Le fantôme de ma mère - Fabiola Fate - E-Book

Le fantôme de ma mère E-Book

Fabiola Fate

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Beschreibung

« Quand cesseras-tu de mourir, maman ? » Cette sempiternelle question assaille régulièrement l’auteure alors qu’elle a plus de cinquante ans. Pour éviter de sombrer, écrasée par l’absence de sa mère partie depuis une quarantaine d’années, elle dresse l’historique de son malheur. Il le faut ! Affronter son passé lui semble, à l’heure actuelle, la voie de la délivrance : ce sera sa première victoire !


À PROPOS DE L'AUTEURE


À la suite d’un parcours chaotique où elle a exercé une multitude de métiers, Fabiola Fate a trouvé sa voie dans l’enseignement et s’occupe dorénavant des adolescents en difficultés scolaires. Profitant de son rythme de vie plus tranquille, elle se consacre au grand plaisir de son existence : l’écriture.

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Seitenzahl: 228

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Fabiola Faté

Le fantôme de ma mère

Roman

© Lys Bleu Éditions – Fabiola Faté

ISBN : 979-10-377-5959-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préambule

J’ai cinquante-trois ans avec un corps malmené par les ans qui défilent, dominé par une âme d’enfant.

Une sempiternelle question se pose à moi : « Quand vas-tu cesser de mourir, maman ? »

Quarante-cinq années que je te déterre, maman, sans comprendre pourquoi autant d’embruns t’enveloppent encore et encore…

J’ai oublié ton sourire, ton regard sur moi ainsi que la douceur de tes mains sur ma peau. Ma mémoire s’exile vers les profondeurs de l’oubli et pourtant, lorsque je pense à toi, mon cœur se brise en mille morceaux.

Ta disparition engloutit mon présent. J’ai besoin de toi, toujours.

Depuis, mon amour pour toi n’a pas traversé mes âges. À mes huit ans, il a stoppé sa course. J’ai cinquante-trois ans : je t’aime comme une petite fille. Je ne grandis pas.

L’édifice de la vie que je tente de bâtir s’écroule tel un château de cartes : le terrain est mouvant. Tu n’es plus là pour ancrer fermement mes pieds dans le sol de la vie.

À quarante ans, je suis internée en clinique psychiatrique : des pensées morbides me détruisent. Je ne suis plus personne, juste une entité en mal de vivre. Ma vie devient une lutte sans répit. Il me faut plus d’une décennie pour combattre ce mal qui a rongé mon cerveau.

Dès lors, je parcours l’historique de mon malheur : ton absence dans mon quotidien !

Je m’attelle à cette tâche pour me hasarder à vivre sans toi. Il le faut, sinon, je vais dépérir et chercher à te rejoindre. Je m’accroche à ton image floutée par le temps pour poursuivre ma quête de toi.

Emplie d’espoirs, je m’attache à dessiner mon histoire avec toi.

En transit

Maman, quand j’ai huit ans, je ne comprends pas ce qu’est la mort et encore moins la tienne.

Dans nos jeux d’enfants, « mourir » signifie « faire mine de mourir ». Ce n’est pas pour de vrai. Puisque tu fais semblant, tu viendras ce soir, comme d’habitude, me conter une histoire. Dorénavant, je ne laisserai jamais plus ce silence obsédant m’envelopper et j’écouterai une de tes fables d’antan tinter dans ma tête : je mènerai alors une vie chimérique…

De ces songes construits de toutes pièces sont nés l’espoir et le fantasme. Je troque ton cadavre contre un personnage irréel. Je ne freine pas mon envie de vivre au pays des fantômes. Je sais que là-bas, je te retrouverai.

Maman, tu n’as pas la réalité morbide d’un cadavre. C’est moi qui deviens lugubre : je suis suicidaire.

Petite fille de huit ans, sans toi à mes côtés, maman, je ne suis rien.

Je t’attends, tu ne viens pas. Je t’appelle, tu ne réponds pas. Je pleure, tu ne me consoles pas. Je suis là et tu n’es nulle part. La frustration devient ma compagne de tous les jours : je ne décolérerai désormais plus jamais de t’avoir perdue.

Je t’appelle : « maman, maman, maman ! », mais seul l’écho de ma voix enfantine traverse un terrible silence. Ce mot n’étirera plus de sourire et mes lèvres seront à jamais murées dessus. Il se consumera avec abattement dans ma gorge. Il sera relégué à jamais dans de silencieuses pensées. Mutilée, je n’ai le plus droit de prononcer : « maman », mais le calligraphier noue un lien avec toi qui durera un temps et s’étiolera lorsque j’aurai fini de t’écrire… L’inflexion immuable de ce mot nous rappelle que sans lui nous ne serions pas. Ce tendre mot apaise les douleurs, réconforte nos détresses et nous rappelle que nous sommes vivants et aimés. C’est aussi un cri d’amour utilisé pour appeler, rappeler que nous avons un besoin et que ce dernier est reconnu par le « oui » quelquefois exaspéré, mais entendu ! Dorénavant, maman, je ne recueille plus ton regard affectueux ni même mécontent…

T’écrire est mon unique refuge, mais tu ne me liras jamais.

Communiquer avec toi à travers des écrits semble vain.

Cependant, j’ai l’impression de poursuivre ma vie avec toi à mes côtés. Tu deviens, malgré toi, complice de mes histoires. Tu es mon héroïne. Brodée de souvenirs épars et de ceux des autres, je te façonne comme j’œuvrerai pour édifier une sculpture. Bien évidemment, tu n’as que de belles choses à livrer. En suivant mes humeurs, je dispose de toi. Néanmoins, la réalité frappe fort et sinistrement. Ton absence impacte ma vie quotidienne : mes pensées et mon cœur sont saccagés.

Je n’entendrai plus :

« Fabiola, va te coucher, je vais venir t’embrasser après.

— Tu pourras me lire une histoire, maman ?

— Oui, puis bisou et tu n’insistes pas pour en avoir une autre, d’accord ?

— Oui, maman. »

« Fabiola, tu m’énerves là, tu as encore renversé ton lait !

— Pardon, je ne l’ai pas fait exprès.

— Oui, mais quand même tu pourrais faire attention ! »

« Maman, maman j’ai mal, je suis tombée du vélo.

— Fais voir que je te soigne ça. Ça va piquer un peu, je vais désinfecter avec de l’alcool.

— Aïe ! »

« Maman, ça sent bon, tu fais les pâtes que j’aime ?

— Oui, ma chérie.

— T’es trop gentille, ma maman ! »

Avec une voix d’amour maternel, qui va me dire des phrases pareilles ? Hein, qui ?

À ce jour, tu n’es pas encore cachée dans ta boîte en pin. Tu vis chez nous usée par un cancer qui te ronge les boyaux. Je loge, dorénavant, à huit cents kilomètres de toi. Je vis chez un oncle et une tante. Une décision a été prise : un de tes trois enfants ira chez eux pour que tu puisses te reposer. Malheur à moi, le choix s’est porté sur ma petite personne. Je refuse. Mes larmes n’ont convaincu personne et je pars pour deux ans loin de toi.

Maman, tu m’abandonnes…

Alors que tu demeures loin de moi, tu m’écris. Tes lettres cheminent entre ta maladie et ton départ imminent vers le ciel, l’éternité, que sais-je ? Je suis une enfant et je repousse catégoriquement les allusions faites sur ta fin proche. Je me bouche les oreilles : je ne veux pas entendre ces stupidités sur toi.

Une maman, c’est fort, c’est très fort même et ça ne meurt jamais !

Quelque part, j’ai une mère… De fait, ton personnage prend une tournure virtuelle. Mes élucubrations s’affirment. Tout en étant invisible et inaudible, tu es vivante.

En cachette de mon oncle et de ma tante, le soir dans mon lit, je crée des historiettes avec toi. Ces adultes sont particulièrement stressants et angoissants. Chez eux, je suis coincée par des règles psychorigides. Ils sont sévères et très exigeants sur les activités scolaires. Comme ils sont enseignants en primaire, je dois aussi les supporter à l’école. Je suis sous surveillance constante. C’est ma tante qui a ce beau rôle. Je les redoute : je ne suis pas heureuse avec eux. Je navigue dans une maison surchargée de bibelots et habillée de meubles foncés : il reste si peu de place pour jouer. J’étouffe au milieu d’immenses plantes vertes qui prennent la poussière et mangent mon oxygène. Malgré leurs efforts pour m’assurer tout le confort matériel, ils n’ont jamais eu de tendresse affichée pour que je puisse m’épanouir dans des bras autres que les tiens. Ma tante a la particularité de parler avec une coulée de fiel dans sa bouche. Ses mots tuent net ! Un jour, elle prononce : « Tu ressembles à ta mère, vous avez le même visage, mais la similitude s’arrête là. » Au dire de ton entourage, maman, tu étais un personnage parfait, mais, malheureusement, je n’ai que ma bouille pour rappeler une ébauche de toi. Quant au reste : ma personnalité n’est pas à la hauteur de ta puissance morale. Cette phrase cruelle me rapetisse : je souhaite m’effacer pour toujours. Je suis indigne de toi, maman : je ne suis pas aimable.

Quant à mon oncle, c’est un taiseux pathologique. Il ne prononce pas plus de trois mots par jour. Lorsque je suis face à lui, son silence oppressant mêlé à la fumée de ses cigarettes me tétanise. Cette indifférence prédomine : elle me blesse. C’est ton frère et le seul qui peut me raconter des histoires sur toi quand tu étais une petite fille, une jeune fille, mais les mots restent bloqués au portail de ses lèvres. Je demeure plantée là, devant lui, avec mes silencieuses questions sur toi. Aucun son n’affleurera ma gorge : j’apprends à me taire…

Je languis deux ans dans une ambiance familiale faite d’une harpie et d’un ours !

Par un beau soleil d’été, avec mes camarades, nous courons après un prince fictif. Nous sommes déguisées en princesses. Le jeu a la particularité de tout me faire oublier : je ne poursuis plus ma course à te chercher. Soudain, j’entends le son d’une voix criarde. C’est ma tante qui m’interpelle à l’autre bout du hameau. Il faut que je rentre. Je m’éloigne de mes amis, frustrée de délaisser notre conte moyenâgeux.

À mon approche, la voix hurlante se radoucit. Elle pleurniche : « Ta maman est partie, elle ne souffre plus. » Naïvement, je réponds : « Ouf, elle ne souffre plus, mais elle est partie où ? »

Ma figure sidérée amène des explications supplémentaires : « Ta maman est au ciel. » Je lève mon regard vers le firmament et je n’aperçois qu’une immensité inatteignable.

La tristesse sur le visage de ma tante m’alarme : une réalité insoutenable, alors, m’atteint de plein fouet. Il faut réagir ! Je ne sais pas comment. Je ne comprends pas bien ce qui se passe. J’ai neuf ans.

Cependant, je ne peux pas rester de marbre à cette nouvelle, je risque de subir le regard d’acier de tata. Sans retenue, j’ai une réaction brutale. Je me jette à terre et je me roule comme une éperdue en hurlant. Je n’éprouve pas de douleur. Je suis encore animée par mes chevaliers, mes fiefs et mes croisades avec les copains : je suis une enfant. Cependant, je sais pertinemment qu’il faut que je me manifeste. C’est grave, ce qui arrive : ma maman est morte…

Ton décès cause un remue-ménage dans la maison. On s’affaire, on ne s’occupe pas de ma peine. Alors, j’ai tout loisir pour réfléchir. Je suis affectée et sans comprendre, je commence à souffrir. Alors, je te cherche et puis je compte… Je relève tous les jours où, vivante, tu aurais pu m’aimer, où j’aurais pu profiter de ton existence. On m’a volé tous ces jours : une année !

Pourquoi ?

J’en veux à la terre entière !

Les personnes mortes, on les enterre. Je suis prête. Je veux te voir une dernière fois. Cependant, toute la famille part à ton enterrement et je dois rester auprès de mon maître d’école qui va s’occuper de moi. Tout le monde soutient que je ne suis pas en mesure de te voir pour la mise en bière : je suis bien trop jeune. On souhaite m’épargner. Bien sûr, je n’entends pas cette décision et je ne fais que larmoyer chez mon maître d’école, de jour comme de nuit. Ces mots « cercueil », « trou », « Dieu », « tombe » s’abattent sur moi comme la foudre sur un arbre. Pourtant, je demeure sous ce chêne : j’attends toujours que tu guérisses. Je n’ai rien vu, rien senti, rien compris : je n’étais pas présente à ton enterrement !

Trop petite pour rester auprès de toi pendant un an et trop petite pour t’enterrer, je fus isolée de tout ce qui te concernait : je me sens rejetée. Je ne suis pas assez grande pour te voir endormie dans ton cercueil. Je ne pourrai pas discerner ton visage de cire ni tes paupières fermées pour l’éternité et je ne distinguerai pas tes lèvres figées sur ta dernière inspiration.

Je n’aurais, pourtant, pas dérangé ton sommeil… Je ne t’ai pas vue morte !

Dommage. Ce dernier cliché en mémoire m’aurait permis de mettre un point final à ta vie terrestre. Mon âme d’enfant aurait bien été obligée de croire à ta disparition.

Trois mois après ton envolée au ciel, pépé, ton papa, meurt de chagrin. Il n’a pas survécu à ton départ. Je ne sais pas par quel miracle, mais j’ai grandi de manière prodigieuse. En effet, pour mon grand-père, j’ai « l’honneur » d’assister à son enterrement.

Avant son décès, tous les soirs, les adultes m’obligent à tenir la main de pépé alors plongé dans le coma. Je vois son visage fermé, ses yeux clos avec juste un filet d’air qui sort de sa bouche pour nous rappeler un petit vent de vie. C’est intensément sinistre. Pépé meurt rapidement. Il me laisse le souvenir d’un homme apathique dont je craignais la morosité et le silence. Même silencieux, un de mes sens se régalait : j’aimais son odeur. Il traînait derrière lui un effluve de fruits mûrs. Vêtu d’une blouse grise, il récoltait ses pommes et ses poires puis il les amassait dans sa cave. Il vivait essentiellement sous la maison comme un rat… Maman, lorsque le cercueil de ton papa a été mis en terre, j’ai vu un petit bout de ta boîte en pin. Sur le moment, cela m’a soulagée de te savoir là : tu avais un lieu où tu reposais. Puis, j’ai refusé cette évidence. Qui me dit que c’est toi qui es confinée dans cette bière ? Pépé, je sais, je l’ai vu. Mais toi, tu es ce que l’on a bien voulu me raconter : une histoire…

J’ai neuf ans maintenant. Je suis dotée d’une imagination débordante alors je ne te laisse pas partir comme ça, maman. Dorénavant, je ne joue plus aux princesses, mais à cache-cache avec toi. Je t’invente sans tristesse et je t’accueille, avec joie, dans mes pensées.

Dans un bus, une grande femme brune me tourne le dos. J’observe sa longue chevelure noire et j’imagine que tu es assise là. Mon cœur s’allège : tu vis.

Une bonne sœur au collège te ressemble. L’allure, la douceur, la physionomie, le sourire, tout y est ! Je l’aime beaucoup et je fais tout pour qu’elle s’intéresse à moi.

Plus tard, je tombe « amoureuse » de ma professeure de dessin. Elle est grande, brune, elle a un visage émacié et ce large sourire fermé, tout comme toi. J’imagine alors qu’elle m’adopte et je crée des scénarii dans ma tête. Je fais défiler des saynètes de tous les jours : un petit-déjeuner ensemble, une lecture au coucher, une balade dans les bois… Je pousse l’excentricité à l’interpeller « maman », juste pour goûter à nouveau à l’élocution de ce mot interdit. Gênée, elle me renvoie de timides sourires et me repousse gentiment. Je dérange par mes extravagances ! Ce ne sont pas les premières ni les dernières que je jouerai pour trouver une place dans ce monde cruel qui ne veut pas me chérir. Dès lors, j’allonge mon pas dans une course effrénée pour un regard qui se troublerait d’amour pour moi.

Aussi, je t’utilise comme « bonne fée ». Tout ce qui m’arrive de bien n’est dû qu’à ton coup de baguette magique. J’ai peu de moyens et je prends le bus à l’œil. Combien de fois, tu payes mon billet pour éviter que je ne reçoive une amende ! Toutefois, si je me mets en situation délicate et qu’elle ne se débloque pas, je me méprise. Je m’incrimine de ne pas avoir été à la hauteur de tes attentes. Tu me punis en me laissant seule face à des situations scabreuses : tu ne m’aides pas…

Lorsque mes divagations s’estompent, la frustration, la colère et l’incongruité de mes scénarii délirants me saisissent. Je reçois, alors, une claque mentale : je prends réellement conscience que tu es irremplaçable. Là, j’ai envie de hurler ta mort !

« Va, va, petite fille, replonger ta tête dans l’oreiller et enfouir tes sanglots : il ne te reste que le coussin ! » Malgré les déguisements dont je t’affuble me restent en mémoire tes jambes interminables et tes fines mains. À l’avenir, je serai toujours fascinée par les grandes mains aux ongles longs vernis de rouge.

À la recherche d’un petit quelque chose de toi, j’étudie les mamans de mes copines. Avec les plus intimes, je me fais aimer par leur mère. Cette dernière doit correspondre à certains critères. J’ai des exigences, je peux me le permettre. Tout le monde n’a pas l’honneur d’être ne serait-ce qu’un lentigo de toi. Ces petites filles ont naturellement des griefs envers leur mère. Cependant, elles ne voient pas la chance à déposer leur cartable dans l’entrée et entendre : « C’est toi, ma chérie ? » Cette interrogation n’est qu’amour !

Ma quête d’une maman se poursuit… Le drame est là. Je ne crois pas à ta mort. Je t’imagine dans un autre monde que le mien, mais vivante. Tu ne peux pas mourir sinon moi, je ne peux pas vivre. S’il n’y a pas de mère, il n’y a pas de petite fille. Pourtant, j’existe !

Que faire : je vis ou je me laisse mourir pour te rejoindre ? De plus, je plonge dans une position sociale bancale. Le mot « maman » s’est de lui-même banni de ma bouche et je me métamorphose en un être errant dans un monde qui n’est plus fait pour lui. C’est ainsi que je deviens la bête curieuse de la classe, l’enfant à part, l’enfant que jamais plus sa maman ne viendra chercher à l’école. Les camarades de classe n’ont de cesse de me cracher à la figure des : « Tu n’as pas de maman ! » Puis, ils enveloppent cette phrase d’un rire sardonique.

J’aimerais tant sourire de mon statut d’orpheline et que le monde me fasse rire pour sécher mon chagrin, mais la réalité est contraire : je subis la perfidie ou l’indifférence.

En classe, lors de la préparation de la fête des Mères, je m’agite sur ma chaise. Je ne sais pas quoi dessiner ni écrire. Pendant que tout le monde s’affaire sur sa petite composition, je baisse la tête, honteuse de ne pas être comme les autres. Je me terre dans le silence jusqu’à ce que se termine cette mascarade !

Mon chagrin prend différentes formes.

Tantôt, mes larmes coulent comme un fleuve tranquille, mais elles ne me soulagent pas : elles s’accrochent et forment une boule amère au fond de ma gorge. Ma tristesse est emprisonnée et mon ventre tout crispé.

Tantôt, n’en pouvant plus, elles se précipitent comme un orage pluvieux et m’inondent le visage. La colère déboule alors, gagne mon corps et mon esprit : elle les ronge de sa bile.

Dans les deux cas, je m’enferme dans un brouillard humide et j’agrandis ma blessure. Cette plaie croît avec ma croissance.

Pour un enfant, une maman, c’est beaucoup : c’est tout ! C’est aussi trop « tout ».

La première année, chez l’oncle et la tante, j’avais ton courrier qui me permettait de patienter en espérant ton retour vers moi. Mais tu n’es jamais revenue. De fait, tes lettres sont devenues sacrées. Je les ai lues et relues, le papier en est tout chiffonné. Cependant, après une boulimie de lecture de tes courriers, le contenu finit par me désappointer. J’aurais aimé des lettres imbibées de tendresse amoureuse ; des dépêches qui durent dans le temps ; des mots d’amour à lire et à relire pour que chaque pas dans ma vie soit plus facile, moins lourd et moins solitaire. C’est consternant tes lettres, elles ne contiennent que des recommandations à ne pas importuner mon oncle et ma tante qui ont la charité et le devoir (cruel mélange) de s’occuper de moi pendant ta convalescence.

« Tu ne fatigues pas trop ton oncle et ta tante. »

« Tu travailles bien à l’école pour qu’ils soient contents de toi et que je sois fière de toi. »

Oui, mais tes bras, ton odeur, ta chaleur, toi, où es-tu ? Je veux un câlin !

« Tu es malade, ma fille, soigne-toi bien pour ne pas causer trop de tracas à ta tante ! »

« Je t’embrasse bien fort ma petite fille, maman. »

Je cherche avidement entre tes lignes, des mots d’amour. Est-ce que tu m’aimes encore ? Puis, je fixe longuement ce mot que tu signes : « maman ». J’ai ainsi l’impression d’être la fille d’une maman authentique. Je caresse du bout de mon index les caractères apposés par ta main : tu as effleuré cette feuille blanche que je tiens maintenant dans mes pognes. Je ne tardais jamais à te répondre et ma lettre enfantine, je l’agrémentais de petites décorations florales. J’avais la douce émotion d’être encore en lien avec toi. Au fond de ton lit, à souffrir, tu trouvais toujours l’énergie pour m’écrire, sauf pour répondre à ma dernière correspondance. Tu t’es éteinte dans ton sommeil et ma lettre a attendu sur la table de nuit ce réveil qui n’a jamais éclos.

C’est tout ce qui me reste de toi et moi : tes lettres ! Ce sont tes mots, ta calligraphie soignée et ton paraphe « maman » qui ont fait de ces feuillets imbibés de mots adressés rien qu’à moi, des pages sacralisées.

Je me cache pour te lire afin de ne pas entendre la sempiternelle recommandation de ma tante : « Arrête de penser à ta mère, tu te fais du mal. » Maman, je suis triste chez tonton et tata.

Ils me gavent de « bouffe ». Ils m’habillent comme une petite fille des années trente. Les mots sont censurés. Les expressions affectives sont exclues. Et pourtant, je suis très gâtée. Je reçois une multitude de cadeaux pour les fêtes. Je croule sous les présents à Noël et pour mon anniversaire. Ils me font participer à des excursions éducatives. Je m’y ennuie la plupart du temps. Je ne m’intéresse à rien. Mes travaux d’école sont étroitement surveillés. Je suis assistée dans mes devoirs par une tata exigeante et intransigeante. La plupart du temps, j’ai peur de me tromper et de recevoir une flopée de reproches ou une envolée de claques. Je fais le lourd constat que je ne serai jamais à la hauteur de ses attentes et que je resterai une piètre élève…

Le soir, avant de me coucher, tata m’oblige à m’agenouiller sur un prie-Dieu. Sous son regard glacé, je dois inventorier mes fautes. Mes genoux me font souffrir et je n’ai rien à dire. De quels péchés dois-je me confesser ? Auprès de qui dois-je expier ? Auprès de toi, maman ?

Alors que tu es soi-disant perchée sur tes nuages, je prends conscience que tu peux peut-être me voir ! Maman, même si je t’aime à la folie, j’ai besoin d’intimité. Je ne veux pas tout te raconter. Je commence à avoir mes petits secrets, comprends-tu ? Tu me déranges là : je n’aime pas te savoir en train de m’observer.

Pour les activités extrascolaires, je vais au catéchisme et je pratique la danse moderne. Dans la demeure de mon oncle et ma tante, la morale religieuse impose chaque jour ses sermons. J’ai déjà l’esprit rebelle et je ne veux pas me calquer à tous ces préceptes. La plupart du temps, je les ignore. Tu sais, maman, tata, m’apprend que la vie est remplie de devoirs avec très peu d’amusements. Je ne peux pas déroger à la règle magistrale de : « Fais tes devoirs et s’il te reste du temps, tu pourras t’amuser. » Je me sens coupable de me faire du bien. Pour tata, le plaisir est un péché. En revanche, travailler dur, se donner du mal, c’est glorifiant, et Dieu aime tant le dévouement.

Une des phrases préférées de tata est : « Je me suis sacrifiée toute ma vie pour toi ! » En l’occurrence, son : « Toi », c’est moi. Dès lors, la culpabilité exercera violemment son emprise et elle me collera comme une seconde peau tout au long de ma vie future. Mes envies se transforment en carcinome dont il faut éviter la propagation. Je suis chez eux sans plaisir ni joie en attendant une délivrance pour un retour aux sources.

Je vis hors du temps.

Je veux rentrer à la maison, maman.

Mon frère me manque, terriblement. C’est mon meilleur copain. C’était celui avec qui je jouais aux cow-boys et aux Indiens. Nos combats, nos chamailleries transformaient nos parties en joutes endiablées. Lors de la lutte finale, nos rires finissaient toujours par éclater. Nos escarmouches se poursuivaient à table où le silence régnait. En effet, notre père nous interdisait de communiquer pendant les repas et nous n’avions droit à la parole que si nous la demandions. On ouvrait rarement la bouche tant nous craignions sa réaction face à nos apartés. Soit il trouvait notre dialogue pauvre et inintéressant, soit nous étions repris pour une faute de français sur notre langage enfantin. Dans tous les cas, nos propos étaient étouffés par un mépris manifeste. Nous baissions la tête, mortifiés.

Mon frère et moi, nous jouions de ce silence imposé. Nous poursuivions, alors, le « jeu » par des regards appuyés et des gestes de la main. Avec multiples mimiques, nous prolongions notre guerre entre cow-boys et Indiens. C’était une maigre victoire, mais nous grugions l’homme qui nous faisait le plus peur : notre père !

Mon frère et moi étions devenus comme les deux doigts d’une main. Notre ennemi commun, c’était notre père. Tant nous le craignions, nous ne pouvions pas souvent le tromper. En fin de semaine, nous devions démontrer l’état de propreté de notre serviette de table. Chacun des trois enfants affichait sa serviette sous l’œil intraitable du « père ». Celle ou celui qui la présentait sans une once de tâche gagnait 20 centimes. La mienne était toujours constellée de gras, de taches jaunâtres et je recevais systématiquement le regard dédaigneux de mon père. Non seulement je ne méritais pas la pièce, mais j’endossais en plus la honte de ne pas savoir essuyer ma bouche sans tacher ma serviette de table. Je n’ai jamais reçu de pièce.

Cela fait déjà deux années que je ne vois plus mon compagnon de jeu, Éric, ton fils, maman.

Je pleure souvent son absence.

Je veux retrouver ma famille.

Je veux recouvrer un peu de toi, maman, dans les autres et dans leurs souvenirs.

Je veux partager avec eux mon chagrin et dialoguer sans fin sur toi.

Je veux pouvoir parler sans réserve et que tu ne sois plus un sujet tabou.

Je veux quitter cet endroit aseptisé, ordonné et sans chaleur.