Le greffier du tribunal - Facinet - E-Book

Le greffier du tribunal E-Book

Facinet

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Beschreibung

Dans l’ombre des tribunaux, un greffier raconte soixante ans de silences et de secrets, témoignant de la défaite humaine et des injustices. À travers son regard aiguisé se dévoilent les mécanismes de corruption, les luttes de pouvoir, et les drames individuels. Entre confessions et observations acérées, ce roman dresse un portrait sans concession d’une société en quête de justice. Une réflexion sur le poids du devoir et la résilience face aux dérives de l’histoire. Une œuvre, où l’anonymat devient le témoin des tragédies collectives.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Arrivé en France à l’adolescence, Facinet se consacre à la poésie et aux contes après le lycée et les classes préparatoires. Reparti en Guinée durant l’épidémie d’Ebola, il devient attaché de cabinet au ministère de la Jeunesse. De retour en France, il achève son doctorat et s’engage dans une association d’aide aux migrants. Ses écrits reflètent les révoltes et émerveillements d’une condition noire partagée entre Afrique et Europe, exil et migration.

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Seitenzahl: 110

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

Facinet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le greffier du tribunal

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Facinet

ISBN : 979-10-422-5955-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

Le greffier du tribunal

 

 

 

 

 

Je suis le greffier du tribunal, infatigablement droit dans l’assemblée comme un tableau, je transcris les plus objectives lignes qui résonnent ici et là entre quatre murs.

C’est moi le gratteur de papiers carreaux, l’unique individu qui ne tremble pas dans la mêlée austère et le tohu-bohu plus triomphant.

Et devant l’amertume et devant l’effroi, j’ai été celui qui ne pense jamais à l’horizon qui pleure au-delà des parpaings ici présents.

Monsieur, je suis bel et bien l’homme invisible n’est-ce pas ? Solennellement installé derrière sa machine et ses dossiers, tapant maladivement comme un marteau frappe l’enclume.

Inlassablement sous le climatiseur qui ronronne, je donne vie à des lettres et des chiffres, témoignages gris et plats de toutes sortes de crimes et d’opprobres dictés au milieu des foules aux aguets, de la foule impatiente qui tend l’oreille sur la probité infernale des gouvernants et des gouvernés.

Personne ne me regarde pourtant.

Ici, la seule personne qui ne parle pas, c’est bien moi. La seule personne qui ne prend pas parti c’est bien moi. La seule personne sur qui rien ne paraît, c’est encore bien moi. Vous ne trouvez pas que c’est philosophique ?

Je ne suis rien d’autre qu’une ombre jetée entre l’encre et le blanc de l’œil.

Avant chaque audience, comme vous le constatez, je suis en charge matinalement de la préparation et de la gestion des dossiers du Président, c’est un gentil Monsieur, le Président, comme vous le verrez ; il ne va plus tarder, il s’arrange au moment où je vous parle avec une jeune fille de passage tôt dans son bureau dès les premières lueurs ; ce n’est pas pour un dossier rassurez-vous, c’est une tradition chez nous ces visites matin et soir pour les commis de l’État, on appelle ça le « deuxième bureau ». Puisque vous en avez certainement entendu parler chez d’autres, je ne vais pas rentrer dans les détails si vous voulez bien ; derrière chaque rideau que vous voyez là-bas, se jouent quotidiennement des scènes que votre esprit trouverait dérangeantes et obscènes.

Des secrets, oui, j’en compte beaucoup, Monsieur ; le droit est fait de secrets judiciaires, n’est-il-pas ? Et certains silences ont leur pesant d’or.

Monsieur, dans une chambre, située certes à l’ouest de ma mémoire, sont empilés des milliers de succions et de concussions, des procès-verbaux, des enquêtes folles et affolantes ainsi que des actes de justice aussi bien que l’indémontrable.

S’il fallait commencer à accuser, j’accuse d’abord notre ersatz commun, notre je profond, notre moi livide, y compris ma propre personne, témoin intègre des confessions les plus monstrueuses pour ce peuple et démissionnaire de par la conscience : Monsieur, on a mis l’uniforme au fauteur, il faut se l’avouer, la camisole au juge et la cravate au marabout. C’est la République des Guirlandes, pour de vrai, même pas besoin de forcer le trait en portrait faux, tout le monde le sait dans le monde, mêmes les enfants sourds et muets qui attendent le père Noël connaissent ce secret de polichinelle : les africkains sont des vilains visages…

Monsieur, 60 ans de parquet, un océan de chefs d’accusation, une pyramide de dossiers d’instructions, une cathédrale de faux complots et un building de délibérés, de réquisitoires, de plaidoiries et de sentences et de grâces, tout est passé entre mes dix doigts experts, offerts à l’utilité et la cause publiques, mes dix petits doigts résignés, figés au-dessus la foule hystérique et tout aussi lâche, mes doigts courbés comme des réverbères sur des histoires à couper le souffle, à dormir debout et à courir dans l’eau, des légendes d’argent et de vies bafouées, les récits dignes d’un beau western ardent et leurs dénouements négociés au rabais, sous le manteau, quelque part autour de nous, de manière fataliste et assumée : nous sommes chez l’épicier Monsieur, tout est à vendre, et la liberté, et la prison, tout se vend et s’achète, il paraît même, hors-les-murs, que la position et la fortune aussi s’achètent : il suffit d’avoir le pot ou l’entrain qu’il faut.

Monsieur, croyez-moi ou non, malgré l’état de délabrement général des lieux où nous sommes, avec ses suintures de pluies un peu salissantes qui glissent le long du crépi de granite mort, il y a plus d’étés, de trafic, de terre et d’or dans ce tribunal que vos yeux ne pourront couvrir toute votre vie, avec en échange un tas de corruptionsnauséabondes que n’en contiennent de corps les mers les plus ingrates de ce monde.

Ici je pense que les tribunaux ne devraient pas exister, car ils débordent Monsieur : tous y passeraient, et tout y passe : prêtres, imams, dignitaires du régime, forces de défense et de sécurité, bandits et cols blancs, officiers de police judiciaire, péripatéticiennes bien établies, si tous devaient se confesser on déclencherait l’apocalypse avant le retour du Christ promis par Mahomet lui-même.

Mon bon Monsieur, bien sûr, écrire les faits et gestes des protagonistes, oui, telle a été ma charge pendant 60 longues années assis au service de la République : péniblement installé sur le dur bois de ma chaise proprement vernie, la tête lamentablement baissée, je n’ai jamais regardé personne non plus : mon travail à moi était musculaire, mes phalanges restaient parfois enfoncées sur une touche de ma machine comme un aimant, mes nerfs craquaient parfois et sautaient par terre pour rattraper les aveux ou les horreurs qui se délattent dans la musique sourde du tribunal que j’étais le seul à pouvoir entendre vraiment : d’éternels regrets insuffisants qui sifflotent encore dans mon crâne sans en perdre une miette, d’éternels mea culpa qui n’arrangent surtout rien au destin de nos ventres qui ronronnent comme la machine et le climatiseur, d’éternels atermoiements de gros crocodiles qui ne réparent pas nos vies qu’ils assomment chaque jour, d’éternelles négociations qui ne rendent absolument pas justice à nos cœurs désopilés, ni ne sauvent surtout personne de l’apnée incertain au bord de la route, ni ne nourrissent jamais aucun naufragé le long des grandes larges.

Monsieur : on a trop accepté notre sort, vous ne trouvez pas ?

Ave Caesar, morituri te salutant…

Mais Monsieur, puis que vous êtes là pour un but bien précis, ne perdons plus notre temps avec du latin et des verbiages. Puis que vous vous êtes spécialement déplacé jusqu’ici, je vais tout vous raconter. Vous pouvez évidemment prendre des notes et lire les dossiers vous-même pour vous faire une opinion.

Monsieur, la petite histoire que je vais vous raconter est purement vraie. Si je mens que les murs du tribunal s’abattent sur moi et que je sois noyé sous le grain du ciel.

Vraie au sens de la vérité historique, je veux dire. Bien que personne ne sait vraiment ce que ça veut dire la vérité historique et que c’est banal de le dire ainsi, mais la vérité historique, contrairement à la vérité du narrateur, compromise et faussement affectée comme celle du « politicien bancal », suppose d’ouvrir l’œil, de voir en face qu’on est laid, « comique et laid pour sûr », à danser nus sous la pluie diluvienne alors que les chiens se rincent grossièrement à nos dépens.

Monsieur, permettez-moi parfois de dire des choses que vous ne comprenez pas, enfin pas immédiatement et tout de suite, il faut le temps de l’acclimatation. Oui Monsieur, certainement qu’on est un peu mystificateur ici, ça fait partie de notre ersatz commun, notre je profond, notre moi livide, je vous laisse nous juger vous-même, comme toutes les petites histoires humaines que vous connaissez, retenues ici-bas par la gravité de Newton.

Monsieur, c’est vrai que cette contrée a ses valeurs et ses traditions, qu’on voudrait immuables pour toujours comme La Légende des siècles, terriblement passéistes et misérabilistes, une réserve de ce qui fût le monde naguère, avant Rome, avant la révolution, avant 89, avant 14, avant 39, après la guerre et la délimitation du progrès conceptuel en 45, puis en 90, la grande barrière des Suds et des Nords qui se dresse chaque jour davantage pour protéger les uns.

Nous on est les autres.

Nous nous nommons l’homme, enfermé dans la routine libre des tiers-mondes en ronde, qui s’en va et qui revient, devancé par les Lumières, pertinemment angoissé de ne pas savoir, de ne pas inventer, soumis à l’occupant.

Vous trouvez que les mots sont forts et le message peu clair ? Pourtant c’est de la simple géographie tout ça, c’est de l’Histoire évidemment Monsieur, c’est encore de l’économie mundis, parfaitement je l’assume : la globalisation funambule, c’est bien çà la marche infernale du monde, tous roués pour la croissance et la consommation, le vaccin, le sport, le confort et le masque, vous ne croyez pas ?

Big Data détient le carrosse Monsieur ! Big Data est assis sur le trône, je peux le voir ! Ses lunettes commandent : il est le « dévelop-peur », il est le « dépeu-pleur » ! Il est le mur, la barrière. Il est aussi les mirages dans le ciel : il est le grain de pluie qui nous suffit.

Mais au-delà du bien et du mal dans le conditionnement de l’homme moderne passionné pour le futur impassible, s’il vous plaît Monsieur, je vous demande d’abord d’abandonner vos habits pour une fois et de vous laisser phagocyter un instant par ce petit bout de terre bleue quelque part sur la surface de la Terre. Complètement à l’ouest du monde. À l’ouest de nulle part.

Ainsi dénudé entièrement, ainsi débarrassé de vos lunettes dont je suppose que la teinte a été analysée par les plus grands opticiens vivants, ouvrez les yeux et vous verrez alors qu’il existe quelque chose d’encore plus troublant que la simple chronologie du cours de la vie qu’on voit : avec ses psychoses collectives, ses ça et ses surmoi ignorés, ses naissances et ses mariages groupés, ses us et ses habitus rechignant qu’on voudrait vendre pour quelques pièces dehors.

Quelque chose, Monsieur, je vous dis, qui semble tant bien que mal présider aux destins respectifs des habitants de cette cité ; où un lampadaire perdu au milieu de l’Africk désarmée fait régner paradoxalement une angoisse à la fois sublime et éblouissante que Victor Hugo lui-même eut pleurée.

Ici Monsieur, sur cette terre enfermée par le traintrain matinal et peut-être le trop tard éternel, quelque chose de plus grave, car blême et écarlate rode dans les ruelles et les couloirs de latérite qui irriguent la ville comme un gros intestin, vide et plein de son propre vide.

Cette chose-là s’appelle : LA DÉFAITE.

Un état stationnaire du genre humain, comme si le pays était bloqué en effet dans les dilemmes du temps, figé en effet sur les mêmes enluminures et les mêmes photos depuis presque toujours que le sablier a été renversé, figé sans se dépasser depuis Frobenius, toujours nu, toujours dénudé, toujours se laissant dénuder sur des incidents à ciel ouvert encombrés de compromissions de toutes parts.

Un pays écartelé comme vous et moi entre les quatre murs de ce maudit tribunal où le temps s’est accroché au plafond, ce n’est pas faux, ou des gouttes de rosée s’ajoutent à mon front comme pour témoigner de ma vigueur intérieure.

Ici tout se passe de manière anodine et sans crier gare. Comme pour du gibier.

Venez ! Avançons un peu vers la fenêtre qui éclate. Regardez dehors, hors-les-murs, je vous dis, là au milieu de rien et au milieu de tout ce qui existe, la terre s’étend à perte de vue, l’or est partout, encore faut-il creuser pour piocher les meilleures pierres que chercheraient des explorateurs.

Mais au lieu de ça, tout le monde plane dans de sordides médicaments dépotés au comptoir et par terre dans les médinas. On est plombé comme dans une tombe sans se rendre compte qu’on est mort.

Ni vivant.

Qui nous réveillera un jour ? Que sont devenus nos dieux ? Je me le demande moi-même chaque jour en me couchant et en me levant, en scrutant le ciel et en baignant dans la terre.

Sans doute qu’ils ont baissé les bras eux aussi depuis longtemps. Les dieux se sont rangés, comme ces jeunes hommes et femmes par milliers qui attendent, que vous voyez continuellement assis là sur les bancs publics devant nous de janvier à décembre, et la menthe à la bouche et la terre qui brûle sous les pieds de paille. Ils attendent rien