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La nouvelle vient d’éclater au grand jour : les esprits élémentaires se meurent. Privé de ses guides, le monde est sur le point de plonger dans un chaos sans précédent. À l’ouest, les elfes tirent profit de la guerre intestine sévissant dans le royaume des hommes pour mobiliser leurs troupes en vue d’une invasion. À l’est, sous ses montagnes, le Conglomérat nain fomente de funestes projets afin d’asseoir sa domination sur ses rivaux. Partout sur terre, la crainte d’un conflit généralisé se fait durement sentir.
Au même moment, de l’autre côté de la barrière de l’entre-deux-mondes, les âmes défuntes tombent une à une sous l’emprise de l’Éternelle Nourricière qui menace de faire revenir d’entre les morts les horreurs d’une époque révolue.
Cinq aventuriers vont être entraînés à leurs dépens dans une quête insensée pour éveiller le Druide, enfant des forces célestes et des peuples premiers, dont les pouvoirs uniques pourraient permettre de rétablir l’ordre du monde. Ensemble les compagnons, que rien ne réunissait pourtant, devront faire face à tous les dangers afin de rallier à leur cause les nations d’ores et déjà lancées sur le sentier de la guerre.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Hector Devillaire s'adonne à l’écriture depuis ses 15 ans sur différentes plateformes : forums roleplay, jeux vidéo en ligne, ou jeux de rôle sur table. Son enfance, ainsi que son adolescence, ont été bercées par les univers fantasy de tous types. Cela a développé très tôt son imagination et fait germer en lui ce qui deviendra quelques années plus tard son propre univers fantasy.
Perfectionniste et rigoureux grâce à l’éducation musicale qu'il a reçue et la pratique instrumentale qu'il poursuit, il s'est lancé en 2020 dans l’écriture d’une œuvre qui, il l’espère, transportera toutes sortes de lecteurs. À l’instar d’un morceau qu'il composerait, il travaille sa technique d’écriture en attachant une importance particulière à la musicalité des mots, au rythme des phrases, et à l’enchaînement des paragraphes, qu'il veux les plus fluides possible. Il souhaite de cette manière offrir à ses lecteurs une lecture mélodieuse afin de mieux les immerger au centre d’un récit qu'il construit avec passion. Depuis plusieurs années, il consacre ainsi tout son temps libre à donner vie aux personnages qu'il a créés et qu'il compte amener au bout de l’aventure qu'il leur a imaginée.
Le plaisir d’écrire, l’envie de raconter des histoires, mais également le désir de créer des univers, sont ce qui le motive tous les jours et qui le pousse à aller de l’avant sans jamais manquer d’imagination.
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Seitenzahl: 263
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Hector Devillaire
Le Druide
Les Vents
du
Présage
Tome I
Éditions des Tourments
Sur la base des rapports d’études traitant de l’anthropologie de notre monde, il m’a été possible d’identifier de quelle manière les divergences d’interprétation du Lien, ainsi que ses variantes dénominatives, ont amené les nations à s’éloigner progressivement les unes des autres. J’ai pu, en consultant notamment les ouvrages antédiluviens tels que Le toit du monde ou L’essor de la conscience céleste (qui ont été de formidables sources d’informations), répertorier trois branches majoritaires de la foi, chacune ayant joué son rôle dans la reconstruction spirituelle des peuples qui ont réchappé du Grand Clivage.
Commençons tout d’abord par la branche originelle. Prédominante chez les hommes, elle considère les esprits comme les maîtres de toutes choses et les place au-dessus des lois terrestres. Je pourrais d’ores et déjà arrêter là mon exposé, car ce précepte résume à lui seul les bases de cette croyance. Mais ce serait alors passer outre ce qui fait toute sa spécificité, à savoir sa pratique religieuse unificatrice, quoique rigoriste. Celle-ci s’est inscrite dans les mœurs humaines au fil de l’Histoire, et a même franchi les portes de la politique lorsque, sous le règne du roi Moldomert, des versets sacrés ont été incorporés dans les textes de loi. À ce jour, la branche originelle jouit d’une emprise et d’une influence fortes sur toute la Varélie.
Vient ensuite la branche traditionnelle, instaurée par les elfes au terme de l’âge transitoire – aussi surnommé l’âge léthargique. Cette longue période d’accalmie, au cours de laquelle les nations ont cessé de se faire la guerre, a été profitable aux elfes qui jusqu’alors n’avaient pas pris conscience du pouvoir qui prospérait dans les forêts d’Ombreciel. Cette branche est globalement similaire à la précédente, si ce n’est qu’elle déifie les esprits en les envisageant non pas comme des êtres supérieurs, immortels et impénétrables que l’on importune de prières, mais comme des semblables un peu plus exceptionnels qui ont ajouté leur pierre à l’édifice colossal que constitue notre univers. À ce titre, les adeptes les traitent avec le plus grand respect.
Dans un même temps, tout droit issue des profondeurs labyrinthiques de l’Ungrid, émerge la branche pragmatique ; une pensée novatrice et anticonformiste qui, en une décennie seulement, a conquis le cœur de la montagne et bouleversé la culture de ses habitants. Cette branche si particulière s’est imposée d’elle-même face à ses concurrentes, à la suite des nombreuses crises politiques et religieuses qui ont sévi au XI ͤ siècle dans le royaume des nains. La victoire écrasante du Conglomérat d’Alaric sur la monarchie jadis en vigueur, ainsi que les importants changements sociaux qui s’en sont suivis, l’ont fait croître de manière exponentielle, au point qu’elle devienne aujourd’hui la croyance la plus influente. Très critiquée par ailleurs, la branche pragmatique s’oppose fermement à la doctrine dominante actuelle. Elle redéfinit les préceptes clés, infléchit la liturgie au goût du jour, et réorganise l’ensemble des structures mises en place pour davantage concorder avec les intérêts, essentiellement financiers, du Conglomérat.
Iorl l’érudit, Les chaînons invisibles du Lien
Le clocher d’Aldor résonna de mille sons dans toute la capitale. Trois cavaliers aux armures miroitantes furent aperçus depuis les murailles, chevauchant la côte au triple galop et zigzaguant adroitement entre les pierres de granit qui jonchaient la plage. Leurs montures, immergées dans l’eau jusqu’aux canons, haletaient et hennissaient : l’air salé de la mer, conjugué à leur course effrénée dans le sable mou, les avait assoiffées.
Après avoir dépassé un gigantesque rocher escarpé au-dessus duquel riait un groupe de mouettes, les cavaliers bifurquèrent sur une route en pente qui quittait le rivage. Ils la grimpèrent à grand-peine, puis coupèrent par les prairies qui bordaient les remparts, jusqu’à atteindre un pont-levis. Lorsqu’ils furent à bonne distance des sentinelles postés au sommet des tours de guet, le cavalier en tête de file cria son nom. Les archers baissèrent aussitôt leurs arcs. Un jeune guetteur, plus alerte que ses camarades, remarqua que le meneur tirait derrière lui le destrier monté par un autre chevalier, aux mains ligotées.
— Baissez le pont !
Tels des forcenés, les sentinelles descendirent l’escalier donnant accès au chemin de ronde, puis, quelque cinquante pieds plus loin, gravirent l’estrade en bois où trônait un treuil massif.
— C’est qui, à l’arrière, ç’ui qu’est attaché ? demanda un soldat.
— J’en sais foutrement rien, répliqua celui d’en face. Juste ciel, aide-moi à tirer !
Le pont s’abaissa lentement. Les cavaliers franchirent l’énorme voûte en pierre de taille qui encadrait la herse, puis traversèrent le pont-levis qui surplombait les douves. Une fois en ville, ils se frayèrent un chemin à travers les rues bondées d’habitants et de marchands criards, manquant plus d’une fois de piétiner des gamins perdus dans la foule.
Clavius, le maréchal, les attendait de pied ferme devant la caserne.
— Qu’a-t-elle encore fait ?
— Nous l’avons surprise en train de paresser près d’un étang, au pied de la colline. Quand nous l’avons rappelée à l’ordre, elle n’a pas daigné reprendre son poste.
— Faites-la descendre, grogna-t-il. Je me charge du reste.
Les deux hommes conduisirent leurs chevaux dans leurs stalles respectives. Ces derniers, épuisés d’avoir parcouru plus de la moitié de la Nouvelle-Castrie en une seule demi-journée, se laissèrent docilement emmener.
— Vous me décevez, Erin, siffla Clavius en détachant furieusement la corde des poignets de la femme. J’exige des explications.
Le maréchal toisa de la tête aux pieds la cavalière ligotée qui ne pipait mot, puis soupira. L’air méprisant qu’elle prenait en disait long sur sa disposition à parler.
— Vous ne voulez pas ouvrir la bouche ? Eh bien ! Soit ! Je vais devoir sanctionner votre comportement, une fois encore. Vous serez de corvée à l’écurie. Et au vu du temps que vous y passez ces jours-ci, j’ose espérer que le bois sera éclatant et que les chevaux dormiront sur un lit de fleurs.
— Ce sera fait, répondit-elle effrontément, attendant, sourire en coin, que Clavius fasse demi-tour.
À l’entrée de la ville, le reste de la cavalerie rentra de mission. Celui-ci, comme toujours lorsque l’armée du roi foulait les rues de la ville, fut accueilli sous les haies d’honneur et les acclamations du peuple. Malgré la fatigue qui se faisait sentir, les cavaliers ne firent pas de manières et rendirent les bénédictions de gloire, de bonheur et de richesse qui leur furent lancées. Telle était leur ligne de conduite après tout ; la même ligne de conduite qui, entre autres, leur dicta de distancer leurs écuyers pour les laisser profiter à leur tour de ce petit bain de foule.
Lorsqu’ils furent à l’abri des regards, ils ne perdirent pas de temps en bavardages. Au lieu de cela, ils pressèrent leurs chevaux à coups de talonnades afin de regagner au plus vite les quartiers militaires. Là-bas déjà se répandait un récit peu flatteur à propos d’une nouvelle recrue au caractère de feu. Une jeune femme qui, apparemment, avait fait preuve de désobéissance en pleine mission. Certes, l’épisode en question s’était déroulé en temps réel devant leurs yeux, mais ils étaient des soldats, ni plus ni moins, et les querelles de caserne avaient pour eux autant d’importance que l’annonce d’une promotion au sein du régiment. C’est pourquoi ils ne voulaient pas en perdre une miette.
Pendant ce temps, Erin, laissée pour compte, s’employait à transporter l’eau de l’écurie à la fontaine. Elle était d’une humeur particulièrement massacrante, pestant tous les deux pas, car la palanche pesait lourd sur ses épaules, ce qui ralentissait son allure. Et, par-dessus le marché, la chaleur l’accablait. Elle s’autorisa alors une courte pause, et cela tomba à point nommé, puisqu’à quelques pieds d’elle se dressait un grand chêne qui lui faisait de l’œil.
Sans plus tarder, elle posa la palanche et se réfugia sous l’ombre de ses vertes feuilles. Mais alors qu’elle s’apprêtait à s’asseoir contre son tronc, sa nuque heurta quelque chose de froid et d’anguleux. Elle leva la tête et, surprise, constata qu’elle s’était en fait assise sous une vieille statue d’un peu plus d’une toise de haut, abandonnée aux lierres et aux touffes d’herbes qui perçaient à travers chacune de ses brèches. Comment n’ai-je pas pu m’en rendre compte ? se demanda-t-elle.
La statue était, ou du moins semblait être, à l’effigie du roi Crocs-d’acier. Elle le représentait debout sur une montagne de ruines, l’épée majestueusement pointée vers le ciel ; une posture victorieuse qui rappelait de quelle manière le roi avait remporté vingt-six ans plus tôt la bataille du siège d’Aldor, le royaume des hommes. Les histoires relatant cette bataille se comptaient par centaines, si ce n’est plus, tant elle avait marqué son temps. Erin en avait lu quelques-unes autrefois. Du peu qu’elle en avait retenu, c’est au sortir de la guerre qu’Aldor fut proclamée capitale de la Varélie.
Elle voulut examiner la statue plus en détail, par curiosité, mais se ravisa. Le manque flagrant d’entretien avait fait de cette figure historique le triste vestige d’une époque révolue, sur lequel la nature s’était acharnée sans ménagement. Le tableau faisait peine à voir.
En observant les écuries au loin, la jeune femme se remémora son premier jour d’entraînement dans la cour extérieure. Elle qui, avant son arrivée, s’était bercée d’illusions en s’imaginant un parc verdoyant, jalonné de mannequins et de cibles de tirs, fut frappée le jour venu par une réalité autrement plus décevante : celle d’un terrain vide, sablonneux, planté çà et là d’arbres déshydratés, avec pour seule touche fantaisiste une allée de pavés fissurée.
Par chance, les écuries étaient en assez bon état, et les chevaux vigoureux. Elle en conclut alors que si les varéliens manquaient de raffinement, ils n’avaient en revanche pas perdu leur sens des considérations, puisque – et n’importe quel militaire le savait – un bon cheval était avant tout un cheval choyé. Aussi, pour s’assurer que la bonne santé des bêtes soit préservée, Erin s’était proposée de contribuer à s’en occuper. On lui avait rétorqué que cette tâche était attribuée comme punition aux soldats indisciplinés, ce que ses camarades n’étaient pas suffisamment à son goût pour le bien des équidés. En conséquence de quoi, depuis lors, elle faisait régulièrement en sorte d’être envoyée aux écuries, et s’efforçait en contrepartie de fournir un travail exemplaire pour tempérer le feu hiérarchique avec lequel elle jouait.
Elle soupira. Puis, faisant craquer sa nuque, elle se releva.
— Pfiou ! fit-elle une heure d’allers et retours plus tard, arc-boutée contre la poutre d’une stalle. (L’étalon qui mastiquait son foin la regarda de ses yeux vides.) Je crois que le compte est bon.
Essoufflée et en nage, Erin retira son couvre-chef (ses oreilles elfiques aux extrémités déliées et aiguisées se déroulèrent tel un ruban.) De ses mains salies par la gadoue, elle recoiffa sa chevelure d’ébène. Quelques mèches courtes et indisciplinées masquaient le cache-œil en cuir qui lui ceignait le front.
— Prenez ce chiffon pour éponger votre sueur, suggéra soudain une voix derrière elle.
L’elfe eut un hoquet de surprise. Elle porta instinctivement sa main au stylet suspendu à sa jambière, mais retint aussitôt son geste en voyant sortir de la pénombre le visage familier et glabre de Damian, le maître d’armes. Celui-ci s’était approché d’elle sans qu’elle s’en aperçoive, et lui tendait du bout des doigts un petit morceau de linge.
Erin avait l’habitude de voir Damian accoutré de son habituel plastron de cuir aux couleurs passées, celui qu’il portait pour ses cours et qu’il n’enlevait que pour la nuit ; si tant est qu’il l’eût déjà enlevé (les taches de rouille et les traces d’origine incertaine qui le couvraient faisaient planer le doute.) Aujourd’hui, et au grand étonnement d’Erin, tout portait à croire que le maître d’armes s’était laissé séduire par le confort d’un pourpoint matelassé. Il n’en demeurait pas moins un personnage sombre et angoissant : ses joues creuses et la rigidité de ses traits lui donnaient un aspect sévère, presque mauvais, et la jeune femme le redoutait pour cela. Chaque fois qu’elle le savait à proximité, elle pressentait au fond d’elle-même, et ce sans pouvoir l’expliquer, qu’il la poignarderait dans le dos à la première occasion.
— Ne vous donnez pas cette peine, Damian, répondit-elle sur un ton faussement détaché. Ne devriez-vous pas en ce moment même être en train de former les plus jeunes recrues au maniement des armes ?
— La leçon du jour est terminée depuis un bon moment. Je suis venu décrasser mon cheval. Ses sabots sont couverts de boue, et sa crinière est tout emmêlée.
Erin examina le cheval. Jamais auparavant elle n’avait vu dans cette écurie une robe d’une telle blancheur. Damian était sans conteste un homme appliqué dans ses entreprises, en dehors de sa personne. Quel dommage qu’il soit aussi suffisant, se dit-elle.
— Et vous, continua-t-il, comment se fait-il que vous ne vous trouviez pas auprès de vos nouveaux coéquipiers fraîchement nommés pour recevoir votre prochaine mission ?
— J’étais occupée.
— Et quelle occupation ! Combien de fois cette semaine avez-vous été de corvée, déjà ? Deux, peut-être trois ? (Il sourit d’un air provocateur.) Un peu plus, et le maréchal pourra ouvrir un poste de ramasse-merde juste pour vous. Allons, ma chère. Ce comportement récalcitrant ne vous mènera nulle part. La risée est tout ce qui vous attend si vous persistez dans cette voie-là.
— Faites attention, Damian, grommela Erin. Vous oubliez de quelle manière je vous ai botté les fesses devant vos élèves la dernière fois que vous m’avez manqué de respect.
Damian se raidit. Cette pique à son égard lui fit grincer des dents. Pour autant, et aussi humiliante soit-elle, il ne pouvait nier la réalité des faits : leur différence de niveau était considérable. Il en avait pris conscience depuis ce fameux jour où il avait commis l’erreur de la sous-estimer. Des années à étudier, pratiquer et parfaire le maniement des armes ne lui avaient été d’aucune utilité. L’elfe le devançait, et de très loin.
— Continuez ainsi, alors, finit-il par répondre. À ce rythme, vous consacrerez moins de temps à monter à cheval qu’à patauger dans le purin.
L’homme désigna moqueusement les bottes souillées de son interlocutrice avant de tirer sa révérence.
— J’ai monté plus de chevaux que tu n’as contemplé d’aurores ! cracha-t-elle après que le maître d’armes se fut éloigné.
Après une longue série de jurons, la jeune femme fit discrètement demi-tour, s’éloignant de la stalle où elle se trouvait pour s’enfoncer plus à l’arrière de l’écurie. À l’angle d’un recoin sombre, allongée entre deux bottes de foin, une jument palomino à la robe luisante somnolait. Celle-ci releva le museau à son approche.
— N’aie pas peur. Ce n’est que moi.
L’elfe guetta furtivement les alentours puis, d’un coup de pied léger, déblaya une touffe de foin qui recouvrait une trappe discrète. Elle ouvrit prudemment la trappe, glissa sa main à l’intérieur, et saisit une petite fiole contenant un liquide vert qui luisait dans l’obscurité. Il s’agissait d’un onguent de régénérescence, connu pour ses bienfaits contre les tumeurs bénignes. Certains de ses composants, comme le gingembre, les graines de corossol, ou bien l’huile de lavande, ne se trouvaient que dans les contrées elfiques. En les mélangeant à l’écume d’un mollusque ou d’une grenouille, on obtenait une substance luminescente comme celle-ci.
Erin s’en versa quelques gouttes sur les doigts, puis elle s’approcha de la jument. De sa main gauche, elle lui caressa tendrement le front, tout en faisant descendre la droite sous son encolure. La bête hennit de douleur en sentant ses doigts humides palper une boursouflure rigide et anormale.
— Je sais, ma belle. Il faut que tu sois forte encore quelque temps. L’abcès a bien dégonflé, mais tu seras abattue s’ils s’en aperçoivent. Les chevaux malades ne survivent pas ici. Moi, je te protégerai.
L’onguent commença à agir, apaisant petit à petit la jument.
— Là… Voilà, c’est bien…
La bête fixa sur elle ses yeux humides. Tout autre qu’Erin n’aurait pas prêté une grande attention à ce regard, mais elle s’y attarda, y discernant un respect profondément animal teinté d’une pointe d’humanité.
Pendant un court instant, elle repensa aux mythes et légendes sur les animaux supérieurs ; des créatures dotées d’une intelligence remarquable leur permettant de communiquer avec les races civilisées. En Ombreciel – sa terre natale –, les contes de fées mettaient souvent en scène des mammifères rusés ou courageux, bravant moult dangers au nom des esprits dont ils étaient les messagers. Les légendes prirent fin lorsque, à un moment donné de l’Histoire, ce rôle s’échappa de la fiction pour prendre racine non dans les nids, les bosquets ou les tanières d’animaux sauvages, mais dans les cabanes et les chaumières. Une découverte qui secoua inexorablement le monde entier. Malgré cela, l’elfe qu’était Erin restait attaché à ses traditions, continuant intérieurement de croire en la réalisation des fables de son enfance qui l’avaient tant fait rêver.
L’indicible gratitude avec laquelle la jument l’observait actuellement lui donnait d’autant plus envie d’espérer.
Sont-ce les esprits qui essayent de me parler, ou bien est-ce toi qui me manifestes ta reconnaissance ? se demanda-t-elle. Je ne le saurai peut-être jamais…
***
En l’an 1086, le douzième jour de janvier, fut signé entre la Varélie, l’Ungrid et l’Ombreciel le Pacte trilatéral de rétablissement. Cet accord, initialement convenu entre les hommes et les elfes, avait pour objectif de consolider la paix retrouvée entre leurs royaumes alors encore en proie à une rancœur tenace. En se liant par des engagements, notamment celui de s’aider à se relever de la guerre qu’ils s’étaient livrée, ils s’astreignaient à des égards réciproques et escomptaient ainsi apaiser les tensions. Les nains, profitant de ce climat propice aux affaires pour sortir de l’ombre, s’invitèrent sans coup férir à la table des négociations, et offrirent aux deux parties leur soutien financier… contre des intérêts. La proposition souleva de vives réactions, mais par la force des choses, finit par trouver un accueil favorable.
Dans un premier temps, le pacte de rétablissement ne consista qu’en une remise en état des terres laissées en ruine par la guerre. Cependant, son plein potentiel se révéla une génération plus tard, quand le manque de travailleurs se fit sentir dans les exploitations nouvellement reconstruites. D’une part grâce à une clause d’échange de main-d’œuvre prévue à cet effet, qui s’avéra d’une efficacité tout à fait remarquable lors de sa mise en œuvre ; d’autre part en raison de la collaboration entre le trio, plus fructueuse encore que ce qui avait été planifié à l’origine.
Fort de ce contexte porteur, les élans de bonne volonté se succédèrent. Plutôt que les portefaix mentionnés dans la clause, les hommes allouèrent à leurs voisins du nord quantité d’ouvriers, suivis des nains, qui mirent à disposition des contremaîtres qualifiés. L’échange de bons procédés était dorénavant de mise, et après des décennies de préparatifs, l’aube d’une ère nouvelle de coopération était sur le point de commencer.
Il n’en fut toutefois rien, en tout cas pas encore, car Gehelia, la reine des elfes, ne voulut pas se conformer à la tendance. Désireuse de garder le savoir-faire séculaire des siens pour eux seuls, elle envisagea de puiser sa main-d’œuvre parmi d’anciens détenus de pénitenciers dont elle tairait le passé criminel.
Ce pis-aller, pourtant, ne fit pas l’unanimité auprès des habitants de la forêt. Par crainte d’enrayer le cercle vertueux entre les trois peuples, une opposition se forma dans l’opinion publique, portée par la voix d’un elfe qui se fit rapidement connaître auprès de la cour royale pour sa pugnacité : Erin de Seyllure. Cette jeune femme pleine d’idées modernes et au franc-parler fit sortir les villages du silence en ralliant, un à un, leurs prévôts à sa cause. Par son éloquence et avec le soutien de la population, elle mit la couronne au pied du mur et parvint à faire reconsidérer la stratégie à adopter. Une première dans l’Histoire du royaume.
Néanmoins, les espérances furent peut-être trop ambitieuses, ou bien peut-être Erin manqua-t-elle de flair sur le plan politique, car par la suite, les nouveaux termes du décret qui fut officiellement rendu n’honorèrent aucune des promesses faites par la reine. À la place, le Conseil elfique riposta en déclarant noir sur blanc qu’en vertu du pacte, l’Ungrid et la Varélie se verraient fournir une sélection de combattants aguerris, chargés de mettre leurs armes au service des seigneurs de ces royaumes. Si l’offre était honorable sur le papier, elle se traduisait, dans les faits, par un bannissement pur et simple du territoire, puisque chez les nains comme chez les hommes, l’uniforme militaire ne se quittait pas une fois endossé.
C’est ainsi que la loyauté fut sacrifiée sur l’autel de la servitude. Mais pour l’opportuniste Gehelia, ce prix était peu cher payé pour s’affranchir des compromis auxquels elle était confrontée. En livrant en pâture ses opposants à ses alliés, elle évitait à l’Ombreciel un soulèvement inutile, tout en conservant son image de reine régnante et de partenaire de confiance.
Bien évidemment, Erin fut la première à figurer sur cette liste regrettable de faux héros. Elle et ses complices comprirent alors l’énormité de leur erreur, mais acceptèrent dignement leur défaite dans le but de faire triompher la lutte commune. Grâce à eux, pas un pénitencier ne serait utilisé à des fins autres que la pénitence.
Les convois firent route au petit matin, sous les yeux radieux des villageois qui se réjouirent de ce grand départ. Et pour cause : ils croyaient leur voix entendue, et n’avaient, jusqu’à preuve du contraire, aucune raison d’en douter. Six diligences quittèrent la forêt pour rejoindre l’Ungrid. Quatre, Erin incluse, prirent la direction du sud, sous haute escorte. Pour la tête de l’opposition et ses seconds, le voyage n’inclurait pas de trajet retour. Ils seraient simplement et sciemment conduits à Aldor, où on les répartirait ensuite dans les six comtés du royaume pour servir ad vitam æternam.
C’est du moins le scénario auquel Erin s’était préparée.
La chance frappa à sa porte de manière tout à fait singulière, sans qu’elle ne la vît venir. À mi-parcours du convoi, les dossiers des présumés combattants – comme l’exigeait le protocole – furent transmis aux enrôleurs de l’armée du roi Crocs-d’acier pour être étudiés à l’avance. Pour chaque opposant, le Conseil de la reine des elfes avait monté de toutes pièces une biographie crédible, honorable, de sorte qu’un grade leur soit immédiatement attribué une fois sur place. Les elfes, par nature, étaient considérés comme des candidats infiniment plus exercés que les volontaires autochtones, issus des fermes ou des bas-quartiers. Ils n’étaient de ce fait pas soumis aux mêmes tests de recrutement, et bénéficiaient d’une prise de poste accélérée. Lorsqu’en prime ils justifiaient d’une expérience militaire solide, le tapis rouge leur était presque déroulé. Un traitement somme toute confortable pour une sanction, attestant d’une clémence insoupçonnée de la part de la reine Gehelia.
Dans le cas d’Erin, un accueil plus électrique lui fut réservé. La faute en revenait à son dossier différemment constitué, qui dressait le portrait mitigé d’une guerrière aussi habile au combat qu’entêtée et rebelle. Pour cette raison, ce dernier ne fut pas classé comme les autres, mais circula de mains en mains dans le château de la capitale varélienne, générant remous et questionnements. L’éventualité que la jeune femme fût une brebis galeuse dominait les débats.
Au bout d’un certain temps, Crocs-d’acier en personne, las des discussions stériles, s’empara du sujet et mit fin au flottement qui s’éternisait. Cela, Gehelia l’avait prédit et même anticipé, son plan visant à rendre Erin dangereuse aux yeux du roi afin que des mesures soient prises à son encontre. Ce dont elle ne tint pas compte en revanche, c’est que Crocs-d’acier n’avait de roi qu’assez peu de choses en réalité, ses racines barbares l’enlisant depuis toujours dans un goût prononcé pour la marginalité. Entre autres exemples, les traits de caractère généralement rédhibitoires dans les postes militaires, tels que l’insolence ou l’arrogance, l’attiraient comme un aimant attire le fer. Aussi s’enthousiasma-t-il tout naturellement à la lecture du dossier « de Seyllure ». Mais, une chose en entraînant une autre, l’enthousiasme se transforma en une curiosité obsessionnelle qui éclipsa son sens du devoir. Lui, dont l’inclination contraire à l’étiquette lui valait d’être secondé lors des cérémonies de remises de garde, ne le fut pas cette fois-là en dépit des recommandations contraires, invoquant sa volonté « de paraître suprême face à une prétendante de la trempe des guerriers ».
Seigneur et maître d’une journée, il changea arbitrairement les règles et soumit Erin à une série d’épreuves d’armes improvisée. Elle les remporta l’une après l’autre, triomphalement, sans souillure, séduisant Crocs-d’acier par ses compétences martiales.
Son enchantement prit fin lorsque l’elfe victorieux se présenta à lui non pas comme la femme rebelle qu’il s’attendait à voir, mais comme une soldate pleine de noblesse et d’une humilité mortellement ennuyeuse. La désillusion fut certes grande, toutefois, c’est la bravoure qui était à l’honneur en ce jour particulier, et un roi ne pouvait manquer à sa parole. Récompense promise, récompense due : la caserne militaire d’Aldor ne recensa pas d’adoubement aussi rapide qu’en ce jour.
Quelques semaines plus tard, les membres du Conseil elfique se décomposèrent comme un seul homme lorsque, la mine penaude et la voix chevrotante, l’envoyé d’Ombreciel leur rapporta que la dissidente Erin de Seyllure n’avait pas été mise à l’écart comme ils l’escomptaient. Bien au contraire, sa situation fut on ne peut mieux rétablie, puisque la jeune femme se targuait désormais du titre de Dame et jouissait d’une charmante maisonnette en bordure de capitale. Pour apaiser les inquiétudes de la reine des elfes quant à un probable retour de bâton, l’envoyé lui certifia, de source sûre, que si l’épée d’Erin avait changé de camp, son cœur, lui, restait pour l’heure fidèle à sa patrie.
Gehelia rendit l’âme peu de temps après. La mort n’étant qu’une étape parmi d’autres dans sa stratégie, elle prit soin de n’emporter que l’essentiel avec elle dans sa tombe, consignant le reste dans un testament exclusivement destiné à son digne héritier, le prince Hélidor, qui prit sa suite.
***
— À toutes les sections : une assemblée va prendre place dans la grande salle ! Votre présence est indispensable ! Toute absence, justifiée ou non, sera sanctionnée !
— Merde !
Erin finissait de décrotter ses bottes lorsque la voix lui parvint. Prestement, elle enfila sa chemise jaunie de sueur, puis décrocha du poteau son pourpoint couvert de poils et de foin. Il fait presque nuit, se dit-elle. Les sentinelles ne font pas d’annonce à la tombée de la nuit, sauf en cas d’événement exceptionnel. Les silhouettes que la jeune femme voyait se presser derrière les fenêtres de la caserne confirmaient son hypothèse. Les autres sont en chemin...Je dois faire vite ! Depuis combien de temps suis-je restée ici ? Je n’ai même pas vu le soleil se coucher.
Tandis qu’elle regagnait la cour plongée dans le noir, son attention fut soudain détournée par un lointain grouillement provenant de la rue principale. Sous ses pieds, le sol se mit à trembler, secoué par d’intenses tapages qui sonnaient à ses oreilles comme les pas saccadés d’un troupeau de buffles. Et contre toute attente, elle ne fut pas si loin de la réalité.
En tournant la tête, l’elfe vit défiler par-dessus la palissade une rangée de torches et d’oriflammes que dressait le groupe de soldats à l’origine de ce raffut. Leurs armoiries, parti d’or et de sable, affichaient en leur centre d’immenses crocs de loup prêts à dévorer ; emblème symbolique de la maison royale. À la tête du régiment se tenait un homme en soutane, assis sur un cheval bai. Il était coiffé d’une toque écarlate. L’intendant Modric et sa garde rapprochée ? l’identifia-t-elle. Ça doit être plutôt sérieux. D’un pas rapide, Erin traversa la cour, franchit la porte du vestibule, puis emprunta l’escalier principal, qu’elle s’étonna de voir vêtu d’un affreux tapis noir. À peine arriva-t-elle à l’étage que la jeune femme s’immobilisa net en découvrant, de l’autre côté du couloir, une meute de soldats bruyants et désordonnés qui s’était agglutinée devant l’entrée de la grande salle.
— Avancez, bon sang ! On ne peut pas passer ! meugla l’un d’entre eux.
— Y’a pas de place pour s’asseoir, abruti ! répliqua un autre, coincé entre deux colosses.
Erin n’essaya même pas de fendre la foule. Elle se hissa sur la pointe des pieds, et, agrippant l’épaule d’un des grands types, observa à l’intérieur du mieux qu’elle pouvait. Puis elle leva les sourcils, agréablement surprise : le faste déployé à la va-vite valait le coup d’œil.
Premièrement, constata-t-elle, la grande salle était éclairée par un lustre central en bronze ainsi qu’une huitaine de chandeliers muraux en fer forgé, contrastant avec les habituels supports rouillés auxquels l’intégralité de la caserne était accoutumée. Deuxièmement, des rideaux rouges, tissés de velours et brodés d’or, retombaient impeccablement le long des murs au point d’en camoufler la vétusté. Troisièmement, mais elle n’en fut pas tout à fait sûre à cause de sa vue obstruée par les types, un tapis du meilleur goût semblait avoir été déplié sur l’allée centrale, sans doute plus agréable au pied, se dit-elle, que les dalles abîmées qu’il couvrait. Quatrièmement enfin, à l’autre bout de la pièce, une estrade flambante neuve, tapissée d’étoffes, s’élevait, garnie de chaises laquées et de tout un tas d’autres objets précieux du plus bel effet.
Modric ne tarda pas à entrer dans son champ de vision, le regard imperceptiblement fuyant, et le pas preste. Il grimpa sur l’estrade et s’installa sans plus de cérémonie. Sa toque rouge surplombait d’une tête les casques en fer des gardes alignés derrière lui. En face, assis au premier rang, une poignée d’écuyers put admirer en détail les drapés finement ouvragés de l’atour en soie qu’il portait, de fabrication naine.
— Silence ! hurla une voix à l’assemblée, bavarde et dissipée. (Erin ne voyait pas, mais reconnaissait entre mille le timbre de Clavius.) Faites silence ! Que l’intendant puisse s’exprimer !
L’assemblée s’exécuta. Aussitôt, après s’être raclé la gorge, Modric prit la parole :
— Sur ordre de Sa Majesté le Roi : les seigneurs de Varélie ont été sommés, sous trois jours au plus tard, de regagner leurs fiefs ; sous cinq jours, d’instituer une régence qui administrera provisoirement les affaires comtales ; sous huit jours, de quitter le territoire et partir à la rencontre des souverains nains et elfes à qui ils devront rendre les hommages. Aux chevaliers ici présents, le roi ordonne, en vertu de vos serments, que vous fassiez de même auprès de leurs vassaux. Seront récompensés en argent – l’équivalent du poids de leur épée – ceux qui, par des actes signés, parviendront commercialement ou autre, à s’associer. Quant à ceux qui, au nom de considérations personnelles ou par lubie, n’effectueront pas le strict minimum, ceux-là se rendront coupables de félonie et seront jugés en conséquence. « Force dans le devoir, richesse dans l’union » sera votre nouvelle devise. Vous la ferez vôtre tout au long de votre mission. Parce que l’heure est à l’exemplarité, Sa Majesté souhaite vous voir marcher dans le sillage des seigneurs Gaerig Bleu-Mélilot d’Ombreciel, et Baldruc Renfletrogne des Pics-du-Tertre, qui ont, je vous le rappelle, tendu il y a peu une main amicale à la Varélie. Retenez leur nom, messieurs, car c’est grâce à leur précédent, fort bienvenu, qu’a pu être ouverte la voie de l’échange et du partage entre nos trois royaumes. Demain, d’autres noms, peut-être les vôtres, s’inscriront dans cette continuité. Alors, agissez à bon escient, et faites preuve de chevalerie en toutes circonstances. Longue vie au roi ! Que les Quatre vous protègent !
Ses dernières paroles, restées sans effet, résonnèrent en un désagréable écho dans la grande salle. Constatant l’indifférence, Modric s’inclina en une rapide révérence et se retira aussi vite qu’il était venu. Les domestiques s’empressèrent alors de débarrasser l’estrade des meubles d’apparat pour y remettre le mobilier ordinaire. Après quoi ils firent place nette, laissant derrière eux un silence si lourd que l’on put entendre les mouches voler.
Malédiction ! jura intérieurement Erin. Je n’y aurais pas cru une seule seconde si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux. En aucune façonles humains n’accepteront de suivre ces directives !
Les premiers contestataires ne tardèrent pas à se manifester. Certains soldats se mirent à ruminer à voix basse. Quelques-uns quittèrent expéditivement la pièce, de colère ou de frustration. D’autres, profondément indignés, commencèrent à hausser le ton en brandissant le poing. Erin manqua de se faire bousculer par les grands types qui s’agitaient devant elle.
— Chiens crasseux ! Vermines ! Enfants de putains ! s’insurgèrent-ils. Que la peste vous emporte, vous et votre continuité !