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Nous sommes à Lyon, pendant l’occupation allemande. Depuis la fin de l’année 1942, il n’y a plus de zone libre, car la Wehrmacht a franchi la ligne de démarcation pour se protéger du débarquement allié en Afrique du Nord. Le gouvernement de Vichy du maréchal Pétain, quant à lui, est dirigé à nouveau par Pierre Laval, et sa collaboration avec Hitler et les Allemands est renforcée. S’ensuit alors une année désastreuse pour les résistants, à Lyon comme partout ailleurs. Suivez Vincent et ses amis, engagés à résoudre plusieurs énigmes pour résister aux Boches, sauver des juifs, démasquer des collabos et abriter des résistants.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Fils d’un résistant lyonnais,
Paul Durand lève sa plume en hommage à son père dans
Le diable mène le convoi… Ayant côtoyé les compagnons d'armes de son papa et écouté leurs exploits, il crée ses énigmes et nous entraîne au cœur d’une aventure policière fort palpitante.
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Seitenzahl: 211
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Paul Durand
Le diable mène le convoi…
Roman
© Lys Bleu Éditions – Paul Durand
ISBN : 979-10-377-6607-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À la gloire de mon père,
et à ses amis résistants.
Illustrateur : Michel Durand
Avertissement
Ce livre est un roman policier avec ses victimes et ses enquêteurs. Le scénario se passe à Lyon pendant l’occupation allemande. Il n’y a plus depuis fin 1942 de zone libre puisque la Wehrmacht a franchi la ligne de démarcation pour se protéger du débarquement allié en Afrique du Nord.
Le gouvernement de Vichy du maréchal Pétain est dirigé à nouveau par Pierre Laval, et sa collaboration avec Hitler et les Allemands est renforcée. Les pratiques politiques et économiques se durcissent : rafles anti-juives, Service du Travail obligatoire (STO), instauration d’une milice pour poursuivre les résistants au régime et s’opposer aux maquis ; tout en collaborant davantage avec les occupants et la guerre qu’ils mènent pour promouvoir une nouvelle Europe et un nouvel ordre.
Le contexte historique est posé : les lieux connus et les personnages sont réels.
Le reste est une fiction et ignore la réalité.
Vous voilà donc rassurés, les personnages sont vrais et le décor aussi. Mais tout à coup, tout devient fiction et je vais faire appel à vous pour construire l’histoire et solutionner les énigmes des intrigues avancées. À une époque où la police est parfois partisane, vous serez les enquêteurs. Attention de bien repérer les indices pour trouver les solutions aux énigmes posées. Ne vous trompez pas, car vous pourriez renverser le sens de l’Histoire et devoir rendre des comptes à la postérité. Ces affaires sont graves et vous pourriez même être accusés de diffamation. Rassurez-vous, la plupart des personnages ont heureusement disparu pour les uns et malheureusement pour les autres.
Alors, vite, plongez-vous avec moi, dans ce mystérieux passé lyonnais. Bonnes enquêtes !
Lyon, le 1er mai 1943
Cher ami,
Lorsque vous lirez cette lettre, soyez discret, car nous avons beaucoup de tâches à accomplir et le danger est de plus en plus grand. Vous qui avez pris tant de risques pour fuir, connaissiez-vous ma belle ville de Lyon avant-guerre ? Admirablement située entre les Alpes et les Monts du Lyonnais, baignée par les eaux du Rhône et de la Saône, blottie sous les collines de Fourvière et de la Croix-Rousse, la ville fut celle des Romains au temps de Lugdunum, puis des premiers chrétiens, de l’archevêque au Moyen Âge. Ville frontalière de l’Empire, elle est florissante grâce à ses foires. Les guerres de religion à la Renaissance feront fuir les marchands banquiers étrangers mais Lyon se redressera avec sa principale richesse : le travail de la soie. Ville de religion, ville de sciences, ville de culture, au XIXe siècle, la bourgeoisie lyonnaise se relèvera des heures révolutionnaires des Canuts, ouvriers de la soie qui sont descendus de la Croix-Rousse pour crier leur misère. Située loin du Front, la Grande Guerre ne l’aura pas trop ruinée. Si bien qu’en 1940, Lyon est prospère, catholique et secrète. Voyez-vous, Lyon n’appartient à personne sinon aux Lyonnais ! Alors, l’an passé fin 1942, pour mes 18 ans, je n’ai plus supporté le retour des Boches. Déjà choqué par la lâcheté de Pétain et de son Armistice en 40, il faudrait désormais « collaborer », fermer les yeux sur les rafles anti-juives, accepter de partir travailler en Allemagne, supporter les crimes des nazis et de la Milice… Tout me dégoutte ! J’ai donc décidé et je vous en informe aujourd’hui, qu’ici, à Lyon, dans ma belle ville, je vais résister et lutter contre l’occupation allemande, contre Pétain le laquai d’Hitler, contre sa milice et ses collabos. Leurs ennemis seront mes amis. Alors, vous qui avez fait ce long chemin depuis chez vous, rejoignez-moi, rejoignez-nous, car pour retrouver nos libertés, il vous faudra du courage. Je compte sur vous !
Vincent
P.S : Méfiez-vous du préfet Angeli ; c’est le diable !
Figure 1 : Salons de la préfecture
Mai 1943
Mardi 1er juin, à la une du Nouvelliste de Lyon, le journal politique local, les autorités municipales apportent un démenti à la rumeur qui enflait depuis hier :
« Non, malgré la rumeur qui s’est propagée, le préfet n’est pas mort, l’information est erronée. La ville de Lyon est rassurée. Il sera dès aujourd’hui, à la préfecture, et recevra cet après-midi monsieur René Bousquet, secrétaire général de la police du maréchal. »
J’avoue que tout ce qui est écrit dans la presse ne correspond pas du tout à ce que j’ai vu et entendu ce soir-là, car ce dimanche 30 mai 1943, aussi surprenant soit-il, j’étais bien présent dans les locaux de la préfecture. J’ai vu de mes propres yeux, le préfet Angeli assassiné dans des conditions très mystérieuses.
Je dispose désormais pour reconstituer les évènements, d’indices qui pourtant ne me permettent pas de formuler une explication totalement satisfaisante. Aujourd’hui jeudi 3 juin 1943 seulement, soit trois jours plus tard, me voilà en mesure d’expliquer le cours des évènements.
Je vais vous expliquer cette affaire mystérieuse et vous récapituler d’abord les éléments tels qu’ils ont été établis par mon enquête puis, je vous exposerai les hypothèses qui apparaissent, enfin, je ferai appel à votre jugement pour solutionner cette énigme. Soyez attentif, car le moindre détail aura son importance.
***
C’est une grande joie pour moi, de vous accueillir ce soir à la préfecture pour cette cérémonie. Au-delà de cette émotion, en tant que préfet de région, ce sera l’occasion de vous informer des nouvelles directives qui me sont communiquées par monsieur Pierre Laval, chef du gouvernement à l’ensemble du territoire français, au nord comme au sud, puisque comme vous le savez, la zone libre n’existe plus depuis le onze novembre dernier.
Les directives du président Laval, sur injonction des Allemands, consistent à renforcer le rôle de la Milice et donner des instructions pour déplacer les juifs étrangers, pour resserrer la surveillance contre les terroristes résistants, pour couper les transmissions avec les maquis proches de nos territoires, pour améliorer la collaboration avec les autorités allemandes et enfin pour mieux planifier les départs pour le service du travail obligatoire (STO) lesquels, de toute évidence, ne fonctionnent pas encore correctement.
Presque tout est dit par le préfet et alors que l’assistance l’ovationne, je me tiens debout au pied de l’estrade, un peu sur le côté et fait semblant d’applaudir.
L’assistance est nombreuse et nous nous serrons les uns contre les autres.
— Bonjour Raoul, lançais-je discrètement à mon voisin qui se trouve un peu à ma gauche et qui tente de se rapprocher en jouant des coudes.
— Salut, Vincent, me répondit-il en baissant un peu le ton malgré le bruit des acclamations. Puis il ajoute :
— Au cœur de la fourmilière ?
Je lui réponds par un petit sourire de connivence et je tente d’apparaître parfaitement peu concerné par sa remarque.
Pendant que le préfet poursuit son discours, je fais une petite place à Raoul à côté de moi.
Il est sensiblement de ma taille, environ un mètre soixante-dix, mais d’une carrure plus puissante que la mienne. Malgré les restrictions, il a de bonnes joues. Il a les épaules carrées sous son costume de lin beige clair et on a l’impression qu’il a conservé le cintre du placard.
Ses cheveux gominés, peignés vers l’arrière sont bien noirs. Il pourrait bien avoir des ancêtres espagnols. Je ne connais pas son nom mais seulement son pseudo « Raoul ».
Comme moi, il n’a pas été invité à cette réunion du gratin lyonnais et nous avons tous les deux, réussi à nous incruster grâce à certaines connaissances. Pour lui, il s’agit d’un religieux du diocèse, et pour moi, d’organisateurs des chantiers de jeunesse du groupement Bournazel.
Tout près de son oreille pour ne pas être entendu je lui susurre :
— J’ai l’impression qu’on va connaître des détails bien intéressants pour nos amis.
— Ce n’est pas certain que l’on puisse dès ce soir, connaître où, quand et comment ? me répondit-il.
Alors que le préfet poursuit son allocution, je songe aux vraies raisons de notre présence à cette cérémonie et aux directives qui nous ont été données pour y assister :
« Vincent, m’a dit un responsable des Forces unies de la jeunesse (FUJ), vous devez tout faire pour savoir ce qui se trame dans les prochaines semaines et pouvoir ainsi nous mettre à l’abri. »
Celui qui me donne ces ordres, le fait de la part d’un grand chef de la Résistance que je ne connais pas et qui actuellement est incarcéré à la prison Saint Paul. Un certain « Alban ».
Je n’ai pas encore dix-neuf ans mais cette mission délicate m’est apparue comme un acte de bravoure qui dépassera mes habituelles fonctions de « boîte aux lettres ». Je suis prêt à passer à la vitesse supérieure.
Pour Raoul encore plus jeune que moi, je sais qu’immédiatement il s’est proposé dans cette action d’espionnage au service de la Résistance lyonnaise.
Notre jeunesse est un atout pour ce genre d’action, car personne ne semble nous connaître et en cette période trouble de l’occupation, les jeunes aventuriers ne manquent pas, y compris dans les milieux de la collaboration.
Je me concentre à nouveau sur ma mission et écoute attentivement les propos du discours du préfet. Celui-ci est d’allure sinistre. Il est grand et plutôt maigre, semble engoncé dans son uniforme. On ne voit de lui, derrière son pupitre, presque exclusivement que sa casquette aux lauriers dorés entrelacés et au centre, la francisque, sorte de hache gauloise revisitée par le maréchal Pétain. Lorsqu’il baisse la tête pour lire ses notes disparaissent ses yeux noirs. Alors sous la casquette, vibre une grosse moustache noire digne de Vercingétorix ou tout du moins, de l’image que je m’en fais. C’est alors que ses mains gantées de blanc prennent le relais et apportent une touche macabre au personnage. Au moment où il précise les consignes données à la police pour « rafler » les juifs étrangers, c’est-à-dire les juifs venus en France après 1936, instinctivement mon regard se porte sur le cardinal Pierre Gerlier dont chacun se souvient de son refus de donner les enfants juifs. Je ne l’avais jamais vu en chair et en os et ne savais pas quoi penser de son attitude ambiguë vis-à-vis du régime de Vichy.
À soixante-trois ans, il est imposant dans sa grande aumusse en fourrure avec sur la tête, une barrette de soie moirée rouge qu’il enlèvera pour laisser apparaître une calotte rouge sorte de petite coiffe ronde recouvrant son crâne tonsuré.
Sur sa chape, le fascia rouge de cardinal, sorte de ceinture portée fièrement au-dessus du ventre. Chez Pierre Gerlier, le ventre est imposant, même en ces temps de restrictions alimentaires. Sa taille imposante et ses habits semblent réduire sa tête, placée tout en haut, comme notre dame de Fourvière surplombant la colline !
Son visage pourtant n’est pas rond mais osseux avec un menton proéminent et avec un sourire qui semble permanent. La tête tenue bien haute fait briller la croix en or placée au-dessus de la ceinture. Il se tient droit avec arrogance et on ne peut savoir s’il s’agit d’une rebuffade ou d’une allégeance. C’est vrai qu’il a été successivement avocat, officier militaire et ecclésiastique ; des fonctions où l’attitude est remarquée.
À quoi pense-t-il à cet instant ? A-t-il des griefs à adresser au préfet qu’il commence à connaître ? Il sait que comme lui, il est un rouage de la politique du maréchal, mais il sait aussi qu’à Lyon, il est garant de la moralité et de la spiritualité du diocèse. Comment à la fois ne pas renier l’État et en même temps, sauver des vies humaines ?
Est-il là ce soir pour réussir ce choix cornélien ?
À ses côtés se trouvent plusieurs religieux. Il n’y a plus l’abbé Pierre Chaillet que je connaissais de vue et qui a été arrêté depuis quelques mois par la Gestapo et qui désormais, est assigné en résidence surveillée pour avoir voulu secourir ces populations étrangères juives. Parmi les prêtres, je remarque désormais proche du Prélat, un homme d’environ trente-cinq ans, doté d’un grand front et de petites lunettes, un prêtre en soutane noire.
— Qui est-ce ? demandais-je à Raoul.
— C’est Camille Folliet, je l’ai croisé un jour, alors qu’il protégeait deux jeunes insoumis du STO en leur permettant de fuir vers le maquis de l’Ain. Actuellement, il loge dans la résidence d’été de Gerlier à Sainte-Foy. Je suis étonné de le voir ce soir, car je croyais qu’il avait été repéré par la police.
— Il doit sûrement venir aux nouvelles, lui aussi, pour prendre autant de risques. Tu ne crois pas ?
— Oui, comme nous. Sauf que personne ne nous connaît et qu’on ne vient pas faire les mêmes emplettes… Je suis certain qu’il prendra tous les risques pour mettre au vert les petits gars réfractaires du STO.
Discrètement, je le regarde. C’est un homme encore jeune. Sous sa soutane sombre, il est svelte et se tient bien droit. Derrière ses petites lunettes rondes, son regard est à la fois pétillant et perçant. Il semble relever avec ironie les mots du préfet. Il porte une vision distante et presque méprisante sur l’assemblée, puis semble individualiser son regard en jugeant et défiant chacun des protagonistes. Je ne sens pas chez lui, la moindre crainte et pourtant s’il se fait repérer, presque personne ce soir-là ne lui pardonnerait ses actions de survie passées auprès des juifs.
Le cardinal Gerlier est assis sur un canapé et les prêtres qui l’accompagnent sont debout derrière lui. À leurs côtés se trouvent l’abbé Jean-Marie Villot originaire du Puy-de-Dôme et des prêtres de la Jeunesse ouvrière chrétienne. Tous écoutent « religieusement » les paroles du préfet. Je ne peux résister à avoir une pensée ironique sur son nom : « Angeli ». Pour un collabo qui prêche devant les envoyés de Dieu, c’est cocasse ! Derrière eux se trouvent les grandes baies vitrées qui donnent sur le Rhône. À travers elles, en ce quatrième printemps de guerre, on perçoit que le ciel s’assombrit annonciateur de la fin de la journée. Dehors le soleil s’incline derrière la colline, l’ouest s’embrase de pourpre et d’or qui se réfléchissent dans les bras du fleuve.
Du même côté de la salle, mais en se rapprochant du fond, debout, ce sont les Allemands et leurs acolytes français de la Milice.
Incognito et placé derrière un pilier, le fameux Francis André dit « gueule tordue » dont j’ai entendu parler. On dira de lui qu’il était la brute aux nombreuses victimes. Il est laid avec la trace de son hideuse paralysie faciale qu’il cache derrière le col monté de son pardessus. Son œil gauche est exorbité et semble rechercher au-dessus des sourcils, sur le front, une immonde cicatrice.
— Je ne le connais pas mais je pense que c’est lui ? dis-je à Raoul.
Celui-ci, ne l’avais pas vu et surpris, il fait un pas en retrait et me murmure :
— À la fin de la réception, il ne faudra pas traîner, ni même nous faire remarquer. Tu as vu la collection ? Nous sommes dans l’antre de Méphisto. À la gauche du démon, c’est Lecussan, je l’ai vu un jour sortir des bureaux de la Milice rue de la République. C’est un antisémite et un anticommuniste forcené qui aurait frayé avec la Cagoule. Lui aussi semble une brute épaisse avec son visage carré, sa moustache plongeante et son costume rayé trop étriqué.
Là-bas, au fond de la salle, il n’y a pas que Francis André et joseph Lécussan, à côté d’eux, René Cussonac l’intendant Régional de la police, un proche de Pétain et un acharné pour poursuivre les « terroristes ».
— La police au service du préfet, je comprends mais que vient faire la Milice à cette réunion ?
Raoul, toujours au courant, m’affirme :
— Ils viennent épauler la Gestapo et impressionner le préfet Angeli, jugé à leurs yeux, pas suffisamment expéditif. Et surtout la Milice commence à infiltrer l’administration. Le préfet a du souci à se faire !
— Touvier n’est pas là ?
— Si, regarde, il est assis au premier rang ; ça ne m’étonne pas, il veut toujours se faire remarquer !
Effectivement, je l’aperçois désormais. Je suis situé de telle façon que je ne vois que son profil. Il est assis les jambes croisées en complet rayé gris clair. Sous le gilet se dévoilent une cravate beige en soie et une chemise blanche de bonne qualité. Il est très élégant et on imagine son goût pour les belles choses. L’écusson gamma de la Milice est attaché à sa boutonnière. Il semble confiant et appliqué à scruter le préfet, comme le ferait le chasseur devant sa proie. Il ne laisse pas apparaître ses sentiments même lorsque ce dernier reproche aux miliciens dans son discours, de ne pas toujours être très motivés pour acheminer le convoyage des jeunes des classes mille neuf cent vingt et mille neuf cent vingt et un, au départ des gares de Perrache et des Brotteaux. Un instant, il se tourne légèrement de mon côté puis se fige de nouveau. Seul son index droit malaxe son alliance portée à l’annulaire de la main gauche. On dit qu’il a épousé une prostituée. C’est vrai qu’il n’est pas dénué de charme. Il est châtain clair, les cheveux coupés court sur les côtés avec une houppe un peu plus épaisse au-dessus du front. Il ne ressemble pas aux brutes qui l’entourent dans les bureaux de la milice, impasse Cattelin, une ruelle proche de chez moi, derrière l’église d’Ainay. Contrairement à eux, lui est jeune et froid d’apparence.
Mon regard se porte à nouveau sur le fond de la salle, devant la Milice et ses figures terribles, encore plus effrayante, la Gestapo. La police secrète dévouée à Hitler compte ici, plusieurs types que je ne connais pas.
Observant mon regard et devançant mes questions, Raoul me dit tout bas :
— De gauche à droite, Barthelemus Welti puis Knab et caché derrière eux, Barbie le boucher de Lyon, celui de la rue Sainte-Catherine en février.
Je fixe ce dernier, tristement connu pour sa participation à la rafle, juste derrière la place des Terreaux. Quel sinistre personnage ! pensais-je à cet instant. Que sont devenues toutes ses victimes ? Alors que je l’observe, Barbie lève le nez. Et ses yeux, ses yeux bleus et froids se posent sur moi. Oui, sur moi et sur mon voisin Raoul. Je le fixe avec dégoût et découvre chez lui, une sorte de cruauté naturelle, un semblant d’ironie sur son visage, associé avec un regard perçant et déterminé.
J’essaie de deviner ses pensées et je suis effrayé par le trajet de ses yeux qui se déplacent maintenant du groupe des religieux vers le préfet Angeli. J’ai l’impression qu’il scrute le prêtre Camille Folliet comme s’il semblait le reconnaître. En même temps, j’ai le sentiment qu’il fixe sa proie et calque les réactions du curé sur les propos du préfet. Il me semble également plein de dédain à l’égard du haut fonctionnaire. Peut-être que je me fais des illusions, car hormis les yeux, rien ne bouge sur son visage.
— Vincent, regarde, il y a aussi d’autres Allemands !
— Où ça ?
— Au fond, devant le buffet.
En effet, trois militaires allemands au fond de la salle surveillent martialement l’assemblée. Ce sont des Ukrainiens de la Waffen-SS. Ils ont sur la casquette une tête de mort et sont vêtus d’uniformes kaki. De sinistre réputation, ils rentrent de Kharkov sur le front de l’Est sur ordre d’Heinrich Himmler leur chef. Ils sont en quelque sorte en convalescence psychologique. Sont-ils là, ce soir, pour faire un mauvais coup ? Je sais qu’Angeli leur déplaît suite à sa protestation officielle contre l’invasion de novembre dernier. Ont-ils un plan pour s’en débarrasser ?
Près d’eux, sont alignés d’autres officiers avec les mêmes idées mais appartenant à des services concurrents, la police secrète d’État, la Gestapo avec leurs casquettes martiales et leurs culottes de cheval bouffantes rentrées dans leurs grandes bottes cirées. Sur la manche, le brassard nazi avec la croix gammée.
Je me hasarde auprès de Raoul :
— On dirait qu’ils ne s’apprécient pas.
— C’est un peu ça, chacun essaie d’impressionner les autres. Tu peux être certain que tous détestent les juifs, les communistes et peut-être même les hommes de Pétain. Ce qui est sûr c’est qu’ils haïssent le préfet.
Sous cet aspect, je perds un peu mes références. Pour moi, il y avait les Boches, les traîtres et nous. Apparemment c’est un peu plus compliqué.
Mon regard après avoir fait le tour de la salle dans le sens des aiguilles d’une montre, termine sa course sur le côté est, où trois soldats surveillent les trois portes d’entrée. Ils sont à l’intérieur, placés chacun dans l’entrebâillement. Ils sont en tenue militaire, arme au poing. En l’occurrence il s’agit d’un fusil. Ils sont vêtus de la veste verte, deux poches sur les hanches, deux autres sur la poitrine. Le col fait ressortir les deux barrettes dorées et sur la poitrine à droite, je reconnais l’insigne de la Wehrmacht avec l’aigle stylisé au-dessus de la croix gammée. Les épaulettes sont tressées et sobres. Avec le ceinturon et les bottes cirées, ils impressionnent. On ne voit que leurs yeux, car le casque est bien enfoncé sur la tête et la jugulaire remonte leur menton. Ils n’ont pas l’air concerné par le discours du préfet. Je crois que leur rôle est de montrer aux autorités françaises qu’ils sont les maîtres et que Lyon, en ce mois de mai 1943, est bien une ville occupée.
Assis sur des chaises, face à la tribune, restent tous les Lyonnais invités. Au premier rang à côté de Touvier, le nouveau maire Pierre Louis André Bertrand. Il est membre de l’Action française et dirigeant de la Légion française des combattants, ancien chirurgien et sans expérience politique lorsqu’il est nommé par Vichy, il ne fera pas d’ombre.
À ses côtés est assise sa conseillère municipale, Jeanne Chevenard. Je ne la connais pas.
Comme s’il lisait dans mes pensées, Raoul, avec un coup de menton dirigé vers elle, me dit :
— Anticommuniste enragée !
Ce n’est pas la seule femme de l’assemblée. Au second rang se trouvent les infirmières, presque toutes de bonnes sœurs de la congrégation de Saint-Vincent de Paul avec leurs grandes cornettes blanches. Elles viennent des hôpitaux tout proches de la préfecture : ceux de Saint-Luc sur les quais du Rhône et de Saint-Joseph juste derrière. Il y a peut-être même à leurs côtés, des infirmières du Grand Hôtel-Dieu lui aussi tout près mais situé sur la presqu’île de l’autre côté du fleuve.
De là où nous sommes, leurs grandes cornettes déployées comme des ailes de papillon, nous masque le buffet dressé juste derrière elles.
Interrompant mes pensées, le préfet poursuit ses consignes auprès du recteur :
— Vous voudrez bien prendre toutes les dispositions pour que cessent les provocations de certains lycéens comme les « V » de plus en plus nombreux, retrouvés sur les tableaux noirs de nos professeurs ou encore les croix juives avec au centre l’inscription « l’Auvergnat » trouvées de plus en plus fréquemment dans les toilettes de nos établissements et qui déshonorent l’état français.
À ce moment, je ne peux m’empêcher de lancer un regard à Raoul qui baisse la tête pour ne pas montrer un sourire.
Puis, je me concentre sur le personnage interpellé. Entre les deux rangs, comme s’il voulait se distinguer des autres membres du conseil municipal, il s’agit du recteur Gau.
— C’est une grosse tête pas trop copain avec le ministre Abel Bonnard.
Cette fois, je suis fier de l’apprendre à Raoul qui l’ignorait.
— Vincent, comment tu sais ça ?
— Parce qu’il est académicien. J’ai lu un livre de lui sur la Chine. Depuis, il est devenu un des « ultras » de la bande à Pétain. Tu ne trouves pas qu’il ressemble à Einstein ?
— Le prix Nobel de physique ? Tu exagères, ils n’ont pas le même coiffeur !
— Ce qui est certain c’est qu’il a été très vexé par le discours sur les « V » de la victoire et les reproches sur les étoiles au nom de l’auvergnat Laval. Je pense qu’il lui en tiendra rigueur pendant longtemps. Regarde, il est encore tout blanc ! Voilà encore un ennemi pour Angeli.
Proche de nous, un homme entre deux âges semble lui aussi gêné par la remarque du préfet à propos de l’étoile juive. Je l’ai vu baisser et hocher la tête, souffler puis croiser les bras en signe de désapprobation. Je n’ai pas le temps de voir son visage, car il est de profil et à l’instant, il vient de se rapprocher de la porte et il disparaît de ma vue, masqué par la foule. Peut-être un représentant de la communauté juive ?