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2053. Pollutions industrielles, politiques totalitaires, révoltes, répressions, conflits militaires, épidémies, grandes migrations ont fini par agglutiner les neuf dixièmes de la population sur les 10 % encore non altéré de la surface de notre planète. Pour réussir à le supporter, beaucoup ont trouvé refuge dans le numérique. Le casque IMV remporte un immense succès car il permet de s’évader complètement de la réalité. Seulement, contre toute attente, ce divertissement conduira les protagonistes au cœur d’un mystère que les lecteurs découvriront au fil des pages.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Yves Macé se passionne pour la science-fiction en découvrant plusieurs auteurs dont A. Meritt, I. Asimov, P. K. Dick, mais aussi les Marvel comics. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, du space opera au fantastique, il nous invite dans son univers avec cette dystopie. Celle-ci donne matière à réfléchir sur le futur de ceux qui privilégient leurs distractions au détriment de leurs décisions.
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Seitenzahl: 232
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Yves Macé
Le huitième royaume
Roman
© Lys Bleu Éditions – Yves Macé
ISBN : 979-10-377-8929-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À toutes celles et ceux qui me laissent flâner dans mes rêveries
en leur compagnie sans en prendre ombrage…
Un grand merci à toi, Claire M., pour ton temps
et ton accompagnement littéraire,
Merci, Joyce, de me porter sur ta belle verte…
L’imaginaire est l’une des plus belles évasions
que l’on puisse trouver sans se mettre trop en danger dans ce monde de codes, de certitudes, de morales,
de règles, de lois, de répressions…
C’est savoir être ailleurs au même endroit, respirer enfermé, s’éloigner de soi et se retrouver enfant, innocent,
dans le labyrinthe de Pan…
La dernière séance de cardio-training programmée au cours de cette journée de portes ouvertes était terminée. La fatigue commençait à se faire sentir. Yannick Horse avait malgré tout pris le temps de répondre aux questions de potentiels futurs adhérents. Ce moment lui permettait de reprendre son souffle. Yannick voulait donner aux personnes présentes l’envie de revenir, l’envie de s’inscrire. Une fois seul, il reposa sur leurs racks respectifs les tapis de gym restés au sol. Il consulta son écran flexible : 21 heures 55. Il balaya du regard la grande salle aux murs recouverts de miroirs. Tout était bien en ordre. Il prit un instant pour savourer le calme des lieux. Le silence résonnait comme un soulagement, une délivrance. Les yeux fermés, il prit une lente et profonde respiration. Un sourire de satisfaction s’inscrivait sur ses lèvres. Cette longue et belle journée prenait fin. Entamée à l’horaire habituel d’ouverture, le matin à dix heures, elle allait, de manière exceptionnelle, se conclure à vingt-deux heures. Durant tout ce temps, les lieux n’avaient pas donné un instant l’impression de désemplir. Sans cesse, curieux, invités, amis, membres du club s’étaient relayés de la première à la dernière seconde. S’apprêtant à partir, Charlotte Parhysse, son associée, passant devant le seuil, lui lança à bout de souffle elle aussi :
— Je crois que nous pouvons rentrer chez nous l’esprit tranquille. Quelle journée, n’est-ce pas ? Je pense que nous venons d’assurer au moins deux ans d’abonnements. Je suis épuisée. Ne tarde pas trop, patron, on bosse demain ! Et avec toutes celles et ceux qui se sont préenregistrés, je vais devoir valider un beau paquet de données numériques ! Cela pourrait bien de me prendre toute la journée ! C’est ballot mais tu vas devoir assurer l’accueil tout seul demain… Bye.
Un léger sourire en coin, Yannick fit mine d’en être contrarié. Bien que leur logiciel de gestion fut extrêmement simple d’utilisation, il rechignait à collecter des données, à les numériser. Il laissait volontiers aux autres la saisie informatique. Bien meilleur coach sportif que communicant, il préférait encore être à l’accueil. Après tout, il savait qu’il ne laissait pas indifférent. Il aimait bien voir les yeux pétillants et le sourire presque béat de ces dames quand elles venaient s’adresser à lui. Embrassant la jeune femme sur le front, il laissa sans plus tarder s’en aller celle qui le secondait à merveille. Les dernières passionnées d’aérobic, les férus de bodybuilding, les mordus de raquettes, les accros de mousquetons, son personnel… tout le monde s’en était allé. Lui fit encore quelques allées et venues à l’intérieur de l’imposante enceinte répartie sur trois niveaux. Il aimait ce petit moment où il pouvait profiter de ce bel espace seul.
Sur le grand mur lumineux du hall d’accueil s’inscrivaient de multiples façons la date et l’heure. Il n’allait pas oublier de sitôt ce mercredi 30 avril 2053. Déjà 22 h 37 ! constata-t-il. Il pouvait en toute quiétude fermer son établissement de sport-center et s’en retourner chez lui. Il était pressé de se reposer. Il avait surtout très envie de retrouver son tout dernier divertissement. Bien que certain d’être seul, il ne put s’empêcher de jeter un dernier coup d’œil sur ses installations. Ce geste machinal le fit rire de lui-même. Non, il n’avait rien laissé au hasard. Non, il ne s’était pas précipité et oui il avait bien le droit de rentrer enfin à son domicile ! Il commanda vocalement le verrouillage de toutes les issues et l’activation de la surveillance de nuit. Prêt à mettre le nez dehors, il présenta son œil droit à son vieux système de reconnaissance d’iris permettant à son droïde de gardiennage de valider ses dernières instructions. Une fois à l’extérieur, il marqua un temps d’hésitation. Le quart d’heure de marche qui le séparait de son appartement avait ce soir des allures de calvaire. Pour une fois, j’aurais dû prendre mon hoverboard ! se dit-il. Mais à peine eut-il soufflé un grand coup, il se reprit. Cette petite marche va être le sas idéal pour bien se changer les idées.
Tout en déambulant, il se moqua de lui-même, se demandant s’il n’y avait pas un lien entre sa fatigue et son âge. Puis, plus sérieusement, son âge lui rappela à quel point le temps passait… à quel point même il passait vite…
Huit ans déjà qu’il était copropriétaire et actionnaire majoritaire des lieux. Locataires des murs au départ de l’aventure, Charlotte et lui avaient sauté le pas début mai 2045. Ils investirent tout ce qu’ils avaient dans ce centre de remise et de maintien en condition physique. Ce magnifique complexe dépassait les 2500 m2 de superficie totale. Un véritable trésor dans ce monde en manque d’espace. Ouvert sept jours sur sept, l’endroit fut rebaptisé dès 2048 « L’ExistIntense ». L’agencement bien particulier des lieux leur permettait d’accueillir suffisamment de personnes sans qu’elles aient à s’y croiser. Il fallait apporter un bon nombre de garanties pour rester ouvert durant les périodes récurrentes de crises sanitaires comme sociales. Le statut de nombreux clients avait certainement également contribué à ce qu’ils traversent les différents événements sans trop de dommages.
Afin que tous soient convaincus de pouvoir éliminer des toxines tout en prenant plaisir dans leurs activités, les deux associés n’avaient pas lésiné sur les moyens. Un grand mur de varappe s’élevait sur les trois étages. Il proposait plusieurs pistes adaptables au niveau de chacun. Dans de petites pièces individuelles, les adeptes du travail personnalisé pouvaient profiter du fitness WII. Des séances toniques plus classiques étaient données depuis des salles pouvant contenir plusieurs personnes. L’espace musculation répondait à toutes les attentes du fait de sa multitude de machines comme d’haltères. Des salles vitrées, juxtaposées, permettaient de transpirer, seul ou à plusieurs, en jouant au squash, au badminton, ou avec un ball’s back… Afin de proposer toujours plus d’activités, Yannick avait convaincu Charlotte d’élargir leur éventail. Leur établissement permettait l’accueil d’entreprises désireuses d’organiser un teambuilding. Cela pouvait se dérouler en plein air, sur deux, trois, quatre jours, au cœur des régions dites non altérées. Diverses randonnées, cyclistes ou équestres, accrobranche, descente en rafting, orientation étaient au programme… En réponse à des budgets plus modestes, certaines autres avaient lieu dans leurs locaux depuis divers simulateurs de sensations fortes. Contribuant à l’expansion de la superficie globale de L’ExistIntense, le quadragénaire et son associée avaient réussi à se doter d’une belle salle de restauration. Elle pouvait accueillir une trentaine de personnes et juxtaposait subtilement une échoppe proposant la vente de toute la gamme des compléments alimentaires proposés au menu. Une grande salle de jeux d’action, de combats, d’opérations commandos, proposait régulièrement différents tournois. Cela attirait toujours un grand nombre de joueurs dont certains s’étaient fait un nom dans leur domaine de prédilection. Pour finir, un night-club privé permettait de recevoir plusieurs nuits dans l’année ceux qui aimaient venir s’époumoner sur une des trois pistes de danse, en dégustant quelques verres de boissons plus ou moins homologuées, voire pour certains en inhalant des vaporettes aux adjuvants pas toujours recommandables… Dans l’environnement étouffant que procuraient les nouvelles mégapoles érigées à la va-vite pour accueillir les fuyards des zones contaminées, ce genre d’établissement devenait l’un des derniers endroits en vogue pour se sentir vivant, retrouver, d’une manière ou d’une autre, les sensations de ses propres capacités physiques.
Si cette journée promotionnelle, conclue par un nocturne jusqu’à 22 heures, avait été fructueuse, elle avait été également pour quelques habituées l’occasion de le solliciter. Par distraction ou par défi, certaines tentèrent de le charmer, allant jusqu’à le provoquer sans trop de discrétion. Sans trop de résultats non plus. Dans cet univers où tout ce qui était proposé faisait l’apologie de la sculpture du corps, de son maintien en forme et en tonicité, Yannick n’avait que trop souvent cédé à ces égarements. Il n’y avait pas si longtemps de cela, il n’aurait pas refusé de répondre à une ou deux invitations. Il avait toujours été bel homme. Grand, musclé sans être massif, la belle quarantaine naissante, il suscitait plus que jamais un vif intérêt auprès de la gent féminine. Métis, d’un père européen et d’une mère africaine, sa couleur de peau et ses traits fins avaient bien souvent contribué à charmer ses clientes avant même qu’il n’ait pensé à les séduire. Mais depuis quelque temps, il s’était découvert une nouvelle passion. Il y trouvait une évasion comme jamais rien ni personne ne lui en avait procuré avant cela.
Enfin dans son appartement, seul, détendu, confortablement installé, prêt à poursuivre son épopée, il enfila son tout nouveau casque IMV. Cet instrument d’Immersion dans le Monde Virtuel était révolutionnaire. Ayant la forme d’une grande cagoule tombant sur les épaules, recouvrant les omoplates et les pectoraux, l’équipement, souple, était muni de nombreux capteurs d’activité cérébrale. Il comportait des écouteurs, un microphone et une grande visière faisant office d’écran 3D. Son utilisateur faisait bien plus que de se munir d’un harnachement permettant de piloter un personnage comme le proposaient jusqu’alors les divertissements numériques. Il devenait intégralement ce personnage. Cela lui procurait une impression de réalité comme aucun autre matériel ne savait le faire. Plus rien ne permettait de distinguer le monde du virtuel du monde réel.
L’aventure pouvait continuer. Allongé, les yeux fermés, le temps du chargement, il quittait progressivement un univers pour en rejoindre un autre. Il n’était plus Yannick Horse, il devenait…
******************
— Par le ciel scintillant de millions d’étoiles, ce repos m’a fait le plus grand bien. Il va falloir dorénavant que je m’organise un peu mieux pour comprendre, sans m’exténuer outre mesure, comment découvrir le monde enchanteur d’Exébase…
En prononçant ces mots, son dôme protecteur bleuté enfin dissipé, Hasboard se relève et s’étire. Remettant de l’ordre dans ses affaires comme dans ses dreadlocks, il s’enthousiasme à l’idée de poursuivre son aventure. Ses grands yeux noirs bien ouverts, il réajuste ses manches les faisant glisser sur sa peau d’un vert Véronèse. Il regarde avec beaucoup de plaisir la beauté du paysage qui s’offre à lui. Des flotteurs se dirigent lentement dans sa direction. Ces arbres sont étonnants. Leur unique racine souple leur sert d’amarre qu’ils enroulent sur ce qu’ils trouvent là où ils désirent se reposer. Leur feuillage orangé annonce le crépuscule en devenant électroluminescent. Pour se déplacer, ils positionnent leurs feuilles telles les voiles d’un navire et se laissent pousser par le vent. Ils laissent traîner dans l’eau leur racine pour se désaltérer. Ils bleuissent parfois pour attirer les izbilles ces insectes pollinisateurs dont ils se servent pour se reproduire… La belle nuit claire se reflète sur le lac Impaâl. Les deux lunes, nacrées et brillantes, jouent de l’eau comme d’un miroir. Hasboard ne cesse d’être enchanté par cette généreuse nature. Il se laisse charmer par les reflets violet foncé et dorés que la surface de l’eau renvoie du ciel.
— Comment peut-il exister d’aussi merveilleux paysages ! Quel esprit divin a un jour réussi ce tour de force : mêler aussi harmonieusement poésie végétale et géologie ? Ô lac Impaâl tes reflets lumineux sont autant d’améthystes qu’aucune reine n’aura jamais la chance de porter autour du cou. Accorde-moi, je te prie, le temps d’une baignade dans tes eaux douces et tièdes. Il me faut me dégourdir. Ensuite, je te le promets, je reprendrai ma route.
Hasboard se trouve au nord-ouest des terres qui ont vu naître le roi Trhôn. Voilà deux jours qu’il a quitté le territoire de Nator, jadis sous la gouverne du roi Lhoût. Il découvre et traverse l’Aldiadie, l’ancien royaume du roi Elonin.
Trhôn est un roi très apprécié par tous les peuples d’Exébase. Ils voient en lui un souverain juste et bon. Paysans, artisans, commerçants, saltimbanques et autres aventuriers se réjouissent de ce qu’il est parvenu à faire de leur monde. Devenu très jeune le roi de Chamdobane, à la mort de son père, après de longues et harassantes campagnes, il a réussi à fédérer les sept royaumes de l’unique et vaste continent d’Exébase. Aujourd’hui, en l’an 654 du calendrier d’Ortrus, il parvient à maintenir son royaume dans la paix. Une paix malgré tout fragile. Son trône suscite de nombreuses convoitises parmi la noblesse. Trhôn n’est plus ce jeune homme vaillant couronné de toutes ses victoires. Grand conquérant et fin stratège militaire dans sa jeunesse, pour se battre, il n’use aujourd’hui que de diplomatie. Car il se doit d’être des plus habiles dans sa politique pour réussir à maintenir la cohésion au sein de l’aristocratie. Sinon, l’union qu’il a eu tant de mal à bâtir se disloquera. Des comploteurs séparatistes, toujours trop nombreux, n’aspirent qu’à retrouver leurs titres. Quand ce ne sont pas les richesses que peuvent offrir les guerres et les pillages.
Mais Hasboard n’est pas très au fait de toutes ces manigances. Il sait qu’aujourd’hui il n’est pas en mesure de rejoindre un camp plutôt que l’autre. S’il s’avère qu’il ait un jour une décision à prendre, il espère qu’il sera alors capable de faire son choix en toute connaissance de cause. Se ralliera-t-il à l’Empereur-roi ou bien rejoindra-t-il la fronde des sécessionnistes…
Dans l’immédiat, il se doit d’acquérir de l’expérience. Apprendre qui il est comme ce que renferment toutes les contrées qu’il lui reste à découvrir. Il aimerait parvenir à être enfin en possession d’un bâtons de force. Que cela soit un bâton de feu, un bâton de chance, un bâton de transparence, un bâton de neutralité… Et pour se donner bonne conscience, il se dit qu’il pourrait en trouver un par hasard dans le lac. Nu comme un ver, le voilà déjà dans l’eau. Il s’amuse de ces microalgues phosphorescentes qui, à son contact, laisse derrière lui une traînée de lumière verte dessinant son parcourt. Il ne pense même pas à tous ceux que cette ligne pourrait renseigner sur sa présence. La beauté et la magie du paysage le laissent dans une paix profonde.
Après une revigorante baignade, il s’en retourne, un peu à contrecœur, vers ses occupations. La luxuriante nature qui l’entoure, la température idéale de l’eau, la brillance du tableau avec les étoiles, les deux lunes, les feuilles orange et bleues des flotteurs… lui feraient presque oublier pourquoi il se trouve ici. Les chevilles encore immergées, un bruit sourd retient son attention. Un jeune flotteur vient de tomber dans le lac. Alourdies par l’eau, ses feuilles ne prennent plus le vent, elles ont viré au jaune, une couleur très attractive pour les prédateurs. Il devient une proie pour tous ceux qui pourraient se nourrir de son bois. C’est la loi de la nature ! La moindre faiblesse, la moindre erreur se paye cash. Hasboard n’est qu’à quelques brasses du jeune arbre. Il sait que toute décision, tout acte, tout choix peut entraîner des conséquences des plus heureuses aux plus fâcheuses. Mais son amour pour tout ce qui vit le pousse à tout faire pour le sortir de là. De retour sur la berge, le végétal, par instinct, par réflexe, s’est enroulé autour de son bras. L’aventurier délicatement s’en libère en l’égouttant. Il le présente au vent. Rapidement, le petit arbre peut reprendre son envol. C’est alors qu’Hasboard s’aperçoit qu’il est entouré de nombreux flotteurs. Un long défilé de racines vient lui effleurer l’épaule comme pour le remercier… L’aventurier est touché. Il ne s’attendait pas à vivre un tel moment aussi émouvant. Un hululement retentit dans les branches des enracinés voisins. Hasboard sourit. Il a reconnu un son devenu familier. Il lui faut reprendre sa quête. Finissant de se préparer afin de se remettre en route, il répond à son tour :
— Désolé, monsieur le grand-duc d’Exébase, de vous avoir dérangé dans vos veillées. Auriez-vous la bonté de m’indiquer la direction à prendre pour rejoindre les murs du refus ?
L’homme à la peau verte n’a pas fini sa phrase qu’aussitôt un magnifique harfang des neiges à l’honorable envergure, de sa blancheur transperce le ciel sombre, déjà étoilé. Il s’envole comme pour lui emboîter le pas. L’aventurier ne quitte pas des yeux ce splendide oiseau recouvert sur le dos et au bout des ailes de petites taches brunes. Cela fait plusieurs jours maintenant que tous les deux se croisent. Il le reconnaît, il s’est habitué à lui. Le rapace lui sert de guide. Il semble lui montrer la route à suivre. Dans son envol, il s’approche puis frôle presque l’homme, laissant à ce dernier la possibilité d’en croiser le regard. Hasboard peut ainsi admirer la beauté de ses deux grands yeux jaunes. Poussant son cri strident et aigu, il s’éloigne maintenant, proposant ainsi une direction à prendre.
Derrière les barrières naturelles formées par la grande chaîne de montagnes appelée « les murs du refus », se trouve, paraît-il, un huitième royaume appelé Zambrium. Un étrange monde mystérieux dont le peu que l’on en connaît ne provient que de ragots, de légendes et autres fantaisies issues de l’imagination toujours fertile d’esprits divagants d’anciens aventuriers que diverses mésaventures auraient quelque peu fait tomber dans la folie. Certains seraient un jour parvenus à trouver le passage reliant les sept royaumes connus à cet énigmatique huitième.
Que ce passage existe ou non ne doit pas être sa préoccupation première. Il n’est certainement pas en mesure de le trouver. Hasboard, non seulement, n’est pas assez aguerri mais surtout il n’a pas encore visité l’ensemble des autres domaines. Avant d’espérer trouver un monde imaginaire, il doit connaître totalement celui dans lequel il a choisi de s’aventurer, Exébase. Il doit surtout de toute urgence apprendre à différencier, parmi les personnages qu’il peut rencontrer, un allié potentiel d’un ennemi certain. De stature moyenne, élancé, très agile et très rusé, il a le profil idéal pour s’infiltrer comme pour s’exfiltrer de tous lieux, de résoudre des énigmes et de comprendre différents langages. Il n’est pas à proprement parler le combattant idéal. Ainsi l’a défini son créateur, le Nérusien Yannick Horse. Mais Hasboard est heureux d’être ce qu’il est. Plein d’entrain, il est prêt pour découvrir tous les mystères que cache ce vaste continent. Peut-être, se dit-il, sera-t-il un jour en mesure d’entreprendre la quête que prône une ancienne prophétie aujourd’hui presque oubliée : celui qui parviendra à réunir les huit royaumes d’Exébase trouvera alors l’accès à de nouveaux mondes…
Hasboard quitte ses rêveries pour revenir à la réalité. Il doit déjà gagner en expérience, en vitalité et en pouvoirs s’il veut être capable un jour de faire face à toutes les menaces que les sept royaumes renferment. Il doit rester concentré sur son prochain objectif : atteindre les chutes de Kaltor, à l’est de sa position, l’ancien royaume du roi Quayllon…
******************
Pour qui ne cherchait pas à en savoir davantage, Gwenole Stralle passait assez vite pour quelqu’un de renfermé sans grande prétention. Approchant la quarantaine, il n’avait jamais réussi à s’accorder avec qui que ce soit. Sa personnalité ne l’aidait pas à se rapprocher de ses congénères. Discret, il était peu à l’aise pour prendre la parole comme pour émettre un avis. Il n’avait jamais d’opinion à propos de ceci ou de cela. Il n’abordait jamais les autres, surtout pas une inconnue. Obsessionnel, ses pesantes manies contribuaient à sa grande solitude. Toute tâche commencée se devait d’être terminée avant d’entreprendre la suivante. Ce qui n’avait plus lieu d’être utilisé devait sans délai être rangé à sa place. Conservateur, toute hypothétique nouveauté faisait l’objet d’une longue réflexion. Le moindre changement, avant d’être acté, ne pouvait s’opérer qu’à l’issue d’une longue étude consciencieuse. Son quotidien avait fini par être le résultat d’une organisation méticuleusement planifiée. De surcroît, son faciès peu avenant et sa silhouette chétive n’étaient pas pour faciliter ses contacts avec ses semblables. Pas très grand, ayant souffert dans son enfance de nombreuses moqueries, son meilleur ami durant son adolescence ne fut autre que son rat blanc domestique. Depuis une agression remontant à une dizaine d’années, il était atteint de dysphonie spasmodique. Cela l’obligeait à recevoir trois fois par an des injections de toxine botulique dans les muscles du larynx. Habitué à vivre seul, sa vie se résumait à son travail, à ses déplacements, ses courses. Son goût prononcé pour le monde du virtuel occupait tout le reste de son temps. Les meilleurs instants de loisirs et de détente qu’il n’avait jamais réussi à trouver provenaient exclusivement de cet univers. Il s’était tout d’abord longuement passionné pour les simulateurs de pilotages. Qu’il s’agisse d’engins volants comme de véhicules terrestres, il ne s’était jamais contenté de savoir manœuvrer une machine. Il lui fallait en être un conducteur hors pair ! À deux roues comme à quatre, il lui avait fallu remporter toutes les courses des championnats dans lesquels il s’engageait. De la même manière, il n’avait pu être satisfait qu’en devenant le virtuose de tout ce qui pouvait voler. Lassé de ne trouver plus de difficulté, il se retourna alors vers les jeux d’actions et d’aventures. Dans ce domaine, son addiction ne tarit pas. Il ne s’était jamais autant senti vivant qu’à chaque fois qu’il pouvait endosser le rôle d’un personnage chargé de mener à bien une quelconque mission. De conquêtes en combats, d’expéditions en découvertes, avoir la charge d’une quête le passionnait.
Dans le monde actuel, rien ne suscitait vraiment le moindre intérêt aux yeux de Gwenole Stralle. Suite aux séquelles causées par le choc survenu dix ans plus tôt, il dut changer d’emploi. Son travail n’était pas des plus passionnant mais il avait fini par s’en accommoder. Depuis plusieurs semaines il était parvenu à se faire affecter à un poste d’adjoint archiviste dans un CEA d’œuvres littéraires. Les Centres d’Enregistrement et d’Archivage devenaient les dépositaires de la mémoire artistique et créatrice de l’humanité. Avant d’être déposées dans un vaste entrepôt, par souci de conservation, tout autant que par nécessité de gain d’espace, toutes les œuvres devaient être reproduites sous forme numérisée. Elles étaient ensuite convenablement emballées pour être déposées en zone contaminée dans un abri hermétique. Le stockage sur ADN permettait de faire tenir de volumineuses données numériques, textes, son et images, dans une tête d’épingle. Mais il fallait réussir, autant que faire se pouvait, à conserver et stocker toute œuvre quelle qu’en fût sa forme originelle. Les adjoints archivistes pouvaient ainsi avoir à s’occuper de manuscrits anciens comme de livres imprimés, de vieux rouleaux en cire standard ou de disques digitaux, de pellicule de film, dite argentique ou photochimique comme de carte mémoire SX-CFast, de photographies, de peintures, de sculptures… Ainsi le monde entier pouvait consulter en ligne toutes sortes d’œuvres. Tout au moins, celles ayant obtenu l’aval du comité d’éthique culturel et des sources de la connaissance.
Gwenole était très vite tombé en disgrâce aux yeux de la directrice du centre. Il n’en avait pas été surpris plus que cela. Sa nouvelle tâche, et cela était bien l’essentiel à ses yeux, lui convenait. Avoir à mettre à jour, accompagner, superviser des droïdes conçus pour transformer en données ADN tous types de support de documents artistiques. Le service qu’il avait rejoint s’occupait essentiellement d’œuvres littéraires. Il avait bien conscience qu’avec ce travail il ne trouverait certainement pas de quoi s’épanouir comme il avait pu le faire, autrefois, dans un tout autre domaine. Mais cela n’avait plus d’importance aujourd’hui. Ses distractions résidaient dans les univers où depuis déjà quelques années il aimait trouver refuge. Sa toute dernière épopée occupait presque intégralement son temps libre. De tous les jeux dans lesquels il s’était investi, jusqu’à présent, aucun ne lui avait jamais procuré cette sensation. Il se retrouvait intégralement dans la peau de l’homme qu’il aurait toujours dû être en réalité…
Comme tous les gens de sa génération, Gwenole Stralle avait grandi dans un monde ayant traversé à de nombreuses reprises divers bouleversements. Plus jeune, il n’était jamais parvenu à saisir précisément quelle place il pouvait occuper dans cette civilisation sans cesse tourmentée. De nombreuses et diverses crises avaient engendré bien des troubles. Des violences meurtrières déclenchées au hasard par des fanatiques religieux aux révoltes sociales organisées par toutes sortes d’insurgés ; des conflits militaires dévastateurs, entre deux ou plusieurs nations, aux exodes trop souvent mortels de populations à la recherche de terres d’asiles et de paix… Des catastrophes écologiques dites naturelles aux pandémies mondiales provenant de virus toujours nouveaux… Cette redistribution permanente des cartes d’une économie constamment en crise réenclenchait de nouveaux troubles…
La barbarie des hommes lui semblait venir de toutes parts et n’avoir aucune limite. Dans les années 2030, il fut décidé d’instaurer une nouvelle gestion internationale. Quatre zones administratives distinctes se partagèrent la planète, chacune dirigée par une autocratie tout aussi pesante et suspicieuse que celles qu’elles remplaçaient. Sans grande surprise ce système de société s’avéra peu satisfaisant. À peine dix ans plus tard, une révolution internationale acheva de rendre obsolètes les quelques valeurs et les derniers repères auxquels Gwenole tentait de s’accrocher. Tous ces événements avaient engendré un grand nombre de victimes. Ils avaient également occasionné de graves dégâts écologiques. Une fois de plus, il fallait tout reconstruire, tout repenser, tout réinventer. Que pouvait-on bien attendre de lui. Comme beaucoup de sa génération, il ne parvenait plus à savoir quoi faire de quoi. C’est à la suite de tout cela qu’il eut l’idée de changer d’air, de se reconvertir. Puis son agression… Ce nouvel emploi, il l’exerçait depuis plus de huit ans. Après les films, la musique, il s’occupait maintenant des livres. Ses qualifications lui permettaient de prétendre à beaucoup mieux, mais il s’était résigné. Il n’avait aucun grade, aucune personne sous ses ordres. Il était simple adjoint archiviste. Rien de très glorieux peut-être, mais rien d’affligeant pour autant. Cela en fin de compte lui convenait.
Après une journée sans surprise, il prit un vélo électrique pour rentrer chez lui. Comme la plupart des gens, il ne possédait pas de véhicule personnel. Il était abonné au service « Elexity » que la mégapole proposait. Cet abonnement lui donnait accès à toutes sortes de véhicules électriques à deux, quatre ou six roues. Dès qu’il voulait utiliser un moyen de transport, il lui suffisait de se rendre à une borne de reconnaissance digitale prévue à cet effet.
Enfin dans son petit appartement, il s’installa méthodiquement dans son canapé. Il positionna avec la plus grande attention sur son crâne son tout dernier casque IMV. Une fois de plus et avec grand plaisir, il quittait progressivement un monde pour en rejoindre un autre. Il n’était plus Gwenole…
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Poussant comme à l’accoutumée un grognement propre à sa bonne humeur, Tentor se réveille à l’approche du crépuscule. Son dôme bleuté protecteur se dissipe :
— Par tous les fourbes d’Exébase que je n’ai encore estourbis ! Grrrrrrrrrrrrr ! J’ai un appétit à faire pâlir les loups de Nator.