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Extrait : "Quelques animaux doivent leur origine à des métamorphoses, et ils ont pour ancêtre un homme qui, ayant commis un acte coupable, a été condamné à perdre sa forme primitive pour en prendre une inférieure en beauté ou en force ; leur corps conserve quelque particularité qui rappelle leur ancien état, et qui a vraisemblablement contribué à l'éclosion des légendes explicatives..."
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Seitenzahl: 1060
Veröffentlichungsjahr: 2015
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La légende de création dualiste qui, en Bretagne, plus rarement dans les autres pays de France, s’applique aux diverses particularités du monde physique, s’attache aussi à l’origine des mammifères sauvages. Plusieurs sont la réplique ridicule, laide ou malfaisante faite par le Diable à l’œuvre de Dieu. C’est ainsi qu’en Auvergne comme en Bretagne le singe est une imitation maladroite de l’homme, et dans le Puy-de-Dôme c’est la taupe. En Bretagne cette concurrence s’établit à propos de la création des mammifères. Lorsque le Tout-Puissant eut fait le mouton, le Diable fit le loup ; Dieu ayant fait le chien, le Diable, fit le renard (Ille-et-Vilaine) ou le loup (pays de Tréguier). Quand Dieu eut créé le lièvre, le diable créa le lapin ou, suivant la version trécorroise, le putois.
Le Roman de Smart présente une conception assez voisine, avec cette différence que le rôle de Dieu est rempli par Adam et celui du Diable par Ève, et que la scène à lieu après la sortie de l’Eden.
Un savant qui a étudié tout spécialement le Roman de Renart, dont il a donné une bonne édition critique, disait à propos de ce passage : on peut bien admettre que cette théorie de la création des animaux est tirée de la tradition populaire, qui n’est pas très respectueuse envers les femmes. Quelques parallèles de cet épisode recueillis de nos jours, viennent à l’appui de son hypothèse : dans un conte provençal, littéraire de forme, mais dont le fond semble traditionnel, le bon Dieu donne à Adam une verge d’osier, en lui disant que toutes les fois qu’il en frappera, dans une bonne intention, quelqu’un on quelque chose, il en verra sortir un objet agréable ou utile ; mais il interdit à Ève de s’en servir. Celle-ci ayant voulu à toute force la prendre, Adam lui en cingle les épaulés, et aussitôt se présente une belle brebis. Adam Cache la baguette, mais sa femme parvient à la découvrir, frappe le sol, et il en sort un loup énorme, qui court après la brebis. Ève, épouvantée, crie au secours ; Adam prend la baguette, et dès qu’il la laisse tomber sur les épaules de sa femme, un gros chien s’élance, et tire la brebis des griffes du loup. Lors d’un de ses voyages en Bretagne le bon Dieu, pour remercier une vieille compatissante, lui emprunte son bâton, et quand il en a frappé la pierre du foyer, il en sort une vache. Après son départ, la femme, devenue ambitieuse, veut avoir une seconde vache, et elle imite le bon Dieu ; mais aussitôt un loup apparaît et étrangle la vache.
Deux récits d’Auvergne parlent des efforts du diable pour rivaliser avec l’œuvre divine ; comme toujours ils n’aboutissent qu’à une sorte de caricature. Après avoir créé l’homme, Dieu fut si content qu’il se tourna vers le Diable, et lui dit ; « Fais-en autant ! » Le diable se mit à la besogne et travailla longtemps ; mais il ne réussit qu’à faire une taupe et à lui donner des pattes qui ressemblent à de petites mains. Lorsque Dieu eut tiré Adam du limon de la terre, le diable voulut l’imiter ; il prit aussi de l’argile, et, ayant modelé une forme humaine, il souffla dessus pour l’animer ; mais quand il lui eut communiqué la vie, on s’aperçut qu’au lieu d’un homme, il n’avait fait qu’un singe.
L’origine de ce quadrumane est rapportée d’une façon toute différente dans un conte wallon, et elle se rattache au vieux thème du rajeunissement par des procédés violents : un maréchal ayant vu le bon Dieu placer un vieillard sur l’enclume et en trois coups de marteau le transformer en un homme plein de jeunesse, veut rajeunir sa mère par le même moyen ; mais il n’arrive qu’à produire une bouillie informe. Il court après le bon Dieu, qui revient et déclare qu’il ne peut faire un être humain avec ce tas de chairs sanglantes. Il essaie cependant, et quand il l’a frappé avec le marteau, il en sort un singe, qui se met aussitôt à faire des grimaces.
D’autres légendes racontent que le plus redoutable des carnassiers est aussi postérieur à la création générale. D’après un récit du Morbihan, Dieu voyant que les bergers ne gardaient plus leurs moutons et les laissaient dévorer le blé, frappa du pied sur une motte de terre et en fit sortir un loup. Dans l’Yonne, c’est Jésus qui l’a créé pour défendre les choux du jardin de sa mère contre les chèvres qui venaient les brouter.
Quelques animaux doivent leur origine à des métamorphoses, et ils ont pour ancêtre un homme qui, ayant commis un acte coupable, a été condamné à perdre sa forme primitive pour en prendre une inférieure en beauté ou en force ; leur corps conserve quelque particularité qui rappelle leur ancien état, et qui a vraisemblablement contribué à l’éclosion des légendes explicatives. Plusieurs de celles que l’on raconte dans les pays où les ours existent encore ou se sont montrés autrefois, ont sans doute été inspirées par la faculté qu’ils possèdent de se tenir debout, et c’est d’ordinaire la grossièreté d’un homme qui motive sa punition. On sait que dans le langage populaire, ours est parfois synonyme de personnage bourra et mal appris. La plus ancienne version, française a été recueillie en Lorraine vers la fin du XVIIIe siècle : au temps où Dieu vivait sur la terre, nu rustre caché dans un bois voulut lui faire peur et cria brusquement : « Oche ! » Dieu lui dit : « Tu seras comme tu l’as dit, un ours » (oche en patois) et c’est comme cela que les ours sont venus au monde. Un récit des Pyrénées rapporte que, lorsque Dieu passait, un homme se mit à grogner, et que Dieu le changea en ours, pour qu’il grogne à son aise. On raconte en Bearn que Jésus-Ghrist rencontra un jour un paysan caché derrière une barrière : « Qui est là ? demanda-t-il. – Un ours, répliqua l’autre par manière de plaisanterie. – C’est bien, répondit Jésus ; tu as dit ; Ours, ours tu seras. » Un forgeron, fier de son art, frappa sur son enclume en présence de Notre-Seigneur, un fer rouge, dont il fit voler les éclats jusqu’à lui. Dieu lui dit : « Ours tu veux être, ours tu seras, et à tout arbre tu grimperas, hormis au hêtre. » À quoi l’insolent répliqua : « Eh bien ! je le déracinerai ! » Une tradition basque parle d’une sorte de métempsycose : pour punir un chasseur présomptueux, Dieu permit qu’il fut tué par un ours ; aussitôt l’âme de l’ours passa dans celle du chasseur, et réciproquement.
La forme quasi-humaine des pattes de la taupe et de la chauve-souris a suggéré des légendes qui les représentent aussi, comme des personnages ayant éprouvé une métamorphose. On dit en Forez que Dieu, pour punir les fées qui s’étaient révoltées contre-lui, les changea en darbons ou taupes, et les condamnai ne jamais voirie jour. C’est pour cela que les pattes de la taupe ressemblent à de petites mains ; en Anjou ce sont les curés qui, jaloux de la puissance des fées, leur ont fait subir cette transformation ; dans les Vosges, les bonnes dames ont disparu depuis que les prêtres récitent l’Évangile selon saint Jean ; elles demandèrent alors à être changées en taupes, et aujourd’hui on croit que les ravages commis par elles dans les potagers sont l’œuvre d’anciennes fées. Celles qui habitaient le Puy de Préchonnet devinrent chauves-souris lorsqu’elles eurent formé le vœu téméraire de voir leur jolie montagne s’élever à la hauteur du Puy-de-Dôme.
Un récit du pays de Tréguier raconte en quelles circonstances la chauve-souris se montra sur la terre, et pourquoi elle participe de la nature de l’oiseau et de celle des mammifères. Au temps jadis une souris vint demander l’hospitalité à une hirondelle qui avait bâti son nid dans une vieille cheminée et y couvait ses œufs ; celle-ci que son mari avait abandonnée y consentit, mai à la condition que, durant trois jours, la souris couverait à sa place. La souris accomplit sa tâche, puis elle partit. Voilà les petits éclos : mais ils étaient couverts de poils au lieu de plumes, et ils avaient une tête et un corps de souris, avec des oreilles des ailes crochues comme le diable. L’hirondelle en mourut de chagrin ; après ses funérailles, la reine des hirondelles fit enfermer les orphelins dans le cloître de Tréguier, et leur défendit, sous peine de vie, de jamais sortir à la lumière du soleil. Voilà pourquoi on ne voit jamais de chauve-souris pendant le jour.
Plusieurs particularités des animaux, sont l’objet d’explications populaires qui, comme celles de l’origine du bec du lièvre, sont, parfois assez plaisantes ; telle est cette petite fable béarnaise : un jour que la grenouille et le lièvre devisaient ensemble près d’une marnière, la bruine vint à tomber : « Vite, dit la grenouille, déchausse-toi, et fuis, dans ton gîte ; moi je me sauve à l’abri ! » Et d’un coup elle est au fond de L’eau ; « Quelle pécore ! dit le lièvre, elle se jette dans l’eau pour ne point se mouiller ! » Et il se mit à rire de telle façon que sa lèvre se fendit. On raconte en Ille-et-Vilaine que les lièvres, fâchés d’être mal vus de tout le monde, se rassemblèrent polir aller se noyer ; en arrivant sur les bords d’un étang, toutes les grenouilles se mirent à crier. « Il y a encore des bêtes qui nous craignent ! » se dirent les lièvres et ils rirent tant que leur, gueule est restée fendue depuis. Suivant un petit conte facétieux du pays wallon, au moment où un chasseur épaulait son fusil pour tirer un lièvre, une toute petite grenouille, éveillée brusquement, vint s’aplatir sur le nez de l’homme qui fit un saut en arrière et laissa retomber son fusil. Le lièvre fut pris d’un rire, si violent que sa lèvre se fendit ; sa fente ne peut se fermer, parce que, chaque fois qu’il pense à cette aventure, il se met à rire de plus belle.
La petitesse de la queue de certains mammifères sauvages tient aussi à des circonstances légendaires. Lorsque Dieu eut créé le loup pour forcer les pâtours à mieux garder leurs troupeaux, il avait une queue longue de plusieurs mètres, et les bergers l’enroulaient autour d’un arbre, de sorte qu’il ne pouvait plus se nourrir de la chair des moutons ; il se plaignit à Dieu, qui, ramena sa queue à une longueur ordinaire. Celle du lièvre est si courte, que l’on dit parfois populairement qu’il en est dépourvu ; dans le pays de messin, un de ses noms est Caoué, Caouo, c’est-à-dire celui qui n’a pas de queue. Voici, d’après les paysans nivernais, pourquoi il en a si peu : au moment où tous les animaux sortaient de l’arche, le mulet lui lança une ruade, et lui coupa la queue c’est en punition de cette méchanceté que le mulet ne se reproduit pas. On raconte dans la même région que. le diable ayant percé l’arche avec un vilbrequin, Noé qui n’avait pas de cheville pour aveugler la voie d’eau, coupa la queue du lièvre et s’en servit pour boucher le trou à la hâte.
Les paysans de l’Yonne expliquent par des circonstances légendaires le préjugé, répandu en beaucoup de pays, suivant lequel les loups ont les côtes en long. Lorsqu’ils eurent été créés par Jésus pour défendre le jardin de sa mère contre les chèvres, ils ne s’en tinrent pas longtemps à ce rôle de garde-champêtre ; ils se mirent à dévorer les chèvres, puis les moutons, puis toutes les autres bêtes du voisinage. Marie ayant reçu : des plaintes de tous côtés, manda les loups, les tança vertement, et pour les punir, les condamna, soit à porter un grelot, soit à se laisser ereiner. Les loups optèrent pour le premier moyen ; mais s’étant aperçus que les animaux, avertis par la clochette, fuyaient à leur approche, ils vinrent, mourant de faim, supplier la Vierge de leur appliquer l’autre peine. Celle-ci, touchée de compassion, changea leurs côtes de position en les mettant de travers en long, si bien que quand on saisit un loup par la queue, il ne peut se retourner pour mordre. Dans le Morbihan, on dit que le loup a les reins brisés depuis que la Vierge le frappa de sa quenouille pour l’empêcher d’être trop malfaisant.
Voici, d’après un récit du Finistère, pourquoi la couleur du sanglier diffère de celle du cochon. Au temps où le bon Dieu et saint Pierre voyageaient sur terre, ils arrivèrent un soir chez une bonne femme, et lui confièrent une truie prête à mettre bas, en stipulant que la moitié de sa portée leur serait réservée. Le lendemain de leur départ la truie eut huit petits, et la vieille se dit qu’il lui serait facile de faire accroire aux voyageurs qu’elle en avait eu quatre seulement ; elle cacha les autres dans un four, et quand les saints revinrent, elle leur montra quatre petits ; mais le bon Dieu ayant dit à saint Pierre d’ouvrir le four, il en sortit quatre porcelets qui prirent le trot dans la direction du bois voisin ; comme ils s’étaient roulés dans la cendre chaude, leur soie était toute roussie, et. c’est depuis ce temps que les sangliers ont le poil brun.
Une petite légende nivernaise attribue à un acte de piété filiale les travaux souterrains de la taupe. Il y avait une fois trois frères, le coucou, la carpe et la taupé, qui vivaient en bonne intelligence. Un jour leur père disparut, et ils se mirent tous les trois à sa recherche : « Moi, dit le coucou, je le chercherai dans les bois où il est peut-être pendu. – Moi, dans l’eau, dit la carpe ; je crains qu’il ne soit noyé. – Et moi, dit la taupe, je fouillerai la terre où il est peut-être inhumé. » Depuis ce temps, la taupe et la carpe continuent leur exploration.
On constate encore des survivances très apparentes du rôle augural des animaux sauvages, qui a été considérable dans l’antiquité et chez les primitifs. La liste de ceux dont la vue est favorable est assez courte. Au XVe siècle c’était très bon signe de rencontrer un loup, un cerf ou un ours. Deux cents ans plus tard, le loup portait bonheur le matin, comme encore aujourd’hui dans les Vosges, et s’il se sauvait à grands pas il présageait du bonheur.
Ces animaux de bon augure sont tous de gros mammifères, alors que les autres sont en général de petite taille, et que leur timidité est proverbiale ; cependant autrefois la vue d’un cerf, d’un chevreuil ou d’un sanglier présageait, un malheur. En Basse-Bretagne, celui qui voyait au brun de nuit la biche sainte Ninoc’h devait mourir le jour de ses noces et une autre biche qui hantait les landes de Kerprigent (Finistère) pronostiquait toujours des choses fâcheuses. On n’a pas, à ma connaissance, relevé la superstition relative au renard qui se trouve dans une poésie du XVIIe siècle :
Les Évangiles des Quenouilles indiquent à la fois le mauvais présage de la vue du lièvre et un moyen de le neutraliser : Quant aucun se met au chemin et un lièvre lui vient au devant, c’est un tresmauvais signe. Et pour tous dangiers eviter, il doit par trois fois soy retourner dont il vient et puis aler son chemin, et alors sera-il hors du péril. Ce moyen de préservation était connu en Alsace vers 1650. Le préjugé de la rencontre fâcheuse du lièvre, relevé par le curé Thiers au XVIIe siècle, peut être considéré comme général ; elle est particulièrement funeste en certaines circonstances : en Haute et en Basse-Bretagne elle est redoutée le jour d’un mariage ; dans les Vosges, si elle a lieu le premier janvier, elle présage du guignon pour toute l’année. En Ille-et-Vilaine le lapin qui traverse la route annonce un accident prochain. ; dans le Cher, le hérisson est, dans le même cas, un signe de malheur, et s’il coupe le chemin en même temps qu’un lièvre, c’est le présage d’une mort inattendue ; en Poitou celui qui voit une taupe traverser la chaussée éprouvera un ennui qui, dans le Bocage vendéen, consiste dans la perte du couteau ou du mouchoir.
Au XVIIe siècle, le lièvre qui s’enfuyait présageait une disgrâce, et dans les Vosges on est persuadé que Celui qui se montre après le coucher du soleil, faux ou véritable, sorcier ou bête, est toujours un signe de malheur. En Berry la belette qui coupe la roule devant quelqu’un lui annonce un décès imprévu ; en Vendée ; celle qui va de droite à gauche est seule funeste.
Plusieurs procédés traditionnels neutralisent les effets des mauvaises rencontres. Tantôt ils sont purement païens, comme celui des paysans poitevins qui, à la vue d’une belette, marchent à reculons en poussant trois pierres, tantôt ils sont plus ou moins christianisés : c’est ainsi qu’en Dauphiné on se signe avant de jeter une pierre sur le passage de la bête. Dans la Gironde celui qui, le matin et à jeun, Voit une belette ou une fouine traverser la route, doit tracer immédiatement une croix sur l’endroit où l’animal a passé, en’se servant d’une pierre ou d’un morceau de bois ; cet acte exécuté avec la main ou avec le pied, n’aurait aucune efficacité. Les paysans vendéens font une croix sur le sentier qu’une taupe a traversé.
Les propos gracieux adressés aux animaux les empêchent d’exercer leur pouvoir de nuire : Dans la région des Pyrénées, on est sauvegardé contre la belette, si on l’appelle ainsi dès qu’on l’aperçoit ; Pallèt, la beroya dauna que bous es ! Pallet, la jolie dame que vous êtes. Dans le Finistère celui qui en voit une traverser le sentier s’empresse aussi de la flatter : Ar garelik –a so bravo chevit an demezelik !… La belette – est plus gentille qu’une demoiselle ! Aussitôt l’animal se met à gambader, joyeux du compliment.
Suivant une croyance familière à l’antiquité, et qui, chez nous, est constatée par plusieurs textes bien antérieurs à l’époque moderne, le loup possède une redoutable puissance de fascination. On disait au XVe siècle : Se aucun voit le loup devant que le loup le voye, il n’aura povoir de lui meffaire et pareillement la personne au, loup. Deux cents ans auparavant le Bestiaire d’amour enregistrait cette superstition avec des détails un peu différents ; La nature del leu si est tele qe quant uns hom le voit avant qe il voie l’home, lei leus empert tute sa force et son hardiment, et se li leus voit l’ome premerains, li home empert sa voiz, si qe il ne puet mot dire. En beaucoup de pays, la perte de la parole oit l’enrouement sont la conséquence la plus habituelle de la rencontre inopinée de ce carnassier ; le proverbe : Il a vu le loup, qui se dit en parlant d’un homme enroué, constate la popularité de ce préjugé. La privation temporaire de la parole est, suivant quelques-uns, produite par son haleine : Se disent les Évangile des Quenouilles, le loup pœult une personne approchier à sept piés et le veoir en la face, de son alaine rend la personne tant enroué qu’il ne pœult crier. Dans les Ardennes, celui qui respire l’haleine forte du loup perd la voix ; de même que, en Haute-Bretagne, celui qui a ouvert la bouche au moment où un loup passait, et celui au visage duquel il a soufflé quand il criait après lui.
Il est, sans compter les conjurations, quelques moyens de se garantir de cette fâcheuse influence : lorsque les bergères berrichonnes ne peuvent crier, elles courent sur le loup, les cheveux épars, certaines de le mettre en fuite ; en Haute-Bretagne on n’enroue pas si on se fourre dans la bouche une mèche de cheveux.
Le lièvre passait autrefois pour exercer un pouvoir qui semble en contradiction avec sa timidité proverbiale. On croyait en Normandie que lorsqu’il apparaissait dans une assemblée où l’on, buvait, les convives, pris d’une indicible rage, se ruaient les uns sur les autres ; son arrivée au milieu d’un combat semait la terreur parmi les gens qui se débandaient et s’enfuyaient en désordre ; enfin il provoquait la panique dans les foires.
Lorsque certains animaux s’approchent plus que d’habitude d’un logis ou qu’ils font des actes, insolites dans son voisinage immédiat, ils pronostiquent parfois des choses funestes. Quand on voit, disent les Évangiles des Quenouilles, plenté de Chauvesoris voler entour une maison, il en fait bon deslogier : car c’est grant signe que temprement on y boutera le feu. Ce préjugé semble oublié, mais dans la Gironde ce vespertilien est de mauvais augure pour la maison où il entre. Lorsqu’il y a un malade, des gestes auxquels on ne prend pas garde en temps ordinaire, sont regardés comme l’annonce de sa fin ; c’est le présage que l’on tire dans le Morvan de la belette, qui croise sa porte, dans les Vosges et dans le pays messin de la taupe qui vient faire des monticules près du deuil ou sous les fenêtres.
Un attribue aux rats une sorte de prescience ; les marins prétendent qu’ils abandonnent le navire menacé d’un naufrage prochain, et sur la terre ferme, on prétend qu’ils se hâtent de quitter la maison prête à s’écrouler.
Les cria des mammifères sauvages, qui sont rarement interprétés comme une sorte de langage, ont aussi un rôle augurai restreint : Dans la vallée d’Aoste le renard qui glapit près des maisons indique qu’une personne est sur le point de mourir dans le voisinage ; en Wallonie la femme qui entend une souris crier, en augure que son mari la trompe.
Quelques-uns des augures tirés de ces rencontres sont en relation avec le caractère attribué à l’animal : En Saintonge, une belette annonçait qu’avant peu l’on aurait affaire à une méchante femme ; pour rompre le charme, on s’empressait de pousser une pierre La vue d’un renard était le signe de quelque imposture, celle d’un lièvre, d’une perfidie.
L’interprétation des songes où figurent les bêtes sauvages, est aussi la plupart dû temps. analogique : à Liège des rats ou des souris présagent des maladies, dans les Vosges, les rats pronostiquent la disette, la taupe, des dégâts faits par la pluie ou la grêle, le loup, un malheur prochain, comme au XVIIe siècle ; mais, à l’époque de la Renaissance, on tirait parfois un augure favorable de ce carnassier :
Il est interdit de tuer ou même de maltraiter certains animaux, soit en raison de l’utilité qu’on leur attribue, soit par crainte des accidents qui pourraient arriver à ceux qui violeraient les défenses qui les protègent. Dans le Gard les taupes sont respectées parce qu’elles font disparaître les miasmes et la trop grande humidité de la terre. Vers le milieu du XIXe siècle les paysans de la partie bretonnante des Côtes-du-Nord ne chassaient pas les belettes des maisons, et ils croyaient qu’elles y apportaient la chance ; en d’autres régions de la Basse-Bretagne, on se serait bien gardé de les mettre à mort ; dans le Finistère, où on les considère comme des bêtes très utiles, on perdrait à bref délai la plus belle vache de l’étable, et l’oit disait que celui sur lequel cet animal arrêtait, son dernier regard mourait dans l’année. Dans la Montagne noire, si l’on avait tué une belette ayant ses petits’, toute la nichée serait venue manger le linge jusque dans les armoires. Aux environs de Tinténiac (Ille-et-Vilaine) où, contrairement à l’opinion, ordinaire en Haute-Bretagne, les hérissons portent bonheur, on a grand soin de ne pas les tracasser.
Bien plus nombreuses sont les bêtes que les enfants et les adultes se plaisent à mettre à mort ou à tourmenter, tantôt en raison des méfaits, parfois imaginaires, dont ils les accusent, tantôt à cause de leur aspect ou de leur origine légendaire. En beaucoup de pays on tue et l’on torture les chauves-souris : dans le midi, on dit qu’elles sont les mouches de l’enfer ; quelques paysans de Haute-Bretagne, après les avoir martyrisées les clouent vivantes sur les portes, sous prétexte qu’elles dégradent les murs ; en Poitou les enfants leur grillent le nez, pour leur faire faire des grimaces ; dans la Montagne Noire, celles qu’on jette sur le feu profèrent distinctement de grosses injures. En Ille-et-Vilaine, on brûle quelquefois les hérissons à petit feu, et les enfants poitevins les jettent à l’eau pour les faire se dérouler. En Normandie, on les détruit Impitoyablement. Dans le Puy-de-Dôme, On tue les taupes, parce qu’elles sont l’œuvre du diable.
Au Moyen Âge, les animaux sauvages et parmi eux le loup, étaient parfois jugés et condamnés au dernier supplice :
C’est vraisemblablement l’origine des lieux dits : « Loup pendu » assez fréquents dans le voisinage des forêts. J’ai encore vu dans les Côtes-du-Nord vers 1860 un loup accroché à une haute branche d’un chêne au croisement d’un chemin vicinal et d’une route forestière. Des fragments de cet animal étaient mis à une sorte de pilori, suivant un usage observé même à la cour de France ; au retour d’une chasse faite par Charles IX dans la forêt de Saint-Germain :
Le caractère d’exemple est encore plus apparent dans une fable de Lafontaine ; lorsque les manants eurent assommé le loup qui voulait manger un enfant criard, le seigneur, du village mit à Sa porte, en l’accompagnant d’une inscription, le pied droit et la tête du carnassier.
On croit en beaucoup de pays que des hommes acquièrent par des moyens mystérieux le pouvoir de se faire suivre des bêtes, et de les contraindre à exécuter leurs ordres. Les meneurs de loups, dont j’ai parlé au chapitre des forêts, t. I, p. 28 et suiv., sont les plus connus et les plus redoutés de ces magiciens. Au XVIIe siècle, on accusait les sorciers d’envoyer ces carnassiers contre les moutons et dans les bergeries, et cette idée n’est pas complètement effacée. D’autres mammifères sauvages obéissent aussi à certaines gens ; au temps des procès de sorcellerie il y en avait qu’on accusait de susciter des rats à l’aide de Satan : cette superstition, signalée aussi par Thiers, subsiste toujours. Dans le Bessin, dans la Manche, en Sologne les sorciers envoient ces rongeurs en troupes. En Ille-et-Vilaine, comme dans la Mayenne, ils peuvent les éloigner ou les attirer où il leur plait ; ceux auxquels on attribue ce pouvoir sont souvent des mendiants ou des coureurs ; aussi on se garde de refuser l’aumône aux passants mal. vêtus, de peur qu’ils ne fassent arriver les rats. Quand ils sont ainsi venus par sorcellerie, les chats n’y touchent plus, et il est impossible de s’en débarrasser tant que le sort n’a pas été levé. Des gens assurent avoir été témoins des migrations de ces bêtes malfaisantes. Une couturière de Basse-Normandie avait vu un mendiant marcher lentement par un chemin creux, Suivi de tout un troupeau de rats dont les premiers avaient le, nez sur les talons de ses sabots. Le lendemain elle apprit qu’une ferme du voisinage avait été dévastée par les rongeurs ; un paysan vallon croisa aussi toute une armée de rats en marche. Dans le Bocage normand leur conducteur recommandait à celui qu’il rencontrait, de ne pas faire de mal à ses animaux, surtout au dernier ; un garçon ayant donné un coup de bâton à un rat boiteux qui suivrai la bande à quelque distance, le vit devenir une horrible bête qui l’aurait étranglé si le mendiant n’était accouru à ses cris. On disait dans la même région que des chercheurs de pain pétrissaient l’argile en forme de rats et de souris ; quand ils avaient soufflé dessus en prononçant certaines paroles, l’argile s’animait et il en naissait des milliers de rongeurs qui allaient où leur commandait le sorcier. On rencontre la même superstition, bien loin de là, dans la vallée d’Aoste : un jour deux villageois virent les enfants d’une sorcière qui s’amusaient à modeler des boulettes de terre et à leur donner la forme de rats ; l’un d’eux ayant prononcé des paroles cabalistiques. en étendant la main vers les boulettes, aussitôt elles s’animèrent, et devinrent des rats véritables qui allèrent se cacher sous les pierres.
Dans les Côtes-du-Nord, pour enracer, c’est-à-dire envoyer, des rats chez un ennemi, on en grille un tout vivant, puis on promène son cadavre autour de la maison. Tous ceux du pays accourent et s’établissent à l’endroit où leur congénère a été supplicié.
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