents en priant.
Dhea déambulait entre les maisons à pas lents, observant l’agitation de ceux qui préparait les festivités à venir dans l’après-midi et prolongées jusque tard dans la nuit. Elle sourit à une petite fille qui nouait des rubans blancs autour des piliers qui soutenaient sa hutte. Sa mère, Ilse, tricotait tranquillement à l’intérieur, la porte ouverte pour garder un œil sur sa fille, et sourit poliment à Dhea en la voyant passer. Cela faisait du bien d’avoir la confirmation que tout le monde ici ne la détestait pas.
Sur chaque palier, des têtes de loups en bois massif étaient placées sur des bords de fenêtres, des chaises ou des tables, démontrant leur respect et dévotion à la créature qu’on appelait Grand Méchant Loup dans toutes les histoires pour enfants. En comparaison, c’était comme si de là où elle venait, ils se mettaient à célébrer Fenrir. Elle savait que quelques tribus recluses dans les montages le faisaient, mais sa mère l’avait toujours mise en garde contre elles, et lui avait toujours dit d’en rester loin. Pourtant, elle se trouvait dans le seul village du pays qui suivait cette tradition.